LA NEUROPLASTICITE. G. GANDOLFO Laboratoire de neurobiologie et psychotraumatologie Université de Nice-Sophia Antipolis



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Transcription:

1 LA NEUROPLASTICITE G. GANDOLFO Laboratoire de neurobiologie et psychotraumatologie Université de Nice-Sophia Antipolis Introduction Obsolescence de la controverse inné-acquis La plasticité développementale Notion de période critique : le chant des oiseaux Influence du milieu extérieur : le développement du cortex visuel Influence du milieu intérieur : la différenciation sexuelle chez le fœtus de mammifère La plasticité comportementale adulte (ou postdéveloppementale) La vicariance La suppléance L adaptation motrice chez le spationaute en apesanteur La malléabilité des perceptions affectives La plasticité corticale La neurogenèse secondaire Les cartes corticales sensorielles et motrices La plasticité synaptique Notion d assemblée cellulaire et de force (ou efficacité) synaptique L apprentissage par stabilisation sélective des synapses en voie de développement Plasticité à court et à long terme Notion de métaplasticité La plasticité réparatrice La capacité d autoréparation du système nerveux : La régénération dans le système nerveux périphérique La régénération centrale : bourgeonnement, hypersensibilité de dénervation, synapses silencieuses La médecine régénérative : thérapies cellulaires, rééducation ciblée, stimulation intracérébrale Conclusion Les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur la neuroplasticité Pour en savoir plus : Gandolfo, G. et Grammont, F. Les divers aspects de la neuroplasticité. Biologie-Géologie, 2 : 291-312, 2005. Gandolfo, G. et Miquel, P.A. La mémoire : une approche interdisciplinaire. Biologie- Géologie, 2 : 97-130, 2008.

2 Obsolescence de la controverse inné-acquis Longtemps on a pensé que le SN était intangible, immuable : dès sa constitution, le cerveau était une structure organique fixée une fois pour toutes et commençait à mourir dès l adolescence. Autrement dit, l aspect inné était prépondérant. Les progrès techniques réalisés en génétique ont permis de décrypter à tour de bras surtout à partir des années 2000 les génomes de nombreux êtres vivants. On s est rendu compte qu il n y avait pas de grosses variations entre Caenorhabditis elegans, un vers nématode, et le chimpanzé : de 20 à 35 000 gènes. Puis ce fut le tour du génome humain en 2009 : une petite trentaine de milliers de gènes seulement, un chiffre revu récemment à la baisse d ailleurs (22 à 25 000 selon les études), bref, comme la plupart des animaux. Il est loin le temps où l on s était crédité d au moins 100 000 gènes avant toute technique de décryptage! Pire si l on considère certains végétaux : la tomate a aussi 35 000 gènes et le maïs en possède 54 600 soit plus du double que l Homme! En dépit de la blessure infligée à notre orgueil anthropocentriste, il a fallu convenir que ce nombre de gènes est largement insuffisant pour expliquer l immense variété des caractères humains, de nos conduites comportementales, de nos façons de faire, d agir, de savoir, car il y a autant de personnalités que de personnes vivant et ayant vécu sur Terre. Impossible donc d expliquer avec ce nombre de gènes le fonctionnement du cerveau et du SN, un système aussi dynamique, aussi redondant, qui est capable de s adapter aux innombrables variations des milieux (extérieur et intérieur) et d être en fin de compte modulé par la propre activité qu il génère. Qu est-ce qui fait alors la différence? Alors que le nématode C. elegans possède 302 neurones et la mouche du vinaigre 200 000, on admet aujourd hui que le cerveau humain est constitué d environ 100 milliards de neurones, chacun étant capable d établir en moyenne un millier de connexions synaptiques avec les autres (réseaux), ce qui représente quelques cent mille milliards de synapses! De quoi expliquer les très nombreuses aptitudes du cerveau et surtout son extraordinaire faculté d adaptation, qu on appelle la plasticité. C est donc bien les incessantes réorganisations de ces réseaux de neurones, et non pas le nombre de gènes, qui sont à l origine de l extrême variabilité des capacités humaines. Ex : qu est-ce qui fait qu un pianiste est moyen, bon ou virtuose : ce ne sont pas ses gènes, mais le fonctionnement plus ou moins coordonné de ses réseaux de neurones. Certes, l influence des gènes demeure : ils donnent un cadre dans la constitution du SN mais aussi dans le changement de la connectivité neuronale, autrement dit ils rendent possibles les modifications de certains comportements. Comme le prouvent les animaux ayant

3 subi des mutations génétiques expérimentales : souris avec des troubles de la locomotion, de la capacité d apprentissage, de la prise alimentaire ou hydrique (modèles animaux). Mais si les gènes donnent un cadre à la construction et au fonctionnement du cerveau, les réseaux de neurones aussi, qui sont constamment modifiés par les facteurs environnementaux liés à l expérience du sujet (apprentissage). Quel est alors leurs poids respectif, entre déterminisme génétique et liberté personnelle? Notre sentiment de liberté dans nos prises de décisions morales (libre-arbitre) est-il réel ou illusoire? D autant qu on vit en société. Certes, certaines sociétés (insectes sociaux) sont organisées de façon entièrement génétique avec une seule reine (et pas 2!), des ouvrières, des soldats, chacun ayant une tâche bien précise. Mais si, par ex, les butineuses chez les abeilles sont décimées, le programme génétique fera alors en sorte que des ouvrières vont donner des butineuses. Au cours de l évolution des espèces, les gènes vont perdre progressivement le contrôle final des comportements. Ex : chez la mouche du vinaigre, le programme génétique contrôle encore entièrement le comportement sexuel. Mâles et femelles sont normalement hétérosexuels à 100% et le mâle suit un protocole de séduction rigide : faire de la musique avec ses ailes, toucher les pattes de la femelle qui a émis une phéromone Si, par manipulation génétique, on empêche la femelle de produire les phéromones, le mâle va alors courtiser d autres mâles! Mâle et femelle ont un gène commun «responsable» de ce comportement mais qui est «travaillé» (épissé) de façon différente selon le sexe : si on transfère ce gène d un mâle chez une femelle, celle-ci va courtiser d autres femelles, comme l aurait fait le mâle. A ne pas extrapoler à l Homme! Notre constitution génétique est faite pour qu on soit libre : si les réseaux de neurones se construisent bien à partir du programme génétique («circuiterie» neuronale), les détails de la construction dépendent de l environnement. Ex. du morceau de musique : il y a la partition d origine écrite par le compositeur et les variations jouées par le pianiste qui vont changer la mélodie, chaque pianiste apportant sa «touche» personnelle. Ce qui change, c est la force (efficacité) des connexions synaptiques : la plasticité tend à nous rendre tous différents, même des jumeaux avec certains caractères communs mais qui ont des personnalités différentes, une différence encore plus marquée s ils ont été élevés dans des milieux différents (adoption séparée après l orphelinat). Les réseaux de neurones et les connexions synaptiques qui composent le SN sont ainsi constamment modifiés par l apprentissage, même chez l adulte. Ces modifications peuvent même être transmises de génération en génération en dehors de la voie des gènes : on parle d épigenèse et de

4 mémétique. L épigenèse (ou épigénétique) est l ensemble des facteurs environnementaux (nutritionnels, sensoriels, l expérience sociale) et intrinsèques (interactions entre les cellules, sécrétions de substances chimiques : neuromédiateurs, hormones ) qui sont à la base surtout de la plasticité développementale. La mémétique est l étude de la transmission dans le temps et l espace des activités culturelles au sein des communautés humaines : le «même» est un terme forgé par Richard Dawkins (Le gène égoïste, 1976) et désigne un réplicateur indépendant de l ADN et permettant de transmettre, en dehors donc de la voie génétique, une unité d information culturelle (idée, mode de pensée, savoir-faire, technique, habitudes, traditions, us et coutumes ) qui se copie d un cerveau vers un autre selon des processus évolutionnistes ; ce sont surtout des apprentissages par imitation dans lesquels interviennent les neurones miroirs. On est ainsi arrivé à ce paradoxe : les progrès dans les techniques génétiques, dont le décryptage génomique, a mis un terme à l idéologie du «tout génétique» qui réduisait tout comportement, toute pathologie à l expression d un ou plusieurs gènes. La neuroplasticité souligne donc le caractère obsolète du débat séculaire entre l inné et l acquis. Charles Darwin fut le premier à le remarquer quand il dit que la sélection naturelle ne peut se faire sans des variations spontanées de l instinct : il définit l adaptation comme un dispositif permettant à la fois de saisir les occasions génétiques et de diriger le hasard vers des voies compatibles avec la vie dans un milieu donné. L empreinte perceptive, popularisée par Konrad Lorenz, entérine cette obsolescence : la possibilité d empreinte à la naissance qui se traduit par un attachement profond et durable est innée car toutes les espèces évoluées (certains poissons, les oiseaux et les mammifères la possèdent), mais l attachement est une acquisition dans la mesure où Lorenz s est substitué à la mère naturelle des oisons. François Jacob (Le jeu des possibles) fera, lui, de l adaptation le résultat d un dialogue permanent entre les gènes et le milieu environnant, entre les facteurs biologiques et culturels. La plasticité du SN s organise ainsi à plusieurs niveaux : au cours du développement de l individu lors des premiers âges de la vie, mais aussi chez l adulte. Elle concerne, de la manière la plus visible, les comportements et leur malléabilité, mais également le niveau structural du cerveau, notamment le cortex cérébral, siège des fonctions cognitives, qui a l aptitude à se modifier en fonction des diverses expériences vécues, et enfin le niveau cellulaire et synaptique. D où le plan (doc.1) : plasticité développementale (avec la notion de période critique) ; plasticité comportementale chez l adulte ; plasticité corticale ; plasticité synaptique ; enfin, l aspect clinique avec la plasticité réparatrice, c est-à-dire la capacité d autoréparation du SN après lésions et les pistes thérapeutiques qu elle promet dans la médecine régénérative.

5 La plasticité développementale 1/ Notion de période critique (ou sensible) au cours de l ontogenèse (doc.2) Cas du chant des oiseaux dans diverses situations expérimentales montrant, selon les espèces, des différences de plasticité de la structure cérébrale du chant. 2/ Influence du milieu extérieur : le développement du cortex visuel (doc.3 et 4) Doc.3 : les expériences de Riesen chez le chaton reprises par Hubel et Wiesel (Prix Nobel) montrent qu une fonction donnée peut être abolie sans retour possible si elle n est jamais exercée durant la période critique : si on suture la paupière d un œil (privation monoculaire) avant l âge de 2,5 mois après la naissance, le nombre de neurones dans le cortex visuel primaire est drastiquement réduit et l animal, devenu adulte et auquel on enlève la suture, se comporte comme un animal borgne (il perd sa vision stéréoscopique). Ce n est plus le cas si la suture palpébrale est effectuée plus tard, même si le nombre de neurones reste globalement diminué par rapport au témoin. Doc.4 : même expérience faite sur le singe et montrant au moyen d un traceur radioactif l altération de la mise en place des colonnes de dominance oculaire qui donnent son aspect (et son nom) strié au cortex visuel. 3/ Influence du milieu intérieur : la différenciation sexuelle chez le fœtus de mammifère ; La période critique est, ici, intra-utérine. La différenciation sexuelle se fait en fonction de la présence ou non de testostérone, l hormone sexuelle mâle, le cerveau du fœtus prenant alors les caractères sexuels correspondants. Tout se joue sur l hypothalamus, une structure cérébrale responsable des variations mensuelles de la sécrétion des hormones sexuelles. Si un événement extérieur modifie l ambiance hormonale lors de la période critique fœtale, on peut modifier définitivement les caractères sexuels ultérieurs et provoquer certaines déviations. Une étude sociologique a ainsi montré en Allemagne un fort accroissement du taux d homosexualité masculine chez les garçons nés vers la fin de la Seconde Guerre mondiale : le stress maternel des femmes enceintes, en libérant massivement de l ocytocine, a neutralisé les effets de la testostérone. En conclusion, l environnement joue un rôle indispensable dans l établissement d une aptitude, mais si les stimulus adéquats ne surviennent pas au cours d une période critique (de

6 durée variable selon les espèces et les aptitudes), l aptitude en question ne se développe pas. C est le cas des enfants dits sauvages ou enfants-loups (qui ont inspiré un film à François Truffaut) : un enfant abandonné à la naissance, livré à lui-même, non exposé à certains stimulus (par exemple ceux du langage) aura, une fois la période critique dépassée, les pires difficultés à apprendre à marcher, à parler, et une incapacité définitive à tout comportement social. La plasticité comportementale adulte ou post-développementale 1/ La vicariance Dans les années 1970, on a nommé vicariance la possibilité de récupération d une fonction abolie chez l adulte par une autre structure cérébrale que celle d origine. Ex : chez le singe, une ablation bilatérale et simultanée des deux hippocampes (structures cérébrales impliquées dans la mémoire spatiale) empêche ce dernier de localiser des objets (une banane sous une table). Par contre, cette faculté est conservée si on diffère les deux ablations (hippocampe droit et gauche) de quinze jours. On a interprété ces résultats comme si une autre structure cérébrale différente de l hippocampe ipsilatéral avait «récupéré» la fonction de ce dernier au cas où l hippocampe controlatéral serait à son tour endommagé (une sorte de «principe de précaution»), mais sans savoir au juste comment. 2/ La suppléance Malgré l asymétrie fonctionnelle des deux hémisphères cérébraux, il est possible que l un des hémisphères «supplée» l autre en cas de défaillance. Cette suppléance est d autant plus nette qu elle survient plus tôt lors de l ontogenèse. Ex : un adulte ayant subi un «cerveau dédoublé», auquel a été sectionné le corps calleux (callosotomie), principal faisceau de fibres interhémisphériques, est ainsi incapable de nommer un objet présenté dans l hémichamp visuel gauche ou palpé par la main gauche les yeux fermés, de se conformer à des consignes verbales devant être exécutées avec la main gauche. Car toutes ces activités concernent l hémisphère droit qui n est plus relié au gauche (celui du langage) par le corps calleux. En revanche, un enfant né sans ces fibres de liaison entre les deux hémisphères (agénésie congénitale du corps calleux) ne présente aucun syndrome de déconnexion calleuse : il y a donc eu une réorganisation cérébrale précoce qui a fait en sorte que l hémisphère droit, pourtant normalement non-verbal, soit en mesure d effectuer à lui seul des tâches nécessitant habituellement une collaboration interhémisphérique.

7 On peut à un chat «cerveau dédoublé» expérimental faire apprendre deux tâches opposées en masquant alternativement un œil puis l autre, ce qui est évidemment impossible chez un chat ayant conservé son corps calleux. Cela démontre que chez l animal intact, il y a normalement duplication des engrammes mnésiques dans chaque hémisphère cérébral, l un suppléant donc l autre en cas de déficience. Chez l Homme aussi, mais cela est «masqué» par la spécialisation fonctionnelle des hémisphères cérébraux due à l émergence du langage articulé qui est surtout traité par le gauche. D aucuns ont alors suggéré que les capacités du cerveau humain ne sont pas exploitées à plein et qu on stockerait beaucoup plus d informations si on faisait travailler indépendamment les deux hémisphères cérébraux! 3/ L adaptation motrice chez le spationaute en apesanteur L adaptation motrice consiste en la modification du répertoire mémorisé de nos comportements moteurs et se traduit par une réorganisation complète des circuits corticaux moteurs en cas de séjour prolongé en apesanteur ou en microgravité (vol Neurolab en 1998). Sur terre, la force de gravité sert de référence pour tout mouvement du corps : le cerveau reçoit des informations vestibulaires, visuelles et proprioceptives à partir desquelles il planifie et exécute les gestes. Dans l espace, il n y a plus d informations vestibulaires en raison de l apesanteur et celles provenant des articulations et des muscles (proprioception) sont perturbées, le poids des membres ayant disparu. Il ne reste donc plus que la vision pour déterminer le «haut» et le «bas». Pourtant, en quelques heures seulement, l astronaute s accoutume à l apesanteur, se déplace sans difficulté, présente de nouveaux gestes quotidiens plus mesurés, mieux coordonnés à la vie dans la station spatiale. Bien sûr, il a dû s entraîner au préalable : au cours d essais dans une «centrifugeuse», le sujet a une sensation de rotation qui disparaît quand la vitesse angulaire devient constante (accélération nulle) ; sur terre, le sujet a alors l impression d être incliné ; dans la navette spatiale, il a la sensation d être couché sur le côté (inclinaison à 90 ). Pour le cerveau, la force centrifuge a été considérée comme une gravité virtuelle et il l a prise comme verticale. La période initiale d adaptation fonctionnelle a ainsi consisté en la recherche par le cerveau d une nouvelle référence en l absence de gravité, car il a besoin d une grandeur pertinente qu il extrait du monde physique pour simplifier le traitement neural des informations sensorielles et guider les mouvements. Le retour sur terre après un séjour durable dans la navette spatiale nécessitera un nouvel apprentissage moteur, beaucoup plus rapide néanmoins que celui dans l espace, qui sollicitera une fois de plus une adaptation cérébrale.

8 4/ La malléabilité des perceptions affectives Toute perception sensorielle par le cerveau revêt deux aspects : cognitif et émotionnel. La composante cognitive, qui aboutit à la connaissance générale du monde, est à la base du processus de mémorisation, dépend de l activation de réseaux nerveux de perception situés essentiellement dans le cortex cérébral, la composante émotionnelle (toute expérience vécue se faisant dans un contexte affectif ou émotionnel) dépendant de l activité du système limbique du cerveau. Les perceptions affectives (peur, plaisir, douleur, appétence ) sont dites primaires quand elles sont importantes par nature (autrement dit innées) et secondaires quand elles peuvent être conditionnées par l expérience. Ces dernières sont ainsi facilement modifiables. Un stimulus engendrant la peur peut ainsi devenir appétitif sans que la contrepartie cognitive ne soit changée pour autant : ex. l attrait éprouvé par certains spectateurs pour les films d épouvante dont le rôle originel est de faire peur (on éprouve alors du plaisir à avoir peur). Même chose pour la douleur : c est le sadomasochisme. Un apprentissage réalisé sous une importante charge affective peut modifier des perceptions affectives primaires en jouant directement sur le centre cérébral affectif ou indirectement par le biais des réseaux de neurones de la cognition : c est ainsi qu on change ses préférences alimentaires ou addictives. Le contact avec d autres savoirs, avec de nouvelles idées, peut même modifier notre personnalité, nos buts dans la vie, la façon de voir et de comprendre les choses : ex. la capture de John Walker, un jeune américain qui avait rejoint les talibans pour combattre à leur côté en Afghanistan, a soulevé un émoi considérable aux Etats-Unis devant l incompréhension suscitée par un tel choix après l attentat de 2001 contre les Tours Jumelles de New York. On joue ici sur la plasticité des sentiments sociaux (ou conscience sociale) : ce sont des perceptions affectives de très haute catégorie (compassion, empathie, jugement social, sentiment de conformité sociale, plaisir à aider son prochain, remord à ne pas l avoir fait) et qui, elles, dépendent des zones les plus intégratives du cortex cérébral, qu on peut appeler le cerveau culturel, car forgées surtout par l éducation, la loi, les traditions, les religions. La plasticité corticale 1/ La neurogenèse secondaire Le SN se développe selon une succession d événements codifiée et des règles spatiotemporelles strictes car innées de constitution du cerveau : c est un mécanisme a priori prédéterminé. La formation et le développement des cellules nerveuses se fait lors des étapes

9 précoces de l embryogenèse (induction, prolifération et migration) : c est la neurogenèse primaire. Et longtemps on a cru que le cerveau adulte était stable et que plus une cellule est différenciée et spécialisée (c est le cas du neurone), moins elle est susceptible de se multiplier : en clair, on nait avec notre quota de neurones et tant pis si on les perd progressivement au cours de la vie! Ce fut le credo persistant des biologistes jusqu à ce que des chercheurs démontrent l existence d une neurogenèse secondaire, c est-à-dire chez l adulte : en 1984, c est une repousse de neurones chez des canaris apprenant un nouveau chant à chaque printemps ; en 1985, cette repousse est confirmée chez le pinson et elle est sous dépendance hormonale. Puis on trouve des néoneurones chez le grillon dans les corps pédonculés responsables de la stridulation ; et dans le tectum des poissons ; puis dans l hippocampe et le bulbe olfactif des mammifères Une étude de 1998 estime ainsi à 80 000 le nombre de nouveaux neurones produits chaque jour dans le bulbe olfactif de l Homme adulte : cette structure deviendra un réservoir de cellules souches neuronales (voir thérapies cellulaires plus loin). 2/ Les cartes corticales sensorielles et motrices Le cerveau construit des représentations topographiques du corps physique sous forme de cartes sensorielles ou motrices, en surface du cortex cérébral ou dans des structures plus profondes. Ces cartes ont l allure d une caricature du corps car les parties les plus impliquées soit dans une perception sensorielle soit dans l exécution de tâches motrices sont en quelque sorte «hypertrophiées». Le Doc.5 montre ainsi la carte somatosensorielle (ou somesthésique) du cortex cérébral chez un rat (prépondérance du museau et des vibrisses), un raton-laveur (des pattes antérieures) et d un singe atèle (de la queue). Chez l Homme (doc. 6), cette caricature, appelée homonculus (moteur ici), montre l importance de représentation surtout des muscles de la face, de la main et de la langue, car l Homme est un être qui communique par la mimique, le geste et la parole. La plasticité corticale peut être illustrée par la malléabilité de ces cartes. Chez l animal, c est par des microélectrodes qu on a montré en 1984 que la représentation de la main sur le cortex somesthésique d un singe hibou a été modifiée quelques mois après l ablation chirurgicale de l un des doigts : les neurones de la zone corticale du doigt amputé se mirent alors à répondre à la stimulation des doigts adjacents restés intacts. Chez l Homme, on utilise les techniques d imagerie cérébrale. L IRMf, créée en 1977, permet de suivre la répartition et l utilisation d une substance radioactive injectée dans l organisme, donc d étudier son fonctionnement. C est une variante de la RMN (résonance magnétique

10 nucléaire) mise au point en 1945 et basée sur le principe que le noyau (d où nucléaire) de certains atomes, l hydrogène principalement utilisé, possède des propriétés magnétiques (d où magnétique) qui lui font absorber sélectivement (d où résonance) l énergie délivrée par une onde électromagnétique semblable à celle d une onde radio (radiofréquence). En 1993, un patient atteint de syndactylie congénitale (il avait les doigts du majeur à l auriculaire soudés entre eux de naissance) présente à l IRMf un chevauchement des aires somesthésiques correspondant aux doigts soudés (doc. 7) : six jours après l intervention chirurgicale permettant la séparation de l auriculaire, l aire corticale de ce dernier se différencie de celles des deux autres doigts encore soudés. En 2003, on a pu ainsi mettre en relation le développement de la matière grise des aires corticales concernées par l exécution d un morceau de musique (aires auditives, visuospatiales et de commande motrice) chez des musiciens professionnels, des amateurs et des non-initiés en fonction de leur niveau respectif de compétence musicale et de l intensité de leur pratique instrumentale : ex., chez les violonistes et les violoncellistes, la représentation sensorimotrice sur l hémisphère droit des deux derniers doigts de la main gauche (dont l habileté est nécessaire à la pratique des instruments à cordes) est nettement plus développée que celle des autres doigts. En 2003 encore, cette possibilité de plasticité a été utilisée dans une expérience de substitution sensorielle à but thérapeutique : un patient aveugle muni de lunettes avec caméra intégrée qui transmet les images à un dispositif placé sur la peau du ventre et formé de dizaines de petites pointes émoussées appuyant plus ou moins sur la peau en fonction des modifications des images, ce patient donc a pu se déplacer dans des environnements complexes (le métro!) et reconnaître des objets et des visages : l IRMf a montré un accroissement d activité dans les aires occipitales visuelles alors que le patient est aveugle et que son cerveau ne reçoit que des informations tactiles. Il y a donc eu substitution de la modalité visuelle défaillante par la modalité tactile. En 2006, le Pr Dubernard a pratiqué la première greffe du visage chez une femme mutilée par son chien : huit mois après, l IRMf a montré que son cerveau avait «accepté» ce nouveau visage par intégration corticale améliorant la mastication, la phonation et l expression faciale (mimique).

11 La plasticité synaptique C est surtout l approche cellulaire et moléculaire de l apprentissage et de la mémoire qui a le plus contribué à la connaissance de la plasticité synaptique : les mécanismes étant très complexes (les documents aussi!), on se contentera de quelques notions relativement simples. 1/ Notion d assemblée cellulaire et de force (ou efficacité) synaptique Les neurones s organisent en réseaux complexes qui s entremêlent donnant des possibilités de circuits nerveux variées. Une assemblée cellulaire ne désigne pas un ensemble anatomique figé de neurones, mais une entité fonctionnelle de cellules activées simultanément et transitoirement interagissant entre elles à un moment donné et peut être constituée par des centaines et des milliers de neurones. Ces associations temporaires très rapides se reproduisant avec la répétition des stimulations vont conférer au système une extraordinaire dynamique sous-tendant sa capacité de changement incessant et donc son adaptabilité aux variations des milieux externe et interne : c est la définition même de la plasticité synaptique. Le principe théorique de ces modifications est simple en soi : la connexion d un neurone A vers un neurone B augmente d intensité (on parle de force ou d efficacité) si leur activité est synchronisée (c est-à-dire s ils déchargent simultanément ou en succession très rapide). Dans le cas contraire, cette force décroît. Le doc. 8 illustre ce principe dans l hippocampe, une structure cérébrale impliquée dans la mémoire spatiale (Fig. A) : les cellules principales peuvent être excitées par trois voies afférentes possibles, chacune se connectant sur un même neurone de manière spécifique. Si l une des voies est fortement stimulée en même temps qu une deuxième voie l est faiblement, la connexion synaptique de cette dernière sera alors renforcée «par association d activité» (Fig. B). La spécificité et l associativité sont donc les deux caractéristiques fonctionnelles des assemblées cellulaires rendant plus efficaces les connexions synaptiques entre les neurones qui les constituent. 2/ L apprentissage par stabilisation sélective des synapses en voie de développement La possibilité d apprendre est liée à l introduction d un certain degré de variabilité dans l organisation synaptique des assemblées cellulaires due à la capacité des neurones à établir un grand nombre de connexions transitoires et à choisir progressivement celles qui resteront et celles qui seront éliminées. C est l utilisation fonctionnelle d un circuit donné en fonction des expériences vécues qui déterminera ce choix, en stabilisant les connexions où l influx nerveux circule le plus souvent et en supprimant les autres où il ne circule

12 pratiquement jamais. Autrement dit, au cours de l ontogenèse, il y a initialement une surabondance de synapses mais qui nuit à l efficacité du système et les synapses «inutiles» devront être alors éliminées. On a ainsi montré que la densité de synapses dans le cerveau est maximale chez l enfant de 5 ans, mais qu elle est réduite de moitié chez l adulte ; elle reste à un niveau à peu près constant chez le trisomique et l autiste, ce qui signale leur déficience intellectuelle ; par contre, cet élagage synaptique est plus précoce et plus marqué chez le surdoué au fort quotient intellectuel. On arrive donc à ce paradoxe : l acte d apprendre se traduit par une restriction des possibilités offertes par le programme génétique et, avec l âge, si on affermit nos capacités apprises dès notre plus jeune âge, en revanche on aura de plus en plus de mal à acquérir de toutes nouvelles aptitudes (cas des enfants de cirque). Un exemple concret : lors de la période de babillage chez le bébé de quelques mois, il existe une surabondance de «sons sauvages» qui disparaîtront complètement dans le langage définitif, lequel apparaît ainsi comme une perte d un certain nombre de sons originellement disponibles. On retrouve ce phénomène dit d attrition syllabique dans la perception du langage : la langue japonaise, essentiellement vocalique, ne contient pas les syllabes ra et la que les adultes auront du mal à distinguer l une de l autre, ce qui n est pas le cas par contre du nouveau-né. Là aussi, entre la naissance et l âge adulte, il y a eu réduction de certaines capacités perceptives. C est pourquoi l apprentissage d une langue étrangère est beaucoup plus efficace qu il commence plus tôt (cas des enfants bilingues). 3/ Plasticité à court et à long terme On se doute bien qu en raison du nombre de neurones qui composent un cerveau humain, il n est guère aisé de localiser des sites cérébraux de plasticité. On a donc eu recours à des animaux moins «complexes» : ce fut le cas entre autres de l aplysie, un mollusque marin, dont le SN ganglionnaire ne comporte qu une vingtaine de milliers de neurones répartis dans 5 paires de ganglions majeurs ; un apprentissage donné peut ainsi se situer dans une chaîne sensori-motrice simple qui contrôle le comportement étudié. Eric Kandel (Prix Nobel) a alors étudié le réflexe de rétraction des branchies déclenché par le heurt du siphon ou du manteau de ce mollusque. Le Doc. 9 illustre les mécanismes de cet apprentissage : tout repose en fait sur l activation ou l inactivation des canaux ioniques de la membrane du motoneurone responsable du retrait branchial. Si on répète les stimulations du siphon ou du manteau, l aplysie finit par ne plus rétracter ses branchies, les canaux calciques ayant été inactivés (le calcium permettant la libération du neuromédiateur dans la fente synaptique par exocytose) : c est l habituation. Si on associe l attouchement du siphon avec un stimulus

13 aversif au niveau de la queue, une stimulation tactile ultérieure même très légère déclenche un réflexe rapide : c est la sensibilisation, due à la fermeture des canaux potassiques qui, en retardant la sortie des ions potassium, prolonge la durée d action des potentiels d action. Habituation et sensibilisation sont ainsi deux manifestations (il en existe d autres) de la plasticité à court terme qui repose donc sur des modifications peu durables (de quelques secondes à quelques minutes) de l efficacité synaptique et concerne en général un changement dans les concentrations du calcium intracellulaire. Si la modification de la force des synapses persiste, on parle alors de plasticité à long terme : le changement, beaucoup plus durable (tant que le système est viable et opérationnel), est alors carrément anatomique et peut concerner la taille des connexions synaptiques, leur nombre, celui des récepteurs, voire un changement de morphologie cellulaire. Une bonne illustration consiste dans le phénomène de potentialisation à long terme (PLT ou LTP en anglais). Le processus est complexe et comprend lui-même une phase précoce à court terme et une phase tardive à long terme. Il est proposé ici (Doc 8 Fig C et Docs. 10 et 11) dans le cadre du modèle hippocampique où le neuromédiateur concerné est le glutamate avec deux récepteurs possibles : AMPA (ou non-nmda dans le doc. 10) et NMDA. Ce qu il faut retenir pour simplifier, c est que le médiateur (ou messager primaire), en se fixant d abord sur le premier type de récepteur (AMPA) déclenche la phase précoce de la PLT qui, par une action rétrograde, augmente la libération de ce même médiateur dans la fente synaptique ainsi que la sensibilité des récepteurs. Par l intermédiaire de toute une cascade de réactions en chaîne intracellulaire dans laquelle interviennent des messagers secondaires (ex : AMPc), la phase tardive de la PLT aboutit à une action dans le noyau même du neurone ciblant des protéines régulatrices et effectrices de la croissance neuronale, d où des changements structuraux possibles et durables, dont le développement de nouvelles connexions synaptiques. Si, sous l effet de la PLT, les synapses ne faisaient que se renforcer, elles atteindraient rapidement un degré d efficacité tel que le moindre stimulus, même très faible, provoquerait un embrasement de la matière cérébrale, autrement dit une crise d épilepsie! Il existe donc un mécanisme inverse et complémentaire de la PLT : c est la dépression à long terme (DLT) qui a pour but d affaiblir sélectivement certaines synapses. Le doc. 12 compare la DLT avec la PLT et la sensibilisation. Tout dépend en fait de l homéostasie calcique intracellulaire : de faibles augmentations du taux de calcium (par ex. avec des stimulations à basse fréquence et de longue durée) engendrent une cascade de réactions désactivant les mêmes protéines cibles qui sont par contre activées par la PLT (par ex. avec des stimulations à haute fréquence et de courte durée qui augmentent fortement le taux de calcium). Le caractère très dynamique du

14 système dépend donc de nombreux facteurs comme l activité préalable du réseau de neurones ou l état hormonal du moment. Le doc. 13 en est une illustration : chez l écureuil de Sibérie, une espèce hibernante, certaines cellules de son hippocampe voient leur morphologie modifiée selon que l animal est actif ou en hibernation : au cours de cette dernière période l arborisation dendritique est réduite, ainsi que le nombre de branchements, la taille des corps cellulaires, donc les zones de contact synaptique, en bref on a une diminution de la capacité des neurones à recevoir des messages afférents, ce qui est préférable en état d hibernation. Toutes ces modifications morphologiques s inversent en seulement quelques heures après le réveil définitif, quand l animal redevient actif. 4/ Notion de métaplasticité Cette action de concert entre PLT et DLT qu on vient de décrire et dépendant de l état interne de l organisme (activité préalable, état hormonal) rend compte de la métaplasticité, qui est en quelque sorte la plasticité de la plasticité. On la qualifie de positive si les modifications du seuil de la plasticité synaptique vont dans le sens d une augmentation de la fonction cognitive, et de négative dans le cas contraire (ex : les altérations cognitives au cours du vieillissement ou d une réponse à un stress). Ex : sous des conditions physiologiques normales, de faibles augmentations du taux des hormones glucocorticoïdes (dont le cortisol) favorisent une métaplasticité positive en prolongeant la PLT dans l hippocampe, donc certaines aptitudes cognitives. Mais si se taux s élève trop, suite à un stress chronique, il provoque des déficits de performance en raison d une métaplasticité négative. Certains antidépresseurs (imipramine, tianeptine), en ciblant l hypothalamus, font chuter le taux des glucocorticoïdes et rétablissent une métaplasticité positive dans l hippocampe. La plasticité réparatrice 1/ La capacité d autoréparation du SN Après une lésion traumatique ou une maladie, le SN est capable de se réparer luimême, mais dans certaines limites : cela fonctionne par ex. contre des microlésions mais pas contre un processus dégénératif massif et invasif. Les mécanismes de récupération fonctionnelle spontanée du SN sont de trois ordres, mais diffèrent selon qu il s agit du SN périphérique ou du SN central.

15 a/ La régénération C est un processus selon lequel les neurones endommagés vont tenter de rétablir des connexions avec les régions intactes. Il y a aussi trois possibilités. 1. La régénérescence antérograde de l axone, observée dans le SN périphérique : la prolifération des cellules de Schwann aidée par des facteurs trophiques (le facteur de croissance nerveuse ou NGF en anglais ; le facteur de croissance des fibroblastes ou FGF ; le facteur de croissance de l épiderme ou EGF car le SN a une origine ectoblastique) crée une véritable voie de passage protégé à la fibre nerveuse détruite qui va se reconstituer et atteindre à nouveau sa cible initiale. Ex : les neurones sensoriels dont le corps cellulaire se trouve dans les ganglions rachidiens peuvent régénérer la branche axonale qui va vers la périphérie, mais pas celle qui entre dans la moelle épinière. De même, des neurones sensoriels en culture poussent dans un fragment de nerf sciatique (SN périphérique) mais pas dans celui du nerf optique (SN central). Cette différence entre SN périphérique et central est due à la présence exclusivement dans ce dernier de facteurs inhibiteurs de la croissance axonale (ex : les protéines membranaires Nogo dans les oligodendrocytes qui sont les cellules gliales assurant la myélinisation des fibres centrales). 2. Le bourgeonnement collatéral des fibres restées intactes afin de venir occuper l espace laissé vacant par la lésion. Il peut être rapide (7 à 10 jours après la lésion) et a été observé dans les systèmes à sérotonine et à catécholamines du cerveau. 3. Le bourgeonnement proximal : le neurone lésé développe des collatérales se connectant à des neurones voisins intacts et ce sont ces derniers qui, par des prolongements, vont occuper l espace de la cible laissé vacant par la lésion. b/ L hypersensibilité de dénervation Elle a été observée à la suite de lésions expérimentales chez l animal ou lors de certaines affections dégénératives comme la maladie de Parkinson : la destruction de terminaisons neuronales à dopamine provoque une prolifération des récepteurs à ce médiateur, d où une réaction hypersensible à la L-DOPA, le précurseur de la dopamine, qu on administre à titre thérapeutique (d où les effets secondaires de ce traitement). c/ Les synapses silencieuses Expérimentation : chez le rat, on pratique une section médullaire des fibres sensitives destinées aux pattes postérieures et on n enregistre plus de potentiels évoqués dans l aire corticale correspondante. Trois jours plus tard, on note une réaction mais dans l aire corticale correspondant aux pattes antérieures! La raison est due à des synapses latentes (ou

16 silencieuses), inhibées dans des conditions normales, et qui sont devenues actives, par levée d inhibition, à la suite de la section expérimentale. La présence de telles synapses silencieuses pourrait aussi expliquer la récupération d une aphasie (perte du langage) après une lésion de l hémisphère gauche : des neurones de l hémisphère droit possèderaient ainsi des synapses silencieuses à la terminaison des axones du corps calleux les reliant à des zones intactes de l hémisphère gauche dont la lésion a donc levé l inhibition. En conclusion, le SN possède bien la faculté intrinsèque d effectuer des microréparations efficaces contre les tout petits accidents vasculaires probablement quotidiens et qui passent en général inaperçus, mais ces capacités deviennent insuffisantes pour compenser des lésions plus importantes ou des atteintes pathologiques majeures. 2/La médecine régénérative Depuis quelques décennies, plusieurs pistes thérapeutiques ont été suivies pour réparer les lésions ou tenter de soigner les pathologies importantes, en tenant compte des mécanismes d autoréparation possibles du SN. En premier lieu, il s est agi de tout mettre en œuvre pour les favoriser en cas de lésion par ex. de la moelle épinière. Le doc. 14 met en vis-à-vis les étapes successives du processus d extension d une lésion traumatique médullaire (par ex. suite à un accident de la route) et les pistes thérapeutiques correspondantes possibles : il en ressort qu il faut agir le plus rapidement possible après l accident, mais que des espoirs demeurent malgré tout (ce type d expérimentation clinique se fait notamment à Montpellier). Puis on a essayé d autres techniques possibles : a/ les thérapies cellulaires On a greffé à la fin des années 1980 des neurones fœtaux pour remplacer ceux qui avaient été détruits : des essais cliniques furent ainsi effectués chez les malades de Parkinson ou ayant la chorée de Huntington, mais les résultats ne furent pas à la hauteur de l espoir suscité par le succès de l expérimentation animale ; en effet, après une indéniable amélioration initiale, des rechutes furent souvent observées au bout de quelques mois. Depuis les années 2000, on s est tourné vers la greffe de cellules souches embryonnaires, qui sont totipotentes et ont donc la capacité de se différencier en l un des 200 types cellulaires qui composent notre organisme (cellule nerveuse, hépatique, sanguine, myocardique, etc.). Demeure la question qu il s agit d une allogreffe, donc elle pose un

17 problème éthique et de risque de rejet immunitaire ; de plus, il faut contrôler leur prolifération à cause du risque de tumeurs. L autre possibilité consiste à greffer des cellules souches neuronales adultes (qu on peut récupérer par ex. dans le bulbe olfactif), mais elles sont en quantité infimes et leur nombre semble décroître avec l âge. En revanche, s agissant d une autogreffe, on évacue la question éthique et le risque de rejet immunitaire. Elles ne se renouvellent que dans le tissu nerveux, mais ont pu subir des mutations et des changements d ADN. b/ La rééducation ciblée En tenant compte de la malléabilité des cartes corticales, toute une rééducation fonctionnelle cherche à les mobiliser par des mouvements décomposés ou des perceptions déformées. Ex : des kinésithérapeutes spécialisés peuvent faire bouger de manière très ciblée les membres paralysés d un paraplégique ou d un hémiplégique afin de stimuler d autres zones de la matière grise corticale en dehors de celles lésées pour qu elles puissent assumer les fonctions perdues. En 2005, à Zurich, cette tâche a même été confiée à un robot ergothérapeute (baptisé Armin!) munis de capteurs mesurant la force musculaire que le patient pouvait engager et l aidant à recouvrer une partie de sa mobilité en lui faisant déplacer un objet sur une table par sollicitation par ex. du bras et de la ceinture scapulaire. Ex : certains AVC (accidents vasculaires cérébraux) de l hémisphère droit provoquent une héminégligence : le patient néglige une moitié de l espace (il se rase la moitié du visage ; il mange la moitié du contenu de son assiette). C est un problème de la représentation consciente du corps au niveau du cerveau, le malade souffrant d une déviation spontanée de son espace intérieur par ex. vers la droite, le côté gauche sera alors relégué loin de son centre d intérêt. En lui faisant porter des lunettes prismatiques déformantes qui dévient l image rétinienne vers la droite, on améliore alors l héminégligence gauche : l effet maximal survient entre 2 et 24 heures après le retrait des lunettes et peut durer jusqu à une semaine. Et après, on recommence! c/ La stimulation intracérébrale Au CHU de Nice (service de neurochirurgie) entre autres est utilisée depuis quelques temps une technique de stimulation cérébrale profonde qui améliore durablement les tremblements et la rigidité caractéristiques de la maladie de Parkinson. Cette technique est aussi utilisée contre les TOC (troubles obsessionnels compulsifs) ou pour réparer les zones cérébrales rendues dysfonctionnelles après des crises répétées d épilepsie.

18 Dans une optique similaire, les progrès en neurorobotique ont permis l implantation de neuroprothèses (Doc. 15). Dès 1978, Dobelle et Kolff (Prix Nobel) ont mis au point un implant de 68 électrodes dans le cortex visuel d un aveugle chez lequel il a produit des phosphènes (sensations lumineuses). Puis, il y a eu des implants rétiniens, des implants cochléaires et des prothèses motrices : en 2006 à Boston, un tétraplégique, auquel une puce électronique de 100 électrodes nommée Brain Gate a été implantée dans le cortex moteur, a pu se servir de son ordinateur sans l aide du clavier ou de la souris, mais par sa seule pensée, les signaux cérébraux émis étant enregistrés directement par ce capteur qui les transmet à un microprocesseur externe, lequel les convertit en instructions pour déplacer le curseur sur l écran de l ordinateur. Ailleurs, c est un bras robotisé ou une chaise roulante qui ont été contrôlés par la pensée du patient. D autres techniques prometteuses sollicitant la neuroplasticité sont en train d être étudiées dans plusieurs laboratoires de recherche à travers le monde. Les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur la neuroplasticité Depuis 1994, la France s est dotée de lois sur la bioéthique (en cours de révision actuellement). Le clonage dit thérapeutique, qui aurait permis de fabriquer un embryon humain pourvoyeur de cellules souches a été interdit par la loi du 6 août 2004, laquelle autorisait cependant l utilisation d embryons congelés surnuméraires pendant 5 ans à titre dérogatoire, mais le décret d application n a été publié que le 7 février 2006, soit 18 mois après le vote de la loi! Depuis 2006, l Union Européenne est encore plus ambiguë sur ce terrain : elle autorise le financement des recherches utilisant des cellules souches embryonnaires mais pas leur production! L usage de la neuro-imagerie est également de plus en plus encadré depuis les dérives américaines du «neurodroit» (recherche des mécanismes cérébraux sous-tendant la responsabilité avec le risque de manipulations pharmacologiques jouant sur la plasticité de cette dernière) : si la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 stipule que «sans préjudice de leur utilisation dans le cadre d expertises judiciaires, les techniques d imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu à des fins médicales ou de recherche scientifique», le rapport Claeys-Vialatte sur les nouvelles technologies d exploration et de thérapie du cerveau, déposé au Sénat le 13 avril 2012 demande l interdiction à terme de toute utilisation des neurosciences en justice. Tout cela est démonstratif de l aspect très délicat des

19 problèmes éthiques posés par la recherche biomédicale en général. S il ne faut pas faire n importe quoi bien évidemment, il ne faudrait pas non plus que la législation devienne une entrave au progrès scientifique et médical : c est un équilibre à trouver.