Photographie de propagande de guerre : La guerre sino-japonaise



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Transcription:

Photographie de propagande de guerre : La guerre sino-japonaise Définition de la propagande de guerre par P. Contamine, historien médiéviste : «Toute action psychologique menée par des pouvoirs, formels ou informels, en vue d accroître médiatement ou immédiatement l efficacité d une entreprise guerrière quelconque». Le Japon refuse le mot propagande et lui préfère l expression «guerre de l esprit». La guerre est un événement médiatique par excellence : le quotidien est brisé, il y a des faits «extra-ordinaires», de l exotisme, du suspense et des rebondissements. Elle alimente la fascination des masses pour le sang et dure dans le temps, ce qui permet aux journaux de revenir sur le sujet. Mais montrer la guerre ce n est pas forcément montrer un choc armé : ces images sont d ailleurs minoritaires. Au contraire, il y a un nouvel esthétisme de guerre : après la représentation en peinture des scènes de bataille, la photographie montre «le rien, l après, le résultat, plus que l affrontement», Gervereau (L.), Montrer la guerre? Information ou propagande? La propagande des pays attaquants se base sur la glorification de l Armée, sur la démonstration de sa puissance. Elle montre très peu les combats et ceux-ci sont simulés pour paraître plus propres et plus héroïques. Les défilés sont privilégiés car ils donnent à la fois une impression d ordre et de force. Ils permettent de mettre en évidence l artillerie et les chars, fleurons des armées modernes. Elle a pour but de rassurer les populations alliées et d effrayer les ennemis en donnant l image d une victoire assurée. La propagande des pays attaqués cherche à instrumentaliser les populations locales lors des invasions, à montrer les civils en exode. La souffrance des civils et la dénonciation des techniques de l adversaire est un enjeu majeur car elles peuvent faire basculer l opinion publique et susciter les productions partisanes. Elle a pour effet de mettre en place un bouc émissaire choisi à l avance, de créer une vision manichéïste faisant croire que tous les bons sont d un côté et les méchants de l autre, ce qui aboutit à une psychose de l opinion qui demande des informations allant toujours dans le même sens. I. Le conflit vu du côté japonais. A. L invasion de la Chine. Après de nombreuses années de tensions, le Japon attaque la Chine durant l été 1937, conséquence d une série de conflits isolés depuis 1931. A sa tête se trouve un empereur considéré comme une divinité, et un gouvernement militaire. La Chine est quant à elle secouée par des coups d État successifs, notamment communistes. Les États-Unis et l Angleterre sont du côté de la Chine, sans pour autant intervenir militairement. Le Japon justifie cette invasion par des revendications similaires à celles de l Italie fasciste et de l Allemagne nazie concernant la création d un espace vital nécessaire au bon développement de la «race».

Les préparatifs et l armée en marche : Ces photographies montrent des soldats japonais, parfois accompagnés de pièces d artillerie, et des chars en marche. Ils sont pris au moment du débarquement, de la marche vers les lieux des combats, de l entrée et de la sortie des villes conquises. Deux d entre elles présentent l État-major devant des cartes. L une d elles laisse voir des avions sur une piste d envol. Les ruines fumantes des villes attaquées sont souvent visibles, ainsi que des drapeaux japonais. Les militaires ne sont jamais en position de combat mais de défilé. Aucun n est blessé et certains sourient. Ce sont des mises en scène visant à donner une image de la force de l armée, de son patriotisme et de ses victoires. N 686 : Légende de rediffusion par l agence Associated press : «La bataille pour Nankin. Associated press photo montre. Profitant de la tombée de la nuit, un groupe de soldats traverse un pont avec les pièces détachées d une pièce d artillerie. HAIM27167 2/1/37/P DWP». Légende de La Dépêche : «La bataille pour Nankin. Profitant de la tombée de la nuit, un groupe de soldats traverse un pont avec les pièces détachées d une pièce d artillerie. (Col Hall Dépêche 14/1/38 ST.)». Légende du Matin : «Des troupes japonaises passant au crépuscule sur un pont détruit et portant une pièce d artillerie en pièces détachées, se profilent sur le ciel en «ombres chinoises». Elle est publiée à la Une du 3 janvier 1938, en haut à gauche. Elle illustre, avec une autre photographie, un article titré «Les troupes japonaises auraient débarqué près de Macao à quarante kilomètres des eaux de Hong-Kong». Légende de L Humanité : «Les troupes japonaises traversent un pont sur une rivière».

Elle est publiée en page 3 du 3 janvier 1938, au centre. Elle illustre un article titré «La Chine a repoussé les honteuses propositions de paix qui lui étaient proposées par l Allemagne et le Japon. Il faut l aider : participez au boycottage de l agresseur nippon!». Ces légendes, bien que principalement descriptives, insistent sur l exotisme de la situation, voir lui donne un aspect poétique. L Humanité est plus engagée et, partisane de la Chine communiste, elle en appelle au boycott du Japon. Notons que les journaux diffusent la photographie le lendemain de sa diffusion par l agence, sauf La Dépêche qui la diffuse deux semaines plus tard. Les combats : Les photographies des combats sont très peu nombreuses et mises en scène de toute évidence. Elles montrent des soldats marchant sur des ruines ou couchés derrière des gravas. Leur ennemi n est jamais visible et ils ne sont pas en train de tirer. Le photographe, notamment pour la n 663, est trop exposé pour qu il s agisse d un combat réel. La propagande japonaise veut donner l illusion de soldats en action, associés aux ruines autour d eux. Elle veut montrer les conditions de combat et la puissance de l armée. Les conséquences : Ces images montrent les résultats de l invasion japonaise : inspection des villes conquises par l État-major, défilés militaires, prises de matériel chinois, rapatriements d officiers. Elles laissent voir principalement les forces japonaises et les ruines chinoises, ruines qui sont les conséquences caractéristiques des guerres modernes. Elles donnent une image positive et édulcorée du conflit vu par les japonais, bien loin des violences, des crimes et des massacres commis par les soldats et leurs officiers. N 680 : Légende de rediffusion par l agence France Presse : «La guerre sino-japonaise. N.P.M. Train blindé chinois, sur la ligne Tientsin-Pukow, capturé par les soldats japonais. France Presse Voir 28/4/38 N 24». Légende de La Dépêche : Idem, datée «29/4/38 PS».

Légende de L Ouest-Eclair : «Un train blindé chinois sur la ligne Tien-Tsin-Poukéou, capturé par les soldats japonais». Elle est publiée en page 3 du 30 avril 1938, en haut à droite. Elle illustre un article titré «Un raid d avions japonais aurait fait mille victimes à l arsenal de Han Yang dans les faubourgs de Hankéou». B. Une société militariste. Un gouvernement formé de militaires : L une de ces photographies montre le Grand Conseil Impérial qui a lieu au Quartier Général Impérial à Tokyo en janvier 1938. Neufs hommes en uniforme se tiennent autour de tables disposées en U. L un d eux préside au centre. Il s agit du représentant de l Empereur Hirohito, car ce dernier, considéré comme une divinité, n apparaît pas sur les clichés. D après l angle de vue et la position des personnes, cette photographie est posée. L autre image est un portrait en uniforme de l Amiral Nomura, qui est aussi ministre des affaires étrangères. Ces deux photographies indiquent que ce sont des militaires qui composent le gouvernement japonais et que l Empereur n en fait pas partie. Bien qu elles illustrent le conflit sino-japonais, elles donnent surtout une image du pouvoir au Japon. N 689 : Légende de rediffusion par l agence N.Y.T : «Un Grand Conseil Impérial japonais s est tenu au Quartier Général Impérial à Tokio. Tokio. Une vue de la réunion du Grand Conseil Impérial. Photo NYT 17/1/38 RB 75». Légende de La Dépêche : Idem, datée «19/1/38 ST». Légende du Petit Journal : «La séance du Conseil Impérial japonais». Elle est publiée en page 3 du 18 janvier 1938, au centre. Elle illustre un article titré «Tokio ne reconnaît pas le gouvernement provisoire de la République chinoise».

N 661 : Légende de rediffusion par l agence S.A.F.A.R.A. : «L Amiral Japonaos Nomura ministre des affaires étrangères a déclaré que le gouvernement japonais avait décidé de renoncer à l application du pacte antikomintern. Autorisée par la censure pour la France N 4499». Légende de La Dépêche : «Un portrait de l Amiral Japonaos Nomura ministre des affaires étrangères du Japon. Col Hall Dépêche 16/10/39 JA)». La mention «autorisée par la censure pour la France» prouve qu il s agit d une photographie de propagande puisque contrôlée au niveau du contenu et du pays de diffusion. Notons que la légende est moins complète dans La Dépêche, sûrement pour mieux correspondre à l événement à illustrer. L omniprésence des références guerrières : Ces photographies montrent des hommes en uniforme dans différentes situations : défilé en rangs serrés, présentation de nouveaux uniformes, entraînements au combat. Elles illustrent l importance que prend l armée dans la société japonaise et sa mise en valeur par la propagande. Deux d entre elles sont centrées sur les jeunes recrues. La n 688 présentent notamment des élèves officiers en tenue de samouraï durant un duel de kendo, une forme d escrime traditionnelle japonaise. Visiblement les traditions ancestrales restent très présentes et sont portées par la jeunesse. La n 647 présente un avion nommé «Kamikaze» (vent divin) faisant escale en France, au Bourget, avant de se rendre à Londres. La seule excursion du Japon en Europe est une démonstration de sa force militaire et technique, de la puissance de son aviation. La jeunesse : Ces images présentent des jeunes de tous les âges, filles et garçons, dans des cadres officiels : écoles et défilés. Ils sont tous en uniformes contemporains ou en tenues traditionnelles de samouraïs. A part les plus jeunes qui défilent avec des sabres, ils sont dans

des situations de combat. C est une jeunesse encadrée et militarisée, même dans le cadre scolaire, et porteuse des traditions. Qu ils soient victimes ou mobilisés, les enfants sont toujours instrumentalisés par la propagande. N 675 : Légende de rediffusion par l agence Rol : «Japon. L escrime au bâton est très répandue et se pratique depuis fort longtemps. Toutes les innovations apportées par le modernisme européen n ont pu le remplacer, d ailleurs elles ont permis aux jeunes filles de la pratiquer, car jusqu ici, seuls les hommes pouvaient s y adonner. Photo Rol. 8/2/37. RE.». Légende de La Dépêche : Idem, datée «12/2/37. A.M.» Ces légendes ont un aspect condescendant, confrontant le traditionalisme japonais et le «modernisme européen» qui, selon elles, aurait permis aux jeunes filles de pratiquer l escrime au bâton. Or, cette arme, le naginata, est essentiellement destinée aux femmes depuis le XVIe siècle. N 660 : Légende de rediffusion par l agence Associated press : «Autres temps, autres mœurs Associated press photo montre. Dans les universités japonaises les leçons d escrime à la

baïonnette semblent avoir remplacé les combats au sabre des samouraïs. AP/T 28199 6/3/38/P DWP.». Légende de La Dépêche : Idem, datée «8/3/38 PS.». Ce cliché et sa légende montrent le lien tissé par les japonais entre les traditions et la modernité. C est une association pratiquée par les régimes totalitaires pour à la fois rassurer la population et lui donner l image d un progrès censé élever l Homme, améliorer son quotidien. On note également la présence du drapeau de l armée impériale japonaise et de militaires en uniforme qui surveillent les cours à l intérieur de l université. Ils peuvent décider de les faire cesser et de contredire l enseignant si son discours ne correspond pas aux attentes du régime en place. N 658 : Légende de rediffusion par l agence Keystone : «9.211/10. Les petits japonais jouent à la guerre. A Hongkey, près de Changai, à l endroit même où l on se battait encore il y a quelques mois, les enfants de la colonie japonaise jouent à la guerre. Les petits garçons, coiffés de casques chinois trouvés sur les champs de bataille, manœuvrent avec des fusils de bois». Légende de La Dépêche : «Les petits japonais jouent à la guerre. Les voici manœuvrant avec des fusils de bois. (Col. Hall Dépêche 6/4/38 PS». L un des enfants porte un casque allemand, bien que les légendes précisent qu il s agit de casques chinois. Cela indique une alliance entre le Japon impérial et l Allemagne nazie. De plus des marques similaires sont apposés sur tous les casques, ce ne sont donc pas les enfants qui les ont trouvé sur les champs de bataille, mais le personnel chargé de les encadrer qui les ont marqué et distribué, tout comme les fusils de bois. Ils conditionnent ces jeunes par le jeu à être de futurs soldats. Les légendes sont peu fiables, ce qui fait réfléchir sur leur pouvoir informatif et sur le travail des agences qui se contentent parfois des données fournies par les pays concernés. La question se pose : existe-t-il une véritable information en temps de guerre? Les manifestations populaires :

Ces photographies montrent des foules de civils japonais arborant des drapeaux, banderoles et lanternes en papier. Les personnes sont habillées à l européenne, notamment les scouts en uniforme présents sur deux des photographies, dont l une présente une manifestation des Jeunesses japonaises. Elles sont prises à l occasion de fêtes en l honneur de l Empereur et des victoires sur la Chine. Elles évoquent l adhésion et le soutient du peuple, réel ou feint, à la politique du gouvernement, ainsi que le culte de l Empereur. La population est endoctrinée dès l enfance et des manifestations officielles sont organisées par le pouvoir pour créer la cohésion autour d événements considérés comme glorieux et de l Empereur, une icône qui fait office de caution morale. On remarque l association entre les traditions (lanternes en papier) et l occidentalisation (boyscouts ; vêtements ). C. L alliance avec l Italie fasciste. Ces trois clichés, non repris dans la presse, présentent l accueil à Tokyo d une «mission d amitié» italienne et sa visite des ruines de Shanghai. Reçue par des militaires, la délégation italienne est aussi composée de civils. Les drapeaux italiens se mêlent aux drapeaux japonais et aux étendards de l Armée. Ce déploiement de force vise à impressionner les italiens et à leur faire sentir l importance des liens qu ils nouent. Cette alliance du Japon Impérial avec l Italie fasciste et en filigrane avec l Allemagne nazie, toutes deux des dictatures, indique les positions idéologiques nippones et annonce la place de chacun durant la Seconde Guerre Mondiale.

II. Le conflit vu du côté chinois. L origine de ces photographies n est pas déterminée. Ce sont soit des clichés pris par la propagande chinoise, soit par les journalistes des agences de presse occidentales, étant donné que certaines villes de Chine, comme Shanghai, sont des concessions internationales. Dans tous les cas elles montrent le conflit en prenant parti pour les Chinois, en particulier pour les civils. A. Les forces armées. Ce cliché montre des milliers de soldats non armés, en uniforme, formant des rangs serrés. Ils donnent grâce à leur nombre une impression de puissance. C est une photographie de propagande chinoise visant à donner une image de force militaire, donc l illusion d une victoire encore possible. N 683 : Légende de rediffusion par l agence France Presse : «France Presse 16/12/36 GIO. Les événements de Chine. Les nouvelles assez contradictoires parviennent actuellement sur les événements qui se sont déroulés ces jours derniers en Chine et en particulier sur la situation présente du Maréchal Tchang-Sao-Liang. Depuis quelques mois le gouvernement régulier avait fait un gros effort militaire et avait augmenté considérablement le nombre de ses troupes. N.P.M. un groupe important de nouvelles recrues». Légende de La Dépêche : «Les événements de Chine. Un groupe important de nouvelles recrues. (Col Hall Dépêche 1/1/37 ST.)». Légende de L Ouest-Eclair : «L appel des nouvelles recrues de l armée régulière». Elle est publiée à la Une du 18 décembre 1936, en bas à droite. Elle illustre un article titré «On se bat en Chine. Une conciliation, cependant, ne semble pas impossible entre les rebelles et les réguliers». Ces légendes, notamment celle de l agence de presse, insistent sur la difficulté d avoir des informations fiables sur les événements en Asie. Entre le gouvernement chinois, les rebelles et les japonais, les partis concernés sont nombreux et la propagande évidente. Cette photographie sert à la fois à illustrer la guerre sino-japonaise et les conflits internes d une Chine en perpétuelle révolution depuis le début du XXe siècle.

B. Les conséquences des attaques japonaises. Ces photographies évoquent les diverses conséquences des offensives militaires japonaises en Chine, notamment les bombardements, les ruines et les victimes civiles. Les n 672 et 682 présentent respectivement une ville chinoise intacte, Canton, et un général de l armée chinoise ayant été exécuté pour n avoir pas su défendre son pays. Ces images donnent le point de vue opposé aux japonais, elles présentent la violence des combats et surtout les répercutions sur les civils contraints de fuir leurs villes en ruines. La propagande chinoise met en place une politique de victimisation. Elle cherche à apitoyer sur son sort l opinion publique occidentale. Elle espère peut-être une aide des pays européens ou détourner l attention de ceux-ci des exactions commises par les différents groupes chinois revendiquant le pouvoir. Cette tactique fonctionne puisque l étude de la presse française montre que celle-ci prend parti pour la Chine et que les informations concernant les troubles politiques internes sont brouillées. N 679 : Légende de rediffusion par l agence Keystone : «8.518/1 Nankin bombardé. Fuyant Nankin bombardé par l aviation japonaise, la population civile quitte la ville, s entassant dans des véhicules les plus hétéroclites. I/ET/ 21/8/37 (Keystone)». Légende de La Dépêche : Idem, datée «23/8/37. A.M». Légende de L Humanité : «Fuyant les bombes japonaises, ces malheureux quittent en hâte Nankin». Elle est publiée à la Une du 22 novembre 1937, en haut à droite. Elle illustre un article titré «A Shanghai. Les Japonais sont acculés aux rives du Houang-Pou». Ces légendes montrent clairement le parti-pris prochinois des journaux. Notons que L Humanité de ne se sert de cette photographie que trois mois après sa diffusion par l agence de presse et pour illustrer un article sans lien direct. Le nombre de clichés venant de Chine ou du Japon est certainement réduit et les journaux utilisent le dernier arrivé. Les dates mentionnées par l agence sont toutefois suspectes, car les personnes apparaissent très chaudement habillées pour un mois d août.

Ce cliché illustre la fuite des civils de Nankin, où l attaque japonaise fut l une des plus violentes, avec des massacres à grande échelle. Les controverses les concernant restent un point de blocage dans les relations entre le Japon, la Chine et d autres pays asiatiques. N 653 : Légende de rediffusion par l agence N.Y.T. : «Les horreurs de la guerre en Chine. Shanghai. L enfant est triste car il a perdu ses joujoux, mais le père sourit encore car le dernier bombardement lui a laissé son enfant. Photo NYT Shanghai. FID 7/12/37. JL». Légende de La Dépêche : «Les horreurs de la guerre en Chine. Shanghai. L enfant est triste car il n a plus ses joujoux. Mais le père sourit encore car le dernier bombardement lui a laissé son enfant chéri. Coll Hall Dépêche 14/11/37. S.B.» Légende de La Croix : ««J ai tout perdu sauf le plus précieux des trésors, mon petit enfant», semble dire ce paysan chinois, qui, fuyant les horreurs de l invasion, a trouvé refuge dans la concession internationale de Changhai.» Elle est publiée à la Une du 9 décembre 1937, à droite au milieu. Elle illustre un article titré «Le conflit sino-japonais. Nankin qui résiste toujours est déclarée zone de guerre». Pour plus de réalisme, les agences et les journaux n hésitent pas à faire parler les personnes représentées sur les clichés, leur prêtant des pensées et des sentiments probablement inventés de toute pièce et correspondant à ce que les lecteurs ont envi de lire. Ici l enfant, symbole d innocence, il est là pour émouvoir. Notons les différences d orthographes pour les noms propres asiatiques, en particulier pour Shanghai.

N 673 : Légende de rediffusion par l agence Associated press : «La bataille pour Chang-hai. Depuis des mois, les avions japonais bombardent Chapei, tuant des centaines de Chinois et détruisant tout. Associated press photo montre l éclatement d une bombe détruisant un des milliers de toits de Chapei. HAI 26074 2/11/37/P DWP.». Légende de La Dépêche : «La bataille pour Shanghai. Depuis des mois, les avions japonais bombardent Chapei, tuant des centaines de Chinois. L éclatement d une bombe détruisant les toits de Chapei. (Col. Hall Dépêche 5/11/37 ST». Légende de L Humanité : «Les batteries d artillerie nippone bombardent de façon incessante les habitations chinoises à Shanghai. Notre photo montre l éclatement des projectiles qui sèment l horreur et la mort». Elle est publiée en page 3 du 4 novembre 1937. Elle illustre deux articles titrés «La conférence du Pacifique» et «A Shanghai les japonais n ont pu obtenir avant Bruxelles le résultat escompté malgré l emploi des gaz!». L ensemble occupe le tiers de la page. Chapei est un quartier au nord de Shanghai. L Humanité insiste sur l inhumanité des japonais et le fait que celle-ci n ai pas été un argument face aux démocraties occidentales. L information reste reléguée en page 3, preuve de l intérêt modéré qu elle provoque dans l opinion publique française. Ce travail a été réalisé par Amélie Gautier, Licence Professionnelle Image et Histoire. Mai 2012.