TÉMOIGNAGE DE L INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC À LA COMMISSION CARACTÉRISTIQUES DES MARCHETTES POUR BÉBÉ



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Transcription:

TÉMOIGNAGE DE L INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC À LA COMMISSION D EXAMEN CHARGÉE D ÉTUDIER LA NATURE ET LES CARACTÉRISTIQUES DES MARCHETTES POUR BÉBÉ DIRECTION DÉVELOPPEMENT DES INDIVIDUS ET DES COMMUNAUTÉS OCTOBRE 2006

AUTEURS Sylvain Leduc, M.D., M. Sc., FRCPC Unité Sécurité et prévention des traumatismes Direction Développement des individus et des communautés Institut national de santé publique du Québec Pierre Maurice, M.D., M.B.A., FRCPC Unité Sécurité et prévention des traumatismes Direction Développement des individus et des communautés Institut national de santé publique du Québec Ce document est disponible intégralement en format électronique (PDF) sur le site Web de l Institut national de santé publique du Québec au : http://www.inspq.qc.ca. Les reproductions à des fins d étude privée ou de recherche sont autorisées en vertu de l article 29 de la Loi sur le droit d auteur. Toute autre utilisation doit faire l objet d une autorisation du gouvernement du Québec qui détient les droits exclusifs de propriété intellectuelle sur ce document. Cette autorisation peut être obtenue en formulant une demande au guichet central du Service de la gestion des droits d auteur des Publications du Québec à l aide d un formulaire en ligne accessible à l adresse suivante : http://www.droitauteur.gouv.qc.ca/autorisation.php, ou en écrivant un courriel à : droit.auteur@cspq.gouv.qc.ca. Les données contenues dans le document peuvent être citées, à condition d en mentionner la source. CONCEPTION GRAPHIQUE MARIE PIER ROY DÉPÔT LÉGAL 1 er TRIMESTRE 2007 BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA ISBN 13 : 978-2-550-49098-2 (VERSION IMPRIMÉE) ISBN 13 : 978-2-550-49099-9 (PDF) Gouvernement du Québec (2007)

TABLE DES MATIÈRES 1. CONTEXTE...1 2. MÉTHODOLOGIE...3 3. POURQUOI DES PARENTS SE PROCURENT-ILS DES MARCHETTES POUR BÉBÉ?...4 4. LES MARCHETTES SONT-ELLES UTILES AU DÉVELOPPEMENT?...5 5. LES MARCHETTES, MÊME ÉLABORÉES SELON LA NORME ASTM, SONT-ELLES SÉCURITAIRES?...6 6. LA LOI (OU SON MAINTIEN) EST-ELLE NÉCESSAIRE?...9 BIBLIOGRAPHIE...11 Institut national de santé publique du Québec I

1. CONTEXTE Le 23 mars 2004, le Gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre de la Santé et en vertu du paragraphe 6 de la Loi sur les produits dangereux, a rendu un décret interdisant l annonce, la vente et l importation du produit connu comme étant une : Marchette pour bébé montée sur roues ou autres objets similaires et comportant une enceinte qui supporte le bébé en position assise ou debout de sorte que ses pieds puissent toucher le sol et ainsi permettre le déplacement horizontal de la marchette. Dans une lettre du 21 mai 2004, un distributeur de marchettes pour bébé a demandé au ministre de la Santé le renvoi du décret devant une commission d examen en vertu de l article 8 de la Loi sur les produits dangereux. Le 2 juin 2006, le ministre de la Santé a annoncé la constitution d une Commission d examen, conformément au paragraphe 9 de la Loi sur les produits dangereux. En vertu du paragraphe 9 de cette loi, la Commission d examen est chargée d étudier la nature et les caractéristiques du produit. De plus, elle doit donner au distributeur qui a fait la demande de renvoi et à toute autre personne touchée par le décret une possibilité raisonnable de comparaître devant la Commission et de lui présenter des éléments de preuve et des observations. Toute personne qui désire participer à l enquête doit déposer un avis d intention de comparaître et indiquer notamment les raisons pour lesquelles elle est touchée par le décret au sens du paragraphe 9 de la Loi sur les produits dangereux. L Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) participe à l enquête en comparaissant devant la Commission et en lui présentant des éléments de preuve et des observations. L INSPQ est touchée par le décret du Gouverneur en Conseil interdisant la publicité, la vente ou l importation des marchettes pour bébé au sens du paragraphe 9 de la Loi sur les produits dangereux pour les raisons suivantes : L INSPQ est un organisme créé en juin 1998. Il s agit d un centre d expertise et de référence en matière de santé publique au Québec. Son objectif est de faire progresser les connaissances et de proposer des stratégies et des actions intersectorielles susceptibles d améliorer l état de santé et de bien-être de la population. Les traumatismes sont parmi les objets de préoccupation de l INSPQ. Comme les marchettes pour bébé constituent un facteur d insécurité important, tout changement législatif susceptible d en accroître l accès nous préoccupe au plus haut point. Institut national de santé publique du Québec 1

De plus, l INSPQ est particulièrement concerné par un objectif du programme national de santé publique du Québec qui stipule que d ici 2012, on vise «réduire la morbidité et la mortalité liées aux chutes et aux blessures à domicile». C est pourquoi, dans un souci d améliorer la sécurité des bébés et de conserver les acquis, l INSPQ comparaît devant la Commission pour lui faire valoir les arguments de santé publique importants à considérer autour de cette problématique et pour formuler ses recommandations. Dans ce témoignage, nous nous questionnerons sur les raisons qui poussent les parents à doter leurs jeunes enfants de marchettes, et si leur utilisation peut comporter des avantages sur le développement psychomoteur. Ensuite, nous étudierons la dangerosité que représentent les marchettes, même élaborées selon la norme américaine ASTM de 1997 et nous nous positionnerons sur la nécessité de maintenir le décret canadien adopté en 2004. Institut national de santé publique du Québec 2

2. MÉTHODOLOGIE Pour statuer sur ces différents éléments, nous avons d abord procédé à une recherche classique sur la base de données «MEDLINE» à l aide des mots clés suivants : walker, baby walker injury, baby walker injuries, injury caused by baby walkers, marchettes (incluant toutes les variantes utilisant les mots au singulier et au pluriel). Nous avons dans un deuxième temps étudié les données issues du système canadien hospitalier d information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT), particulièrement celles du plus récent bulletin «CHIRPP INJURY BRIEF» de l Agence de santé publique du Canada. Enfin, nous avons complété notre recherche par une consultation des sites WEB suivants : Santé Canada, Agence de santé publique du Canada, U.S. Consumer Product Safety Commission, Centers for Disease Control and Prevention. Institut national de santé publique du Québec 3

3. POURQUOI DES PARENTS SE PROCURENT-ILS DES MARCHETTES POUR BÉBÉ? Bien que l utilisation de marchettes puisse être le fait de n importe quelle famille, des études anglaises ont démontré qu elles étaient particulièrement fréquentes chez les familles ayant un faible revenu et celles habitant dans des zones défavorisées. 1 Il est intéressant de savoir que lorsque l on interroge des parents concernant l utilisation de marchettes pour bébé, ceux-ci déclarent comme facteurs de motivation les éléments suivants 2 : Cela aide les enfants à demeurer tranquilles et leur procurent du plaisir; Cela est bon pour le bébé car cela favorise le développement de la mobilité en faisant de l exercice; Cela garde l enfant en sécurité Il est bien difficile de porter un jugement sur la première assertion, bien qu on puisse émettre un certain doute que d asseoir un jeune enfant dans un siège sur roulettes l aide à rester bien tranquille. On peut toutefois porter un meilleur jugement sur les deux autres affirmations : les marchettes sont-elles vraiment utiles au développement et gardent-elles les enfants en sécurité? Institut national de santé publique du Québec 4

4. LES MARCHETTES SONT-ELLES UTILES AU DÉVELOPPEMENT? Dans son dernier énoncé portant sur l utilisation de marchettes pour bébé, l American Academy of Pediatric 3 statuait que les marchettes n aidaient pas les enfants à apprendre à marcher, et qu en plus elles pouvaient retarder le développement psychomoteur. L AAP affirmait aussi que même si les parents croient souvent que l utilisation de marchettes aide les enfants à apprendre à marcher, aucune donnée scientifique ne supporte cette croyance. L AAP cite notamment l étude récente de Siegel et al., 4 qui rappelle que des enfants âgés de 6 à 15 mois utilisant des marchettes s assoient, rampaient et marchaient plus tardivement que les enfants du groupe contrôle (sans marchette), et qu ils affichaient un résultat inférieur sur l échelle de Bayley mesurant le développement psychomoteur. En fait, il n est pas surprenant que les marchettes ne soient pas utiles, car elles limitent les chances de l enfant d apprendre à marcher à quatre pattes (étape importante de l exploration et de la marche). Elles obligent également l enfant à utiliser les muscles arrière des jambes et des orteils, au lieu des muscles avant et arrière comme l exige la marche. 5 Institut national de santé publique du Québec 5

5. LES MARCHETTES, MÊME ÉLABORÉES SELON LA NORME ASTM, SONT-ELLES SÉCURITAIRES? Avec une marchette, un bébé peut se déplacer à une vitesse d environ un mètre par seconde et ce déplacement rapide peut l exposer à certains dangers 5, 6. Il peut frapper des meubles, avoir accès à des surfaces chaudes et tirer sur des cordons électriques. De plus, les marchettes peuvent se renverser et tomber dans un escalier, entraînant des blessures corporelles graves, y compris des traumatismes crâniens ou des décès. 5 Aux États-Unis, entre 12 % à 40 % des parents dont les enfants utilisent des marchettes ont rapporté que leur enfant avait déjà subi une blessure y étant relié 3, alors qu en Angleterre, cette proportion variait de 12 à 50 %. 2 Du nombre, une proportion importante survient par chutes dans les escaliers, entraînant des blessures potentiellement graves. Cela a notamment motivé les membres de la Juvenile Products Manufacturers Association à participer en 1997 à l élaboration d une norme de sécurité volontaire visant les marchettes pour bébé sous les auspices de l American Standards for Testing Materials (ASTM). Cette norme exige que les marchettes comportent une caractéristique de conception qui les empêche de chuter dans un escalier en s arrêtant au bord d une marche, ou bien qu elles aient une largeur minimale de sorte qu elles ne puissent passer par une porte standard. 5 Mais en vertu de cette norme, des marchettes pour bébé plus larges que 914 mm (36 po) n ont pas à être munies de bandes antidérapantes. Il est donc toujours possible qu un enfant tombe dans des marches ou des escaliers plus larges que la largeur standard. 5 En plus, les essais effectués par Santé Canada sur des marchettes respectant la norme ASTM n ont pas démontré que ces marchettes procuraient un degré de sécurité adéquat pour les enfants qui les utilisent. Ces essais ont en effet démontré qu à des vitesses de déplacement inférieures à celles précisées dans l essai de l ASTM F 977-00, les marchettes étaient susceptibles de basculer lorsqu elles atteignent l extrémité de la plate-forme d essai. 7 Santé Canada n est d ailleurs pas seul à croire que la norme ASTM ne soit pas adéquate. Ridenour a d ailleurs mis en évidence des lacunes importantes du système de freinage installé sur des marchettes manufacturés après le 30 juin 1997, et a évoqué le danger que les parents pouvaient avoir un faux sentiment de sécurité à l égard de ces marchettes. 8 Puis, une étude récente de 2000-2001 par la US Consumer Product Safety Commission révélait que 14 % des blessures survenant par chutes en marchettes dans les escaliers mettaient en cause les nouveaux modèles conformes à la norme, et que 16 % concernaient des marchettes dont le statut était inconnu. 9 Institut national de santé publique du Québec 6

L autre grande préoccupation à propos des marchettes respectant la norme ASTM demeure la survenue des blessures dite «de proximité». Cette notion de proximité concerne la capacité de l enfant dans une marchette de se déplacer autour d endroits élevés qui ne lui sont normalement pas accessibles et de les atteindre. Ces marchettes permettent donc aux enfants d atteindre et de tirer vers le bas un grand nombre d articles comme des bouilloires chaudes, des lampes et des grille-pain pouvant causer des brûlures, des égratignures et des contusions. 5 Il est difficile de quantifier combien de blessures dites de «proximité» se produisent là où des législations ont adopté les nouvelles normes de sécurité en matière de marchettes, comme en Australie par exemple. C est toutefois l objet d une étude rétrospective provenant de ce pays, et qui a revu les circonstances de blessures par marchettes survenues entre 1986 et 2000 (recensées dans The South Australian Department of Human Services Injury Surveillance System). Leurs résultats durant cette période : 46 % des blessures étaient de «proximité», et donc pour laquelle la nouvelle norme n aurait eu aucun effet! 10 Au Canada, les données issues du système CHIRPP ne nous permettent pas d estimer l ensemble des blessures mais sert à décrire le profil des blessures subies par les enfants en raison de l utilisation des marchettes. La dernière publication sur le sujet 11 a mis en évidence que pour les blessures recensées entre 1990 et 2003, la proportion des blessures qui survenaient associées aux marchettes nécessitaient une hospitalisation dans 8,1 % des cas. Cela est supérieur à la proportion des blessures nécessitant également une hospitalisation pour des enfants du même âge mais non associées aux marchettes qui étaient de 5,2 %. Ces résultats témoignent d une plus grande sévérité des blessures survenant lorsqu une marchette est impliquée. Ce n est guère surprenant puisqu avec une marchette, les enfants vont plus vite, peuvent chuter plus facilement et sont capables d atteindre des objets plus élevés que lorsqu ils en sont dépourvus. Les données issues du système CHIRPP nous démontrent également que la proportion des blessures associées aux marchettes qui survenaient par chute dans les escaliers n a pas vraiment varié entre 1990 et 2002. En effet, cette proportion a toujours représenté de 81 à 93 % des circonstances de blessures par marchettes, et sans aucune diminution de cette circonstance observée dans les dernières années recensées. On aurait pu penser qu avec l introduction de nouvelles marchettes au Canada qui auraient été conçues avec la norme ASTM de 1997, il y aurait eu diminution de la proportion de blessures par chute dans les escaliers, mais ce ne fut absolument pas le cas. Ce que l on voit par contre est la diminution de la proportion de blessures par marchettes par rapport à l ensemble des blessures recensées dans CHIRPP entre 1990 et 2002 (de 6,5 à 2 %). Cela évoque bien davantage ce qui a été observé également aux États-Unis, c est-àdire une diminution du nombre de blessures par marchettes grâce à une diminution du nombre de marchettes en circulation. Car, à la suite de l adoption de la norme ASTM aux États-Unis, on a effectivement observé une réduction du nombre de blessures associées aux marchettes. Selon des auteurs de la U.S. Consumer Product Safety Commission, les efforts de sensibilisation par les pédiatres sur les dangers des marchettes auraient eu un effet sur le nombre utilisé (soit une réduction d environ 25 % depuis que l AAP a débuté ses efforts Institut national de santé publique du Québec 7

officiels). Cette réduction (du nombre de marchettes en utilisation) serait l explication la plus plausible pour expliquer la forte baisse de blessures associées aux marchettes entre 1981 et 2002. 12 Une autre explication avancée (et qui va dans le même sens) voudrait que la réduction marquée des blessures par marchettes aux États-Unis après 1994 (soit avant l introduction de la norme ASTM de 1997) coïncide avec l introduction des centres d activités stationnaires 13, 14 pour enfants, suggérant l utilisation de cette alternative aux marchettes. Institut national de santé publique du Québec 8

6. LA LOI (OU SON MAINTIEN) EST-ELLE NÉCESSAIRE? La position de l INSPQ est que le maintien du décret interdisant les marchettes au Canada depuis le 7 avril 2004 doit être maintenu. Les raisons sont les suivantes : Il a été clairement établi que les blessures associées aux marchettes sont fréquentes, et peuvent également être graves, voire mortelles. Même l adoption de la norme ASTM n a pas complètement réglé le problème des blessures par chute comme l ont démontré les études de Santé Canada et de la US Consumer Product Safety Commission. De plus, cette norme n offre aucune prévention des blessures de proximité qui, on l a vu en Australie, peuvent représenter une proportion importante des blessures associées aux marchettes. Les marchettes sont inutiles pour le développement psychomoteur de l enfant, et sont même probablement nuisibles (en plus d être dangereuses). Les marchettes, même respectant la nouvelle norme, procurent un faux sentiment de sécurité auprès des parents qui peuvent ainsi diminuer leur supervision et leur vigilance. Même avec l adoption de la norme américaine de fabrication ASTM, il faut noter que de nombreux modèles asiatiques et européens (non conformes à la norme ASTM) sont toujours vendus dans les marchés aux puces et par des vendeurs itinérants. En ouvrant à nouveau la vente de marchettes, il serait difficile d informer correctement la population sur les risques encourus par les différents modèles. L interdiction totale limite la confusion. De nombreux organismes crédibles en appellent eux aussi à l interdiction des marchettes, y compris aux États-Unis. Du nombre, on souligne celui de l American Academy of Pediatrics (AAP). Selon des auteurs de la U.S. Consumer Product Safety Commission, les efforts déployés par l AAP pour avertir les parents des dangers associés aux marchettes auraient eu un effet sur le nombre de marchettes utilisées (soit une réduction d environ 25 % depuis que l AAP a débuté ses efforts officiels). Cette réduction (du nombre de marchettes en utilisation) serait l explication la plus plausible pour expliquer la forte baisse de blessures associées aux marchettes entre 1981 et 2002, 12 de même que l utilisation d alternative aux marchettes soit les centres d activités stationnaires 13. Institut national de santé publique du Québec 9

Au Canada, les données les plus récentes issues de CHIRPP nous laissent croire qu ici aussi, le nombre de marchettes en circulation pourrait expliquer la réduction du nombre de blessures qui y sont associées par rapport à l ensemble des blessures subies par les enfants. Toutefois, l adoption de nouvelles normes de fabrication n a pas modifié le pourcentage de blessures qui surviennent par chute dans les escaliers, ces dernières provoquant généralement des blessures graves. Enfin, de nombreux parents croient encore à l utilité et à la sécurité des marchettes, et ce, malgré toutes les informations que l on peut leur procurer. Il est bon de rappeler que des études antérieures ont bien démontré que les marchettes étaient davantage utilisées par les familles à faible revenu 1. Un allègement de la législation exposerait vraisemblablement encore davantage les familles déjà plus touchées par la problématique des traumatismes chez les enfants. Institut national de santé publique du Québec 10

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N de publication : 582