Résumé Jeu sur Internet : prévalence, tendances, difficultés et politiques envisageables Robert T. Wood, Ph.D. 1 Robert J. Williams, Ph.D. 2 1 Sujet de la recherche Paramètres démographiques des joueurs (Internet et installations physiques) canadiens et étrangers et évaluation de leur comportement par le biais de deux enquêtes (la première à participation volontaire, la seconde à participation aléatoire). Les auteurs ont jaugé l attitude des participants à l égard du jeu, ce qui les incite à parier sur Internet, les tendances liées au jeu, la consommation de drogues et les habitudes en santé, ainsi que plusieurs variables qualitatives à partir des évaluations personnelles, cela dans l espoir de discerner des caractéristiques qui permettraient de différencier les personnes qui parient sur Internet de celles qui ne le font pas (au Canada et ailleurs), selon la classification de l ICJE (à savoir, joueur à problèmes ou joueur sans problèmes). Les auteurs ont également évalué l utilité d un traitement en ligne reposant sur des commentaires personnalisés concernant le comportement du joueur. Définitions Jeu sur Internet : cette expression couvre l achat en ligne de billets pour des loteries, la participation interactive à des loteries en ligne, le bingo en ligne, les casinos en ligne, les paris sportifs ou les courses hippiques en ligne, les joutes en ligne contre des adversaires pour de l argent et l achat en ligne de valeurs mobilières, d options ou d opérations à terme à risque élevé ainsi que la spéculation sur séance en ligne. Aux fins de la présente étude, l expression n englobe pas les paris effectués sur un téléphone cellulaire, un téléphone fixe ou un appareil mobile ni ceux effectués par le biais de la télévision interactive. Spéculation sur séance en ligne : participation à la bourse consistant surtout à acheter et à revendre des valeurs mobilières la même journée afin de profiter des fluctuations à très court terme du marché. Protocole de recherche et méthode Deux sondages ont été réalisés. 1. Sondage téléphonique à composition aléatoire auprès de 8 498 Canadiens adultes (de janvier 2006 à juin 2007) En tout, 6 010 personnes ont été identifiées comme des joueurs et 299 comme des joueurs sur Internet. La méthode employée garantissait un échantillonnage aléatoire optimal et une évaluation personnelle valable. Pour que l échantillon soit représentatif de la population canadienne, les données ont été pondérées en fonction de la population de la province, de la taille du ménage et de l âge pour chaque sexe. 1 Co chercheur principal : Robert T. Wood, Ph. D., est professeur associé au département de sociologie de l Université de Lethbridge. 2 Co chercheur principal : Robert J. Williams enseigne à l École des sciences de la santé de l Université de Lethbridge.
2 Le taux de réponse global s établissait à 45,6 %. Le questionnaire comportait 8 parties qui ont servi à établir ou à évaluer ce qui suit : o les paramètres démographiques; o le comportement du joueur (nature du jeu, fréquence, dépenses); o le comportement du joueur au cours des 12 derniers mois; o le comportement du joueur à la bourse; o les attitudes à l égard du jeu; o les idées préconçues sur le jeu; o les problèmes de jeu (à partir des 29 énoncés qui constituent l ICJE, le NODS, le SOGS et un indice en développement baptisé «indice du jeu problématique et pathologique» (PPGM)) ainsi que les paramètres démographiques des participants; o l opinion des participants que les comportements énumérés figurent ou pas dans leur définition personnelle du joueur. 2. Sondage en ligne à remplir soi même auprès de 12 521 adultes de 105 pays (de juin 2007 à décembre 2007) Analyse des données de 7 921 joueurs et 2 241 joueurs sur Internet. Les participants venaient essentiellement des États Unis (76,3 %), du Canada (9,6 %) et du Royaume Uni (3,3 %). Les participants ont été recrutés sur un important portail de jeu (www.casinocity.com). En cliquant un lien sur la bannière du portail, le participant était renvoyé à la page d accueil du questionnaire. Le lien incluait le logo de l Université de Lethbridge, un graphique conçu par des professionnels et une légende (par ex., «Testez vos connaissances sur le jeu» ou «Comparez vos connaissances, vos attitudes et votre comportement face au jeu à ceux d autres personnes»). Le questionnaire était divisé en huit parties qui ont servi à établir ou à évaluer ce qui suit : o mêmes variables que le sondage téléphonique à composition aléatoire; o compréhension de la loi des probabilités et du hasard par les participants. Les participants ont reçu des commentaires détaillés s appuyant sur leurs réponses au questionnaire, en l occurrence des tableaux détaillés, ventilés selon l âge et le sexe. On leur a notamment fourni des commentaires sur ce qui suit : o leur comportement eu égard au jeu, comparativement au comportement d autres personnes; o une projection de leurs dépenses annuelles; o leurs idées préconçues sur le jeu; o le risque qu ils deviennent un joueur à problèmes; o o leur note sur l Indice canadien du jeu excessif (ICJE); une démonstration prouvant que leur aptitude à prévoir des événements aléatoires n est pas supérieure aux lois du hasard. Afin d évaluer si les commentaires personnalisés sur le comportement associé au jeu auraient leur utilité comme traitement, on a demandé ce qui suit aux participants : o s ils avaient trouvé les commentaires utiles; o si ces commentaires exerceraient une influence sur leur comportement de joueur à l avenir; o si les commentaires pourraient être améliorés.
Analyse des données Les participants qui ne jouaient qu à la bourse sur Internet ont été exclus des analyses (les auteurs préparent un autre article sur la bourse et ceux qui y jouent). Cette exclusion a permis de mieux comparer les résultats aux taux de jeu sur Internet antérieurement relevés au Canada, qui excluent tous cette forme de jeu. Les auteurs ont analysé simultanément 17 variables (sexe, âge, situation matrimoniale, degré d éducation, emploi, revenu familial, endettement, ascendance, province, usage du tabac, consommation d alcool, consommation de drogues illicites, handicap physique, problème important de santé mentale, nombre de types de jeu pratiqués, gains/pertes nets mensuels pour l ensemble des formes de jeu et note sur l ICJE) par régression à variables multiples afin d essayer de calculer l importance relative des variables qui permettraient de distinguer les joueurs sur Internet des autres joueurs. Les auteurs ont obtenu des statistiques descriptives en calculant la fréquence des réponses pour chaque question en fonction des 17 variables précitées. Principales constatations Le jeu sur Internet demeure la forme de jeu la moins courante chez les joueurs canadiens adultes (2,1 % sans l achat et la vente de valeurs mobilières, d options et d opérations à terme à risque élevé ou de spéculation sur séance, 3,5 % lorsqu on inclut ces formes de jeu). Cependant, on relève d autres constatations : La prévalence du jeu sur Internet a dépassé le cap du 1 % en 2004, au Canada. La prévalence des joueurs à problèmes est 3 ou 4 fois plus élevée chez ceux qui parient sur Internet, comparativement à ceux qui le font pas (17,1 % c. 4,1 % au Canada, 16,6 % c. 5,7 % dans le monde). Les joueurs sur Internet à problèmes rapportent plus de dépenses mensuelles nettes que ceux qui ne parient pas sur Internet (sondage téléphonique à composition aléatoire : 541,09 $ contre 67,09 $). Les joueurs sur Internet ont plus d idées préconçues sur le jeu que ceux qui ne parient pas sur Internet. Le nombre de formes de jeu pratiquées est la variable la plus puissante (plus que les variables démographiques) permettant de prédire le jeu sur Internet, tant à partir des données canadiennes que des données internationales. Tous les participants qui rapportent avoir parié sur Internet jouaient aussi dans des installations physiques. Les joueurs sur Internet participent davantage à tous les types de jeu. Les résultats du sondage téléphonique à composition aléatoire révèlent particulièrement une participation accrue aux jeux d adresse (73,4 % c. 16,4 %), aux paris sportifs (44,1 % c. 7,9 %), aux jeux de casino sur table (41,1 % c. 7,1 %) et aux courses hippiques (15,6 % c. 4,7 %). 3 Les résultats du sondage à remplir soi même international révèlent que plusieurs variables permettraient de prévoir statistiquement si une personne est un joueur sur Internet à problèmes. Par ordre d importance, ces variables sont les suivantes :
1. parier sur un plus grand nombre de formes de jeu; 2. parier de plus grosses sommes; 3. avoir des problèmes de santé mentale; 4. habiter le Royaume Uni; 5. avoir des problèmes de jeu dans ses antécédents familiaux; 6. réaliser un plus faible revenu familial; 7. être célibataire; 8. être d ascendance asiatique; 9. compter un plus grand nombre d idées préconçues sur le jeu; 10. avoir une attitude plus négative à l égard du jeu; 11. avoir déjà connu d autres dépendances. Profil démographique du joueur sur Internet canadien. Il est de sexe masculin (82,4 %). Son âge moyen est de 35,5 ans (contre 45,7 ans ailleurs dans le monde). Le Québec, l Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba et l Alberta comptent une proportion significativement plus faible de joueurs sur Internet que d autres provinces comme la Colombie Britannique et le Nouveau Brunswick. Les Canadiens qui parient sur Internet avaient consommé une quantité relativement élevée de drogues le mois antérieur (39 % du tabac et 23,3 % des drogues illicites). La consommation de drogues illicites est statistiquement corrélée au jeu sur Internet (à savoir, les personnes qui parient sur Internet sont plus susceptibles de consommer des drogues illicites). Ceux qui parient sur Internet sont aussi plus enclins que ceux qui ne jouent pas sur Internet à signaler qu ils consomment de l alcool à l occasion ou fréquemment tout en jouant. 4 Tendances relatives au jeu Le poker (un «jeu d adresse») est le type de pari en ligne le plus populaire dans le monde, y compris au Canada. On a demandé aux joueurs classés parmi ceux éprouvant des problèmes de jeu modérés ou graves si un type particulier de jeu leur posait plus de difficultés qu un autre. Le poker a été mentionné comme le plus problématique de tous pour les Canadiens qui éprouvent des problèmes de jeu sur Internet, tandis que les machines à sous occupent cette place chez les joueurs à problèmes Canadiens qui ne parient pas sur Internet. La clientèle des paris sportifs, des paris sur les courses de chiens ou de chevaux et des jeux d adresse en ligne est principalement de sexe masculin alors que celle du bingo en ligne est essentiellement de sexe féminin. La clientèle des casinos en ligne est mieux répartie entre les deux sexes. La vaste majorité des parieurs sur Internet indiquent qu utiliser une carte de crédit ou effectuer des transferts bancaires électroniques au lieu de dépenser de l argent comptant ne modifierait en rien leurs dépenses. Recherche d un traitement Approximativement 8 % des joueurs à problèmes avaient cherché à obtenir de l aide. Parmi eux, les participants de l enquête téléphonique à composition aléatoire ont mentionné avoir recouru à un service de consultation, alors que ceux qui ont répondu au questionnaire en ligne disent plus souvent avoir cherché de l aide auprès de Gamblers Anonymes.
La vaste majorité des joueurs à problèmes sur Internet rapportent qu ils hésiteraient moins à demander de l aide lors d un entretien en personne que dans le cadre d un service de consultation offert sur Internet. Des commentaires personnalisés sur le comportement du joueur pourraient avoir leur utilité comme alternative au traitement. 65,2 % des joueurs sans problèmes et 70,6 % des joueurs à problèmes signalent que les commentaires interactifs fournis étaient «un peu» ou «très utiles». 33,5 % des joueurs à problèmes estiment qu ils parieraient moins après avoir obtenu des commentaires personnalisés. Limites Les personnes qui ont répondu au questionnaire en ligne émanaient surtout des États Unis (76,3 %). On ignore quelle proportion de joueurs sur Internet venaient d autres pays. Or, les joueurs des États Unis ne constituent manifestement pas 76,3 % de la population. On ne peut donc dire que l échantillon était vraiment représentatif de la population internationale de joueurs sur Internet. Bien que les résultats de l intervention sous forme de commentaires personnalisés laissent croire que 33,5 % des joueurs à problèmes parieraient moins, il est impossible d attribuer sans ambiguïté une telle attente à l expérience directe vécue lors du sondage. En effet, il se peut fort bien que cette attente soit déjà présente au départ. 5 Implications et recherches futures Bien qu il constitue un important facteur concourant aux problèmes que connaissent une partie des joueurs compulsifs, le jeu sur Internet ne semble pas être la cause principale des problèmes de jeu de la majorité d entre eux. Cette constatation est cohérente avec les preuves indiquant que ceux qui parient sur Internet sont des joueurs compulsifs qui ont simplement ajouté une nouvelle forme de jeu à leur répertoire. Seulement 0,4 % des joueurs sur Internet internationaux signalent avoir moins de 18 ans, signe qu ils représentent une très faible proportion de la population totale d internautes. Une partie sensible du revenu issu du jeu sur Internet vient des joueurs à problèmes (41,3 % au Canada, 27,0 % dans le monde). Le fait qu une partie disproportionnée des recettes vienne d un groupe vulnérable de la population n est pas défendable moralement. Les déclarations subjectives venant de cette étude laissent croire que les commentaires personnalisés sur le comportement de joueur (et peut être des sondages interactifs en ligne similaires) ont sans doute leur utilité à titre d intervention brève. Il conviendrait d explorer davantage l efficacité des interventions de ce genre. Les paramètres démographiques associés au jeu sur Internet dans cette étude sont identiques à ceux notés ailleurs, entre autres dans une étude analogue effectuée par les mêmes auteurs en 2004 2005.
Implications au niveau des politiques Il est très difficile de prohiber efficacement le jeu sur Internet, car on ne peut bloquer aisément l accès de chaque joueur aux sites électroniques et parce que poursuivre les entreprises qui proposent légalement de tels services à partir d autres pays est compliqué. Cependant, cette raison ne suffit pas pour qu on légalise le jeu sur Internet. Dans l ensemble, on devrait continuer de prohiber ce dernier au Canada pour les motifs que voici : 1. Les activités et les pratiques de jeu raisonnables de nombreux sites en ligne laissent à désirer. 2. On pourra difficilement s assurer que de tels sites respectent un jour des normes minimales. 3. Des sites de jeu sur Internet légaux au Canada (donc caractérisés par de meilleures activités et pratiques eu égard au jeu raisonnable) n auront de clientèle que dans la mesure où ils présentent un avantage concurrentiel pour le consommateur (ce qui pourrait s avérer difficile à réaliser). 4. Légaliser le jeu en ligne ne fera sans doute qu aggraver les problèmes de jeu parce que cette forme de jeu est en soi plus problématique que les autres (à savoir, plus grande commodité et accès plus facile, confort de jouer chez soi, plus grand anonymat, nature solitaire du jeu, nature immersive de l interface, capacité des joueurs de s adonner à leur passion sous l influence des drogues ou de l alcool). 5. La légalisation accroît la légitimité et la disponibilité; en général, la prévalence du jeu sur Internet et des problèmes de jeu sur Internet dans chaque pays suit grossièrement la légalisation du jeu sur Internet, donc sa disponibilité. La décision d interdire ou de légaliser le jeu repose néanmoins dans une certaine mesure sur chaque compétence. Des restrictions légales seraient plus indiquées dans les territoires caractérisés par une population très vulnérable (très forte utilisation d Internet, taux élevé de dépendances). Les petits territoires retireront des avantages économiques proportionnellement plus importants que les territoires plus grands, car la majeure partie des revenus issus du jeu viendront de l extérieur (à savoir, des É. U., de la Chine et des pays d Europe très peuplés). Le jeu sur Internet constituerait alors un véritable afflux de richesse plutôt qu une redistribution des revenus intérieurs. L attitude des citoyens à l égard du jeu sur Internet a également son importance. La majorité des Canadiens s opposent à toute forme de pari sur Internet, y compris celles que proposent actuellement quelques provinces. Il existe aussi des solutions intermédiaires, par exemple : 1. on pourrait légaliser les formes moins litigieuses de jeu sur Internet (à savoir, achat en ligne de billets de loterie); 2. on pourrait interdire l accès aux sites hébergés à l étranger; 3. seuls les non résidents pourraient être autorisés à accéder aux sites canadiens légalisés. 6