Commentaire. Décision n 2011-179 QPC du 29 septembre 2011 Mme Marie-Claude A. (Conseil de discipline des avocats)



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Commentaire Décision n 2011-179 QPC du 29 septembre 2011 Mme Marie-Claude A. (Conseil de discipline des avocats) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juillet 2011 par la première chambre civile de la Cour de cassation d une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par une avocate et relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l article 22 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction issue de l article 28 de la loi n 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques. Par sa décision n 2011-179 QPC du 29 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. I. L objet des dispositions contestées La QPC renvoyée au juge constitutionnel portait principalement sur la composition de l instance disciplinaire compétente pour connaître des infractions et fautes commises par les avocats. L article 28 de la loi du 11 février 2004, dont est issue la disposition contestée, a profondément modifié la procédure disciplinaire de cette profession. Avant l adoption de cette réforme, le conseil de l ordre du barreau auquel appartenait un avocat était l organe disciplinaire compétent pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre cet avocat. Par la modification apportée à la loi du 31 décembre 1971, le législateur a voulu tirer les conséquences de la très petite taille de certains barreaux, faisant ainsi un pas vers leur regroupement au plan régional. La loi a donc institué un conseil de discipline dans le ressort de chaque cour d appel. Ce conseil est composé d avocats délégués par chaque conseil de l ordre dans le ressort de la cour d appel au prorata du nombre de ses membres mais aucun conseil de l ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du

2 conseil de discipline et chaque conseil de l ordre désigne au moins un représentant 1. Depuis 2004, la procédure disciplinaire des avocats échappe donc à la compétence d un seul barreau. Toutefois, la réforme exclut expressément le barreau de Paris de l application de cette modification de la procédure disciplinaire. Dans le barreau de la capitale, la procédure disciplinaire reste interne au conseil de l ordre. L article 22-2 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, prévoit que la formation disciplinaire du conseil de l ordre est composée par des membres du conseil autres que le bâtonnier en exercice ou des anciens membres du conseil de l ordre ayant quitté leur fonction depuis moins de huit ans. Il prévoit également que le président et les membres de la juridiction disciplinaire, ainsi que leurs suppléants, sont désignés par délibération du conseil de l ordre. Au total, la différence de régimes applicables aux avocats parisiens et à leurs confrères est circonscrite à deux questions : la composition de la juridiction disciplinaire et la désignation du président de la formation disciplinaire, dans le premier cas par le conseil de l ordre, dans le second cas à la suite d une élection par les membres de la formation. Pour le reste, l organisation de la procédure disciplinaire est uniforme dans l ensemble des barreaux français. II. La déclaration de conformité des dispositions contestées Deux séries de griefs étaient invoqués à l encontre de l article 22 de la loi du 31 décembre 1971 : méconnaissance du principe d égalité devant la justice, d une part, et méconnaissance des droits de la défense, des principes d indépendance et d impartialité des juridictions, d autre part. Ces griefs ont été rejetés par le Conseil constitutionnel qui a jugé les dispositions contestées conformes à l ensemble des droits et libertés que la Constitution garantit. A. Le principe d égalité devant la justice Pour la requérante, en soumettant les avocats inscrits au barreau de Paris à la compétence d un organe disciplinaire composé selon des règles différentes de celles applicables sur le reste du territoire national, le législateur aurait méconnu le principe d égalité devant la justice. 1 Article 22-1 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et article 180 du décret n 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d avocat.

3 1. La jurisprudence constitutionnelle En matière de justice, la protection constitutionnelle du principe d égalité est fondée sur la combinaison de l article 6 et de l article 16 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel examine ensemble la question de l égalité devant la loi, fondée sur le premier, et la question de la garantie des droits de la défense, qui repose sur le second. Ainsi, il juge classiquement que, «si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s appliquent, c est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l existence d une procédure juste et équitable garantissant l équilibre des droits des parties» 2. Dans la présente décision, le juge constitutionnel a toutefois adapté la partie finale de son considérant de principe aux griefs soulevés par la requérante en matière procédurale 3. Cette modulation n est pas inédite puisqu elle avait déjà été opérée dans la décision n 2011-160 QPC du 9 septembre 2011 4. Elle contribue à souligner l étroite imbrication existant entre le principe d égalité et les garanties procédurales lorsque sont en cause des dispositions législatives relatives à la procédure devant les juridictions. En pratique, l égalité devant la justice présente deux aspects qui conduisent à ce qu elle soit examinée soit de manière autonome, soit au travers des garanties des droits de la défense 5. Elle est traitée de manière autonome chaque fois qu une modalité de l organisation judiciaire ou des règles de procédure placent dans des situations différentes des justiciables, qui se trouvent dans une situation procédurale identique. L égalité devant la justice est examinée à l aune des droits de la défense chaque fois qu elle met en cause le droit à une procédure juste et équitable, l égalité des garanties ou l équilibre des droits des parties. 2 Décision n 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc-Roussillon et autres (Article 575 du code de procédure pénale), cons. 4. 3 Voir infra. 4 Décision n 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. (Communication du réquisitoire définitif aux parties), cons. 4. 5 Commentaire de la décision n 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, http://www.conseilconstitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/201015_23qpcccc_15qpcpdf, p. 5 à 8.

4 2. Le rejet du grief L affaire n 2011-179 QPC s inscrivait principalement dans la première hypothèse, dans la mesure où un avocat inscrit au barreau de Paris et un avocat inscrit au barreau d une autre ville de France sont placés dans une situation identique en matière de poursuite disciplinaire. Juridiquement, ils sont justiciables du même type d infractions et encourent les mêmes sanctions que leurs confrères. Dès lors, il incombait au juge constitutionnel de vérifier si la différence de traitement établie par le législateur, d abord, reposait sur des critères objectifs et rationnels, ensuite, poursuivait un intérêt général et, enfin, était en rapport direct avec l objet de la loi. Sur le premier point, le Conseil constitutionnel a rappelé la situation particulière du barreau de Paris qui, à l époque de la réforme de la loi du 31 décembre 1971, avait été maintes fois évoquée dans les travaux parlementaires, et qui est plus que jamais d actualité. Au moment de l adoption des dispositions contestées, le barreau de la capitale réunissait 15 541 avocats, soit près de 40 % du nombre total des avocats inscrits en France. Aujourd hui, ce sont près de 25 000 avocats représentant plus de 42 % de l ensemble de la profession qui sont concernés. Au regard du nombre d avocats inscrits, le Conseil a considéré que le barreau de Paris se trouve dans une situation objectivement différente de celle de tous les autres barreaux. Sur le deuxième point, le juge constitutionnel a considéré que la dérogation parisienne, justifiée par l importance numérique du barreau de la capitale, était en lien avec l objectif de la loi. De façon générale, la réforme de 2004 poursuivait principalement un objectif, annoncé d emblée dans l exposé des motifs : «La réforme de la discipline des avocats était nécessaire pour adapter les textes en vigueur aux principes posés par la Convention européenne des droits de l homme et notamment aux exigences du procès équitable». C est à cette fin que la loi a transféré à une autorité nouvelle instituée dans le ressort de chaque cour d appel le pouvoir de juger des fautes disciplinaires jusque-là dévolu aux conseils de l ordre de chaque barreau. L élargissement du ressort de la juridiction disciplinaire répondait à une exigence élémentaire : garantir davantage l impartialité de la formation de jugement en remédiant aux risques de trop grande proximité entre l instance disciplinaire et ses justiciables. Or, ainsi que le rappelait l exposé des motifs, le nombre des avocats inscrits au barreau de Paris était tel qu il était déjà «de nature à réduire sensiblement le risque de proximité entre la personne mise en cause et les membres du conseil de l ordre».

5 Sur le troisième et dernier point, le Conseil constitutionnel a pris acte du fait que, en réservant un traitement spécifique aux avocats inscrits au barreau parisien, le législateur a cherché à garantir une juste représentation des autres barreaux situés dans le ressort de la cour d appel de Paris. En son sein, les disparités démographiques sont manifestes. Ainsi que le relevait Jean-René Lecerf dans son rapport au Sénat, «si 16 778 avocats exercent dans le ressort de la cour d appel de Paris, les huit autres barreaux concernés (Bobigny, Créteil, Évry, Sens, Auxerre, Meaux, Melun et Fontainebleau) ne totalisent que 7,5 % seulement du nombre total (soit un peu moins de 1 250)» 6. Cet écart se répercute logiquement dans le contentieux disciplinaire : le conseil de discipline de Paris prononce chaque année environ 130 décisions alors que le conseil de discipline de la cour de Paris, hors barreau de la capitale, prononce moins de dix décisions par an. Ainsi que le soulignait Brigitte Barèges dans son rapport à l Assemblée nationale, l application du dispositif de droit commun n aurait pas permis «une représentation équilibrée des autres barreaux implantés dans le ressort de la cour d appel de Paris» 7. Le Conseil a fait droit à cet argument et jugé que le législateur avait effectivement poursuivi un but d intérêt général tenant à une organisation équilibrée en matière de contentieux disciplinaire. Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que le sort particulier réservé au barreau de la capitale était conforme à l objectif de la loi et a décidé que les dispositions contestées respectaient bien l ensemble des exigences relatives au principe d égalité devant la justice. B. Les droits de la défense, l indépendance et l impartialité des juridictions La requérante formulait deux critiques qui touchaient à la méconnaissance de certaines garanties procédurales pour l avocat passible de poursuite disciplinaire. La première critique insistait sur l absence d indépendance existant entre les membres de la formation disciplinaire du barreau de Paris et le bâtonnier qui préside le conseil de l ordre et officie en tant qu autorité de poursuite dans la procédure disciplinaire. La requérante estimait que «l indépendance de la juridiction, au regard notamment de la séparation des autorités de poursuite et de jugement, n est ( ) pas assurée dans la mesure où les membres des 6 Jean-René Lecerf, Rapport fait au nom de la commission des lois, Sénat, n 226, 27 mars 2003. 7 Brigitte Barèges, Rapport fait au nom de la commission des lois, Assemblée nationale, XII e législature, n 1250, 26 novembre 2003.

6 formations de jugement sont soumis à un lien d autorité de fait avec le bâtonnier». La seconde critique évoquait le fait que le conseil de l ordre des avocats au barreau de Paris est l auteur du règlement intérieur du barreau qui détaille, à son article 1.3, les principes essentiels de la profession d avocat, dont le non-respect est, en application de son article 1.4, susceptible d entraîner des poursuites aboutissant à une sanction disciplinaire. La requérante contestait ainsi la confusion, au bénéfice d un même organe, du pouvoir d édicter des infractions et de celui de les sanctionner. À titre liminaire, la première critique visait moins les dispositions législatives critiquées, qui ne font que prévoir la compétence dérogatoire du conseil de l ordre du barreau de Paris, que l article 22-2 de la loi de 1971 qui établit la composition de ce conseil en matière disciplinaire. Ceci étant, compte tenu des liens étroits existant entre les garanties procédurales et le principe d égalité devant la justice, le juge constitutionnel a tenu à répondre au fond à ce grief. Tel n est pas le cas de la seconde critique qui portait, en réalité, non sur une disposition législative mais sur les termes du règlement intérieur du barreau de Paris. Or, bien entendu, la conformité d une loi aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne saurait dépendre du contenu d un règlement intérieur, qui peut, de son côté, comporter des dispositions illégales ou inconstitutionnelles qu il appartiendrait, le cas échéant, au juge compétent de censurer. Le Conseil constitutionnel a donc logiquement précisé que «les termes du règlement intérieur du barreau de Paris sont sans incidence sur la conformité des dispositions contestées à la Constitution». 1. La jurisprudence constitutionnelle Le Conseil a, depuis longtemps, jugé que le principe d indépendance est «indissociable de l exercice de fonctions judiciaires» 8 ou «juridictionnelles» 9. Par la suite, il a fait relever le principe d indépendance des juges non professionnels de l article 16 de la Déclaration de 1789 10. Il a, en effet, rattaché à la garantie des droits proclamée par cet article le droit à un recours effectif, les droits de la défense 11, le droit à un procès équitable 12 et, enfin, l impartialité et l indépendance des juridictions 13. 8 Décision n 92-305 DC du 21 février 1992, Loi organique modifiant l ordonnance n 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, cons. 64. 9 Décision n 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d orientation et de programmation pour la justice, cons. 15. 10 Décision n 2003-466 DC du 20 février 2003, Loi relative aux juges de proximité, cons. 23. 11 Décision n 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l égalité des chances, cons. 24. 12 Décision n 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d auteur et aux droits voisins dans la société de l information, cons. 11. 13 Décision n 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l actionnariat salarié et portant diverses dispositions d ordre économique et social, cons. 24.

7 Ainsi, bien que l indépendance des magistrats judiciaires et celle des juges non professionnels aient un fondement constitutionnel différent (article 64 de la Constitution pour les premiers, article 16 de la Déclaration de 1789 pour les seconds), l existence de garanties légales d indépendance et d impartialité des membres d une juridiction constitue une exigence applicable à toutes les juridictions. Dans le cadre de la procédure de QPC, le Conseil a ainsi censuré la composition des tribunaux commerciaux maritimes où siégeaient des fonctionnaires et des militaires en fonction dans leur administration, laquelle, qui plus est, était l autorité de poursuite 14. En revanche, il a déclaré conforme au principe d impartialité la composition des tribunaux des affaires de sécurité sociale, juridiction civile présidée par un magistrat du siège et dans laquelle siègent deux assesseurs désignés par le premier président de la cour d appel, après avis du président du tribunal des affaires de sécurité sociale, sur une liste établie par les autorités compétentes de l État sur proposition, principalement, des organisations professionnelles représentatives. Pour ce faire, il s est appuyé sur le fait «qu il appartient en particulier au premier président, à l issue de cette procédure de sélection des candidatures, de désigner les assesseurs qui présentent les compétences et les qualités pour exercer ces fonctions ; que ces assesseurs ne sont pas soumis à l autorité des organisations professionnelles qui ont proposé leur candidature ; que l article L. 144-1 du code de la sécurité sociale fixe des garanties de moralité et d indépendance des assesseurs ; qu en outre, la composition de cette juridiction assure une représentation équilibrée des salariés et des employeurs» 15. Plus récemment, le Conseil a censuré des dispositions relatives à la composition des commissions départementales d aide sociale, au regard de l exigence selon laquelle, d une part, un fonctionnaire ne peut siéger dans une juridiction qui statue sur des questions relevant de l activité des services auxquels il participe et, d autre part, l élu de l assemblée délibérante d une collectivité ne peut siéger dans la juridiction qui statue sur un litige dans lequel cette collectivité est partie 16. 14 Décision n 2010-10 QPC du 2 juillet 2010, Consorts C. et autres (Tribunaux maritimes commerciaux). 15 Décision n 2010-76 QPC du 3 décembre 2010, M. Roger L. (Tribunaux des affaires de sécurité sociale), cons. 9. 16 Décision n 2010-110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. (Composition de la commission départementale d aide sociale).

8 2. Le rejet des griefs En premier lieu, le juge constitutionnel a constaté que l article 22-2 de la loi du 31 décembre 1971 établit que le bâtonnier du barreau de Paris n est pas membre du conseil de l ordre siégeant comme conseil de discipline. Il ne participe donc pas à la formation disciplinaire. Le grief tiré de l absence de séparation entre l autorité de poursuite et de jugement a donc été écarté. En second lieu, le Conseil constitutionnel a considéré que la circonstance que les membres de la formation disciplinaire du conseil de l ordre soient désignés par ce même conseil, dans la formation présidée par le bâtonnier, n était pas de nature à prouver que ce dernier exerce une «autorité de fait», susceptible d affecter l indépendance et l impartialité des juges disciplinaires. Si, dans une affaire particulière, la question de la partialité d un juge disciplinaire à l égard du bâtonnier est susceptible de se poser au regard des liens qui les unissent, on ne peut condamner en tant que tel le dispositif de désignation des membres des formations disciplinaires. Par conséquent, la seule circonstance que le bâtonnier préside le conseil de l ordre qui désigne les membres de la juridiction disciplinaire, qui n est pas propre au barreau de Paris, ne méconnaît pas, en ellemême, les exigences constitutionnelles d indépendance et d impartialité des juridictions. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n 2011-179 QPC du 29 septembre 2011 a donc rejeté l ensemble des griefs et jugé l article 22 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques conforme à la Constitution.