Le droit au compte bancaire en France est-il soumis à une condition de régularité de séjour? En France, «le droit au compte bancaire» a été consacré par la loi du 29 juillet 1998 1 relative à la lutte contre les exclusions. Le législateur français a été guidé par le souci de permettre l accès aux droits fondamentaux aux personnes démunies, considérant que l absence de compte bancaire dans la société contemporaine portait atteinte au droit de vivre dans des conditions conformes à la personne humaine. Le contenu des services de base a ensuite été défini comme suit par décret en janvier 2001 2 : - l'ouverture, la tenue et la clôture du compte ; - un changement d'adresse au maximum une fois par an ; - un relevé de compte au moins une fois par mois ; - la délivrance à la demande de relevés d'identité bancaire ; - la domiciliation de virements ; - la réalisation des opérations de caisse ; - l encaissement de virements reçus ; - l encaissement de chèques déposés sur votre compte ; - le dépôt et le retrait d'espèces au guichet (dans la banque du titulaire) ; - le paiement par prélèvements, titres interbancaires de paiement ou virement bancaire ou postal ; - un moyen de consulter à distance le solde du compte ; - une carte de paiement à autorisation systématique si l établissement de crédit est en mesure de la délivrer ou, à défaut, une carte de retrait autorisant des retraits d espèces hebdomadaires sur les distributeurs de billets de l établissement de crédit ; - deux formules de chèque de banque au maximum par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services. En revanche, le service bancaire de base ne prévoit pas la délivrance d un chéquier ni l ouverture d une autorisation de découvert. Si la banque est d accord pour fournir des prestations qui dépassent le cadre du service bancaire de base, elles sont alors facturées au titulaire du compte aux 1 Journal Officiel n 175 du 31 juillet 1998 page 11679. Actuellement cette matière est réglée par les articles L312-1- à L312-1-4 du Code Monétaire et Financier (loi n 2001-1168 du 11 décembre 2001 art. 13 I 1 Journal officiel du 12 décembre 2001). 2 Décret n 2001-45 du 17 janvier 2001. Français
conditions définies par la convention de compte conclue avec l établissement de crédit. Désormais, toute personne physique domiciliée en France dépourvue d un compte de dépôt a droit à l ouverture d un tel compte dans l établissement de son choix ou auprès des services financiers de la Poste. Dans le système mis en place, les établissements de crédit demeurent toutefois libres de contracter ou non, une procédure spécifique étant insaturée en cas de refus de la part de l établissement choisi. La personne ayant essuyé un refus officiel doit alors saisir la Banque de France par écrit afin que cette dernière lui désigne un établissement bancaire (banque ou services financiers de la Poste) afin de lui ouvrir un compte. L organisme bancaire désigné selon cette procédure devra assurer gratuitement les services bancaires de base. Ce droit au compte bancaire instauré par la loi française est subordonné à deux conditions cumulatives : la personne bénéficiaire doit être domiciliée en France et doit être dépourvue d un compte de dépôt. Par ailleurs, le demandeur souhaitant bénéficier d un tel compte doit accomplir certaines formalités pratiques. Celui-ci doit tout d abord remettre à l établissement choisi une déclaration sur l honneur attestant du fait qu il ne dispose d aucun compte. Il doit également fournir à l établissement bancaire un justificatif de son domicile. Une quittance de loyer, une facture émise par France Télécom ou EDF ou encore une attestation de logement sur l honneur signée par l hébergeant accompagnée d une copie de sa carte d identité constituent un justificatif de domicile suffisant. Les personnes en situation de précarité ne sachant fournir un tel justificatif de domicile peuvent quant à elles demander leur domiciliation auprès d un centre communal d action sociale, d une permanence sociale d accueil ou d une association agréée à cette fin par la Préfecture. Enfin, le demandeur doit fournir une pièce justifiant de son d identité à l établissement bancaire choisi. Cette obligation ne découle pas de la loi sur le droit au compte mais est issue du Code Monétaire et Financier Français 3, qui traduit la directive européenne 3 Article L563-1 du Code Monétaire et Financier (loi n 2004-130 du 11 février 2004 art 70 IV, X, Journal Officiel du 12 février 2004).
relative à la prévention de l utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux 4. Celui-ci impose aux organismes financiers de s assurer de l identité de leur cocontractant par la présentation de tout document écrit probant avant de nouer une relation contractuelle. En vue de satisfaire aux exigences d identification requises par la loi, la production d une pièce officielle comportant une photographie et la signature du demandeur (carte nationale d identité, passeport ou carte de résident) est exigée par les établissements bancaires établis en France en vue de procéder à l ouverture d un compte 5. Le droit au compte bancaire n est toutefois soumis à aucune autre condition, notamment en ce qui concerne la régularité ou non du séjour du demandeur. Ce principe a été rappelé avec fermeté par le Tribunal Administratif de Paris dans une ordonnance rendue en référé le 16 mars 2005 6, à l occasion d une affaire qui peut être résumée comme suit : Une femme de nationalité malgache, mère de trois enfants mineurs, s était adressée à la Poste afin d ouvrir un compte bancaire, sa caisse d allocations familiales conditionnant le versement des prestations familiales à l ouverture d un compte bancaire ou postal. La Poste lui avait refusé cette ouverture au motif qu elle devait présenter au moins une attestation provisoire de séjour. Elle avait alors sollicité de la Banque de France la mise en œuvre de la procédure de droit au compte, mais avait essuyé un nouveau refus également fondé sur cette absence de titre de séjour. Soutenue par une association d aide et de soutien aux femmes rencontrant des difficultés dans leur insertion socio-économique, celle-ci a introduit une requête en référé devant le tribunal administratif de Paris afin que ce dernier se prononce sur la légalité de la décision de refus. Rappelant que les dispositions du Code Monétaire et Financier ne prévoient pas que la désignation d un établissement bancaire soit subordonnée à la régularité du séjour du demandeur, le Tribunal Administratif a considéré qu en fondant son refus sur une condition non prévue par le texte législatif applicable, la Banque de France avait entaché sa décision d une erreur de droit. 4 Directive du 4 décembre 2001 2001/97/CE modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, JOCE L344 du 28 décembre 2001, pp. 76 à 81 5 5 «Règles régissant l ouverture d un compte à vue», Fédération Bancaire Française http://www.lesclesdelabanque.com 6 Arrêt n 050280519 consultable sur le site http://gisti.org/doc/actions/2005/bnf/arret.html
Celui-ci a alors ordonné la suspension de l exécution de la décision attaquée et a enjoint à la banque de France de réexaminer la situation de la demanderesse. Les termes de l ordonnance sont les suivants : «Considérant en premier lieu que Mme XXX soutient sans être contredite que l'absence de compte de dépôt la prive de la possibilité de percevoir les prestations familiales dont elle est allocataire en raison de la présence à son foyer de trois enfants mineurs, et qu'elle ne dispose pas d'autres ressources ; que ces circonstances caractérisent une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative ; Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions précitées de l'article L.312-1 du code monétaire et financier ne prévoient pas que la désignation d'un établissement bancaire soit subordonnée à la régularité du séjour du demandeur ; qu'ainsi la Banque de France qui a fondé son refus sur une condition non prévue par le texte législatif applicable, a entaché sa décision d'erreur de droit ; Considérant que, dans son mémoire en défense, la Banque de France soutient que la décision est également justifiée par l'absence de domicile établi de la requérante, cette dernière ayant indiqué trois adresses différentes ; que si l'administration peut faire valoir devant le juge des référés que la décision dont il lui est demandé de suspendre l'exécution sur le fondement de l'article L.5214 du code de justice administrative, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision, il appartient au juge des référés, après avoir mis l'auteur de la demande, dans des conditions adaptées à l'urgence qui caractérise la procédure de référé, de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher s'il ressort à l'évidence des données de l'affaire, en l'état de l'instruction que ce motif est susceptible de fonder légalement la décision ; que si, pour bénéficier de la mise en œuvre de la procédure de droit au compte, le demandeur doit justifier de son domicile en France, le représentant de l'association Femmes de la Terre a, à l'audience, ainsi qu'il est dit ci-dessus, indiqué que l' adresse rue XXX est celle donnée en début de procédure, que l'adresse au foyer correspond à l'adresse administrative où Mme XXX reçoit son courrier mais qu'elle réside actuellement à l'hôtel ; qu'ainsi, compte tenu des explications apportées, le bien-fondé de ce motif de refus n'est pas établi en l'état du dossier ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité du refus opposé à Mme XXX est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision attaquée, et d'enjoindre à la Banque de France de réexaminer la situation de Mme XXX dans les dix jours suivant la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte»
Le droit au compte bancaire existe donc en France sans aucune condition de nationalité ou de régularité de séjour, le respect de la loi à cet égard étant sanctionné par les Cours et Tribunaux. Toute personne étrangère justifiant de son domicile en France a donc le droit d avoir un compte, à condition que celle-ci puisse établir son identité au moyen de sa carte nationale d identité, de son passeport ou d une carte de résident. Il convient toutefois de noter que ce droit ne prend réellement forme qu une fois que son bénéficiaire a accompli les démarches procédurales requises auprès de la Banque de France. Or, la réalisation de ces démarches peut s avérer un obstacle infranchissable pour certains bénéficiaires potentiels du droit au compte comme les personnes d origine étrangère en statut précaire. Lise Disneur Septembre 2005 Le RESEAU FINANCEMENT ALTERNATIF est un réseau pluraliste de sensibilisation et de solidarité en matière d éthique financière et sociale. Son but est de promouvoir, par un travail d éducation permanente, l éthique et la solidarité dans les rapports à l argent afin de contribuer à une société plus juste et plus humaine. A cet effet, les axes de travail du Réseau Financement Alternatif sont : Informer et sensibiliser le public afin de favoriser l'éthique et la solidarité dans les rapports à l'argent et être instigateur de débats, initiateur de réflexions et développeur de pistes novatrices en matière de finance éthique et solidaire ; Promouvoir le développement de nouveaux outils et mécanismes financiers à caractère éthique et solidaire, inciter les différents acteurs économiques à investir de manière responsable et financer, grâce aux produits solidaires sur lesquels le Réseau Financement Alternatif est partenaire, des projets développés par des organisations poursuivant le même objet. Depuis 1987, plus de 70 associations se sont rassemblées au sein du RESEAU FINANCEMENT ALTERNATIF : L'Aube, La Bouée, le Centre de Développement Rural, Credal, De Bouche à Oreille, Les Ecus Baladeurs, La Fourmi Solidaire, Le Pivot, SAWB Solidarités des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises, Les Ateliers de l Insu, C-Paje, CGé ChanGement pour l'egalité, Ecole des Parens de Liège, la Fédération Laïque des Centres de Planning Familial, la Fondation pour les Générations Futures, la Fondation Saint Paul, Imagine, Infor-Homes Bruxelles, la Ligue des Familles, l'université de la Paix, Les Amis de la Terre, l'association pour la Promotion des Energies
renouvelables APERe, Die Raupe, Inter-Environnement Bruxelles, Nature & Progrès, RESsources, ADEPPI Atelier d éducation permanente pour personnes incarcérées, L'Arche d Alliance Namur, L'Arche en Belgique, L'Association des Ecoles de Devoirs en Province de Liège, ATD - Quart-Monde, La Bastide, La Bobine, Caritas, Centre de Prévention des Violences Familiales & Conjugales, CIAJ -Centre d information et d aide aux jeunes, Equipes d'entraide, Espace Social Télé-Service, Foyer de Burnot, GABS -Groupe d animation de la Basse-Sambre, Habitat-Service, Hydrojeunes, Infor-Veuvage, Mains tendues de Michel Corin, La Marguerite, Le Mouvement du Nid, Point d Appui, Sainte Walburge, Solidarités Nouvelles, Surdimobil, AMPGN -Association Médicale pour la Prévention de la Guerre Nucléaire, GRIP Groupe de Recherche et d Information sur la Paix, La Ligue des droits de l Homme, MIR Mouvement International de Réconciliation, MRAX -Mouvement contre le Racisme et la Xénophobie, SCI -Service Civil International, AFOCO - Apiculture, Formation, Coopération, Autre Terre, Echos Communication, Entraide et Fraternité, FIAN -Foodfirst Information & Action Network, Fondation André Ryckmans, Frères des Hommes, les Magasins du monde-oxfam, Max Havelaar, Médecins du Monde, Peuples Solidaires, SLCD -Service Laïque de Coopération au Développement. Visitez www.rfa.be