Une justice à deux vitesses?

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Transcription:

Point de vue Observatoire Régional de la Délinquance et des Contextes Sociaux Une justice à deux vitesses? Christine BARTOLOMEI N 8 Juin 2015 Quand on parle de la justice, on pense immédiatement à la justice pénale, aux poursuites et aux condamnations. Or il faut savoir que la part la plus importante du travail des magistrats, c est la justice au quotidien rendue par les tribunaux civils, à commencer par le tribunal d instance (loyers, crédits, contrats, litiges entre voisins, tutelles, surendettement, prud hommes) et par le tribunal de grande instance (affaires familiales, protection des enfants, état civil, litiges de construction, contrefaçon ), en tout 2,7 millions d affaires traitées chaque année, soit le double des affaires pénales. La justice civile est une justice qui manque de moyens, d où le principal reproche des français à son égard : sa lenteur. En revanche cette justice est rarement taxée d inégalitaire ou d incompétente. C est une justice encore accessible : le juge est proche et peut le plus souvent être saisi par simple requête. C est une justice dont on parle peu dans les media L autre justice, celle qui est médiatique, c est la justice pénale (617 220 peines prononcées en 2012): celle du fait divers et celle des affaires, abondamment commentée dans la presse, elle est souvent sous le feu de pressions de toutes L AUTEUR Christine BARTOLOMEI Magistrate honoraire Présidente du tribunal pour enfants à Marseille de 2000 à 2010 ORDCS Maison Méditerranéenne des Sciences de l'homme 5 rue Château de l'horloge 13094 Aix-en-Provence cedex 2 04 42 52 49 40 ordcs@mmsh.univ-aix.fr Directeur de la publication Laurent MUCCHIELLI

2 de toutes sortes : politiques, media, lobbies, groupes de pression, etc. Dans un sondage IFOP sur la justice publié en 2008, seulement 49 % des français estimaient que les magistrats étaient indépendants du pouvoir politique. Il est vrai que le contexte politique fin des années 2000 a fortement participé à l affaiblissement de l autorité judiciaire sur le plan législatif (adoption de plus de 30 lois sécuritaires et répressives entre 2002 et 2012 dont plusieurs ont consisté à limiter le pouvoir du juge, son pouvoir d individualiser les peines par exemple (loi sur les peines-plancher du 10 aout 2007) et sur le plan de l opinion publique : atteintes répétées à l indépendance de la justice (nomination de procureurs contre l avis du CSM, instructions individuelles données aux procureurs par le Ministre de la Justice dans des dossiers individuels, mutation de magistrats ayant déplu au pouvoir, etc.) et attaques incessantes contre les magistrats ayant vocation à ternir l image des juges dans l opinion publique (notamment les juges des enfants et les juges d application des peines traités de «laxistes» envers les délinquants, juges d instruction traînés dans la boue, Président de la République traitant les magistrats de petits pois ). Certes le traitement de l affaire d Outreau n a pas été exemplaire mais cette affaire a servi de prétexte à une entreprise de démolition de la magistrature dans son ensemble et du juge d instruction en particulier dont la suppression a été alors envisagée. Pourtant la Commission parlementaire d Outreau a fait pendant plusieurs semaines un travail considérable avec l aide de nombreux magistrats pour analyser les dysfonctionnements de la justice et proposer des procédures destinées à mieux garantir les citoyens contre l arbitraire. Malheureusement ce travail a été littéralement mis de côté 1) La justice française est-elle indépendante? Il faut savoir qu il existe une très forte emprise du pouvoir sur la carrière des magistrats. Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui existe sous des formes diverses dans tous les pays d Europe doit contrôler l indépendance de la justice par rapport à l exécutif. En France, il est composé de magistrats élus par leurs pairs et de personnalités désignées par diverses institutions. Par rapport à la notion d indépendance, il faut distinguer : - les magistrats du siège (les juges, soit 75 % de la magistrature), nommés par le CSM (pour les plus hauts postes) ou sur avis conforme du CSM (pour les juges et VP). Ils ont un statut d inamovibilité, ce qui leur confère une certaine indépendance vis à vis du pouvoir de nomination (surtout s ils renoncent à «faire carrière» ). - les magistrats du parquet (les procureurs, PG, substituts, soit 25 %). Les procureurs sont nommés directement par le Ministre de la Justice après simple avis du CSM. Ils ont un rôle important en matière pénale car ils exercent l action publique : ils décident ou pas d engager des poursuites qui vont alimenter les tribunaux et ont le pouvoir de classer sans suite une affaire. Ce sont des magistrats hiérarchisés qui doivent appliquer non seulement la loi mais les circulaires et les instructions du Ministre de la Justice (depuis une loi toute récente du 25 juillet 2013 le ministre

3 ne peut plus donner des instructions individuelles dans les dossiers). Ils peuvent être mutés à tout moment dans l intérêt du service. Dans les affaires dites «sensibles», le procureur peut faire obstruction à l instruction d une affaire en classant l affaire sans suite ou en ne saisissant pas un juge d instruction (démarrage de l affaire Bettencourt en 2010 par le PR de Nanterre qui avait été nommé par le Garde des Sceaux malgré avis contraire du CSM). Le parquet reçoit 5 millions de procèsverbaux de police et de gendarmerie, mais après le tri des affaires non élucidées (57%) ou classées sans suite (10 %), il reste 1,4 millions d affaires traitées ainsi (statistiques de la justice 2012) : - 81,6 % poursuivies devant les tribunaux correctionnels - 8,1 % devant les juges des enfants - 7,5 % devant les tribunaux de police - 2,8 % devant les juges d instruction Les juges d instruction n interviennent donc que dans un nombre très limité d affaires : crimes (0,4 % des 900 000 infractions poursuivies chaque année) ou affaires les plus complexes (stupéfiants, affaires financières, économiques, environnementales, affaires de terrorisme). C est pourquoi ils sont sur la sellette! Rappelons-nous le premier juge d instruction qui en 1975, dans le Nord, a placé en détention provisoire un patron d entreprise pour homicide volontaire (il avait violé les règles de sécurité entrainant la mort d un ouvrier) : cela avait provoqué un véritable cataclysme dans le monde judiciaire (la Chambre d accusation de la Cour d appel de Douai s était réunie un dimanche matin pour infirmer la décision!). On les appelait «les juges rouges» De nos jours, les JI instruisent sur toutes sortes d affaires sensibles politico-financières dans une relative indépendance. Les décisions de relaxe prononcées prouvent-elles qu ils vont trop loin? Je ne le crois pas. Le JI, au terme de longues investigations (car ce sont des affaires très complexes) renvoie l affaire, sous le contrôle d une chambre collégiale de l instruction, et en accord avec le parquet dans l immense majorité des cas, s il estime qu il existe des charges suffisantes pour faire comparaitre les prévenus à une audience publique où le débat contradictoire pourra avoir lieu puisque victimes, témoins et prévenus pourront s exprimer. C est la force d une justice démocratique de permettre ce débat judiciaire qui aboutit parfois à une relaxe. Les magistrats du tribunal peuvent découvrir à l audience de nouveaux éléments révélés par les débats et ils ont la distance nécessaire pour juger l affaire avec un regard neuf. Le fait qu il y ait des relaxes est le signe d un fonctionnement sain de la justice. Ce qui est plus rare c est que le parquet chargé de l accusation requière une relaxe ou s oppose au renvoi devant le tribunal (aff. ZIED et BOU- NA, aff. DSK), d autant que les parties civiles n ont pas le droit de faire appel d une relaxe. Le taux de relaxes est assez faible : 9% en matière correctionnelle, 5% devant les Cours d Assises. Par contre le taux de relaxe des personnes morales (28%) est très supérieur car ce sont des affaires complexes dans lesquelles la défense (généralement très bien payée) est très efficace : des instructions très longues émaillées d incidents procéduraux. «Selon que vous serez puissants ou misérables»

4 2) Une justice égalitaire? Quel type de délinquance est condamné actuellement en France? Laurent Mucchielli (Sociologie de la délinquance, Armand Colin, 2014) donne ces chiffres récents : 1 : la délinquance routière : 36% des infractions (en hausse) 2 : les atteintes aux biens : 20% (en baisse) 3 : les atteintes aux personnes : 15% 4 : les infractions aux stupéfiants : 14% En revanche les infractions économiques et financières sont parmi les moins condamnées : - infractions à la législation sur la concurrence et les prix ou le droit des sociétés : 0,3% - fraude fiscale : 0,2 % - corruption de fonctionnaires : 0,04 % Il faut dire que l état de notre législation n incite pas aux poursuites pour ces délits : ex en matière de fraude fiscale aucune poursuite ne peut être engagée par le procureur sans l accord du ministre des finances («le verrou de Bercy»). Le précédent Président de la République avait pour projet de purement et simplement «dépénaliser le droit des affaires» Les pôles financiers de l instruction ont été totalement dévitalisés. Mais la justice est-elle aussi conciliante pour tous les justiciables? Y a-t-il égalité devant la loi? On constate dans les prisons françaises une surreprésentation des catégories sociales les plus démunies, prisons qui, soit dit au passage, demeurent surpeuplées (78 708 sous écrou dont 66 697 détenus). Ces personnes précaires sont en effet beaucoup plus exposées aux mécanismes procéduraux d incarcération depuis leur interpellation jusqu à leur jugement, qui le plus souvent est prononcé par le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate. Je viens de participer à une recherche initiée par la Ligue des Droits de l Homme de Marseille et l Observatoire Régional de la Délinquance et des Contextes Sociaux (ORDCS) de l Université d Aix-Marseille pour observer et évaluer les audiences de comparution immédiate à Marseille, comme cela a déjà été fait à Toulouse, Lyon, Montpellier et plus récemment Nice, à partir d un échantillon de 500 affaires jugées, soit 5 mois d observation. Qu est-ce que la comparution immédiate? A l origine (loi du 20 mai 1863) c est une procédure de flagrant délit pour juger rapidement les infractions pénales ne nécessitant pas de plus amples informations que celles recueillies par les services de police lors de l enquête initiale et pour détenir le prévenu jusqu à l audience dans un délai très rapproché (24 h). Elle a progressivement été étendue à toutes les affaires en état d être jugées pour les peines encourues comprises entre 2 et 5 ans (1986), puis actuellement pour des peines encourues de 6 mois à 20 ans (en récidive légale). C est ainsi qu à une même audience j ai assisté à une condamnation à 7 ans pour agression sexuelle sur son petit-fils d un grand-père (déjà condamné à 10 ans pour viols par une Cour d Assises), à une condamnation à une peine avec sursis pour une conduite en état alcoolique, à des condamnations à 3 ans et 4 ans fermes pour ILS et à une condamnation à une amende pour un vol de lunettes dans un magasin.

5 C est une procédure d urgence : la personne interpelée doit comparaitre devant le TC dans les 3 jours maximum suivant sa garde à vue et peut être «retenue sous escorte» pendant ce délai. C est une procédure expéditive : le temps consacré à chaque affaire est très court (en moyenne 25 mn pour l interrogatoire du prévenu, l audition des victimes et des témoins, le réquisitoire du Procureur, les plaidoiries des parties civiles et des prévenus). C est une procédure répressive : le prévenu étant jugé quelques heures après les faits, comparaissant détenu (ou retenu), ne sachant pas s exprimer, défendu par un avocat la plupart du temps commis d office, qui n a pas eu un temps suffisant pour lire le dossier et pour s entretenir avec son client et la famille de celui-ci, les peines prononcées sont presque exclusivement des peines d emprisonnement, le plus souvent ferme en tout ou en partie et assorties d un mandat de dépôt à l audience, (ce qui ne permet pas un aménagement de la peine comme pour les personnes condamnées libres à des peines allant jusqu à 2 ans de prison). Or qui sont les personnes poursuivies et condamnées selon cette procédure? La dernière enquête faite par l ORDCS (voir l article de Laurent Mucchielli et Émilie Raquet) auprès du TGI de Nice en 2013 montre que ce sont des hommes jeunes (70 % ont entre 18 et 34 ans), qui n ont pas d enfants (56 %), majoritairement peu insérés (seuls 30 % ont un logement en propre, 10 % sont SDF et la moitié n a pas d emploi). «En d autres termes, dans une proportion de 80 à 90 %, ce sont des personnes situées au plus bas de l échelle sociale». 80 % reconnaissent les faits totalement ou partiellement. 95 % au tribunal de Nice ont été condamnées à une peine déprisons ferme ou avec sursis, et parmi eux : 80 % à une peine d emprisonnement ferme partielle ou totale. Et il n y a eu que 11 cas de relaxe (sur environ 500 affaires). 60 % ont eu des peines comprises entre 3 mois et 1 an : soit des courtes peines de prison. Un mandat de dépôt a été prononcé à l audience dans 66 % des cas. A Marseille, 19,3 % des affaires jugées devant le tribunal sont jugées suivant cette procédure. Et pendant ce temps-là, d autres délinquants bénéficient de rappel à la loi (une des nombreuses alternatives aux poursuites que peut décider le procureur), de composition pénale ou de procédure de reconnaissance de culpabilité (où le prévenu discute avec le procureur du quantum de sa peine), ou dans le pire des cas d un procès correctionnel 3 ou 4 ans après les faits où le prévenu comparait libre entouré de ses avocats qui invoquent tout un arsenal juridique de nullités et prescription des faits. «En entrant dans la magistrature vous êtes devenus des fonctionnaires d un rang modeste. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de «3 pouvoir», de «peuple français», de «gardiens des libertés publiques» etc. On vous a doté d un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison. On ne vous le donne que parce qu il est généralement inoffensif. Quand vous infligerez 5 ans de prison au voleur de bicyclette vous ne dérangerez personne. Evitez d abuser de ce pouvoir?» (Oswald Baudot, Harangue à des magistrats qui débutent, 1974) Christine Bartolomei