Comprendre ses questions et ses émotions après le suicide d?un proche Comprendre ses questions et ses émotions après le suicide d?un proche Publié le 26 sept. 2012 à 11h12 Comprendre ses questions et ses émotions après le suicide d?un proche : entretien avec Cécile Séjourné, psychologue réalisé par Selma Rogy, psychologue au CNDR Soin Palliatif
Après le suicide d?un proche, l?entourage est souvent submergé de questions : pourquoi ce geste? Comment cela s?est-il passé? Comment peut-on l?expliquer? Comment trouver des réponses à ces questions? L?entourage se pose effectivement souvent plus de questions dans un deuil après suicide que dans d?autres types de deuil, où la perte peut être vécue comme une fatalité. La mort, en général, est subie. Là, elle nous provoque. Cette mort remet en question la connaissance que nous avions de l?autre et la relation que nous avions avec lui. Le suicide d?un proche nous renvoie à notre impuissance, à une part de mystère. Nous cherchons à donner un sens à ce qui nous semble être un non sens, à trouver une explication à l?inexplicable, à relire l?histoire pour traquer le moindre signe qui pourrait expliquer qu?il/elle en soit arrivé(e) là. Comme dans tout processus de deuil, la question du sens est posée, mais dans ce cas, elle est beaucoup plus intense. Les questions sont multiples et obsédantes. Comment aurait-on pu empêcher ce geste? Pourquoi n?avons-nous pas pu retenir l?autre et l?empêcher de se tuer? Pourquoi s?est-il donné la mort? Après toute une période où la personne endeuillée est assaillie par ces questions, cette quête de sens finit par s?épuiser. Il y a ceux qui trouvent une signification, et ceux qui évoluent vers un
lâcher prise, acceptant que le sens de ce geste leur échappe et demeure une énigme. L?important est de pouvoir à un moment sortir de ce questionnement en boucle. Comment comprendre les émotions ressenties après le suicide d?un proche? Les émotions - colère, tristesse, désespoir, sentiment de culpabilité, honte - sont les mêmes que dans les autres deuils. Elles sont souvent néanmoins d?une intensité extrême après le suicide d?un proche. La violence de l?acte vient nous heurter, parfois d?autant plus si l?on se sent accusé par l?enquête menée par la gendarmerie. Le suicide est un acte violent qui est une agression, pour celui qui meurt tout d?abord, mais aussi pour l?entourage. Le suicide, à travers la transgression de l?interdit notamment, vient mettre à mal nos valeurs et crée en nous un conflit. Nous nous sentons doublement meurtris. Comme dans d?autres deuils, on peut en vouloir à celui qui nous quitte. Après un suicide, il est plus difficile de le faire : comment être en colère contre celui qui nous agresse alors qu?il est la première victime de son geste? La colère suscitée par cette mort est difficile à vivre et à assumer. La tentation est forte de trouver un coupable, au risque sinon de retourner la colère contre soi. Le sentiment de culpabilité est souvent très important chez les proches après un suicide. La culpabilité renvoie à la notion de faute, au sentiment d?avoir mal agi : on a l?impression de n?avoir pas pu ou pas su aider, de n?avoir pas su trouver les mots, de n?avoir rien vu venir, etc. Les proches éprouvent souvent un sentiment de honte très difficile à vivre et à partager. La honte est plus insidieuse, plus secrète que la culpabilité. Elle est liée au regard que l?on porte sur soi. Elle vient nous atteindre au c?ur de notre être le plus intime. Le suicide de l?autre peut être perçu comme un acte scandaleux qui stigmatise ses proches. Il vient remettre en cause leur propre valeur et les expose au regard social : «je n?ai pas assez compté pour lui», «je n?ai pas été à la hauteur», «mon amour ne valait rien», «je me sens nul de n?avoir pas pu l?aider, je n?ose plus sortir dans la rue». Ces sentiments de honte et de culpabilité sont très éprouvants et se doublent souvent d?une grande lassitude et d?une sensation de gâchis. La personne endeuillée se sent souvent épuisée, usée par toutes ces émotions qui mobilisent beaucoup d?énergie psychique. Cependant, toutes ces émotions douloureuses et déroutantes font partie du processus normal du deuil après suicide. Il est important de pouvoir les vivre, pour pouvoir les dépasser et se sentir un jour apaisé. Pourquoi ces émotions peuvent-elles paraître contradictoires? Même si les proches comprennent que celui qui se suicide a voulu avant tout mettre fin à sa souffrance, il les fait souffrir en les quittant ainsi. Son geste renforce l?ambivalence vis-à-vis de la personne décédée : les sentiments d?amour et de haine pour l?autre sont exacerbés. Leur cohabitation crée des tiraillements et engendre de la confusion. Les proches oscillent entre la colère et la compréhension, entre le sentiment d?avoir été abandonné
par le défunt et celui de ne pas l?avoir secouru, entre l?angoisse et le soulagement parfois dans certaines situations. Cesser d?en vouloir à celui qui s?est suicidé est une des voies qui permet de sortir de cette tension si inconfortable à vivre. Pourriez-vous décrire les effets et les conséquences de ces émotions? Par crainte de la stigmatisation et de la réprobation sociale, la honte peut avoir pour effet d?accroître le repli sur soi, de taire la cause du décès, d?entretenir ainsi soi-même le tabou, et de participer à ce que j?appelle «la conspiration du silence». On observe que les personnes endeuillées après un suicide cheminent davantage seules que dans d?autres deuils. La tentation de rejoindre l?autre en reproduisant l?acte est également un des risques qu?il ne faut pas négliger. Il s?agit d?être d?autant plus vigilant en cas de repli sur soi. Dans certains cas, la découverte du corps peut également engendrer des états de stress post-traumatique - flash back, conduites d?évitements, état d?hypervigilance. Invalidant, cet état doit nécessiter une prise en charge spécifique par des professionnels. Enfin, le processus de deuil peut être ralenti par les conflits dont nous avons parlé précédemment et le vécu dépressif s?avérer plus long et plus marqué que dans d?autres deuils. Tous ces effets ne sont pas systématiquement provoqués par la perte d?un proche après suicide. Et il est important de garder en tête qu?ils peuvent être surmontés au cours du temps. Quels repères donneriez-vous à une personne ayant perdu un proche après un suicide? Accueillir et nommer ses émotions, reconnaître et accepter la honte, peuvent constituer des premiers repères. Ce qu?il s?est passé peut aussi nous apprendre que l?autre est différent de nous et qu?il nous échappe. Il est utile que les proches partagent ce vécu avec d?autres ayant vécu le même type de deuils pour dépasser le tabou, la tentation du silence et du repli sur soi. Certaines associations proposent des groupes d?entraide. On peut aussi s?adresser à des interlocuteurs qui peuvent écouter sans jugement et dans la confidentialité : des professionnels et des bénévoles notamment qui peuvent accompagner chacun dans son chemin de deuil. Ces personnes endeuillées ont particulièrement besoin de lieux d?écoute neutres, anonymes et confidentiels, comme des forums spécifiques par exemple. Il existe des ressources, mais il reste beaucoup à faire et à inventer pour accompagner au mieux les personnes endeuillées après suicide. Entretien avec Cécile SEJOURNE, psychologue, formatrice sur les problématiques du deuil et de la fin de vie réalisé par Selma Rogy, psychologue au CNDR Soin Palliatif
Consulter également : Questions à Selma Rogy pour notre partenaire Priorité Santé Mutualiste (podcasts) [1] Les Foires aux Questions spéciales dossier "Deuil après suicide [2]". La bibliographie "Suicide et deuil" [3] Source URL: http://www.spfv.fr/actualites/comprendre-ses-questions-et-ses-emotions Liens: [1] http://www.prioritesantemutualiste.fr/psm/article/518544/le-deuil-apres-suicide [2] http://www.soin-palliatif.org/actualites/faq-speciales-deuil-apres-suicide [3] http://vigipallia.soin-palliatif.org/modules/webportal/results.php?op=classement&idclasseme nt=462&idbase=1&search_mode=solr Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)