INNSBRUCKER BEITRÁGE ZUR KULTURWISSENSCHAFI'



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INNSBRUCKER BEITRÁGE ZUR KULTURWISSENSCHAFI' 1m Auftrag der Innsbrucker Gesellschaft zur Pflege der Geisteswissenschaften herausgegeben von WOLFGANG MEID Sonderheft 93

LA CHANSON FRANCAISE CONTEMPORAINE POLITIQUE, SOCIÉTÉ, MÉDIAS Actes du symposium du 12 au 16 juillet 1993 a l'u niversité d'innsbruck, Edités par URSULA MATIDS avec la collaboration rédactionnelle de BIRGIT MERfZ-BAUMGARfNER Deuxieme édition revue et corrigée INNSBRUCK 1996

Gedruckt mit Unterstützung des Bundesministeriums filr Wissenschaft, Forschung und Kunst in Wien TABLE DES MA TIERES Weiters danken wir folgenden lnstitutionen für ihre freundliche Unterstützwtg: Amt der Tiroler Landesregierung (Kulturabteilung) lnnsbrucker Universitlltsfonds Universitlltsbund Jnnsbruck Ministere fra is des Affaires Etrangeres Institut F s. lnnsbruck Direction de la Coopération Culturelle et Linguistique Gesellschaft für Kanada Studien Tiroler Sparkasse Bank AG UrsuJa Mathis Avant-Propos................................. 9 Autour de r U tlwmiti 1/'éti de lll clulnwn fra tpds Hans Mose: DisooUJS d'ollvéil'tufe du Re<:teur....................................... 9 André Studet Discours d'ouvenure du Direc-teur du Bureau de Coopération Lingu.istique et Educative de Vlenne... Jean-Marc T............... 21 Table Ronde. Présenoc de la cb.anson!se dáns les pays de langue alletnande... 25 Tií.elfoto (Peter Mertz): Sapho in Concert Treibhaus lnnsbruck 1994 Olantat Ori.mm (alias Chantal Brunschwig) Aulour des Cinquonte Ans de ckan.wrr fronfolse de Lucien IUowt... 35 ISBN 3-85124-176-6 Qu at--ee qu'une "c:llaoson"? Robert Oiroux Chanson et sénúologie......-... 41 La daallson fran e contemporatne! pohtiqqe, sodété, méd.l1s 2. Auflage 1996 Verlag des lnstituts lilr Sprachwissenschaft der Universitllt lnnsbruck Te.xtverarbeitung und Herstellung der Druckvorlage Mark LOIDer, lnnsbruck Umschlaggestaltung: Peter Mertz, lnnsbruck Druck: AKAPRINT Nyomdaipari Kft. Budapest. 9622419 Auslieferung durch: louis-jean Calvet Quel temps fera-t-il sur la chanson ise? A propos des courants actuels de la chanson ise... Jean.Ciaude Kltin Ch.anS.OB et sodété: une passion lianl;< ise?... Wolfgang Asho1t -... -............... 63 Chanson et politique: histoire d'une coexistence mouvementée......... 11 SS Institut für Sprachwissenschaft der Universitllt lnnsbruck A-6020 Innsbruck, Innrain 52

Hinrich Hudde Une lnconnue célebre: La Marsei/laise. Analyse du texte, suivie de quelques marseillaises du Quatorze Juillet... 91 Jean-Marie Jacono Pour un panorama du rap et du raggamuffin franvais...... 105 Un coup d'oeil sur la chanson francophone du Québec Robert Saucier Ebauche d'une histoire de la création et de l'usage social de la musique populaire enregistrée au Québec................. 125 ATELIERS La chanson fran aise contemporaine et la politique Jean-Claude Klein La chanson politique: le cas du P.C.F.... 151 Jean-Marc Terrasse Gaullisme et chanson en France..................... 161 Wolfgang Asholt Chanson et politique: la question de l'immigration............... 175 Louis-Jean Calvet La voix dans la chanson: quelques questions en marge de quelques rencontres............................ 255 Andrea Oberhuber La génération clip: de t'explosion de l'image au temps des médias......... 263 Un coup d'oeij sur la chaoson francophone du Québec Robert Giroux Engagement ou refus de l'engagement dans la chanson québécoise modeme......................... 275 Robert Saucier Un parcours exemplaire des dix demiéres années au Québec: Madame... 295 La chanson rran aise contemporaine dans une perspective didactique Séda Azadiguian Les lnconnus. Chanson et parodie............ 307 Gérard Albéric - Birgit Mertz-Baumgartner Approches pédagogiques de la chanson franyaise... 319 Chantal Grimm La chanson comme écriture. Atelier d'écriture de chanson et de rap.... 329 Jean-Marc T errasse Le populisme dans la chanson franvaise. De Damia a Renaud, aux Garyons Bouchers et aux Négresses Verles................... 205 Les intervenan1s... 337 Registre des noms..._...-.. 341 Registre des chansons el des oeuvres littéraires..."........._....... 351 Jean-Marie Jacono lntroduction aux musiques de rap. Atelier d'écoute et d'analyse...... 223 Louis-Jean Calvet Le rap, une parole urbaine. Notes sur un atelier d'écoute...... 235 La chanson rran aise contemporaine, la société et les médias Andrea Oberhuber "11 n'y a pas que des chansons d'amour": Colette Magny - Sapho- Patricia Kaas... 241

Ursula Mathis Avant-Propos "Le délicieux affrontement de deux mondes linguistiques, de deux styles", une citation tírée de ce volume (p. 20), traduit a merveille l'intention de base de cet ouvrage. La premiere Université d'été de la chanson fran aise, qui a eu lieu du 12 au 16 juillet 1993 a l'université d'lnnsbruck, réunit a la fois universitaires et non-universitaires, professeurs et étudiants, professionnels de la chanson et amateurs. Elle s'est proposé comme but de donner la parole a des spécialistes de provenance tres variée, littéraires, linguistes, musicologues, historiens, sociologues et joumalistes. Elle a opté pour deux styles de discours, la conférence et l'atelier, et elle a invité les participants a savourer la chanson a travers deux modes artistiques, le son et l'image, le concert et l'exposition. Pendant une semaine se sont réunis a lnnsbruck dix-sept spécialistes de cinq pays, un public de 150 participants et des artistes: Teresa Vert, Peter Blaikner et Sapho. Le présent ouvrage rassemble les conférences des séances pléniéres et les ateliers, a l'exception des deux communications de Rolf Kloepfer et de la conférence de Lucien Rioux. La variété des approches proposées est tributaire de la pluridisciplinarité tant réclamée comme conditio sine qua non a toute analyse de chanson. Par contre,la synthese des perspectives, des méthodes de travail et des discours portés sur la chanson est censée circonscrire le "lieu central" de ce que nous avons qualifié ici de "chanson fran aise contemporaine". Le titre de ce livre peut paraitre ambitieux: meme une vingtaine de contributions ne peuvent pas prétendre a rendre justice, une fois pour toutes, au vaste domaine de la "chanson fran aise contemporaine". On devra done toujours re gretter les!acunes et les manques, bien qu'une définition du terme "contemporain" puisse montrer que les actes de cette Uníversíté d'été de la chanson fl'an aise comblent en effet un vide. Si depuis les années quatre-vingt au plus tard la chanson a eu acces a la gloire de la recherche et de colloques universitaires, meme les publications les plus sérieuses n'accedent que tres rarement aux "post-sixties" ou a "l'apres-1975", comme nous l'avons signalé dans le programme du colloque. Les actes signifient done, d'une part, une importante ouverture temporelle, d'autre part, ils mettent en relation- relation provocatrice - cette contemporanéité et ce qu'on lui nie le plus: la conscience politique et la volonté de prendre un engagement. Ou en sommes-nous en cette année 1994? La soi-disant disparition du politique est-elle absolue et sans remede? Les deux autres termes, par contre, qui figurent dans le sous-titre, surprennent et provoquen! certainement moins: les médias comme éléments constitutífs de la production culturelle et le reflet de la vie des sociétés dans l'oeuvre d'art sont des évidences bien connues et généralement acceplées, qui inviten! pourtant a etre réexaminées a la lumiere de l'actualité. En ce qui conceme le qualificatif "fran9ais", nous sommes bien conscients d'un malentendu imminent. En effet, bien que domine la chanson hexagonale,la

10 Avant-Propos chanson francophone du Québec est présente, elle aussi, représentée par deux spécialistes et trois interventions. D'autre part, le fait qu'un seul pays franco phone ait été choisi ne signifie pas que les autres soient négligés, mais s'explique tout simplement par l'intéret que le Département de Langues Romanes de l'uni 35 000 litres de de 3 500 sont de pro versité d'lnnsbruck voue aux études québécoises. Or, panní les chansons de la collection Textmusik in der Romanía, plus venance québécoíse, fait unique en Europe. Et si "franyais" n'a pas été remplacé par l'expression "de langue fran4taise", ce n'est pas par manque de respect ni dans le but d'une annexion culturelle tardive, mais en tant que concession a la facilité de lecture. Un demier point mérite d'etre mentionné: si nous avons fait et faisons la différence entre "conférence" et "atelier", cette distinctíon répond a notre volonté de nous adresser a la fois a des chercheurs et veulent tableaux de fond, riches en a des praticiens. Les conférences se informations et en références bibliogra phiqes, traduisant les résultats d'une recherche des plus actuelles; l'article sur le rap, par exemple, couvre meme l'évolution la plus récente. Les textes des ateliers, par contre, poursuivent un but différent: ils sont basés sur l'expérience vécue de l'université d'été et ont été adaptés par leurs auteurs aux conventions d'une publication de recherche. lis s'adressent - non pas uniquement, mais entre autres - aux enseignants et reproduisent in extenso les textes des chansons; en '? plus, ils indiquent les sourc s discographiquc:s de mani re a faciliter le vail.. classe. En principe, les atehers sont structures de man1ere 1denttque, meme SI a \'intérieur on découvre une variété considérable de perspectives et de méthodes de travail. Et si a quelques-uns de nos lecteurs un plus grand degré d'unifonnité peut paraítre souhaitable, nous avons opté en toute conscience pour le charme de la diversité. Que chacune et chacun ajoute son propre accent! Néanmoins, pour faciliter la lecture de cet ouvrage, nous proposons, par la suite, un "tour guidé" de la Table des matiéres. franraise, est un hommage a Autre facette de ce chapitre d'introduction: le compte rendu de la conférence - et des Cinquante ans de chanson fran aise de Lucien Rioux, qui évoque!'un Université d'été. Je tiens a remercier des moments particuliérement forts de cette Chantal Brunschwig pour cet acte de reconnaissance envers l'un des plus grands connaisseurs de la chanson fran4taise contemporaine. Qu'il ait accepté - malgré un état de santé précaire - de se joindre a nous, restera parmi nos souvenirs les plus émouvants. La deuxieme partie, qui réunit les conférences des séances plénieres, aborde le théme central sous trois perspectives différentes: dans un premier temps, Ro bert Giroux examine l'objet "chanson"; dans un deuxiéme temps et conformé ment au leitmotiv du colloque - l'interaction entre chanson, politique, société et médias -, sont traités les courants actuels de la chanson et certains aspects histo riques; dans un troisieme temps enfin, Robert Saucier nous fait quitter I'Hexa gone pour nous initier a la situation du Québec et approfondir en quelque sorte une idée qui sous-tend la plupart des communications: celle de la contribution des médias a la constitution de la chanson comme phénoméne culturel. Pour revenir a notre objet d'étude, Robert Giroux de l'université de Sher brooke part de la sémíologie structurale pour aboutir a une sociologie des pra tiques culturelles, dite "sémio-sociologie". En marquant la différence entre chanson (en tant que produit) et une la chanson (en tant que pratique), en juxtapo sant l'approche interne et descriptive, basée sur l'interaction de quatre rhéto riques, et le point de vue exteme qui insctit l'objet dans une pratique globale, i1 sensibilise le lecteur non seulement a la complexité de l'objet, mais aussi au fait que l'objet change des qu'il est per4tu comme faisant partie d'un "champ de pro A vec Louis-Jean Calvet nous envisageons d'été de la chanson tous ceux qui ont eu le courage de s'embarquer Université d'été de la chanson fram;aise. Elle ne se veut pas académique, mais cherche tout simplement a restituer une ambiance. Les participants y trouveront les discours d'ouverture et ils y trouve ront également la Table Ronde qui résume de maniere symptomatique les constantes de la réception faite a la chanson fran4taise dans les pays gennano phones: selon les trois intervenants, tous des professionnels de la chanson, i1 serait souhaitable que le mot "chanson" ne cesse pas de se confondre avec chan a dans leurs analyses des classiques comme Georges Brassens ou le phénoméne de l'auteur-compositeur-interpréte tout court. la chanson franyaise a propre ment parler en tant que pratique culturelle, pratique culturelle de notre temps. dans )'aventure de cette premiére son 11 duction". * La premiere partie des actes, Autour de 1' Universilé Ur.mla Mathis texte, chanson Jittéraire, chanson de tradition, de goüt, de valeur, et cette "littérarisation" de la chanson implique forcément - et malgré le nombre impres sionnant de voix nouvelles - l'appréhension inquiete de sa déchéance certaine. Selon toute apparence, le public allemand continue done de méconnaitre ce qui, en France aujourd'hui, est synonyme de "chanson", explicité ici mem d ns l' r ticle de Jean-Claude Klein. Et i1 apparait comme une coincidence stgmficat1ve si, par la suite, des collegues franc;ais vont détróner, ou pour le moins "re-situer", Sans perdre de vue l'oscillation fragile entre "tradition" et "mutatíon", et con trairement aux craintes souvent articulées par les amateurs de la chanson qui considerent que sa diversité est en danger, Louis-Jean Calvet releve des ten dances extremement vatiées: continuation de la "bonne chanson", prolongation du yé-yé dans le rock et "neutralisation" de l'opposition entre chanson et rock; retour aux sources populaires et recours a des instrumentations "exotiques"; dis parition de l'engagement et réapparition du politique dans le rap, chanson a texte engagée. Tous ces phénomenes s'inscrivent sur un tableau de fond caractéri é par le retour a un son plus "intime", apres les exploits techniques de la décenme précédente, mais aussi par le confinement toujours sensible de la femme a son domaine traditionnel de l'interprétation. Cette premiere grille de lecture posée sur les sous-genres, les fonctions et les publics de la chanson contemporaine est, par la suite, ramenée a ses racines: Jean-Claude Klein et Wolfgang Asholt choisissent une optique diachronique de l'état des choses. A travers une breve histoire de la chanson en quatre étapes, Jean-Claude Klein esquisse l'émergence du produit "chanson" de la société fran yaise du 19eme siecle, polatisée entre le peuple et ses élites, entre le milieu rural

12 Avanl-Propos Ursula Ma1his 13 et le milieu citadin. Apres la période de transition de l'entre-deux-guerres, avec une premiere manifestation de la chanson étrangere et de la technologie, l'invention du microsillon deviendra décisive pour l'art de masse de "l'age d'or de la chanson". Accompagné d'une releve artistique qui, dans un but éducatif, recherche les références a la haute culture, cet age d'or n'est pourtant pas, pour Jean-Claude Klein, le non plus ultra de la chanson fran aise, mais tout simplement "une concordance des temps entre la technologie, l'industrie culturelle et les attentes du corps social" (p. 69). La "postérité des sixties" (p. 69), en fin de compte, la période que nous désignons ici de "chanson fran aise contemporaine", s'avere une période de perte de prestige pour la France, de mondialisation et d'acculturation, période aussi qui met en question l'identité fran aise et le terme consacré de "chanson". Apparaissent des mots comparses tels que rock, pop, variété ou musique du monde, avec des proximités plus ou moins prononcées des standards intemationaux. Ainsi, ce n'est pas la place de la chanson dans la culture des Fran ais qui est en cause, rnaís plutót "le potentiel d'attente que les Fran ais continueront, ou non, a investir dans une chanson s'exprimant dans leur langue" (p. 75). Ce n'est pas la place de la chanson qui est en cause, affirme également Wolfgang Asholt, mais - a l'exception de la chanson de l'inunigration - le statut de la chanson dite "politique". Wolfgang Asholt passe en revue les temps forts de la chanson politique a travers l'histoire, avec des détails trop riches pour etre résumés ici. 11 propose une définition selon laquelle sont acceptées conune politiques "toutes les chansons voulues comme telles par leurs auteurs ou leurs chanteurs, écoutées ou utilisées conune telles par leur public, ou transformées ainsi par une situation historique qui les charge d'une signification supplémentaire" (p. 78). Il faít ressortir, par la suite, les cas modeles dé ces différentes acceptations du mot, tout en démontrant les constantes de l'engagement chansonnier: aínsi, les concerts de solidarité ne reviennent pas aux temps modemes, mais remontent a la Commune. Constantes aussi dans les "post-sixtíes" qui s'annoncent dans l'industrialisation des institutions de l'apres-guerre et dans l'apparition de l'auteur-compositeur-interprete individue! qui, a!'origine, en tant que "moi" et a des degrés divers, s'oppose a cette industrialisation de la culture. D'autre part, les années quatre-vingt avec leurs textes vaguement poétiques plutót que politiques sont nettement imprégnées du déclin du politique. Cette dépolitisation atteint un tel degré que paradoxalement le chanteur redevient utilisable pour les buts de la campagne électorale, tout conune la plupart des concerts de solidarité ne respecten! pas sérieusement les besoins des victimes chantées. Néanmoins, la crainte d'un avenir difficile de la chanson politique est relativisée par les multiples rnanifestations de la chanson antiraciste qui, depuis 1973, connait sa propre histoire et dont!'une des facettes les plus fascinantes, le rap, sera illustrée par la suite dans les articles de Jean-Marie Jacono et Louis Jean Calvet. Si Jean-Marie Jacono analyse un phénomene contemporaín d'interaction entre chanson, politique, société et médias, Hinrich Hudde, a l'occasion du Quatorze Juíllet, choisit de commenter un exemple historique, la "chansonsigne" qu'est devenue La Marseillaise. Hinrich Hudde est un pionnier de la lecture critique du texte, "texte ultra-célebre, rnais peu sur" (p. 92), et il releve entre autres le style pathétique, le vocabulaire choisi, les alexandrins du refrain et les images-clé de l'hymne national, tous des constituants textuels qui jurent avec la simplicité tant vantée du chant. L'hymne national des Fran ais doit done son succes a l'air plutót qu'a ses paroles qui, rnalgré des rapprochements tardifs et malhabiles a un ton plus collectif, restent "au-dessus du peuple" (p. 96). Parmi les 200 contrafacta de la Marsei/la ise, Himich Hudde cite, pour termíner, les tres rares exemples qui parlent des événements du Quatorze Juillet. Si Hinrich Hudde souligne le fait que "le peuple a accepté des paroles quí n'étaient pas les siennes" (p. 95), cette constatation s'applique aussí, dans la plupart des cas, au rap dont MC Solaar révele dans ses interviews les secrets et finesses de la production textuelle. Le musicologue Jean-Marie Jacono, pionnier lui aussi, brosse un tableau complet de ce "courant important de la chanson fran aise" (p. 105). Partant d'un survol historique ou sont traitées les nouvelles techniques de composítion et de performance ainsi que les conditions sociales et économiques quí ont provoqué la naissance du rap aux Etats-Unis et en France, Jean-Marie Jacono s'efforce de mettre en relief la richesse du phénomene, créé a!'origine par des jeunes d'origine étrangere. Il distingue entre le rap a proprement parler et le raggamuffin qu'il cherche a différencier selon les themes traités, les techniques employées et d'éventuelles affinités avec la danse. Dans les deux cas, pourtant, sont soulignés l'élaboration des textes, souvent contestataires, et plus encore l'intéret musical. L'esthétique de la citation, a!'origine de la musique électro-acoustique contemporaíne, la nouvelle dimension temporelle qui demande de nouveaux critéres musicaux d'analyse et le jeu du régulier et de la rupture contribuent a créer une chanson qui, de par sa complexité croissante, semble de plus en plus sortir du ghetto des banlieues: une chanson largement politique, reflet d'une société de mínorités qui conunence a "intégrer" l'élément de revendication meme, une chanson aussi qui a dfi vaincre le refus des médias et qui utilise, a ses propres fins et de maniere innovatrice, les médias de masse existants. Avec l'artic\e de Robert Saucier, l'optique change completement. Ce ne sont ni \'objet "chanson", ni ses sous-genres, ni ses auteurs, ni ses interpretes qui déterminent ses développements, rnais les rapports multiples et diversifiés entre techno\ogie et culture musicale populaire au Québec. Dans un parcours détaillé, Robert Saucier esquisse les principales étapes sur ce chemin et fait découvrir au lecteur l'histoire des supports médiatiques, des premiers enregistrements "au passage de plus en plus complet de l'analogique au numérique, a toutes les étapes de la production et de la reproduction" (p. 144). En meme temps, íl trace un tableau vivant de la musique populaire au Québec depuis les débuts du siecle: musique populaire jouée en spectacle et vécue collectivement, premieres vedettes, premieres émissions de radio qui se proposent de "québéciser" la chaoson, Cahiers de la Bonne Chanson, Nuits de Montréal, Les Bozos, pour aboutir en fin a ''l'age d'or" de la chanson québécoise dans les années soixante-dix. Contrairement a "l'age d'or" de la chanson fran aise, l'age d'or de la chanson québécoise connait d'énormes rassemblements de milliers de spectateurs dans une ambiance enthousiaste et politisée, imprégnée d'un nouveau sentiment d'identité nationale. La décennie qui suit est caractérisée par un certain refroidissement, un "silence des intellectuels" (p. 138), tandis que les années quatre-vingt-dix voient

14 Avant-Propos tinalement émerger une industrie nationale du disque, la conquete de I'Hexagone et une nouvelle diversité de la chanson qui n'exclut pas la chanson a tendance politique. La troisieme partie des actes regroupe les ateliers, et tout d'abord ceux qui ont pour sujet, dans un sens trés large, le rapport entre la chanson et un contexte politique précis. Ce contexte peut etre foumi par l'histoire d'un partí, par le rayonnement d'un personnage historique ou un!heme de l'actualité. Les intervenants de I'Unive1:vité d'été ont choisi, en guise d'exemples, le général de Gaulle, le P.C.F. et le theme de l'immigration, ce demier repris et approfondi dans deux études sur le rap sous les aspects identitaire, langagier et musical. A cela s'ajoute le theme du populisme qui pourrait tout aussi bien figurer dans la section "La chanson fran aise contemporaine,la société elles médias". Dans tous ces ateliers, la connaissance de faits politiques et sociaux, de dates et d'évolutions est essentielle, et cela se reflete dans les Notes introductoire.v qui procuren! au lecteur les informations nécessaires; dans le cas du rap, la conférence de Jean-Marie Jacono remplit cette fonction. Autre trait commun: les ateliers de la premiere section esquissent tous, a travers les chansons étudiées, l'évolution d'un sous-genre, d'une image-clé, d'un leitmotiv, joignant ainsi une perspective diachronique a la synchronie. Seuls les deux atelíers sur le rap y font exception: Louis-Jean Calvet ne trace que brievement la filiation entre l'école de Chicago et la scene 11-anvaise pour se concentrer par la suite sur les particularités du langage, tandis que Jean-Marie Jacono étudie trois aspects strictement musicaux, le jeu de mots et de rythmes, les structures cachées sous des structures musicales apparentes et le jeu des vers dans le cadre de la mesure. L'analyse musicale de trois chansons rap populaires peut étre considérée comme unique dans la littérature didactique sur la chanson. A part cela, chaque article comporte sa propre spécificité. Ainsi Jean-Ciaude Klein, apres avoir déroulé l'histoire de la chanson politique au sein du P.C.F. et soumis des analyses exemplaires, décrit-il deux formes typiques de la chanson politique, le chant de combat et la chanson de célébration. Wolfgang Asholt séduit par son orientation strictement didactique qui l'induit a étudier la progression d'un theme a travers quatre chansons. Une anthologie de vingt-cinq textes vient compléter son article. Jean-Marc Terrasse met l'accent sur la complexité de concepts politiques et leur transformation en concepts d'art. Dans le cas du gaullisme, il focalise sur les idées de grandeur, d'admiration pour l'écrivain et de respect des idées de l'autre, idées dans lesquelles semblent somnoler une tendance vers le regret du passé et une capacité d'évolution, capacité d'épouser de "nouvelles France". Dans le cas du populisme, il dégage des débats littéraires et politiques du début du siécle le noyau d'une détinition, le cercle vicieux "peuple = misere = désordre :;: violence :;: frisson" (p. 207), qui sert de base a l'interprétation des transformations artistiques correspondan tes. Les ateliers réunis sous le litre "La chanson fran'taise contemporaine, la société et les médias" abordent, pour l'essentiel, la chanson de femme(s) ainsi que le role de la voix et du clip, deux themes qui relevent du domaine de la réception. En juxtaposant la conscience politique d'une Colette Magny, l'investissement humaniste d'une Sapho et la "revendication superficíelle qui ne dé- Ursula MathL 15 range en ríen le consensus social" (p. 249) d'une Patricia Kaas, Andrea Oberhuber cherche a comprendre l'interaction entre la société et le produit culture!, le tout pivotant autour de deux dates paradigmatiques. Si 1968 signifie la prise de conscience féministe ainsi que la prise de parole des ACI fenunes, 1981 amene des mouvements de dépolitisation, d'individualisme, une nouvelle génération d'interpretes et de téléstars ainsi qu'une releve assez tardive de ACI "au féminin". Dans "La génération clip", Andrea Oberhuber réfléchit a un autre changement social et médiatique: le clip, qui enrichit le triangle texte-musique-interpr tation de la dimension de l'image et qui transforme de fond en cornble les habitudes de consommation. Sous les termes de "fonction expressive", "fonction référentielle" et "fonction auto-référentielle", Andrea Oberhuber tient compte des relations interprete-image, paroles-image et musique-image sans perdre de vue pour autant que, dans la plupart des cas, il y a des interférences en e ces différentes fonctions. Pour conclure, elle propose des analyses exemplatres de trois clips de Bemard Lavilliers, Julie Masse et V é oni u. s son...... Si les deux ateliers cités ci-dessus font alluston a 1 ecnture femmme at(isi qu'a une dimension nouvelle de la réception, Louis-Jean Calvet part d'une di cussion de Roland Barthes et de Julia Kristeva pour s'engager plus profondement dans les secrets et les moyens de signifier de la voix humaine: question de corps, de pulsion, d'éléments sémiotiques d'une part et de réception e l'auu:e. A l'aide d'une dizaine d'exemples, Louis-Jean Calvet pose des questtons sttmulantes, telles que "peut-on dire qu'il y a des voix de. droite et des von; de gauche?" {p. 257) ou "est-ce que la couleur d'une vor peut perdu. rer d ne langue a l'autre?" {p. 258), et il démontre que "le passage a une langue etran er :, ou la prononciation déviante, ne peut e r : u ue comme une orme stgmfiante" {p. 259). Ce faisant, il entame un SUJe JUSQU alors _ peu exp e. La section consacrée au Québec réumt deux atehers: tandts que Robert Saucier regarde de plus pres - et a l'aide d'un exemple concret - l'évolution _ de la musique populaire au Québec au cours des dix dem er s années, Robert Gt " ;X trace - a travers un ensemble de dix-sept textes - l'htsto re de la chanson quebecoise a partir de la Révolution tranquille ; Si Robert. Sauc er. insiste sur la r cession du disque québécois dans les annees quatre-vmgt ams1 que sur les phenomenes du clip et du concours, Robert Giroux focalise davantage sur les transformations du theme de la revendication. Apres le réveil des années soixante, la chanson québécoise se fait tres vite contestataire jusqu'au point _ o, en octobre 1970, elle reflete une société qui "s'affirme d'une part dans sa dtfference" et en meme temps "s'éc/ate" {p. 276). La vague de la contre-culture va de pair avec un certain apolitisme, tout en p ovoquant d s réactions simul n es e militantisme social. Et si a la fin des annees quatre-vmgt la chanson quebecotse renoue de maniere plus générale avec le theme de la revendication, c'est su le mode du souvenir et sans réclamer l'exclusivité. Dans leur ensemble, les atehers de Robert Giroux et Robert Saucier révelent done les enjeux de la chanson québécoise actuelle et son role ímportant "[d')instrument de pédagogie socíale" {p. 293)....... La chanson comme instrument de pédagogte nous amene a la demtere section des ateliers, dominée par la perspective didactique.. Séda Azadiguian Y introduit le terme "écart" pour étudier, dans deux chansons des Inconnus, la pa-

11.vani-Propos 16 rodie textuelle et la parodie "plurimédiale". Gérard Albéric et Birgit Mertz Baumgartner cherchent a systématiser les approches possibles de la chanson dans l'enseignement du secondaire en énumérant de nombreux exercices qui portent sur la compréhension orale, la compétence linguistique, la compétence civilisationnelle el les interférences entre chanson et littérature; ces exercices sont accompagnés d'un choix d'exemples utiles et suivis d'une bibliographie spécialisée dans la pédagogie de la chanson. Chantal Grimrn, par contre, montre l'écriture "en progrés" et prépare le Jecteur a la production d'une chanson. Qu'on parte de la mélodie, du rythme ou - ce qui arrive plus rarement - du texte, les "productions" de l'université d'été et leur création lors de la clóture du sympo sium témoignent de l'efficacité de ses propos, meme auprés d'un public peu habitué a s'abandonner a des pulsions de créativité. Ce tour d'horizon terminé,je voudrais m'acquitter de deux "obligations" que je dois, l'une au lecteur, l'autre a mes collaboratlices et collaborateurs. En premier lieu, il me parait important de noter, pour le lecteur, que les textes des chansons ont tous été tirés, sauf indication contraire, des pochettes correspondantes ou bien de collections de textes imprimées (cf. "texte tiré de'', tandis que "[chanson) tirée de" signifie qu'il s'agit d'une transcription par l'auteur). Les fautes de transcription, parfois suivies de [sic], ne relévent done pas de notre responsabilité. Cela n'est malheureusement pas le cas pour les inévi tables coquilles, sur Jesquelles je prie le lecteur de bien vouloir etre indulgent. Cinquante ans de clzansonfram;:aise: Lucien Rioux avec Ursula Mathis Autre détail important: pour différencier les litres des chansons des disques, CD et compilations, ces demiers ont été soulignés dans le texte tandis que les titres des chansons ainsi que les titres d'oeuvres littéraires ont été mis en italique. En ce qui conceme mon obligation envers mes collaboratrices et mes colla borateurs, c'est une tache queje remplis avec la plus grande joie: tout d'abord, je a remercier Birgit Mertz-Baumgartner pour sa précieuse collaboration, a l'image de son style de travail: dynamique et infatigable. Elle m'a aidé, par son soutien amical, a persévérer dans le but fixé. Je tiens a remercier tiens collaboration également Mark Lóffier, dont la richesse d'idées, la créativité et la ténacité nous ont permis de contrecarrer maint piége de l'ordinateur. Je remercie Doris Eibl pour la traduction du discours d'ouverture, etje remercie le professeur Wolfgang Meid d'avoir bien voulu accepter cette publication dans le cadre des lnnsbrucker Beitriige zur KulúnwLssensclraji. Mes remerciements tout particuliers s'adressent a Mesdames Gilberte Tschirner (Université d'lnnsbrucl..) et Pamina Daucha (BCLE, Vienne) qui, sans se laisser décourager par la quantité des pages, ont accepté d'assurer la relecture du présent volume. Ursula Mathis lnnsbruck Les auteurs du dictionnaire Ceflt ans de chanson franraise: Jean-Claude Klein Louis-Jean Calvet, Lucien Rioux (t), Chantal Brunschwig (t),

Peter Blaikner chante Georges Brassens Autour de l'université d'été de la chansonfranfaise Table Ronde: Gert Wolff, Heinz-Christian _Sauer, Jean-Marc Terrasse, Pi erre Séguy

Hans Moser Discours d'ouverture du Recteur Soyez les bienvenus a Innsbruck, soyez les bienvenus a la Leopold Franzens-Universitlit. On ne peut que se féliciter quand un institut universitaire invite la communauté scientifique dont il fait partie a réfléchir et a discuter sur un theme qui lui est cher. On peut d'autant plus se féliciter quand un département de philologie de langues étrangeres réussit a déplacer pour un tel événement un si grand nombre de spécialistes francophones et de conférenciers de grand renom. Voyons-y un signe de la qualité de l'institut organisateur et, plus précisement, de la section organisatrice. Cela concrétise, d'ailleurs, de maniere tres réelle, le besoin d'ouverture de notre pensée et de notre horizon intellectuel vers une universalité exigeante. Cette exigence d'universalité des universités se réduit bien souvent a un simple slogan. Elle nous est nécessaire, cependant, si nous voulons etre a la hauteur des enjeux inte\lectuels de notre monde. Elle nous est également nécessaire pour comprendre la diversité culturelle de notre monde - une diversité qui a ses sources dans le fait social, dans la religion, dans le fait national ou ailleurs- non comme une menace, mais comme une chance. L'apprentissage interculturel est un bon moyen pour apprendre a la fois a se respecter et a se relativiser. Se respecter soi-meme et se relativiser en meme temps est un pas indispensable vers la maturation politique, c'est une condition qui nous permet de résoudre des conflits - inévitables- non de maniere destmctrice mais de maniere productive. Nous sommes malheureusement entourés d'exemples tragiques qui soulignent la validité de cette observation. Que le symposium soit multidisciplinaire s'explique par la nécessité de comparaison interculturelle qui es!, surtout dans le cas de la chanson, tres enrichissante pour l'espace culture! germanique. En ma qualité de germaniste je constate que, daos la culture a\lemande, la rupture sociale entre "haute culture", noble et esotérique, et culture ordinaire, banale et vulgaire, s'exprime aussi au niveau de la langue. Le "Lied" (Schubert, Mahler, la chanson historique, c'est-a-dire les Grands) est strictement séparé du "Schlager", de la chanson a succes (vivante mais considérée comme vulgaire). Entre les deux, la ou il existe en fran ais la "chanson" et en anglais le "song", l'allemand n'a pas de mot. Autrement dit, dans la conscience de la communauté germanophone s'est perdue la sensibilité pour ce qui poun-ait etre une "vraie" chanson, un "Lied" a la fois vivant et cultivé. Heureusement depuis quelque temps apparaissent des chansonniers qui se qualifient eux-memes de "Liedermacher" ('faiseurs de chansons') et qui sont en train de combler ce vide. Mesdames et Messieurs, vous remarquerez que je glisse dangereusement vers l'exposé, mais il y a heureusement en allemand un proverbe qui dit: "Das beste Lied macht durch die Uinge müd" ('une bonne chanson vaut mieux qu'un long discours'). Pennettez-moi quand-meme - avant de terminer - de souligner

20 Souhaits de bienvenue. Discours d'ouvenurc du Recteur que des mots comme "interculturel", "multidisciplinaire", "intertextuel" sont des a j ctifs terriblement pédants et peu agréables, et que les substantifs qui en denvent font encore davantage penser a un "laboratoire". S'ils sont employés ans. le. c?nt xte de la chanson, la raison en est que la chanson est mterdtsclphnatre - langue, musique, langage corporel - et qu'elle est transmise par es médias secondaires conune le disque, la cassette, la vidéo, etc. C'est ausst paree que la langue scientifique ne peut plus se passer de ces mots "laboratoire". Un symposium sur la chanson implique done nécessairement le délicieux affrontement de deux mondes linguistiques, de deux styles. 11 serait faux de croire qu'ils se combattent mutuellement, au contraire - chacun a sa maniere fait fi? r d' instrument de clarification et apporte ses nuances particuliéres. Fehcttons-nous enfin que ce symposium soit accompagné de concerts et d'atel!eṛs qui enrichiront, n'en doutons pas, l'effort du concept par la joie de l'expenence.. Je voudrais. a resser mes félicitations au Département de Langues Romanes qut, avec la creatton de la section 'Textmusik in der Romanía", a pennis ce colloque. e voudrais également remercier les organisateurs qui ont réalisé tout cela, merc1 surtout au Professeur Ursula Mathis et a son équipe. Je suis tenté d'entonner leurs louanges, ou plutót ce qu'on appelle "Loblied" en allemand et j'esp re, esdames et Messi urs, q 'a la fin de ce symposium, vous serez pre;s a le fat e a ma place - peut-etre meme en tant qu'acl. Et dans cet esprit je souhatte don aucoup. de succés a cette manifestation. Qu'elle apporte a chacun un ennchtssement mtellectuel, artistique et personnel. André Studer Discours d'ouverture du Directeur du Bureau de Coopération Linguistique et Educative de Vienne Monsieur le Recteur, Monsieur le Conseiller, Monsieur le Doyen, Mesdames et Messieurs, Je tiens a vous dire l'immense plaisir que les responsables de ce symposium ont a vous saluer si nombreux aujourd'hui a l'université d'lnnsbruck. Votre présence est la vraie récompense de celles et ceux qui, depuis plusieurs mois, ont conjugué leurs efforts, surmonté leurs angoisses, goíité aux premiers succes de cette Universilé d 'été de la chanson de langue fi am;aise en Autriche. Pourquoi lnnsbruck? Fin septembre 1992, une réunion de travail m'avait conduit dans cette université pour y rencontrer le corps professoral du Département de Langues Romanes, seul département de franyais qui, a ma connaissance, avait créé dans un pays européen non francophone un département consacré a la chanson de langue franyaise. Des mon arrivée a Vienne, j'avais en effet eu l'intuition qu'un détour par le Département "Textmusik in der Romanía" s'imposait. Une heure de visites, d'exploration des archives et de commentaires de la part de Madame Ursula Mathis suffirent a me convaincre du role exceptionnel joué par ce département. Jean-Marc Terrasse, Directeur de l'lnstitut Franyais, et moi-meme vous quittions, Madame, avec le projet de mettre en place, au début de l'été 1993, une manifestation universitaire centrée sur la chanson de langue franyaise contemporaine. Moins de neuf mois plus tard, le symposium débute. Quiconque a l'expérience de l'organisation d'un tel projet sait qu'un délai d'un an et demi est un délai raisonnable. Monsieur le Recteur, permettez-moi, dans ces conditions, de vous exprimer toute notre reconnaissance d'avoir soutenu le projet de ce symposium, de sa conception a sa réalisation, en acceptant d'aller au-dela de ce que vous impose votre fonction; mise a la disposition de locaux prestigieux, soutien moral et appui financier. Un projet aussi importan!, non inscrit dans une programmation, exige compréhension et souplesse. Monsieur le Doyen, les professeurs du Département de Langues Romanes d'lnnsbruck ont fait la preuve qu'ils réunissaient également ces qualités. Vos assistantes et assistants se sont surpassés: que soienl ici remerciés Birgit Baumgartner, Beate Bechter, Doris Eibl, Gerhild Fuchs et Mark Lóffler. Mais, c'est a vous, Madame, qu'est revenue la maitrise d'oeuvre. Vous avez été l'architecte de ce symposium; votre connaissance de I'Université, votre notoríété a l'étranger ont permis de réunir un plateau prestigieux de dix-sept spécialistes de cinq pays. Qu'il me soit permis de rappeler le plaisir et la satisfaction que Jean-Marc Terrasse et moi avons eus a travailler avec vous et votre équipe. Monsieur le Recteur, nous espérons qu'en retour cette Université d'été de la chanson fi anr;at e contribuera un peu plus encore au renom de I'Université tout

22 Discours d'ouvcnurc du Dirccteur du BCLE André Studcr 23 enti re: par la q ualité des trav... x qui sera documentée par les actes, par le soutten des medtas qm ont chotst d'annoncer cet événement ou qui, daos leurs colonn s et sur les ondes, en rendront compte el illustreront, une fois de plus, le dynamtsme de votre Université. Notre horizon s'élargira aussi, grace au programme culture! a la ville d'l? n sbnjck et aux langues romanes du sud de l'europe, au m nde de la Médnerranee. _ avec la venue de Sapho qui illustre avec talent ce propos de Lévi Strauss : "Une culture qui n'emprunte pas se fige et disparait". Ce symposium est avant tout le fruit d'un triple partenariat réunissant l'université et l'institut Francais d'lnnsbruck ainsi que les Services Culturels de 1'-":mbassade de France a Vienne. Contrairement au cinéma, a la photo, a la pemture, la chanson fi an yaise n'a pas encore de chaire universitaire et continue?' t : e traitée comme genre mineur. Le Centre d'lnnsbruck est une remarquable. mttlattve personnelle, a!'origine de laquelle se trouvait le Professeur Rolf Kloepfer. que vous avez reprise et développée; la présentation, ce soir, de l'ouvrage Textmusik in der Romanía - To ntriigejverzeichnis /985-1993 est une d. s ill strations des tr aux qui y sonṭ menés. L'action de l'lnstitut Francais s mscnt dans une tradttton culturelle vtvante et dans sa mission de diffusion Merci a Jean-Marc Ten-asse d'avoir notamment rendu possible la venue d Sapho el de ses musiciens. Le Bureau de Coopération Linguistique et Educative ne peut qu'encourager la diffusion de la chanson de langue franc;aise comme support d'une langue et d'une musique vivantes qui rapprochent ceux qui l'écoutent. Une chanson n'est-elle pas le meilleur avocat de l'actualité d'une langue el une fenetre grande ouverte sur le monde? Mais la tenue d'un te! symposiurn nécessite des moyens financiers. Que!'ensemble des partenaires associés a cette réalisation soient ici remerciés pour l'o e!ll atte ti e el leur gén reux soutien: les institutions locales, régionales, le Mrmstere federal de la Sctence et de la Recherche, l'association d'etudes anadi n es daos les Pays de Langue Allemande, Hydro-Québec, ainsi que 1 Assoctallon des Professeurs de Fran<;ais en Autriche et le Forum France Autriche. Mesdames et Messieurs, il ne m'appattient pas de développer longuement les the es qui fe : ont l'objet de conférences et d'ateliers. La chanson d'expression franqatse appart1ent non seulement au patrimoine national de chaque pays fr n cophone mai. : elle fait ussi partie du patrimoine mondial. Cependant et en deptt de la recepllon excepttonnelle qui tui est réservée, je ne peux m'empecher d'etre inquiet. Sa diversité n'est-elle pas en danger, alors que son avenir semble dépendre d'une logique industrie!le plus que d'une logique artistique? Quelle es! la situation actuelle en France'! Seules quelques grandes adios. dtffusent plus de 50 % de variétés nationales, alors que les trois radios privées l s plus écoutées par la tranche des 16 a 30 ans (NRJ, Skyrock et Fun Radio) ne dtffuse? t q e 5 a lo %de chansons franvaises. Le vrai blocage ne semble pas provemr untquement de la musique franyaise, mais bien davantage de ces listes de litres imposés, systeme copié de ce qui se passe aux Etats-Unis. On ne joue alors des tubes que s'ils sont déja des tubes. Ce que L'Evénement de la Musique traduisait ainsi: "C'est du napatm sur la création, un tue-nouveautés terrifiant autant pour la musique franyaise qu'internationale". L'absence de chaíne musicale, la concentration de magasins spécialisés, la récession, font que les productions fran9aises ne représentent plus que 42 % des ventes totales de disques en France. A l'étranger, la situation ne me paraít guere meilleure. La jeune chanson francaise a du mal a se faire connaítre; elle souffre de la difficulté a suivre la production anglo-saxonne ornniprésente, d'un manque de moyens et je dirais parfois aussi de la volonté de promouvoir le genre. El si cette situation reflétait également la situation souvent difficile de la langue fran taise trop enfermée dans un ghetto culture!? Pourtant, lueur d'espoir, les spécialistes soulignent le dynamisme de ['aire francophone, le début d'un renouveau, et je me réjouirais vraiment de dresser, d'ici la fin de ce symposium, un bilan plus optimiste. En effet, l'apport de cultures étrangeres dans la musique et la chanson de langue franc;aise est considérable, et la musique des compositeurs franyais s'est métissée d'influences étrangeres en irriguant ce qui fait la force de la chanson fran9aise. Le rap francais n'illustre-t-il pas cette évolution? Par ailleurs, se multiplient les initiatives individuelles de promotion qui completen! ainsi le paysage des grands festivals: le Printemps de Bourges qui a teté sa dix-septieme édition cette année, les Francofolies de La Rochelle qui se déroulent actuellement, Chorus des Hauts-de-Seine. Alors les "lendemains qui chantent" sont-ils vraiment pour demain? Mesdames et Messieurs, durant une semaine la chanson sera objet d'études. Le foisonnement lié au brassage et au métissage permet-il de poser une grille scientifique de lecture sur la production contemporaine? Objet d'études, la chanson est aussi objet de plaisir. Je vous souhaite de trouver cette dimension non seulement dans les soirées musicales mais aussi dans vos travaux. Merci.

Jean-Marc Terrasse Table Ronde. Présence de la chanson fran aise dans les pays de langue allemande Quelle est la présence réelle de la chanson fran aise dans les pays de langue allemande? 11 y a peu de moyens objectifs d'en juger: les instruments de controle manquent, et aucun sondage d'envergure n'a jamais été effecrué sur le su jet. Les grandes compagnies de distribution de disques n'ont pas de département qui regrouperait les artistes de langue fran aise et ne peuvent vous répondre - quand ils acceptent de donner des chiffres - que sur tel ou tel artiste particulier. Bien souvent, leurs réponses dépendent plus de leurs objectifs économiques que de la réalité des ventes. S'ils souhaitent prouver la toute-puissance de l'influence arnéricaine ou démontrer le manque d'ouverture d'esprit du public gennanique, ils minimiseront cette présence fran aise. S'ils ont un artiste a lancer, a faire connaitre paree qu'ils le croient capable d'affronter le marché allemand, ils surévalueront le gout germanique pour la chanson fran((aise. Les questionnaires, qu'ils soient universitaires ou non, ont pour handicap de se limiter au cercle des auditeurs, spectateurs ou amateurs déja motivés par la chanson franc;:aise. lis donnent done une imagc hi aussi faussée. Soit que ceux qui répondent exageren! l'influence d'un gout qu'ils croient partager avec un auditoire vaste. soit qu'ils la relativiscnt en gardant pour eux ce qu'ils pensent etre un raffinement inaccessible au grand public. JI reste quelques instruments de mesure plus subjectifs doot le comple n'a pas été fait mais qui, ici et lá, semblent laisser croire que la chanson fran :aise a encore de bcaux jours en terre germanique. Les lnstituts Fran ;:ais d'aiiemagne et d'autriche savent qu'ils peuvent toujours remplir une salle avec de la chanson fran<;aise, compensan! les!acunes des organisat.'. rs professionnels toujours dubitatifs ou peu enclins au risque francophone. Mais nous citerons surtout l'exemple - que nous a communiqué Léo Koesten, alors responsable des médias a l'lnstirut Fran((ais de Cologne - du con<x>urs "Ecrivez et interprétez une chanson fran :aise" organisé dans les lycées de Rhénanie en 1989-90 et qui rassembla - divine surprise - un tel nombre de participants qu'il fallut plusieurs jours au jury pour écouter tous ces écoliers 1Hernand créateurs de chanson franc;:aise. Les vainqueurs passerent d'ailleurs unl semaine au Festival dr: Hourges, immergés dans la chanson francaise. 11 y a en fin le point de vue des professionnels. Bien sur ils sont, pour la plupm1, amoureux de la chanson fi an :aise et. de fait, peu objectifs. lis sactifient lcurs soirées, parfois leurs économies, a sa défense, a sa publicité. On retrouve en eux le meme fanatisme que chez l'admirateur de jazz. Pourtant, c'est l'idée d'une Table Ronde avec quelques-uns d'entre eux qui nous a semblé le meilleur moyen d'annihiler les subjectivités, ou en tout cas d'en atténuer le pessimisme. Car, vous allez pouvoir en juger, nos interlocuteurs déplorent tous la fin d'un age d'or de la chanson fran :aise en Allemagne, age qui correspond aussi a ce qu'on a coutume d'appeler l'époque des "grands chanteurs" fran ais: Brel, Brassens,

26 Table Ronde Jean-Marc Terrassc 27 Montand, Aznavour, Gréco, Trenet ou Ferrat, qui remplissaient tous les salles allem des. M i ce pessimisme - ou cette tristesse - ne vient-il pas plutót d'une no talg1e? Patnc1a Kaas ne leur fait pas oublier Edith Piaf. C'est compréhensible ma1s gardons-nous d'en déduire que la chanson fran aise a dit son dernier rnot merne e terre ge nique. Et demain, les Rita Mitsouko ou Liane Foly ou Sté phane Etcher remphront encore les salles tout en plaisant aux spécialistes. Autour de la table, ce 15 juillet 1993, trois horrunes de radio: Heinz Chrlstlan Sa er qui, chaque semaine, fait écouter, airner, découvrir la chanson fr n ise sur 01, d puis Vienne; Gert Wolff qui consacre son temps, sa discotheque et ses connatssances sur la chanson fran aise pour produire une émission 1i" 'e -vous la chanson? depuis Francfort, et Pierre Séguy qui produit une des _ emissions les plus fameuses (on l'écoute de France) depuis vingt-huit ans sur la Radio Sarroise: Chansons de Paris. Heinz-Christian Sauer est un amateur qui est devenu professionnel de la radio. C'est sa passion pour la chanson fran aise qui l'a conduit la. En réalité, il a un autre métier. Pierre Séguy et Gert Wolff par contre sont d s p ofessionnels de la radio.. C'est avec leur discotheque personnelle qu 1ls defendent la chanson fran a1se. A eux de l'actualiser, de la moderniser, d'y faire des choix dont ils ne sont redevables qu'a eux-memes. Nous leur avons posé une dizaine de questions que le public de 1' Université d'été d'lnnsbruck a complétées. C'est la synthese de leurs réponses que nous présentons ici, dans l'ordre ou ils ont répondu. Question: Vous défendez les "cou/eurs " de la chansonfran aise et vous assurez sa présence sur votre antenne. Devez-vous, pour cela, convaincre os responsables? Heinz-Christlan Sauer: a n'a pas été facile au début, en octobre 1969. Le responsable du programme s'était imaginé une émission pleine de valses usettes. Depuis, je n'ai plus eu de conseils ni de directives. Mais aujourd'hui, vmgt-quatre ans plus tard et apres 1080 émissions, je recommence a me battre puisque l'émission n'est plus diffusée que tous les quinze jours aprés avoir été hebdomadaire pendant toutes ces années. Ceci sans raison précise, si ce n'est que l'émission est ce qu'on appelle ici un programme de minorité, que la radio a trichienne se ṛépare a faire face aux radios privées qui apparaitront sous peu. Stgnalons que O 1 qui se définit corrune la chaine de la littérature et de la musique classique, déborde de programmes. Gert Wolff: Mon cas est un peu différent car, au départ, l'idée de l'émission ne me r vien pas. Elle existe depuis trente ans environ el je ne m'en occupe que depu1s qumze ans. En tant que pigiste, je n'ai pas grand-chose a dire. En fait l'émission est souvent déprogrammée, ou plutót retardée, quand des émissions hors-prograrrune - en particulier des retransmissions sportives - débordent de leur cadre. Mais les responsables savent que l'émission est tres populaire aupres d'un public tidele, un peu spécial ( celui des amateurs de chanson fran aise) mais néanmoins minoritaire. Quant aux responsables a l'échelon plus élevé, ils protegent l'émission, dit-on, pour ne pas donner l'impression qu'ils n'attachent plus d'importance aux clauses culturelles du traité franco-allemand. J'ajouterai que ces aveux ne sont faits que du bout des lévres. Pierre Séguy: L'émission dont je m'occupe s'appelle Chansons de ParLv. Au début elle s'appelait: C'est a qu'on chante en France. Elle passe sur les ondes de la Radio Sarroise - en allemand 'Saarlandischer Rundfunk' - toutes les semaines depuis le ter janvier 1965. Elle est done dans sa 28eme année et compte environ 1400 heures de présence sur les ondes, ce qui fait deux mois de programmation 24 heures sur 24. Son emplacement a une heure tardive, le dimanche entre 22 et 23 h, permet une programmation de qualité saos avoir a se plier aux exigences d'un public tourné vers les succés du moment, oubliés en quelques mois, et encore moins a obéir aux hit-parades. Question: Existe-t-i/ des émissions spécifiques pour d'autres chansons dans d'autres langues? Et si non. pourquoi la chanson fran al e a-t-el/e ce traitement sp écial? Pierre Séguy: Si vous le permettez, je voudrais aj outer quelque chose avant de répondre. L'émission se tourne exclusivement vers des oeuvres solides ou la poésie et la musique sont au rendez-vous et en équilibre. Les interpretes sont de préférence les auteurs-compositeurs, mais les interprétations de chansons de qualité passent saos aucun probleme. L'émission est critique, voire acerbe en affichant les défauts éventuels des textes ou de la musique et des interpretes mais aussi les éléments positifs ou le talent, voire le génie des auteurs, compositeurs et interpretes. Cette fa n critique tres personnelle d'approcher la chanson par le coeur, en évitant de trouver tout beau et tout parfait, en se moquant parfois des prétentions de certains, a constitué un élément déterminant du succés de l'émission. J'ai entrepris la également un processus d'éducation du public qui semble apprécier cette franchise. Le projet de création de cette émission d'abord bilingue a done passé comme une lettre a la poste, et lui a valu, au cours des vingt-huit années d'existence, une renommée populaire dépassant largement le cadre de la chanson et de l'émission. Maintenant, pour répondre a votre deuxieme question, pendant que j'ai la parole: avons nous un traitement spécial? Je dirais que cette position privilégiée de la chanson franyaise a la Radio Sarroise n'a jamais été inquiétée. Des émissions de musique coun(ly, par exemple, ont tourné court, les présentateurs ne pouvant rivaliser en qualité et en connaissances spéciales du domaine avec les émíssions de la chanson franyaise. 11 faut souligner aussi que la Radio Sarroise s'est toujours considérée comme un pont de l'amitié franco-allemande et franco-sarroise en cultivan! dans beaucoup de domaines les affinités avec la France. Le gouvemement, dont tous les ministres sans exception, y compris le ministre-président Oskar Lafontaine, sont des fans de mes émissions, m'a chargé de monter un festival de la chanson fran aise en me confiant un million de marks. Profitant de la popularité de mes émissions, la Radio Sarroise a organisé des soirées de chansons franyaises en faisant venir d'innornbrables artistes fran ais pour se produire a Sarrebruck: Barbara, Léo Ferré, Serge Lama, Catherine

- 28 Table Ronde Jcan-Marc Tcrrdssc 29 Lara, Daniel Guichard, Guy Béart, Gribouille, Georges Chelon, Charles Dumont, Marie-Paule Selle, Moustaki, Nougaro, Bernard Lavilliers, Francis Lalanne, Jean Ferrat, Romain Didier, Maxime Le Forestier, Louis Arti, Patricia Kaas, Catherine Ribeiro, lsabelle Aubret, Yves Duteil, Claude Maurane, Liane Foly, Juliette Gréco, Zizi Jeanmaire, Ricet-Banier et beaucoup d'autres. Les émissions de 90 minutes que nous avons produites avec chacune de ces prestations sur scene a San ebruck ont été diffusées par beaucoup d'autres radios. comme Piaf ou a la mode comme Patricia Kaas et Jean-Jacques Goldman. On les entend au rythme de trois a quatre fois par jour sur!'ensemble des quatre chaines. Pierre Séguy: La chanson francaise passe dans un certain nombre d'émissions en utilisant également les criteres de qualité par les choix de mes émissions. Gert Wolff: Nous n'avons ni votre ímpact, ni votre succes. Quant aux émissions de variétés chantées dans d'autres langues, il existe effectivement des émissions en espagnol, en brésilien et linguistiquement mélangées - dites "musique du monde". A!'origine toutes ces émissions sont nées de la prédilection d'un res p onsable pour telle ou telle musique. Le cas de la chanson franc(aise n'est pas umque. Heinz-Christian Sauer: Sur I'OR.f,je ne crois pas qu'il existe d'autres émissions de la meme fonne. Lorsque j'ai commencé il y a vingt-quatre ans sur Ó3, c'était, a l'époque une chalne innovative qui se voulait jeune et diversifiée; il y avait une émission de living blues, de musique country, de musique couvrant les années nte et quarante, de hard rnck, de musique latine et done de chanson fran((aise. 03 n'étant plus qu'un programme continu de musíque pop, rap et rock, peu de programmes cités ci-dessus ont survécu, et toujours en émigrant sur d'autres chaínes. Maintenant, pourquoí la chanson franc(aise a-t-elle ce traiternent spécial? Probablement paree que c'est la plus ancienne émission réalisée par un freelance et dont le concept n'a pas changé pendant toutes ces années. Je touche trois genres de public: le public franyais qui aime découvrir le genre de chanson queje présente; un pub líe ayant des notions de fran11ais - école, université, stage en France- et quí aime pouvoir suivre la chanson originale grace a la traduction du texte et au compte rendu que j'en fais d'abord; un pub líe germanophone qui se plait a écouter la traduction de la chanson et qui s'intéresse a ce genre de poésie. Questitm: La clumson fran al e passe-t-elle dans d'autres émissions que la votre? A que! 1ythme? Pouvez-vous dire un mot de sa pr sence en dehors de votre ém ision? Gert Wolff: La chanson fran((aise passe dans d'autres émissions - minoritaires - qui sont toujours des émissions ou les chansons en langue allemande sont mélangées avec d'autres langues: espagnol, italien, fran((ais, etc. Je ne peux pas en díre plus. Heinz-Christian Sauer: Je ne crois pas que la chanson franc(aise soit vrairnent représentée en dehors de mon émission, a moins que vous ne considériez Vanessa Paradis chantant en anglais et Julio Iglesias chantant en franc(ais comme des représentants de la chanson frlln('ai<;l" 11 v a des exceptions, classiques Question: Vos col/egues vous demandelll-ils des informations ou bien leur donnez-vous ces informations de vous-memes? Heinz-Christian Sauer: Non et non. Malheureuscment. Gert Wolff: Mes collegues me demandent rarement des informations paree qu'ils passent en général de la musique sans présentation ou mélangée d'infonnations d'actualité, de sport, etc. La plupart du temps, l'audíteur ne percoit meme pas si une chanson est en langue étrangere paree que toutes ces chansons se ressemblent trop. Pierre Séguy: Le programmateur Marc Bouzon dont les goüts en matiére de chanson ressemblenl fort aux miens, programme au moins une chanson par heure d'érnission sur les ondes de la Saarlandwelle. Je l'ai d'ailleurs choisi pour effectuer avec moi la présélection des 130 interpretes qui se présentaient tous les ans aux concours ínternationaux organisés dans le cadre de mes festivals. Le présentateur Bemhard Stigulinski produit trois fois par semaine une émission de chansons allemandes, autrichiennes et franc;aises. Nous nous rencontrons souvent au cours de mes autres émissions dans les studios et ne manquons pas d'échanger nos impressions sur les nouveautés. Ensemble avec le présentateur Bernd Duschinski, j'ai beaucoup fait pour pousser une petite débutante de la région, Patricia Kaas qui, grace a notre activité conjuguée, a pris une notóriété certaine dans le rayon d'écoute de l'émetteur. 6 000 auditeurs enthousiastes se sont rencontrés au premier concert de notre protégée a Sarrebruck. Au besoin je prete des enregistrements aux collégues qui éprouvent parfois des difficultés a se procurer des disques ou CD de chansons fran((aises. Question: Que/ Jype de chanson d fendez-vous? Commenl les connaissez-vous et vous les procurez-vous? Pierre Séguy: Dans l'émission de Chansons de Paris je défends la qualité d'abord. Le gen re de la chanson - ironique, gaie, triste, populaire ou hemlétique - importe peu. 11 n'y a au fond que deux sortes de chansons, les bonnes et les mauvaises, avec une échelle de valeurs intennédiaíres que mes audíteurs ont surnommées "les unítés Séguy". Aucune chanson classée au-dessous de la moyenne ne passe dans mes émissions. Je suis en correspondance tres suivie avec les maisons de disques en France qui me font le service de leurs nouveautés avec plus ou moins d'assiduité. Je me procure par lettre ou sur coup de téléphone

-- 30 Tablc Ronde Jcan-Marc Tcrrasse 31 les disques queje veux passer et qui par hasard ne seraient pas compris dans ces envois. Je n'achete jamais de disque. Par ailleurs, j'écoute les radios fran9<lises (France In ter, Radio Luxembourg, Europe 1, etc.) au moins quatre a cinq heures par jour et je sais tres bien ce qui se passe dans ce domaine en France. Je rencontre parfois mon ami Jean-Louis Foulquier qui presente Po/len tous les jours (et qui organise les Francofolies a La Rochelle, au Canada et ailleurs). Nos appréciati. ons ne. corresponden! pas toujours en raison de son implantation co merctale, ma1s nous échangeons des informations fructueuses. 11 m'a envoyé Luc1de Beausonge (avant sa Lettre a un réveur), et nous avons décidé de pousser Francis Lalanne et Louis Arti. Je retléte a mes auditeurs et auditrices ce qui se fait en France en choisissant le contenu de mes émissions selon mes gouts propres. J'écoute rigoureusement toutes les chansons que l'on m'adresse, en notant le co tcnu, en leur donnant des notes quant a la qualité de la musique, du texte et de l'mterprétation. Le choix pour mes émissions est immense puisque j'ai accumulé 40 000 disques uniquement de chansons fran aises dans ma discotheque privée. Heinz-ChrisCian Sauer: Je défends surtout la chanson a texte, chanson poétique, chanson littéraire, paree qu'elle souligne a mon avis le caractere fran9<lis de la chanson. Mais je présente de temps a autre également les chansons a la mode pour montrer de quoi la chanson fran aise peut aussi avoir l'air aujourd'hui par rapport a il y a trente ou quarante ans. Les chansons, je les trouve en fouillant les disquaires a París, BJUxelles ou Genéve - on arrive a connaitre les maisons de disques, les producteurs qui se spécialisent daos la chanson. Par ailleurs, je m'informais grace a Paro/es el musique et aujourd'hui grace a Choms. Gert Wolff: Moi aussi, je défends surtout la chanson a texte paree queje trouve ue c'est la que 1 chanson fran aise montre sa singularité. Depuis quarante ans, )'observe l'évoluhon de la chanson franvaise, je lis des publications, je regarde les émissions de variétés de la télévision fran9aise, je fréquente les salles de spectacle a París - ce qu'on appelait autrefois les music-halls -, et j'achéte des disques et des compacts a París. En Allemagne, je ne trouve pas ce que je cherche, surtout pas les nouveautés. En quarante ans, j'ai rassemblé une belle collection. Pierre Séguy: Il serait exagéré de parler d'un impact certain de la chanson fran aise dans le grand public qui aurait changé ses habitudes d'écoute. L'impact se fait surtout grace aux écoles. Les enseignants viennent me demander conseil pour utiliser la chanson dans l'enseignernent. Pendant mes festivals j'ai implanté des toumées d'artistes intéressants dans les écoles sarroises (Michele Bemard, Jean-Marie Coltes, Catherine Boulanger, etc.), en organisant chaque année un concert extremement couru a la Représentation Sarroise a Bonn. 11 y a chaque fois des publications élaborées par une commission de spécialistes (dirigée par Erich Schneider, ci-présent au colloque) concemant les chansons de ces artistes, a l'usage des enseignants. Pourtant je constate que le grand publíc qui m'interpelle dans la rue ou a I'occasion de manifestations culturelles publiques de toutes sortes auxquelles j'assiste, garde relativement peu de noms en dehors des vedettes consacrées. Mon émission soutient done davantage la chanson fran9aise dans son ensemble que des interpretes précis. Toutefois le goflt du grand public se porte tres souvent vers le passé. Par mon choix rigoureux et intransigeant, la qualité d'écoute s'est améliorée. J'aide réguliérement, par des indications curriculaires ou discographiques, les étudiants de l'université ou de l'école des hautes études pédagogiques dont les travaux portent sur la chanson. Je donne également au moins quatre fo is par an des conférences sur un sujet d'actualité de la chanson ou sur des dates particuliéres. Ainsi le 30éme anniversaire de la mort d'edith Piaf a fait salle pleine. Heinz-Christian Sauer: A u fil des années beaucoup d'auditeurs sont tombés par hasard sur l'émission et tui sont restés fidéles. Beaucoup l'ont écoutée régulierement du temps ou ils étaient étudiants; certains me disent qu'ils ont grandi avec elle. Cela étant dit, La Chanson reste un programme de minorité. Au rythme nouveau d'une émission par quinzaine, elle perd des auditeurs qui ne retrouvent plus l'horaire et le rythme habituels. Pour ce qui est du gout, je crois simplement que les auditeurs ont appris a aimer ce genre de chansons et se sont habitués a considérer le texte comme un élément essentiel de la chanson fran9aise. Question: Choisissez-vous les chansons en fo nction du marché ji aw;ais, du public allemand 011 autrichien, de votre golít pmpre? Que. timr: Vous.faites cet "apostolat" depuis des années. Quelle évo/ution ressentez-vous du puint de vue de l'écoute. du point de vue du goüt? Gert Wolff: Ce que j'ai ressenti en ces quarante ans, c'est surtout une perte de singularité de la chanson fran9aise. Au niveau des paroles un peu, au niveau de la musique excessivement. La chanson fran aise est largement anglo-sax.onnisée; et comme on peut s'y attendre de toute imitation, elle est de qualité infé1ieure. Heinz-Ch istian Sauer: En príncipe je choisis les chansons en fonction de mon gout propre avec le but de montrer les beautés d'un texte que j'ai la chance de connaitre, en espérant atteindre des auditeurs sensibles aux memes choses que moi et, pour qu'on puisse comprendre mon enthousiasme, je traduis le texte d'abord. Les concessions au gofit d'un public plus large sont rares. Gert Wolff: Je choisis les chansons en fonction de l'attente du public de mon émissíon. ll est francophile, mais de moins en moins francophone. 11 aime la chanson franyaise, s'íntéresse a la langue mais ne la comprend que peu. C'est pour cela que la traduction des textes joue un role éminent chez moi aussi.

- 32 Tablc Ronde Jean-Marc Terrasse 33 Questimr: Onnment construisez-vous vos émissions? Quel/e part prend la musique? Les commentaires? Les enfretiens? Question: Étes-vous optimiste sur /'avenir de la diflusion de cette chanson ou pensez-vous que les "beaux jours" sont passés? Heinz-Christian Sauer: Mes émissions ont toujours un fil rouge. Par exemple ce sont des chansons autour d'un theme: la guerre, le temps, le métro, la guerre d'aigérie, les hommes d'état fran<;:ais, des retrouvailles, la désertion, une naissance, que sais-je encore. Ou bien elles sont le portrait d'un auteur, d'un compositeur, d'un interprete: de Fran.;ois Villon a Boris Vian, de Jozsef Kosma a Daniel Balavoine, d'aristidc Bruant aux Négresses Vertes. J'ai un faible pour les auteurs-compositeurs-interpretes marginaux, paree qu'il y a des trésors a découvrir, paree qu'ils ne sont pas faciles a dénicher, a connaltre. Ca me fait plaisir d'étonner parfois meme des spécialistes de la chanson fran aise. Gert Wolff: Comme il y a trop peu de nouveautés vraiment intéressantes, je passe deux types d'émissions: soit un album intégral - une nouveauté - avec la traduction des textes, soit un article lexicographique tiré d'un alphabet imaginaire des music-halls, caf'conc', cabarets, etc. Cela permet un choix tres large de chansons, de toutes les époques, don! on ait, bien sur, des enregistrements. Je commente le tout. Les entretiens sont devenus de plus en plus rares, les chanteurs n'étant plus abordables. Daos le passé, les attachés de presse prenaient soin d'arranger des entretiens avec les joumalistes de radio des pays étrangers. Ce n'est plus le cas: le marché ne leur semble plus assez intéressant. De plus, je dois admettre que j'ai déja interviewé la plupart des mtistes d'un celtain age. Heinz-Christian Sauer: Je dédie eertaines émissions a la chanson du temps de la Révofution, de la Commune, de I'Occupation, etc. Les commentaires prennent done une pa1t impo11ante paree que j'explique les raisons pour!esquelles une chanson a été écrite. Par exemple Je t'attends a Clwrmme de Lény Eseudéro, Le Hilan de Jean Ferrat, JI es! morf le poere de Gilbert Béeaud ou l.a Mort du ce1j" d'amérique de Jean-Pien e Ferland. Pierre Séguy: Mes émissions contiennent aussi beaucoup de commentaires. Il s'agit d'évei!ler l'attention de l'auditeur pour un texte en langue étrangere. C'est done un résumé bref et si possible amusant queje donne de l'environnement de la chanson. Ces infomtatíons courtes resten! assez bien gravées dans la mémoire des auditeurs. 11 faut pour cela une information précise et des dossiers tres complets. Les "bios" des ajtistes de la chan:;on que je glane partout ou il es: question de chansons, remplissent six metres courants d'étageres. La parole tient environ dix minutes dans l'émission. Le débit est assez rapide, souvent ironique, réaliste et bomté d'inforrnations que personne parmi mes auditeurs ne peut se procurer ailleurs. JI y a done dans chaque émission des actualités et souvent un theme général. Pierre Séguy: En France nous avons la mauvaise habitude de cacher notre chanson. lmpossible d'obtenir dans les magasins de disques allemands le moindre chanteur fran ais modeme. La promotion commereiale aupres des disquaires et des programmateurs de radio et de télévision est inexistante. Le fran<;:ais étant de moins en moins parlé dans ce milieu, j'ai posé la question au Ministere de la Francophonie. On m'a répondu qu'on aidait plutót les petits Africains que les adultes allemands, ce qui est compréhensible. Devant la promotion agressive des musiques anglo-saxonnes, la chanson fran<;:aise n'existe pas. Dans ces conditions, je suis tres pessimiste. Certaines maisons de disques ont meme décidé de ne plus envoyer de disques échantillons a l'étranger. 11 est vrai qu'elles se contenten! de succes par a-coups sans chercher la pénétration systématique. Les artistes fran9ais n'admettent pas qu'ils sont beaucoup moins connus qu'en France et qu'ils doivent accepter des cachets inférieurs horsfrontiere. On ne peut done les inviter sans risquer de gros déboires. JI n'est done pas étonnant qu'on ne le fasse pas. Gert Wolff: Je crains moi aussi que les beaux jours de la chanson fran9aise ne soient passés. D'abord paree que la chanson fran<;:aise n'est plus ce qu'elle était. Mon jugement est probablement simpliste; il n'y a plus non plus de Racine ou de Proust dans la littérature. Ensuite paree que les variétés du monde entier se confondent en un anglo-saxonnisme intemational exaspérant, y compris les variétés fran9aises. La premiére question est de savoir que! role les chanteurs fran<tais peuvent bien jouer dans cette culture populaire intemationale d'expression anglo-saxonne en abandonnant ce qu'il leur reste de particularisme. La deuxiéme question est: cet abandon est-il souhaitable? Heinz-ChrisCian Sauer: Pour le moment je ne suis pas optimiste du tout. Mais il se peut qu'avee un nouvel directeur il y ait un nouveau schéma qui tiendra compte de ce qu'on pourrait appeler un "Kulturauftrag". Dans mon cas, le but c'est de montrer que la musique dite légére, la musique de variété, n'est pas forcément banale si les auteurs savent s'exprimer. Et il y en a qui savent. Question: Donnez-nous les noms de que/ques nouveaux chanteurs auxquels vous croyez. Que pensez-vous de leur succes possible dans les pays de langue allemande? Heinz-Christiao Sauer: Alain Leprest, Romain Didier, Véronique Gain, Jean Michel Piton, Richard Desjardins, Maxime Piolot, par exemple. Je crois en leur talent, ce qui ne veut pas dire que je croie en leur caniére. Serge Reggiani ou Renaud ne trouverontjamais un large public dans les pays de langue allemande. Par contre Patricia Kaas, Jean-Jacques Goldman, Francis Lalanne, Francis Cabrel, probablement oui. Voila toute la ditférence et elle se joue probablement en France.

34 Table Ronde Pierre Séguy: Si rien ne change dans l'attitude des producteurs el des artistes Chantal Grimm (alias Chantal Brunschwig) fran4tais, je vois tres mal un avenir intéressant pour la chanson fran4taise a l'étranger. Mais ceux qui peuvent avoir un certain avenir a l'étranger sont. a mon ilda Femández, chanteur franco-espagnol renversant; Liane Foly, vis: mterprete de grande classe; Marie-Louise Béraud, jeune Beige douée; Catherine Autour des Cinquante Ans de chanson franf4iset de Luden Rioux Lara, rockeuse violoniste et compositrice de grand talent; Michele Bemard Gilbert Laffaille, Marie-Paule Selle et Romain Didier auteurs-compositeurs interpretes. A mon sens Nílda Femández et Liane Foly sont destinés a une caniere intemationale pour grandes salles. Ce jour de juillet 1 993, au grand amphithéatre de I'Université d'été de la chanson a lnnsbruck, régnait un état de grace. Les témoins vous le diront, ils s'en souviennent. Non pas a cause d'une brillante démonstration scientifique, ni de brillants effets oratoires. Ce n'était pas cela. Si l'assemblée entiere des étu Gert Wolff: Parmi les nouveaux chanteurs auxquels je crois, je citerai Renaud diants était ainsi suspendue aux lévres de Lucien Rioux, a en retenir chacun leur qui combine tradition et modemité, Jean Guidoni souffie de peur de laisser échapper une syllabe, c'est qu'ils avaient conscience de - pas nouveau non plus - pour son talent extraordinaire, Juliette, conune Guidoni, Philippe Léotard - encore moins nouveau, ni jeune., Francis Cabrel, partager un moment unique. Non pas une conférence portée par un maitre de Alain Chamfort qui flirtent avec le ringard sans l'etre vraiment et sont dans la quelque chose de plus intime et qui suscitait un respect plus grand. Une sorte de bonne chanson fran ise, et Alain Souchon, tout veillée en plein jour autour d'une mémoire vivante. il n'est pas vraiment nouveau a fait modeme, un peu trop Lucien Rioux est un conteur daos l'áme. En chroniquant la chanson depuis anglo-saxon, mais néanmoins convaincant. Quant a leur succés possible dans les pays de langue allemande, je n'en sais rien mais en fait je. n'y crois pas. Quand le film Germinal est sorti en Allemagne, personne ne sava1t que l'acteur Renaud était chanteur; en revanche, tout le monde connaissait Depardieu. Ce qui tendrait a démontrer que le cinéma fran4t3is joue encore un róle, tandis que la chanson fran aise est le domaine d'une minorité plutót intellectuelle. recherches. Ni un spectacle médiatique autour d'un joumaliste connu. C'était cinquante ans, il luí apporte quelque chose qui est sa marque particuliere: la sensibilité du témoin qui cherche une raison d'etre a tous ces événements aux quels il a assisté, qui cout1 aprés une logique impossible sans se munir d'outils scientifiques, mais qui apporte un plus, celui de la tendresse. Car Lucien Rioux aime tous ceux dont il nous parle, et la ou réside le mi racle, c'est que cet amour ne l'autorise pas pour autant a choisir un camp, un clan. Ni rive gauche, ni rock, ni folk, ni "variétoche", cet honune domine son sujet avec les yeux bienveillants d'un pére qui en a assez vu pour etre indulgent envers tous les rejetons (et rejetonnes) des mouvements forcenés de toutes les modes. Cinquante ans, c'est beaucoup. Pas assez pour voir!'ensemble de la ma chine, comprendre ce mécanisme étrange qui nous dépasse. Pas assez non plus pour arriver a classer ce qui apparait conune une guerre perpétuelle de courants paralleles, ignorants ou ennemis les uns des autres. Mais qu'importe? Notre plaisir a nous n se discute pas. Conune, dans son livre, toutes les tentatives de classement de Lucien Rioux échouent, il faut n'en retenir vraiment qu'une seule: celle de la chronicité. Les chapin es s'égrénent, par exemple, autour de I'Occupation et de la Libération pour constater que "la chanson peut traduire l'époque ou la fuir, retléter la réalité ou le réve" (p. 41 ). Son but n'est pas de comprendre l'histoire mais de nous la faire sentir. Il n'est pas inutile de rappeler aujourd'hui que l'aprés-guerre qui avait vu germer la fleur de l'existentialisme de Juliette Gréco a Boris Vian a vu aussi s'épanouir les chanteurs de channe, de Tino Rossi a Luis Mariano, et les grands comiques, de Bourvil a Salvador. La liberté n'a pas le méme sens artistique pour tout le monde. Mais un peu plus tard, entre les années cinquante et soixante, il y a de quoi perdre les pédales. Et Lucien Rioux les perd allegrement avec nous. 11 nous parle de tout le monde daos des chapitres fourre-tout ou se mélangent par Lucien Rioux, C inq11a11te Ans de chansonji an ise, Paris 1992.