Le bien-être et l'éthique au cœur de la relation homme-animal



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Transcription:

Les activités d élevage constituent un système complexe qui fonctionne et se perpétue en associant les humains et les animaux. Au cours des dernières décennies, les relations homme-animal, tout au moins dans nos civilisations occidentales, ont fortement évolué. D aucuns parlent d une nouvelle alliance entre l homme et animal Entre l homme et l animal = l entente est-elle parfaite ou imparfaite? Peut-on parler d animal modèle ou de modèle animal? Autant d interrogations. Qu en est-il aujourd hui du questionnement éthique, de la perception et de la prise en compte du bien-être animal par les professionnels de l élevage et par la société? Le bien-être et l'éthique au cœur de la relation homme-animal Portetelle D. 1, Bartiaux-Thill N. 2, Théwis A. 3 1 FUSAGx Unité de Biologie animale et microbienne Professeur ordinaire tél 081/622354 email portetelle.d@fsagx.ac.be 2 CRA-W - Dept Productions et Nutrition animales - Inspecteur général scientifique tél 081/626771 email bartiaux@cra.wallonie.be 3 FUSAGx Unité de Zootechnie Professeur ordinaire tél 081/622116 email thewis.a@fsagx.ac.be 1. Introduction De multiples annonces de ces derniers mois, souvent bien médiatisées par des groupes de pression, nous ont montré ou rappelé le sort parfois peu enviable de l'animal dans notre société : les maltraitances des bovins sur le marché de Ciney, les animaux sauvages "emprisonnés" dans les cirques, le gavage des canards qui sera désormais interdit en Allemagne, Italie, Pologne et au Danemark, les animaux élevés pour leur fourrure, l'interdiction d'ici peu de la chasse à courre en Grande Bretagne, la suppression des corridas considérées cependant par leurs partisans comme valeur culturelle européenne, Tous ces exemples mettent en évidence tantôt les douleurs ou les souffrances que peuvent encourir les animaux, tantôt les atteintes à leur bien-être, mais surtout une réflexion de la société sur leur sort. Mais qu'est-ce que le bien-être animal? Comment et pourquoi cette notion s'est-elle peu à peu répandue dans nos sociétés? Et comment quantifier, qualifier, identifier cet état chez les animaux d'élevage ou d'expérimentation? Si chacun d'entre nous a une perception intuitive de cette notion, elle demeure confuse, voire difficile à comprendre et sujette à différentes interprétations. Pour nous aider à y voir plus clair, il convient de retracer l'histoire du principe de bien-être animal dans la société, en expérimentation et dans le 1

milieu professionnel de l'élevage, et de recenser les éléments qui concourent à sa définition, sa description et son étude scientifique. Nous évoquerons en cours de route quelques exemples de réflexions éthiques dans le secteur animal ainsi que des pistes suivies dans des travaux de recherche menés au Centre wallon de Recherches Agronomiques et à la Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux. Au cours de ces dernières décennies, les sciences et les productions animales ont subi de profondes évolutions technologiques. On est passé, à la fin de la seconde guerre mondiale, de la nécessité d'assurer des moyens de subsistance pour tous aux possibilités offertes par divers secteurs de la biologie pour répondre à des objectifs tant quantitatifs que qualitatifs de la production via différents moyens techniques : la sélection, la reproduction in vitro, la nutrition, la lutte contre les maladies, et plus récemment l'avènement du génie génétique, du clonage et de la transgenèse. Sur le plan expérimental, l'animal reste bien souvent un outil de choix avec lequel il est possible de comprendre des mécanismes biologiques (cancer, apoptose, métabolismes, maladies ), de tester l'efficacité ou la toxicité de produits à usage médical ou nutritionnel, de mettre au point des méthodes d'interventions chirurgicales applicables à l'homme, ou de produire pour le futur des molécules d'intérêt thérapeutique ou même des organes de transplantation (xénogreffes). Tout cela est-il acceptable quand on nous présente parfois des images atroces d'animaux mutilés ou garnis d'électrodes? Alors qu'autrefois l'élevage était une affaire de paysans et de son ministère de tutelle, "l'agriculture", le monde de l'élevage d'aujourd'hui se laisse guider par les exigences des consommateurs. Du coup, les critères auxquels doivent répondre les produits alimentaires issus de l'élevage ont évolué. De nos jours, un produit d'origine animale doit non seulement obéir à un certain nombre d'exigences hygiéniques - il doit être sain -, mais également posséder des qualités organoleptiques et avoir, la nouveauté est certainement là, une valeur éthique, c'est à dire répondant à un ensemble de règles de conduite, quant à la manière de les produire. La relation homme-animal prend ainsi une autre dimension dans laquelle le bien-être animal prend une importance toute particulière. 2. Origine de la prise en compte du bien-être animal Dans le mode de l'élevage, le bien-être animal vient de deux courants complémentaires : d'une part, l'évolution même de l'élevage au travers de l'industrialisation; d'autre part, l'évolution du statut de l'animal, en tant qu'être vivant et en tant qu'être sensible. 2.1. Evolution de l'élevage au travers de l'industrialisation Concernant l'évolution de l'élevage, il convient de rappeler combien le monde agricole a évolué, à quel point l'élevage a changé. Nous sommes passés de ces élevages de petite taille, parfois un peu accessoires, assurant un complément de revenu aux paysans, à des élevages spécialisés, industrialisés, où les grandes densités, la claustration, le confinement, l'absence de lumière naturelle sont devenus la norme. Leur fonctionnement en circuits fermés et leurs bâtiments clos apparaissent alors aux yeux du public comme des élevages 2

cachés. Or, quand on ne voit pas les choses, on subodore qu'elles ne sont peut-être pas très nettes et deviennent suspectes. Par ailleurs, dans ce contexte de l'élevage intensif, l'environnement global de l'animal est devenu de plus en plus restrictif. Autrefois, les animaux de ferme arrivaient parfois, dans les cours ou dans leurs réduits, à faire ce qu'ils font à l'état naturel, battre des ailes ou prendre un bain de poussière pour une poule, fouir le sol avec son groin pour le porc Tout ceci n'est plus possible dans un univers bétonné ou grillagé. Aujourd'hui, la diminution drastique de la surface allouée à l'animal, l'entravement ou le confinement extrême le privent de la possibilité d'exprimer l'ensemble de son "répertoire comportemental". Sans oublier, la rupture précoce des liens sociaux entre les mères et les jeunes. On est loin de l'image bucolique de la vache et de son veau. Aujourd'hui, le veau est retiré de la mère dès la naissance, mis au seau ou au nourrisseur. Quant aux porcelets des différentes portées, ils sont regroupés par poids pour constituer des lots homogènes et les mener, autant que possible, en même temps à l'abattage, etc. La vie de l'animal, de la naissance à l'abattage, est fractionnée en étapes successives, sans compter toutes les mutilations auxquelles on le soumet afin qu'ils ne s'agressent pas mutuellement dans ces espaces réduits : le débecquage des poules, la section des canines et des queues des porcelets, la castration des porcs mâles L'élevage s'est donc énormément modifié : cette modification s'est essentiellement traduite par l'augmentation des contraintes sur l'être vivant qu'est l'animal. 2.2. Evolution du statut de l'animal Simultanément à cette intensification, une réflexion philosophique et politique s'est instaurée sur la place de l'animal dans la société. La notion de bien-être animal est apparue pour la première fois dans la convention Européenne sur la protection des animaux en élevage (J.O. n L323 du 17/11/1978) convention qui a été ratifiée par l'ensemble des pays membres de la Communauté européenne et qui est à l'origine de l'ensemble des directives européennes qui fixent des normes ou des critères concernant le bien-être des animaux d'élevage. Dans son "Protocole sur la protection et le bien-être des animaux", le traité d'amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur en mai 1999, établit de nouvelles règles fondamentales concernant l'action de l'union européenne dans ce domaine. Il reconnaît officiellement que les animaux sont des êtres sensibles, pour lesquels la mise en œuvre de la politique communautaire dans les domaines de l'agriculture, des transports du marché intérieur et de la recherche doit prendre en compte leurs exigences de bien-être. A ce jour, des directives traitent de la protection des animaux au cours du transport, en élevage, lors de l'abattage et lorsqu'ils sont utilisés à des fins scientifiques. Considérant que l'animal est un être sensible, l'annexe 49 de la Constitution Européenne prévoit que l'union et ses membres seront pleinement attentifs aux exigences du bien-être des animaux dans la formulation et l'application des règlements concernant l'agriculture, la pêche, les transports, la recherche et le développement technologique. Toutefois, les législations relatives aux rites religieux et aux traditions régionales seront respectées. Qualifier un animal d'être sensible, cela veut aussi dire qu'il n'est pas une simple machine à produire, avec des intrants d'un côté et une courbe de performance de l'autre, 3

mesurée par un gain quotidien moyen (GQM), un indice de consommation, une courbe de lactation ou bien un nombre d'œufs pondus par an et par poule pondeuse. Cette reconnaissance de la sensibilité nous impose dès lors un "certain respect" pour l'animal, et donc un "certain nombre de devoirs" envers lui. Ainsi dans l'ar du 1 er mars 2000 relatif à la "protection des animaux dans les élevages", résultant de la mise en application de la directive 98/58/CE, il est stipulé entre autres : "9. Méthodes d'élevage a) les méthodes d'élevage naturelles ou artificielles qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ou des dommages aux animaux concernés ne doivent pas être pratiquées " Par ailleurs, notre attitude vis-à-vis de l'animal diffère selon la "catégorie" à laquelle il appartient. Selon qu'il soit d'élevage, de laboratoire ou de compagnie, selon l'usage que l'on en fait, l'animal ne va pas bénéficier des mêmes égards. Dans toute civilisation, l'animal est défini par son utilité, qui définit son usage, donc ce qui est permissible et ce qui est défendu, ce qui est considéré comme actes de bienveillance ou de cruauté. La société protège l'animal dans le cadre de son utilité, dans le cadre de l'usage pour lequel il a été élevé. Ainsi l'animal de rente est élevé pour être mis à mort, puis être consommé. Le tuer en soi n'est dès lors pas un acte de cruauté, mais sans l'étourdir, le devient. Le maltraiter comme cela a pu être observé sur le marché de Ciney devient cruel, car cela échappe à l'utilité pour laquelle il a été élevé. Gaver un canard est-il cruel? Plusieurs le pensent, à partir du moment où le gavage est pour certains synonyme de la privation de la liberté fondamentale de s'alimenter, à partir du moment où le système de gavage en cages individuelles est pour d'autres cause de stress et de blessures. L'AR du 1 er mars 2000 précise toutefois dans la suite de l'alinéa a du point 9. Méthodes d'élevage : "Cette disposition n'empêche pas le recours à certaines méthodes susceptibles de causer des souffrances minimales ou momentanées, ou de nécessiter une intervention non susceptible de causer un dommage durable". 3. Comment les professionnels de l'élevage ont-ils abordé le bien-être? Les éleveurs comme les agronomes et les vétérinaires, se sont initialement préoccupés du stress et de la souffrance engendrés par les systèmes de production plutôt que du bien-être. C'était le bien-être vu sous son côté négatif, c'est-à-dire l'absence de bien-être que l'on percevait. Avec toutes les répercussions que l'on connaît : la souffrance et le stress ont des conséquences immédiates en termes de sanction sur la carcasse, des répercussions sur la qualité du produit fini, par exemple les problèmes de viande "pisseuse" ou de viande à "coupe sombre" consécutifs au stress trop important des animaux lors des transports vers les lieux d'abattage. On a cherché d'abord à y remédier grâce à l'administration de tranquillisants - sans connaissance alors sur les effets des résidus. On a cherché ensuite à apporter des éléments "correcteurs" sur l'animal, via la sélection génétique et des croisements appropriés, pour aboutir finalement à la sélection d'une nouvelle souche de porc Piétrain REHAL, insensible aux effets de stress des élevages devenus industriels. 4

On parle maintenant plus ouvertement du bien-être, dans le sens positif. Sécurité alimentaire, hygiénique, confort physique et "émotionnel", liberté d'exprimer son répertoire comportemental sont des éléments participant à la définition du bienêtre animal mais ils ne suffisent pas à cerner entièrement la complexité de cette notion de bien-être. 4. Les composantes du bien-être animal Le premier facteur, le contexte socioculturel qui définit l'éthique des relations homme-animal, est bien entendu très déterminant pour décrire la notion de bienêtre. Il est évident que la relation entre l'homme et l'animal est différente pour notre civilisation occidentale octroyant un caractère utilitaire à un animal de rente telle que la vache, et pour la civilisation hindoue octroyant un caractère sacré à la vache, temple de la réincarnation des ancêtres. Le chien est apprécié en Occident comme animal de compagnie. Mais notre société est-elle prête à accepter la viande de chien, alors que celle-ci est un met prisé dans d'autres régions du globe? Le deuxième facteur est le système d'élevage, ce qu'il permet ou ne permet pas à l'animal, le degré de contrainte exercé sur celui-ci. Il suffit d'évoquer ici les vastes débats sur les dimensions des cages des poules en batterie, de gavage des canards Le Conseil de l'europe recommande qu'à partir du 1 er janvier 2005, les producteurs de foie gras ne pourront plus installer de nouvelles cages individuelles; ils auront cinq ans à compter de la même date pour supprimer définitivement les cages existantes, jugées trop petites. Le troisième facteur est l'organisme animal lui-même, résultante d'un programme biologique complexe se déroulant dans le corps mais aussi dans le cerveau de l'animal pour réaliser un certain nombre de comportements. En élevage industriel, ces comportements "naturels" disparaissent car la place n'est pas suffisante pour permettre ces comportements spécifiques des animaux. L'animal s'ennuie et va lors s'engager dans un certain nombre de comportements stéréotypés, en prenant toujours la même position ou en répétant le même mouvement ou le même acte (par ex. mordiller la queue de ses congénères, ce qui oblige l'éleveur à une "mutilation" sur l'animal en sectionnant la queue à la naissance). Ce petit exemple permet de préciser ce que sont la souffrance et la douleur dans l'appréciation du bien-être. La souffrance est un état émotionnel aversif, concomitant au "désordre biologique" créé, accompagné ou non de douleur. Cette dernière possède quant à elle des soubassements physiologiques sensoriels bien identifiés, provoquant la sensation douloureuse. 5

5. Méthodes scientifiques d'évaluation du bien-être animal en élevage 5.1. Les composantes biologiques du bien-être animal Pour identifier concrètement les systèmes d'élevage les moins contraignants pour l'animal, encore faut-il disposer de critères, d'indices permettant d'évaluer les composantes biologiques du bien-être animal. Celui-ci se retrouve ainsi à la conjonction de plusieurs disciplines scientifiques et de compétences comme : les sciences du comportement (éthologie, biologie du comportement, psychologie). L'observation des animaux conjuguée à la connaissance de leur comportement est une méthode simple, déjà préconisée par des praticiens, pour appréhender et mettre à jour certains problèmes de gestion d'un troupeau. L'observation des animaux s'inscrit dans une démarche globale appelée 3R : Regarder Réfléchir Réagir. Une règle basée aussi sur 3 "autres " R est également d'application en expérimentation animale. la physiologie (indicateurs physiologiques ou neuro-endocrinologiques de la douleur) la zootechnie (observation du taux de mortalité ou des indices de perfomances, niveau de consommation, ) la génétique (quantitative, moléculaire pour apprécier les critères d'adaptation de l'animal aux conditions d'élevage déjà sélectionnés, ou en envisager d'autres) la pathologie clinique et l'épidémiologie (indicateurs sanitaires). Cette notion de bien-être animal peut donc être mesurée, quantifiée, objectivée mais elle reste complexe. Aujourd'hui, nous comparons les différents systèmes d'élevage les uns par rapport aux autres pour essayer de déterminer ceux qui respectent le bien-être et ceux qui retentissent de façon négative sur le bien-être des animaux. 5.2 La demande sociale de la protection des animaux L'analyse des composantes définissant le bien-être animal ne serait pas complète sans la prise en compte de la demande sociale de la protection des animaux : le bien-être animal doit certes correspondre au mieux à la vision attendue par la société dans sa majorité, mais également dans le respect du contexte socio-économique dans lequel ce bien-être est souhaité. La communication entre les producteurs, les scientifiques et les consommateurs doit dès lors alimenter le débat et définir le consensus indispensable entre tous, prenant en compte : la représentation sociale des systèmes d'élevage et l'impact sur le comportement des consommateurs l'évaluation des conséquences économiques du respect du bien-être animal sur le producteur et la société en général. 6

La complexité de certaines situations prenant en compte les différents acteurs (animal, producteur, consommateur) peut conduire rapidement à des dilemmes d'ordre éthique. A titre d'exemple, le système de production du foie gras par gavage est-il encore défendable? La césarienne sur le blanc-bleu-belge est-elle une pratique engendrant seulement douleur, trouble et voue-t-elle dès lors la race à sa disparition si comme, certains le veulent, la césarienne devait être abolie? Par ailleurs, que pensez-vous des activistes des "droits des animaux", spécialement actifs en Grande-Bretagne au sein de l'alf (Animal Liberation Front), incendiant des magasins fast-food, plaçant des lettres piégées dans les boîtes aux lettres des défenseurs de la recherche animale, les attaquant même avec des raquettes de base-ball, matraquant des chercheurs par des emails odieux, détruisant les cages d'animaux élevés pour leur fourrure, Que penser, face à de telles méthodes, de "leur victoire" sur l'abandon de la construction d'un centre de recherche sur les primates à Oxford, et d'une animalerie à Cambridge? Des réactions cependant apparaissent. D'une part s'est ouvert un site WEB http://www.vare.org.uk - Victims of Animal Rights Extremism, afin d'assurer support et conseils mutuels entre personnes agressées et de relayer les plaintes vers le gouvernement pour résoudre le problème de l' "extrémisme des droits des animaux". Par ailleurs, les activistes sont maintenant ouvertement qualifiés de terroristes par une partie de la presse britannique. 6. La matrice éthique de Mepham Dans nos sociétés modernes, pluralistes et démocratiques, il existe un réel besoin de disposer d'outils de réflexion pour faciliter la résolution de dilemmes éthiques causés par diverses percées technologiques. Il y a maintenant 10 ans que Ben Mepham, du Centre de bioéthique appliquée de l'université de Nottingham (UK), présentait une méthodologie de travail, la matrice éthique, pour l'analyse des nouvelles biotechnologies agro-alimentaires. Initialement utilisée pour apprécier les techniques d'immunomodulation en productions animales, cet exemple d'analyse méthodologique a aussi été utilisée pour apprécier l'usage de maïs génétiquement modifié. Des aveux même de son concepteur, cette matrice peut faciliter une réflexion éthique plus profonde mais n'est pas apte à trancher les dilemmes éthiques. Elle constitue un compromis pratique entre la rigueur absolue d'une théorie éthique (philosophique?) et le contexte de la casuistique (s'attachant à résoudre les cas de conscience). Elle force ceux qui l'utilisent à traiter un problème donné en considérant de façon pratique pour tous les partenaires impliqués les implications possibles dans une série de perspectives différentes. Suite à l'analyse, il convient de prendre la décision la plus pragmatique possible. Dans cette matrice reproduite ci-dessous, il convient de prendre en considération les acteurs que sont les producteurs, les consommateurs, les organismes traités (animaux dans le cas qui nous préoccupe) et le biote dans lequel se déroule l'événement (l' 7

"environnement" au sens large), et ce dans les contextes actuel et futur ("générations futures"). Les trois principaux critères considérés pour apprécier les perspectives d'utilisation sont les notions de "bien-être" (sur les plans physique et moral), d' "autonomie" et d' "équité" ("justice" dans la version initiale de la matrice). En regard de chaque acteur et de chaque critère considéré se trouve un paramètre qu'il convient d'apprécier au mieux, à la lumière de critères scientifiques objectifs. MATRICE ETHIQUE (expérimentation et production animales) (Mepham) Respect de : Bien-être Autonomie Justice (plutôt "équité" - Producteur Revenu et travail donnant satisfaction Liberté organisationnelle Loi du commerce équitable - Consommateur Sécurité et acceptabilité Choix Prix abordable - Organisme traité (ici animal) Bien-être Liberté comportementale Valeur intrinsèque (le "telos" ) - Environnement ("biote") Conservation Biodiversité Durabilité Au niveau de l'animal apparaît la prise en compte du bien-être, de sa liberté comportementale déjà évoquée, et de sa "valeur intrinsèque" impliquant de facto le respect de l'animal. On retrouve ainsi la notion de "telos" évoquée par le philosophe grec Aristote et mieux appréciée par une phrase telle "la porcitude du porc". Un porc transgénique comme donneur de xénogreffes, est-il pour certains toujours un porc? Cette réflexion doit-elle primer sur le bien-être du patient qui se verra sauvé d'une situation désastreuse, suite à une transplantation d'organe en provenance d'un porc "humanisé"? 8

Au niveau du consommateur, celui-ci est en droit de revendiquer la sécurité (sûreté) de ses aliments, exempts de tout toxique (par ex. dioxine) ou agent potentiellement dangereux (par ex. prion). Il n'est pas sans rappeler aussi la problématique des antibiotiques comme promoteur de croissance chez les animaux, susceptibles d'engendrer des résistances bactériennes transmissibles à des souches pathogènes chez l'homme et donc d'affecter la santé humaine. L'avoparcine utilisée chez le porc a provoqué des résistances à la vancomycine, antibiotique prescrit chez l'homme. L'interdiction des antibiotiques pourtant jugés efficaces comme promoteur de croissance sera totale d'ici janvier 2006. Il est également en droit de choisir ses aliments et de se nourrir avec des aliments répondant à des aspirations légitimes telles que le respect du bien-être animal dans le système de production. Au niveau du producteur, il convient de prendre en compte un revenu et travail décent, sa liberté organisationnelle et les lois du commerce équitable. Ce producteur ne doit pas devenir le servant inconditionnel de multinationales bien organisées. Il doit aussi tenir compte de la demande sociale, du choix du consommateur. Pour les éleveurs surtout, la contradiction est là, car la qualité a un coût, les aménagements pour un meilleur respect du bien-être animal aussi, sauf que le consommateur "moyen" ne semble pas prêt à payer. L'élevage est avant tout une activité économique reposant sur la confrontation de l'offre et de la demande, ce qui se traduit par une exigence de compétitivité à laquelle il n'est pas envisageable de se soustraire. Les incitations économiques en matière de bien-être animal demeurent faibles, et les "moyens" de manœuvre des éleveurs ne sont pas extensibles : il faut pouvoir faire face à la concurrence, celle existante au plan national et celle provenant d'autres pays aux normes moins rigoureuses. Enfin, normes et réglementations peuvent avoir des effets pervers : au regard des investissements requis, seuls les plus gros subsistent sans difficultés. Comment alors maintenir petits et moyens producteurs, garants d'une agriculture familiale? Au niveau de l'environnement dans lequel s'exercent ces pratiques d'élevage, il est inutile de rappeler qu'il convient d'une part d'en être respectueux (conservation du paysage par exemple) mais surtout d'assurer la durabilité du système de production pour les générations futures. Ne s'inquiète-t-on pas à juste titre ici des normes d'épandage de matières organiques, de la teneur en nitrate de ceux-ci et de la mise en place de mesures agro-environnementales susceptibles de diminuer l'impact de ces nitrates. 7. La démarche éthique en recherche animale à Gembloux Les chercheurs du site de Gembloux sont confrontés à veiller au bien-être animal, tant dans les recherches menées dans un cadre expérimental que dans les systèmes de production qu'ils sont à même de proposer aux éleveurs. 7.1. Expérimentation animale et commission d'éthique Dans le cadre de l'expérimentation animale, il importe d'avoir reçu l'agrément d'une commission d'éthique pour la réalisation de toute expérimentation. 9

Cette commission fut mise sur pied dès 1998 et est commune entre les trois institutions FUSAGx, CRA-W et FUNDP. Sa composition et ses modalités de fonctionnement sont conformes à la directive européenne 86/609/CEE relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques, ainsi qu'à la législation belge relative à la protection des animaux d'expérience, précisée initialement par l'ar du 15 novembre 1993 et compilée dans la version coordonnée de l'ar du 31 août 2001. Cette commission apprécie la compatibilité entre les protocoles expérimentaux proposés par les maîtres d'expérience et les principes éthiques d'utilisation des animaux d'expérimentation. Il a pour objet de constituer une garantie complémentaire pour la société dans son ensemble, du respect de la vie animale et du bien fondé de la demande d'expérimentation. Pour aider à la réalisation du dossier et à la prise de décision, une matrice d'éthique a été conçue récemment au niveau belge et proposée dès 2005 à toute la communauté scientifique gembloutoise. Elle est conçue en quatre parties visant à : apporter un jugement sur le bien-fondé de l'expérience sur animaux fournir une pondération objective des avantages (intérêts humains) et des désavantages (inconfort procuré aux animaux) vérifier que l'expérience proposée satisfait à une série de conditions de base régissant une utilisation éthique des animaux, en particulier la règle des 3Rs (remplacer, réduire, raffiner). Plusieurs fondations, présentes sur le WEB, visent à promouvoir le développement, la validation et l'adoption de méthodes alternatives à l'animal, dans les secteurs de la recherche biomédicale, le contrôle toxicologique des produits et l'enseignement (par ex. http://altweb.jhsph/edu/ Alternatives to animal testing on the web - Reduction - Refinement Replacement). aider à l'évaluation finale conduisant à l'agrément inconditionnel, conditionnel, limité, ou refus d'agrément temporaire ou total. Cette commission est amenée à se prononcer non seulement dans le domaine de l'expérimentation animale à caractère biomédical ou agro-vétérinaire, mais également dans l'enseignement impliquant la manipulation d'animaux de laboratoire. 7.2. Expérimentation et bien-être mutuel Dans le cas de l'expérimentation, l'animal suscite la plupart du temps la compassion, aussi bien dans le public qu'auprès des chercheurs qui la pratiquent. Mais, cela doit-il conduire forcément à l'extrémisme des activistes des droits des animaux déjà évoqués ci-avant? Pourtant, la réponse limitée des méthodes alternatives (culture cellulaire, tests immunochimiques, modèles mathématiques ; un des trois "R"), ainsi que les risques "éthiques" du scientifique, du médecin) rendent incontournable le recours à l'expérimentation pour faire progresser les connaissances, améliorer le diagnostic et le traitement des maladies, la santé, comprendre et améliorer la santé humaine via la nutrition (cas des probiotiques et des prébiotiques par exemple), et d'une manière générale assurer le bien-être. En expérimentation animale, la notion de "bien-être" jouit d'une réciprocité : l'homme et l'animal "collaborent", dans un respect mutuel des deux parties. 10

Un premier exemple illustre à merveille le partenariat entre l'animal et l'homme, en particulier face au cancer. Nouvelle voie de thérapie du cancer par induction de l expression des gènes : du mouton à l'homme Achachi (1), T. Berghmans (2), A. Burny (1), C. Debacq (1), A. Florins (1), N. Gillet (1), P. Kerkhofs (3), R. Kettmann (1), L. Lagneaux (2), A. Lezin (4), C. Mascaux (2), M. Reichert (5), JP Sculier (2), P. Urbain (1), F. Vandermeers (1) et L. Willems (1) (1) Biologie cellulaire et Moléculaire, FUSAGx, Belgique (2) Hôpital Bordet ULB, Belgique (3) Virologie, CERVA, Belgique (4) CHU Fort-de-France, Martinique (5) Institut Vétérinaire, Pulawy, Pologne. Etudier les phénomènes biologiques qui sont liés à l apparition d un cancer peut s avérer utile pour découvrir de nouvelles approches thérapeutiques. Hormis la chirurgie, les thérapies actuelles les plus fréquentes visent à empêcher les cellules cancéreuses de s accumuler en utilisant des molécules toxiques (chimiothérapie) ou via des rayons (radiothérapie). Or, l accumulation de cellules cancéreuses peut résulter d un déséquilibre non seulement au niveau de la prolifération cellulaire mais également au niveau de leur mort. En étudiant les mécanismes fondamentaux qui régissent l apparition d une leucémie provoquée par un virus dénommé BLV (pour virus de la leucémie bovine), nous avons constaté que le défaut de mort des cellules cancéreuses était un paramètre très important de la maladie. L élimination des cellules produites en excès qui sont devenues inutiles à l organisme se réalise normalement par un processus actif de suicide cellulaire appelé mort cellulaire programmée ou apoptose. Lors de la leucémie provoquée par le BLV, les cellules du sang périphérique sont dans un état de latence et semblent incapables d entrer en apoptose. Dans ce contexte, le principe de notre approche thérapeutique repose sur l activation de ces cellules dormantes qui sont engagées mais bloquées sur la voie de l apoptose. Le mécanisme d activation des cellules comporte notamment l induction de l expression des gènes (c est-à-dire de leur transcription). Nous avons découvert une molécule appelée valproate qui provoque la transcription de nombreux gènes cellulaires en modifiant la composition chimique de la chromatine (il s agit d un inhibiteur de déacétylases). Empêcher la fonction des déacétylases avec le valproate provoque donc l expression de gènes qui sont normalement silencieux au sein de la cellule. Le réveil inopiné et forcé des cellules cancéreuses leur permet de poursuivre leur suicide via le processus d apoptose. Dans le cas du virus BLV, l expression du virus provoque également une réaction du système immunitaire qui élimine très rapidement les cellules infectées. C est probablement via de tels mécanismes qu une tumeur solide (i.e. un lymphome) développée par un mouton infecté par le virus BLV fut complètement disloquée suite à l injection de valproate. Récemment, nous avons pu démontrer que cette stratégie était également efficace dans le cadre d un traitement de la leucémie induite par le BLV chez le mouton. C est pourquoi, nous avons entrepris d étudier l effet des inhibiteurs de déacétylases sur des cellules de patients humains infectés par un virus qui ressemble au BLV et qui induit une leucémie incurable chez l homme (il s agit du virus HTLV-1). Nos 11

résultats démontrent que le valproate provoque effectivement l apoptose des cellules de patients infectés par HTLV-1. Nos projets actuels visent à appliquer ce principe thérapeutique à d autres maladies cancéreuses telles que la leucémie lymphoïde chronique (la forme de leucémie la plus fréquente chez l adulte dans nos contrées occidentales), le cancer du poumon ou le mésothéliome (le cancer provoqué par l amiante). Les modèles animaux constituent d'autre part de bonnes approches pour évaluer les "bienfaits" de produits naturels en nutrition humaine. Valorisation de peptides bio-actifs du colostrum bovin en tant qu'alicament chez l'homme Boudry C. (1), Halleux C. (1), Buldgen A. (1), Portetelle D. (1), Dehoux J-P. (2), Collard A. (3), Théwis A. (1) Financement : RW, Direction générale des technologies, de la Recherche et de l'energie. (1) FUSAGx, (2) UCL, (3) CER-Marloie. Ce projet vise à obtenir des préparations de molécules biologiquement actives à partir du colostrum bovin afin de les utiliser en tant qu'alicament chez l'homme. En effet, le colostrum bovin est riche en anticorps ainsi qu'en facteurs antimicrobiens et de croissance dont les propriétés biologiques s'avèrent non-spécifiques de l'espèce bovine. Ces fractions pourraient ainsi servir, chez l'homme, à la régénération et au renforcement immunitaire des muqueuses intestinales ou à l'amélioration du statut immunitaire général d'individus affaiblis et réduire l'utilisation d'antibiotiques. Afin de tester l'efficacité de ces fractions, elles seront administrées à des porcelets et à des rats en croissance qui sont d'excellents modèles pour l'homme. De plus, la valorisation de ces fractions de colostrum permettra une valorisation de produits excédentaires ou non valorisables chez le veau nouveau-né, réduisant ainsi le rejet de ce produit organique dans l'environnement. Par ailleurs, cet exemple constitue également une approche intéressante comme alternative à l'utilisation d'antibiotiques en nutrition animale, contribuant par là à l'absence de ces résidus potentiellement dangereux et à une amélioration de la qualité des aliments (voir insertion dans article de P. Dardenne et coll. sur la qualité des aliments). Enfin, il est possible d'envisager au travers de la recherche, la possibilité d'améliorer le bien-être animal (via les probiotiques et les prébiotiques) tout en se fixant comme objectif un meilleur respect de l'environnement (4 e composante de la matrice de Mepham). 12

Biodisponibilité des oligo-éléments administrés sous forme organique Delva J. (1), Delroisse J.M. (1), Beckers Y. (2), Renaville R. (1), Vandenbol M. (1) et Portetelle D. (1) (1) Biologie animale et microbienne, (2) Zootechnie, FUSAGx Financement DGA-RW; partim Beldem. L'objectif du projet est d'augmenter la biodisponibilité et, en corollaire, de diminuer les rejets dans l'environnement des oligo-éléments (cuivre et zinc) apportés dans l'alimentation porcine. En d'autres termes, on vise à diminuer les apports alimentaires en ces éléments tout en préservant les performances et l'état sanitaire des animaux. En particulier, on cherche à administrer les oligo-éléments sous forme organique, en les fixant dans des levures de type Saccharomyces cerevisiae. Parallèlement, on suivra les effets des levures vivantes (effets probiotiques) et des levures mortes (effets prébiotiques) à l'aide de mesures des paramètres immunitaires et physiologiques appropriés. Comme modèle expérimental, les essais seront réalisés sur rats. 7.3. Les systèmes de production Un premier aspect de la démarche éthique pratiquée par les chercheurs gembloutois dans ce secteur est d'aborder la demande sociale du bien-être animal via le dialogue avec les consommateurs : celui- ci constitue un maillon essentiel de l'évaluation du bien-être. Futur des produits d origine animale dans notre alimentation, en relation avec la perception du bien-être des animaux de ferme Cl. Lamine (1), P. Stassart (1), J. Wavreille (2), N. Bartiaux-Thill (2), Y. Beckers(3), D. Stilmant (2), et A. Théwis (3) (1) ULg-SEED, (2) CRA-W, (3) FUSAGx Ce projet s inscrit dans le cadre du programme «Alimenter le dialogue» de la Fondation Roi Baudouin (FRB). Il vise à concilier bien-être animal (droits des animaux) et bien-être des consommateurs (droits à l alimentation), mais aussi bien-être des éleveurs. La question du bien-être animal préoccupe notre société mais elle nous semble jusqu à présent traitée de façon trop sectorielle. Dès lors, il convient de construire un débat autour de cette question, en associant des acteurs différents, dont les savoirs sont hétérogènes (éleveurs, consommateurs, acteurs des filières économiques, scientifiques, etc ) ; les institutions scientifiques publiques ayant 13

un rôle à jouer, notamment en matière de circulation des compétences et donc aussi de médiation. Un rapport d avancement du projet, intitulé «Alimenter le lien entre consommateur, éleveur et animaux» ULg-SEED, CRA-W, FUSAGx est disponible sur le site de la Fondation Roi Baudouin (http://www.kbsfrb.be/files/db/fr/alimenter_le_dialogue_projet_ulg_rapport1.pdf ). Un second aspect d'une démarche éthique est par exemple de se préoccuper de l'état de stress de truies reproductrices. Diminution des états de stress dans le cadre de truies conduites en groupes dynamiques et alimentées au DAC (station d alimentation électronique) B. Nicks (1), M. Vandenheede (1), J. Wavreille (2), V. Remience (1), P. Canart (1) et N. Bartiaux-Thill (2) (1) ULg-FMV, (2) CRA-W Financement : Projet SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement Division Recherche contractuelle. La prise en compte du bien-être animal dans les dispositions réglementaires s est traduite par une interdiction générale du maintien des truies reproductrices à l attache et la restriction du logement individuel chez les truies gestantes (Directives 2001/88/CE et 2001/93/CE, SVC 1997). Ces directives ont été traduites dans le droit belge par l A.R. du 15 mai 2003 relatif à la protection des porcs dans les élevages porcins. Les groupes dynamiques sont caractérisés par des mélanges répétés d individus issus de bandes successives. Il s en suit une évolution dans la hiérarchie entraînant des états de stress de type aigu lors des phases de regroupement et de type chronique au jour le jour. Dans l hypothèse de pouvoir faciliter l intégration des nouveaux arrivants au sein des groupes nous étudierons plus précisément : -1) L intérêt d un apprentissage préalable des cochettes au DAC, -2) L impact sur l équilibre social du groupe du moment d introduction de nouvelles truies (début d un nouveau cycle quotidien d alimentation ou non) La pression sociale exercée par le groupe sur les individus est une source de stress chronique. Elle est dépendante de la superficie laissée à la disposition des animaux. Mais la surface optimale n est pas encore bien connue, nous testerons deux alternatives (2,75 m²/individu norme réglementaire ; 3,50 m²/individu norme préconisée par les fabricants de DAC). 14

8. La démarche éthique en matière d'enseignement dans le secteur animal En matière d'enseignement, des initiatives ont été également envisagées afin de sensibiliser à l'utilisation rationnelle de l'animal à des fins expérimentales et dans le respect de son bien-être. Plusieurs diplômes universitaires ont vu l'obligation légale d'introduire dans leur cursus de candidature 30 heures de cours portant sur les méthodes d'expérimentation alternatives n'utilisant pas l'animal (AECF du 10-8-1990). Des sociétés propices aux droits des animaux (par ex. altweb déjà cité; aussi http://www.interniche.org/ The international network for humane education) et présentes sur le Net, encouragent et proposent des alternatives à l'animal dans le secteur de l'enseignement (vidéo, modèles synthétiques, CDs, ). D'autre part, l'ar du 21/10/04 modifiant l'ar du 14/11/93 relatif à la protection des animaux d'expérience, précise le degré de formation des personnes effectuant des expériences sur animaux, y participant ou assurant les soins aux animaux utilisés à des fins expérimentales. Plusieurs institutions universitaires proposent cette formation spécifique (par ex. ULg au niveau de sa Faculté de Médecine vétérinaire). Plus spécifiquement à la FUSAGx, les futurs bioingénieurs sont sensibilisés à la problématique du bien-être animal et de l'éthique au travers d'informations dans des cours de base (par ex. Zoologie générale), au travers de séminaires dans des cours de spécialisations (par ex. Productions animales), ainsi que dans des cours spécifiques comme : "Ethique en matière d'expérimentation animale", visant à éveiller l'attention des étudiants à la problématique du respect des droits des animaux, à la recherche de méthodes alternatives à l'utilisation d'animaux et à étendre la réflexion aux productions animales ainsi qu'aux manipulations génétiques des animaux (transgenèse). "Comportement animal et pratiques d'élevage", amenant l'étudiant, par études de cas, à considérer objectivement l'influence des pratiques d'élevage sur le bienêtre des animaux de ferme et à proposer contradictoirement des améliorations ou de nouvelles pratiques d'élevage. Par ailleurs, des informations spécifiques sont fournies dans plusieurs disciplines scientifiques enseignées, susceptibles de mettre en œuvre des méthodes alternatives à l'expérimentation animale (par ex/ Microbiologie générale test de Ames; Culture in vitro de cellules animales cytotoxicité sur cellules, test de qualité apyrogène, lignées génétiquement modifiées ); Immunologie et immunochimie tests ELISA, tests cytokines inflammatoires ). De par leur formation en matière de biostatistiques, les futurs bioingénieurs sont également à même de proposer des plans d'expérimentation, contribuant à la réduction du nombre d'animaux (un des 3"R"). Par ailleurs enfin, le programme européen Aristoteles (AFANet) veille à une harmonisation de l'enseignement de l'éthique animale au niveau des écoles supérieures en sciences agronomiques et vétérinaires. 15

9. Conclusions La recherche agronomique, en particulier celle prenant en compte l'expérimentation et les productions animales, est confrontée désormais à de nouveaux et nombreux défis. D'une part, l'animal est désormais reconnu comme un "être sensible" au même titre que l'homme qui l'exploite ou l'expérimente. A ce titre, ils ont le droit d'être respectés et nous avons un devoir envers eux, crelui d'assurer leur "bien-être". Ce bien-être est probablement devenu la composante principale de la réflexion éthique à la base du "contrat domestique" proposés par C. et R. Larrère. "la domestication entraîne un contrat tacite et implicite entre l'homme et les animaux dont il a cherché le concours. Ce "pacte" suppose des échanges de services et des obligations mutuelles. L'animal fournit à l'homme de la viande, du lait, du cuir, du travail, de l'affection ; en contrepartie, l'homme assure à l'animal de la nourriture, une protection contre les prédateurs, un abri, des soins attentifs, etc." En adoptant ce concept, le souhait de bien-être de l'animal ne peut s'envisager sans la prise en compte des autres composantes telles que le producteur ou l'expérimentateur, le consommateur et l'environnement. La matrice de Mepham doit nous aider à aborder ces dilemmes éthiques parfois épineux; le dialogue est indispensable pour cibler la demande légitime de bien-être animal en la replaçant dans un contexte socio-économique et environnemental acceptable par toutes les parties. Il importe aux chercheurs, de mettre en œuvre les disciplines scientifiques complémentaires les unes aux autres, les technologies les plus appropriées pour cerner cette demande et répondre aux multiples attentes en matière de bien-être. Cette réflexion devrait nous amener à repenser plusieurs de nos systèmes de production animale. 16