Les limitations et arrêt des thérapeutiques en Service de Réanimation Adulte



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Transcription:

Institut de Formation en Soins Infirmiers De Savoie CHAPILLON Elodie Les limitations et arrêt des thérapeutiques en Service de Réanimation Adulte Mémoire de fin d études présenté en vue de la validation de l UI 5.6.S6 UE 5.6.S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles Guidant : Véronique Bernier Promotion 2014 16 mai 2014

Remerciements Dans un premier temps je tiens à remercier Véronique Bernier pour son aide, sa disponibilité et ses précieux conseils qui ont contribués à la réalisation de ce travail. Dans un second temps je remercie les infirmiers du service de Réanimation qui se sont portés volontaires et qui ont accepté de répondre à mes questions lors de mes entretiens ce qui m a permis d avancer dans mes recherches. Je remercie la cadre du Service qui a accepté que je vienne faire mes entretiens dans le service. Je remercie également toutes les personnes qui ont pris le temps de lire mon travail et qui m ont apportées des remarques constructives ainsi que ceux qui ont échangé avec moi durant cette année et qui m ont permis de faire évoluer ma pensée. J adresse mes remerciements les plus sincères à mes parents qui m ont soutenue durant ce travail et qui ont fait preuve de beaucoup de patience. Je n oublie pas de citer ma grandmère qui a accepté avec bienveillance de réaliser la photographie pour la première de couverture de mon travail. Enfin je remercie mes proches et amis Thibault Drillaud, Elise Farges et Maxime Gouillon qui m ont encouragée et accompagnée tout au long de notre formation et qui ont fait de cette formation un souvenir inoubliable. Je dédie ce travail de fin d étude à mon meilleur ami qui nous a quitté cette année mais qui sera toujours dans nos cœurs, ainsi qu à mes parents Gilles et Colette Chapillon et mon tendre ami Morgan Biran.

«Respecter la vie, Accepter la mort» 1 1 Leonetti Jean, Vivre ou laisser mourir : Respecter la vie, Accepter la mort, Edition Michalon, 2005

Remerciements Sommaire Introduction p.1 Partie 1 : La Phase Théorique : p.3 1.1 La Réanimation en Service Hospitalier Général p.3 1.1.1 Une équipe pluridisciplinaire p.4 1.1.2 Rôle de l infirmier en Réanimation p.4 1.2 La fin de vie p.5 1.2.1 En service Généraux p.5 1.2.2 En Réanimation p.6 1.3 La loi Leonetti p.6 1.3.1 Acharnement Thérapeutique ou obstination déraisonnable p.7 1.3.2 Limitation ou Arrêt des Thérapeutiques Actives p.7 1.3.2.1 Limitation des Thérapeutiques p.8 1.3.2.2 Arrêt des Thérapeutiques p.8 1.3.3 Réflexion éthique et fin de vie p.9 1.3.3.1 Principe de bienfaisance p.10 1.3.3.2 Principe de non malfaisance p.10 1.3.3.3 Principe d autonomie p.11 1.3.3.4 Principe de justice p.11 1.3.3.5 Dilemme Ethique p.12 1.3.4 Collégialité p.12 1.3.5 Qualité de vie p.13 1.3.6 Le respect de la dignité p.14 1.3.7 Total pain et soins palliatifs p.15 1.3.8 Sédation et Double effet p.16 1.3.9 Les directives anticipées p.18 1.3.10 La décision éclairée p.19 1.3.11 La loi Leonetti et ses limites en France p.19 1.4 Identité professionnelle de l infirmier en Réanimation p.20 1.4.1 L Identité professionnelle p.20

1.4.2 Les Valeurs soignantes p.21 1.5 Conclusion de la phase théorique p.21 1.6 A la rencontre du terrain p.22 1.6.1 Population ciblée p.22 1.6.2 Caractéristiques de cet échantillon p.22 1.6.3 Choix de l outil d enquête p.23 1.6.4 Guide utilisé pour la conduite des entretiens p.24 1.6.5 Analyse des entretiens p.24 1.6 Réflexion cheminement vers la question de recherche p.32 1.7 Formulation question de recherche p.33 1.8 Mise en évidence des concepts et formulation des hypothèses p.34 1.8.1 Les concepts p.34 1.8.2 Les hypothèses p.34 Partie 2 : La Phase Méthodologique : p.35 2.1 Population cible échantillonnage p.35 2.2 Outils d investigation argumentés p.36 Conclusion p.38 Bibliographie p.40 Sitographie p.40 Annexes : 1/ Guide d entretien 2/ Retranscription des entretiens 1 à 5 3/ Echelle BPS 4/ Score de Ramsey 5/ Formulaire de Directives Anticipées 6/ Formulaire d Engagement thérapeutique et conditions d applications. Abstract

Introduction La Réanimation est un service dynamique et spécifique dans lequel l équipe pluridisciplinaire, grâce à des techniques avancées, tente de pallier à des défaillances aigues d une ou plusieurs fonctions vitales. Les patients sont parfois en situation critique et les limites de la médecine empêchent alors le retour à l homéostasie. La mort en réanimation est omniprésente et c est parfois dans des moments difficiles que les professionnels sont amenés à côtoyer les proches. Autrefois, la plupart des décès survenaient à domicile. Aujourd hui, l évolution de la société modifie les mœurs et de plus en plus de personnes viennent à décéder à l hôpital. En effet selon un rapport de l IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) 58% des français meurent à l hôpital. Selon la SFAR (Société Française d Anesthésie et de Réanimation) près de la moitié des décès hospitaliers surviennent en Réanimation ou en service de Soins Intensifs le plus souvent suite à une décision de Limitation ou Arrêt des Thérapeutiques Actives. Cette décision est prise sous couvert de la loi (notamment la Loi Leonetti qui sera abordée dans mon travail) suite à une réflexion, lorsqu il n y a pas d espoir de récupération des fonctions vitales, que la qualité de vie du patient est altérée de façon définitive et dans le but de préserver la dignité du patient. Ce thème m intéresse car il aborde toutes les dimensions de la profession infirmière. C est un travail qui me questionne sur mes propres valeurs soignantes et mon identité professionnelle. Ce travail de recherche va donc me permettre de poursuivre la construction de ma propre identité professionnelle. Lors de ma seconde année d étude j ai effectué un stage de 5 semaines en Réanimation durant lequel j ai assisté à une décision d arrêt des thérapeutiques. Il s agissait d une patiente intubée dont on a arrêté le respirateur qui la maintenait en vie. J ai trouvé que cette situation était émotionnellement difficile à vivre et à comprendre, tant pour la famille que pour les soignants. Dans ce stage où l on s imagine que l on va sauver des vies, «réanimer», alors qu en réalité le médecin, l infirmier et toute l équipe, accompagnent, soulagent, c est alors que la réflexion éthique prend une place considérable. J ai été interpellé par cette prise de décision, si grave soit-elle. Le décès rapide de la patiente suite au débranchement du respirateur m a questionné. A-t-on le droit de vie ou de

mort sur un patient? Peut on décider du moment où la vie se termine? Comment la décision de limitation ou arrêt des thérapeutiques est-elle prise? Quel accompagnement pour la famille et quelles explications sont données? Comment le regard de la famille peut-il se répercuter sur le soignant? Quels sont les critères qui favorisent cet arrêt des thérapeutiques? Le vécu influence t il les réactions de chaque protagoniste? Comment les soignants vivent-ils ces situations? Est-ce en accord avec leurs valeurs soignantes? Comment humaniser un soin quand la technicité et la performance sont les mots d ordres? Comment la douleur et la souffrance des patients en arrêt thérapeutique est-elle prise en considération? Quelles sont les différentes stratégies d adaptations et les différentes représentations pour le patient? Et enfin, comment les soignants se sont ils adaptés à ces décisions modernes d accompagnement en fin vie dans un service où l on veut sauver des vies? Suite à cela j ai désiré développer une réflexion autour de la limitation des thérapeutiques actives en Réanimation. Ma question de départ est : En quoi la réflexion, la décision et la mise en application d une limitation ou arrêt des thérapeutiques peuvent elles avoir une incidence sur les valeurs et l identité infirmière? Mon travail de fin d étude sera composé d une phase théorique dans laquelle je détaillerai ce qu est la fin de vie en réanimation, le cadre législatif, la sédation ainsi que la loi Leonetti et son application à l heure actuelle. Dans cette même partie j exposerai les différents concepts en lien avec mon sujet. Enfin j effectuerai une analyse de l étude de terrain auprès d infirmiers en service de réanimation et je détaillerai ma question de recherche. La phase méthodologique de mon travail constituera la seconde partie.

Partie 1 : La phase Théorique 1.1 La Réanimation en Service Hospitalier Général : Réanimer signifie redonner la vie grâce à la réanimation, en anglais «to resuscitate». La traduction anglaise que l on fait de ce mot met en évidence cette première représentation que l on peut avoir en entrant dans un tel service selon laquelle la prise en charge en réanimation vise à «redonner la vie». Le verbe réanimer bien que synonyme avec «ranimer», ne s emploie qu au sens médical et signifie rétablir les fonctions vitales et l homéostasie. L homéostasie étant la capacité de maintenir à des valeurs normales les constantes physiologiques du corps humain. La réanimation selon le Larousse Médical c est l «Ensemble des moyens mis en œuvre soit pour pallier la défaillance aiguë d'une ou de plusieurs fonctions vitales, dans l'attente de la guérison, soit pour surveiller des malades menacés de telles défaillances du fait d'une maladie, d'un traumatisme ou d'une intervention chirurgicale» 2. Le service de réanimation est un lieu où la vie est mise en jeu car les patients sont admis en raison d une maladie grave, d un traumatisme ou d une situation aiguë mettant le pronostic vital en péril. Un passage en service de Réanimation peut être vécu comme très agressif voir traumatisant. En effet, le patient, la famille, et nous soignants sommes confrontés à des situations difficiles, douloureuses et complexes. Le patient en situation aiguë n est pas toujours en état de conscience mais peut néanmoins vivre de façon désagréable ce séjour en Réanimation. Le matériel de suppléance est très invasif (Sonde naso-gastrique, sonde d intubation, sonde urinaire, multiples cathéters etc...) L environnement n est pas agréable et peut être vécu comme anxiogène pour le patient mais également pour les proches (lumière artificielle violente et nuisances sonores importantes avec les alarmes des scopes). Difficile également de parler d intimité dans un 2 Selon Larousse

lieu où toutes les portes doivent constamment rester ouvertes dans l éventualité d une urgence. Les proches sont soumis à de réelles angoisses quant à la possible disparition d un être cher. Les fonctions vitales du patient sont substituées à de nombreuses machines qui déshumanisent le patient et cela peut parfois choquer la famille. La nécessité d accompagner les proches et le patient en Réanimation est primordiale. 1.1.1 Une équipe pluridisciplinaire : L équipe médicale et paramédicale, pluridisciplinaire, se compose de Médecins Spécialistes en Anesthésie Réanimation, de plusieurs Internes en Médecine, d une garde 24h/24, de Cadre(s) de Santé, d Infirmiers (la loi étant de 2 infirmiers pour 5 patients minimum), d Aides Soignantes (la loi étant de 1 aide soignante pour 4 patients minimum) d une secrétaire, d une Assistante Sociale, d une Psychologue et d un kinésithérapeute. 1.1.2 Rôle de l infirmier en Réanimation : L infirmier travaillant en Réanimation a un rôle essentiel dans la prise en charge d un patient. Il accueille celui-ci lors de son arrivé dans le service, souvent dans l urgence. Il assiste le médecin lors des actes techniques (intubation, pose d une voie veineuse centrale et d un cathéter artériel). Il pratique des soins techniques tels que la pose d une sonde urinaire, nasogastrique ou encore les soins des trachéotomies. L infirmier travaille toujours en binôme avec une aide soignante et est généralement responsable de 2 à 3 patients. Ce travail en binôme favorise la relation avec les patients et les proches, permettant, si l un des soignants ne «se sent pas» dans une situation particulière, de passer le relais. Ils effectuent les soins de confort et de bien être en collaboration. Il a notamment un rôle privilégié de surveillance ; des constantes, de l état cutané, de la douleur, de la sédation, des alarmes de scope, du matériel etc. L accompagnement qu il prodigue auprès des patients et surtout des familles est essentiel, il explique, rassure et se rend disponible au quotidien. Il participe aux réunions collégiales et à la démarche réflexive pour les patients dont il s est occupé. La Réanimation est un service où la vie peut être sauvée, sauvegardée grâce à de nombreux professionnels et à des techniques médicales optimales. Mais la vie peut aussi

malheureusement s y terminer, malgré les efforts de tous les protagonistes, qui mettront néanmoins tout en œuvre pour préserver la dignité du patient en situation incurable. 1.2 La fin de vie : Effectuer une réflexion autour de la fin de vie c est aussi réfléchir autour de sa propre mort et de celle de ses proches. Il nous est difficile d accepter l idée qu un jour, nous allons tous mourir et, pourtant, la mort fait partie de la vie. Les débats relatifs à la fin de vie sont-ils propres à nos sociétés modernes? Peut on décider du moment où l on désire mourir? Peut-on aider quelqu un à mourir si tel est son choix? Ces problématiques sont d actualités avec le procès concernant Vincent Humbert (datant de 2003) ou plus récemment l affaire à propos de Vincent Lambert (datant de février 2014) qui provoquent des polémiques autour de la fin de vie. En réalité ce débat remonte à la nuit des temps. Gilles Antonowicz relate certaines traditions occidentales à travers les époques dans son livre intitulé «Fin de vie : Vivre ou mourir tout savoir sur vos droits». C est ainsi que l on apprend que sur l île de Cea, les personnes âgées se donnaient volontairement la mort à la suite d un grand banquet en se jetant dans la mer du haut d un rocher surplombant la falaise. A l inverse, au Moyen Age, la lenteur de l agonie rassurait et était synonyme de rédemption, gage d une belle mort qui ne devait surtout pas survenir inopinément. La France, majoritairement catholique, en a cultivé le mythe jusqu à une époque pas si lointaine. 1.2.1 En service Généraux : Dans les services généraux, quand le patient est en situation incurable (aucun espoir de guérison) la stratégie thérapeutique change, l objectif n est plus le même et les soins curatifs deviennent des soins palliatifs. Les soins palliatifs «c est tout ce qu il reste à faire quand il n y a plus rien à faire» 3 Dans la prise en charge d un patient en soins palliatifs on décide de ne plus continuer les soins à visés curatifs mais cela ne signifie en aucun cas l arrêt des soins. En effet, les soignants se doivent de continuer les soins de confort et de bien être dans le but de préserver la dignité et la qualité de fin vie du patient 3 Dr Thérèse Vanier, 1976

jusqu à son décès. La prise en charge de la douleur est une priorité dans l accompagnement en fin de vie. Louis Pasteur disait : «Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours.» 1.2.2 En Réanimation : La fin de vie en Réanimation est bien spécifique, notamment car les patients sont en situation aiguë et «maintenus» par les machines (ventilation artificielle, dialyse) ou encore les traitements (catécholamines). La loi dite de référence lorsque l on aborde la problématique de la fin de vie est la Loi Leonetti relative aux droits du malade et à la fin de vie du 22 Avril 2005. 1.3 La Loi Leonetti : Préambule de la loi Leonetti : Cette loi ne clôt en rien le débat autour de la fin de vie qui existait déjà avant 2005. Le 9 juin 1999, la loi affirme le droit à tout patient dont l état le requiert d accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Le 6 juin 2002, le conseil d administration de la SRLF (Société de Réanimation de Langue Française) adopte des recommandations validées par la Commission d éthique sur les limitations et arrêt de thérapeutique(s) active(s) en Réanimation adulte. On voit déjà apparaître les prémices de la loi Leonetti notamment concernant l acharnement thérapeutique, la prise en charge de la douleur, la qualité de vie du patient, les limitations et arrêt des thérapeutiques actives, la notion de collégialité, de consentement éclairé et de personne de confiance. La loi Leonetti a été écrite par Jean Leonetti et promulguée le 22 Avril 2005. Cette loi était très attendue par les français et apporte deux notions fondamentales. Tout d abord elle interdit l euthanasie («Acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays» 4 ) qui est considéré comme un homicide. Dans un second temps la loi interdit l obstination déraisonnable, et c est cette notion que nous allons expliciter. 4 Définition du mot «euthanasie» selon le Larousse

1.3.1 Acharnement thérapeutique ou obstination déraisonnable : L acharnement thérapeutique c est une attitude qui consiste à poursuivre des thérapeutiques à visées curatives alors qu il n existe pas d espoir de guérison. Ces thérapeutiques peuvent prolonger, maintenir la vie, mais en altère sa qualité. L acharnement thérapeutique est contraire au code de déontologie médicale et au serment inspiré d Hippocrate : «Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.» 5 En France l euthanasie est interdite mais l obstination déraisonnable est également punie par la loi car elle porte atteinte à la dignité. C est un principe majeur de la loi Leonetti et son interdiction est rédigée dans le premier article : «Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable.» 6 Malgré l interdiction de l acharnement thérapeutique, aujourd hui encore, nous pouvons en tant que soignant rencontrer de telles situations, mais alors pourquoi? Ce qu il est important de garder à l esprit afin d éviter tout jugement, c est que dans notre quotidien, nous travaillons avec des êtres humains qui ont des façons d être, de penser et d agir différentes de nous et qui leur appartiennent. L appréciation de l état d un patient peut varier, elle se fait au cas par cas. C est la notion d invidualité dans les soins. La loi ne nous donne pas la réponse à toutes les situations, elle n est que le support, le fil conducteur poussant à la réflexion. Elle nous préserve d une décision figée. Mais alors à quel moment franchissons nous la limite? Sommes nous dans la persévérance ou dans l obstination? N y a-t-il pas toujours un contre exemple nous permettant de dire qu il reste une chance? Cette appréciation de la situation d un patient relève de la responsabilité médicale mais se fait autour d une réflexion éthique. 1.3.2 Limitation et arrêt des thérapeutiques actives : En France, environ 45% des décès hospitalier surviennent suite à une décision de limitation ou arrêt des thérapeutiques actives. 5 Serment de l Ordre des médecins de 1996 intitulé «Le Serment d Hippocrate» 6 Loi n 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, article 1 www.legifrance.gouv.fr

La mention «NTBR» figurant parfois dans le dossier de soins du patient signifiant «Not To Be Ressuscitated» est un «type de limitation qui précède 48% des décès de patients» 7 selon la Société Française de Médecine d Urgence dans un rapport datant de 2011. La limitation ou arrêt des thérapeutiques actives, aussi appelée LATA, est une mesure alternative à l obstination déraisonnable. Ces décisions sont encadrées par la loi Leonetti n 2005-370 du 22 avril 2005. 1.3.2.1 Une limitation de thérapeutique consiste à ne pas introduire de nouveaux traitements ou de nouveaux dispositifs qui seraient considérés comme déraisonnable. La limitation peut concerner la posologie ; on décide de ne pas dépasser une certaine dose d amines vasoactives par exemple. 8 Les traitements de suppléance des fonctions vitales tel que la ventilation mécanique ou encore l épuration extra rénale sont généralement des critères de limitation. 1.3.2.2 L arrêt des thérapeutiques consiste à arrêter un traitement déjà mis en place si celui-ci n a pas apporté de bénéfice au patient, s il porte atteinte à la qualité de vie et à la dignité de ce dernier. Rappelons que chaque patient et chaque situation sont différents et nécessitent donc des mesures et des prises en charges personnalisées autour d une réflexion. Les grandes problématiques de la réanimation concernent généralement le niveau d engagement. Il est décidé lors de réunion collégiale, autour d une réflexion éthique, avec la participation de tous les acteurs de limiter l engagement quand la situation le requiert. Malheureusement, en Réanimation et dans les services d urgence, l équipe n a pas toujours le temps de se concerter. C est ces situations qui imposent aux médecins une décision rapide. Faut-il réanimer? Sans avoir pris connaissance du dossier médical, la décision est prise hâtivement. Une fois la réanimation entreprise, difficile de revenir en arrière. La mise en place d une Réanimation d attente peut être proposée. Celle ci consiste à faire gagner du temps dans le but d établir un projet thérapeutique. Elle est envisagée lorsque, ne pas réanimer, constitue une perte de chance de survie pour le patient. La réanimation d attente n est en aucun cas une sous réanimation. La prise en charge est 7 «Limitations et arrêts des traitements ou réanimation d attente?» page 809 SFMU/SRLF 8 cf. Annexes n 6 : Formulaire de l engagement thérapeutique et conditions d applications

maximale mais d une durée limitée à moins que certaines informations aient été apportées à la connaissance du médecin et que celui-ci décide, compte tenu des antécédents ou des volontés, de limiter certains traitements. Mais alors, est-il éthiquement correct de réanimer quelqu un pour ensuite décider d arrêter? Comme nous venons de le voir, ne pas réanimer constitue une perte de chance de survie pour le patient. L âge peut il influer sur la prise de décision? Pour permettre de répondre à ces questions, il me semble nécessaire d aborder le concept d éthique. 1.3.3 Réflexion éthique et fin de vie : Difficile d aborder le concept d éthique sans parler de celui de la morale. L éthique n est pas une science figée mais bien un discours soumis à l évolution de l homme et de ses idées. La morale, quant à elle, formule des règles de conduite sans se soucier du contexte, de la situation, dans laquelle on l applique. La morale représente un idéal, tout comme la loi, elle marginalise ceux qui ne s y conforment pas. L éthique permet de coller à la réalité. Elle prend en considération toutes les informations gravitant autour d une problématique et c est avec cette réflexion dite «éthique» que la réponse sera la plus adaptée. Elle varie donc d un individu à l autre puisque le contexte de chaque situation est différent. Danielle Blondeau (de la faculté des sciences infirmières) estime que le soucis éthique doit «Être au centre des préoccupations soignantes afin d assurer la qualité des interventions et commander le respect inconditionnel des personnes» 9. Dans les situations difficiles de fin de vie en réanimation, l équipe pluridisciplinaire œuvre dans le but de trouver la solution «la moins mauvaise» à la problématique de chaque patient. Selon un rapport datant de 2011 les limitations et les arrêts thérapeutiques sont équivalents d un point de vue éthique. 10 La réflexion éthique donne au soin une dimension particulière. Elle favorise la relation de confiance entre le patient et le soignant. Elle préserve la dignité et la qualité de vie en se préoccupant de la souffrance du patient, qu elle soit physique ou psychologique. Elle favorise également la cohérence du projet de soin avec la recherche de consensus au sein de l équipe médicale et paramédicale en prenant en considération les impératifs légaux et déontologiques dont la situation requiert, l avis du patient s il est conscient et/ou de ses proches. 9 Extrait de l article «Une éthique infirmière» écrit en 2008 par Jacques Sauvignet. 10 «Limitations et arrêts des traitements ou réanimation d attente?» page 809, SFMU/SRLF

La réflexion éthique nécessite de se poser continuellement la question de l individu dans la relation de soin. La bioéthique s impose aujourd hui au sein des pratiques de soin notamment aux deux étapes extrême de la vie que sont la naissance et la fin de vie. C est ainsi qu en Réanimation elle prend une place considérable dans le processus de réflexion en tentant de respecter au mieux les grands principes qui la compose. Dans l ouvrage intitulé Pinciples of biomedical ethics 11, Childress et Beauchamp déterminent les quatre grands principes éthiques : le principe de bienfaisance, le principe non malfaisance, le respect de l autonomie et la justice. 1.3.3.1 Principe de bienfaisance : C est promouvoir ce qui semble être la meilleure solution pour le patient. Ce principe repose sur le jugement des professionnels qui doivent avoir une attitude attentionnée à l égard du patient. Pour respecter ce principe il nous faut prendre en compte la douleur, souffrance physique et psychologique, la qualité de vie du patient, ainsi que le risque d incapacité de celui-ci voir de décès. Parfois, la bienfaisance exige que l on n intervienne pas auprès du patient afin de ne pas se diriger vers de l obstination déraisonnable qui serait contraire au principe. 1.3.3.2 Principe de non malfaisance : «Primum non nocere» 12 (signifiant «d abord ne pas nuire»), est une locution latine étant le premier des quatre principes fondamentaux d Hippocrate. «Ne pas faire mal» est différent de «faire du bien». Respecter ce principe c est avant tout éviter de causer un préjudice au patient. C est s interroger sur le rapport bénéfice/risque d une situation. Nous nous devons de réfléchir et de prendre la meilleure des solutions pour le patient en évaluant les bénéfices mais aussi les risques des thérapeutiques. L utilisation fréquente de traitement suppléant les fonctions vitales en service de Réanimation met en jeu, voire en conflit ces deux grands principes éthiques. En effet, l utilisation de ces thérapeutiques telles que la ventilation mécanique suite à une intubation ou encore une trachéotomie est très invasive. Ces techniques peuvent être considérée comme des moyens disproportionnés. 11 Pinciples of biomedical ethics écrit en 2001 par S Holm 12 Traité des Épidémies (I, 5) d'hippocrate, daté de 410 av. J.-C.

1.3.3.3 Principe d autonomie : Afin que ce principe soit respecté, nous devons donner un poids aux opinions et aux choix du patient. Pour être autonome le patient doit évaluer ses options rationnellement, en fonction du contexte et connaître les conséquences de ses choix. Ce principe a évolué ces dernières années, laissant derrière lui le principe de paternalisme selon lequel «le médecin a toujours raison». Le principe d autonomie est renforcé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé 13 dite Loi Kouchner dont les grands principes sont la recherche de consentement du patient, la décision éclairée de celui-ci, la qualité des services de soin ainsi que l accès libre au dossier médical. En effet, respecter l autonomie d autrui suppose que cette personne ait reçu toutes les informations nécessaires à la compréhension de sa situation, qu elle les ait comprises et qu elle soit dans la capacité de prendre une décision pour elle-même. 1.3.3.4 Principe de justice : La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé dite Loi Kouchner apporte deux grandes notions répondants au principe de justice. La première étant «Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. [ ] Les professionnels, les établissement et réseaux de santé [ ] contribuent [ ] à garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible» 14. La non discrimination fait également partie intégrante de cette loi : «Aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins» 15 Ce principe éthique doit être utilisé avec prudence car il repose sur un fondement de politique économique principalement établit sur la répartition des ressources et l équité dans les soins. En réanimation, ce principe peut mettre en évidence des difficultés en lien avec la limitation des places dans le service (l engagement est il décidé en tenant compte de l âge d une personne?). Allons nous mettre des moyens en œuvre malgré la situation? La question relève de principe éthique et met en difficulté toute une équipe qui doit prendre la décision la plus juste, la moins mauvaise. 13 Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé, chapitre 1 er article3. 14 Article L.1110-1 du Code de la Santé Publique 15 Article L1110-3 du Code de la Santé Publique

1.3.3.5 Le dilemme Ethique : Aussi appelé «conflit de valeurs», les situations où valeurs et principes entrent en opposition rendent la prise de décision difficile. La réflexion collégiale permet de confronter nos valeurs (qu elles soient personnelles ou professionnelles), nos croyances, et les principes qui nous érigent. En tant que soignant, nous nous devons d arriver à un consensus pour prendre la meilleure décision pour le patient, prenant en compte les tenants et aboutissants de celle-ci. La loi, les décrets, les recommandations ne peuvent que donner un fil conducteur à la réflexion qu impose chaque situation, si singulière soit-elle. Les convictions et les certitudes permettent la prise de position de chaque protagoniste, s engageant ainsi personnellement au risque d être confronté à un avis différent. Le devoir de chacun des acteurs de la réflexion est avant tout d écouter ce que chacun a à apporter dans cette réflexion. L attitude d écoute est essentielle et chaque expression est à prendre en considération, sans précipitation pour arriver à un consensus permettant de prendre la meilleure décision. Réfléchir de façon éthique c est aussi permettre au groupe de mieux comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation, une bonne compréhension favorise le vécu du soignant. A l inverse, garder pour soi une ambiguïté, une interrogation, ne pas comprendre toute la dimension d une situation, peut être vécu comme désagréable voir comme un échec. Nous l avons vu, il est donc nécessaire de mettre en place une réflexion collégiale. 1.3.4 La Collégialité : La loi du 22 avril 2005 donne un cadre légal aux limitations et arrêts des thérapeutiques en réanimation, notamment en ce qui concerne la prise de décision. La décision doit être prise de façon collégiale, c'est-à-dire que le médecin référent du patient dans le service doit prendre l avis d un médecin consultant et doit également consulter l équipe soignante (infirmiers, aides soignants). Cette réflexion, faite en interdisciplinarité, permet une vision holistique du fait de la proximité des soignants auprès des patients au quotidien. La réflexion n est alors plus seulement médicale. En effet, chaque soignant a le droit et même le devoir d exprimer un avis sur le patient et sa situation, cela confronte des éléments de registre différents. Cette réflexion permet alors d aboutir à un consensus avec l accord de tous les acteurs. Rappelons néanmoins que la décision est médicale. La responsabilité, quant à elle, reste divisée car le soignant adhère à la décision et à son application.

Avant de prendre la décision, comme l explicite très clairement la loi et le code de déontologie médicale, le médecin doit avoir consulté le patient, s il est inconscient la personne de confiance, à défaut les proches et avoir pris connaissance des directives anticipées si elles existent. La décision doit prendre en considération la qualité de vie, la dignité et la souffrance du patient. Mais comment peut-on, en tant que soignant avoir la capacité d estimer la qualité de vie d un patient? 1.3.5 Qualité de vie : Le concept de qualité de vie concerne tout à chacun, il est très subjectif et dans un même temps il dépend d un certain nombre de critère. L OMS (Organisation Mondiale de la Santé) donne une définition universelle de la qualité de vie : «C'est la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement.» 16 Dans les LATA (limitation et arrêt des thérapeutiques actives), lors des réunions collégiales, les protagonistes se doivent de prendre en considération la qualité de vie future du patient. Mais comment peut on juger, estimer la qualité de vie quelqu un? Ce qui satisferait une personne ne pourrait-il pas, à l inverse, en mécontenter une autre? C est avant tout cette notion de subjectivité qu il est complexe d aborder en Réanimation, et partout ailleurs. Dans la plupart de mes lectures je retrouve en définition de qualité de vie : l absence d un handicap, l absence de souffrance, l absence de déficience ou de séquelles liées à la maladie et aux traitements. Mais est-ce vraiment la définition de la qualité de vie? Peut on uniquement se contenter de l absence de quelque chose pour dire que «la vie est belle»? La qualité de vie ne serait elle pas plutôt liée au plaisir, à la vitalité, à l énergie que nous allons mettre dans cette vie? Le soignant ne peut il pas à travers de simples critères de santé se tromper sur l estimation de la qualité de vie d un patient? A travers cette réflexion, il me semble essentiel de rappeler la place de la famille lorsque le patient est inconscient, de veiller à ce que ce soit au plus proche de ce qu il aurait souhaité en préservant sa dignité humaine. 16 Définition de l OMS, extraite des «Recommandations de bonnes pratiques professionnelles : La qualité de vie en établissement d hébergement pour personnes âgées dépendantes».

1.3.6 Le respect de la dignité : C est suite à la Seconde Guerre Mondiale que le principe de dignité est né. Elle est parfois associée au respect des personnes, néanmoins, au fil de mes recherches, je me suis aperçue que le respect n est que la conséquence de la dignité. Si l on se doit de respecter tous les êtres humains peu importe leurs valeurs, leurs convictions, leur histoire de vie c est avant tout pour respecter cette dignité dont chaque personne bénéficie de part sa singularité. La dignité n est ni une représentation, ni un idéal, ni un objectif à atteindre, c est en réalité un principe qui vaut pour tout être humain. Le sens de sa propre dignité est le sentiment de ses propres valeurs. La dignité renvoie à la conviction selon laquelle on a le droit d exister, de se différencier, de ressentir, de choisir, de s exprimer, d être. Lorsque l on a le sentiment de perdre sa dignité, c est en réalité corrélé à la perte de l estime de soi. La dignité donne du sens à notre pratique infirmière, elle valorise le patient, le rend acteur de soin, lui donne la perception d être un individu unique. La dignité engage la valeur que l on a de soi mais également celle que l on a envers autrui. (Selon Jean-Philippe Pierron 17 ) Notre travail auprès de l être humain implique une multitude de savoir être et de savoir faire. L humain est un être unique et complexe dans sa façon de penser, dans sa philosophie et sa manière d être. C est ainsi que, dans notre pratique, nous ne pouvons dispenser de soin unique. Les protocoles ne sont que cadres de référence, fil conducteur d une pratique qui n est pas figée dans le temps mais qui évolue au regard de chaque situation et non une fin en soi. En 1999, le Conseil de l Europe identifie le danger que représente l obstination déraisonnable : «Le prolongement artificiel de l existence des incurables et des mourants par l utilisation de moyens médicaux hors de proportion avec l état du malade fait aujourd hui peser une menace sur les droits fondamentaux que confère à tout malade incurable et à tout mourant sa dignité d être humain.» 18 Attenter à la dignité d une personne, c est défier l humanité toute entière. La loi du 4 mars 2002 énonce deux grands principes. Tout d abord : «La personne malade a droit au respect de sa dignité» 19. Enfin : 17 Jean-Philippe Pierron, revue de Médecine Palliative intitulée «La dignité peut-elle se perdre?» septembre 07 vol 6 n 4 18 Assemblée parlementaire, Conseil de l Europe, «Protection des droits de l Homme et de la dignité des malades incurables et des mourants. Recommandations» 1418, 25 juin 1999. 19 Loi n 2002-303 du 4 mars 2002 Article L1110-2 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé

«Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort.» 20 A cette loi j ajouterai que le soignant se doit de respecter la dignité de tout être humain même après sa mort. La valorisation du travail ne passe pas par «l empêchement de la mort» mais par l accompagnement et le soulagement du patient dans la dignité pour une mort plus humaine. 1.3.7 «Total pain» et soins palliatifs : La douleur, voila une notion dont on est sûr qu elle a traversé les siècles et les époques. Autrefois la douleur n était reconnue que lorsqu elle était physique. Les remèdes utilisés pour soulager la souffrance d une blessure ou guérir d une maladie était souvent drastiques et extrêmement douloureux (exemple : cautérisation au fer rouge). La médecine ancienne était alors peu préoccupée de la douleur des patients, allant même jusqu'à la considérer comme étant une réaction saine de l organisme : "quand la blessure cuit, elle guérit" 21. Il faut attendre le XXème siècle pour que le concept de «total pain 22» (douleur globale) prenne un sens. En effet, c est le médecin Cicely Saunders qui développe ce concept, prenant ainsi en considération non seulement la douleur physique mais également la souffrance psychologique. La loi du 4 mars 2002 représente une avancée majeure car elle reconnaît le soulagement de la douleur comme étant un droit du patient : «Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.» 23 En réanimation, les infirmières ne peuvent généralement pas évaluer la douleur avec une échelle numérique étant donné que la plupart des patients sont inconscient. L échelle BPS (Behavioral Pain Scale) est utilisée pour évaluer la douleur d un patient sédaté et ventilé. 24 La douleur est elle aussi une notion très subjective et nous nous devons en tant que soignant de ne pas émettre de jugement personnelle face à la douleur de l individu soigné. Reconnaître «l autre» dans sa douleur, c est respecter cette personne. 20 Loi n 2002-303 du 4 mars 2002 Article L1110-5 21 Dicton populaire de l époque, auteur inconnu. 22 Total pain signifie douleur globale, concept développé dans les années soixante par le Dr Cicely Saunders 23 Loi n 2002-303 du 4 mars 2002 Article L1110-5, cf. sitographie 24 Cf. Annexe n 3 : Echelle BPS