Recension. Les secrets professionnels Approche transversale 1



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Recension Les secrets professionnels Approche transversale 1 Le Jeune barreau de Charleroi et Anthemis publient les actes d un colloque organisé le 23 avril 2015, sous le titre Les secrets professionnels - Approche transversale. Dans sa préface, le bâtonnier de l Ordre des avocats du barreau de Charleroi, Michel Fadeur, souligne que les projets de l État comportent maintes atteintes potentielles au secret professionnel, «inqualifiables et inacceptables». La lecture des communications en devient d autant plus intéressante. «Le secret professionnel de l avocat» est traité par M e Pierre Neuville, qui rappelle que tant la Cour de cassation que la Cour européenne des droits de l homme ont admis que «le secret professionnel auquel sont tenus les membres du barreau repose sur la nécessité d assurer une entière sécurité à ceux qui se confient à eux». De fait, le secret professionnel de l avocat, étrangement non défini par la loi belge, trouve sa racine légale dans les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l homme, stipulant que l avocat n est pas obligé, ni par la loi ni par l autorité, d abandonner les secrets que son client lui confie, l inviolabilité de la correspondance entre l avocat et son client étant d autre part assurée, même vis-à-vis de l administration pénitentiaire. Aussi, le secret professionnel est-il d ordre public, général, absolu et illimité dans le temps ; sa violation est sévèrement sanctionnée, pénalement et disciplinairement, ce qui garantit, notamment au client, son respect, comme le souligne le bâtonnier Burguburu de l Union internationale des avocats. Le secret professionnel de l avocat voit ses limites contestées, comme par la loi sur le blanchiment d argent, par la loi concernant la protection des personnes potentiellement vulnérables, par les écoutes téléphoniques et celles effectuées (certes en France), dans un contexte hautement contestable, des conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat sont un exemple des dérives d un pouvoir lui-même à la dérive, qui menace les principes les plus importants. Et cependant, il est des exceptions au secret admises par les avocats eux-mêmes. Certaines s exercent en accord avec le client, comme en matière d assurance protection juridique. D autres ressortissent au conflit de valeurs : le secret pourrait être levé si la valeur en question était plus importante que le secret lui-même, par exemple si l avocat apprend que son client se propose d attenter à la vie ou à la santé d autrui. Ainsi se distingue un noyau dur du secret, devant bénéficier d une protection sans faille, et un devoir de discrétion, moins absolu, dont l avocat ne fera cependant usage qu avec la plus extrême prudence. 1. I. Bouioukliev (coord.), Les secrets professionnels. Approche transversale, Limal, Anthemis, 2015. Anthemis 164

Revue belge du dommage corporel et de médecine légale «Le secret de l enquête pénale» devrait être la pierre angulaire de la procédure répressive, garant du respect des droits de la défense et de la présomption d innocence, mais aussi obstacle à l information et à la liberté de la presse. C est cette intéressante dualité que le juge Paul Dhaeyer et le substitut Julien Moinil traitent de façon détaillée, après avoir rappelé la teneur de l article 458 du Code pénal qui indique que, sauf les exceptions prévues par la loi, l instruction est secrète et que le secret s impose à toutes les personnes appelées à prêter leur concours professionnel à l instruction, la violation du secret étant assortie de peines. Ceci vaut évidemment pour les experts en toutes matières appelés à donner un avis. Les exceptions légales au secret externe de l instruction (le secret interne concerne le suspect, la victime et le témoin) visent les communications à la presse, celles aux autorités administratives, gouvernementales et législatives et enfin celles à l administration fiscale. Ces points sont développés avec pertinence, ainsi que d autres qui intéressent moins directement les médecins : nous ne pouvons nous y attarder. Les droits de la défense s opposent-ils au secret de l instruction? L inculpé maintenu en détention préventive possède un accès automatique au dossier ; il le perd dès qu il est remis en liberté. Quant à son avocat, l article 37, 4, du Code d instruction criminelle prévoit qu il puisse communiquer des informations à la presse lorsque l intérêt de son client l exige, mais il n est pas autorisé à révéler à la presse des secrets confiés par le client si celui-ci n a pas émis son accord. En outre, il ne lui est pas permis d utiliser des pièces du dossier dans un but médiatique ou à des fins étrangères à la défense de son client. La protection du secret professionnel des tiers dans le cadre de l instruction soulève le problème des saisies dans les cabinets d avocat, sachant que le secret de l avocat est sacré, et la saisie des dossiers médicaux. Pour les avocats, un droit coutumier s est développé au fil des jurisprudences, et le rôle du bâtonnier ou de son représentant, membre du conseil de l Ordre, est souligné. En ce qui concerne la saisie des dossiers médicaux, la procédure est opérée de la même façon, en présence d un représentant du conseil de l Ordre des médecins. Enfin, le secret de l enquête pénale a ses caractères propres. Il est relatif dans le temps puisque, lorsque l enquête est terminée, le droit à la publicité reprend le dessus, parfois même avant, lorsque certaines étapes sont franchies. Si le secret est destiné à protéger l enquête, il est aussi, paradoxalement, un fragile rempart derrière lequel le prévenu qui n est pas un coupable peut tenter de protéger ce qui reste de sa vie privée. Mais le secret partagé est peut-être une façon de replacer le secret de l instruction au service exclusif du justiciable. Anthemis 165

«Secret médical et justice». Médecin légiste, le professeur Jean-Pol Beauthier était naturellement qualifié pour traiter ce sujet. Il l a fait avec la caution du bâtonnier Hubert de Stexhe et de M e François Feron, du barreau de Charleroi. Après avoir rappelé le principe initial et légal du secret médical, soit l article 458 du Code pénal, l auteur rappelle opportunément que l arrêt de la Cour de cassation du 30 octobre 1978 stipule que «le secret professionnel des médecins ne porte que sur des faits secrets de leur nature ou confiés, expressément ou tacitement, au médecin dans l exercice de sa profession». La marche lente depuis le secret médical d ordre public, «absolu» jusqu à la situation actuelle, reflète bien l évolution des mœurs, des mentalités, des aspirations et des réflexions : le patient devient le réel «maître du secret». Ainsi, en matière d assurances, «le médecin choisi par l assuré peut remettre à l assuré qui en fait la demande les certificats médicaux nécessaires à la conclusion ou à l exécution du contrat», ceci moyennant quelques garde-fous, comme l exclusion des analyses génétiques, dont le caractère prédictif fausserait la notion de risque inhérente à toute forme d assurance. Que peut dévoiler le thérapeute à la justice hormis les exceptions légales (déclarations obligatoires)? Par ses certificats, il atteste d un fait médical ou de son absence, et l auteur souligne à juste titre l importance du certificat médical de premier constat en matière d accident : base de l édifice médico-légal qui pourra amener à l indemnisation d une victime, ce document est souvent bâclé, incomplet ou imprécis, quand il n est pas volontairement quasi inutilisable comme celui qui émane de bien des hôpitaux même universitaires, croyant se prémunir contre toute atteinte au secret professionnel ainsi bien incompris Poursuivi en justice, le médecin peut dire tout ce qui est utile à sa défense. Appelé à témoigner en justice, le médecin doit donner suite à sa convocation, après quoi il est libre de parler ou de se taire. Dès le 1 er mars 2013 est entrée en vigueur une modification de l article 458bis du Code pénal rendant possible la divulgation si le praticien a connaissance d une infraction commise chez un mineur ou sur une personne vulnérable (en raison de son âge, d un état de grossesse, de la violence entre partenaires, d une maladie ou d une infirmité, d une déficience physique ou mentale). Le 14 septembre 2013, l article 61 du code de déontologie médicale a été modifié dans le même esprit. Dans le cadre de la médecine d urgence, diverses situations soumettent le médecin à des dilemmes, dont certains sont exposés à titre d exemples. Anthemis 166

Revue belge du dommage corporel et de médecine légale Thérapeute, patient et médecin expert : jusqu où va le secret? Le thérapeute, dépositaire du dossier médical de son patient, n en est plus le propriétaire, et la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient règle la transmission des éléments que celui-ci désire obtenir. L article 62 du code de déontologie médicale prévoit que la communication des éléments de dossier nécessaires à l expert judiciaire peut se faire lorsqu elle est «limitée aux données objectives médicales en relation directe avec le but précis de l expertise, et que le patient a donné son accord». Autour de ces pistes, l auteur envisage une série de situations particulières, qui doivent être lues in extenso et non résumées. De quoi peut faire rapport le médecin expert judiciaire à la justice? De tout ce qui a trait à sa mission, de rien de ce qui lui est étranger. À ce propos, l auteur fait sien un principe que j enseignais à mes étudiants, généralement étonnés : les antécédents de la victime n ayant aucune possibilité d interférence avec les suites de l accident en cause n ont pas à être révélés et donc à être exposés à tous les intervenants au procès ; ils font partie de la vie privée. L expert ne peut évidemment répondre qu au juge ou à l administration qui l a désigné. Si l expert interroge le médecin traitant, ce dernier ne peut être obligé de répondre et, s il pense devoir le faire, ce ne peut être qu avec l accord du patient et sur les seuls points soumis à expertise, sachant que la prudence doit être extrême en matière psychiatrique où quasi toute la connaissance du médecin est faite de confidences La saisie d un dossier médical, dans le cadre d une expertise au pénal, fait partie de l instruction, mais le juge d instruction n y ayant pas droit de regard, il procède, assisté par son greffier, par l intermédiaire de son médecin légiste, ceci en présence du procureur du Roi et d un représentant du conseil provincial de l Ordre des médecins. Celui-ci prend connaissance de tout le dossier et trie, pour l écarter, tout ce qui ne concerne pas le litige en cours. Quant aux pièces pertinentes, elles sont numérotées et paraphées, puis remises au médecin légiste qui les étudiera. Jean-Pol Beauthier propose, à plusieurs reprises, une comparaison entre les pratiques belges et françaises. Cet éclairage intéressant ne peut cependant mener le lecteur à penser qu elles sont interchangeables ou complémentaires. Dommage, parfois Anthemis 167

«Presse et secrets». Le titre donné à sa communication par le professeur Jacques Englebert met en exergue que, s il existe bien un secret des sources d information et des secrets que d aucuns voudraient imposer à la presse, il n y a pas de secret professionnel du journaliste dont la mission est au contraire de diffuser l information. Le secret des sources, pierre angulaire de la liberté d expression et de celle d informer, consiste pour le journaliste à taire l identité de son informateur, à ne pas produire les pièces sur lesquelles il se fonde, ou à ne pas dévoiler comment il s est procuré des documents à l appui de ses informations. La qualité de l information diffusée n entre pas en ligne de compte. Les autorités judiciaires peuvent d autre part mettre en œuvre toutes les mesures d information ou d instruction à l égard de tiers soupçonnés d avoir fourni illégalement des informations à qui que ce soit, fût-il journaliste. En Belgique, la Cour constitutionnelle (arrêt n o 91/2006 du 7 juin 2006) estime que le droit au secret des sources journalistiques doit être garanti pour permettre à la presse de jouer son rôle de «chien de garde», reprenant ainsi les termes de l arrêt Goodwin de la Cour européenne (27 mars 1996). L auteur de cette recension épingle, au passage, que le président français François Mitterrand était un précurseur lorsqu il fustigeait, lors du suicide de son ministre Pierre Bérégovoy, en 1993, ceux qui l avaient livré «aux chiens» Il n y a pas que le journaliste qui bénéficie de cette protection des sources qui, selon la Cour constitutionnelle, doit s étendre à «toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d informations par le biais d un média, au profit du public», ainsi qu aux «collaborateurs de la rédaction». Mais le journaliste est le seul qui ait en outre, en ce qui concerne la protection de ses sources, une obligation déontologique. Les seules exceptions à ce droit au silence sont prévues aux articles 4 à 7 de la loi du 7 avril 2005 et visent la prévention d infractions causant une menace grave pour l intégrité physique d une ou de plusieurs personnes, en ce compris les attentats terroristes, à condition que les informations concernées revêtent à ce propos une importance cruciale et ne puissent être obtenues d aucune autre manière. Il est important de souligner que le secret des sources n exonère pas le journaliste de la charge de la preuve de la véracité ou à tout le moins de la vraisemblance des informations qu il diffuse et que, si le journaliste est attrait en justice, il doit assurer, lors de sa défense, le respect du contradictoire. Reste à savoir qui peut se prévaloir de la qualité de source journalistique. La question s est posée avec une certaine acuité à l occasion d une décision de la Cour européenne du 27 mai 2014 (aff. Stichting Ostade Blade c. Pays-Bas), à l issue d une véritable saga judiciaire, qui a fait écrire par un juriste, ancien ministre de la République française, que l on «ne protège pas toutes les sources». Or la Cour a judicieusement estimé que la source revendiquait la responsabilité de crimes qu elle avait elle-même commis et auxquels elle souhaitait donner une vaste publicité en induisant sa publication dans la presse ; cette «source» ne pouvait se prévaloir de ce titre pour éluder sa responsabilité ; Anthemis 168

Revue belge du dommage corporel et de médecine légale l identité recherchée pouvait permettre de prévenir de nouveaux attentats. On mesure ici la différence entre la source et le sujet de la source. Les mesures visant à permettre aux services de renseignement et de sécurité le recueil de données et la recrudescence du terrorisme leur donne une réelle actualité se heurtent-elles au principe découlant de la loi du 30 novembre 1998 modifiée par la loi du 4 février 2010 disposant qu il leur est interdit «d obtenir, d analyser ou d exploiter des données protégées par le secret professionnel d un avocat ou d un médecin ou par le secret des sources d un journaliste»? Non, puisque cette même législation prévoit comme exception que ces services disposent au préalable d indices sérieux révélant que le médecin, l avocat ou le journaliste «participe ou a participé personnellement et activement à la naissance ou au développement de la menace potentielle», les recherches au sujet du «journaliste-terroriste» n excluant pas la protection de ses sources. Une réelle menace plane cependant sur ces principes, venant comme d habitude allais-je écrire de l Amérique. Celle-ci prépare apparemment la mise en place d une sorte de règle universelle, méprisant la législation des autres nations, permettant d obtenir sur quiconque des renseignements par le biais de l universalité du web, via des opérateurs comme Google. Ceci menace la liberté d expression, la vie privée et la protection des sources. La dernière partie de l intéressant article du professeur Englebert s intéresse aux secrets que l on tente d imposer à la presse. Il l aborde par le débat vie privée versus vie publique à l occasion de la divulgation, par le journal Le Monde, de l identité de personnes mises en cause dans une affaire de fraude fiscale. Faut-il considérer que l on jette des noms en pâture (aux chiens?) ou que l on fait œuvre d information du public? Penser qu il s agit d une jouissive délation serait-il synonyme de «haine de la démocratie» et cacherait-il le souhait de ne voir informée que l intelligentsia? À chacun son point de vue «Le secret professionnel en droit pénal sous l angle des articles 458 et 458bis du Code pénal» est l occasion, pour M e Donatangelo, du barreau de Charleroi, de rappeler que l article 458 date de 1867 et a été modifié à deux reprises : l une lorsqu il a été réservé au témoignage devant une commission parlementaire le même sort qu au témoignage en justice (1996), l autre lorsque les amendes ont été libellées en euros (2000). Il s énonce aujourd hui comme suit : «Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d enquête parlementaire) et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d un emprisonnement de huit jours à six mois et d une amende de cent euros à cinq cents euros». C est le 30 novembre 2011 qu a été introduit l article 458bis du Code pénal, légèrement modifié en 2012. Cet article, laborieusement rédigé, introduit l obligation pour Anthemis 169

un dépositaire de secrets par état ou par profession ayant eu de ce fait connaissance d une infraction commise sur un mineur ou sur une personne vulnérable pour des raisons diverses, d en avertir le procureur du Roi s il existe un danger grave et imminent pour l intégrité de la personne vulnérable ou s il existe des indices d un danger sérieux et réel que d autres mineurs ou personnes vulnérables soient victimes d infractions et ne soient pas en mesure de protéger leur intégrité. Ici, la nature du secret est différente de celle du secret professionnel, qui vise la révélation à des tiers et ne s impose qu à certaines professions, uniquement à propos des révélations acquises dans l exercice de celles-ci. Au départ de ces notions, l auteur se livre à une savante étude de tous les cas de figure possibles. Il relève au passage que les médecins experts ne sont pas des confidents visà-vis de la personne examinée, mais ne peuvent révéler à des tiers les faits de la cause justifiant l expertise, tandis que les membres du personnel hospitalier accédant à des données médicales confidentielles sont des confidents soumis au secret, puisque les rédacteurs du Code pénal ont visé nommément ces professions dans l article 458, la doctrine et la jurisprudence allant dans le même sens. «Secret professionnel et familles en difficulté». C est le titre de la contribution de Virginie Luise, avocat au barreau de Charleroi et médiateur familial agréé. Après avoir rappelé que le respect de la vie privée et familiale est inscrit à l article 8 de la Convention européenne des droits de l homme ainsi qu à l article 22 de notre Constitution, elle envisage les dispositions légales et déontologiques s imposant aux différents intervenants, qu il s agisse des professionnels de l aide à la jeunesse ou des acteurs en lien avec le tribunal de la famille. La pierre angulaire du système est évidemment l article 458 du Code pénalisant les secrets confiés, la jurisprudence étendant le secret aux faits constatés, recueillis et même surpris. La loi du 8 avril 1965 souligne que l article 458 s applique aussi à toute personne apportant son concours au secteur de l aide à la jeunesse. Le décret du 4 mars 1991 et la plupart des codes de déontologie (avec quelques restrictions concernant celui des psychologues) vont dans le même sens. Les exceptions à la règle du secret et les méandres du secret partagé sont disséquées dans une étude précise qui révèle la compétence de l auteure. L expertise et l étude sociale sont analysées, l accent étant mis sur la nécessité de taire les informations recueillies qui sont sans rapport avec la mission confiée. Ceci s applique aussi au médiateur familial et à la chambre de règlement à l amiable du tribunal de la famille et de la jeunesse. Pierre Lucas pierre.lucas@skynet.be Anthemis 170