Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques

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Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Septembre 2015

Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Septembre 2015

Avant-propos Le rapport de conjoncture et de prospective scientifiques de l institut de recherche pour le développement (IRD) est un état des lieux des recherches menées par l institut replacées dans le contexte des grands enjeux de développement des pays du Sud. Il doit aider l institut à élaborer son plan stratégique à l horizon 2020-2025. Ce rapport comprend trois parties : 1 la première situe le cadre de la réflexion en rappelant l importance de la recherche, de la formation et de l innovation notamment dans les pays du Sud, et les missions et spécificités de l IRD dans ce contexte, 2 l a deuxième partie passe en revue les principales questions scientifiques par grands champs de recherche dans lesquels travaille l IRD, en décrivant pour chacun les contributions de l institut, leurs forces et leurs limites, et les recommandations pour l avenir, 3 la troisième partie examine les conditions d une recherche à la fois de qualité et adaptée aux priorités en matière de développement en passant en revue les dispositifs existants et en formulant des recommandations pour les rendre plus performants. Ce rapport a été élaboré par le Conseil scientifique (CS) de l institut avec le concours des Commissions scientifiques sectorielles (CSS), des Commissions de gestion de la recherche et de ses applications (CGRA), et des directeurs et membres des unités de recherche. Les première et troisième parties ont été élaborées en s appuyant pour partie sur des avis et recommandations formulés par le Conseil scientifique au cours des trois dernières années. La deuxième partie a été élaborée à partir des travaux de huit groupes thématiques (un par grand champs de recherche) constitués au printemps 2015 avec des membres des différentes instances et unités et des spécialistes extérieurs à l institut. Chaque groupe a rédigé un rapport détaillé bientôt disponible sur le site internet de l IRD ; une synthèse en a été tirée, éventuellement avec des adaptations, formant à chaque fois l un des chapitres de la deuxième partie du présent rapport. Ce rapport a été adopté par le Conseil scientifique de l IRD le 16 septembre 2015. Pour le Conseil scientifique, Gilles PISON, président du CS Avant-propos Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 3

4 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques

Sommaire Introduction 7 Partie 1 : Orientations pour une politique scientifique...10 1- Une mission originale et actuelle... 10 2- Le périmètre des thématiques de recherche portées par l IRD et sa pertinence... 11 3- La dimension géographique et géopolitique de la politique scientifique de l institut...18 4- Les liens entre la recherche, la formation et le renforcement des capacités de recherche...19 Partie 2 : Conjoncture et prospective scientifiques par grands domaines de recherche...21 1- Santé...22 2- Enveloppes terrestres...29 3- Milieu et biosphère...37 4- Biodiversité et ressources...44 5- Sécurité alimentaire et nutrition...50 6- Identités, territoires et dynamiques sociales...56 7- Science des données et des modèles...62 8- Transition énergétique aux Suds...68 9- La recherche pour le développement, une recherche pluridisciplinaire et trans-sectorielle...77 Partie 3 : Éléments pour une stratégie...82 1- Les dispositifs partenariaux dans les Suds...83 2- L expatriation et les missions de longue durée...85 3- Le positionnement de l IRD dans le contexte français...88 4- La dimension européenne...90 5- Les outils transversaux : observatoires et plateformes...92 6- L évaluation des personnes et des structures...95 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 5

6 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques

Introduction Dans un monde en voie de globalisation, l enseignement supérieur, la recherche et l innovation (ESRI) constituent aujourd hui une priorité très forte des pays émergents (et le développement de l ESRI est d ailleurs loin d être étranger à leur émergence), mais aussi, et de plus en plus, des pays dits «intermédiaires» et des «pays les moins avancés» (PMA). L enseignement supérieur et la recherche «à l international» constituent par conséquent pour un pays comme la France un enjeu majeur sur les plans politique, diplomatique et économique autant que scientifique. Pour des raisons historiques, la France s est dotée d institutions spécialisées dans la recherche dite «pour le développement» 1 et a peu à peu constitué un réseau mondial de partenaires et d implantations dans les pays du Sud et dans l outre-mer tropical français. Ces institutions, en particulier l IRD, et ce réseau constituent une originalité et un indéniable atout qu il s agit aujourd hui de faire évoluer et de mieux valoriser, dans un contexte d accélération de la mondialisation et de développement des dispositifs d enseignement supérieur, de recherche et d innovation sur l ensemble de la planète. La pertinence et l actualité de ces outils de recherche pour le développement ont été soulignées dans plusieurs rapports récents émanant des ministères de tutelle de l institut et de la représentation nationale (en particulier, «Une diplomatie scientifique pour la France», rapport du ministère des Affaires étrangères de février 2013 et «Rapport d information du Sénat sur l action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement» d octobre 2013). Le rapport d inspection de l IRD (IGAE-IGAENR) de mai 2013 relève pour sa part que «la recherche partenariale avec les Suds n a de légitimité que si elle s inscrit dans une logique d excellence de la recherche. D une certaine façon, ce point de vue est partagé par les partenaires des Suds, qui n hésiteraient pas à s adresser à d autres opérateurs si l évaluation de la qualité de la recherche de l institut venait à se dégrader». Le premier objectif d une politique scientifique pour l institut réside donc dans le maintien de ce niveau d excellence, aujourd hui unanimement reconnu. Le statut d EPST, la qualité des recrutements, l insertion au sein de la communauté scientifique nationale à travers les Unités mixtes de recherche (UMR), les ComUE et les Alliances, la capacité des équipes de l IRD et de leurs partenaires à répondre avec succès à des appels à projets compétitifs (ANR, Europe, ) constituent autant d éléments qui permettent d affirmer qu il n y a pas aujourd hui de risque avéré de dégradation du «niveau d excellence» des recherches menées par l institut. Le présent rapport de conjoncture et de prospective scientifiques de l IRD se donne pour objectif premier de faire un état des lieux des recherches dans les différents champs de la «recherche pour le développement» en les confrontant avec les principaux enjeux liés au développement des pays du Sud 2, de présenter le positionnement dans ces différents champs des recherches conduites par l IRD, avec leurs atouts et leurs limites, de dessiner des priorités scientifiques stratégiques pour les années à venir (partie 2). Au-delà d une approche en termes de thématiques, il inclut une réflexion sur les conditions d une «bonne recherche pour et avec les Suds» et propose une analyse critique des outils et dispositifs de coopération scientifique avec les Suds (partie 3). 1. Sans ignorer les ambiguïtés que le terme de «développement» recèle ni les critiques qu il suscite, sans ignorer non plus que la locution «recherche pour le développement» prête parfois à confusion (en suggérant notamment une recherche très appliquée, voire utilitariste), on utilisera dans la suite de ce rapport les termes de «recherche pour le développement» ou «recherche au service du développement» communément employés, en particulier dans le relevé de conclusions du dernier CICID (Comité interministériel de la coopération internationale et le développement). 2. On trouvera dans le chapitre 6 de la partie 2 une réflexion sur ce que recouvre la catégorie des Suds (p. 56) Introduction Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 7

8 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques

Partie 1 : Orientations pour une politique scientifique Résumé partie 1 Héritier d une histoire originale, à la croisée de la recherche et de l aide au développement, l IRD a su se forger une identité forte et conquérir sa place dans l espace français de l enseignement supérieur, la recherche et l innovation (ESRI). Aujourd hui, l IRD peut être défini autour de trois idées-forces : 1. l originalité de ses questionnements et de ses approches, avec une priorité accordée à des recherches plurisectorielles et à l approche comparative, 2. la priorité donnée au partenariat, avec un accent sur la formation et le renforcement des capacités de recherche, 3. une attention extrême portée aux modalités de valorisation des connaissances, notamment au service des politiques publiques. De par son caractère «dédié» à la recherche pour le développement, l IRD a un rôle tout particulier à jouer pour sensibiliser les autres acteurs de l ESRI français (voire européen) à cette finalité d une recherche pensée au service du développement des pays du Sud, pour les inciter à s engager dans cette direction, pour contribuer activement à la coordination des actions dans le domaine. Les thématiques de recherche portées par l IRD correspondent très largement aux priorités affichées par les pays du Sud ainsi qu à certaines de celles des pouvoirs publics en France et en Europe et celles des organismes internationaux. Elles correspondent notamment aux thèmes inscrits dans les Objectifs de développement durable. Parmi les priorités de recherche affichées par les pays du Sud, on peut citer : - le changement climatique, ses mécanismes et ses conséquences ; - les ressources en eau pour l agriculture et l accès à l eau potable ; - la biodiversité (continentale et marine), sa préservation, ses usages ; - le développement agricole, la pêche et la sécurité alimentaire ; - la santé de la mère et de l enfant, la santé de la reproduction, la santé publique ; - le développement du numérique ; - les questions énergétiques ; - la lutte contre la pauvreté ; - les questions d identités culturelles et religieuses ; - les migrations ; - l urbanisation. Compte tenu de l expertise scientifique existant aujourd hui au sein de l IRD, des évolutions de compétences peuvent être proposées mais elles doivent rester ciblées sur un nombre restreint de disciplines ou de thématiques pour lesquelles des embryons existent déjà au sein de l institut. Pour les autres domaines non couverts par l institut, celui-ci doit apprendre à mieux jouer, grâce à ses implantations aux Suds et en liaison avec les postes diplomatiques, un rôle d intermédiaire, de «passeur», entre les demandes des Suds et les communautés scientifiques du Nord compétentes. L attention que l IRD doit porter aux pays les moins avancés d Afrique sub-saharienne et aux pays du voisinage Sud et Est de la Méditerranée ne signifie pas que l institut doive restreindre ses recherches à ces seuls pays. L approche scientifique intègre en effet souvent la nécessité de comparaisons et donc d études menées ailleurs, sur d autres continents et dans des pays émergents. Pour l immense majorité des pays du Sud, la formation constitue un impératif d importance au moins égale à celui de la production de connaissances. Cet accent sur la formation et le renforcement des capacités de recherche aux Suds conduit à une double exigence : - la dimension formation doit être intégrée de manière systématique aux projets de recherche, dès leur phase de montage ; - un partenariat fort doit être maintenu ou développé avec les établissements d enseignement supérieur dans les pays du Sud, mais aussi en France (au travers notamment des UMR et des ComUE). Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 9

1- UNE MISSION ORIGINALE ET ACTUELLE Héritier d une histoire originale, à la croisée de la recherche et de l aide au développement, l IRD a su, au fil du temps, se forger une identité forte et conquérir sa place dans l espace français de l enseignement supérieur et de la recherche. Ce résultat vient notamment de ce que, très tôt, il s est attaché à favoriser le dialogue interdisciplinaire au sein de ses unités de recherche, et a eu l idée de mettre en place des observatoires des milieux et des sociétés qui constituent aujourd hui des sources de données et de connaissances irremplaçables. Au cours des deux dernières décennies, avec le mouvement de globalisation qui n a pas épargné le monde de la recherche, avec les profondes mutations qu ont connues les pays du Sud jusque dans leurs systèmes d éducation et leurs appareils de recherche, l IRD s est trouvé questionné dans ses spécificités et son identité, ce qui l a amené à «se repenser». Aujourd hui, l IRD peut être défini autour de trois idées-forces : l originalité de ses questionnements et de ses approches, avec une priorité accordée aux recherches plurisectorielles et à l approche comparative La «vocation» de l IRD est de mener des recherches dans les différents continents du Sud, en partenariat avec les communautés scientifiques des pays concernés et dans le respect des choix de ses partenaires 1, afin d aider leurs sociétés à être plus à même de répondre aux défis politiques, environnementaux, socio-économiques et techniques auxquels elles sont confrontées dans un contexte de globalisation croissante. Dès lors, les thématiques de recherche de l IRD doivent être problématisées en fonction de ces enjeux et de ce contexte. Elles ne peuvent être que pluri- ou interdisciplinaires, plurisectorielles, combinant les questions qui se posent dans les domaines de l agriculture, de la pêche, de la santé, de l énergie, de l environnement, etc. Les comparaisons faites entre différents contextes environnementaux et humains soumis à de fortes pressions (climatiques, écologiques, sanitaires, socio-économiques, etc.) constituent un moyen privilégié pour comprendre les dynamiques du présent et mieux affronter l avenir. la priorité donnée au partenariat, avec un accent sur la formation et le renforcement des capacités de recherche L adéquation des programmes de recherche aux attentes et besoins des partenaires, et le partage de leurs avancées majeures avec les sociétés concernées, exigent un partenariat «de tout instant», depuis la conception des programmes jusqu à la diffusion des résultats en passant par la réalisation des projets, leur gestion, leur financement et leur évaluation. Dans cette logique, la formation des partenaires et le soutien aux communautés scientifiques des Suds constituent un impératif majeur, indissociable de la production de connaissances ; ils impliquent un partenariat fort avec les établissements d enseignement supérieur, au Nord comme au Sud. 1. D emblée, il faut relever l ambiguïté du terme «partenaire» qui désigne aussi bien le chercheur du Sud avec qui travaille un chercheur de l IRD, le laboratoire de ce même chercheur, l institution abritant ce laboratoire, la tutelle de celle-ci, et finalement le pays-hôte et son gouvernement ; le travail en coopération relève en règle générale d une combinatoire entre ces différents niveaux. 10 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 1

une attention extrême portée aux modalités de valorisation des connaissances, notamment au service des politiques publiques La force de l institut, et ce qui en fait aujourd hui son originalité et sa complémentarité par rapport aux autres acteurs de la recherche et du développement, réside dans l expertise pluridisciplinaire et plurisectorielle qu il a acquise au Sud. Les connaissances qu il a accumulées avec ses partenaires demandent à être pleinement valorisées : ce qui appelle un effort particulier et passe par le maintien et le développement de réseaux scientifiques et d observatoires internationaux dans les différents continents du Sud et par l intégration de ces connaissances au sein de plateformes ou de panels internationaux du type de l IPCC (Intergovernemental Panel on Climate Change) ou de l IPBES (Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Ainsi intégrées, les connaissances pourront être mises au service de la définition de politiques publiques, nationales, régionales ou internationales. Une quatrième dimension peut être ajoutée à cette «carte d identité» de l IRD : elle lui est d ailleurs reconnue explicitement dans le décret organique de décembre 2014. De par son caractère «dédié» à la recherche pour le développement et fort de son expérience, l IRD a un rôle tout particulier à jouer pour sensibiliser les autres acteurs de l ESRI français (voire européen) à cette finalité d une recherche pensée au service du développement des pays du Sud, pour les inciter à s engager dans cette direction, pour contribuer activement à la coordination des actions dans le domaine. 2- LE PÉRIMÈTRE DES THÉMATIQUES DE RECHERCHE PORTÉES PAR L IRD ET SA PERTINENCE Les thématiques de recherche portées aujourd hui par l IRD et ses partenaires sont multiples : le changement climatique et ses impacts aux échelles régionale et locale ; les ressources en eau ; les aléas et les risques telluriques et hydro-météorologiques ; les atteintes à l environnement et l érosion de la biodiversité ; l innovation variétale («l amélioration des plantes»), le devenir des sols et des agro-écosystèmes tropicaux et la sécurité alimentaire ; les littoraux, les ressources marines et leur gestion ; les migrations, les mobilités et l urbanisation ; les politiques de lutte contre la pauvreté ; l articulation entre politiques publiques et pratiques locales ; les questions de genre ; les maladies à vecteurs, les virus émergents, les questions nutritionnelles et les systèmes de santé. La question qui doit être posée aujourd hui est de savoir si ces thématiques répondent ou non à des défis scientifiques, environnementaux et sociétaux majeurs pour les États, les sociétés et les communautés scientifiques des Suds et du Nord. On peut tenter de répondre à cette question à l aune des priorités de recherche affichées par les pays du Sud eux-mêmes, de la politique de recherche nationale française (SNR), des orientations européennes (Horizon 2020) et des priorités mises en avant par les organismes internationaux et les grandes fondations. Les attentes des pays du Sud La priorité octroyée aujourd hui par l immense majorité des pays du Sud à l enseignement supérieur, la recherche et l innovation se traduit le plus souvent par l affichage de politiques, et donc de priorités, de recherche, à travers les ministères, les conseils ou agences publiques en charge de la recherche, et les ministères «sectoriels» (santé, agriculture, etc.). Les éléments rendus publics par ces ministères, conseils et agences, les documents du ministère français des Affaires étrangères et du développement international, mais aussi les synthèses réalisées par les représentants de l IRD, permettent d avoir une vision d ensemble de ces priorités. Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 11

a) En ce qui concerne les priorités de recherche, on peut identifier : - des thématiques qui sont systématiquement affichées comme prioritaires par les pays du Sud, indépendamment de leur niveau de développement socio-économique et de l importance de leur appareil de recherche. Ce sont : le changement climatique, ses mécanismes et ses causes (émissions de gaz à effet de serre-ges), ses impacts régionaux / locaux, les questions de mitigation et d adaptation des sociétés ; les ressources en eau pour l agriculture et l accès à l eau potable ; la biodiversité (continentale et marine), sa préservation, ses usages, les biotechnologies associées (notamment en pharmacologie), son appropriation ; la préservation / réhabilitation des écosystèmes face au changement climatique et aux activités humaines ; le développement agricole et agro-pastoral sensu lato, la pêche et la sécurité alimentaire, l innovation variétale («amélioration des plantes cultivées»), les filières, la transformation des productions agricoles et les biotechnologies associées ; les questions de santé publique, avec un quadruple focus : maladies «tropicales», maladies dites «de civilisation», santé de la mère et de l enfant et systèmes de santé ; les Sciences et technologies de l information et de la communication (STIC), avec une gradation allant de la «simple» réduction de la fracture numérique pour certains PMA jusqu à des problématiques «pointues» de recherche pour les pays émergents (Inde, Brésil ) les questions énergétiques, avec d une part une priorité systématiquement accordée aux énergies renouvelables et d autre part une priorité affichée pour le nucléaire, notamment dans les pays émergents (Afrique du Sud, Inde, Brésil ) - des thématiques qui ne sont affichées comme prioritaires que par certains pays du Sud, pour des raisons qui sont liées, soit au contexte «naturel» (géographique, géologique, climatique, ), soit au niveau de développement. Ce sont notamment : les ressources minières et énergétiques fossiles ; les risques telluriques et hydro-météorologiques ; la recherche «technologique» (métallurgie, matériaux, nanotechnologies, biotechnologies, robotique, ) qui est explicitement considérée comme prioritaire par les pays émergents, mais aussi par un nombre croissant de pays à revenus intermédiaires et certains PMA ; les recherches en sciences sociales ne sont officiellement affichées comme prioritaires que par une partie des pays du Sud. Il y a toutefois un biais dans ce domaine, les SHS se trouvant dans un certain nombre de pays en dehors du périmètre d action des ministères ou organismes en charge de la recherche. Dans ce champ, les thématiques le plus souvent placées en priorité sont la lutte contre la pauvreté, les migrations, les identités culturelles et religieuses et l urbanisation. - enfin, une priorité pour la recherche «fondamentale» dans les disciplines de base, mathématiques, physique (y compris astrophysique), chimie, biologie est clairement affichée par les pays émergents (Brésil, Chili, Mexique, Afrique du Sud, Inde ). 12 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 1

b) Par ailleurs, pour l immense majorité des pays du Sud, la formation (initiale et continue) constitue, et de manière de plus en plus prégnante, un impératif d importance au moins égale à celui de la production de connaissances. Cette priorité revêt des formes variées en fonction du niveau de développement. c) Enfin, et là aussi de manière pratiquement systématique, les ministères et organismes publics en charge de la recherche dans les pays du Sud affichent une priorité forte à l innovation, aux liens entre la recherche et le monde de l entreprise et à l utilisation des résultats de la recherche en soutien aux politiques publiques sectorielles. Il convient donc d aborder explicitement la question de la valorisation des résultats de la recherche. Celle-ci peut passer au travers de la gestion de portefeuilles de brevets, mais ne saurait s y réduire. Elle peut être une réponse à la demande d échanges «recherche entreprises» exprimée par les partenaires des Suds (entre autres, au travers de l expérience des incubateurs). Mais elle doit aussi s exprimer à travers le développement de débats «science sociétés civiles», qui peuvent contribuer aux dynamiques de valorisation sociétale des questionnements et des acquis de la recherche. La Stratégie nationale de Recherche (SNR) et les priorités européennes(h2020) Décidée par la loi du 22 juillet 2013 relative à l enseignement supérieur et à la recherche et élaborée en cohérence avec celle de l Union Européenne, la stratégie nationale de recherche (SNR) vise à répondre aux défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux en maintenant une recherche fondamentale de haut niveau (cf. encadré). Elle comprend la valorisation des résultats de la recherche au service de la société. La SNR a vocation à être révisée tous les 5 ans. Le programme-cadre de recherche Horizon 2020 (2014-2020) de l Union européenne est construit autour de trois grandes priorités : l excellence scientifique (4 programmes : European Research Council (ERC), Future and Emergent Technologies (FET), actions Marie Skłodowska-Curie, infrastructures de recherche) la primauté Industrielle (recherche et innovation dans des domaines technologiques clés, instruments financiers en soutien aux investissements privés en recherche et innovation, innovation dans les PME) les défis sociétaux, qui se déclinent en sept grands enjeux (cf. encadré). Le programme-cadre européen pour la recherche ne dispose plus d un volet spécifiquement consacré aux pays du Sud, mais la coopération internationale fait partie des enjeux transversaux de H2020. Cette coopération s inscrit explicitement dans le cadre multilatéral des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et bientôt des objectifs pour le développement durable (ODD). Tous les pays «tiers» des Suds sont éligibles aux actions lancées par l Europe (hormis les BRICS et le Mexique). Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 13

Les dix défis de la Stratégie nationale de la recherche (SNR) Défi 1 Gestion sobre des ressources et adaptation au changement climatique Défi 2 Une énergie propre, sûre et efficace Défi 3 Stimuler le renouveau industriel Défi 4 Santé et bien-être Défi 5 Sécurité alimentaire et défi démographique Défi 6 Transports et systèmes urbains durables Défi 7 Société de l information et de la communication Défi 8 Sociétés innovantes, intégratives et adaptatives Défi 9 Une ambition spatiale pour l Europe Défi 10 Liberté et sécurité de l Europe, de ses citoyens et de ses résidents Ces défis se déclinent en un certain nombre de «grandes orientations prioritaires» débouchant sur la proposition de 14 programmes d action prioritaires regroupés en quatre grands thèmes : - Données massives (Big Data) Données massives et ingénierie de la connaissance Fiabilité des systèmes complexes Mécanismes de décision Sécurité et cybersécurité des infrastructures - Environnement, Énergie et Développement Durable Système Terre : connaissance, surveillance, prévision Bioéconomie au service des transitions énergétique et écologique Matériaux stratégiques dans une économie durable Transition énergétique pour les territoires - Vie et santé Biologie des systèmes Recherche translationnelle : du laboratoire au patient - Homme et société Espaces urbains rénovés et durables Transports durables Interactions homme-machine Sciences humaines et sociales globales et connectées 14 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 1

Les sept défis sociétaux de l Union européenne (H2020) DS1 - La santé, l évolution démographique et le bien-être ; DS2 - Les défis européens en matière de bioéconomie : la sécurité alimentaire, l agriculture et la foresterie durables, la recherche marine et maritime, la valorisation des ressources aquatiques vivantes, les bioindustries durables DS3 - Les énergies sûres, propres et efficaces ; DS4 - Les transports intelligents, verts et intégrés ; DS5 - La lutte contre le changement climatique, l utilisation efficace des ressources et les matières premières ; DS6 - L Europe dans un monde en évolution : des sociétés ouvertes à tous, innovantes et réflexives ; DS7 - Des sociétés sûres pour protéger la liberté et la sécurité de l Europe et de ses citoyens. Les priorités des organismes internationaux et des grandes fondations L Assemblée générale des Nations Unies vient d adopter en septembre 2015 les 17 futurs Objectifs du développement durable (ODD), qui prendront la suite des 8 Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ces ODD (cf. encadré) s imposeront à l ensemble de la planète et constitueront autant de priorités sur lesquelles se focaliseront l attention et les financements de la communauté internationale dans les quinze prochaines années. Ces Objectifs transcendent les frontières traditionnelles entre pauvreté (OMD) et développement durable (Rio + 20), en regroupant ces deux enjeux dans un même programme d action globale. Le besoin de cohérence et de synergie entre ces deux logiques appelle au renforcement du rôle de la recherche, et en particulier des recherches interdisciplinaires. Le programme d action reconnait d ailleurs explicitement ce rôle de la science, de la technologie et de l innovation (STI) comme moyen essentiel de sa mise en œuvre. En ce qui concerne les acteurs de la recherche et du développement, le paysage international s est considérablement complexifié au cours des dernières années avec, outre les prescriptions des organisations internationales, une intervention accrue de toutes les parties prenantes (associations et organisations non gouvernementales, Forum régionaux et Initiatives internationales, etc.) pour définir les priorités de la recherche. Dans le domaine de la sécurité alimentaire par exemple, le consortium du CGIAR (Consultative group for international agricultural research) installé à Montpellier depuis 2011 et ses 15 centres internationaux relayés par le GFAR (Global forum on agricutural research) sont devenus des acteurs majeurs de la recherche agronomique internationale via leur capacité à lever des financements auprès des grands bailleurs de fonds institutionnels (Banque mondiale, US-Aid, Union européenne, fondations, etc.) pour financer leurs programmes. Les institutions françaises n y tiennent sans doute pas encore toute la place qui devrait être la leur. Les grandes fondations apparaissent de plus en plus comme des acteurs (bailleurs) importants de la recherche pour le développement, qu il s agisse des grandes fondations américaines (Bill et Melinda Gates, Ford, Rockfeller, MacArthur, Mellon, PEW, Hewlett ou Kellogg) ou européennes (Volkswagen, Caixa, Veolia, etc.). D abord limitées aux secteurs de la santé, de la planification familiale et de l agriculture, elles se sont diversifiées et interviennent Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 15

aujourd hui dans de nombreux autres champs : environnement, changement climatique, état de droit et paix, conservation du patrimoine Ces fondations interviennent le plus souvent au travers de programmes de longue durée (15 ans) et de grande ampleur. Les moyens économiques qu elles mobilisent comme leurs modalités d intervention sur le terrain leur donnent la capacité d orienter la recherche vers des objectifs (solutions) qui relèvent de leur propre agenda ou convictions. Il convient donc, pour une institution comme l IRD, de structurer ses interactions avec les fondations en co-construisant avec elles les projets scientifiques sur les thèmes que l institut souhaite porter. Les dix-sept Objectifs du développement durable (ODD) 1. Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde 2. Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l agriculture durable 3. Donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous à tous les âges 4. Veiller à ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d équité et promouvoir les opportunités d apprentissage tout au long de la vie 5. Réaliser l égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles 6. Garantir l accès de tous à des services d approvisionnement en eau et d assainissement et assurer une gestion durable des services en eau 7. Garantir l accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable 8. Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous 9. Mettre en place une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation soutenable qui profite à tous et encourager l innovation 10. Réduire les inégalités entre les pays et en leur sein 11. Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et soutenables 12. Instaurer des modes de consommation et de production soutenables 13. Prendre d urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions 14. Conserver et exploiter de manière soutenable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable 15. Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l appauvrissement de la biodiversité 16. Promouvoir l avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable, assurer à tous l accès à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes 17. Revitaliser le partenariat mondial au service du développement soutenable et renforcer les moyens de ce partenariat 16 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 1

Premières conclusions sur le périmètre des thématiques de recherche portées par l IRD Le périmètre actuel des thématiques de recherche portées par l IRD correspond sans ambiguïté à des priorités affichées par les pays du Sud. Il est également cohérent avec certaines des priorités de recherche affichées par les pouvoirs publics en France et en Europe, ainsi qu avec les orientations des organismes internationaux. Sur ce dernier aspect, le caractère pluri ou inter-disciplinaire des recherches conduites par l IRD donne à l institut une place privilégiée pour contribuer à la mobilisation des savoirs et des connaissances autour des thèmes inscrits dans les ODD et pour appuyer des politiques publiques visant à les mettre en œuvre. Cependant, certaines des priorités et des besoins de recherche des Suds ne sont pas, ou sont insuffisamment couvertes aujourd hui par l IRD : par exemple les questions d énergie, la recherche «technologique», les maladies de civilisation, etc. Se pose donc la question de savoir si le périmètre actuel mérite d être maintenu tel quel ou s il doit évoluer en intégrant de nouvelles thématiques, en en abandonnant d autres. Comme le relevait l AERES en 2010 : «Alors que la stratégie scientifique plaide en faveur d un renforcement des domaines dans lesquels l IRD est déjà fort, la logique de la co-construction appelle à l adaptation permanente et au développement des thématiques qui correspondent aux besoins des pays du Sud.» (Rapport d évaluation de l institut de recherche pour le développement, AERES, septembre 2010). Compte tenu de l expertise scientifique existant aujourd hui au sein de l institut et de la lenteur du renouvellement des compétences, des évolutions peuvent effectivement être proposées mais elles doivent rester ciblées sur un nombre restreint de disciplines ou de thématiques pour lesquelles des embryons existent déjà au sein de l IRD. Pour les autres domaines non couverts par l institut, celui-ci doit apprendre à mieux jouer, grâce à ses implantations au Sud et en liaison avec les postes diplomatiques, un rôle d intermédiaire, de «passeur» entre les demandes des Suds et les communautés scientifiques du Nord compétentes. On peut s interroger aussi sur la pertinence de maintenir au sein de l institut certaines disciplines peu représentées. En tout état de cause, ce sont les thématiques de recherche, définies en relation avec les Objectifs du développement durable, qui doivent présider au choix des disciplines à développer au sein de l IRD, ce qui pourra conduire à maintenir des disciplines actuellement peu représentées. Plusieurs des disciplines présentes au sein de l institut pourront également être redéfinies dans leur contenu et leur dénomination, compte tenu du renouvellement des approches (agronomie vs agro-écologie). Enfin, grâce à son approche pluridisciplinaire des grands enjeux, il apparaît que l IRD est à même de réaliser des synthèses scientifiques ambitieuses sur des thèmes majeurs pour le développement (par exemple sécurité alimentaire, migration et radicalisation ). Des journaux scientifiques de premier plan (Nature, Science, TREE ) sollicitent ce type de synthèses qui peuvent être largement diffusées et avoir un impact important sur les politiques publiques. Ce positionnement est important pour valoriser un ensemble de travaux qui restent souvent ponctuels, en leur assurant une meilleure diffusion. Ces synthèses globales permettront un positionnement plus stratégique de l IRD sur les thèmes majeurs pour le développement. Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 17

3- LA DIMENSION GÉOGRAPHIQUE ET GÉOPOLITIQUE DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE DE L INSTITUT Les choix géographique et géopolitique décidés par les responsables de l institut, établissement public, doivent intégrer les priorités établies par le législateur et les ministres exerçant la tutelle de l établissement. Les décisions et recommandations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), notamment celui du 31 juillet 2013, et le «Rapport fixant les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale», annexe à l article 2 de la «Loi d orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale» adoptée le 24 juin 2014, doivent aider l IRD à tracer sa «feuille de route» en la matière. Il convient cependant d insister sur le fait que la liste des pays prioritaires établie par le CICID renvoie à un objectif politique d aide au développement, et qu elle ne répond pas en elle-même à des objectifs de recherche scientifique. Les choix géographiques de l institut doivent restés pilotés par les questionnements scientifiques, et non l inverse. L IRD doit sélectionner ses implantations d abord en fonction de leur pertinence par rapport aux questions scientifiques posées et des demandes des partenaires. D autres considérations doivent entrer ensuite en ligne de compte, les priorités de la politique étrangère de la France et l histoire de la présence de l IRD bien entendu, mais aussi l état de la concurrence internationale, les complémentarités à construire avec les autres acteurs français et européens, les forces des partenaires locaux, les opportunités de financement, etc. L attention que l IRD doit porter aux pays les moins avancés d Afrique sub-saharienne et aux pays du voisinage Sud et Est de la Méditerranée ne signifie donc pas que l institut doive restreindre ses recherches à ces seuls pays. L approche scientifique intègre souvent la nécessité de comparaisons et donc d études menées ailleurs, sur d autres continents et dans des pays émergents, Par ailleurs, certaines questions scientifiques intéressant ces pays et leurs populations ne peuvent être traitées avec pertinence que sur des terrains spécifiques situés en dehors de ces deux régions prioritaires. En outre, il est tout à fait essentiel pour l institut de soutenir, chaque fois que le contexte politique le permet et dans le respect des choix de politique de coopération définis par les partenaires, la dimension régionale des projets de recherche (et de formation) et le développement des coopérations Nord-Sud-Sud. Les coopérations avec les pays émergents doivent notamment se situer dans cette optique de politique régionale. On pense notamment aux relations du Brésil avec les pays andino-amazoniens et certains pays d Afrique sub-saharienne, de la Thaïlande avec le Laos et la Birmanie, de la République d Afrique du Sud avec son voisinage anglophone et lusophone, etc. Le soutien aux communautés scientifiques des pays les moins avancés et les pays intermédiaires a tout à gagner des coopérations et des synergies avec les pays émergents. Enfin, une dimension importante, et parfois oubliée (cf. par exemple le rapport IGAE- IGAENR de mai 2013), des recherches menées par l IRD dans les régions intertropicales est celle de l outre-mer tropical français. Les implantations de Nouvelle Calédonie, de la Réunion, de la Caraïbe et de Guyane, outre leur intérêt intrinsèque pour nombre de questions scientifiques majeures (climat, biodiversité, maladies à vecteurs, etc.), constituent des plateformes de coopération régionale qu il conviendrait de mieux utiliser, à l instar du rôle des pays émergents évoqué plus haut. 18 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 1

4- LES LIENS ENTRE LA RECHERCHE, LA FORMATION ET LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS DE RECHERCHE Pour l immense majorité des pays du Sud, la formation (initiale et continue) constitue un impératif d importance au moins égale à celui de la production de connaissances. Le rapport du MAE de février 2013 cité plus haut («Une diplomatie scientifique pour le France») affirme pour sa part que «dans le cadre de l effort de solidarité en faveur des pays en développement, le renforcement des capacités scientifiques des pays du Sud, notamment la formation de jeunes chercheurs, l autonomisation progressive des équipes locales, leur insertion dans les communautés scientifiques régionale et internationale et les réseaux d expertise, est un axe prioritaire». Cet accent sur la formation et le renforcement des capacités de recherche aux Suds conduit à une triple exigence : - la dimension formation doit être intégrée de manière systématique aux projets de recherche, dès leur phase de montage ; - un partenariat fort doit être maintenu ou développé avec les établissements d enseignement supérieur dans les pays du Sud, mais aussi en France (au travers notamment des UMR et des ComUE) ; - l IRD doit faire vivre la «palette» de ses outils d aide au renforcement des capacités de recherche des pays du Sud, en l adaptant à la diversité des besoins et à l évolution des situations. Dans le domaine de la formation, au-delà des actions d appui aux masters internationaux (souvent à vocation régionale), aux co-diplomations, aux co-tutelles de thèse, actions que l IRD doit continuer à soutenir vigoureusement par des moyens adaptés aux différentes situations (en fonction des moyens de plus en plus importants mis en place par les partenaires des Suds eux-mêmes), deux points méritent une attention plus particulière : - d une part, la formation, stratégique mais trop souvent délaissée, des personnels, ingénieurs et techniciens de soutien à la recherche ; la présence au Sud d ingénieurs et techniciens de l IRD (en affectation ou en mission de longue durée) doit être mise à profit dans ce domaine au même titre que celle des chercheurs ; - d autre part, le développement d outils pédagogiques numériques et par exemple de MOOC (Massive Open Online Course) ou SPOC (Small Private Online Course), en liaison avec les partenaires universitaires du Nord et des Suds et la plateforme France Université Numérique (FUN). Il y a dans ce champ une opportunité exceptionnelle de faire connaître, de valoriser et de transmettre l expertise des équipes de l IRD et de leurs partenaires. Des premiers efforts ont été faits en ce sens (cf. par exemple le lancement tout récent d un MOOC sur la dynamique des rivières aménagées) ; ils correspondent à une priorité des partenaires et méritent donc d être poursuivis et systématisés. Partie 1 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 19

Partie 2 : Conjoncture et prospective scientifiques par grands domaines de recherche Résumé partie 2 Répondre aux grands défis auxquels l humanité est confrontée suppose des efforts de recherche, de formation et d innovation dans différents champs parmi lesquels huit concernent plus particulièrement l IRD : 1 : Santé 2 : Observation de la Terre et aléas 3 : Milieu et biosphère 4 : Biodiversité et ressources 5 : Sécurité alimentaire et nutrition 6 : Identités, territoires et dynamiques sociales 7 : Science des données et des modèles 8 : Transition énergétique L examen des principales questions scientifiques et des travaux que l IRD conduit dans chacun de ces champs montre cependant que la recherche pour le développement ne se satisfait pas des découpages thématiques traditionnels et laisse apparaître des thématiques transversales comme : - le changement climatique, ses causes et ses conséquences ; - les vulnérabilités et la résilience des sociétés face aux conflits et aux crises ; - les inégalités sociales, économiques et environnementales ; - la biodiversité, sa préservation et son utilisation comme ressource ; - les politiques publiques et leurs effets ; - la transition énergétique et les Suds ; - le numérique, le «Big Data» et les modélisations auxquelles il convient de rajouter des thématiques concernant des systèmes ou des processus comme : - les littoraux en tant que milieux essentiels pour une grande partie des populations des Suds ; - les grandes villes et l urbanisation des Suds ; - les pollutions et leurs conséquences. L organisation de la recherche, à l IRD comme ailleurs, en laboratoires et départements à caractère disciplinaire constitue une difficulté pour l émergence et le développement d approches transsectorielles. La mise en place d une mission transversale pour l interdisciplinarité et l élaboration de grands programmes mobilisateurs trans-sectoriels, ancrés sur une région ou sur une question transversale permettraient de les favoriser. Ces «grands programmes mobilisateurs» devraient être conçus comme des outils de réflexion et d aide à la programmation stratégique pour l institut et, de façon liée, comme des vecteurs de capitalisation, d intégration et de valorisation des connaissances et des compétences, comme l étaient les «programmes pilotes régionaux» (PPR) à l origine (en 2011). Ces grands programmes devraient donner une visibilité et une lisibilité fortes à la politique scientifique de l institut, et lui permettre d attirer des financements extérieurs pour que toutes les équipes impliquées puissent être en adéquation avec cette politique. Porteuse d une ambition internationale, la réflexion portée par ces grands programmes devrait cependant, le plus souvent, se développer à une échelle régionale afin de répondre à la nécessité de contextualiser les questions de recherche et à celle de s articuler aux préoccupations de ses partenaires des Suds. 20 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 2

Des analyses conduites dans la première partie, il ressort qu aujourd hui, l IRD se trouve confronté à une dizaine de grands défis scientifiques et de développement, qu on peut énumérer rapidement en les illustrant par quelques mots-clefs : - La santé : VIH, tuberculose, paludisme et autres maladies à transmission vectorielle, maladies tropicales négligées, transition épidémiologique (maladies «de civilisation»), santé sexuelle et reproductive, politiques de santé, etc. - Les aléas et les risques : conflits inter- et intra-étatiques, crises économiques, virus émergents, risques telluriques, évènements hydroclimatiques extrêmes, impacts des pollutions sur la santé publique, etc. - Les ressources minérales et énergétiques fossiles ; - La variabilité et le changement climatiques : dynamique des différentes enveloppes (océan, atmosphère, surfaces continentales, cryosphère), cycles biogéochimiques et couplages et flux entre enveloppes, reconstitutions paléoclimatiques, rôle des activités humaines - La biodiversité : inventaires, fonctionnement, usages et préservation, devenir dans le contexte du changement climatique et des impacts croissants des activités humaines sur l environnement - L agriculture et les ressources renouvelables : eau, sols, ressources halieutiques, aquaculture, agriculture durable, désertification, etc. - Les sociétés des Suds dans le contexte de la «globalisation» : développement inégal, gouvernance, rapports de pouvoir et institutions, vulnérabilité et adaptabilité, reconfigurations identitaires, éducation et savoirs, migrations et mobilités - L urbanisation : dans ses dimensions politique, socio-économique, environnementale, sanitaire, énergétique, etc. - Le «Big Data» et la révolution numérique ; - La transition énergétique dans les Suds. Toutes ces questions ont été analysées au travers de 8 angles d approche, 8 champs thématiques, qui constituent autant de chapitres de cette deuxième partie : Ch.1 : Santé Ch.2 : Enveloppes terrestres Ch.3 : Milieu et biosphère Ch.4 : Biodiversité et ressources Ch.5 : Sécurité alimentaire et nutrition Ch.6 : Identités, territoires et dynamiques sociales Ch.7 : Science des données et des modèles Ch.8 : Transition énergétique au Sud Dans chacun de ces champs seront présentés les enjeux de la recherche et un état des lieux des connaissances, le positionnement de l IRD dans le champ concerné, les orientations prioritaires à développer par l institut dans les années à venir. La question des énergies ayant été jusqu ici peu pris en compte par l IRD, le chapitre qui lui est consacrée sera volontairement plus détaillé que les autres. Partie 2 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques 21

Comme il l a déjà été dit, la recherche pour le développement ne se satisfait pas des découpages thématiques traditionnels ; elle privilégie la transversalité et l inter-sectorialité, elle se situe aux interfaces. Cette deuxième partie s achèvera donc par une analyse des thématiques transversales (Ch.9). Chapitre 1 : Santé Les maladies infectieuses et la malnutrition ont traditionnellement constitué un objet de recherche important dans le domaine de la santé à l IRD. Ces thèmes se sont naturellement élargis en particulier grâce à l apport des sciences humaines et sociales (SHS) à des approches plus globales portant entre autres sur la santé sexuelle et reproductive, les politiques de santé, l équité, la vulnérabilité, illustrant les compétences pluridisciplinaires de l institut. Enfin, l identification de populations particulièrement à risque, comme les femmes enceintes et les enfants, a également orienté la structuration des recherches en santé de l institut par la création d équipes ou d unités spécifiquement focalisées sur ces populations à travers des programmes de SHS ou biomédicaux. 1- GRANDS ENJEUX Les maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, cancers, diabètes et maladies pulmonaires chroniques) étaient responsables en 2012 de 68 % (38 millions) des 56 millions de décès dans le monde. Les trois quarts (28 millions) surviennent dans les pays à bas et moyen revenus (WHO, 2012) 2 du fait de leur importance démographique, mais les maladies non transmissibles représentent seulement 37 % des décès dans les pays à bas revenus et 57 % dans les pays à moyen revenus. Les maladies infectieuses, qui sont toujours la cause de la majorité des décès dans les pays les plus pauvres, restent des priorités pour la santé publique et le développement. De surcroît, certains cancers tels que le cancer du foie ou celui du col de l utérus, dus à des maladies infectieuses (hépatites virales B et C, Human papillomavirus), sont bien identifiés aujourd hui comme des causes majeures de mortalité dans ces pays et relèvent d approches identiques à celles mises en œuvre pour les maladies infectieuses pour leur prévention. Les pays à ressources limitées se trouvent donc confrontés au double fardeau des maladies infectieuses persistantes et de l accroissement rapide du poids des maladies non transmissibles dites «de civilisation». Maladies infectieuses Les défis s articulent entre contrôle/élimination et émergence et varient en fonction des agents infectieux. - Pour les maladies dites de la pauvreté (VIH, tuberculose, paludisme) et certaines maladies tropicales négligées (MTN), l objectif est celui de l élimination ou du contrôle. Ainsi certaines infections comme le VIH soulèvent la problématique de la prise en charge d une infection chronique et donc des questions portant sur les politiques de santé, la couverture médicale, l équité, les populations vulnérables, etc. Cette chronicisation ren- 2. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs310/en/ 22 Rapport de conjoncture et de prospective scientifiques Partie 2