Journée d étude du 6 février 2015 ANALYSE DU TRAVAIL ET FORMATION DANS LES METIERS DE L EDUCATION L analyse du travail : une nouvelle perspective pour la formation des acteurs éducatifs? Valérie LUSSI BORER Frédéric YVON
Une journée qui vise à mettre en dialogue des chercheurs adoptant une démarche d analyse du travail dans une visée de formation et s inspirant des sciences du travail pour ce faire en abordant les questions suivantes : Pour quelles raisons ces chercheurs recourent aux méthodes développées dans les sciences du travail? En quoi les sciences du travail permettent-elles de (re)penser la formation (espaces/ environnements, objets, outils, pratiques de formation)? Quelles répercussions sur la professionnalisation?
Plan de l introduction à la journée 1. Professionnalisation et formation: thèses actuelles 2. L analyse du travail comme piste pour le renouvellement du processus de professionnalisation? 3. Pourquoi l analyse du travail? 4. Quelle(s) analyse(s) du travail?
Professionnalisation et formation: thèses actuelles
Les métiers de l éducation / de la formation dans un contexte de professionnalisation Interpénétration entre les temps de formation et de travail Besoins d adaptabilité et d évolution des carrières tout au long de la vie Montée en puissance des métiers de l éducation Elévation du niveau et de la durée des formations et création de Hautes écoles : universitarisation / tertiarisation Développement de savoirs scientifiques, de cursus académiques: sciences de l éducation, formation d adultes,
Un exemple: «On ne peut attendre de la formation initiale, quelle que soit sa qualité, qu elle prépare les futurs enseignants à tous les défis qu ils auront à relever durant leur carrière. Au vu de l évolution du profil démographique des élèves, de la longueur de la carrière de beaucoup d enseignants et de la nécessité d actualiser les connaissances et les compétences, la formation initiale des enseignants doit être considérée comme la première étape d un développement permanent des enseignants. Indicateur D6, Que faut-il pour devenir enseignant? p. 521 Comme de nombreuses compétences et pratiques pédagogiques s acquièrent le mieux une fois en poste, un soutien devrait aussi être apporté aux enseignants au travers de programmes d initiation et de tutorat durant les premières années de leur carrière, puis des mesures d incitation devraient être proposées et des moyens mobilisés afin de leur permettre de participer à des activités de développement professionnel tout au long de leur carrière.»
Un tryptique : universitarisation des formations processus de professionnalisation praticien réflexif (analyse de pratiques) Un processus invoqué pour justifier depuis 25 ans l inscription des formations aux métiers de l éducation au niveau tertiaire (Hautes écoles, Universités) en lien avec l essor des sciences sociales (dont sde) Professionnalisation des formations implique à la fois une formation théorique de haut niveau et une formation centrée sur l agir professionnel Fusion avec le modèle du «praticien réflexif» issu de Schön comme figure du professionnel Ambition d établir une «knowledge base» à l interface des recherches scientifiques et des savoirs professionnels
Tensions actuelles autour de l université comme lieu de formation professionnelle de l existence d une base de connaissances consensuelle et intégrative pour fonder les métiers de l éducation des vertus de l apprentissage expérientiel sur le lieu de travail versus une formation en alternance de la pertinence du modèle du praticien réflexif : tournerait à vide, sans contenus de savoir d un double processus de (dé)professionnalisation
La professionnalisation: une rhétorique? pour justifier une évolution du travail éducatif allant vers une : 1. diversification et complexification des tâches et des compétences requises amenant une redéfinition du métier, une exigence de formation tout au long de la vie 2. individualisation croissante de l'activité professionnelle individuelle, perte des dimensions collectives et culturelle (professionnalisme collégial) 3. fragmentation interne du groupe professionnel et hiérarchisation: croissance et gain de pouvoir des cadres intermédiaires au détriment de la régulation par le groupe professionnel 4. hégémonie d une pensée managériale, soumission aux objectifs et politiques économiques : nouvelle gouvernance impulsée par les organismes supranationaux 5. tension entre professionnalisme (idéal-type: monopole professionnel, clôture du marché, expertise, contrôle collégial, idéologie et éthique professionnelle) et accountability (injonction à rendre des comptes et à assumer la responsabilité de leurs actes)
Les métiers de l éducation, des activités prudentielles? Caractéristiques (Champy, 2009): Singularité des cas auxquels les professionnels sont confrontés Situations complexes, sources d'incertitudes Impossibilité d'appliquer mécaniquement des savoirs scientifiques Dimension de délibération et de pari: travail conjecturel car porte sur une réalité échappant à toute maîtrise systématique Délibérations et conjectures lestées par des savoirs, savoir-faire et expériences
Comment former à une activité prudentielle, c est-à-dire à une activité qui conjugue : - un haut niveau d'abstraction, c'est-à-dire une formalisation poussée des savoirs et savoir-faire utilisés - une insuffisance irréductible de cette formalisation des savoirs et savoir-faire qui laisse une large place aux conjectures dans les décisions? (Champy, 2009, p. 86)
Tensions au sein des formations : superposition de strates de cultures différentes Références centrales Transformation par Figure emblématique Conception de l apprentissage professionnel fondée sur Culture du compagnonnage Culture de l enseignement Culture de la formation Culture de la professionnalisation Pratique Savoir Capacité Compétence Mise au travail, imitation Le maître «mentor» à imiter une logique de l action Assimilation Transposition Transformation conjointe acteur et action L enseignant détenteur et transmetteur de savoirs une logique d intégration/ assimilation de savoirs Le formateur, organisateur de situations d apprentissage une logique de l itération entre action et réflexion, entre situation de travail et de formation (alternance) L accompagnateur de développement professionnel une logique de réflexion sur et pour l action (formalisation des pratiques) D après Barbier, J.-M. (2006). Les voies nouvelles de la professionnalisation. In Y. Lenoir & M.-H. Bouillier-Oudot, Savoirs professionnels et curriculum de formation (pp. 67-82). Québec : Les Presses de l Université Laval.
Savoirs dispensés dans les formations - souvent des savoirs formalisés, dépersonnalisés, voire décontextualisés - dispensés dans un curriculum organisé conçu en analogie avec la forme scolaire Tensions Entre savoirs découpés, formalisés et insérés dans un ordre curriculaire avec visée d exhaustivité, de systématicité et de progressivité et savoirs professionnels construits au plus proche de l activité Incompatibilité entre savoirs professionnels et curriculums Savoirs professionnels, savoirs théoriques ou technologiques : n ont ni la même origine, ni la même valeur axiologique MAIS les curriculums de formation les considèrent indifféremment comme éléments constitutifs de la formation supposés relever du même mode ou espace de transmission et susceptibles d enrichissement réciproque Hiatus entre logique de conception des dispositifs de formation et logique d analyse du travail réel
Apprentissage professionnel Modèle représentationniste/computationniste dominant au sein dispositifs actuels de formation professionnelle apprendre = «construire des processus de traitement de plus en plus rapides, automatisés et précis, portant sur des représentations ou savoirs abstraits de plus en plus détaillés et justes, stockés comme des bases de données» (Durand, 2009, p. 189) en phase avec des formations basées sur des savoirs formalisés qui sont dispensés dans un ordre précis en vue d apprendre aux formés à faire face à des situations prévisibles MAIS moins efficace pour appréhender des formations aux activités prudentielles partant de l activité professionnelle et de ses imprévus
Proposition issue de la professionnalisation Notion de compétence: tentative pour inscrire au sein des curriculums l action finalisée Définition de la compétence? cf. Bulea & Bronckart (2005) 1) Les compétences sont-elles des «qualités psychologiques» des individus qui s incarnent dans des situations singulières ou sont-elles contenues dans les propriétés des situations de travail et de l activité qu elles supposent? 2) Les compétences sont-elles à concevoir comme «réservoirs de ressources déjà-là» préalablement à l action ou sont-elles indissociables de l action elle-même et n apparaissent-elles qu au moment où elles sont mobilisées en situation?
L analyse du travail peut-elle être une piste possible pour dépasser les tensions actuelles de la professionnalisation?
Analyse du travail et professionnalisation Cette rencontre ne va pas de soi. Le terme de professionnalisation est étranger à la plupart des travaux en analyse du travail (ou n est cité qu en périphérie) Il y aurait une proximité entre professionnalité, développement des compétences et développement professionnel, mais les cadres théoriques sous-jacents sont forts différents. Une proximité et une complémentarité plaidée par les tenants de la professionnalisation.
Qu est-ce que l analyse du travail? Quelques précisions et distinctions 1. Analyse du travail et ergonomie 2. Plusieurs analyses du travail (Dadoy et al., 1990) 3. L analyse ergonomique du travail : une démarche d intervention ou de conception 4. Analyse du travail et analyse de l activité 5. Analyse de l activité et vidéo
Qu est-ce que l analyse du travail? Un objet : l activité (le comment) Une posture : clinique Un principe d analyse : l écart irréductible entre l activité et la tâche (ce qui est prévu par l organisation, par le sujet)
Pourquoi recourir à l analyse du travail en sciences de l éducation?
Pourquoi des chercheurs se sont intéressés à l analyse du travail en sciences de l éducation? Quatre exemples : Durand (1996) Amigues (2002) Goigoux (2002) Robert (2008)
Durand (1996). L enseignement en milieu scolaire Prise de distance par rapport à un conception «solipsiste et décontextualisée» de la cognition (p. 19) «Nous avons ainsi rompu, sur un autre plan, avec le programme cognitiviste qui s appuie sur une position dominante du chercheur et une séparation radicale entre les activités scientifiques et quotidiennes.» (Durand, Ria & Veyrunes, 2010, p. 22)
Durand (1996) 1. nécessité d une étude du travail en situation réelle 2. contributions des acteurs dans la constitution de corpus empiriques 3. une position ni normative ni dominante des chercheurs
Durand, Ria & Veyrunes (2010) «Ces débats nous ont incités à nous écarter des modèles cognitivistes et à chercher dans les sciences du travail et dans le courant de l action située, les concepts et les méthodes qui pourraient contribuer à trouver des solutions à nos questionnements.» (p. 20) «Le choix de l activité comme objet central de ce programme répondait à la nécessité de procéder à une réduction opératoire du réel, tout en visant une validité théorique et une pertinence pratique. (p. 20) «Cette décision a marqué pour nous une rupture avec les présupposés qui réfèrent l action et la pratique à des savoirs préalables» (p. 21) - unité du savoir et de l action
Amigues (2003) Contre le «pédocentrisme» L enseignant comme un travailleur Travailler, c est traiter la prescription «Le point de vue adopté par l approche ergonomique consiste à comprendre comment à partir des prescriptions qui lui sont faites, un professeur, non seulement utilise, mais refaçonne les moyens à sa disposition pour accroître, aussi bien l efficacité que l efficience de l action» (p. 14)
Goigoux (2001, 2007) Didactique du français L oubli de l enseignant dans le triangle didactique Sortir de la perspective normative des didactiques Ce que font réellement les enseignants comme point aveugle des recherches en didactiques
Goigoux (2001, 2007) Favoriser la reconnaissance sociale de leur travail Elucider certains savoir-faire professionnels Faciliter la transmission des savoir-faire professionnels en rendant explicites les compétences professionnelles disponibles ou attendues «Décrire les fondements de l expertise professionnelle des instituteurs afin de constituer des ressources pour leur formation professionnelle.» (p. 125)
Robert (2008) Didactique des mathématiques L analyse des variables pesant sur les pratiques enseignantes Analyse de la tâche didactique et de son devenir dans la situation Comparaison entre la tâche élaborée par l enseignante et l activité des élèves. Le point de vue de la tâche Analyse des variables expliquant le déroulement du scénario didactique
Un constat : Une diversité d approches et de programmes scientifiques Quel point commun?
Quel est le point commun? Le travail est plus complexe qu on ne le pense L intérêt pour le détail du travail L écart entre les représentations et le travail réel L intelligence au travail Les professionnels comme experts Une implication du point de vue des professionnels dans les recherches
Mais aussi des différences Du point de vue intrinsèque, la distinction entre tâche et activité n a pas de sens Il est possible de faire une analyse dynamique de la tâche sans solliciter le point de vue du sujet. Des analyses de l activité sans prise en compte de la tâche Des analyses qui se centrent sur l activité matérielle plutôt que ce que pensent l acteur en situation
Sur cette base : Que devient l analyse du travail quand on la fait entrer dans la formation? Que deviennent ces cadres théoriques et ces concepts hérités ou s appuyant sur l analyse du travail lorsque lorsqu on les transporte en formation?
Plusieurs entrées Par la tâche (didactique) Par la cognition (schèmes) Par les opérations matérielles (gestes professionnels)
Plusieurs dispositifs de formation Par allo-confrontation Par auto-confrontation Avec des finalités différentes
Des utilisations en formations différentes L analyse de l activité comme outil de formation L analyse du travail comme préalable à la formation (modélisation) Les productions de l analyse du travail comme point de départ d une démarche de formation
Plusieurs dispositifs de formation Est-ce que cet ensemble de dispositifs et de démarches en référence à l analyse du travail peut soutenir la visée d une professionnalisation des métiers de l enseignement et de la formation?
Atelier 1: Enjeux de conception ATELIER 1 - salle MR 060 De l analyse du travail vers la conception de formation G. Poizat, M.-C. Bailly, A. Goudeaux, Université de Genève & L. Seferdjeli, HEdS Genève De l analyse du travail à la formation : illustration sur le terrain de la radiologie médicale Ph. Veyrunes, Université de Toulouse II Configurations de l activité collective en classe et culture métier dans la formation des enseignants F. Yvon, Université de Genève Former des responsables d établissement par l analyse de l activité Discussion animée par M. Durand
Atelier 2. Enjeux d accompagnement: quels outils, modalités? ATELIER 2 - salle MR 070 Accompagnement du développement professionnel individuel et collectif S. Chaliès, Université de Toulouse II & S. Bertone, Université de la Réunion Les interactions entre les enseignants-novices stagiaires et leurs tuteurs : former des enseignants à partir des règles de métier C. Félix & F. Saujat, Université d Aix-Marseille De l intervention-recherche à la formation : réflexion sur les bénéfices de l analyse de l activité enseignante à l état naissant V. Lussi Borer, Université de Genève & L. Ria, Institut Français d Education Concevoir et expérimenter un laboratoire d analyse vidéo de l activité enseignante au sein d un établissement scolaire Discussion animée par K. Balslev
Conférence (13h30-14h30) R. Goigoux & G. Serres, Université de Clermont-Ferrand Analyse du travail pour la formation et en formation de formateurs d enseignants
Atelier 3: enjeu de l usage de la vidéo comme media pour la formation ATELIER 3 Analyse de l activité et usage de la vidéo en formation J. Rogalski & A. Robert, Université Paris 7 De l analyse de l activité de l enseignant à la formation des formateurs : le cas de l enseignement des mathématiques dans le secondaire S. Flandin, IFé Lyon, S. Leblanc, Université de Montpellier 2 & A. Muller, Université de Genève Vidéoformation «orientée-activité» : quelles utilisations pour quels effets sur les enseignants? L. Filliettaz, & D. Trébert, Université de Genève Le travail comme objet d analyse dans les espaces interprétatifs de l alternance : le cas de la formation professionnelle en éducation de l enfance Discussion animée par F. Yvon