Problématique : I. La création du mythe résistancialiste (1944-1971) A. Le «deuil inachevé» 1 : 1944-1954



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Problématique : Thème 1 : Le rapport des sociétés à leur passé I. La création du mythe résistancialiste (1944-1971) A. Le «deuil inachevé» 1 : 1944-1954 1) Une épuration qui ne relève pas de l anecdote : Documents à utiliser : La fin de l épuration (Manuel Belin), texte et tableaux statistiques ci-dessous concernant le détail des condamnations de l épuration légale (d après H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas), Document 1 : La fin de l épuration : Personnes condamnées pour faits de collaboration et incarcérées (1945-1964) L épuration, menée avec rigueur dans l immédiat après-guerre, est officiellement achevée avec les lois d amnistie de 1951 et 1953. Document 2 : Une épuration non négligeable : En dépit de ses faiblesses, l épuration fut un phénomène d une ampleur incontestable. Sur 100 dossiers examinés par la Haute Cour qui jugea les responsables de Vichy, 45 ont abouti à un non-lieu ou un acquittement simple, 15 à la dégradation nationale (dont 7 relevées pour fait de résistance comme ce fut le cas pour René Bousquet en 1949), 22 à des peines de prison et de travaux forcés (dont 5 par contumace), 18 à des condamnations à mort (dont 10 par contumace) dont 5 furent commuées Pétain notamment et 3 furent exécutées (Pierre Laval, Joseph Darnand et Fernand de Brinon). Le bilan des cours de justice et des chambres civiques ces dernières devait apprécier une nouvelle qualification : «l indignité nationale», qui pouvait déboucher sur la peine de «dégradation nationale», une privation des droits civiques et politiques») est nettement plus lourd : 310 000 dossiers ouverts pour environ 350 000 personnes, soit presque un Français sur cent. Nombre de dossiers Actions menées contre les personnes 140 000 classés avant information (dossiers vides) 43 000 classés après information (charges nulles ou insuffisantes) 58 000 jugement par des cours de justices 1 Expression utilisée par H. Rousso dans son ouvrage Le syndrome de Vichy paru en 1987. 1

69 000 jugement par des chambres civiques Décisions des cours de justices Décisions des chambres civiques 12 % d acquittement 28 % d acquittement 6 % de dégradation nationale 67 % de dégradation nationale 70 % de peines de prison ou de travaux forcés (dont 4 % par contumace et 4 % à perpétuité) 12 % de peine de mort (dont plus de la moitié par contumace) 767 peines de mort ont été suivies d une exécution 5 % de peines relevées pour faits de résistance A ce bilan, il faut ajouter celui des tribunaux militaires, dont le fonctionnement reste mal connu, mais qui ont condamné à mort et fait exécuter près de 800 personnes. Au total, tant l épuration judiciaire, que l épuration sommaire (qui fit environ 9000 victimes, la plupart avant le Débarquement et lors des combats de la Libération) ont coûté la vie à 10 000 ou 11 000 personnes. En outre, plus de 30 000 fonctionnaires, magistrats, militaires (et non pas 11 343, le chiffre officiel) ont été sanctionnés sur le plan professionnel, ainsi que de nombreux cadres et employés du secteur privé. D après H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, p. 250 sq. 1. Expliquez comment le Gouvernement Provisoire de la République Française a réagi dans un premier temps par rapport au gouvernement de Vichy et à la Collaboration? Présentez le bilan de cette action? 2. Montrez que le GPRF n a pas été le seul à avoir pratiqué l épuration? 3. Montrez que cette épuration a été imparfaite? 4. Identifiez les raisons expliquant pourquoi l épuration a rapidement pris fin? 2) Construire la paix civile pour mieux reconstruire : Documents à utiliser : la cérémonie du Mont Valérien le 11 novembre 1945, lois d amnistie de 1951 et 1953, document 1 p. 30, document 3 p. 29. Document 1 : Le Mont Valérien, un symbole de l unité de la France combattante Le 11 novembre 1945 : un hommage à tous les combattants. L'année suivante, les cérémonies du 11 novembre 1945 reflètent la volonté du général de Gaulle de faire du Mont Valérien, théâtre du martyre de nombreux résistants, un haut lieu de mémoire pour les combattants et les victimes du nazisme. Le 10 novembre, les corps de quinze Français morts pour la patrie sont amenés en trois cortèges, des portes de Paris aux Invalides : combattants des trois armes, prisonniers, déportés, hommes et femmes, ils symbolisent à la fois l'unité nationale et les différents théâtres d'opération et lieux de souffrance. Le 11 novembre, un cortège unique accompagne ces quinze cercueils sous l'arc de Triomphe, où le général de Gaulle les accueille. Dans la journée, la foule leur rend hommage. Puis, la nuit tombée, ils sont déposés au Mont Valérien. Document 2 : Lois d amnistie de 1951 et 1953 : Article 1 : Sont amnistiés les faits constitutifs de l'indignité nationale [ ]. Source : www.cheminsdememoire.gouv.fr 2

Article 2 : Sont amnistiés les faits ayant entraîné une condamnation à la dégradation nationale à titre principal, lorsque la durée de la peine, compte tenu des mesures de grâce intervenues, n'excède pas quinze ans. [ ] Article 8 : Peuvent être admis par décret au bénéfice de l'amnistie les Français originaires du Bas-Rhin, du Haut-Rhin ou de la Moselle, condamnés uniquement pour engagement dans une formation armée allemande, à condition que l'engagement soit postérieur au 25 août 1942, que celui à qui il est imputé appartienne à une classe que les Allemands ont mobilisée et qu'aucun crime de guerre personnel ne puisse lui être reproché. [ ] Article 12 : Seront admis au bénéfice de l'amnistie tous les militaires et marins musulmans nord-africains condamnés par les tribunaux militaires et les autres juridictions de la métropole et de l'afrique du Nord pour avoir servi dans les formations spéciales telles que la phalange africaine, la légion tricolore, la légion des volontaires français, la légion antibolchevique. Bénéficieront de la même mesure, les travailleurs musulmans nord-africains recrutés entre le 18 juin 1940 et le 25 août 1944, en Afrique du Nord et dans la métropole, par des organismes officiels ou semi-officiels et amenés par la suite à contracter des engagements dans les formations susvisées. Sont exclus du bénéfice de ces dispositions tous ceux qui auront commis personnellement et, de leur propre initiative, des actes antinationaux ou des crimes de guerre. [ ] Article 16 : L'amnistie n'entraîne pas la réintégration dans les fonctions ou emplois publics, grades, offices publics ou ministériels. [ ] Source : legifrance.gouv.fr 1. A l aide du document 3 p. 29, montrez que dès la fin de la guerre, il existe des mémoires concurrentes au sein de la mémoire nationale. Vous préciserez le point de vue de chacune de ces mémoires sur la Résistance et la Collaboration. 2. A l aide des documents, montrez que des groupes entiers restent en marge de la mémoire officielle créée à cette époque. 3. Identifiez les lieux de la mémoire officielle durant cette période? Que mettent-ils en valeur? 4. Expliquez quel était l intérêt de faire des lois d amnistie au début des années 1950 (Vous préciserez comment elles ont été mises en place)? B. Le mythe résistancialiste ou période de «refoulements» 2 : 1954-1971 Documents à utiliser : document 1 p. 25 (vidéo de Malraux, fin du discours à partir de 18 min 01) et 1 p. 30, La difficile prise en compte de la déportation des Juifs (Annette Wievorka 3, «Auschwitz et nous», Le Nouvel Observateur, janvier 2005). Document 1 : La difficile prise en compte de la déportation des Juifs : L histoire Annette Wievorka explique pourquoi la déportation des juifs n a guère été mise en avant dans les années d après-guerre. Les déportés de la Résistance qui reviennent sont infiniment plus nombreux. [ ] Certains sont des personnalités du monde politique d avant-guerre ou font partie des élites de la République ; ils écrivent, interviennent dans la vie publique et créent des associations. Les survivants juifs sont le plus souvent des petites gens, tailleurs, casquettiers, parfois très jeunes, et confrontés à une absolue détresse : leurs familles ont été décimées, leurs maigres biens pillés, leurs logements occupés Ils n ont guère les moyens de se faire entendre. Dans notre 2 Expression utilisée par H. Rousso dans son ouvrage Le syndrome de Vichy paru en 1987. 3 Historienne spécialiste de la Shoah en France. 3

société moderne, la parole des victimes est sacrée, la souffrance individuelle doit s exprimer. Ce n était pas le cas en 1945. La parole appartenait aux représentants d associations structurées. Et l heure était à la célébration de la Résistance.» Source : Annette Wievorka 4, «Auschwitz et nous», Le Nouvel Observateur, janvier 2005 1. Identifiez ce qui est passé sous silence dans les discours de la République gaullienne? 2. Identifiez ce qui est mis en avant par le général de Gaulle et son gouvernement? Exercice de méthode : Etudier d un discours, André Malraux, 19 décembre 1964 (doc 1 p. 25) [ ] Lorsque, le 1er janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n'était encore qu'un désordre de courage : une presse clandestine, une source d'informations, une conspiration pour rassembler ces troupes qui n'existaient pas encore. Or, ces informations étaient destinées à tel ou tel allié, ces troupes se lèveraient lorsque les alliés débarqueraient. Certes, les résistants étaient les combattants fidèles aux Alliés. Mais ils voulaient cesser d'être des Français résistants, et devenir la Résistance française. C'est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres. [ ] Chaque groupe de résistants pouvait se légitimer par l'allié qui l'armait et le soutenait, voire par son seul courage; le Général de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l'union entre eux et avec tous les autres combats, car c'était à travers lui seul, que la France livrait un seul combat. [ ] Jean Moulin n'a nul besoin d'une gloire usurpée : ce n'est pas lui qui a créé Combat, Libération, Franc-Tireur, c'est Frenay, d'astier, Jean-Pierre Lévy. Ce n'est pas lui qui a créé les nombreux mouvements de la zone Nord dont l'histoire recueillera tous les noms. Ce n'est pas lui qui a fait les régiments, mais c'est lui qui a fait l'armée. Peu d'importance aux opinions dites politiques, lorsque la nation est en péril de mort. [ ] [L importance est de] voir dans l'unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l'unité de la Nation, c'était peut-être affirmer ce qu'on a, depuis, appelé le gaullisme. [ ] Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit... Discours d André Malraux pour l entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon, 19 décembre 1964. 1. Identifiez les différents thèmes du document après avoir présenté le document (pas fait sur la feuille, à faire de tête): 2. Réalisez un plan pour faire une analyse de document : 3. Expliquez la phrase soulignée. II. Les «années sombres», un enjeu de mémoire obsessionnel depuis les années 1970 A. La destruction du mythe résistancialiste Documents à utiliser : Un nouveau regard historique sur Vichy (Laurent Douzou, l historiographie de la France des années noires, dans Tal Bruttman (dir.), Persécutions et spoliations des juifs pendant la seconde Guerre Mondiale, coll. Résistances, 2004), texte un film et un livre (P. Laborie, Le Chagrin et le venin, 2012, p. 66-67), texte la postérité du film Le Chagrin et la pitié (D après P. Laborie, Le Chagrin et le venin, 2012, p. 82-111). 4 Historienne spécialiste de la Shoah en France. 4

Document 1 : Un nouveau regard historique sur Vichy : L ouvrage La France de Vichy de l historien américain Robert Paxton en 1973 remet en cause la façon dont les historiens français présentaient le rôle du régime de Vichy durant la Guerre. Le fait qu un américain écrive sur la France fut ressenti par beaucoup comme une ingérence 5 étrangère dans les affaires françaises. Or, [ ] l étude de Paxton constitua une véritable révolution [ ] dans l historiographie de la guerre, en apportant une triple démonstration : Vichy, Pétain comme Laval, avait recherché la collaboration avec l Allemagne ; Vichy avait eu une politique de rénovation autonome de la société française, indépendant de toute pression allemande, notamment dans la politique antisémite ; le pouvoir à Vichy s était partagé entre réactionnaires et rénovateurs, porteurs de projets politiques. Robert Paxton démontrait ainsi que Vichy n était pas une simple parenthèse mais un projet cohérent. Cette démonstration rendit dès lors extrêmement hasardeuse toute entreprise de réhabilitation de Vichy. Source : Laurent Douzou, l historiographie de la France des années noires, dans Tal Bruttman (dir.), Persécutions et spoliations des juifs pendant la seconde Guerre Mondiale, coll. Résistances, 2004. Document 2 : Un film et un livre : [ ] La puissance des images d archives et des mots des témoins font le choc du film Le Chagrin et la Pitié qui dénonçait de façon impitoyable le regard complaisant que les Français portaient sur eux-mêmes et sur leur héroïsme réputé mensonger. Bien que privé d une projection à la télévision censure par inertie pour laquelle il avait été réalisé, le film eut un retentissement énorme qui se prolongea en profitant de l effervescence provoquée par la polémique qui entourait la sortie du livre de Robert Paxton. Le jeune historien américain bouleversait lui-aussi la vision convenue du passé et rendait encore plus convainquant le discours démystificateur du Chagrin et de la pitié. En confirmant des intuitions et des hypothèses antérieures mais passées inaperçues [comme l ouvrage de Eberhardt Jäckel, La France dans l Europe d Hitler, 1968], et en s appuyant sur des sources allemandes, la France de Vichy, parue au début de 1973, marquait une rupture fondamentale avec l historiographie de la guerre. Remarquablement construit, documenté et argumenté, l ouvrage apportait une vision d ensemble sur le rôle primordial du régime de Vichy dans la collaboration d Etat. [ ] Source : P. Laborie, Le Chagrin et le venin, 2012, p. 66-67. Document 3 : La postérité du film Le Chagrin et la pitié En France et à l étranger, le film a suscité une abondante littérature. Le film a été marqué par une censure par inertie, cad qu il n a pas été censuré à la télévision française mais comme l ORTF n avait pas participé à sa réalisation, elle n a pas voulu l acheter. Dès le mois de mai 1971, Marcel Ophuls mettait en garde contre une vision du film au premier degré qui laisserait croire, à tort, que sont intention était de «reconstruire les faits à partir des témoignages». [ ] Sur le fond, la nouveauté du film venait de la teneur des problèmes abordés, du questionnement des miroirs mensongers du passé à travers ses usages sociaux, de la place donnée à la mémoire, à sa force de conviction et à ses fragilités, à la tension entre l authenticité et la vérité des témoins, aux effets déroutants des croisements de temporalité. 5 Intervenir sans y être invité dans les affaires d autrui. 5

Le film, dans les années 1970, a été utilisé comme argument probant par ceux qui voulait dénoncer la tromperie fabriquée à la Libération par le gaullo-communisme, choix politique qui avait ensuite servi à effacer les traces inavouables d un temps de déshonneur. Cependant, si Ophuls a bien voulu remettre en cause le mythe résistancialiste, il ne cherche pas forcément à montrer une vérité sur les années sombres. La vision du film par certains entérinait deux glissement de sens majeurs sur le sens de ce film. Le premier glissement consistait à faire d une réflexion corrosive sur la mémoire trouée des années 1940 un document capital sur la réalité d une époque. Le second glissement amenait à passer de la «chronique d une ville française sous l Occupation» à un modèle transposable, à faire d un morceau la totalité, et d un portrait de groupe impressionniste celui de la France entière. D après P. Laborie, Le Chagrin et le venin, 2012, p. 82-111. 1. Identifiez les changements apportés par le film de Marcel Ophuls et le livre de Robert Paxton. 2. Expliquez si, pour autant, ils sont construits avec les mêmes méthodes et les mêmes objectifs. 3. Montrez quels effets durables ils ont eu sur les mémoires de guerre. B. Le réveil des mémoires identitaires L objectif poursuivi depuis les années 1970 était la prise en compte par la nation de ces crimes antisémites, de leur spécificité, cad de la distinction nécessaire, justifiée sur le plan historique, entre les crimes perpétrés par le national-socialisme, condamné depuis lors par les hommes et par l Histoire, et ceux commis par un régime, des fonctionnaires, des collaborateurs français, crimes dont la réalité s était estompée dans la mémoire ou n avait pu être mis en évidence après la guerre : - Le procès Touvier : on a condamné un collaborateur et non pas un milicien. On l a fait dans le cadre de ce qui restera sans doute le dernier procès de l épuration et non le premier procès de crime contre l humanité à l encontre d un français. - Le Vel d Hiv : l événement est devenu depuis 1993 le symbole officiel du Vichy antisémite. Mais la grande rafle de juillet 1942, comme toutes celles qui ont suivi, en zone nord comme en zone sud, furent moins la conséquence de l antisémitisme que celui de la collaboration d Etat. Le rôle des Bousquet, Leguay et consorts s explique non pas un fanatisme antijuif mais par la politique d un régime prêt à payer le prix du sang, celui des autres, la défense d une certaine conception de la «souveraineté nationale». Cette politique n a pas de lien nécessaire avec les lois antijuives promulguées deux ans plus tôt par Vichy. C était même ce que la mémoire nationale était censée intégrer : la part d autonomie par rapport à l occupant. Ces lois ont favorisé l application de la «Solution finale» sur le territoire français mais le sens de ces lois n était pas celui des prémisses à une extermination ni dans la politique de Vichy, ni dans celle du Reich. Ces lois françaises exprimaient un principe d exclusion politique et sociale inscrit au cœur d une certaine tradition français et qui reste aujourd hui encore vivante. Autre effet pervers du «judéocentrisme» : le surgissement de mémoires réclamant, elles aussi, leur droit à la reconnaissance et à la différence. La mémoire nationale reste en effet incapable de rendre compte, d un même mouvement, d une part de la communauté de destin qui lia presque tous les français et tous les étrangers réfugiés sur le sol de la France, une population qui vécut le même drame : celui de la guerre, de la défaite, de l occupation ennemie ; et d autre part, des différences radicales de situations subies par les uns et les autres : les juifs et les non-juifs, les habitants de la zone libre et ceux de la zone occupée, sans oublier les populations des zones interdites, réservée, annexée qui furent coupées du reste du 6

pays, les 2 millions de prisonniers de guerre, les travailleurs du STO, les victimes des persécutions raciales, religieuses ou politiques, les victimes de répression, les victimes de la guerre et des bombardements, les victimes parfois innocentes de l épuration sommaire : femmes tondues et humiliées, familles massacrées, disparues dans la violence exutoire. Naguère, le souvenir de la déportation «raciale» avait été relégué au second plan derrière celui des martyrs de la Résistance ou des soldats tombés dans les campagnes de la Libération, au même titre que d autres catégories : prisonniers de guerre, soldats tués dans les combats de 1940, les «ex-déportés du travail», Aujourd hui, c est l inverse qui se produit. Cela entraîne aussi la demande de nouveaux statuts pour les Tsiganes, les homosexuels, des malades mentaux, des prisonniers de guerre allemands. Tout le monde veut son «génocide» selon H. Rousso. C. La reconnaissance des crimes, le devoir de mémoire et la repentance Documents à utiliser : Document 4 p. 31, la lutte contre le négationnisme (Georges Wellers, Les chambres à gaz ont existé, Gallimard, 1981), Le procès de l Etat? (Jean-Marie Colombani, Savoir désobéir, Le Monde, 4 avril 1998) Document 1 : La lutte contre le négationnisme : En 1981, Georges Wellers, survivant d Auschwitz et historien de la Shoah, apporte un démenti argumenté et documenté aux thèses négationnistes. Il explique dans son introduction à qui il entend s adresser et pour quelles raisons. Toute une littérature est consacrée au travail de dénégation de l insoutenable réalité. [ ] la «philosophie» générale de cette campagne est très simple : l existence des chambres à gaz et les six millions de victimes juives sont déclarés mensonges entièrement inventés, après la guerre, par le judaïsme mondiale. [ ] Mon propos ne s adresse pas aux instigateurs de cette campagne, car il n existe aucun espoir de les persuader en quoi que ce soit. En effet, l unique souci des uns est de réhabiliter le régime nazi. [ ] Pour les autres, il s agit du «goût de la vérité» poussé à de telles extrêmités qu on en perd de vue le point de départ. Ce qui est commun aux uns et aux autres, c est, d une part, que leur production ne relève pas d une école historique, mais d une propagande passionnée [ ] ; et d autre part, la même finalité : innocenter, banaliser le régime nazi. [ ] Source : Georges Wellers, Les chambres à gaz ont existé, Gallimard, 1981 Document 2 : Le procès de l Etat? Le 2 avril 1998, Maurice Papon, ancien préfet de Gironde pendant la seconde Guerre Mondiale, est reconnu coupable de crime contre l humanité et condamné à dix ans de réclusion criminelle. Sa condamnation est perçue par les observateurs comme celle de l Etat. L une des grandes difficultés de ce procès tenait à la fonction même de l accusé : haut fonctionnaire d autorité sous l Occupation, ancien préfet et ancien ministre [après-guerre]. Le juger revenait à mettre en cause une certaine permanence française. C était s attaquer, au-delà de sa personne, à une haute administration qui était, à l époque, engagée dans une lutte politique contre ce que le pouvoir d alors nommait «l ancien régime», c est-à-dire contre la République. C était aussi mettre au jour un crime de bureau ; refuser de déresponsabiliser des grands commis de l Etat. [ ] Source : Jean-Marie Colombani, Savoir désobéir, Le Monde, 4 avril 1998 1. Montrez que depuis les années 1970, et particulièrement depuis les années 1990, on assiste à des tensions mémorielles et à une fragmentation de la mémoire. 2. Identifiez les actions menées par l Etat dans les années 1990 pour faire face aux demandes de reconnaissance des victimes, notamment celles de la déportation (utilisez des recherches personnelles) 7

3. Expliquez à quoi aboutit le discours de Jacques Chirac en 1995? Identifiez-en sont les raisons? III. Le travail de l historien en parallèle au travail de mémoire Documents à utiliser : texte la participation des historiens au procès, texte histoire et mémoire ont un lien, texte la mémoire une source critiquée par l histoire, texte le Génocide, le juge et l historie, texte Historiens et mémoires de la seconde guerre mondiale. Document 1 : La participation des historiens au procès : Appelés à la barre en tant que «témoins», des historiens ont été chargés de présenter le contexte historique des «années noire». Leur présence dans le prétoire a été l objet d un d ébat sur les rapports entre histoire et justice. La société fait vivre les historiens et leur permet d acquérir un certain savoir-faire pour les aider à enrichir, à toutes fins utiles, sa connaissance du passé. Et comme citoyens, il me paraît qu il leur est difficile de se refuser à servir la justice quand celle-ci requiert de contribuer, dans la mesure de leurs moyens, à sa sagesse. Que la définition de leur contribution comme «témoignage» soit ambiguë, partant lourde de dangers, c est certain. Que le travail des historiens se distingue le plus souvent de celui des juges d instruction, c est l évidence. [ ] Mais, c est précisément pour cela qu ils sont complémentaires, c est-à-dire utiles dans le processus d émergence de la vérité. Or n est-il pas plus satisfaisant qu ils le fassent à la requête des tribunaux qu en dehors d eux et contre eux? Source : Jean-Noël Jeanneney, Le Passé dans le prétoire, Le Seuil, 1998. Document 2 : Histoire et mémoires ont un lien On peut sans doute reconnaître à la mémoire un caractère matriciel bien antérieur à la prétention de l histoire à devenir une science. Se concevant comme un récit objectif du passé élaboré selon des règles, l histoire s est émancipée de la mémoire, tantôt en la rejetant comme un obstacle (les souvenirs éphémères et trompeurs soigneusement écartés par les fétichistes de l archive), tantôt en lui attribuant un statut de source susceptible d être exploitée avec la rigueur et la distance critique propre à tout travail scientifique. La mémoire est donc ainsi devenue un des nombreux chantiers de l historien ; l étude de la mémoire collective s est progressivement constituée en véritable discipline historique. Les relations entre la mémoire et l histoire sont devenues plus complexes, parfois difficiles, mais leur distinction n a jamais été remise en cause et reste, au sein des sciences sociales, un acquis méthodologique essentiel. Source : Enzo Traverso, L histoire comme champ de bataille, La découverte, 2011 Document 3 : La mémoire, une source critiquée par l histoire La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l histoire, une représentation du passé. Parce qu elle est affective et magique, la mémoire ne s accommode que de détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projections. L histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique. La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l histoire l en débusque, elle prosaïse toujours. La mémoire sourd d un groupe qu elle soude, ce qui revient à dire, comme Halbwachs l a fait, qu il y a autant de mémoires que de groupes ; qu elle est, par nature, multiple et démultipliée, collective, et individualisée. L histoire, au contraire, appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l universel. La mémoire s enracine dans le 8

concret, dans l espace, le geste, l image et l objet. L histoire ne s attache qu aux continuités temporelles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire est un absolu et l histoire ne connaît que le relatif. Au cœur de l histoire, travaille un criticisme destructeur de la mémoire spontanée. La mémoire est toujours suspecte à l histoire dont la mission vraie est de la détruire et de la refouler. L histoire est délégitimation du passé vécu» Source : Pierre Nora, «Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux», in Les lieux de mémoire, I. La République, (Pierre Nora dir.), Paris, NRF/Gallimard, collection «Bibliothèque illustrée des histoires», 1984, p XIX-XX. Document 4 : Le Génocide, le juge et l historien La loi antiraciste adoptée le 30 juin 1990 considère comme un délit «la négation des crimes contre l'humanité». Pour Madeleine Rebérioux, historienne et vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme, il n'appartient ni aux juges ni à la loi de dire le «vrai» en histoire même quand il s'agit de combattre le soi-disant «révisionnisme» qui nie l'existence des chambres à gaz et du génocide. Aux yeux de Madeleine Rebérioux, la vérité, que les historiens s'attachent à cerner, ne peut être fixée une fois pour toutes par des lois quelles qu'elles soient. [ ] Il a fallu la profonde émotion provoquée par la négation du génocide hitlérien et par les conséquences de la banalisation du nazisme pour que l'assemblée nationale adopte, le 30 juin 1990, dans le cadre d'une nouvelle loi (modifiant sur ce point celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et «tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe»), un article qui constitue en délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité [ ]. Venons-en aux historiens puisque c'est de leur opinion que L'Histoire se préoccupe, puisque, aussi bien, l'histoire est mon métier. Conscients d'une évidence où sont passés ceux qui, femmes, enfants, vieillards, tous Juifs, faisaient partie, lors de la «sélection» à l'entrée d'auschwitz et autres camps d'extermination, de la «mauvaise colonne», celle dont le camp n'avait pas, provisoirement, «besoin»? Où sont passés les disparus de Treblinka? -, acharnés à mettre en place tous les éléments qui permettent de répondre, avec le maximum d'esprit critique, à cette question, soucieux aussi de savoir pourquoi un certain nombre de gens dépourvus de toute pratique du difficile métier d'historien s'acharnent à nier les génocides, les historiens ne se reconnaissent cependant ni dans les propos d'hannah Arendt qui s'interrogeait en 1950 sur la validité des méthodes des sciences sociales appliquées à l'univers concentrationnaire, ni dans ceux d'élie Wiesel qui, «parce que l'holocauste transcende l'histoire», déclarait qu'on ne peut penser Auschwitz. Modestes fourmis, ils savent qu'on ne sait pas grand-chose, mais qu'en confrontant les sources les plus diverses, en faisant appel aux spécialistes de différentes disciplines, en posant des questions qui ne soient pas inspirées par des volontés politiciennes, il est possible d'en savoir davantage. [ ] Ils savent ce qu'on peut attendre d'une patiente mise en relation des témoignages, des archives et de l'état des lieux, dès lors qu'elle n'est pas guidée par le désir obsessionnel de blanchir le nazisme pour telle ou telle raison mais par la simple conviction méthodologique qu'il est possible d'en comprendre la nature, d'en analyser le mouvement, d'en cerner la spécificité. Ils savent que la recherche, qui a beaucoup progressé, n'a pas hésité à transgresser des tabous déjà inscrits dans la mémoire : non, nous n'avons pas de preuves du fonctionnement d'une chambre à gaz à Dachau ; non, quatre millions d'êtres humains n'ont pas disparu à Auschwitz. Mais ils savent aussi que des progrès restent encore à faire, qu'il s'agisse de nouvelles questions posées à l'histoire du crime ou de la «qualité» de la preuve [ ]. 9

La référence au procès de Nuremberg, tout d'abord, ne clarifie pas tout (cf. L'Histoire n 136). Crime contre l'humanité : cette nouvelle catégorie juridique internationale marque un moment essentiel de la conscience universelle, mais elle ne répond pas à toutes les questions : silence sur les Tsiganes, statut contestable des massacres de masse - les quinze mille officiers polonais assassinés à Katyn relèvent des «crimes de guerre» et non des «crimes contre l'humanité» -, refus de définir un «crime d'extermination» qui aurait permis de qualifier de façon spécifique les génocides. En outre, Nuremberg ignore la focalisation sur les chambres à gaz que les négationnistes d'une part, la mémoire juive de l'autre, les souvenirs des survivants enfin ont petit à petit imposée. Réfléchissons à ceci encore : l'historien n'est pas un juge. Il cherche le vrai à travers le faux ; des mensonges, il fait sa matière [ ]. La «vérité» que les historiens s'attachent à cerner, cette volonté non seulement d'établir les faits mais de les interpréter, de les comprendre -- les deux sont bien sûr inséparables, peut-elle être énoncée, fixée, par la loi et mise en œuvre par la Justice. Source : Madeleine Rebérioux, L'Histoire, n 138, novembre 1990 Document 5 : Historiens et mémoires de la seconde guerre mondiale : Les historiens professionnels se sont retrouvés en première ligne. Sur ces questions, la demande sociale a pris des formes inusitées : le témoignage en justice, au pénal, ou la création de commissions ad hoc par l épiscopat ou le ministère de la culture, la multiplication des contrats publics de recherche, des conseils scientifiques des musées, d expositions, La réponse à cette demande multiforme ne va pas sans poser de pbs. La difficulté de garde ses distances, de résister aux pressions des demandeurs, voire tout simplement de donner une réponse argumentée et même une réponse tout court est réelle. Les historiens de surcroît ne sont pas au-dessus des faiblesses de leurs concitoyens. Certes, les historiens savent que cette vérité est souvent fugitive et révisable, qu elle dépende d une multitude de facteurs, que les modes de représentation (dont la mémoire collective) sont des faits d histoire, étudiés comme tels. Ils savent que le regard de l observateur (historien ou autre) comme la nature des sources qu il utilise pour étudier le passé (témoignages, traces écrites, ) comportent une part essentielle, parfois déterminante de la subjectivité : l Histoire est faite, et elle est écrite, par ou pour des êtres de chair, de sang et de parole. Source : H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, 1994, p. 260. 1. Identifiez le rôle des historiens concernant la question de la seconde Guerre Mondiale en France? 2. Depuis les années 1990, identifiez le ou les nouveaux rôles que l on demande aux historiens de jouer? 3. Montrez que l historien peut se faire historien de la mémoire? 10

Conclusion : 1945 1950 1960 1970 1980 1990 2000 LE TEMPS DU REFOULEMENT «DÉGEL» DE LA MÉMOIRE «DEVOIR DE MÉMOIRE» LE TEMPS DES REPENTANCES MYTHE RÉSISTANCIALISTE VERS LA FIN DES MYTHES : Épuration Les nouvelles expressions de la mémoire Lois d amnistie 1951-1953 2005 2011 1973 R. Paxton 1987 1998 Procès Papon 11.11.1945 19.12.1964 La France de Vichy Inculpation 1995 Discours J. Chirac Discours Mont Valérien J. Moulin au Panthéon Klaus Barbie 1994 Procès Touvier 1971 Le Chagrin et la Pitié 1990 Lois Gayssot chronologie de Martine Richard-Barthe, lycée Blaise-Pascal de Charbonnières, septembre 2004 1985 Shoah C. Lanzmann Soulignez les dates de la chronologie de quatre couleurs différentes en fonction des catégories suivantes : - Les discours mémoriels de l Etat français - Les actes de justice concernant les mémoires de la seconde guerre mondiale - Les ouvrages d historiens - Les films non réalisés par des historiens. O. Vieworka, Les mémoires de la seconde guerre mondiale et H. Rousso, Vichy, Un passé qui ne passe pas 11