Voilà mon univers rouge et humide La nuit où je suis devenu ce que je suis devenu, il faisait très froid. J étais allongé sur mon lit, je venais de vomir mon steak haché et mes haricots mexicains, et tous mes cheveux étaient dressés sur ma tête. Je me suis dit : «Tu dois te laver et puis te raser», mais au lieu de cela, j ai fermé les yeux pour essayer de m assoupir. J ai toujours du mal à m endormir. C est parce que je réfléchis trop. J ai des trucs pour essayer de ne pas penser quand c est l heure de me coucher, mais ça ne réussit pas toujours. La plupart de mes nuits, je suis insomniaque.
Quand je suis éveillé et qu il fait noir, je vois des choses dans ma tête. En général, je me mets à transpirer comme un cochon, et je sens mauvais de sous les bras. Ça me rend dingue. Et cette nuit-là, pareil, j ai pué. Alors, je me suis concentré sur mon odeur et tellement elle était forte, je me suis dit que c était comme du formol. Je me suis forcé à la respirer et à m en enivrer. Je ne sais pas combien de temps j ai somnolé, mais je suis sûr et certain de ne pas avoir rêvé. J ai été réveillé par le bruit d un robinet qu on venait d ouvrir. Il faisait toujours nuit mais je pouvais voir les meubles de ma chambre et même la photo de moi tout petit que j avais accrochée au-dessus du fauteuil, comme en plein jour. Mes dents ont commencé à me faire terriblement mal. Mon voisin du dessus, monsieur Weinstein, a fermé son robinet mais il l a laissé goutter, et pour essayer d oublier la douleur et le froid, je me suis mis à compter les drop-drop. À trois cent vingt-huit, je me suis senti tellement triste que j ai bien cru que j allais pleurer. 5
D habitude, je pleure beaucoup, et longtemps, et fort. Il y a des fois où je finis presque par m étouffer et ça me calme un bon coup. Mais là, pas une seule larme n est venue, c est à peine si j ai eu quelques hoquets. Mes yeux ont commencé à picoter, alors je me les suis frottés très fort, et quand je les ai réouverts, il y avait des étoiles microscopiques dans ma chambre et mon appartement avait pris une autre teinte. J ai levé mes mains devant mon visage : elles étaient rouges avec de petits éclats brillants. J ai eu à nouveau envie de vomir. Je me suis levé, regardant attentivement ma moquette rouge clignotante, mes pieds roses, le rideau cramoisi qui séparait ma chambre-salon-salle à manger-cuisine de ce qui me servait de placard, buanderie, salle de bains et WC. Je n avais jamais vu mon chez moi aussi chic ; c est à peine si je le reconnaissais. Je suis allé tout droit vers le lavabo me poster devant le miroir. Trois quatre bouts de haricots s étaient accrochés à mes joues, mais surtout, mon visage avait imperceptiblement changé. Plus je me suis regardé, et moins je me suis reconnu. Mes grandes oreilles semblaient avoir rétréci, mon nez s était un peu affiné, ma lèvre 6
supérieure avait légèrement gonflé, mes yeux étaient plus clairs et l ensemble de mon visage semblait plus tiré. J ai tourné à droite, à gauche, pour me regarder de profil. Même mes cheveux étaient plus épais et surtout, moins secs Une chose me tracassait : mes dents aussi avaient-elles changé? J ai souri en écartant lentement mes lèvres et j ai été très déçu, car malgré la sensible transformation que je venais de subir, mes chicots étaient toujours aussi pourris. Mes dents sont toutes différentes les unes des autres, il n y en pas une qui se ressemble. Elles me torturent sans cesse, c est un vrai cauchemar, mais pour rien au monde je ne laisserais quelqu un y toucher. Dans ma bouche, c est comme si j avais une grande famille, avec, sur le devant, le papa et la maman. Mon papa est une grosse dent carrée, plutôt banale mais fière et droite, et surtout, indéracinable. Ma maman est une dent fêlée, plus petite, collée au papa. Moi, je suis la troisième dent en partant de maman, celle qui bouge. Et puis il y a le reste de ma famille, avec ma petite sœur, la longue dent du bas, qui essaye de grimper sur ma plus grande sœur, et puis mes oncles et mes tantes, 7
mes cousins et mes cousines. Il y a aussi ma Tata Paula et son mari, Tonton Teddy, à qui, puisqu il est dans la boucherie, j ai attribué celle qui a un gros trou où se logent de petits morceaux de viande. Au fond, cachés sous les gencives, il y a mes grands-parents, mes quatre dents de sagesse qui continuent de pousser sans pouvoir s arrêter et qui me font atrocement souffrir. Plus elles poussent, plus ça se bouscule dans ma bouche et plus ma sœur grimpe sur mon autre sœur et ça fout un merdier pas possible là-dedans. Tout à coup, alors que je m amusais à bouger ma dent, je me suis aperçu que mes canines avaient changé. Oui, elles avaient quelque chose d agressif, de tranchant même, et j aurais presque pu affirmer qu elles étaient identiques. Ah ben tiens, qu est-ce que c est que ça? J ai refermé mes lèvres, j ai pissé, puis je suis sorti de là et j ai allumé la radio. J ai tourné le bouton jusqu à ce que je trouve une chanson sympa. Je me suis déshabillé entièrement, je me suis assis sur mon lit, et après avoir longuement regardé mes cuisses poilues, je me suis mis à me caresser les testicules. Je me suis 8
dit que cette nuit-là, tellement belle avec les étoiles rouges partout aux murs, je durcirai. Mes mains malaxaient tout doucement mes bourses, une à une, puis les pressaient un peu plus fort. Mais rien, toujours plat et mou. Alors, pour me motiver, j ai pris ma plus douce voix, et je me suis parlé : «Allez mon chou, fais-moi durcir cette queue, et après, je la prendrai dans ma bouche et je la pomperai fort. Si tu es bien raide, tu pourras m enculer» J ai continué pendant quelques minutes, jusqu à ce que mon sexe se soulève légèrement. Je me suis immédiatement arrêté, parce que ça, c était un vrai miracle! J ai attrapé mon gland entre mes doigts et je l ai tourné vers moi pour le regarder attentivement. Pas de panique, surtout, pas de pression. Il ne faut pas gâcher. Une pluie rigoureuse s est mise à gicler sur ma fenêtre. Je me suis allongé et j ai regardé chaque cloque de plâtre au plafond. Le monde avait brusquement quelque chose d enchanteur : il était beau et j avais eu une demi-érection. Une certaine tranquillité m a envahi, et comme ça m arrive rarement, j ai eu la trouille. 9
Et puis, alors que j avais de plus en plus peur, j ai senti que quelque chose n allait pas. Immobile, les yeux rivés au plafond, je me suis concentré pour comprendre ce qui m arrivait. Soudain, j ai trouvé : il y avait quelqu un dans mon lit, tout près de moi. Je suis resté figé, j avais très peur. J ai senti son souffle dans mon cou. Immédiatement après, j ai entendu sa voix me chuchoter des choses incompréhensibles dans mon oreille. J ai reconnu le parfum. C était lui, j en étais sûr. Il était revenu. J ai dit c est toi? Mais je n ai pas eu de réponse. J étais cloué sur mon lit, je n ai rien dit d autre, je suis resté immobile en retenant ma respiration. Et puis j ai fini par sombrer dans un sommeil lourd, pendant lequel j ai abondamment transpiré. 10