Maria Montessori 2: Aide-moi à faire tout seul



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Maria Montessori 2: Aide-moi à faire tout seul Martine Gilsoul «L enfant, cet être neuf apporte au monde la sève qui sans cesse le revigore. Il empêche l écorce de s épaissir. Il permet que l humanité garde toujours ce regard neuf qui croit en la vie et veut agir» 1 Qui êtes-vous? C est la question qui habite Maria Montessori devant la radicalité du changement des enfants de l institut accueillant les enfants déficients mentaux et de la Casa dei Bambini de San Lorenzo et leur évolution si positive. Mais, plus largement, cette question va orienter sa relation avec eux : «Peut-être êtes-vous les enfants dont on a dit qu ils viendraient pour sauver l humanité. S il en est ainsi, je vous suivrai». Consciente que ce n est pas sa méthode, inexistante à l époque, qui peut expliquer le succès de San Lorenzo, elle attribue ce succès à une révélation émanant des enfants. Elle décide donc de se mettre à leur suite et de les écouter car elle reconnaît qu ils détiennent le secret de l âme : «We must know how to call to the man which lies dormant within the soul of the child. I felt this, intuitively, and believed that not didactic material, but my voice which called to them, awakened the children, and encouraged them to use the didactic material, ant through it, to educate themselves. I was guided in my work by the deep respect which I felt for their misfortune, and by the love which these unhappy children know how to awaken in those who are near them» 2. Son observation de l enfant, la connaissance profonde qu elle en a s apparente presque à une méditation alliant la lucidité à la tendresse, sans affectation aucune. Elle était comme en admiration devant la fraîcheur de l enfant qui lui rappelait sa source, le dessein créateur et aimant de Dieu. Elle est donc une des premières à traiter l enfant comme une personne à part entière, ce qui implique aussi un grand respect de son rythme, de ses aspirations mais aussi des besoins qu elle voit émerger. Elle a une confiance profonde dans la bonté de l enfant et une foi sans limites dans les trésors cachés de son âme. À première vue, cela peut sembler relever davantage de l angélisme ou du buonisme, mais si l on prend le temps de s arrêter et d observer l enfant à qui l on permet de se déployer, on s aperçoit combien la démarche montessorienne est ancrée dans le réel et respectueuse du mystère de l âme de l enfant qui jaillit du plus profond de son être. 1 M. MONTESSORI, L enfant, Desclée de Brouwer, 1994, p. 8. la plupart des ouvrages de Maria Montessori en langue française ont été publiés chez Desclée de Brouwer. 2 R. KRAMER, M. Montessori, A biography, Radcliffe Biography Series, 1988, p. 91.

Ainsi, la métaphore de l embryon spirituel est vraiment révélatrice de l esprit de la méthode : elle signifie que l enfant est en voie d incarnation et doit pour cela avoir la possibilité de vivre par lui-même dans une ambiance adaptée : comme l embryon physique a besoin d être protégé dans le sein de sa mère, l embryon spirituel a besoin d une ambiance extérieure animée, vivifiée par l amour, riche d aliments qui n entravent pas son développement. Pour Maria Montessori, il est essentiel de respecter la véritable nature de l homme : le corps doit être l instrument de l esprit. Il est donc nécessaire que l activité musculaire et intellectuelle procèdent de l intérieur et que la méthode accorde la primauté à l esprit et à la conscience. C est pourquoi elle rejette les formes d enseignement concret qui enlisent l enfant dans le sensible sous prétexte de passer par le sens mais qui souvent s y limitent. On touche ici du doigt le coeur de son opposition au mouvement de l Éducation nouvelle auquel elle refusera toujours d adhérer car elle ne partage pas leurs valeurs bien qu elle participe à leurs congrès à plusieurs reprises, rencontrant toujours un franc succès lors de la présentation de son matériel. Son refus d adhérer à la Ligue est motivé par le fait qu elle ne partage pas leur vision de l homme et donc par conséquent leurs principes éducatifs. Mais aussi parce que, plus concrètement, elle a horreur du désordre, de l amateurisme et du bricolage. Se perfectionner, travailler, aimer. Telles sont les lois inscrites au fond de l âme de l enfant qui le rendent toujours actif car il porte en lui l intérêt pour l activité et la connaissance et qui se révèlent être un précieux instinct agissant comme un guide naturel afin que son développement arrive à maturation. Cet instinct lui permet aussi de corriger ses erreurs lorsqu il en a pris conscience. L enfant porte en lui la clef de sa propre énigme individuelle. Les directives de développement sont inscrites en lui en puissance, elles sont donc extrêmement délicates dans leurs tentatives de réalisation. Il est facile qu elles soient déviées, abîmées par les interventions intempestives de l adulte qui est souvent empressé et concentré sur l efficacité de la réalisation. Maria Montessori est donc partisane d une éducation endogène d où découle le principe d auto-éducation qui permet de libérer les forces intérieures de l enfant. Sa compréhension de l enfant est universelle, on comprend alors qu elle a perçu le mystère ontologique de l être. L éparpillement sur le globe des écoles Montessori qui ont essaimé dès le début et qui continuent à s ouvrir de nos jours est la preuve de cette universalité. Ainsi, des parents pauvres de Chennai (Inde) témoignent émerveillés de la transformation profonde de leurs enfants alors qu ils ne fréquentent que depuis trois mois une école Montessori. Leur témoignage pourrait sortir de la bouche de parents américains, européens ou australiens... [www.youtube.com/watch?feature=endscreen&nr=1&v=rv2giitmbqo]. Aide-moi à faire tout seul Son observation du développement de l enfant lui permet d identifier plusieurs

périodes sensibles (celle de l ordre de la naissance à 6 ans ; du langage de 2 mois à 6 ans ; du raffinement des sens de 18 mois environ à 5 ans ;...) pendant lesquelles l enfant est comme poussé irrésistiblement par une sensibilité vers une caractéristique présente dans l ambiance. S il est soutenu pendant cette période, l apprentissage se fera en profondeur, sinon cette capacité risque de s étioler progressivement. Cela révèle surtout un amour de l ambiance dans lequel il évolue : «Ce n est pas l amour au sens où on l emploie communément pour exprimer un sentiment émotif, mais c est un amour de l intelligence, qui voit, absorbe et se construit en aimant. Ce guide, qui force les enfants à observer, on pourrait le désigner d une expression dantesque : intelligence de l amour. Une forme d amour, cette possibilité qu à l enfant d observer avec une telle minutie, une telle véhémence tout ce qui l entoure, et d y découvrir ce qui nous échappe, à nous, qui sommes déjà éteints» 3. Par son caractère individuel, la Méthode s attache à saisir chaque enfant personnellement là où il en est et à lever les handicaps qui éventuellement l habitent. L auto-éducation est donc un système ordonné et organisé d activités spontanées, suscitées et régulées par des occupations et des exercices dans lesquels ont été écrits les temps et les modes du travail de l enfant ainsi que la possibilité de se corriger seul. Un intérêt majeur du matériel élaboré est de permettre à l élève de prendre conscience de ses erreurs, ce n est pas l enfant qui décide ce qui est correct ou pas mais c est le matériel qui le lui montre. Ce n est donc pas l enfant qui construit en maître absolu son savoir mais il apprend par la médiation d un autre (ici le matériel). Si, d une part, Montessori plaide pour l activité libre de l enfant, de l autre elle milite pour le droit à la lenteur - dont beaucoup d adultes devraient s inspirer - car c est dans la lenteur que se constitue la personnalité. Enfant et adulte ont en effet une conception diamétralement opposée du temps : l enfant est complètement présent à ce qu il fait et n a pas comme l adulte le besoin de se presser à terminer son activité pour passer ensuite à une autre. Il arrive alors souvent que l adulte soit irrité par la lenteur de l enfant, par le fait qu il agisse d une manière différente que celle habituelle de l adulte. Alors, l adulte pour gagner du temps, fait les choses à la place de l enfant. Maria Montessori illustre cela en donnant simplement l exemple de l enfant qui veut se peigner seul le matin. Ce qui nous fait réfléchir sur la contagion négative des travers de l adulte. Souvent, l enfant répétera le même exercice qui correspond à un besoin de connaître, de comprendre qui l habite à ce moment-là. La répétition de l exercice lui permet aussi d apprendre qu il peut agir pour que certaines choses se produisent, qu il peut contrôler une partie de son environnement et que ses actions entraînent des conséquences. Maria Montessori décrit l épisode d une petite fille de trois ans qui était occupée à classer les cylindres par ordre de grandeur, qui les mélangeait une fois l exercice terminé pour recommencer à nouveau. Pour vérifier l intensité de sa concentration, elle demande aux autres élèves de chanter, de tourner en rond autour d elle, elle déplace sa chaise, rien 3 M. MONTESSORI, L enfant, p. 210.

n y fait. La petite fille répétera l exercice 42 fois : «... Then she stopped as if coming out of a dream and smiled happily. Her eyes shone brightly and she looked about. She had not even noticed what we had done to disturb her. And now, for no apparent reason, her task was finished» 4. En invitant les enfants à apprendre à faire seuls, à guider leurs propres actions, à diriger leur volonté, elle veut les aider à ne pas succomber à la tentation facile de suivre le troupeau, à ne pas être habité d un esprit de dévotion ou d idolâtrie envers les chefs. Lorsque l on sait que Maria Montessori écrit ses observations au début des années Trente lorsque l Europe voit se profiler les régimes totalitaires, on comprend aisément combien il était important pour elle de permettre à la conscience responsable des enfants de s affermir et de faire l expérience d une liberté finalisée à la paix et au Bien. L esprit absorbant de l enfant L intelligence de l enfant absorbe en aimant et non pas de manière indifférente. Il s agit donc d une absorption active, ardente, minutieuse, constante qui est un caractère propre aux enfants. Le titre d un de ses ouvrages est aussi une autre manière d indiquer combien l ambiance est importante car l enfant se nourrit et s imbibe de ce climat dans lequel il vit. On pourrait résumer ce climat en six mots : travail, silence, concentration, discipline, paix et liberté. L enfant est libre de se déplacer dans la classe et de parler à voix basse à la condition de ne pas déranger le travail des autres. Le matériel existe en un seul exemplaire pour inviter les enfants à attendre qu un autre enfant ait terminé son travail avant de pouvoir prendre le matériel qui doit toujours être rangé à la même place, une manière d apprendre la patience et l auto-discipline. L environnement, pensé dans les moindres détails, sert donc de guide et de cadre à l activité de l enfant, ce qui prouve que les polémiques reprochant à la Méthode Montessori un certain laxisme dans l activité de l enfant qui pourrait faire n importe quoi ne sont pas fondées. Compter ses paroles Maria Montessori invite l adulte, qui croit souvent être le créateur de l enfant, à modifier complètement sa relation avec lui. Il ne s agit donc plus pour l adulte de guider l activité de l enfant en se présentant comme le modèle mais de l initier, d éveiller et de stimuler son intérêt par une observation attentive en lui garantissant une ambiance de travail propice. Cette position de l adulte est loin d être facile et secondaire. En effet, ce n est pas parce que son rôle est discret qu il ne fait rien et qu il laisse le champ libre à l enfant. Une des choses les plus importantes pour Montessori est la qualité de l observation de l adulte. Durant les 4 R. KRAMER, Maria Montessori. A biography, p. 114.

cours de formation, des dizaines d heures sont consacrées à l observation de l enfant au travail dans un environnement préparé de qualité en prenant des notes qu on évoque ensuite avec le formateur. L adulte, observateur accueillant et interprète des comportements de l enfant, est invité à comprendre ses motivations et à construire un milieu dans lequel il peut faire les expériences fondamentales pour sa formation en correspondance à son âge. Il revient donc à l adulte de prendre l habitude d agir indirectement, en comptant ses paroles afin que l enfant ait toujours la certitude que l adulte est source de compréhension, qu il est là pour l encourager. Dans L enfant en famille (1923) Montessori écrit que l adulte ne doit pas apparaître parfait aux yeux des enfants mais qu en revanche il est nécessaire qu il reconnaisse ses défauts et qu il accepte patiemment leurs observations lorsqu elle sont justes. L éducateur ne doit donc pas être un modèle de perfection mais il doit vivre son rôle bien et sérieusement, honnêtement, en observateur patient des réactions, de la personnalité et du développement de l enfant plutôt qu en détenteur d une liste de principes d actions rigides et immuables. Par conséquent, l adulte doit faire preuve d auto-contrôle, de cohérence, d ouverture, de disponibilité pour écouter et pour dialoguer ouvertement. Mais il doit aussi être prêt à réfléchir à ses actes, à revoir ses positions face aux demandes et aux stimulations qui viennent de l enfant. La science derrière le génie Maria Montessori a donc véritablement opéré une révolution dans le monde de l éducation car lorsqu elle élabore sa méthode, elle est à contre-courant de l esprit dominant. À l époque règne une conception de l éducation qui s assimile à la fabrication de l homme par la contrainte et qui suscitera, par réaction, la floraison du mouvement de l éducation nouvelle où s élabore une conception de l enfant basée sur une certaine vision de la liberté, mais où sont parfois absents le bon sens et un minimum de discipline. Cela peut expliquer les accents parfois utopistes de certains des écrits de Maria Montessori - le plus souvent la transcription des conférences qu elle prononce lors de ses nombreux déplacements - car sa compréhension de l enfant l habite si profondément qu on a parfois l impression qu elle souffre de voir les déviations que provoque le comportement inadapté des adultes. Pour elle, le but glorieux de l éducation est l amélioration de l humanité et l adoption par les jeunes d une claire conscience sociale. Malgré ses accents parfois utopistes, elle est bel et bien habitée par une conception réaliste de l enfant car il est primordial pour elle que la pédagogie soit une méthode scientifique basée sur une observation attentive de l enfant et sur de nombreuses expérimentations. Les écrits de Maria Montessori peuvent parfois nous sembler exaltés car elle voulait changer le monde en éduquant un homme nouveau. Elle alliait un certain mysticisme à son intuition enthousiaste, ce qui engendre parfois des imprécisions dans les termes philosophiques qu elle utilise et de la confusion lorsqu elle écrit à

propos de la vie spirituelle de l enfant. Cela se ressent principalement dans ses premiers écrits. Néanmoins, les résultats sont là. Le titre de la recherche empirique réalisée par une professeur de psychologie de l Université de Virginia, Angeline Stoll Lillard, The Science behind the Genius 5, est révélateur de la justesse de l intuition de Maria Montessori. Cette recherche montre que les résultats obtenus par des enfants fréquentant les bonnes écoles Montessori sont bien plus que des résultats purement scolaires : ils donnent aux jeunes qui sortent de ces écoles une ouverture d esprit, une capacité d adaptation alliées à une aptitude à se concentrer et à une plus grande confiance en soi. Au point qu aux États-Unis on parle d une mafia montessori car les fondateurs de Google, Amazon, Wikipiedia et d autres encore sont tous des enfants Montessori. De San Lorenzo aux favelas et aux bidonvilles Si l on peut se réjouir d un certain retour de la Méthode Montessori, une nouvelle pédagogie vieille d une centaine d années qui a fait ses preuves, on pourra néanmoins regretter les nombreuses divisions qui règnent dans l univers Montessori. Certains considèrent Maria Montessori comme un demi-dieu qui a tout dit et sa méthode comme un monolithe alors que comme l ont montré Lubienska et son mari 6 ainsi que le Père Faure en France, certains aspects peuvent être améliorés ou adaptés à la société actuelle et aux différentes cultures. On pourra aussi déplorer le coût élevé du matériel, breveté par la volonté des Montessori, mère et fils, et qui est un frein pour de nombreuses écoles ainsi que celui des formations nécessaires pour que les éducateurs comprennent l esprit de la méthode et l utilisation du matériel. Heureusement, certaines expériences, en Tanzanie 7 par exemple, montrent qu il est possible de pratiquer la méthode avec du matériel de récupération. Car, en effet, si ce sont les enfants du quartier pauvre de San Lorenzo qui ont contribué à créer la Méthode Montessori, il est décevant de voir qu actuellement ceux qui peuvent fréquenter la plupart de ces écoles proviennent de familles aux moyens financiers conséquents. Quelques expériences pour les enfants pauvres, trop peu nombreuses, ont vu le jour en Afrique noire (Tanzanie, Kenya, Ethiopie...) ou en Inde. Lorsque j écris ces lignes me revient en mémoire la transformation des enfants qui fréquentent les activités parascolaires de la paroisse Nossa Senhora dos Alagados, dans une favelas violente de Salvador de Bahia. Lors d une démonstration d origami, la plupart d entre eux sont restés captivés pendant dix 5 Le premier chapitre de cette recherche est disponible sur le site de l auteur : http://www.montessori-science.org/montessori_science_articles.htm 6 WENDWORTH R, Montessori for the new millenium : Practical guidance on the teaching and education of children of all ages, based on a rediscovery of the true principles and vision of Maria Montessori. Mahwah, 1999, NJ, Lawrence Erlbaum. 7 M. DWYER, SR G. KASHAMBA, SR A. LOKO, Montessori dans le monde en voie de développement. 33 ans d expérience en Afrique, 24th International Montessori Congress, Paris, juillet 2001.

minutes, restant immobiles, dans un silence d une profondeur palpable : du jamais vu pour leurs animateurs. Résultat encore plus spectaculaire lorsque l on sait que ces enfants, peu structurés, sont incapables de se concentrer et d attendre que leur compagnon de jeu leur relance le ballon qu il vient à peine de lui lancer. Ces déficiences de l attention sont des conséquences d un déficit dans leur régime alimentaire mais aussi du milieu extrêmement violent et déstructuré qui est le leur. Alors, osons rêver et espérer qu un jour ces enfants, tellement semblables à ceux de San Lorenzo, puissent eux aussi profiter de cette méthode qui leur permettrait de se développer harmonieusement mais surtout de devenir des hommes conscients, responsables de leurs actes et capables de décider librement de ce qu ils veulent de mieux pour leur vie. Peut-être est-ce une manière efficace, mais de longue haleine, de combattre les fléaux de la drogue, de la violence et des sectes qui pullulent dans ces quartiers. Il revient à des éducateurs courageux et des décideurs politiques d oser aller à contre-courant du pédagogisme régnant et de se former à la Méthode Montessori mais aussi de la pratiquer dans les endroits reculés, négligés et d aider ces enfants à se débarrasser des scories qui les empêchent de mener une vie digne afin de leur permettre de déployer les trésors enfouis dans leur âme pour qu ils puissent rayonner de leur mille facettes.