«Hybridités génériques et discursives dans les Historiettes de Tallemant des Réaux» Marie-Thérèse Ballin

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1 «Hybridités génériques et discursives dans les Historiettes de Tallemant des Réaux» by Marie-Thérèse Ballin A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy Graduate Department of French University of Toronto Copyright Marie-Thérèse Ballin 2018

2 «Hybridités génériques et discursives dans les Historiettes de Tallemant des Réaux» Marie-Thérèse Ballin Doctor of Philosophy Degree Graduate Department of French University of Toronto 2018 Résumé Les Historiettes de Tallemant des Réaux ont été rédigées entre 1657 et Écrites à l intention des amis, elles sont restées à l état de manuscrit jusqu à leur publication en Elles suscitent alors une véritable émotion et passionnent la critique. Leur auteur est traité de médisant et de calomniateur dont le bavardage de portier excite la curiosité d une époque friande de scandales. Or, les Historiettes ne sont pas une simple consignation gratuite d anecdotes juteuses. Tallemant médit non seulement pour «amuser la galerie», il cherche surtout à démasquer les impostures de la société dans laquelle il évolue. Le regard est ludique mais la mise en récit est sous-tendue par un dispositif rhétorique complexe. Au fil des ans, l œuvre de Tallemant des Réaux a acquis ses lettres de noblesse. Elle est maintenant reconnue comme une des œuvres clé pour ceux qui s intéressent au Grand-Siècle. Au-delà des informations que l on y glane, c est aussi le style du conteur et le ton facétieux qu il adopte, ainsi que les multiples registres qui s y entrecroisent, qui donnent au récit toute sa saveur. De la raillerie fine et mondaine qui adhère aux règles de civilité et de divertissement, à la satire qu'alimente une ii

3 brutale obscénité, cet écrit à la forme éclatée repose sur une esthétique hybride et multiforme et offre un espace de lectures plurielles. Dans notre étude, nous avons surtout cherché à démontrer qu en dépit des décalages de l œuvre par rapport à l écriture de l histoire, et malgré des écarts esthétiques qui contreviennent aux règles d un classicisme codifié reposant sur le sublime, les Historiettes n en sont pas moins à la fois une œuvre historique et littéraire. iii

4 Remerciements Mes remerciements vont tout particulièrement à mon comité de thèse: Mes co-directeurs de recherche, Professeurs Roland Le Huenen et Grégoire Holtz. Professeur Grégoire Holtz m a accompagnée pendant ces dix dernières années avec ses conseils précieux et sa bienveillante pression. Son attention et sa patience m ont permis de mener à terme cette recherche. Mon co-directeur de recherche, Monsieur Roland Le Huenen. Sa vaste érudition et ses remarques judicieuses ont contribué à enrichir et à approfondir mes recherches. Le membre de mon comité Monsieur Andreas Motsch, qui m a toujours généreusement prodigué ses conseils et ses encouragements. Mes chaleureux remerciements vont aussi aux professeurs et aux collègues, très nombreux, qui ont contribué à faire de ces dix années de travail un parcours enrichissant dans multiples domaines. Ils m ont surtout permis de tisser de profondes amitiés, de faire des rencontres intellectuellement stimulantes, et m ont sans cesse encouragée à ne jamais abandonner ce projet: Les Professeurs P. Michelucci, Barbara Havercroft, Patrick Thériault, Corinne Denoyelle. Les collègues et amis: Marie Boisvert, Maud Pillet, Vincent Manuele, Caroline Lebrec, Anna Frolova, Lara Popic, Richard Spavin, Ritu Bhatnagar et bien d autres. Je ne peux pas oublier les membres de notre département d études françaises: Madame Monique Lecerf, incroyablement efficace et dévouée, Monsieur André Tremblay, d une gentillesse à toute épreuve, et tous les autres, chaleureux et toujours à l écoute. Enfin et surtout, je veux dire ma très profonde reconnaissance à : Mon mari, Max, qui m a constamment encouragée. Ma fille Vanessa qui m a écoutée lui parler de ce projet pendant dix ans (rien que pour cela, elle mérite la médaille du mérite filial). Son humour et son intelligence ont contribué à alléger ce parcours et à le rendre encore plus passionnant. Mais surtout, ses contributions «techniques» à ce projet furent capitales, et je la remercie d y avoir investi autant de temps et d énergie. Mon fils Sébastien et ma belle-fille Rose, pour leur amour inconditionnel et la fierté qu ils manifestent à mon égard, pour leur soutien, pour leur patience et leurs continuels encouragement. Quant à mes petits-enfants chéris, Sophia, Luca et Sienna, j espère que plus tard, cette thèse représentera pour eux non seulement un exercice intellectuel enrichissant, mais iv

5 surtout une fenêtre ouverte sur un monde de plaisirs littéraires qui rendent la vie encore plus belle, les sentiments encore plus profonds, et les joies encore plus intenses. Mon chat Roméo fut le spectateur attentif de mes progrès, et sa présence féline me procurait calme et sérénité. En dernier, je veux dédier cette thèse à mes parents, décédés, auxquels je pense tous les jours avec amour et reconnaissance. v

6 Table des matières Remerciements... iv Table des matières... vi Introduction...1 I. Repères historiques...3 II. Tallemant auteur présent-absent...4 III. Méthodologie Justification du corpus...10 A. Biographies, manuscrits et publications...10 B. Consultation des sources primaires...12 C. Corpus de la réception des Historiettes au XIX ème siècle Ambivalences et polyvalences des discours dans les Historiettes...14 A. Un manuscrit posthume...14 B. Une écriture parodique de l histoire...16 C. Les Historiettes, une mosaïque d histoires dans l Histoire...19 i. Les Historiettes, lecture référentielle...19 ii. Comment lire les Historiettes aujourd hui?...22 Chapitre I: Les Historiettes, manuscrit privé ou clandestin?...23 I. Pourquoi Tallemant n a-t-il pas imprimé ses Historiettes? Introduction Le manuscrit hier et aujourd hui Le manuscrit face à l imprimé Réticences et résistances...33 II. Mise en scène d une posture auctoriale Tallemant éditeur...51 III. Circulation et réception Qui est le public des Historiettes? Circulation par voie orale La notion de public Salons et sociabilités/loisir/otium...61 A. L Hôtel Rambouillet...63 B. Les Paladins de la Table Ronde...75 C. Conclusion...79 vi

7 IV. La réception des Historiettes lors des premières publications par l imprimé (XIX ème siècle) Les Journaux...84 Chapitre II: Les Historiettes, un document pour servir à l écriture (parodique) de l histoire...91 I. Introduction...91 II. Le préambule des Historiettes Pacte de lecture ou stratégie mémorialiste?...93 III. L Histoire dans les Historiettes Tallemant historien?...99 IV. Une Histoire de la vie privée L anecdote V. L écriture de l Histoire au XVII ème siècle Entre la codification d un genre et la réalité du discours historique VI. La question de la vérité dans l écriture de l histoire VII. Le discours mémorialiste VIII. Historiettes et Mémoires Relations de transtextualité IX. Conclusion Les Historiettes, une peinture des mœurs? Chapitre III: Les Historiettes Une esthétique de la bigarrure I. Introduction II. Ordre et désordre Unité et éclatement L anecdote, noyau narratif dans les Historiettes Définition de l anecdote comme micro-récit fictif Comparaison avec d autres formes brèves: l ana, la chrie ou les facéties A. Proximité des genres Ana et anecdotes III. «Formes brèves et micro-récits» Emphase et brièveté Discontinuité des thèmes et discontinuité des formes Les digressions IV. Le format de production de la médisance La médisance Un décalage par rapport aux codes de sociabilité V. Le renversement des codes de civilité Le renversement des codes de civilité dans la chambre bleue L âme du rond, Vincent Voiture L espace fréquenté par les hommes de lettres, salons ou académies vii

8 VI. Les portraits médisants dans les Historiettes Introduction Formes et techniques du portrait au XVII ème siècle Le portrait médisant Une rhétorique du blâme sur le mode épidictique VII. L obscénité dans les Historiettes Une modalité discursive de la satire Introduction L écriture de l obscénité qui défigure la personne du roi et des Grands Conclusion I. Tallemant, «homme de lettres malgré lui»? : II. Tallemant, «le spectateur de la vie» III. Les Historiettes, une œuvre ouverte Bibliographie I. Œuvres du corpus II. Dictionnaires III. Ouvrages antérieurs à IV. Autres ouvrages cités et consultés Annexes I. Tallemant des Réaux Repères Biographiques II. Extraits du manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France viii

9 1 Introduction Tallemant des Réaux 1 est aujourd hui une figure incontournable du XVII ème siècle. Pourtant, il ne fait pas partie de ces auteurs canoniques du classicisme comme Corneille, Racine ou La Fontaine. Il n appartient pas non plus au groupe d auteurs de la période dite baroque, comme Scarron ou Charles Sorel. L appellation de mémorialiste ne convient pas non plus à cet auteur qu il est difficile d associer à un groupe faisant partie de ce que Pierre Bourdieu appelle le champ littéraire, pour une période bien postérieure (le XIX ème siècle) 2. Ni romancier, ni poète, ni historien, il n a laissé derrière lui que des recueils manuscrits dont les Historiettes qu il a rédigées, selon ses propres termes, à l intention de ses amis. De tous les manuscrits de Tallemant, seul celui des Historiettes fut publié, presque deux cents ans après la mort de l auteur. Objet de multiples rééditions souvent censurées, c est Antoine Adam qui l édita le premier dans son intégralité, et c est cette édition qui sera utilisée au cours de ce travail. L œuvre est aujourd hui reconnue. Pour les chercheurs qui travaillent sur l Ancien Régime, elle sert souvent de référence, tant dans le domaine des études littéraires que dans celui des études sur l histoire ou les mémoires. Mais Tallemant continue, même aujourd hui, à susciter une certaine réserve, puisqu on puise dans ses 1 Une biographie sommaire de Tallemant des Réaux se trouve dans l Annexe I. 2 Selon Pierre Bourdieu, le champ littéraire est «un champ de forces agissant sur tous ceux qui y entrent, et de manière différentielle selon la position qu ils y occupent, [ ] en même temps qu un champ de luttes de concurrence qui tendent à conserver ou à transformer ce champ de forces» (Pierre Bourdieu, «Le champ littéraire», Actes de la recherche en sciences sociales, 199, Volume 89, N o 1, p. 3-46). Cette spécificité qui fait que la littérature aujourd hui «constitue un domaine spécifique d activités, avec ses règles de fonctionnement, sa logique, ses codes», a pris naissance au XVII ème siècle, avec la création des académies, et l émergence de la figure de «l auteur» (voir l introduction de Alain Viala, La naissance de l écrivain, Paris, Les éditions de Minuit, p. 7-14).

10 Historiettes tout en mettant en garde le lecteur contre la «mauvaise langue» de l auteur, ou encore ses exagérations, parfois encore son manque de rigueur 3. On retient surtout les anecdotes croustillantes sur Henri IV, sur Louis XIII, sur les proches de ces rois. On se montre parfois critique contre sa sévérité à l encontre de Richelieu ou de Sully. On lui reproche son style décousu, ses phrases parfois saccadées, ses digressions, et surtout ses ellipses qui obscurcissent le texte et exigent du lecteur une connaissance préalable des événements marquants du siècle. Si bien que l œuvre, bien qu elle offre tout un éventail de possibilités pour un historien ou un chercheur en études littéraires, n a pas à date été l objet d une étude approfondie 4. 3 Voir par exemple les commentaires de Madeleine Bertaud sur Tallemant (qu elle traite de «mauvaise langue») dans La jalousie dans la littérature au temps de Louis XIII, Genève, Droz, 1981 : «Tallemant aimait ces anecdotes croustillantes et il n a pas toujours résisté au plaisir de corser la vérité» (p. 19 et p.15). Maurice Souriau ne semble pas se fier au jugement de Tallemant concernant la foi de Malherbe : «Si, sur une matière de pareille importance, on repousse le témoignage de cette mauvaise langue de Tallemant» (Maurice Souriau, L évolution du vers français au XVII ème siècle, Genève, Slatkine, 1970). Alain Viala évoque aussi les «ragots qu accumule Tallemant des Réaux» (Alain Viala, La France galante, op. cit., p. 213). L opinion de Sophie Rollin est mitigée. Dans son œuvre sur Voiture, elle reconnait que les Historiettes offrent un précieux témoignage sur le poète, toutefois, elle estime que ces anecdotes sont «imprécises et lacunaires» (Sophie Rollin, Le style de Vincent Voiture, une esthétique galante, op. cit., p. 49). Nicolas Schapira, dans son travail sur Valentin Conrart, souligne sa réserve lorsqu il déclare qu il s appuie sur l historiette que Tallemant a consacrée au futur secrétaire de l Académie, même si «Tallemant ne doit pas obligatoirement être cru sur parole» (Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au XVII ème siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 27). 4 Toutefois, il faut souligner l importance de l édition d Antoine Adam. Accompagnée d une introduction qui trace le parcours de Tallemant des Réaux, ainsi que l historique du manuscrit autographe des Historiettes, et suivie de notes explicatives, cette édition est une source d informations inestimables sans laquelle il aurait été presque impossible de faire ce travail de recherche. Plus récemment, Michel Jeanneret a publié une anthologie des Historiettes avec une préface qui en éclaire le contenu (Historiettes, [choix et présentation de Michel Jeanneret], Paris, Gallimard, 2013). Les travaux de Marie-Gabrielle Lallemand éclairent le lecteur sur les enjeux soulevés lors des premières publications des Historiettes (Marie-Gabrielle Lallemand, «1834: les Historiettes de Tallemant des Réaux font scandale», Postérités du Grand Siècle, Caen, Presses universitaires de Caen, No 15-16, février 2000). Enfin, Karine Abiven a récemment publié son travail sur l anecdote dans lequel une partie est consacrée à l anecdote dans les Historiettes de Tallemant des Réaux (Karine Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, Paris, Classiques Garnier, 2015). 2

11 I. Repères historiques Les Historiettes sont un recueil de portraits dont les modèles sont des personnages illustres, des hommes de lettres connus, et des gens appartenant à la grande ou la moyenne bourgeoisie. Tallemant commença à rédiger ses historiettes en 1657, et les termina en 1659, tout en y intégrant des ajouts plus tard. Les Historiettes couvrent le règne de Henri IV ( ), celui de la Régence de Marie de Médicis ( ), et enfin le règne de Louis XIII ( ). La période concernée est particulièrement agitée. En effet, l actualité politique est marquée par la promulgation de l Édit de Nantes (1598) et sa révocation moins d un siècle plus tard (1685), le siège de La Rochelle ( ) et la Fronde (1648), et deux gouvernements de ministres omnipuissants, mais haïs autant qu adulés: Richelieu et Mazarin. L horizon religieux est aussi bouleversé avec les incessants conflits entre catholiques et huguenots, mais des controverses existent aussi à l intérieur même du catholicisme, entre jésuites et jansénistes par exemple 5. Le milieu littéraire est traversé par des querelles dont certaines auront un impact pour les années à venir comme la Querelle du Cid ( ), ou encore la querelle des Anciens et des Modernes. Sur le plan social, on assiste à la transformation d une société qui, 5 Dans La France du premier XVII ème siècle, R. Descimon et C. Jouhaud mettent en lumière les rivalités religieuses qui subsistent malgré la promulgation de l Édit de Nantes. Ils expliquent aussi le rapport entre religion et politique, en soulignant que les liens intenses entre l Église et l État entrainaient des clivages basés sur des désaccords entre partis ou dus à des ambitions personnelles. Ainsi le parti dévot, le plus radical, attaché à la papauté, et qui contestait une politique qui semblait tolérante envers l hérésie. Dans un autre camp, un parti de tradition gallicane mettait en avant l autorité royale et rejetait le droit à Rome d exercer un pouvoir sur le roi de France. Les gallicans eux-mêmes étaient ennemis avec les jésuites qui faisaient vœu d obéissance au pape. Les jésuites connaissent une expansion spectaculaire à partir de 1616, et sont aux avant-postes de la controverse contre les protestants et les libertins. A leur tour, les jésuites durent faire face à la montée du jansénisme, durement combattu par Louis XIV qui tenait à éradiquer tout germe de dissension religieuse ou d organisation fondée hors des structures traditionnelles de l Église (Voir Descimon, Robert et Christian Jouhaud, La France du premier XVII ème siècle , Paris, Éditions Belin 1996, p ). 3

12 grâce aux salons et au rôle des femmes qui les tenaient, va paradoxalement contribuer à la fois au raffinement des mœurs et à leur émancipation. Sur le plan économique, l ascension d une bourgeoisie aisée, catégorie à laquelle appartient Tallemant, va entraîner un nouvel équilibre de forces. Enfin, le XVII ème siècle est aussi celui des progrès de la science : Galilée, Kepler, Newton, Descartes, dont les découvertes déstabilisent les vieilles notions sur la place de l homme dans l univers. Est-ce que c est ce «phénomène de l éclatement» 6, dont Tallemant est le témoin attentif, qui est reproduit dans la forme fragmentée de ses Historiettes 7? L écriture de ces anecdotes serait-elle une activité cathartique pour cet auteur, qui n aurait pas eu l intention de publier son manuscrit? II. Tallemant auteur présent-absent Tallemant avait ses entrées dans les salons mondains les plus courus de l époque 8. Ces salons étaient alors des espaces de divertissement, dans lesquels les aristocrates et les hommes de lettres se côtoyaient dans une relation presque symbiotique. C est ainsi que Tallemant recueillit les petites histoires que ses amis lui rapportaient. Érudit 9, il fréquentait aussi les cabinets de lectures réputés comme celui 6 La formule est empruntée à Louis Van Delft, dans Les spectateurs de la vie, généalogie du regard moraliste, Paris, Hermann, 2013, p Louis Van Delft parle de «concomitance entre la fortune du fragment, la structure disloquée au plan de l écriture, d un côté, et, de l autre, l éclatement du monde clos, l ouverture de l univers» (Les spectateurs de la vie, op.cit., p. 211). On pourrait aussi analyser «l éclatement» dans la vie de Tallemant : les abjurations dans sa famille, celle de sa femme ensuite, ainsi que de sa fille, et enfin la sienne qui a lieu plus tard. Un autre «éclatement» serait celui de sa ruine personnelle, ensuite de son divorce. 8 Voir «Repères biographiques» dans l Annexe 1. 9 Les preuves de cette érudition nous sont fournies tout au long des Historiettes. En effet, Tallemant fait fréquemment référence à ses lectures. Dans l historiette de Sully, il précise avoir consulté le manuscrit de Marbault. Il a probablement lu tout ce qui circulait dans le milieu des hommes de lettres qu il fréquentait, et dont il mentionne les œuvres tout au long des Historiettes. Il avait certainement lu La pucelle de Chapelain, les Lettres choisies de Balzac, Polexandre de Gomberville 9, les romans de Madeleine de Scudéry, ainsi que les Œuvres de Voiture qu il comptait éditer. Enfin, dans ses notes, A. 4

13 des frères Dupuy. Les Historiettes ne sont donc pas seulement une collection d anecdotes médisantes, voire de ragots, les sources manuscrites ou imprimées sont nombreuses. Tallemant recueillait aussi, ou recopiait, des textes en prose ou en vers, dont les auteurs étaient pour la plupart ses contemporains, des hommes de lettres appartenant à des mouvances diverses : on y trouve par exemple des vers de libertins comme Théophile de Viau, de Sigogne ou de Motin. Il y a aussi des madrigaux galants, des épitaphes satiriques, des épigrammes, des sonnets, écrits par Tallemant ou encore par des auteurs mondains comme Pellisson, Ménage, Sarrazin ou Malleville. Ces recueils contiennent ainsi tout un échantillon de la production littéraire de l époque, qui montre à quel point Tallemant était actif et impliqué dans la République des lettres. Ces autres manuscrits de Tallemant n ont pas été publiés : les manuscrits 672 et 673 qui se trouvent à la Blibliothèque de la Rochelle, ont appartenu à Monmerqué qui s en servit pour annoter sa deuxième édition des Historiettes. Dans les manuscrits de la Rochelle, Tallemant avait reproduit les tables de quatre autres manuscrits : Le Gros Recueil, le Recueil de grand papier, le Recueil marbré, le Grand Portefeuille. Ces manuscrits sont à présent à la Bibliothèque nationale. Le Recueil marbré s y trouve sous la cote n o 19142; le Recueil de Grand papier sous la cote n o Un Adam signale plusieurs manuscrits ou ouvrages imprimés que Tallemant aurait lus ou consultés. Citons par exemple : Les Œconomies royales de Sully, les Entretiens de M. de Balzac, les Mémoires de La Rochefoucauld, le Journal de Richelieu, les Mémoires pour la vie de Malherbe de Racan les recueils d ana divers etc. Madeleine Bertaud qualifie Tallemant de «grand liseur» et précise qu aux «sources orales [ ], il ajoutait les relations écrites, scrupuleusement recherchées» (voir son article «Les métamorphoses d une galanterie, Anne d Autriche et Buckingham», dans Le genre des mémoires, essai de définition, Paris, Klincksieck, 1995, p. 175). 5

14 dernier recueil, le ms. BnF f.fr a été signalé par Hubert Carrier 10 comme ayant appartenu aussi à Tallemant. Notons enfin que le manuscrit autographe des Historiettes se trouve à la bibliothèque du Musée Condé à Chantilly. Cette digression au sujet des manuscrits de Tallemant sert à rappeler et à souligner que malgré toute cette activité littéraire, et en dépit des liens qui unit Tallemant à un grand nombre d hommes de lettres que nous avons évoqués plus haut, il est très surprenant de constater qu on ne retrouve pas sa trace dans les multiples correspondances de cette époque 11. Rappelons aussi que jeune, Tallemant était lié avec Jean-François de Gondy, cardinal de Retz. À l âge de dix-huit ans, ils firent ensemble un voyage en Italie qui dura plusieurs mois. Dans l historiette sur le cardinal, Tallemant évoque leurs conversations : «Je l entretins presque toujours, durant dix mois; et, comme il a autant de mémoire que personne, [ ], il me conta et me dit bien des choses» 12. Or dans ses Mémoires, le cardinal de Retz mentionne le voyage en Italie en Il raconte aussi avoir prêté le manuscrit de La Conjuration de Fiesque 13 à Pierre Yvon de La Leu, seigneur de Lozières, qui est un cousin de Tallemant. Comment se fait-il qu il ne parle pas de Tallemant? Plusieurs hypothèses viennent à l esprit : Le cardinal a commencé à écrire ses mémoires en Il était 10 Voir Hubert Carrier, Les muses guerrières. Les mazarinades et la vie littéraire au milieu du XVII ème siècle, Paris, Klincksieck, 1996, p. 413, note Nous faisons cette constatation avec prudence. Il existe encore de nombreux manuscrits de l époque à la bibliothèque de l Arsenal (et peut-être ailleurs), qui n ont pas encore été étudiés. 12 Historiettes, t. 2, p Il faut souligner qu on retrouve dans cette historiette des événements racontés aussi, avec quelques variantes, dans les Mémoires du cardinal, notamment en ce qui concerne l inimitié de Richelieu envers de Retz. Tallemant rapporte que Richelieu l appelait «ce petit audacieux» (Historiettes, t. 2, p. 308). Dans les Mémoires, le cardinal de Retz emploie un autre adjectif similaire : «comme on lui eut dit [Richelieu] que j avais bien fait, il répondit : [ ] c est un téméraire» (Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Gallimard, 1984, p. 65). 13 La conjuration de Fiesque parut en imprimé en Tallemant en parle aussi dans l historiette du cardinal, il l a donc lue dans le texte manuscrit. Retz se serait inspiré de l historien Mascardi, mais son interprétation est sensiblement différente. L histoire est celle du coup tenté par le comte de Fiesque en 1547, pour renverser André Doria, gouverneur de Gênes. Le coup échoua et le comte de Fiesque y perdit la vie. Antoine Adam suppose que le traité de l abbé de Retz avait été composé en 1631, mais cette date n est pas confirmée (voir Historiettes, t. 2, note 3, p. 1166). 6

15 déjà sexagénaire, et le voyage en Italie est déjà bien loin. De plus, comme l explique Michel Pernot dans la préface des Mémoires, l essentiel de ses souvenirs concernent la Fronde 14. Une autre hypothèse mériterait d être explorée, mais nous ne nous attarderons pas dessus dans la présente recherche. Est-ce que le cardinal de Retz avait lu les Historiettes, ou du moins, avait-il eu connaissance de ce que Tallemant avait écrit à son sujet? 15 Cela pourrait expliquer son silence au sujet du compagnon de voyage en Italie. Ceux qui ont évoqué Tallemant sont peu nombreux. Signalons par exemple que dans l édition des Historiettes de 1861, Monmerqué note que l abbé de Marolles parlait de Tallemant «comme d un homme d un esprit distingué» 16. Dans cette même édition, Monmerqué rapporte aussi que suite à la mort de Madame d Harambure dont il était amoureux, Tallemant avait écrit un sonnet dont l original autographe se trouve dans un manuscrit de la bibliothèque de l Arsenal. Ce sonnet dans lequel Tallemant invite les poètes «à célébrer les grâces et les vertus d Amarante» 17 fut envoyé à Conrart, et Monmerqué ajoute que Maynard y répondit par un autre sonnet. Enfin, Tallemant serait l auteur d un des poèmes de La Guirlande de Julie 18, mais à 14 Cardinal de Retz, Mémoires, Paris, Gallimard, 1984, p Notons toutefois que le cardinal de Retz mentionne les noms de Voiture, de Bautru, de Ménage, ou encore de Chapelain. 15 Le portrait du cardinal dans l historiette n est pas particulièrement flatteur : Physiquement, c est «un petit homme noir, qui ne voit que de fort près, mal fait, laid». De plus, «il est malpropre naturellement, et surtout à manger». Au sujet de la Conjuration de Fiesque, Tallemant écrit : «C est peu de chose, et ce qu il fait est assez médiocre» (Historiettes, t. 2, p. 308). Soulignons en passant que Chapelain, dans une lettre à M. de la Lane, évoque cette œuvre du cardinal de Retz en termes beaucoup plus élogieux que ceux de Tallemant: «J ay l esprit plein de la conjuration du Comte de Fiesque et ne puis assés admirer que M. l abbé de Retz, dans une profession si différente à la sienne et à son âge, ait pu réussir si excellemment» (voir les Lettres de Jean Chapelain, Paris, Tamizey de Larroque, 1880, t. 1, p. 472). 16 Monmerqué cite l abbé de Marolles : «M. des Réaux et l abbé Tallemant, son frère, qui ont l esprit si poli et si délicat» (Historiettes, deuxième édition, Paris, Garnier Frères, 1861, t. 1, p. 6). Nous avons d ailleurs retrouvé la citation de l abbé de Marolles dans Les mémoires de Michel de Marolles, Paris, Antoine de Sommaville, 1656, p. 438). 17 Historiettes, deuxième édition, op.cit., p Il s agit du célèbre manuscrit que le duc de Montausier offrit à Julie d Angennes, la fille de la Marquise de Rambouillet. Il avait demandé aux habitués du salon d écrire chacun un poème célébrant 7

16 l exception de ces textes, Tallemant reste étrangement absent. Cette «absence» de la scène littéraire fut d ailleurs utilisée contre lui, lorsque ses Historiettes parurent au XIX ème siècle 19, comme si elle était une preuve de sa médiocrité 20. La place qu occupent aujourd hui les Historiettes dans le corpus dix-septiémiste dément cette assertion. Toutefois, malgré l intérêt qu elle représente pour les chercheurs, l œuvre mérite d être analysée dans ses dimensions proprement littéraires, et non pas uniquement pour vérifier la vérité des «jugements» de Tallemant. Quant aux autres recueils, seul le manuscrit 673 fit l objet d une édition critique par Vincenette Maigne 21. Ainsi, dans ce travail de recherche sur les Historiettes, nous tenterons de combler (en partie) cette lacune, et de mettre en lumière de nouvelles pistes qui serviraient de base pour d autres travaux. En abordant ce projet, la question primordiale qui se posa fut de tenter de comprendre les raisons pour lesquelles les Historiettes, ainsi que leur auteur, sont restés dans une relative obscurité pendant si longtemps. En premier lieu, nous avons jugé qu il fallait explorer la question relative au manuscrit des Historiettes lors du vivant de leur auteur. Dans le préambule, Tallemant prétend écrire ses anecdotes pour les donner à ses amis 22. Or, nous n avons pas retrouvé de références à ce texte chez ceux qui nous semblaient avoir été les amis les plus proches de Tallemant : Maucroix, la beauté de la jeune femme. Parmi les auteurs qui y participèrent, on retrouve Chapelain, Conrart, Georges de Scudéry, Antoine Godeau, Arnaud d Andilly et Tallemant. Cette présence prouve que le statut de Tallemant parmi les habitués de ce salon illustre n était pas négligeable. 19 Un article paru dans le journal Le Courrier français, daté du 14 février 1834, soulève une partie du problème : «Les biographes se taisent sur son compte [ ], lui-même ne nous apprend rien sur sa personne». 20 Victor Cousin, qui n est pas indulgent envers Tallemant, suggère que l auteur des Historiettes, «reçu on ne sait comment à l hôtel de Rambouillet», ne semble pas avoir été remarqué «puisque son nom ne se trouve même pas une seule fois dans les lettres de Voiture» (Victor Cousin, La société française au XVII ème siècle d après Le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, Paris, Perrin et Cie, 1886, p. 249). 21 Tallemant des Réaux, Le manuscrit 673, édition critique par Vincenette Maigne, Paris, Klincksieck, Historiettes, t. 1, p. 1. Il faut nuancer cette note de Tallemant au sujet des «amis». Il s agit là d un topos récurrent dans de très nombreux écrits du XVII ème siècle. Nous en parlerons plus loin. 8

17 Conrart, Patru, ou Pellisson 23. Pour comprendre ce silence, nous avons dû consulter des sources primaires, notamment des correspondances comme celles de Voiture, de qui Tallemant semblait assez proche, de Chapelain, de Madame de Sévigné, de Guez de Balzac, en somme, des gens de lettre que Tallemant côtoyait chez Mme de Rambouillet. À l exception de très courtes mentions par ses amis Patru et Maucroix, on n a retrouvé aucune mention au sujet des Historiettes dans les écrits de l époque, et personne n a évoqué les recueils dans lesquels Tallemant avait assemblé tout un florilège d épigrammes, de sonnets, de madrigaux écrits par des auteurs aussi célèbres alors que Théophile de Viau, Corneille, Pellisson, Ménage, Malleville et bien d autres. Paradoxalement, son ami Valentin Conrart 24, bourgeois et huguenot comme lui, évoluant dans le même milieu, fut perçu comme un «professionnel des lettres», reconnu et admiré, alors qu il n avait rien produit. Il occupa les devants de la scène littéraire, et, selon Nicolas Schapira : «il n est guère de discours ou de récits de l époque sur ces milieux, mémoires, ana, ou livres de critique qui, même brièvement, n évoquent sa figure, de manière massivement laudative» 25. La situation de Tallemant est aux antipodes de celle de Conrart: il a écrit, mais il brille par son absence dans la société des lettres. Ironiquement, il traite Conrart de «caballeur», et 23 Écrit entre 1657 et 1659, il semblait plausible que Tallemant ait tenu à garder secret ce document dont le contenu aurait pu lui nuire. Rappelons encore une fois que Tallemant appartient à la religion réformée, qu il fait partie de la bourgeoisie, et que ses autres écrits suggèrent qu il était du côté des frondeurs (Hubert Carrier indique que Tallemant serait l auteur de mazarinades qui se trouvent dans un recueil portant au dos le titre de «MAZARI.BURLESQ.ANNEE 1649», voir Hubert Carrier, Les muses guerrières, op.cit., p. 490, n. 117). Soulignons aussi que les Historiettes sont rédigées au début du règne de Louis XIV, peu avant la mort de Mazarin. Le roi et son ministre n auraient certainement pas apprécié les critiques virulentes envers Sully, Louis XIII, ou encore Richelieu. Tallemant devait donc faire preuve d une grande prudence pour que son manuscrit ne tombe pas entre de mauvaises mains. 24 Notons toutefois que l historiette de Tallemant au sujet de Conrart n est pas particulièrement tendre. Il se moque du personnage qui avait «la fantaisie d estre bel-esprit et la passion des livres» mais qui ne savait ni le grec ni le latin (Historiettes, t. 1, p. 579). 25 Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au XVII ème siècle, Valentin Conrart : une histoire sociale, Champvallon, 2003, p. 9. 9

18 l accuse d avoir «introduit le désordre et la corruption» 26 à l Académie, ce qui contredit les discours élogieux écrits à son sujet 27. La question soulevée par N. Schapira pour «expliquer la célébrité d un homme de lettres qui n a pas produit d œuvre» 28 nous amène à formuler la nôtre, qui lui est antithétique : comment expliquer le silence qui a entouré un homme de lettres ayant produit une œuvre, et qui fit partie du même réseau social que Conrart? III. Méthodologie 1. Justification du corpus A. Biographies, manuscrits et publications Mentionnons pour commencer les deux ouvrages d Émile Magne, La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux sorti en 1921, suivi par La fin troublée de Tallemant des Réaux en E. Magne reconstitue, parfois avec une certaine fantaisie, la vie de Tallemant et de ses proches. Plus récemment, la biographie de Tallemant par Henri Pigaillem 29 fournit les repères chronologiques rappelant les événements clés que l auteur des Historiettes a vécus. H. Pigaillem retrace aussi le parcours social et mondain de Tallemant, du salon de Rambouillet aux samedis de Madeleine de Scudéry. Il a aussi inclus des textes inédits qui se trouvent dans les manuscrits de La 26 Historiettes, t. 1, p Rappelons que Conrart était alors secrétaire de l Académie française. 27 Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au XVII ème siècle, op.cit., p. 9. (Balzac ne tarit point d éloges sur le «cher ami de son cœur, [ ] la sainte amitié, l inviolable fidélité» qui caractérisent Conrart (voir dans les Lettres de Balzac à Conrart, Paris, Billaine, 1677, p. 199). 28 Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au XVII ème, op.cit., p Henri Pigaillem, Tallemant des Réaux, l homme des Historiettes, Saintes, Le Croît vif, 2010 (notons en passant qu Henri Pigaillem a passé son enfance à La Rochelle, la ville de Tallemant des Réaux). 10

19 Rochelle, dont Edipe, qui est une tragédie en cinq actes et en vers, écrite par Tallemant des Réaux. L édition des Historiettes 30 annotée par Antoine Adam constitue le document de base pour la recherche et a fourni une aide précieuse pour situer certains des personnages ou encore compléter un récit anecdotique qui aurait été autrement incompréhensible pour le lecteur d aujourd hui. Il nous a paru également utile de consulter les premières éditions, en particulier les trois premières (celle de Monmerqué en , suivie par une deuxième édition en 1840 et enfin la troisième édition en ). D autres éditions comme celle de Albert Meyrac 33, ou plus récemment une anthologie des Historiettes 34 nous ont permis non seulement d approfondir notre connaissance du texte, mais aussi de constater à quel point sa réception a évolué avec le temps. Il suffit pour s en rendre compte de comparer la préface de Michel Jeanneret en 2013 avec l Avis de Paulin Paris en Tallemant des Réaux, Historiettes, [Texte intégral établi et annoté par Antoine Adam], Paris, Gallimard, 1967, v. 1 & Les Historiettes de Tallemant des Réaux, mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle, [publiés sur le manuscrit inédit et autographe par Messrs Monmerqué, de Chateaugiron et Taschereau], Paris, Alphonse Levavasseur, 1834, 6 tomes. 32 Les Historiettes de Tallemant des Réaux [entièrement revue sur le manuscrit original et disposée dans un nouvel ordre par MM. De Monmerqué et Paulin Paris], 3 ème édition, Paris, J. Techener, Tallemant des Réaux, Rois, grandes dames et beaux esprits d autrefois, [avec appendices et notes par A. Meyrac], Paris, Albin Michel, Tallemant des Réaux, Historiettes [choix et présentation de Michel Jeanneret], Paris, Folio classique, Les Historiettes de Tallemant des Réaux, Mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle, 3ème édition, [par M. Monmerqué et Paulin Paris], Paris, Garnier frères, Dans sa préface, Paulin Paris déplore que le choix des expressions dans les Historiettes «a porté plus d une fois atteinte à toutes les convenances de langage», et tout en essayant de plaider la cause d un Tallemant encore jeune, souligne que «jamais son livre ne sera de ceux qu une dame pourra se féliciter d avoir lus» (p. xxviii). En revanche, la préface de Michel Jeanneret en 2013 souligne le «parler turlupinesquement» de Tallemant, la richesse de sa langue, et de ses mots «qui ne sont pas pour lui les véhicules indifférents de l idée, ils ont des propriétés matérielles et sensuelles» (Tallemant des Réaux, Historiettes [choix et présentation de Michel Jeanneret op.cit., p. 46). 11

20 En ce qui concerne l œuvre de Tallemant des Réaux, nous avons aussi consulté certains manuscrits. Le manuscrit autographe des Historiettes qui se trouve à Chantilly nous a permis d examiner le format des anecdotes, la disposition des feuillets ainsi que les multiples annotations que Tallemant ajoutait dans les marges. Nous avons également examiné le manuscrit n o 672 et le manuscrit n o 673 à la médiathèque de la Rochelle, ainsi que les manuscrits n o 19142, et à la Bibliothèque Nationale de France. Alors que les Historiettes sont principalement un recueil de portraits, les autres manuscrits sont des recueils de textes hétéroclites. Le choix de ces textes rassemblés par Tallemant nous a permis de mieux cerner l auteur des Historiettes, et de le situer dans le champ littéraire de l époque. B. Consultation des sources primaires Les Lettres de Chapelain, ou encore les Lettres familières de M. de Balzac à M. Chapelain évoquent souvent l hôtel de Rambouillet ainsi que les assidus de la Chambre bleue comme Voiture, Conrart ou Scudéry, mais on n y trouve pas trace de Tallemant. En revanche, on y trouve les thèmes récurrents de l espace littéraire, que Tallemant avait aussi évoqués dans les Historiettes, à savoir ceux de la figure d auteur, les contraintes reliées à la publication par l imprimé, ou encore les rivalités entre les hommes de lettres. Souvent, la même anecdote, qui a circulé soit par l oral soit par l écrit, se retrouve dans plusieurs écrits à la fois, et atteste de la présence de Tallemant au sein de ce groupe que préoccupent les mêmes événements. Par ailleurs, les écrits de Nicolas Faret portant sur L honneste homme ou l art de plaire à la cour, ou encore ceux du chevalier de Méré, sur les conversations, ont contribué à nous familiariser avec les règles de sociabilité qui régissaient le monde 12

21 des salons, et à mieux comprendre les commentaires de Tallemant au sujet de ces espaces sociaux qui jouèrent un rôle crucial dans l histoire littéraire du siècle. En ce qui concerne notre deuxième chapitre sur l écriture de l histoire au XVII ème siècle, nous avons aussi consulté les écrits de Saint-Réal (De l usage de l histoire), du Père Lemoyne (De l histoire) et du Père Rapin (Instructions pour l histoire). Ces ouvrages ont fourni les grandes lignes sur la codification du discours historique. En un premier temps, cette contextualisation nous a permis de constater le décalage entre cette codification et l écriture de l histoire telle qu elle se pratiquait alors par les historiographes au service du pouvoir. En un deuxième temps, nous avons pu situer l écriture des Historiettes par rapport aux deux types de discours, ce qui nous a amené à les comparer avec l histoire anecdotique de Procope (Anekdota, ou, Histoire secrète de Justinien) et de Varillas (Les anecdotes de Florence). C. Corpus de la réception des Historiettes au XIX ème siècle En premier lieu, ce furent les préfaces des premières éditions qui ont permis de mesurer l intérêt porté aux Historiettes dès leur parution. La première édition parut en 1834, suivie par une autre en (Monmerqué), et une troisième en Les spécialistes du Grand-Siècle ne tardèrent pas à réagir, comme Sainte-Beuve 38, Victor Cousin 39, Alfred-Auguste Cuvillier Fleury 40 ou encore Barbey D Aurevilly 41. Leurs œuvres reflètent l impact des Historiettes dans un siècle partagé entre 36 Tallemant des Réaux, Historiettes, [éd. Monmerqué], Paris, H.-L. Delloye, 1840, 10 t. 37 Les Historiettes de Tallemant des Réaux [édition entièrement revue sur le manuscrit original et disposée dans un nouvel ordre par MM. De Monmerqué et Paulin Paris], 3 ème édition, Paris, J. Techener, C.-A. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Paris, Garnier frères, t. 13, Victor Cousin, La société française au XVII ème siècle, Paris, Didier et C ie, Alfred-Auguste Cuvillier Fleury, Nouvelles études historiques et littéraires, Paris, Michel Lévy frères, Jules Barbey d Aurevilly, À côté de la grande histoire, Paris, A. Lemerre,

22 l opposition légitimiste et l opposition républicaine. On vit aussi, dès la parution des Historiettes en 1834, de nombreux articles dans les journaux de l époque : La Revue des Deux-Mondes, Le Journal des débats, Le Temps, La Panorama littéraire, Le Corsaire. Nous avons consulté ces articles et nous avons surtout remarqué que la réception des Historiettes était fondée sur des facteurs historiques ou sociaux plutôt que littéraires. 2. Ambivalences et polyvalences des discours dans les Historiettes A. Un manuscrit posthume Le statut de manuscrit sous l Ancien Régime peut certainement évoquer la notion de clandestinité, mais grâce à l analyse de François Moureau dans La plume et le plomb, on sait que ce jugement doit être fortement relativisé. Le manuscrit ne serait pas uniquement «le fruit privilégié de la clandestinité» 42, puisqu il continue à circuler parallèlement à l imprimé, dans un espace intermédiaire où «il aspire simplement à la discrétion» 43. N est-ce pas à cette discrétion que Tallemant faisait allusion lorsqu il expliquait à son public qu il s agissait de «choses à ne pas mettre en lumière»? Une discrétion telle que nous n avons pas pu trouver de traces de l œuvre dans les écrits de l époque. En premier lieu, la problématique autour du manuscrit de Tallemant se posa à partir de la question de clandestinité. Étant donné leur contenu, il y avait lieu de penser que les Historiettes auraient pu faire craindre des représailles à l encontre de 42 François Moureau, La plume et le plomb, Paris, Presses de l Université Paris-Sorbonne, 2006, p Ibid., p

23 leur auteur. Toutefois, un manuscrit pouvait aussi circuler, et ne garantissait pas la clandestinité. Est-ce que cela fut le cas pour les Historiettes? Dans quel type d espace auraient-elles circulé? Et surtout sous quelle forme? Qui en furent les destinataires? Est-ce que Tallemant cherchait à partager son récit? Les portraits qu il brosse de ceux qu il fréquentait, même ceux dont il semble avoir été le plus proche comme Voiture, Mlle de Scudéry ou Chapelain, ne sont pas particulièrement élogieux. Il est donc plausible qu il n ait pas désiré propager ses médisances. Si toutefois le manuscrit avait circulé, comment se fait-il que leur auteur n ait pas subi de représailles de la part du pouvoir? (surtout en ce qui concerne les portraits des puissants conne Louis XIII ou Richelieu). De plus, Tallemant avait d autres écrits manuscrits, également subversifs : ceux de La Rochelle et ceux de la Bibliothèque Nationale. Ces textes signalent ses préférences non seulement en matière de poésie, mais aussi en matière de politique. Nous y trouvons en effet un grand nombre de recueils de vers, d épigrammes et de chansons dans un registre satirique, non seulement envers Louis XIII et Richelieu, mais aussi envers Mazarin. Tallemant se trouvait-il du côté des frondeurs? Le feuillet n o 26 du manuscrit par exemple est une copie de la Miliade, un pamphlet contre Richelieu, attribué à l abbé d Estelan 44. Ce manuscrit comporte aussi une autre série de textes, rédigés après la mort de Richelieu, dans lesquels le cardinal est souvent peint comme un tyran 45. Hubert Carrier 46 a attiré notre 44 La Miliade est une satire de mille vers contre le cardinal de Richelieu. Dans son historiette sur le cardinal, Tallemant note : «Les pièces qu on imprimait à Bruxelles contre lui le chagrinoient terriblement [ ]. L escrit qui l a le plus fait enrager depuis cela, a esté cette satire de mille vers, où il y a du feu [ ]. Je me souviens qu on fermoit la porte sur soy pour la lire : ce tyran-là estoit furieusement redouté» (Historiettes, t. 1, p. 248). Par ailleurs, Tallemant pense que cette satire «vient de chez le cardinal de Retz». Le f o 37 a été annoté par Tallemant pour expliquer que cette pièce fut créée en Voir Annexe 2, p Hubert Carrier, La presse de la Fronde ( ) : les mazarinades, la conquête de l opinion, Paris, Champion, 1989, suivi par Les mazarinades : les hommes du livre, Paris, Champion,

24 attention sur un autre manuscrit de Tallemant, désigné par le «recueil Tallemant» 47, et qui contient vingt-six pièces de mazarinades en vers ayant appartenu à l auteur des Historiettes, et qui sont annotées par lui. De plus, les poètes dont Tallemant a recueilli les vers sont souvent ceux du Parnasse satyrique comme Théophile de Viau, Motin, Sigogne ou Berthelot 48. En revanche, les hypothèses qui expliqueraient l «absence» de l œuvre et de l auteur au XVII ème siècle devront se fonder sur les mécanismes qui gouvernaient la production du manuscrit, et sur les recherches de documents qui décrivent et justifient ces différentes stratégies de publication. Tallemant ne fut pas le seul à ne pas publier ses écrits, Voiture est un autre exemple d auteur qui laissa derrière lui toute une œuvre manuscrite abondante. Comment se fait-il alors que des auteurs comme Voiture, dont les écrits étaient reconnus et appréciés, préfèrent une circulation manuscrite, et donc forcément restreinte? N est-ce pas l objectif de tout auteur de faire connaitre son œuvre par un public élargi? Quelles étaient les restrictions qui freinaient leurs démarches? Qu est-ce qui distinguait l auteur qui imprimait ses textes de celui qui faisait le choix du manuscrit? Par ailleurs, quelles significations avaient ces Avis préfaciels qui exprimaient la réticence de l auteur envers l impression? B. Une écriture parodique de l histoire Au sens concret, le terme histoire désigne une certaine réalité, au sens formel, la connaissance de cette réalité Hubert Carrier précise que ce manuscrit faisait partie d la bibliothèque de M. Roger Peyrefitte, et qu il en a fait l acquisition le 20 décembre 1976 (voir La presse de la Fronde, op. cit., note 210, p. 434). 48 On en trouve dans le manuscrit 19147, feuillet n o 18 pour Sigogne, ou n o 106 pour Théophile de Viau. 49 Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l histoire. Essai sur les limites de l objectivité historique, Paris, Gallimard, 1986, p

25 Au XIX ème siècle, les Historiettes furent surtout critiquées en tant qu œuvre de mémorialiste. Les critiques de Tallemant contestaient surtout la véracité de son récit, sa valeur littéraire n était pas vraiment au centre du débat 50. Dans ce deuxième chapitre, la problématique centrale concerne la production du discours historique dans les Historiettes. Un recueil d anecdotes satiriques consignées par un témoin qui n avait pas pris part aux affaires de l État pouvait-il servir de document historique? Pourquoi Tallemant avait-il choisi ce titre d Historiettes alors que dans le préambule, il avait précisé que son récit commencerait «par quelque chose d illustre»? 51 L intention de cette terminologie réductrice reste à clarifier d autant plus que Richelet définit l historiette comme une «petite histoire mêlée d un peu de fiction» 52. Or les Historiettes mettent en représentation des figures historiques réelles : Henri III, Henri IV, Louis XIII, Richelieu, Sully, la marquise de Rambouillet, etc. Le titre est antithétique à celui d Histoire, et signale un renversement de codes incompatible avec le discours de vérité auquel s était engagé Tallemant dans le préambule. Les personnages des Historiettes y sont représentés non pas en train d accomplir de grandes actions mais au contraire dans leur quotidien le moins glorifiant ou le plus licencieux. En revanche, la grande Histoire, relatée par les historiographes au service du pouvoir, recèle elle aussi ses pièges, et sa «vérité» peut être aussi contestable que celles des Historiettes. Le roi «a besoin de faire savoir et, comme l écrivait Machiavel, de faire croire» 53. En fin de compte, il existe des décalages entre la 50 Voir par exemple le commentaire de Victor Cousin : «Sur Mlle Paulet, voyez les Mémoires, il est vrai souvent menteurs, de Tallemant des Réaux (Œuvres de M. Cousin, Paris, Pagnerre, 1849, t. 2, p. 14, n. 1). 51 Historiettes, t. 1, p François Richelet, Dictionnaire de la langue française, Amsterdam, Jean Elzevir, Duccini, Hélène. Faire voir, faire croire, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p

26 manière d écrire l histoire telle que proposée par les théoriciens et celles à la fois de Tallemant et des historiographes. Antoine Varillas soulignait le parallèle entre l écrivain d anecdotes et l historien, tous deux obligés de dire la vérité mais une vérité dite de manière différente : «Il n y a point d esclavage plus grand pour un écrivain d anecdotes, que d être obligé de dire la vérité dans toutes ses circonstances [ ] nonobstant que l écrivain d anecdotes ne soit pas moins obligé que l historien de dire la vérité, il n est pourtant pas obligé de la dire de la même manière.» 54. Curieusement, cette définition se rapproche de celle de Richelet car comme elle, elle vise la production du discours. Ainsi, dans ce chapitre, la problématique s articule autour de la vérité du discours dans les Historiettes. Est-ce que ce discours véhicule une vérité historique? Les anecdotes de Tallemant entretiennent-elles une relation de complémentarité ou bien de rivalité avec la grande histoire? Aujourd hui, des chercheurs comme Chantal Grell estiment que c est seulement au XIX ème siècle que l histoire devint «une discipline constituée, dotée de règles et d une méthode». Aux XVI ème et XVII ème siècles, on peut «écrire de l histoire en humaniste, [ ] en politique, à l instar de Machiavel; en rhétoricien, genre dans lequel excellèrent les pères jésuites, [ ] ou même encore en romancier comme Varillas» 55. Dans cette perspective, mentionnons aussi Béatrice Guion 56, qui suggère que le XVII ème siècle est «une époque de stagnation voire de régression pour l histoire» 57, et par conséquent, ses recherches se penchent surtout «non sur l histoire elle-même, mais sur la conception qu en a l âge 54 Antoine Varillas, Les anecdotes de Florence ou l histoire secrète de la maison de Médicis, [édition M. Bouvier], La Haye, A.Leers, 1685, Presses Universitaires de Rennes, Chantal Grell, Les historiographes en Europe de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Paris, PUPS, 2006, p Béatrice Guion, Du bon usage de l histoire, histoire, morale et politique à l âge classique, Paris, Honoré Champion, Ibid.,p

27 classique et sur les enseignements qu il y cherche» 58. Elle aussi reconnait que tout au long de l âge classique, il y eut différentes conceptions de l histoire qui ont coexisté, et qu alors, «la pensée de l histoire n est ni une ni linéaire» 59. Parmi ces différentes conceptions, ne pourrait-on pas justifier une posture d historien «anecdotier»? Si, comme le soulignent C. Grell et B. Guion, le trait commun à ces différents auteurs réside dans l écriture d un passé qu on scrute pour en tirer des leçons, et qu on interprète à la lumière d une réalité présente, les Historiettes pourraient alors fournir une mine de références. Faudrait-il alors interpréter les anecdotes non pas comme un historien d aujourd hui, mais en les replaçant dans le contexte historique de leur production? C. Les Historiettes, une mosaïque d histoires dans l Histoire i. Les Historiettes, lecture référentielle Les mots de Varillas au sujet de l auteur d anecdotes pourraient s appliquer à Tallemant : «Cependant, lorsqu il suit pas à pas les diverses agitations que causent, par exemple, la fureur de l amour et le désespoir de la jalousie, on lui reproche d abord qu il est un médisant, & qu il n écrit qu une satire» 60. Au XVII ème siècle, c était surtout les lectures à clefs qui étaient associés au plaisir de la médisance. Dans ce troisième chapitre, nous nous pencherons sur le texte en rapport avec la notion de fiction, alors même que nous sommes confrontés à un recueil de portraits et qu il faudra s éloigner autant que possible d une lecture 58 Ibid., p Ibid., p Antoine Varillas, Les anecdotes de Florence, op. cit., p

28 strictement centrée sur des anecdotes biographiques 61. Cette démarche avait été jugée nécessaire par les critiques modernes pour l analyse des romans à clefs 62. Rappelons les commentaires de R. Barthes sur la lecture de Proust : «La critique n a pas à dire si Proust a dit «vrai», si le baron de Charlus était bien le comte de Montesquiou, [ ], ou même, d une façon plus générale, si la société qu il a décrite reproduisait avec exactitude les conditions historiques d élimination de la noblesse de la fin du XIX ème siècle» 63. Toutefois, les Historiettes ne sont pas un récit à clefs, mais un recueil de portraits qui se suivent et qui sont explicitement référentiels. Contrairement aux Caractères de La Bruyère par exemple, un lecteur mondain n aurait pas le loisir de «deviner» le nom du personnage qui se cache derrière la clef. Cette lecture interprétative qui s oppose à celle «plus noble d apprécier l essentiel du texte, à savoir une beauté détachée de toute contingence» 64 est critiquée par les partisans d une approche littéraire, comme La Bruyère qui avait récusé l interprétation de ceux qui cherchaient à identifier des individus particuliers dans ses Caractères, et qui «y prennent tout littéralement et n y entendent ni la poésie ni la figure» 65. Dans les Historiettes, le lecteur n a plus le loisir de «jouer» à démasquer un référent fictif, et de limiter sa lecture à la reconnaissance des individus ou des lieux réels. Alors que 61 La même pratique s avère nécessaire dans le cas des romans ou des mémoires à clefs. Bernard Beugnot s est intéressé à cette question de clefs, tout en mettant en garde le lecteur contemporain contre la tendance à réduire l interprétation du texte à une analyse exclusive du référent historique : «La clé, mode d appropriation, dérobe le texte à ses fins artistiques» (voir Bernard Beugnot, «Œdipe et le sphinx. Des clés» dans La mémoire du texte. Essais de poétique classique, Paris, Champion, p. 241). 62 Roland Barthes par exemple reproche aux lectures à clefs traditionnelles de chercher un sens historique au texte et à lui «attribuer une signification unique et en quelque sorte canonique» (Roland Barthes, «Qu est-ce que la critique?», dans Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, p. 264). 63 R. Barthes, «Qu est-ce que la critique», op.cit., p Anna Arzoumanov, Pour lire les clefs de l Ancien Régime, Paris, Classiques Garnier, 2013, p Jean de La Bruyère, «Discours de réception à l Académie française, préface», Les caractères de Théophraste traduits du Grec avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle [1694], Paris, Estienne Michallet, p. X. 20

29 dans les romans à clefs, on cherche à convaincre le lecteur de rester dans l espace de la fiction pour ne pas «rabattre le texte sur un référent extralinguistique» 66, dans les Historiettes, il est impératif de se détacher du réel pour entrer dans un espace de la fiction, celui de l œuvre littéraire. Il faudra alors démontrer que le texte de Tallemant se prête à une «lecture plurielle» 67 en mettant en avant l esthétique d une écriture qui se déplie dans une infinité de registres comiques. Les Historiettes ont été qualifiées d œuvre hétéroclite qui offre tous les registres du comique. On sait qu Aristote avait défini la comédie comme une «imitation des plus méchans hommes [ ] dans le ridicule», et le ridicule comme «un défaut, une difformité sans douleur» 68. La problématique concerne ici le paradoxe de ce discours énoncé sur un mode parodique alors qu à priori, il serait incompatible avec l écriture d un récit qui se veut «historique» 69. Le burlesque et la parodie qui définissent le travestissement étant des formes d imitation 70, peut-on affirmer que les Historiettes sont elles aussi une forme d imitation de l écriture de l histoire? Peut-on stipuler que l œuvre de Tallemant rentrerait dans le même type de reprise burlesque que le Virgile travesty par rapport à l Énéide? 66 Voir l article de Mathilde Bombart et Marc Escola, «Clés et usages de clés : pour servir à l histoire et à la théorie d une pratique de lecture», dans Lectures à clés, Littératures classiques, n o 54, printemps 2005, p La formule est de Delphine Denis dans Le Parnasse galant, Institution d une catégorie littéraire au XVII ème siècle, Paris, Champion, 2001, p Aristote, La Poétique, [traduite en français par Mr. Dacier], Paris, Claude Barbin, 1692, p Revoir à ce sujet le préambule et le pacte de lecture (Historiettes, t. 1, p. 1). 70 Les travaux de Jean Leclerc mettent en lumière les enjeux de la vogue du burlesque, qui a connu son apogée pendant la Fronde, donc quelques années seulement avant la rédaction des Historiettes. Le contexte sociopolitique a favorisé cette vogue. La posture de Tallemant, on s en doute, allait dans cette direction, et il n est pas surprenant que ses Historiettes s inspirent de cette veine (voir Jean Leclerc, L antiquité travestie et la vogue du burlesque en France ( ), Laval, Les Presses de l Université Laval, 2008). 21

30 ii. Comment lire les Historiettes aujourd hui? Les Historiettes, tout comme leur auteur, sont une œuvre de paradoxes. Empruntant à la fois à l histoire et à la fiction, elles sont composées d anecdotes alimentées par la médisance dans une société qui nous est aujourd hui étrangère. Le récit fragmenté et discontinu, ainsi que le style allusif contribuent souvent à obscurcir le texte. Toutefois, l œuvre continue à faire parler d elle. Même si la lecture en est facile et divertissante, et en dépit d un arrière-goût de voyeurisme suspect et de complaisante facilité, elle permet au lecteur qui ne se borne pas à une analyse strictement historique de multiplier les différentes lectures du texte. Il ne s agit pas, dans notre recherche, de négliger une lecture référentielle des Historiettes, et nous ne prétendons pas offrir une analyse exhaustive de toutes les pistes théoriques qui peuvent être explorées à partir du texte. En revanche, nous verrons, à partir de l analyse du discours et des procédés rhétoriques mis en œuvre, que les Historiettes n ont pas exclusivement une valeur documentaire. Leur valeur littéraire en est une composante essentielle qui complète et enrichit leur aspect documentaire. Curieusement, on a surtout critiqué Tallemant pour ses médisances. Or, il semble bien que c est cette mécanique de la médisance qui donne au discours des Historiettes toute sa saveur et que notre travail va analyser. 22

31 Chapitre I: Les Historiettes, manuscrit privé ou clandestin? I. Pourquoi Tallemant n a-t-il pas imprimé ses Historiettes? 1. Introduction Les manuscrits autographes sont souvent destinés à un usage privé et ne connaissent l impression que fortuitement 71. Tel semble être le cas pour les Historiettes de Tallemant des Réaux qui mourut en 1692, ne laissant derrière lui aucune œuvre imprimée. Son manuscrit, resté enfoui dans la bibliothèque privée des Trudaine 72, serait aujourd hui considéré comme de la «littérature virtuelle» 73 si un hasard heureux ne l avait remis en circulation presque deux cents ans plus tard grâce à la première publication de Monmerqué vers Entre-temps, il semblerait que le 71 Voir l article de Bernard Beugnot, «Pratiques de l écriture au XVIIeme siècle : du manuscrit à l imprimé» dans Écrire aux XVII ème et XVIII ème siècles sous la direction de Jean-Louis Lebrave et Almuth Grésillon, Paris, CNRS Éditions, 2000, p Dans la notice de l édition de 1834 par Monmerqué, celui-ci précise que le manuscrit appartenait à M. Trudaine (catalogué par le libraire Bluet sous le No. 1677), (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, Mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle, publiées sur le manuscrit inédit et autographe par Messrs Monmerqué, De Châteaugiron et Taschereau, Paris, Alphone Levavasseur,libraire, 1834, p. liii.). Charles Trudaine avait épousé la petite nièce de la femme de Tallemant, Renée- Madeline de la Sablière. C est à elle que fut légué le manuscrit des Historiettes. Soulignons que Renée- Madeleine de la Sablière est la petite-fille d Antoine Rambouillet de la Sablière et de Marguerite Hessein de la Sablière. Cette dernière fut l amie et la protectrice de Jean de La Fontaine, et tint un salon fréquenté par un grand nombre d hommes de lettres dont évidemment La Fontaine, Molière, Pellisson, Fontenelle, Conrart et bien d autres. Par ailleurs, il est tout à fait curieux que le manuscrit des Historiettes, qui se retrouva dans la bibliothèque privée des Trudaine, soit resté inconnu au XVIIIème siècle alors que Jean-Charles Philibert Trudaine de Montigny, petit-fils du premier, évoluait lui-même dans les salons littéraires et mondains comme ceux de Julie de Lespinasse ou du baron d Holbach. Dans Le monde des salons, Antoine Lilti évoque la querelle à laquelle Trudaine prit part aux côtés de Hume contre Rousseau en 1766 (Antoine Lilti, Le monde des salons, Paris, 2005, p. 351). Trudaine fréquentait aussi la comtesse de Boufflers, Morellet, Voltaire. Peut-on penser que le manuscrit des Historiettes soit resté enfoui dans sa bibliothèque? En revanche, s il avait circulé alors, même dans un cercle très restreint, il est difficile de concevoir que quelqu un comme Voltaire, qui s intéressait particulièrement au siècle du Grand-Roi, ne le mentionnât pas. 73 L expression est d Alain Viala dans «L auteur et son manuscrit dans l histoire de la production littéraire», dans L auteur et le manuscrit, sous la direction de Michel Contat, Paris, Presses Universitaires de France, 1991, p

32 manuscrit n ait pas ou peu circulé 74 et dans l édition de Historiettes galantes, Paul Reboux écrit : «une des petites énigmes de l histoire littéraire, c est l obscurité où demeura, comme écrivain, Tallemant des Réaux pendant près de deux siècles et demi» 75. Tallemant n aurait pas publié ses Historiettes par peur des représailles et de la censure, telle est l hypothèse avancée par plusieurs critiques. En fait la plupart de ses éditeurs ou biographes (Monmerqué, Émile Magne, Antoine Adam et récemment Vincenette Maigne 76 ) ont clairement stipulé que Tallemant n avait nullement le désir de publier son travail, et qu il n écrivait que pour des amis proches. Ainsi, dans l introduction à l historiette sur Richelieu en 1920, Émile Magne, reprenant l idée généralement admise sur la circulation des manuscrits au XVII ème siècle, suggère que Tallemant n a probablement même pas communiqué le résultat intégral de ses observations à ses amis (son public) et cela par simple mesure de précaution car dit-il «les gens du XVII ème siècle avaient la manie de copier et de répandre dans la société ces productions de tendance satiriques» 77. Plus récemment, Marc Fumaroli qui qualifie les Historiettes de «chef-d œuvre littéraire» semble insinuer que c est la nostalgie qui aurait poussé le confident de la Marquise de Rambouillet à faire revivre 74 Monmerqué rapporte toutefois que le premier acquéreur du manuscrit, M. De Châteaugiron, ayant reconnu l importance de ce document, en fit faire une copie exacte qu il communiqua à des amis. Cela explique que Tallemant fût cité vers 1824 dans l Histoire de La Fontaine, et dans la Vie de Maucroix, par Charles A. Walckenaer (voir par exemple Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, 3ème édition, Paris, Chez A. Nepveu, libraire, 1824, et la note 1, p. 5, dans laquelle l auteur fait référence aux «Mémoires manuscrits intitulés Historiettes»), et vers la même époque dans l Histoire de Molière par Jules Taschereau (Jules-Antoine Taschereau, L Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, Paris, Ponthieu, libraire-éditeur, P. 12, J. Taschereau cite Tallemant à partir de ses «Mémoires manuscrits, faisant partie de la bibliothèque de M. de Monmerqué»). 75 Tallemant des Réaux, Historiettes galantes, présentées par Paul Reboux, Paris, Éditions Du Triolet, p Il s agit ici des commentaires relevés dans les préfaces ou les introductions des différentes éditions: celle de Monmerqué (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3è édition entièrement revue sur le manuscrit original par MM Monmerqué et Paulin Paris, Paris, J. Techener, Tome premier, 1862), celle d A. Adam (Historiettes de Tallemant des Réaux, texte intégral établi et annoté par Antoine Adam, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1960), l introduction d Émile Magne dans Le Cardinal de Richelieu (Le Cardinal de Richelieu, sa famille, son favori Bois-Robert par Tallemant des Réaux, Introduction et Notes par Émile Magne, Paris, Brossard, 1920) et enfin l introduction de Vincenette Maigne dans Le manuscrit 673 (Vincenette Maigne. Le manuscrit 673, Paris, Klincksieck, 1994). 77 Voir l introduction d Émile Magne dans l historiette Le Cardinal de Richelieu, sa famille, son favori Bois-Robert, Paris, Éditions Bossard, 1920, p

33 par l écriture un monde disparu comme ces mémorialistes qui commencent à rédiger leurs mémoires au déclin de leur vie et dont les manuscrits finissent dans un «fond de tiroir» 78. Les postulats avancés peuvent paraitre plausibles puisqu ils s appuient, du moins en partie, sur les mots mêmes de l auteur qui écrit dans son préambule : «Je prétends dire le bien et le mal [ ] Je le fais d autant plus librement que je sçay bien que ce ne sont pas choses à mettre en lumière [ ] Je donne cela à mes amis qui m en pressent il y a long temps» 79. Ainsi, la liberté de parole qui garantit l engagement de l auteur au nom de sa vérité a besoin, pour s exprimer, d un espace clandestin. Le public ciblé est étroit, c est celui des amis. Tallemant pouvait en effet craindre les représailles 80, mais cette hypothèse ne suffit pas à tout expliquer. La posture consistant à «ne pas vouloir mettre en lumière» n est pas nécessairement antithétique avec celle de rendre public, elle est plutôt limitative : on ne choisit pas la lumière crue 78 Marc Fumaroli, Le poète et le roi, Paris, Editions de Fallois, 1997, p Il faut rappeler cependant que ce «mémorialiste assombri, résigné à se convertir en 1685» qu évoque M. Fumaroli a commencé à rédiger ses Historiettes alors qu il était encore un riche bourgeois dans la trentaine. En revanche on pourrait être tenté de faire de Tallemant la «plume» de Madame de Rambouillet. La marquise, qui était justement au déclin de sa vie et qui se réfugiait dans le passé, le présent ne lui donnant plus satisfaction, avait pris Tallemant pour confident. Émile Magne estime qu elle fut «une merveilleuse mémorialiste dédaignant d écrire, contente cependant de savoir que ses propos seraient transmis à la postérité par un esprit digne de ses confidences» (Émile Magne, La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Emile-Paul frères éd., 1922, p. 174). Certaines historiettes pourraient alors être considérées comme étant les mémoires de Madame de Rambouillet et reflèteraient cette nostalgie évoquée par M. Fumaroli. 79 Historiettes, t. 1, p. vii. Soulignons que la plupart des mémorialistes désignaient leur destinataire : Bassompierre réservait ses Mémoires à deux lecteurs : lui-même et un ami; Melle de Montpensier et le cardinal de Retz précisaient qu ils écrivaient à la demande de leurs proches; Henri de Campion destinait ses mémoires à ses enfants. S agit-il là d un topos, d une contrainte du genre qui sépare les Mémoires de l Histoire, expressément destinée à la postérité? Dans son analyse sur «Les Mémoires et leurs destinataires», Emmanuelle Lesne Jaffro estime qu «en aucun cas les Mémoires ne peuvent annuler leurs destinataires». L argument selon lequel le mémorialiste répond à la demande des proches signifie que le destinataire, qu il soit ou non un prétexte au récit, n en est pas moins «premier dans le dispositif d écriture» (Voir «Les Mémoires et leurs destinataires», Le Genre des Mémoires, essai de définition, Paris, Klincksieck, 1995, pp ). 80 Notons toutefois que Boileau, qui comme Tallemant nommait aussi les personnages qu il critiquait, et qui bénéficiait d une étonnante impunité, s était gardé d attaquer les hauts personnages de son temps comme Séguier ou Montausier. Il s attaquait surtout à des membres de la République des Lettres, comme Chapelain ou Pradon. Tallemant aurait eu plus à craindre, puisqu il cible la personne même du roi. 25

34 mais une pénombre propice au secret. Des travaux récents offrent justement d autres perspectives sur la notion de public. Ils démontrent aussi la persistance d autres modalités de diffusion que l imprimé et réfutent la notion que le manuscrit, en voie de disparition, se réduirait à un simple outil de clandestinité 81. En outre, tout ce qui est clandestin n est pas synonyme d inédit et tout manuscrit n est pas nécessairement condamné à la clandestinité 82. Tallemant ne devait pas ignorer cela comme l atteste cette anecdote qu il rapporte sur Costar, qui, pour se faire connaitre, fit une «censure 83» des odes que M. Chapelain avait écrit à la louange de Richelieu. «Cette censure, écrit Tallemant, ne fut point imprimée; elle courut pourtant partout» 84. Faire circuler un texte, que cela soit au moyen d un manuscrit ou encore en le lisant dans un salon, n est-ce pas le diffuser et le rendre public 85? Ainsi, plutôt que de 81 Selon Christian Jouhaud et Alain Viala, même si l imprimé du livre à la feuille volante tient une place dominante parmi les écrits qu on publie, les autres formes de publication (manuscrites ou orales) persistent. Elles sont surtout utilisées comme référence à la domination par l imprimé (voir De la publication, entre Renaissance et Lumières, Études réunies par Christian Jouhaud et Alain Viala, Paris, Éditions Fayard, 2002, p. 10). 82 Il y a des écrits d opposition qui circulent en manuscrits sous le manteau à partir des années 1660, tout comme circulent des livres à petit format (l in-12), faciles à dissimuler pour la diffusion clandestine (Alain Viala, La France galante, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 217). Cette pratique parallèle est aussi mise en évidence par un article d Alain Mothu intitulé qui note que beaucoup d imprimés des XVII ème et XVIII ème siècles, publiées plus ou moins clandestinement à l étranger ou en France, ne sont pas moins subversifs que les manuscrits clandestins. Il bouscule aussi l idée selon laquelle un texte manuscrit possède de façon inhérente une «valeur subversive de contournement de la censure frappant l imprimé» (Alain Mothu, «Le manuscrit philosophique clandestin existe-t-il?», Les dossiers du GRIHL [en ligne], Les dossiers de Jean-Pierre Cavaillé, Secret et mensonge. Essais et comptes rendus, mis en ligne le 1 er juillet 2009). 83 Dans ce contexte «censurer» signifie critiquer ou reprendre une œuvre (voir A. Furetière, Dictionnaire Universel, Tome premier, Arnout et Reinier Leers, La Haye, 1690). Au sujet de cette censure, notons aussi que dans une lettre à Balzac, Chapelain écrit : «Vous sçaurés seurement que j ay eu de quoy exercer ma patience en plusieurs choses et particulièrement sur une répréhension de mon ode à Mgr le Cardinal la plus sophistique, la plus ignorante et la plus injurieuse qui soit jamais sortie au jour contre quelque ouvrage que l on ait exposé en lumière. Tout m en pouvait fascher, mais rien ne m a esté si sensible que de sçavoir que l auteur de cette invective se nommait Costard et estoit ou vouloit passer pour estre de vos amis intimes» (voir Lettres de Jean Chapelain, Paris, Ph. Tamizey de Larroque, 1880, tome premier, , lettre XXXIX p. 65). 84 Historiettes, t. 2, p Sur cette notion, voir Hélène Merlin-Kajman dans Public et littérature en France au XVII ème siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p.37. Par ailleurs, dans les dictionnaires de la fin du XVII ème siècle, les termes publication, public et publier renvoient à différents emplois : «action de rendre une chose publique et manifeste» d après le Dictionnaire de l Académie, comme la publication de la guerre, d un édit, des bans d un mariage ou d un livre; chez Furetière, il s agit d une «notification qu on fait dans 26

35 parler de la publication des Historiettes 86, la problématique que nous privilégions ici concerne la question de leur circulation et de leur réception ; Tallemant a-t-il diffusé le contenu de ses historiettes sous forme orale? En a-t-il fait circuler des extraits sous la forme de feuillets manuscrits? A quel moment le fit-il et dans quel espace? S il rédigea les Historiettes entre 1657 et 1659, donc après le déclin du salon de Madame de Rambouillet, quels en furent les destinataires et les récepteurs 87? Une des hypothèses que nous nous proposons de démontrer ici est celle d une publication à rebours 88, à savoir que la circulation des Historiettes précède leur écriture 89. La médisance qui caractérise le contenu de cette œuvre est régie par les codes d une certaine intimité, d une relation particulière entre l auteur, le destinataire et le sujet dont on médit. Ces trois pôles constituent un triangle, ils évoluent forcément dans un même monde, un espace de sociabilité mondaine, le salon, qui est le centre matriciel de ce type d échanges 90. Dans ce contexte, le manuscrit tout comme la diffusion orale les assemblées ou lieux publics d une chose qu on veut que tout le monde sache»; chez Richelet, c est l «action de publier, de proclamer». Le terme publication renvoie donc à des actions officielles, émanant du pouvoir royal ou des procédures judiciaires. Furetière et le Dictionnaire de l Académie font la distinction entre l édition qui fait spécifiquement référence à la publication d un livre, sa «mise à jour», et publication qui en est le concept englobant (voir De la publication, op.cit. p. 11). 86 Publication se comprend ici dans le contexte de rendre une œuvre publique en la faisant imprimer. 87 Le préambule des Historiettes est daté «A la fin de 1657» (dans le manuscrit autographe des Historiettes qui est conservé à au Musée Condé à Chantilly, cette date, de l écriture de Tallemant, est indiquée en haut, à gauche du titre, sur le feuillet où on retrouve le préambule et qui suit celui de la table des matières). D après A. Adam, Tallemant finit de les rédiger en 1659, mais il continua de les annoter après cette date (il portait ces annotations dans la marge du manuscrit). On le voit par exemple dans l historiette de Scarron, où il écrit : «Cette année 1663 que tout le monde a masquée» (Historiettes, t. 2, p. 684). 88 Publication se comprend ici dans le sens de diffusion. 89 Il est important de souligner ici que cette hypothèse ne s applique pas à l ensemble de l œuvre. Les Historiettes sont un récit hybride. L oralité en est une composante essentielle. Toutefois, Tallemant a aussi puisé à de nombreuses sources d informations écrites qu il relève dans son récit (dans l historiette de Sully par exemple, il indique avoir «tiré la plus grande part de cecy d un manuscrit qu a fait feu M. Marbault». Il ajoute : «J ay extrait de cet écrit ce qu on n oseroit publier quand on l imprimera», soulignant ainsi les censures qu on pouvait apporter aux œuvres qui doivent être imprimées (Historiettes, t. 1, p. 44). Dans notre travail, l aspect de l oralité est retenu comme une des hypothèses qui expliquerait la circulation d un texte dont on ne retrouve pas de traces dans d autres écrits de l époque. 90 Sur le sujet des salons et sociabilités, voir Antoine Lilti qui décrit le salon comme un «lieu de parole» (Le mode des Salons, Paris, Éditions Fayard, 2005, p. 275), ou encore Delphine Denis qui évoque le salon ou les ruelles comme «espace commun de la littérature» où s énonce «la parole galante» (Delphine Denis, Le Parnasse Galant, Éditions Honoré Champion, Paris, 2001, p. 152). 27

36 sont des modalités privilégiées pour un public «à portée de main». Quel intérêt aurait alors eu Tallemant à faire imprimer son manuscrit? Nourries par des conversations rapportées ou entendues dans le salon, les Historiettes présentent une symbiose constante entre l oral et l écrit, elles s inscrivent dans une double trajectoire qui va de la parole vers le texte manuscrit et inversement. Essayer de comprendre les sinuosités de cette trajectoire revient à replacer les Historiettes dans leur contexte historicolittéraire : le statut du manuscrit au XVII ème siècle, la diffusion et la circulation des textes dans les cercles mondains, le manuscrit par rapport à l imprimé, le statut de l auteur et enfin la notion de public ; curieusement, beaucoup de ces enjeux se trouvent questionnés dans les Historiettes, qui mettent en abyme dans l écriture anecdotique un espace mimétique du champ littéraire émergeant. Notre interrogation portera donc sur les enjeux que soulève la représentation de cet espace par un auteur qui fut au centre même de ce champ littéraire Le manuscrit hier et aujourd hui Le statut du manuscrit aujourd hui n a pas grand-chose à voir avec celui qu il avait au XVII ème siècle. Lors d un entretien avec Michel Sicard en 1979, Jean-Paul Sartre avait déclaré qu un manuscrit «sert à faire de l imprimé» 92. Cette formule confère au manuscrit un statut transitoire condamné à disparaître pour donner 91 Cette assertion se base non seulement sur les Historiettes qui montrent que Tallemant connaissait ou fréquentait la plupart des hommes de lettre de l époque, mais aussi sur les recueils manuscrits qui se trouvent à la Rochelle et à la BnF. Ces recueils sont un assemblage d épigrammes, de sonnets, de madrigaux ou autres signés par ceux qui fréquentaient le salon de Mme de Rambouillet, les Samedis de Mlle de Scudéry, le cabinet des Dupuy, etc. 92 Voir l article de Michel Contat «La question de l auteur au regard des manuscrits» dans L auteur et le manuscrit [sous la direction de Michel Contat], Paris, PUF, 1991, p. 8. M. Contat y résume les propos de Jean-Paul Sartre recueillis à partir d un «Entretien» de l auteur avec Michel Sicard, Obliques, no , 1979, p

37 naissance à un produit fini et permanent, qui est l imprimé 93. Dans le même esprit, Michel Contat présente une analyse du statut du manuscrit par rapport au texte publié en soulignant qu on est auteur de ce qu on publie et non d un texte resté à l état de manuscrit, lequel ne serait qu un texte inachevé que son auteur a refusé d autoriser 94. Un «interdit» pèse sur le manuscrit aujourd hui et pousse les écrivains à masquer les étapes de leur travail pour ne pas annuler les effets esthétiques de l œuvre achevée 95. En outre, une publication à titre posthume peut être souvent controversée : on sait que l édition d un manuscrit de Nabokov a récemment suscité un tollé d indignation car, avant sa mort, l auteur avait stipulé de façon expresse que s il venait à disparaitre avant l achèvement de l œuvre, le manuscrit devait être détruit 96. Le manuscrit, considéré de nos jours comme un work in progress, est un objet privé appartenant strictement au scripteur, tandis qu une publication non-autorisée peut être perçue comme «un acte illicite et immoral» 97. Doit-on respecter le testament d un écrivain 93 Toujours dans le même article, notons encore une fois les propos de Sartre dans Obliques en 1978, tels que rapportés par M. Contat : «personnellement je n attache aucune importance aux manuscrits : je considère que c est une forme intermédiaire, la forme achevée étant l ouvrage imprimé ; par conséquent, je comprends très bien qu elle disparût, une fois l objet imprimé produit» («La question de l auteur au regard des manuscrits» dans L auteur et le manuscrit sous la direction de Michel Contat, op.cit. p. 16). 94 L auteur et le manuscrit sous la direction de Michel Contat, op.cit. p. 12, 13. Il faut souligner la distinction que fait M. Contat entre l avant-texte qui a un statut proprement génétique, et ce qu il nomme un écrit en souffrance qui se réfère à un texte resté à l état de manuscrit, et qui reste un objet privé. 95 Bermard Beugnot, op. cit., p. 44. B. Beugnot établit un parallèle intéressant entre, d une part, la posture de l écrivain aujourd hui qui rechigne à livrer les étapes de son travail et, d autre part, le discrédit du métier d écrivain parmi la noblesse du XVIIème siècle, métier considéré comme artisanal. Le métier d écrivain n est pas déconsidéré seulement parmi la noblesse, comme nous le constatons dans l historiette sur La Calprenède. Celui-ci décrit la réaction de son père, juge d un gros bourg : «une fois que le pere, qui ne voulait pas que je fisse des vers, me trouve comme je rimois, il se mit en colère, prit un pot de chambre, d argent s entend, pour me le jeter à la teste». (Historiettes, op.cit. t. 2, p ). 96 Voir entre autres l article de Simon Leys, paru dans Le Figaro du 20 avril 2010 et qui s intitule : «Nabokov : fallait-il publier le brouillon de son dernier roman?». 97 Michel Contat relève cette expression de Heine cité par A. Grésillon et J.-L. Lebrave en épigraphe à leur recueil : «Manuscrits-Écriture-Production linguistique», Langages, No. 69, mars 1983 (L auteur et le manuscrit sous la direction de Michel Contat, op. cit, p. 17). A ce sujet, voir la posture de Milan Kundera au sujet de la publication posthume des lettres de Kafka par Max Brod : malgré le souhait de Kafka qu on brûle ses manuscrits après sa mort, Brod, son exécuteur testamentaire, les publie. Kundera estime que cette publication est une trahison inexcusable, même si elle est motivée par l admiration et la vénération. Selon Kundera, cette publication non autorisée qui permet au commun des mortels de se 29

38 de génie qui refuse qu on publie une œuvre inachevée? Doit-on laisser dans le secret des archives ses lettres personnelles, son journal, ses carnets d écriture? Ces questions qui se posent aujourd hui autour de ce qui peut ou doit être autorisé en matière de publication de manuscrits font l objet d innombrables débats qui ne sont pas l objet de notre propos, mais qu il est nécessaire d évoquer par référence au XVII ème siècle, car elles se posaient alors différemment. Un manuscrit avait alors une vie propre, et pouvait être diffusé. C était un objet pouvant être réécrit, copié, volé, reproduit ou falsifié 98, mais il pouvait aussi être une copie de l original permettant une diffusion parallèle à l imprimé ou aspirant à circuler en toute discrétion 99. Les autres manuscrits qui nous restent de Tallemant des Réaux illustrent bien cette réalité puisqu ils comportent non seulement des textes de sa propre création, mais aussi des textes copiés par lui 100. Dans son édition critique du manuscrit 673, Vincenette Maigne relève des passages où le texte est corrigé à même le feuillet jusqu à la version définitive, dévoilant toutes les étapes de la conception de l œuvre 101. Comme cela lui arrive souvent, Tallemant, même lorsqu il retranscrit des textes d autres auteurs, ne se contente pas de recopier, mais il intervient dans le texte glisser indiscrètement dans le cabinet de travail, qui expose les ratures et les modifications, porte atteinte à l esthétique de l œuvre et constitue un «acte de viol» au même titre que la censure d une œuvre sans le consentement de son auteur (Milan Kundera, Les testaments trahis, Paris, Gallimard, 1994, p. 312). L approche de Thomas Mann dans La mort à Venise est similaire: «Il est bon que le monde ne connaisse que le chef-d œuvre, et non ses origines, non les conditions et les circonstances de sa genèse; ouvrent la connaissance des sources où l artiste a puisé l inspiration peut déconcerter et détourner son public et annuler les effets de perfection» (cité par Bernard Beugnot, op.cit. p. 44). 98 On sait par exemple que le manuscrit de Bussy-Rabutin «échappa» à son auteur et fut falsifié, ce qui causa sa disgrâce et son emprisonnement (Voir la préface d Antoine Adam dans Histoire amoureuse des Gaules par Bussy-Rabutin, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp.10, 11). 99 François Moureau, La plume et le plomb, Paris, PUPS 2006, p Le Recueil de pièces en prose ou en vers, œuvre par Gédeon Tallemant, sieur des Réaux, ou réunies par lui se trouve à la Bibliothèque de La Rochelle, ms n 672 et n 673. Vincenette Maigne est l auteure d une édition critique du manuscrit 673 aux Éditions Klincksieck, Les trois autres manuscrits de Tallemant se trouvent dans le f.fr. à la Bibliothèque Nationale, n o 19142, et Ces manuscrits rassemblent un large éventail de textes d auteurs tels que Chapelain, Gombaud, Malleville, Maucroix, Pellisson, Madeleine de Scudéry, Costar ou encore La Fontaine et Corneille. 101 Voir «Le manuscrit comme absolu» par Vincenette Maigne dans Écrire aux XVII ème et XVIII ème siècles. Genèses de textes littéraires et philosophiques, sous la direction de Jean-Louis Lebrave et Almuth Grésillon, Paris, CNRS Éditions, 2000, pp

39 qu il consigne 102. De plus, le manuscrit peut rassembler des «éléments extérieurs» 103, feuillets choisis parce qu ils complètent un texte, réagissent ou ajoutent des éléments inédits par rapport à un écrit initial. Dans le manuscrit par exemple 104, le feuillet 129 pourrait être écrit de la main de Gombaud 105. Dans le manuscrit 672, on retrouve un papier écrit de la main de Ninon de Lenclos où celle-ci félicite Tallemant pour un de ses contes, comme s il s agissait du prolongement, de la trace immédiate d une conversation qui vient d avoir lieu 106. La proximité entre l écriture et la parole est une caractéristique de ce type de manuscrit destiné à un cercle d initiés, et à un usage restreint (car difficilement reconnaissable par un lecteur non-averti) : il est plutôt l emblème d une socialisation mondaine aux contours bien définis. Toutefois, Tallemant prend parfois la peine de fournir des renseignements additionnels sur son texte. Dans le manuscrit par exemple, sur le feuillet qui s intitule : «De Monsieur Ménage, Requête des dictionnaires, A Messieurs de l Académie», Tallemant apporte des précisions en rappelant que l Académie fut établie par Richelieu et explique les circonstances de sa fondation 107. Dans le manuscrit 672, on retrouve la section qui s intitule «Extraits des chroniques du 102 Voir le feuillet du manuscrit n o dans l annexe II, p. 293 : Tallemant donne le nom des personnages dans la marge de droite : Monsieur de Marillac (le maréchal décapité), La Reine-Mère ainsi que Mme de Chevreuse, Mme de Guise, Mme de Conty sont «les princesses exilées». 103 V. Maigne, Le manuscrit comme absolu, op.cit. p Rappelons que le manuscrit est un des quatre manuscrits de Tallemant. Il se trouve à la BnF, ainsi que le manuscrit Les deux autres manuscrits (no. 672 et 673 se trouvent à la Bibliothèque de La Rochelle). 105 Il s agit de stances qui s intitulent: «De Monsieur Gombaud à Madame de Longueville sœur de Monsieur le Prince de Condé». Est-ce l écriture de Gombaud? Tallemant ne le précise pas (BnF. Ms. F.F , f. 129). 106 V. Maigne, Le manuscrit comme absolu, op.cit. p Ceci se trouve sur le f. 58 : «De Monsieur Ménage, Requête des dictionnaires à Messieurs de l Académie, et dans la marge gauche du feuillet, Tallemant explique : «L Académie fut établie par le cardinal de Richelieu, et Boisrobert en fit naitre l occasion car s estant trouvé par hasard en une maison où sept, huit des plus beaux esprits du siècle avaient eu coutume de s assembler une fois la semaine, il fit venir l envie à son maitre d établir une académie, on choisit 40 personnes, il leur donne des privilèges qui ont été vérifiés du parlement». Cette «Requête» commence sur le feuillet n o 58 et se termine sur le feuillet n o

40 samedy, vers du Mage du Sidon à Sapho». Le Mage de Sidon est le surnom donné à Godeau, et Sapho désigne Madeleine de Scudéry. Or, les premiers vers de cet extrait font allusion à un troisième personnage du cercle de Mlle de Scudéry : «Si Sapho disne avec le mage, Phaon n en sera point jaloux». Phaon est le surnom donné à Pellisson dans le Grand Cyrus. Il semble que Tallemant ait copié cet extrait qui inclut aussi la réponse que Sapho fit au Mage, ainsi que les vers de Théodamas, surnom donné à Conrart. Les commentaires de Tallemant se trouvent dans les marges, malheureusement, ils ne sont pas lisibles. De même, dans le manuscrit qui s ouvre par la Guirlande de Julie, Tallemant, sur le feuillet qui suit, explique comment le marquis de Montausier fit faire cette guirlande à Julie de Rambouillet dont il était amoureux 108. L auteur semble alors s adresser à un public plus large, en dehors du cercle d amis pour qui ces explications devaient être superflues. Ces allusions se retrouvent aussi dans les Historiettes et montrent à quel point il s agit d un texte hétérogène, une production hybride sur le plan générique et discursif, qui ne semble pas toujours viser le même public. En revanche, ils confirment l idée que le manuscrit au XVII ème siècle se présente comme une création mobile et en perpétuelle transformation, pouvant porter l empreinte de voix multiples. En définitive, le manuscrit est un moyen de diffusion idéal, d autant plus que l imprimé, mis à part les contraintes reliées aux coûts de production ou à l obtention des privilèges, suscite encore une certaine méfiance. 108 Sur ce feuillet, Tallemant écrit : «Monsieur le marquis de Montausier fit faire cette guirlande pour Mlle de Rambouillet qu il espousa après treize ans d amours» (Tallement a biffé «de services»). «Plusieurs de ses amys et des amys de ses amys firent des madrigaux à son exemple. Monsieur le marquis de Rambouillet en fit un par compagnie, voyant que tout le monde en faisait [] Ce présent fut fait deux ou trois ans avant qu il l épousast». Le premier madrigal que Tallemant a recopié est celui de Montausier, ensuite celui de Chapelain, Malleville, M. de Scudéry, Colletet, M. d Andilly. Sur la page verso du feuillet n o 8 se trouve le madrigal de Conrart, sur cette même page dans la marge à droite, Tallemant écrit le sien. 32

41 3. Le manuscrit face à l imprimé Réticences et résistances Dans son préambule, Tallemant manifeste déjà clairement sa réticence envers les sources imprimées puisqu il précise qu il ne se servira pas «de ce que l on trouve dans les histoires et les mémoires imprimés» 109. Un peu plus loin, dans son historiette sur Malherbe, il cite le poète qui répond à Chapelain venu demander conseil sur la manière d écrire : «Lisez les livres imprimez, et ne dites rien de ce qu ils disent» 110. Tallemant renvoie aussi souvent à ses sources «orales», comme Madame de Rambouillet de qui, écrit-il, «je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j ay écrit et que j écriray dans ce livre» 111. Cependant, comme on l a déjà souligné, il serait faux de penser que Tallemant s est seulement inspiré de propos entendus ou de ragots qui circulaient dans les salons. L hétérogénéité des Historiettes se manifeste aussi dans les multiples sources de l œuvre. Malgré son apparente réticence face à l imprimé, Tallemant semble avoir puisé à de nombreux type d écrits, manuscrits mais aussi imprimés. Dans l historiette sur Malherbe, il précise que c est de Racan qu il a eu «la plus grande part de ces mémoires», et, si l on en croit Tenant de Latour, Tallemant se serait servi du manuscrit de Racan pour composer son historiette 112. Enfin, plus récemment, dans «La vie de Malherbe», Stéphane Macé soutient que l historiette de Tallemant consacrée à Malherbe «n est qu un décalque du récit de Racan» 113. Exemples à l appui, S. Macé démontre que Tallemant a puisé non seulement dans le manuscrit original de Racan, mais aussi dans celui que Conrart 109 Historiettes, t. 1, p Ibid. p Ibid. p Voir la préface de M. Latour dans les Œuvres complètes de Racan, Paris, P. Jannet libraire, 1862, t. 1, p. xiv). Dans ses «Notes», Antoine Adam affirme que l historiette sur Malherbe «a été écrite presque entièrement sur les Mémoires pour la vie de Malherbe que Racan avait rédigés et qu il communiqua à Tallemant» (Historiettes, t. 1, p. 795). 113 Racan, Œuvres complètes, «La vie de Malherbe», Édition critique par Stéphane Macé, Paris, Honoré Champion, 2009, p

42 a recopié en ajoutant des anecdotes qui ne figuraient pas dans le texte de Racan 114. Notons enfin que parmi les sources écrites qui ont alimenté les Historiettes se trouvent des œuvres d historiographes de renom, qui jouissent d une autorité incontestable. Antoine Adam relève L Histoire universelle de Thou ou les Oeconomies royales de Sully. Tallemant aurait aussi consulté les Mémoires de Montglat, ceux de La Rochefoucauld, et ceux de Mlle de Montpensier 115. Il faut rappeler que la réticence de Tallemant face à l imprimé n est pas propre au XVII ème siècle. En effet, Françoise Waquet explique comment l enthousiasme pour la l imprimerie fut assez vite contrebalancé par l inquiétude qu elle suscitait. La nouvelle technique apparut aux hommes du temps comme un «déluge», un «labyrinthe», qui par ailleurs n avait pas apporté les solutions espérées. Les typographes, qui avaient remplacé les scribes ou les copistes ignorants, continuaient de «corrompre» les textes en altérant leurs contenus ou en en dénaturant le sens 116. Déjà en 1538, Clément Marot expliquait pourquoi il acceptait de faire publier son Adolescence Clémentine : Je ne sçay (mes treschiers Freres) qui m'a plus incité à mettre ces miennes petites jeunesses en lumiere, ou voz continuelles prieres : ou le desplaisir, que j'ay eu d'en ouir crier, et publier par les Rues une grande partie toute incorrecte, mal imprimée, et plus au proffit du Libraire, qu'à l'honneur de l'autheur 117. Ce discours de légitimation s avère encore nécessaire au XVII ème siècle puisque des libraires indélicats continuent de publier des manuscrits sans autorisation. Tel fut le cas pour les Satires de Boileau et les Mémoires de La Rochefoucauld qui circulent à l état de manuscrit avant d être imprimés sans l autorisation de leur auteur. Ainsi, les 114 Ibid., voir note 1527, p. 918, ainsi que les notes 1534, 1535, 1584, 1585, 1618, 1619, 1626, Historiettes, t. 1, p. xviii, xix 116 Françoise Waquet, Parler comme un livre, L oralité et le savoir (XVI ème -XX ème siècle), Paris, Albin Michel, Clément Marot, La suite de l Adolescence Clémentine, Paris, Vve P. de Roffet, 1534, p

43 Mémoires de La Rochefoucauld, imprimés aux Pays-Bas vers 1662, comportaient des parties entières qui n étaient pas de lui 118. Une «véritable imposture», note Antoine Adam, qui provoque un énorme scandale dans le cercle de l auteur lequel désavoua le volume falsifié. Plus tard, les Maximes du même auteur connurent le même sort et parurent de façon anonyme en 1664 à La Haye sous le titre Sentences et maximes de morale. Quant aux Satires de Boileau, elles circulaient sous le manteau, dans une édition subreptice imprimée à Rouen en Boileau se hâta alors d obtenir un privilège en 1666 et fit paraitre l œuvre chez Barbin, précédé d un Avis au lecteur dans lequel il dénonçait la fausse édition 119. Sur cette question, Alain Viala a montré que la dépossession du manuscrit était alors une chose banale en expliquant comment un privilège de publication pouvait être obtenu en se présentant simplement avec un texte qu on donnait pour sien 120. Le principe de propriété garantit à l éditeur et non à l auteur l exclusivité de la publication, et le pillage textuel, le plagiat ou la falsification sont chose courante puisqu aucune juridiction ne protège le statut du manuscrit 121. Tallemant, qui semble au courant de ces pratiques, rapporte à ce propos comment Gomberville, dans le privilège qu il reçut pour son roman Polexandre, fit expliciter par Conrart que : «Desfenses étaient faites à tous faiseurs de comédies de prendre des arguments de 118 Il semblerait que ces mémoires contenaient quelques erreurs «volontaires» : Saint Simon rapporte une anecdote à ce sujet. Le duc de Saint-Simon (père du mémorialiste) ayant vu une phrase injurieuse dans les mémoires de La Rochfoucauld, «se jeta sur une plume, et mit à la marge : L auteur en a menti». Il alla ensuite chez le libraire, et «mit à tous la même note marginale». (voir Mémoires complets et authentiques du duc de Saint Simon sur le siècle de Louis XIV et de la Régence, Paris, A. Sautelet et cie, 1829, p. 91). 119 Voir les explications que fournit A. Adam dans Histoire de la Littérature Française au XVIIème siècle, Paris, Éditions Mondiales, 1958, t. 4, p. 85 et p. 88, et t. 3, p Alain Viala, «L auteur et son manuscrit» dans L auteur et le manuscrit sous la direction de Michel Contat, op.cit. p Ibid. p

44 pièces de théâtre dans son roman sans sa permission» 122. Dès lors, on comprend la posture ambivalente de ceux qui, tout en se décidant à publier leurs œuvres, se hâtent de les faire précéder d un Avis dans lequel la méfiance envers l imprimé devient un topos incontournable. Ainsi, dans l Avertissement au lecteur qui précède les Oeuvres de Saint-Amant publiées en 1629, l auteur justifie son geste en ces termes : Le juste dépit que j ai de voir quantité de petits poètes se parer imprudemment des larcins qu ils ont fait dans les ouvrages qu on a déjà vus de moi, et la crainte que j ai eue que quelque mauvais libraire de province n eût l effronterie de les faire imprimer sans mon consentement comme j en étais menacé, m ont fait enfin résoudre à les prévenir, plutôt qu aucun désir d acquérir par là de la gloire Quelques-uns ont tâché de me dissuader de ce dessein, m alléguant que les choses, pour excellentes qu elles puissent être deviennent presque méprisables depuis qu on les rend communes; mais quand ils me montreront qu on estime moins Ovide ou Horace depuis qu ils ont été imprimés, qu on ne faisait que lorsqu ils n étaient écrits qu à la main, je serai de leur avis 123. L Avertissement de Saint-Amant soulève plusieurs questions qui toutes justifient et rappellent la réticence de certains contemporains de Tallemant envers l imprimé : la crainte qu on ne publie une édition sans l autorisation de l auteur, ou que cette publication dénature son œuvre, ou encore que celle-ci soit plagiée ou censuré. Dans un autre registre, Saint-Amant exprime aussi son inquiétude qu une œuvre imprimée puisse être moins valorisante pour son auteur, si bien qu elle deviendrait même méprisable 124. Il s agit bien encore d un topos courant, comme le 122 Historiettes, t. 2, p Dans ses notes, Antoine Adam précise que le privilège de Polexandre, en date du 15 janvier 1637, indique : «Et faisons tres-expresses deffenses à toutes les personnes de quelque qualité & conditions qu elles soient, d imprimer, faire imprimer, vendre ny distribuer ledit livre [ ] ny d en extraire aucunes pieces, ou histoires pour les mettre en vers, en faire des dessins de Comédies, Tragédies, Poëmes ou Romans». Les critiques que Tallemant formule à l encontre de Polexandre montrent bien qu il a lu l œuvre de Gomberville. Par conséquent, il devait avoir pris connaissance des termes de la clause de Saint-Amant, Avertissement au lecteur, œuvres, (1629), Paris, éd. J. Bailbé,, 1971, 4 vol., t. I, p.19, cité dans l introduction de De la publication, entre renaissance et lumières, Paris, Fayard, 2002, p Sur cette question, Christian Jouhaud et Alain Viala soulignent comment dans cet Avertissement, Saint-Amant, en manifestant sa crainte qu on le copie, revendique par le fait même son droit d auteur, ce qui prouve que la notion, même si elle est encore à ses balbutiements, existe déjà dans les mentalités 36

45 rappelle Guillaume Peureux dans son introduction aux Poésies de Pierre Motin ; en effet, l auteur d un manuscrit le destine à un cercle mondain restreint et la perspective de la publication à grande échelle ou dans un but purement commercial peut être perçue comme avilissante 125. Cette dégradation ne se limite pas seulement à la poésie, puisque Corneille lui-même, dans son Au lecteur de Mélite ou les fausses lettres, souligne aussi les dangers de la publication qui risque «d avilir» la pièce : Je sçay bien que l impression d une pièce en affaiblit la réputation, la publier c est l avilir, et mesmes il s y rencontre un particulier desadvantage pour moi, veu que ma façon d escrire estant simple et familière, la lecture fera prendre mes naivetés pour des bassesses 126. Il apparaît donc que le manuscrit, au-delà de son «éminente dignité» 127, conserve parfois au XVII ème siècle une supériorité certaine sur le texte imprimé dont le caractère dévalorisant de produit multipliable (un produit de masse avant la lettre) est de plus associé à la dépendance de l auteur qui vit au service d un protecteur. Tallemant, bourgeois très riche, assidu du salon de Madame de Rambouillet 128 et ami (De la publication. Op.cit., p. 14). Le plagiat est alors de plus en plus réprouvé et devient une arme virulente dans la polémique littéraire. En témoigne l accusation portée par Chapelain à l encontre de la Poétique de La Ménardières : «Ce que je puis vous dire de plus des larcins de Mr. De La Mesnardiere, est qu ils ne sont point ingénieux ni gusmaniques, mais grossiers, car de copier ainsi M. de l Escale, ce n est pas dérober en coupeur de bourses, mais voler en brigand sur les grands chemins» (voir la lettre datée du 5 mai 1640, adressée à Conrart, dans Lettres de Jean Chapelain, Publiées par Tamisey de Larrocque, tome premier, Paris, 1880, p. 614). Dans l historiette de Conrart, Tallemant décrit la réaction de Raincy qui «fait des sermens qu il n avoit volé [cette] pensée à personne», lorsque, par malice, Ménage l accuse d avoir copié Le Tasse (Historiettes, t. 1, p. 577). Le droit d affirmer qu un texte est de soi implique qu il est à soi, et donne une valeur marchande à l acte de création (voir Alain Viala, La naissance de l écrivain, op.cit. pp ). Aujourd hui la question du droit d auteur, même si elle semble avoir acquis un statut définitif dans les esprits, continue pourtant à faire couler beaucoup d encre avec l avènement d Internet et la notion de propriété intellectuelle. 125 Pierre Motin. Poésies, [texte établi et présenté par Guillaume Peureux], Paris, Société des Textes Français Modernes, mai 2006, p Pierre Corneille. Mélite ou les fausses lettres : pièce comique, Paris, Éditeur F. Targa, 1633, p L expression est de François Moureau, La plume et le plomb, op.cit. p Dans La Naissance de l écrivain, Alain Viala souligne le rôle des salons, lieux de médiation dans la formation des publics. Il spécifie cependant que certains salons, comme celui de la Marquise de Rambouillet, furent surtout des lieux de divertissement aristocratique favorisant l image d un écrivain amateur, un bel-esprit qui pratique la littérature comme «un ornement de son art de vivre», et d une littérature vue comme passe-temps destinée à amuser la galerie. Voiture qui, contrairement à la plupart de ses confrères, n était pas un auteur à gages, est le prototype parfait de cet écrivain amateur, le 37

46 de Voiture (lequel ne s est jamais préoccupé de faire éditer ses lettres et poèmes), fait partie de ces mondains pour qui la littérature est avant tout un jeu de salon entre initiés qui appartiennent au même groupe et non pas un métier rétribuable 129. Voiture qui ne montrait pas son érudition par peur d être traité de pédant, répugnait à donner ses textes à la publication pour ne pas mettre en péril son ethos de poète dilettante 130. Dans l historiette que Tallemant lui consacre, celui-ci rapporte que quelques mois avant sa mort, Voiture exprimait à Mme de Rambouillet sa crainte qu on ne fit imprimer ses lettres : «Vous verrez qu il y aura quelque jours d assez sottes gens pour aller chercher ça et là ce que j ay fait, et après le faire imprimer ; cela me fait venir quelque envie de le corriger» 131, et Tallemant de déplorer qu en effet on eut tort de ne pas ôter «les grosses ordures» 132 de ses lettres qui sont d ordinaire «mal écrittes» 133. Paradoxalement, c est ce défaut qui leur conférait ce «naturel» cher aux mondains. L exclamation de Voiture qui voulait «retravailler» ses lettres est d autant plus ironique que c est justement leur publication à l état «brut» qui en fit le succès, modèle du bel-esprit mondain qui ne prit jamais la peine de faire éditer son œuvre de son vivant (Alain Viala, La naissance de l écrivain, op.cit. p ). 129 Le groupe peut être constitué d individus appartenant à des classes sociales différentes, comme le cercle du salon de Madame de Rambouillet par exemple où se côtoyaient aussi bien des membres de la haute aristocratie que des bourgeois issus de milieux divers. Le père de Voiture était marchand de vin, Tallemant appartenait à la riche bourgeoisie, Chapelain était fils de notaire. Sur cette notion de groupe, voir Delphine Denis, Le Parnasse galant op.cit. p Voir Nicolas Schapira, Un professionnel des Lettres au XVII ème siècle, Valentin Conrart : une histoire sociale, Paris, Champ Vallon, 2003, p. 161 : Nicolas Schapira rapporte une lettre de Chapelain à Balzac dans laquelle le critique qui a inséré une lettre de Voiture en 1638 y révèle le jeu sur l anonymat joué par Voiture : «Je vous diray qu il la fit si secrètement que je n appris point qu elle fut de lui». 131 Historiettes, t. 1. p Ibid., t. 1, p. 489 (ordures se comprend ici dans le sens d incorrections). 133 Ibid., t. 1, p Dans l historiette consacrée à Madame de Montausier, Tallemant, à nouveau, juge le style de son ami Voiture assez sévèrement. Parlant d une histoire que Mme de Montausier avait composée et demandé à Voiture de la mettre par escrit (Zélide et d Alcidalis) Tallemant écrit : «Cela ne sçaurait être bien écrit, car Voiture n estoit pas capable d un autre style que du style de badinerie ou de galanterie badine. On m a assseuré qu il n y a rien de mieux inventé : si cela est, et que cette histoire me tombe entre les mains, je tascheray ou de la reformer ou de la refaire tout de nouveau» (Ibid., t. 1, p. 457). D ailleurs, Tallemant n est pas le seul à penser cela. Dans Les conversations, Le Chevalier de Méré relève dans plusieurs de ces lettres ce qu il appelle les «fautes de justesse» que Voiture commet à plusieurs reprises (voir le chapitre intitulé «Discours sur la justesse» dans les Oeuvres complètes du Chevalier de Méré, les conversations, [texte établi et présenté par Charles-H. Boudhors], Paris, Éditions Fernand Roches, 1930, t.1, p. 112). 38

47 et qui rappelait l apparente spontanéité de ses compositions lorsque les honnêtes gens s assemblaient pour l écouter dans le salon de Madame de Rambouillet. Comme le raconte Tallemant : «Il affectait de composer sur le champ. Cela luy peut estre arrivé bien des fois» 134. Le public mondain qui s assemble à l'hôtel de Rambouillet apprécie certainement la légèreté de l homme d esprit qui peut innover sur le champ : «c estoit un fort bel esprit, et on lui a obligation de dire les choses galamment. C est le père de l ingenieuse badinerie» 135, ainsi que cette negligentia diligens, une négligence conquise qui donne une impression de spontanéité, comme s il s agissait d une conversation qui coule librement, et qui cache les efforts qu on y a mis pour y parvenir. Madeleine de Scudéry louait Pellisson pour les mêmes raisons : «Il fait à l improviste des vers aussi jolis Il les fait comme s il n y songeait pas» 136. Mme de Scudéry reprend ici presque mot pour mot les préceptes de Nicolas Faret qui estime que l honnête homme doit user «d une certaine négligence qui cache l artifice et témoigne que l on ne fait rien que comme sans y penser» 137. C est pour sauvegarder ce «naturel» et préserver les séductions de l oralité que le rhétoricien Bernard Lamy met en garde contre les dangers du travail qui risque d étouffer l inspiration première : Ceux qui parlent avec facilité, sans préparation, reçoivent cet avantage d une imagination abondante et pleine de feu, lequel feu s éteint dans le repos et la froideur avec laquelle se compose une pièce dans le cabinet Ibid., t. 1, p Maurice Magendie souligne que les lettres de Voiture sont aussi «laborieuses» que celles de Balzac, cela de l aveu même de l auteur, qui écrivait à M. d Avaux : «vous connaissez mieux que personne quel embarras c est que ces lettres qui n ont aucun sujet réel, et où il faut discourir sur la pointe d une aiguille» (cité par Maurice Magendie, La politesse mondaine et les théories de l honnêteté en France au XVII ème siècle, de 1600 à 1660, Genève, 1993, p. 127). 135 Historiettes, t. 1, p M. de Scudéry citée par Bernard Beugnot dans son article «Pratiques de l écriture au XVII ème siècle : du manuscrit à l imprimé», publié dans L auteur et le manuscrit, op.cit. p Nicolas Faret, L honnête homme op.cit., p Bernard Lamy, La rhétorique ou l art de parler, La Haye, Pierre Paupie, 1737, Livre IV, Chap. V, p

48 Or, Tallemant n est pas dupe de l apparente spontanéité de Voiture qui, «bien des fois aussy a apporté les choses toutes faittes de chez luy.» 139. Un peu plus tard, Pellisson, dans son Discours sur les œuvres de Sarasin, rappellera tout ce qu il faut pour donner l impression d une création libre et spontanée : La facilité que les lecteurs trouvent dans les compositions déjà faites, a souvent été pour l auteur une des plus difficiles choses du monde, de sorte qu on la pourrait comparer à ces jardins en terrasse dont la dépense est cachée, et qui, après avoir coûté des millions, semblent n être que le pur ouvrage du hasard et de la nature 140. Il ne s agit ni plus ni moins que d une posture qui cherche à camoufler l effort sous une apparente facilité, puisque le discours ne peut retrouver sa transparence originelle qu au prix de multiples réécritures 141. Le public mondain qui oppose le naturel à l affectation et à l artifice du docte pédant qui «parle comme un livre» 142, est la cible de railleries dans plusieurs historiettes : celle sur Ménage par exemple, que Tallemant traite de «Jean-de-Lettres» 143 ou l historiette de Peirarede qui est «un pédant huguenot Un Jean-de-Lettres qui est un animal mal idoine à toute autre chose» 144. Cette posture de Tallemant peut paraitre paradoxale 145, mais elle pourrait 139 Historiettes, t. 1, p Notons aussi les propos de Boileau dans la préface de ses satires : «Voiture, qui paroît si aisé, travailloit extrêmement ses Ouvrages» (Satires et oeuvres diverses de M. Boileau Despréaux, Amsterdam, Henry Schelte, 1751, p. xij). 140 Paul Pellisson, Discours sur les œuvres de Sarasin, 1656 (cité par Bernard Beugnot dans Le loisir lettré à l âge classique, «Loisir, retraite et solitude», Genève, Librairie Droz, 1996, p. 181). 141 Dans la préface des Satires, Boileau écrivait justement : «Un ouvrage ne doit point paroître trop travaillé; mais il ne sçauroit être trop travaillé» (Satires et œuvres diverses op.cit. p. xij). 142 L expression est le titre de l ouvrage de Françoise Waquet, Parler comme un livre, op.cit. p Elle y donne les définitions de l époque, celle de Furetière dans son Dictionnaire (1690) : «On dit qu un homme parle comme un livre quand il parle bien ou qu il affecte de paraitre savant», ou celle du Dictionnaire de l Académie Française (1694) : «On dit d un homme qui parle avec quelque facilité, mais en termes trop recherchez et trop arrangez pour la conversation, qu il parle comme un livre». L expression n est valorisante ni pour le «docte savant» ni pour le livre, tous les deux accusés d affectation. 143 Historiettes, op., cit., t. 2, p Ibid., t. 2, p D après Émile Magne, et ensuite Antoine Adam, Tallemant, contrairement à la tradition familiale, n avait aucun penchant pour les affaires, et il ne s intéressait qu à la littérature, et surtout la littérature à la production romanesque (l Amadis des Gaules, l Astrée). Il savait le latin, le grec, l italien et l espagnol, et possédait une bibliothèque. Nous savons aussi que Tallemant a fréquenté la plupart des 40

49 s expliquer par l influence d une certaine noblesse qui se targue d ignorance. C est ce que souligne le pédagogue Thomas Pelletier : La fausse opinion a gaigné si avant en la France, qu il semble aujourd huy à la pluspart de la Noblesse que la marque essentielle d un galand Gentilhomme est de ne rien sçavoir. Lire un bon livre, apprendre du Grec et du Latin, c est à leur conte sentir le fils du Medecin ou de l Advocat 146. En revanche, le gentilhomme devait surtout être formé au métier des armes, et il fallait surtout éviter de perdre trop de temps «à disserter sur les subtilités d Aristote et de Platon» 147. Après le raffinement de la cour des Valois 148, les guerres de religion avaient contribué à donner naissance à une société d hommes d épée qui trouvaient de bon ton de mépriser toute culture 149. Sous Henri IV, certains gens d épée, incultes et fiers de l être, affichent bien haut leur ignorance, comme s il s agissait d une distinction sociale 150. Tallemant raconte comment Henri IV demande un jour l explication d un vers grec. Les maîtres de Requête qui ne semblaient pas en connaitre la réponse font semblant de ne pas entendre. Or, le maréchal de Biron passant par là «dit ce que le vers vouloit dire et s enfuyt, tant il avait honte d en sçavoir plus que des gens de robe» 151. Cette anecdote illustre bien le contexte du hommes de lettres de l époque, dont il a recueilli dans ses manuscrits des poèmes, madrigaux, épigrammes sonnets ou autres. Par ailleurs, les Historiettes témoignent d une érudition assez vaste, et de lectures variées (œuvres littéraires, historiques, mémoires etc., imprimées ou manuscrites). Toutefois, on peut avancer l hypothèse que, ne voulant pas être associé à ces «pédants» qui aimaient étaler leur savoir, il devait rester discret sur ses lectures et ses connaissances. 146 Cité par E. Bury, Littérature et politesse, l invention de l honnête homme , Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p Henri-Jean Martin, Livre, pouvoir et société, Genève, Droz, Tome 1, p Sous le règne de François 1 er et de la régence de Catherine de Médicis, l italianisation de la cour, ainsi l influence de Castiglione, auteur du Parfait courtisan, avait contribué à raffiner les mœurs. Les guerres de religion et le règne d Henri IV ont renversé cette tendance (voir Henri-Jean Martin, ibid., p. 541) 149 Ibid., p Sur ce sujet, voir Maurice Magendie, La politesse mondaine et les théories de l honnêteté, en France au XVII eme siècle, de 1600 à 1660, Genève, Slatkine Reprints, 1993, p. 51. Il faut cependant noter la posture de Nicolas Faret à ce sujet : en effet, Faret déplore l attitude de «ces esprits malfaits qui, par un sentiment de stupidité brutale, ne peuvent figurer qu un Gentilhomme puisse être sçavant et soldat tout ensemble.car, quand cette connaissance tombe dans un sens exquis, elle produit des effets si merveilleux (N. Faret, L Honneste homme ou l art de plaire à la cour, Paris, [Édition critique par M. Magendie], PUF, 1925, p ). 151 Historiettes, t. 1, p

50 premier XVII ème siècle : les maîtres des Requêtes font généralement partie d une classe sociale érudite. Or, probablement par honte ou pour ne pas paraître pédants, ils font semblant de ne pas entendre. En revanche, le mareschal de Biron, qui, selon Tallemant «n estoit pas ignorant», est embarrassé. Il craint d être accusé de pédanterie. Tallemant n est pas dupe, et c est en semblant s en moquer qu il note : «pour s accomoder au siècle, il falloit avoir plutost la reputation de brutal que celle d homme qui avoit connoissance des bonnes lettres» 152. Notons cependant que cette attitude s estompe graduellement vers le milieu du siècle, avec l exemple de certains aristocrates comme Condé, Bussy-Rabutin ou encore La Rochefoucauld, et surtout grâce à la vogue des salons où l on se forme à l art de la politesse en même temps qu à l art de la poésie. C est la renaissance de ces salons littéraires (celui de la vicomtesse d Auchy, de Madame des Loges, de Mme de Rambouillet) qui va créer un espace dans lequel poètes et auteurs vont côtoyer des gens de qualité, dont les mœurs se polissent à leur contact. Toutefois, dans cette société mondaine, particulièrement dans celle de Mme de Rambouillet, la culture est avant tout orale. Plutôt que par le livre, on s instruit par la conversation, et la poésie est pour eux «matière vivante que l on compose parfois sous leurs yeux» 153. Il n en demeure pas moins que l homme d épée qui risque sa vie sur les champs de bataille continue à mépriser et à ridiculiser le pédant occupé à des querelles byzantines (voir par exemple celle qui opposa Voiture à Chapelain pour savoir s il fallait écrire 152 Ibid., p Henri-Jean Martin, Livre, pouvoir et société, op.cit., p.549. Deux siècles plus tard et dans un tout autre registre, opposant cette fois-ci «le modèle du loisir aristocratique féminin, dûment idéalisé [ ], à la prostitution que représente la publication imprimée pour une femme», Victor Cousin avait salué «ces femmes éminentes qui ont montré une intelligence ou une âme d élite sans avoir rien écrit, ou du moins sans avoir écrit pour le public, selon la vraie destinée et le plus haut usage du génie de la femme». Ces femmes idéalisées par Victor Cousin, comme Mme de Rambouillet par exemple, n ont rien à voir avec les savantes du XVII ème siècle qui se mêlent d écrire et de publier, et qui deviennent ainsi des Sapho ridicules, comme Mme de Scudéry (voir Myriam Dufour-Maitre, Les précieuses, naissance des femmes de lettres en France au XVII ème siècle, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 26). 42

51 muscadins ou muscardins) 154. Ces querelles sont alors nombreuses et Tallemant, toujours à l affût de ce genre de nouvelles, en rapporte plusieurs dans les Historiettes. Il raconte par exemple que Gomberville prétendait avoir écrit Polexandre sans se servir de car ; il voulait en supprimer l usage, ce qui l occupa longuement, ainsi que Chapelain, Balzac, Voiture et même Julie d Angennes 155. Dans l historiette sur Voiture, Tallemant évoque La pompe funèbre de Sarrasin dans laquelle celui-ci se moque de Voiture et «le fait passer pour un farfadet» 156. Enfin, un autre exemple de querelle littéraire, La Pucelle de Chapelain, fit couler beaucoup d encre. Tallemant, qui lui-même ne cache pas son dédain envers l œuvre, évoque la Lettre du Sre du Rivage contenant quelques observations sur le poème épique et sur le poème de La Pucelle, de Mesnardières écrite en 1656 et qui est une critique assez virulente du poème de Chapelain. La querelle fut telle que M. de Montausier pensa faire bâtonner La Ménardière. L image du pédant qui veut montrer son savoir livresque est à l opposé de celle de l honnête homme. Qu on songe pour cela à la définition de La Rochefoucauld qui dit que «le vrai honnête homme est celuy qui ne se pique de rien» 157. L éloquence est perçue comme cette «malheureuse et importune affectation qui ternit et qui souille» 158 et qu on se doit de «fuyr comme un précipice mortel» 159. Au savoir livresque, on oppose le savoir mondain qui repose surtout sur l art de la conversation, qui se manifeste aussi dans les recueils de poésie ou le roman qu on lit en public, ou encore dans les recueils épistolaires, qui doivent rester manuscrits pour avoir l air 154 Voir Henri-Jean Martin dans Livre, Pouvoirs, op.cit, Genève, Droz, 1999, t. 2, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p François de la Rochefoucauld, Maximes et sentences morales, Amsterdam, Pierre Mortier, 1705, p Nicolas Faret, L honnête homme, op.cit. p Ibid., p

52 authentiques. On dénigre tout ce qui a l air apprêté 160. Tallemant se moque justement de «l affectation d érudition» 161 d un Balzac qui «feint d avoir escrit des lettres qu il n a jamais escrittes» 162 et, preuve à l appui, il précise que «tel qui n en a jamais receû de luy en trouve trois ou quatre qui lui sont adressées» 163. Balzac qui fait donc «semblant» d écrire à un correspondant fictif altère le caractère inhérent à la lettre en lui conférant un air d artificialité. Cette affectation entache un recueil imprimé d un «soupçon de fabulation» 164 ; elle discrédite Balzac, et l oppose à un Voiture dont les lettres, restées à l état de manuscrit du vivant même de l auteur, conservent ainsi une empreinte de connivence et d intimité entre le scripteur et le destinataire, caractéristiques du style épistolaire. Les contemporains estiment que les lettres de Voiture sont aussi laborieuses que celles de Balzac, mais qu elles sont plus naturelles et d apparence plus facile, dans tous les cas moins pompeuses que celles de Balzac 165. D ailleurs, le public est unanime, depuis Pellisson qui trouve que la prose de Voiture a 160 Notons toutefois les remarques de Myriam Dufour-Maitre au sujet de cette «spontaneité» : «La conversation au XVII ème siècle fait l objet d une soigneuse préparation, et se déroule dans un espace encore fondamentalement lié à la «sphère publique de la représentation». M. Dufour-Maitre trace un parallèle avec le débat télévisé lors duquel tout est planifié, les discours sont préparés selon une rhétorique appropriée, et où tout est conçu selon une codification extrêmement rigide (voir Les précieuses, naissancedes femmes de lettres en France au XVIIème siècle, Paris, Honoré Champion, Historiettes, t. 2, p Ibid. t. 2, p Ibid. t. 2, p L expression est de Mathilde Bombart dans «La publication épistolaire : deux recueils de lettres de Jean Louis Guez de Balzac» (De la publication, op.cit, p. 48). M. Bombart souligne que les opérations de re-écriture, d organisation et de tris indispensables lors de la publication imprimée d un recueil de lettres sont incompatibles dans le cadre de l expression immédiate et de la transparence qui doivent régir la lettre. 165 Maurice Magendie dit que ces Lettres ne sont «ni déclamatoires ni boursouflées d hyperboles» par contraste avec celles de Balzac (M. Magendie, op.cit. p. 129). Or, les pédants qui veulent se mettre en avant sans la prise en compte de leur interlocuteur et qui brouillent le message font preuve de manque de sociabilité. L épistolaire doit rester inscrit dans un registre proche de l improvisation orale et familière et éviter la tentation de la rhétorique utilitaire Marc Fumaroli fait la distinction entre ce qu il appelle la parole besogneuse qui est celle de l écrivain qui doit faire usage de tout un arsenal de techniques oratoires pour obtenir l effet désiré et la parole noble qui appartient au registre du jeu et du plaisir où règne l imprévisible (voir le chapitre sur La conversation par Marc Fumaroli, dans Les Lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, Paris, Gallimard 1997, t. 3, p. 3624). 44

53 «un certain air de galanterie qu on ne trouve pas ailleurs» 166, à Mademoiselle de Scudéry qui loue la manière avec laquelle «du sujet le plus stérile il tirait quelque chose de brillant et d agréable» 167, jusqu à Vaugelas estimait qu «Athènes et Rome ne pouvaient opposer personne à Voiture» 168. Lorsque les Lettres de Voiture furent publiées de façon posthume par Martin de Pinchesne 169, elles supplantent celles de Balzac, comme le rapporte encore Tallemant : «Sur la fin de ses jours, il (Balzac) eut une grande mortification de voir le grand applaudissement qu avoient les lettres de Voiture» 170. C est dans cet esprit que Mathilde Bombart souligne l ambivalence qui régit l imprimé dans ce domaine, et relève une raillerie de Chapelain envers Ménage accusé d écrire des lettres «dans la veüe de s en parer au public et d en enrichir quelque presse» 171. Chapelain prétend que la lettre, qui relève de l ordre de l intime incompatible avec l ordre de l imprimé, doit être limitée à une circulation manuscrite. Supposée refléter les mouvements de l âme, l écriture de la lettre doit rester éloignée de tout artifice et préserver le ton de la confidence et de la spontanéité. Surtout, la publication du recueil épistolaire destiné à un nouveau public, compromet la sociabilité mythique dans laquelle s inscrivait la lettre originale 172. Or, tout comme la lettre, l anecdote suppose une logique de la connivence, et s inscrit dans une sociabilité dans laquelle elle peut être «lisible», à savoir un cercle 166 Pellisson, cité par M. Magendie dans La politesse mondaine, op.cit., p Melle de Scudéry, citée par M. Magendie dans La politesse mondaine, op.cit., p Vaugelas, cité par M. Magendie dans La politesse mondaine, op.cit., p Martin de Pinchesne est le neveu de Voiture. 170 Historiettes, t. 2. p. 55. Ce fut le duc de Montauzier qui, au cours d un diner avec Balzac, parla de l édition de Voiture et, écrit Tallemant, «dit qu il fallait demeurer d accord que c éstoit l original des lettres galantes». Dans les «Notes» des Historiettes, Antoine Adam explique qu à la suite du succès obtenu par l édition posthume des Lettres de Voiture par son neveu Pinchesne, un sieur de Girac écrivit contre elles une dissertation latine adressée à Balzac. On pensa que ce dernier l avait inspirée par dépit, ce qui explique la polémique qui s ensuivit entre Pinchesne et Girac. Tallemant, que cette querelle semble amuser, en parle dans son historiette sur Balzac ainsi que dans celle sur Costar (voir la note n o 3 dans l édition déjà citée, p. 962, t. 2). 171 Voir l article de Mathilde Bombart intitulé «La publication épistolaire» dans De la publication entre Renaissance et Lumières, op.cit. p Mathilde Bombart, ibid., p

54 restreint d initiés qui peuvent en déchiffrer la teneur. L intérêt de l anecdote serait de servir de signe de reconnaissance, d alimenter la conversation à l intérieur de ce cercle, avec ce que cela suppose de plaisir d y appartenir. La connivence qui caractérise les anecdotes est de ne se comprendre parfaitement que par référence à d autres éléments écrits ou oraux dont la connaissance est nécessaire pour les interpréter correctement. Les anecdotes sur Henri IV, par exemple son odeur de gousset, ses maitresses, ou encore celles sur la prétendue homosexualité de Louis XIII aussi étaient connues par Mme de Rambouillet, si bien qu on retrouve fréquemment les mêmes personnages et les mêmes anecdotes dans d autres écrits, mémoires ou ana qui circulaient dans le même milieu. Le public choisi peut reconstituer le puzzle du récit originel, comme en témoigne l historiette sur Chapelain qui fait allusion à la célèbre perruque de l homme de lettres et à son avarice légendaire. Tallemant rapporte toute une série d anecdotes dont les acteurs sont pour la plupart ceux qui fréquentent le salon de Mme de Rambouillet : Madame de Rambouillet m a dit qu il avoit un habit comme on en portoit il y a voilà dix ans Quelque vieille que soit sa perruque et son chapeau, il en a pourtant une plus vieille pour la chambre, et un chapeau encore plus vieux [ ] Feu Luillier disoit de lui qu il estoit vestu comme un maquereau, et la Mothe le Vayer comme un opérateur Historiettes, op.cit. t. 1, p.567. Si cette remarque de la marquise détonne par sa méchanceté, on remarque que son caractère médisant se retrouve ailleurs dans les Historiettes et vient contredire ou plutôt tempérer les louanges qu on lui a généralement décernées. Nous reviendrons un peu plus loin sur les paradoxes du mythe du salon. Cependant, la réaction de la Marquise de Rambouillet ne doit pas surprendre puisque, d après Nicolas Faret, «quantité de femmes jugent de l esprit des hommes, par leur façon de s habiller, et ne peuvent s imaginer qu ils soient bijarres en la forme de leurs chapeaux, ou de leur pourpoint, et qu ils ne le soient pas en leurs humeurs». L Honnête homme de Faret doit «estre curieux de la mode cette mode qui estant authorisée par les plus approuvez d entre les grands et les Honnestes gens, sert comme de loy à tous les autres». De plus, il faut être propre, il faut aussi que les habits, même s ils sont modestes, ne soient «ny vieux, ni sales», et que le chapeau soit neuf. (voir Nicolas Faret, L honnête homme, op.cit. pp ). L accoutrement de Chapelain est loin de répondre à ces critères, et justifie ainsi les critiques qu on lui décoche. À l opposé, Voiture, écrit Tallemant «s habillait bien» (Historiettes, t. 1, p. 488). Dans le Cyrus, il apparait sous le nom de Polygène : «Il était extrêmement bien fait de sa personne, magnifique et propre en habits» (cité par Maurice Magendie, La politesse mondaine, op.cit., v. 1, p. 97). 46

55 Cette anecdote qui intègre les voix de Mme de Rambouillet, de Luillier et de La Mothe le Vayer représente bien le prototype de la médisance, qui est indéniablement une parole à la fois collective et contenue, puisqu elle ne peut être efficace sans la complicité entre locuteurs et interlocuteurs. Ceux-ci fréquentent probablement de près le personnage, ils le rencontrent dans le groupe au sein duquel son accoutrement vieux et démodé tranche avec l apparence des autres membres : c est parce qu ils sont déjà au courant de son avarice que cette anecdote les intéresse et les amuse 174. Tallemant n a pas besoin de tracer un portrait complet du personnage, il n a fait que rapporter les paroles des trois confidents, paroles qui confirment ce que le reste du groupe savait déjà. Les comparaisons de Luillier et de La Mothe le Vayer ne sont pas seulement péjoratives, elles véhiculent aussi un jugement moral, comme si «l habit faisait le moine». Extraite du cercle d initiés d où elle tire son origine, l historiette ne produit pas le même effet, et même n en produit aucun. La forme brève qui caractérise l anecdote suppose que le destinataire soit capable de compléter le récit, parce qu il l a déjà probablement entendu raconter ailleurs, parce que ce récit a déjà circulé. Les Historiettes peuvent souvent paraître illisibles aujourd hui, tant elles sont succinctes et tant les modalités allusives sont nombreuses, comme par exemple pour celle qui raconte la critique contre La Pucelle : «Je ne m amuseray point à critiquer ce livre; je trouve qu on luy fait honneur, et la Mesnardiere en cela a rendu à M. Chapelain le 174 D après le Dictionnaire de Furetière, «médire» c est «parler mal de quelqu un, découvrir ses défauts soit qu ils soient vrais soit qu ils soient controuvez», la «mesdisance» est un «discours injurieux, & contre l honneur de quelqu un». Un «opérateur» est un charlatan qui vend des drogues et auquel il ne faut pas se fier. Le «maquereau» a le même double sens que nous lui donnons aujourd hui. (Voir Antoine Furetière, Dictionnaire universel, seconde édition, tome second, la Haye et Rotterdam, Arnoud et Reinier Leers, 1701). 47

56 plus grand service qu il luy pouvait rendre» 175. Antoine Adam explique l allusion et précise que Tallemant fait référence à une lettre de la Mesnardière contre La Pucelle, parue en janvier 1656 : la Lettre du dr du Rivage contenant quelques observations sur le poème épique et sur le poème de la Pucelle. Nous pouvons donc nous risquer à stipuler que ce type d anecdotes, une fois imprimées, auraient pu «manquer leur coup», car elles auraient circulé parmi des récepteurs indifférents ou ignorants de ce qui entoure le récit. Quant au public des Historiettes aujourd hui, il a parfois du mal à suivre cet enchaînement de faits et même si les noms sont reconnaissables pour la plupart, ils restent «une image familière et qui ne nous concerne pas» 176. À l exception du jugement condamnant l artificialité de l imprimé, l effet esthétique qu une telle œuvre produit sur le lecteur peut être compromis. Dans l avis à Mélite de Corneille, nous avions déjà relevé l inquiétude de l auteur qui craignait que son style ne soit pas propice à la lecture d une pièce faite pour être jouée et non pas lue dans la solitude. L exclamation de Mme de Sévigné à propos de l impression des Rondeaux de Benserade qu elle avait d abord entendu lire justifie cette crainte: «C est une étrange chose que l impression» 177 note l épistolière puisque la lecture individuelle et silencieuse peut parfois révéler les faiblesses d un texte qui gagne à être lu dans l atmosphère enjouée d un salon. C est le même phénomène de dégradation d une œuvre lue et ensuite imprimée que Tallemant relève, lorsqu il évoque l Endymion de Gombaud qui en «avait fait tant de lectures avant que de le faire imprimer que M. de Candale, quand ce livre fut mis en lumière, dit que la 175 Historiettes, t. 1, p Il s agit d une expression de Roland Barthes sur le portrait de l homme classique de la Bruyère (Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, «La Bruyère», p , p. 222). En effet le public qui aujourd hui connaît le Chapelain auteur du XVII ème siècle n est pas particulièrement sensible au ridicule de l accoutrement que décrit Tallemant. 177 Citée par Myriam Maître dans «Les escortes mondaines de la publication» (De la publication, entre Renaissances et Lumières, op.cit. p. 249). Cette exclamation de Madame de Sévigné se retrouve dans une lettre à sa fille, datée du 21 octobre

57 deuxième édition ne valoit pas la première ; car il lit bien et fait bien valoir ce qu il lit» 178. L hypothèse qu offre Myriam Maître est que l impression d une œuvre peut en dévaloriser la réception auprès d un premier public. C est le cas de la poésie qui, une fois imprimée, semble faire les frais d une dégradation constante : ayant commencé par la performance orale dans un salon avec l illusion d une création improvisée, elle se dégrade dans la circulation de feuilles volantes manuscrites et finit, ultime avilissement, entre les mains des imprimeurs-libraires 179. C est certainement ce processus que craignait Voiture en refusant de publier ses œuvres. C est cette même peur qu exprime Madeleine de Scudéry à propos de la circulation de sa Carte de Tendre : Au commencement Clélie fut bien fâchée qu on en parlast tant : car enfin (disoit-elle un jour à Herminius) pensez-vous que je trouve bon qu une bagatelle que J ay pensé qui avoit quelque chose de plaisant pour nostre Cabale en particulier, devienne publique, et que ce que j ay fait pour n estre veu que de cinq ou six personnes qui ont infiniment de l esprit, qui l ont délicat et connoissant, soit veu de deux mille qui n en n ont guère, qui l ont mal tourné, et peu esclairé, et qui entendent fort mal les belles choses? 180 Cette dégradation porte donc sur l effet esthétique de l œuvre écrite, ainsi que sur la disjonction qu elle ne manque pas d entraîner entre récepteurs et destinataires. Tout écrit, même manuscrit, même secret, peut échapper à son auteur et ainsi atteindre des récepteurs qui n en sont pas les destinataires 181. Dans le cas de l imprimé, cette disjonction est encore plus grave car le statut de destinataire s efface pour faire place à celui, infini, des récepteurs 182, comme le disait Thomas De Lorme à propos de ses 178 Historiettes, t. 1, p 554, Voir Myriam Maitre, «Les escortes mondaines», op.cit. p Madeleine de Scudéry, Clélie, t. 1, p (citée par Delphine Denis dans Le Parnasse galant, Institution d une catégorie littéraire au XVII ème siècle, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 162.) 181 Bussy-Rabutin ayant confié le manuscrit de l Histoire amoureuse des Gaules à Madame de la Baume qui le retoucha, perdit la faveur royale et se trouva embastillé (voir la préface d Antoine Adam à l Histoire amoureuse des Gaules, op.cit., pp ). 182 Myriam Maitre, «Les escortes mondaines», op.cit., p

58 œuvres qui sont «tellement attachez aux temps et aux lieux, que hors de là, ils perdent la moitié de leur grâce» 183. II. Mise en scène d une posture auctoriale Marc Fumaroli juge que les Historiettes, «longtemps tenues pour un fonds d archives suspectes», furent écrites «quand la bise fut venue» pour Tallemant 184. Cependant, l auteur des Historiettes n est pas un de ces aristocrates tombés en disgrâce, tels Blaise de Monluc ou le maréchal de Bassompierre, et qui décident au soir de leur vie de laisser à la postérité le témoignage des services qu ils ont rendus à une monarchie qui les a marginalisés 185. Nous avons déjà rappelé qu en 1657, date à laquelle il commença à rédiger son œuvre, Tallemant, né en 1619, était encore riche et relativement jeune. Les politiques de conversion au catholicisme engagées sous Louis XIV n avaient pas encore commencé, et Tallemant avait encore d autres projets d écriture : dans son préambule ainsi que dans certaines historiettes, il indique vouloir 183 Thomas De Lorme, La Muse nouvelle ou les agreables divertissemens du Parnasse, (Cité par Delphine Denis, Le Parnasse galant, op.cit., p. 156). 184 Marc Fumaroli, Le poète et le roi, op.cit., p Sur ce sujet, voir l article de Marc Fumaroli, Les Mémoires au carrefour des genres, dans La Diplomatie de l esprit, Paris, Gallimard, 1998, p Dans un article consacré à la réception des Historiettes lors de leur première publication (1834), Marie-Gabrielle Lallemand propose une autre interprétation en opposant la posture de mémorialistes comme le cardinal de Retz ou Saint-Simon, à celle de Tallemant des Réaux. Elle estime que les déceptions politiques des premiers pouvaient expliquer la partialité de leurs points de vue sur leur siècle; en revanche, l auteur des Historiettes «n avait de compte à régler avec personne», et donc la peinture qu il offrait de son siècle ne pouvait qu être impartiale et donc vraie (voir «1834: les Historiettes de Tallemant des Réaux font scandale», dans Suzanne Guellouz [dir], Postérités du Grand Siècle, Presses universitaires de Caen, No 15-16, février 2000, p. 178). Rappelons cependant que nous avons évoqué plus haut l hypothèse que Tallemant a pu parfois servir de «plume» à Madame de Rambouillet. Or la marquise et son mari, qui avait été l un des alliés de Concini, étaient tombés en semi-disgrâce après la chute du favori et se trouvaient donc parmi les marginalisés du pouvoir. Selon Antoine Adam, l opposition du marquis de Rambouillet à Richelieu et l hostilité qu il lui manifestait n avaient d autre résultat que de le cloîtrer en son hôtel (voir Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII ème siècle, Paris, Éditions Mondiales, 1962, t. I, p. 263). Dans cette conjoncture, la partialité de Tallemant et le projet politique sous-jacent sont aisés à démontrer (l historiette de Richelieu ou encore celle de Louis XIII en sont l illustration la plus frappante). De plus, on peut aussi postuler que Tallemant se trouve marginalisé du fait de sa religion et de sa non appartenance à l aristocratie, ce qui expliquerait le registre polémique et satirique de certaines historiettes que nous analyserons plus loin. 50

59 écrire des mémoires de la Régence d Anne d Autriche, après celles des Historiettes 186. Depuis la mort de Voiture, il travaille à mettre en ordre les œuvres du poète et manifeste clairement son intention de les faire réimprimer. Quoiqu il en soit, on ne peut adhérer à l idée un peu réductrice d un Tallemant «assombri» ne cherchant qu à faire revivre un monde disparu comme ces mémorialistes qui se mettent à rédiger lorsqu ils sont sur le déclin de leur vie afin de se justifier. 1. Tallemant éditeur C est dans les Historiettes que Tallemant avait déclaré vouloir entreprendre la tâche d éditeur des œuvres de Voiture: «Quelque jour, si cela se peut faire sans offenser trop de gens, je les feray réimprimer avec des notes, et je mettray au bout les autres pièces que j ay pu trouver de la société de l hostel de Rambouillet» 187. À ces fins, il avait obtenu un privilège le 24 septembre 1676, malheureusement ce projet ne vit pas le jour puisque le libraire qui avait publié l édition de Pinchesne lui intenta un procès, et le privilège fut révoqué en La posture éditoriale de Tallemant, dans cette première édition de Pinchesne en 1650, est particulièrement explicite : en effet, il déplore que celui-ci ait «sottement» effacé des noms, les remplaçant par des astérisques, sans les garder pour 186 Historiettes, op.cit., t. 1, p. 1, p. 312 (Le cardinal de Retz) ou encore p. 361 (M. d Orléans) et t. 2 p. 448 (Ninon) ou p. 706 (le président Tambonneau). 187 Historiettes, op.cit., t. 1, p Voir les «Notes» d Antoine Adam, op.cit., t. 1, p. 1127, mais aussi les explications d Emile Magne qui rapporte que Tallemant voulait publier une œuvre annotée de Voiture et y avait travaillé pendant neuf ans. Achevant l Histoire d Alcidalis et de Zélide, réunissant les lettres éparses du poète, y compris celles de Julie d Angennes, il obtint le privilège le 24 septembre Auparavant, le droit d imprimer et de vendre l édition de Pinchesne avait été concédé à Augustin Courbé en 1650, et était ensuite passé à Thomas Jolly, puis à Guillaume de Luynes, qui ne s opposa pas à ce que Tallemant, de son côté, obtint un privilège de publication. Mais Guillaume de Luynes vendit le privilège à Marie Hardouin en Lorsqu en 1681 Tallemant se décida enfin à publier l œuvre de Voiture, Marie Hardouin y fit opposition et le 12 août 1681, le Conseil du roi invita Tallemant à obtenir un nouveau privilège qui lui donnerait droit aux seules pièces inédites de Voiture, et lui défendit de publier celles déjà contenues dans l ancienne édition (Émile Magne, La fin troublée de Tallemant des Réaux, op.cit., p ). 51

60 «les remettre quelque jour». Pinchesne avait été aidé dans cette tâche par Conrart et Chapelain qui s étaient chargés de rassembler et de trier les lettres de Voiture, et en avaient retranché ce qui leur paraissait trop négligent. Ils avaient aussi altéré les passages trop scabreux en changeant les noms propres ou en les remplaçant par des initiales ou par des astérisques 189. Tallemant estime que ces mutilations rendent le texte illisible 190. Il convient que la publication du texte avec les noms des personnes évoquées puisse offenser un certain public visé, et comprend qu on veuille les supprimer d une première édition 191 ; cependant, d après lui, il aurait fallu conserver l original pour une publication tardive, lorsqu un certain laps de temps aura passé sur les événements et en aura estompé la portée. L animosité de Tallemant envers Pinchesne qu il traite de «sot» ne peut être attribuée au seul dépit de ne pas avoir réussi à publier lui-même les œuvres de Voiture, puisque son privilège ne fut révoqué que bien après l écriture des Historiettes. Tallemant adopte sans doute la posture de l éditeur, ou même celle de l ami, qui rechigne à l idée qu on puisse altérer un manuscrit après la mort de son auteur et en dénaturer le sens. L action de «mettre en lumière» un texte en le rendant illisible n est-elle pas paradoxale? Il est possible qu il s agisse là d une raison pour laquelle Tallemant s est gardé de faire imprimer ses propres Historiettes. 189 Voir l édition des Œuvres de Voiture «revue en partie sur le manuscrit de Conrart, corrigée et augmentée de Lettres et pièces inédites avec le Commentaire de Tallemant des Réaux, des éclaircissements et des notes» par A. Ubicini, Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 1855, p. xxxi. 190 Historiettes, op.cit., t. 1, p Dans l introduction aux Historiettes, Antoine Adam relève les propos d Angélique Petit en 1670 : «Il a mis par ordre les œuvres d Hypias (c est-à-dire de Voiture) et commenté ses lettres pour en donner une intelligence plus parfaite. Il y a mesme adjousté quelque histoire, et tout cela paraitra un jour» (Angélique Petit était une précieuse à qui A. Adam attribue à tort une nouvelle écrite en 1668, L Amour eschappé ou les diverses manières d aimer. En fait, Il semble que ce soit Jean Donneau de Visé et non Angélique Petit qui en est l auteur. Le manuscrit se trouve à la bibliothèque de l Arsenal, 8 BL 20106). 191 La première édition des œuvres de Voiture par Pinchesne date de D autres éditions se succèdent entre 1650 et C est sur un exemplaire de la 5 ème édition de 1656 qu on retrouve les commentaires de Tallemant (voir la préface de U. Ubicini dans les œuvres de Voiture: lettres et poésies, vol I, avec le commentaire de Tallemant des Réaux, Paris, Charpentier 1855). 52

61 La politique de Tallemant en ce qui concerne l imprimé peut être reconstituée à partir des exemples qui illustrent sans équivoque ses prises de position à l égard de certaines publications qu il juge sévèrement, et qui renforcent l idée qu il n a nullement eu l intention de faire imprimer son propre manuscrit. Celle que nous venons de décrire concernant les Œuvres de Voiture en témoigne. Dans une autre historiette, il critique Ménage qui, ayant fait imprimer ses Miscellanea, y avait inclus La Requeste des Dictionnaires 192. «Il faut avouer» dit-il, «qu il n y a guère d exemples d une pareille chose, qu on aille imprimer une pièce comme celle-là, qui est contre tout un corps d honnestes gens, et qu on ayt la hardiesse d y mettre son nom» 193. Les «honnestes gens» dont il parle, ce sont ces premiers académiciens comme Chapelain ou Conrart qui sont la cible de ses propres railleries dans les Historiettes. Le reproche qu il fait à Ménage témoigne encore une fois de sa posture envers ce type de publication qui peut à la fois blesser les «honnestes gens» ou en tout cas leur nuire, mais qui peut aussi se retourner contre leur auteur car la «hardiesse» dont il parle ici ne serait pas synonyme de courage mais plutôt d imprudence ou même d impudence 194. Ménage est un critique redouté, un «médisant» d après Tallemant, et les querelles qu il engage lui créent de nombreux ennemis comme l abbé d Aubignac, Boisrobert ou Gilles Boileau 195. La posture de 192 La Requête des Dictionnaires est une œuvre satirique dans laquelle Ménage se moque des académiciens. Tallemant explique que Ménage y traitait Boisrobert de «patelin et de sodomiste» (Historiettes, op.cit., t. 2, p. 322). Dans la Response du sieur de Boisrobert (p. 278), celui-ci s indigna de ce que Ménage eut osé s attaquer à l Académie («Quoy! Te prendre à l Academie!/T eriger contre elle en Marot!/Il eut mieux valu qu Astarpot/Eust bercé ta muse endormie»). (On retrouve cette réponse en supplément dans Les historiettes de Tallemant des Réaux, Paris, Techener, 1860, troisième édition, tome neuvième, p. 286).Il semblerait d ailleurs que ce fut cette Requête qui barra les portes de l Académie à Ménage. 193 Ibid., p Dans le Dictionnaire Universel, une des définitions de hardi est : «Audacieux, impudent, effronté». 195 L Avis à M. Ménage que Tallemant évoque dans son historiette se trouve en annexe dans le volume IX de la troisième édition des Historiettes par Monmerqué. Il s agit d une critique assez mordante de l églogue intitulé Christine de Ménage. Boileau l y accuse carrément de «s approprier» les poètes 53

62 Tallemant est-elle encore une fois paradoxale? Alors que pour la publication des Œuvres de Voiture, il critique les remaniements et les censures qui obscurcissent le texte et le rendent illisible, ici c est au contraire une trop grande transparence qu il déplore. Cette ambivalence n est pas aussi équivoque qu elle en a l air et offre peutêtre une réponse aux hypothèses qui entourent la publication et la circulation de ses Historiettes. Il semble en effet que ce soit simplement contre les dangers de la diffusion par l imprimé que Tallemant mette en garde, puisqu une censure qui préserve l anonymat risque de gâcher le texte. En revanche, une transparence totale peut blesser ou mettre en péril une réputation et parfois être même plus dangereuse. Tallemant dans ses Historiettes ne succombe pourtant pas à la vogue des romans à clefs 196, même si ces derniers ne garantissaient aucunement l anonymat. On sait que les personnages décrits avec des noms d emprunts par Bussy-Rabutin dans ses chroniques satiriques furent facilement découverts, et que leur auteur se retrouva à la Bastille. Bussy-Rabutin essaya de se justifier plus tard en prétendant qu il s agissait anciens comme Ovide ou Virgile. Il le compare à Lipse, déclarant que «dans son livre des Politiques il n y a que les points et les virgules qui lui appartiennent» (voir Les Historiettes de Tallemant des Réaux, Paris, éd. Techener p. 286). Dans la Response du Sieur de Boisrobert à La Requeste des dictionnaires que nous avons déjà mentionné (p. 277), Boisrobert traite Ménage de «pauvre advocat mesprisé» et de «prestre ridiculizé». Tallemant avait certainement lu ces libelles et on peut comprendre son commentaire sur la «hardiesse» de Ménage qui, en publiant à découvert, s est attiré l animosité dans le milieu des lettres. 196 Anna Arzoumanov rappelle que le terme de satire est souvent associé à la malignité et au désir de nuire, soit par jalousie soit par un désir de vengeance. Le «bon citoyen» doit faire de la critique et non de la satire : «l évaluation de l ethos du critique s opère majoritairement sur son intention de viser des personnes». C est pour cette raison que la question des noms est centrale, et même si la satire doit être cruelle, il est impératif de respecter le silence sur les noms des personnes visées. La satire se doit d avoir une visée morale (corriger son prochain) et non des motifs de vengeance. Le débat sur la question d identifier ses cibles «devient un topos du discours sur la satire» à la suite de la querelle des Satires de Boileau qui s arrogeait le droit de nommer ses cibles. Avant lui, les satiristes s accordaient à garder secrets les noms des personnes attaquées. La question des clefs devint aussi capitale. L auteur qui déguise le nom de leurs cibles est encore plus vilipendé, car «c est donné lieu d attribuer à plusieurs le mal que l on dit d un seul; et nous voyons en effet que la véritable clef de ces sortes d histoires, chacun se donne la liberté d en imaginer une à son gré» (Pierre Villiers, Traité de la satire, où l on examine comment on doit reprendre son prochain, & comment la satire peut servir à cet usage, cité par A. Arzoumanov p. 247). Deviner qui se cachait derrière le portrait peint par un auteur devient un jeu de société et souvent l auteur donnait assez d indices pour que le lecteur puisse reconnaitre le personnage dont il est question (Anna Arzoumanov, Pour lire les clefs de l Ancien Régime, Paris, Classiques Garnier, 2013, p ). Dans ce climat, on comprend mieux pourquoi Tallemant fustige Ménage qui avait publié La Requeste des dictionnaires, ainsi que la raison pour laquelle il ne fit pas imprimer ses Historiettes. 54

63 plutôt d un «roman satirique» que d une «histoire» et donc une œuvre de fiction sans prétention à la vérité 197. Tel n est pas le pacte que propose Tallemant qui, nous l avons vu, revendique une posture de mémorialiste qui veut dire «le bien et le mal sans dissimuler la vérité» 198. Il opte plutôt pour une complète transparence. Dès lors, pour ne pas risquer qu une circulation par l imprimé ne devienne incontrôlable, Tallemant fait le choix sage d une prudente discrétion. Son intention aurait été de limiter la diffusion de ses écrits pour éviter qu une publication ne lui échappe et n atteigne des récepteurs indésirables. Ainsi, même s il avait pu obtenir un privilège, il est peu probable qu il ait désiré faire imprimer les Historiettes de son vivant. III. Circulation et réception Qui est le public des Historiettes? 1. Circulation par voie orale Dans son étude sur le public, Hélène Merlin Kajman précise que publier un texte au XVII ème siècle ne signifie pas le faire imprimer, mais équivaut plutôt à le faire circuler : Contrairement à ce qui se passe aujourd hui, publier un texte, ce n est pas nécessairement le faire imprimer [ ] Le publier, c est le diffuser solenellement, quel que soit son support (manuscrit, voix, scène de théatre ou toute scène publique, livre imprimé). Le publier, c est le rendre public, disponible pour tous. Quand un auteur «donne une œuvre au public», ou la «fait voir au public», il la met en commun par les voies consacrées, il ne la garde pas dans son particulier. Bref, il la montre 199. Tallemant a-t-il «montré» ses Historiettes? Leur circulation manuscrite reste hypothétique, quoiqu elle ne doive pas être catégoriquement écartée. Dans tous les 197 Alain Viala, La France galante, op.cit., p Historiettes, t. 1, p Hélène Merlin-Kajman, Public et littérature, op.cit. p

64 cas, elle reste à être démontrée, tout comme leur réception au XVII ème siècle. Notons toutefois cette assertion faite par Louis Paris dans son étude sur Maucroix : il prétend que l historiette intitulée «Fourberies», qui racontait comment Furetière trompa sa mère pour avoir une partie de son héritage, «courut le monde en son temps» 200. L. Paris ne précise ni ses sources, ni s il s agissait d une circulation manuscrite ou orale. Tallemant affirmait destiner ses historiettes à ses «amis», et donc à un cercle défini, ce que ne semble pas confirmer la remarque de L. Paris 201. Il est difficile de démontrer ou de croire que l œuvre ait circulé dans son intégralité, mais on peut certes concevoir qu il y ait eu un échantillon que l auteur a pu montrer. Pour ces historiettes, la question de leur circulation et de leur réception se poserait plutôt dans le cadre d une diffusion orale, non plus par le seul souci de clandestinité, mais aussi et 200 Louis Paris, Maucroix, sa vie et ses ouvrages, sur le manuscrit de la bibliothèque de Reims, Paris, J. Techener, 1854, p. LX. 201 Dans un article sur «Les Mémoires et leurs destinataires dans la seconde moitié du XVII ème siècle», Emmanuelle Lesne-Jaffro pose justement la question du destinataire des mémoires à partir de leur auteur: «Il ne s agit pas de se demander d abord à qui s adressent les mémoires, mais si les Mémoires se donnent un destinataire et comment». Tallemant écrit à la demande de ses «amis», qui deviennent ainsi ses lecteurs potentiels. L argument est sensiblement le même chez Melle de Montpensier et chez le cardinal de Retz (voir Le genre des Mémoires, essai de définition, Paris, Klincksieck, 1995, p ). Notons aussi l interprétation avancée par Hélène Merlin-Kajman (L excentricité académique, Paris, Les Belles Lettres, 2001) à partir de l introduction de la Relation contenant l histoire de l Académie française de Pellisson : «Ils s assemblaient chez M. Conrart [ ] Là ils s entretenaient familièrement, comme s ils eussent fait en une visite ordinaire, et de toutes sortes de choses [ ] et de ce premier âge de l Académie, ils en parlent comme d un âge d or durant lequel [ ] sans autres lois que celles de l amitié, ils goûtaient ensemble tout ce que la société des esprits et la vie raisonnable ont de plus doux et de plus charmant» (Paul Pellisson, Relation contenant l histoire de l Académie française depuis son établissement jusqu à 1652, cité par H. Merlin-Kajman p. 43). Hélène Merlin Kajman signale que la thématique de l amitié au XVII ème siècle est un topos emprunté à l antiquité. Au XVII ème siècle, suite aux guerres de religion, l amitié n est plus un concept qui définit la communauté mais plutôt la caractéristique d «une sociabilité plus secrète que celle que visait le message chrétien universaliste». Elle concerne un petit groupe, et c est dans cette perspective qu on peut comprendre l allusion à l âge d or de la compagnie des amis de Conrart (H. Merlin-Kajman signale que le surnom qu on lui avait donné, Philandre, signifie ami) (p. 56). Le groupe d amis de Tallemant appartiendrait à un même type de configuration. (H.Merlin-Kajman souligne qu à partir de 1639, la thématique de l amitié revient fréquemment dans les harangues et dans les lettres, et elle avance l hypothèse que ce topos correspond au schéma dessiné par Peter Sloterdijk, qui comparait les livres à de «grosses lettres» : «Dans les faits, le lecteur qui s expose à cette grosse lettre peut interpréter le livre comme un carton d invitation, et s il se laisse réchauffer par cette lecture, il s inscrit dans le cercle des destinataires, pour confirmer l arrivée du message ( ). Au cœur de l humanisme ainsi compris, nous découvrons un fantasme de secte ou de club, le rêve de la solidarité fatidique de ceux qui sont choisis pour pouvoir lire» (P. Sloterdjik, Règles pour le parc humain, cité par H. Merlin-Kajman, p. 54). Ce propos pourrait s appliquer à Tallemant dont le souhait aurait probablement été de sélectionner le type de «lecteur idéal» qu il aurait voulu avoir. 56

65 surtout parce que la communication orale permet seule de connaitre l identité des destinataires et des récepteurs 202. De plus, si Tallemant destine ses Historiettes à ses «amis», cela signifie que c est grâce à un réseau de sociabilité que l auteur fonctionne, et que son public est figuré non pas comme une instance extérieure mais au contraire, à l intérieur d un groupe social précis, qui aurait constitué le cercle fermé des destinataires 203. La formule de Frédéric Briot qui parle de «dérobade devant l imprimé» s appliquerait très bien à Tallemant. F. Briot avance l hypothèse qu il y aurait de la part des mémorialistes une volonté délibérée pour que leurs œuvres soient lues autrement que celles mises sur la place publique. Cette posture explique leur diffusion restreinte, le petit nombre d exemplaires manuscrits, tout comme l aspect parfois fragmentaire des textes «montrés». Aussi, l espace de la circulation de ces textes serait un espace clos et propice au secret, au sein duquel évolue une société fondée non plus sur la polémique ou le conflit mais au contraire sur la connivence et le partage. La lecture des mémoires va quelque peu s apparenter à un pacte individuel, celui de la fondation de ce que l on pourrait baptiser «la société des amis de mon texte» 204. Ces amis privilégiés ne forment pas «un tribunal de l Histoire» et leurs critères de jugement ne se fondent pas sur la véracité des faits, mais sur le plaisir que donne le texte. Ce n est 202 Delphine Denis, Le parnasse galant, op.cit., p C. A. Walckenaer fait une remarque intéressante : ayant lu le manuscrit de Chateaugiron sans en connaitre l auteur, il estime que le récit sur Maucroix est «tellement incohérent et obscur, que sans la connaissance préalable de l histoire générale et particulière de ces temps, il m eut été impossible de [ ] reconnaitre les personnages dont il parle, parce qu il les désigne par leur noms de baptême ou par les surnoms en usage seulement parmi leurs amis, ou dans leurs sociétés intimes» (voir la préface de Nouvelles œuvres diverses de La Fontaine, et poésie de François de Maucroix op. cit., p. xiii). Cela renforce l idée d un public très restreint. 204 Voir l article de Frédéric Briot, «du dessein des mémorialistes: la seconde vie» dans Le genre des Mémoires, essai de définition, Paris, Klincksieck, 1995, p

66 pas une apologie qu ils entendront, mais une conversation, un exercice de la vie mondaine où priment l amusement et le divertissement 205. Ce type d espace clos peut bien convenir à la circulation orale des Historiettes, mais Tallemant brouille souvent les pistes. C est ce qu il montre par exemple dans son introduction à l historiette sur «La Reyne de Pologne et ses sœurs» : Comme j ay dessein de mettre autant qu il me seroit possible tout de suitte ce qui tousche à l hostel de Rambouillet, j ay trouvé à propos d insérer icy la reyne de Pologne, et ses sœurs par occasion, parce qu elle aimoit fort Mme de Montauzier, et que je pretens finir par madame la Princesse, Mme de Longueville et les Precieuses. Après, nous reprendrons d autres gens : j ay cru que cette suitte divertiroit davantage 206. Cette déclaration ressemble à un Avis préfaciel et présente toutes les caractéristiques d une captatio benevolentiae. Il est possible qu il s agisse là d un stratagème d écrivain et d un public fictif, il n en reste pas moins que cette représentation d un auteur soucieux d une esthétique du divertissement mondain, très en vogue alors, correspond au profil de l homme de lettres qui veut plaire à son public. Mais ce métadiscours exprime aussi le comportement d un auteur qui se soucie d une esthétique formelle, d une mise en page spécifique, préoccupations qui ne seraient pas de mise s il ne s agissait que de raconter oralement. Il est donc possible que Tallemant n écartât pas une circulation par l écrit mais sans pour autant choisir une diffusion par l imprimé. Cette hypothèse est d autant plus plausible qu il évoluait dans un milieu d hommes de lettres qui publiaient leurs œuvres de cette manière. Nous avons aussi mentionné que Tallemant s adressait souvent à son lecteur pour lui 205 Ibid., p Pour F. Briot, l écriture des mémorialistes semble revêtir, par essence pourrait-on dire, tous les aspects d une cure, d une thérapie, le moyen d alléger une souffrance ou de guérir d un vide. Pour analyser cet aspect, il faudrait, pour chaque texte, reprendre les conditions de son écriture et le statut social du mémorialiste. 206 Historiettes, op.cit., t. 1, p. 584 (notons cependant que Tallemant ne suivit pas cet ordre, puisque les historiettes annoncées ne s y trouvent pas. Est-ce à dire que les Historiettes sont un manuscrit inachevé?). 58

67 rappeler son intention de rédiger une suite aux Historiettes (la formule «Comme nous verrons dans les Mémoires de la Régence» revient à plusieurs reprises 207 ). Ce type de connivence pourrait signifier qu il s adressait à un public au courant de l existence de son manuscrit, et qui se serait intéressé à lire la suite de ses anecdotes. De quel public s agissait-il alors? 2. La notion de public Le mot de public n a pas alors de sens spécifiquement littéraire ou artistique 208. Dans le Dictionnaire universel de Furetière, le terme est polysémique. Comme adjectif, c est un «terme relatif et collectif opposé à particulier, Le général des citoyens, ou des hommes ; la société civile» 209 mais il se dit aussi «en termes de droit» 210 ou «de ce qui est connu, et manifesté à tout le monde» 211 ou encore «d un lieu découvert qui n appartient à personne en particulier» 212. Publier est «rendre une chose publique. On publie des Édits et des Déclarations, lorsqu on les lit en pleine Audience, qu on les fait imprimer, & crier par les rues», mais «on publie souvent de fausses nouvelles en les disant de bouche en bouche [ ] On dit aussi d un indiscret qu il publie les faveurs de sa maitresse, lorsqu il s en vante. La médisance publie que 207 On ne sait pas si Tallemant a effectivement écrit ces Mémoires de la Régence. Même si rien ne le laisse supposer à date, puisqu aucune trace de ce manuscrit n a été retrouvée, on ne peut pas en écarter définitivement l existence. 208 Voir Éric Auerbach («La cour et la ville») cité par Hélène Merlin Kajman dans Public et littérature en France au XVII ème siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 35. H. Kajman explique comment le syntagme de «la cour et la ville» est l indice qui sur lequel se base Auerbach pour appréhender la notion de public au XVII ème siècle. Or, selon H. Kajman, «l évidence selon laquelle il faut connaitre la composition sociale du public littéraire pour comprendre la fonction de la littérature est typiquement une évidence de l époque moderne». En fait, pour les hommes du XVII ème siècle, cette stratification sociale n a pas de valeur référentielle. Les termes de public, de cour, ou de ville varient selon le contexte (H. Kajman propose deux exemples qui illustrent son commentaire : dans La Princesse de Clèves, le mot public désigne la cour, et dans ses Mémoires, le Cardinal de Retz se qualifie «d homme du public»). 209 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, «public», op.cit. 210 Ibid. 211 Ibid. 212 Ibid. 59

68 vous avez eu une mauvaise aventure» 213. Les définitions dans Le dictionnaire de la langue françoise de Pierre Richelet vont dans le même sens et s opposent encore au particulier, mais la notion d un public littéraire s y trouve aussi affirmée : «Qu Apollon inspire Despreaux, Perreau et Racine de donner quelques Poesies au public, & qu il détourne Colletet et Boursaut de continuer à persécuter le public de leurs ouvrages» 214. Il existe encore des variantes comme pour paraître en public qui veut dire prêcher publiquement, ou pour Public qui peut aussi signifier «prostitué à tout le monde», et, précise Richelet, «se dit alors des filles & des femmes» 215 alors que publier est l action de «rendre public, de divulguer» et suppose là encore un acte d indiscrétion que Richelet semble réprouver : «Il se trouve des gens qui publient les faveurs que leur font les belles, mais ces gens-là sont fous, & le plus souvent on ne les croit pas» 216. Ces variantes comportent une notion commune qu Hélène Merlin Kajman a résumée dans son travail en précisant que «publier» un texte équivaut alors à le faire circuler. Ce public au XVII ème siècle désigne les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs en tant que destinataires d un recueil de poésie, d une pièce de théâtre, ou d un roman. Alors que la Cour et la «ville» constituent un premier public, l émergence de ce qu on appellera plus tard les Salons et les Ruelles vont opérer une nouvelle configuration en créant un espace dans lequel l aristocratie urbaine improductive va se mêler aux groupes d écrivains, d artistes et de savants issues de la bourgeoisie, 213 Ibid. 214 Pierre Richelet, Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, Amsterdam, Jean Elzevir, Ibid. 216 Ibid. 60

69 mais dépendant de l autorité de leur hôte 217. L hôtel de Rambouillet fut le premier espace de ce genre qui, en se distanciant de la Cour et en accueillant un groupe socialement hétérogène qu unissait des liens de mondanité, va contribuer à dessiner les contours d un nouveau champ littéraire 218. Ces «enclaves particulières» 219 deviendront avec le temps des lieux de consécration littéraire parce qu ils détiennent souvent le monopole de la première publication, surtout pour les écrivains de métier qui venaient y lire leurs écrits pour en tester le succès 220. Peut-on alors avancer l hypothèse que Tallemant aurait «montré» des fragments de son manuscrit des Historiettes dans l un de ces espaces? Quel en aurait été l itinéraire? 3. Salons et sociabilités/loisir/otium Au XVII ème siècle, la littérature va se propager des cabinets savants vers les salons mondains. A. Génétiot souligne que les nouveaux salons qui naissent au début du siècle sont surtout un cadre où se développent la conversation et la civilisation des mœurs. Ainsi celui de la vicomtesse d Auchy, amie de Malherbe, qui reçoit à partir de Le salon de Mme des Loges se tient entre 1615 et 1629, et reçoit Malherbe et ses disciples Racan, Boisrobert, Godeau, Faret, Vaugelas, et Conrart. Le plus célèbre 217 Dans L espace public, J. Habermas précise que la ville siècle se réfère à la frange urbaine de la noblesse et la couche supérieure et très restreinte de la bourgeoisie qui se côtoyaient dans les théâtres parisiens. À l expression «aristocratie urbaine improductive» on présume que Habermas attache une notion à la fois économique et artistique puisque d une part l on sait que la noblesse ne travaillait pas et d autre part, le métier d auteur était perçu comme avilissant. Notons toutefois que l étude de J. Habermas porte sur le XVIII ème siècle. Dans la première partie du XVII ème siècle, cette configuration de l espace public avait commencé à émerger avec les salons comme lieux de rencontre dans des espaces ailleurs que la Cour (Jürgen Habermas, L espace public, [traduit de l allemand par Marc B. de Launay], Paris, Payot, 1992, p. 42). 218 Voiture est l exemple parfait de cette nouvelle configuration sociale. Fils d un marchand de vin, il devient, grâce à son esprit, l âme du salon de Madame de Rambouillet. Cependant, en dépit de cette apparente «tolérance», la distance de classe n est pas pour autant effacée tel que l illustre cette remarque du duc d Anguien que Tallemant rapporte : «Si Voiture estoit de nostre condition, il n y aurait pas moyen de le souffrir». (Historiettes, op.cit., t. 1, p. 489). Voiture peut se permettre certaines facéties qu on ne pardonnerait pas à un homme de qualité. 219 L expression est de J. Habermas, op.cit., p Voir Alain Viala, op.cit, p

70 fut l hôtel de Rambouillet, qui fut, entre 1630 et 1640, le centre qui concentre «l élite de la vie littéraire parisienne» 221. À la différence du XIX ème siècle, les salons du XVII ème siècle ne sont pas tous strictement voués à la littérature mais plutôt à l urbanité et aux jeux mondains. Ceux où la littérature l emporte, comme celui de la Vicomtesse d Auchy ou encore le salon précieux de Madeleine de Scudéry, sont plutôt qualifiés d «académies» 222. Ainsi se retrouvent d une part les mondains qui n apprécient pas les érudits et qui favorisent l image d un écrivain dilettante, pour qui l écriture est un divertissement 223. D autre part, il y a les écrivains de métier, comme Chapelain ou Pellisson; ceux-là se rencontrent plutôt dans les salons principalement voués aux activités littéraires. Tallemant devait préférer les salons mondains, car nous avons déjà vu dans quel mépris il enveloppe les pédants qu il appelle des Jean-de-lettres. Mais Il a aussi visité le cercle de la Vicomtesse d Auchy 224 dont il parle avec beaucoup d ironie : «jamais personne n a été si avide de lectures de comédies, de lettres, de harangues, de sermons même [ ] enfin, pour se donner au cœur joie et se rassasier de ces viandes creuses, elle s avisa de faire une académie où tour à tour chacun liroit quelque ouvrage» 225. Ce salon était alors en vogue, une «vraie cohue» écrit-il 226, et il précise 221 Voir Alain Génétiot, Le classicisme, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p Myriam Maitre décrit le salon de Mme de Scudéry comme un lieu qui «abritait l atelier d écriture de romans à succès» (voir son article «Les escortes mondaines de la publication», op.cit. p. 253). 223 Voiture, dont nous avons déjà parlé, fut le prototype même du mondain, dont la production de son vivant s est diffusée principalement parmi les habitués du salon de Mme de Rambouillet. 224 Madame d Auchy est l ancienne maitresse de Malherbe ; elle fonda une académie chez elle en Il faut savoir que dans une lettre de Chapelain à Godeau (l évêque de Grasse), celui-ci se défend de fréquenter cette «Académie féminine» et emploie aussi le mot «cohue» pour décrire le lieu. Pour Chapelain, ce salon est «l antipathe» de l Hôtel de Rambouillet (Lettres de Jean Chapelain publiées par Ph. Tamizey de Larrocque, Paris, imprimerie nationale, , lettre du 18 février 1638, p ). 225 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p

71 qu il y fut «une fois par curiosité» 227. Il y a aussi tout lieu de croire qu il a fait aussi partie des «Samedy» de Mademoiselle de Scudéry, puisque, d après Émile Magne, il y fut introduit par Conrart. Il semblait assez lié avec l auteur de Clélie. Dans son historiette, il rapporte des échanges sur un ton amical : «Elle m a conté qu estant encore fort jeune fille, un D. Gabriel, [ ] qui était son confesseur, luy osta un roman où elle prenait bien du plaisir» 228, ou encore sur le ton de la confidence : «Elle se plaint fort de la fortune, et me conta un tesmoignage de leur malheur qui est assez extraordinaire» 229. Nous avons déjà mentionné qu on retrouve parmi ses manuscrits des feuillets de correspondance entre Godeau (le Mage de Sidon) et Mlle de Scudéry (Sapho) 230, qui montre bien cette proximité entre l auteur des Historiettes et celle de Clélie. Contrairement au salon mondain de Madame de Rambouillet, l espace où se rassemblait le groupe Mlle de Scudéry ressemblait à un cabinet littéraire. Tous les piliers de l Académie s y croisaient : Chapelain, Conrart et Pellisson mais aussi Sarrasin, La Fontaine ou d Ablancourt 231. C est là que s élabore La Carte de Tendre, c est aussi lors de ces réunions que le groupe écrit lettres et madrigaux que Pellisson réunit sous Les chroniques du Samedy. Tallemant «en trie ce qu il y a de meilleur», et ces extraits se retrouvent aujourd hui dans le manuscrit 672 de La Rochelle 232. A. L Hôtel Rambouillet Les Historiettes font de multiples références à l hôtel de Madame de Rambouillet et c est pour cela que le nom de Tallemant peut y être rattaché. 227 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Voir Annexe I, p Émile Magne, La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Émile-Paul Frères Éditeurs, MCMXXII, pp Historiettes, t. 2, p

72 Parler du salon de Madame de Rambouillet est un anachronisme puisque l usage du mot est encore inconnu au XVII ème siècle. Les définitions que donnent Furetière ou Richelet du mot «salon» n ont rien à voir avec ce qui devint plus tard un concept abstrait synonyme d un espace mondain ou littéraire 233. De plus, l Hôtel Rambouillet fut avant tout un salon aristocratique qui reçut les plus grands noms de France, ceux-là mêmes que la Marquise avait connus lorsqu elle fréquentait le Louvre de Henri IV. Il faut souligner que pour l aristocratie du siècle de Louis XIII, l otium 234 ne se tient pas à la cour mais plutôt à la ville 235. Raffinée et cultivée, Madame de Rambouillet créa un espace de loisir propice à ces rencontres entre aristocrates et hommes de lettres 236. Pour les habitués de la chambre bleue, la littérature est avant tout une forme de sociabilité, un divertissement qui reste une activité parmi d autres 237. Même s il est difficile aujourd hui de concilier l image du mondain oisif 233 Dans le Dictionnaire de Furetière, le salon est une «grande sale for élevée, & couverte en cintre La mode des Salons nous est venue d Italie. On reçoit d ordinaire les Ambassadeurs dans un Salon». Antoine Lilti précise que l idée du Salon qui désigne un lieu où «l on reçoit compagnie, et particulièrement bonne compagnie, et où l on cause» ne s est imposée que vers le début du XIXème siècle (Antoine Lilti, op.cit., p. 11). Les références que nous avons faites au salon de Madame de Rambouillet ou à d autres salons désigneraient plutôt des notions de sociabilité. 234 Pour Pierre Richelet, «Loisir» et «Otium» sont synonymes, et signifient «le tems qu on est débarassé d affaires» (voir Le dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, tome second, à Paris, aux dépens de la Compagnie, 1740, p. 352). 235 Nicolas Faret estime que l atmosphère de la Cour «est si importune, que les meilleurs entretiens s en ressentent» et recommande de «descendre à la ville et regarder qui sont celles d entre les Dames de condition que l on estime les plus honnestes Femmes, & chez qui se font les plus belles assemblées, et s il se peut se mettre dans leur intrigue» (voir L honnête homme ou l art de plaire à la cour, à Strasbourg, imprimé par Ebrehad Welper, 1664, p ). 236 Alain Génétiot parle de l «honnête loisir» qui est celui «d une petite élite de la naissance et de l esprit - la première pensionnant la seconde». Le loisir «appartient de droit à l aristocratie et tout particulièrement à la dame noble". C est une fois qu il est débarrassé des affaires de la diplomatie ou des soucis de la guerre que le noble peut s adonner à la conversation polie des honnêtes gens. Dans la Clélie de Madeleine de Scudéry, Amilcar (le pseudonyme du poète Sarasin) s exprime ainsi : «En effet, dit Amilcar, un Plaideur qui parle de son procez à ses juges, un Marchand qui négocie avec un autre, un Général d armée qui donne des ordres, un Roy qui parle de politique dans son Conseil; tout cela n est pas ce qu on doit appeler Conversation» (Cité par Alain Génétiot dans «Otium Literatum et poésie mondaine en France de 1625 à 1655», dans Le loisir lettré à l âge classique, essais réunis par Marc Fumaroli, philippe-joseph Salazar et Emmanuel Bury, Droz, 1996, p. 215). 237 Dans l historiette sur la Marquise de Rambouillet, Tallemant évoque les différentes activités qui sont mises en scène à l Hôtel : nous avons évoqué le spectacle des demoiselles vêtues en nymphes. Des farces s y jouent, notamment celle aux dépens du comte de Guiche qu on invita à souper en ne lui servant que des mets qu il n aimait pas. Voiture, écrit Tallemant, «divertissoit tousjours les gens, 64

73 qui passe son temps dans les salons et celle de l écrivain appliqué dans la solitude de son cabinet de travail 238, Il faut rappeler que les salons font partie intrinsèque du champ littéraire émergeant. Ils sont alors les lieux de consécration qui supportent et encouragent leurs auteurs, mais surtout ils en sont souvent le premier public 239. Ainsi, à la question de diffusion et de circulation d une œuvre au XVII ème siècle se greffe systématiquement celle des Salons et des Sociabilités puisque ces lieux de médiation facilitent les relations entre un public mondain et l auteur qui cherche à lui plaire, et favorisent l élaboration des réseaux de protection et de gratification. L effet de «capillarité» qu Alain Viala évoque pour expliquer cette relation symbiotique est une image qui reflète bien la dynamique à deux sens qui s opère : les écrivains s inspirent des goûts de l élite sociale avec laquelle elle est en contact, et en retour, cette élite sociale se flatte de pouvoir converser avec les auteurs, d être tenue au courant des nouveautés littéraires 240. Mais cette capillarité ne doit pas empêcher de regarder les contradictions d une dynamique dont les axes restent inégaux : en effet, l autonomisation progressive de la figure de l auteur ne peut s accomplir qu au prix tantost par des vaudevilles, tantost par quelque folie qui luy venoit dans l esprit» (Historiettes, t. 1, p. 491). 238 En 1783, Louis Sébastien Mercier trace un tableau très vivant du mondain qui court de salon en salon : «Le beau monde consacre quatre ou cinq heures deux ou trois fois la semaine à faire des visites C est le jour de la maréchale, de la présidente, de la duchesse. Ces allées et venues dans Paris distinguent un homme du monde ; il fait tous les jours dix visites ; et lorsqu il a mené cette vie ambulante et oisive, il dit avoir rempli les plus importants devoirs de la société» (Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris (1783), Paris, Mercure de France, 1994, t. 1, p ; cité par A. Lilti, op.cit., p. 59). D après Roger Lathuillère, cette image du mondain du XVIII ème siècle ne serait pas éloignée de celle du XVII ème siècle : «les écrivains et les gens du monde vont et viennent d un salon à un autre, ne faisant que passer ou s arrêtant plus longuement, selon leur humeur ou leurs affinités du moment, de l Hôtel de Rambouillet au Samedi de Sapho ou au mercredi de Ménage, de la chambre de Scarron à la petit cour de Vaux» ( La préciosité : Étude historique et linguistique, Genève, Droz, 1969, Vol. 1, p. 78). 239 Dans une lettre de 1637 à M. De La Picardière, Chapelain écrit : «Monsieur, je dois lire aujourd huy le premier livre de la Pucelle à Madame la marquise de Rambouillet» (Chapelain, op.cit., p. 172). Nous savons aussi par Voiture que «le petit Bossuet de Dijon» y fut mené par M. Arnaut pour donner à la Marquise «le divertissement de le voir prescher» (Historiettes, t. 1, p. 500). Le salon sur lequel règne la «belle Arthénice» (anagramme que Malherbe créa à partir de Catherine, prénom de la marquise) influence le mouvement littéraire et assure à ses habitués l audience de la bonne société. 240 Voir à ce sujet les explications d Alain Viala dans La naissance de l écrivain, op.cit. p ainsi que celles d Antoine Lilti, op.cit., p

74 d une dépendance vis-à-vis du pouvoir car c est grâce à la protection du mécène ou du patron que l auteur peut accéder à la notoriété et évoluer dans ce cercle 241. On «appartient» au Cardinal de Retz, à Richelieu ou à Foucquet, et on ne craint pas d afficher cette dépendance qui est perçue comme un signe de réussite. Ainsi Foucquet qui «aime les vers burlesques» pensionne Scarron même si celui-ci est un proche de Retz 242 ; Boisrobert «fut à la Reyne-mère», ensuite il «s attacha au Cardinal de Richelieu», Ménage appartient à l abbé de Retz 243. L hôtel Rambouillet est, au début du siècle, l espace le plus en vue et le lieu où se presse cette société composite que Tallemant met en scène dans les Historiettes. Ce ne fut pas, on l a vu, le seul groupe auquel il appartint, mais certainement celui qui laisse le plus de traces textuelles dans son œuvre. A défaut d une biographie exhaustive de l auteur des Historiettes, il nous est difficile de préciser la date à laquelle il commença à fréquenter ce salon 244. Celle que suggère Antoine Adam est 1633, date à laquelle il aurait collaboré à la Guirlande de Julie. Mais cela reste hypothétique puisque Tallemant, né en 1619, n aurait alors que 241 Les questions de mécénat et de clientélisme ont été développées par Alain Viala dans La naissance de l écrivain. Viala explique notamment les différences qui régissent ces deux approches : le clientélisme est «une logique de service» qui donnait le moyen à un auteur de «gagner» un salaire en remplissant une charge précise : précepteur, intendant ou autre, ou encore en appuyant son protégé pour lui faire obtenir des charges dans l administration. Le mécénat se base sur une «logique de la reconnaissance», il s agit ici plutôt de récompense, d une légitimation mutuelle : lorsque La Fontaine offre son Adonis à Foucquet, le geste atteste la grandeur et le bon goût du mécène et en retour, Foucquet octroie une généreuse gratification à l auteur reconnait publiquement son talent (Alain Viala, op.cit., pp 53-55). 242 Historiettes, t. 2, p.681. Dans ses notes, A. Adam précise que c est Pellisson qui attira l attention de Foucquet sur le poète. Scarron en retour dédia un poème au surintendant (p. 1447). La générosité de Foucquet s exerçait d ailleurs envers un grand nombre d homme de lettres : Pellisson fut son secrétaire le plus intime, mais il y eut aussi Perreault, Gombauld, Corneille, la Fontaine. Sa disgrâce qui survint en 1661 entraina celles de certains de ses fidèles comme Pellisson. 243 Ibid., t. 2, p Il n existe en effet aucune biographie exhaustive de Tallement. Émile Magne est l auteur d une qui, écrite d après des documents inédits, reste malgré tout approximative et relativement romanesque (voir La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux, Paris, Émile-Paul Frères Éditeurs, MCMXXI, et La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Émile-Paul Frères Éditeurs, MCMXXII). La dernière en date, d Henri Pigaillem, sortie en 2010, n ajoute pas de nouvelles informations à celle d E. Magne, et nos recherches dans ce domaine ne nous ont pas encore permis de nous appuyer sur d autres écrits qui fourniraient des précisions. 66

75 quatorze ans 245. On doit aussi écarter l idée d une circulation par l écrit des Historiettes parmi la société de l Hôtel et ce pour plusieurs raisons, la plus évidente étant le fait que cette société se dissout peu après 1647, donc bien avant que Tallemant ne se mette à rédiger 246. Cependant, c est dans ce salon que pourraient s inscrire les modalités d une circulation orale qui aurait précédé leur mise en écriture. Il faut souligner que certaines historiettes sont déjà publiques pour avoir préalablement circulé parmi le groupe, et on peut les retrouver dans d autres recueils ou dans des correspondances, celles de Chapelain, de Balzac ou encore dans l Histoire de l Académie de Pellisson. Tallemant lui-même en divulgue souvent la source, comme dans l historiette de La Marquise de Rambouillet où il écrit : «C est d elle que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j ay escrit et que j escriray dans ce livre» 247. Les Historiettes seraient donc la mise en récit de la parole entendue, une sorte de compilation de conversations dans lesquelles l auteur se serait trouvé témoin, ou encore de conversations rapportées. Comme tout récit, elles exhibent un arsenal narratif et des stratagèmes rhétoriques et esthétiques dans le but de produire un effet peut-être au sein même de l espace social qu elles reproduisent et 245 Voir l Introduction d Antoine Adam, Historiettes, t. 1, p. x. Même si la date évoquée par A. Adam reste hypothétique, elle n est pas tout à fait invraisemblable. À l époque, beaucoup de poètes et des gens de lettre commencent très jeunes. 246 Antoine Adam, Histoire de la Littérature Française au XVII ème siècle, Paris, Éditions Mondiales, 1962, t. 2, p. 38. Rappelons que 1657 est la date qui apparait au bas du préambule qui précède les Historiettes. Une des marques énonciatives qui apparait dans l historiette de Madame de Rambouillet confirme cette date : en effet Tallemant y fait allusion à l âge de la marquise qui aurait alors «près de soixante-dix ans» ; d après Antoine Adam, elle mourut en décembre 1665, ce qui confirme que l historiette fut écrite vers (Historiettes, op.cit., t. 1, p. 454). 247 Tallemant des Réaux, op.cit., t. 1, p Tallemant fait cette remarque après avoir affirmé que la Marquise a «l esprit aussy net, et le memoire aussy presente que si elle n avoit que trente ans» ce qui laisse évidemment supposer qu elle était déjà relativement âgée lorsqu elle lui racontait ses histoires. Nous sommes donc confrontés à une double reconstruction, celle de la Marquise et celle de Tallemant. La question de la fiabilité de l anecdote n est pas en jeu dans ce chapitre, elle sera pesée et commentée plus loin. L objet de notre propos ici reste porte sur la diffusion et la circulation d une œuvre à partir des configurations des sociabilités mondaines au XVII ème siècle telles qu elles sont véhiculées par le récit de Tallemant, ainsi qu aux influences que ces sociabilités ont exercé sur le champ littéraire. Comme telle, l anecdote n est pas seulement source de l analyse, elle en est également l objet (Voir A. Lilti, Le monde des salons, op.cit. p. 13). 67

76 que nous développerons dans un chapitre à part. Le discours oral et collectif s est développé avant la naissance du texte qui ne fait que le cristalliser sous une forme écrite. Les traces d oralité sont disséminées tout au long du texte comme le montre l omniprésence de ce champ sémantique : «j ai ouï conter on dit que on raconte que On parle de Je tiens cela de». Dès lors, l écriture des Historiettes serait postérieure à leur diffusion, elle serait en quelque sorte son prolongement. C est que comme dans tout groupe qu unit ou sépare les mêmes intérêts, les mêmes rivalités et les mêmes jalousies, qui fréquente les mêmes cercles et dont la survie et la renommée souvent dépendent des mêmes personnages, les louanges tout comme les médisances y circulent en tout temps, soit par écrit, au moyen de lettres, d épitres, de libelles ou encore par oral. Dans ce cercle, l auteur est aussi en même temps le public/destinataire d une même histoire ou d un même événement qui sont racontés différemment 248. La représentation que Tallemant élabore du salon de Madame de Rambouillet permet de reconstituer certaines des composantes du champ littéraire émergeant, et principalement les diverses modalités qui entourent la publication d une œuvre, et par là même celles qui s appliqueraient à l œuvre de Tallemant lui-même. La publication de La Guirlande de Julie en est un exemple. Cette œuvre collective à laquelle participèrent la plupart des habitués du salon 249, des hommes de lettre comme Chapelain, Conrart, Sarazin, Arnaud d Andilly, mais aussi Montausier et Monsieur de Rambouillet, illustre justement les modalités de circulation d un manuscrit parmi un groupe qu unissent des liens à la fois mondains et littéraires. Tallemant des Réaux fut 248 On a déjà souligné ces redondances lorsqu on a mentionné le salon de Madame d Auchy dont la description se retrouve dans les Historiettes de Tallemant et dans les Lettres de Chapelain. Les deux auteurs emploient d ailleurs le même terme («cohue») pour en décrire l atmosphère. 249 Nous avons déjà évoqué cette œuvre au chapitre I

77 l auteur d un des madrigaux qui font partie du recueil de La Guirlande de Julie 250, et qu il qualifie «d une des plus illustres galanteries qui ayent jamais esté faittes [ ]» 251 : Le Lys Devant vous je pers la victoire Que ma blancheur me fit donner, Et ne préten plus d autre gloire Que celle de vous couronner. Le ciel, par un honneur insigne, Fit choix de moy seul autrefois, Comme de la fleur la plus digne Pour faire un present à nos Roys. Mais si j obtenois ma requeste Mon sort serait plus glorieux D estre monté sur vôtre teste Que d estre descendu des Cieux. Nous avons déjà fait allusion à cette œuvre qui fut offerte par Montausier à Julie d Angennes. Le manuscrit, sous la plume minutieuse et inhabituellement admirative de Tallemant, prend toute sa dimension d objet-fétiche, c est indubitablement un objet de luxe, un objet précieux que ce riche mondain apprécie à sa juste valeur : Toutes les fleurs en estoient enluminés sur du vélin, et les vers escrits sur du velin aussy, en suitte de chaque fleur, et le tout de cette belle écriture dont j ay parlé. Le fronstispice du livre est une guirlande au milieu de laquelle est le titre : LA GUIRLANDE DE JULIE Pour Mademoiselle de Rambouillet Julie-Lucine D Angennes. Et à la feuille suivante, il y a un Zephire qui espand des fleurs. Le livre est tout couver des chiffres de Melle Rambouillet. Il est relié de maroquin de Levant 250 Qualifiée par M. Huet de «le chef-d œuvre de la galanterie», et par Tallemant d «une des plus illustres galanteries qui ayent jamais esté faittes», La Guirlande de Julie est un recueil de madrigaux offert par le duc de Montausier à Julie d Angennes, la fille de la marquise de Rambouillet (voir Historiettes, t. 1, p. 461). Parmi les auteurs de madrigaux, on retrouve Chapelain, Malleville, Colletet, d Andilly, etc. 251 Historiettes, t. 1, p

78 des deux costez, au lieu qu aux autres livres il y a du papier marbré seulement. Il a une faussse couverture de frangipane 252 La belle écriture dont il parle est celle de Jarry, «cet homme qui imite l impression, et qui a le plus beau caractère du monde» 253. Le recueil est une œuvre polyphonique, elle porte l empreinte du groupe qui fréquente l Hôtel, et en reflète bien l esprit. Ce salon qui est alors le seul cercle mondain qui a maintenu un équilibre entre urbanités et activités littéraires est décrit par Chapelain dans une de ses lettres à Balzac en mars 1638 comme le lieu où «on n y parle point sçavamment, mais on y parle raisonnablement» et comme «le lieu au monde où il y ait plus de bon sens, et moins de pédanterie» 254. D après Charles-Louis Livet, c est dans ce salon que le langage acquit une décence qui manquait partout ailleurs et ce fut là que naquit l esprit de conversation 255. Les portraits qu on a fait de la marquise de Rambouillet sont unanimement flatteurs, tous chantent les louanges de la salonnière qui sut rassembler sous son toit une société mixte d aristocrates et d hommes de lettres 256. Même sous la plume habituellement mordante de Tallemant, son portrait reste élogieux, il loue son sens de l amitié, sa charité et sa droiture, quoique cette construction ne manque parfois pas de failles 257. Dans tous les cas, avec ses amis dont 252 Historiettes, t. 1, p Ibid. p. 452, t.1, Nicolas Jarry est ce même calligraphe qui a travaillé sur un autre manuscrit aussi luxueux, celui d Adonis que La Fontaine avait offert au Surintendant Foucquet. On en retrouve la description dans Le poète et le roi, op.cit., p Dans La plume et le plomb, François Moureau souligne que cet art calligraphique perpétue le style de livre à peintures médiéval (op.cit., p. 504). 254 Voir les Lettres de Jean Chapelain, op.cit., p. 215 (la lettre du 22 mars 1638). Chapelain est aussi de ceux qui vilipendent la pédanterie qui règne un peu partout, «dans la Cour aussy bien que dans les Universités, et qui se trouve aussy bien parmy les femmes que parmy les hommes». Il y dessine aussi le profil de «la femme savante» que nous retrouverons plus tard chez Molière. 255 Charles-Louis Livet, Précieux et précieuses, caractères et mœurs littéraires du XVII ème siècle, Paris, Didier et Cie, 1859, p. iv. 256 Il faut préciser que le salon de madame de Rambouillet fut à une certaine époque la cible de ceux qui le considérait comme un repère de «précieuses ridicules» tel que stigmatisé par Molière. Son image a été réhabilitée grâce au travail de Pierre Louis Roederer et de Victor Cousin. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons la réception des Historiettes au XIX ème siècle. 257 Madame de Rambouillet, écrit Tallemant, «ne conçoit pas plus de grand plaisir que d envoyer de l argent aux gens, sans qu ils puissent savoir d où il vient» (Historiettes, t. 1, p. 444). 70

79 madame la Princesse et le cardinal de la Valette, son hôtel, écrit Tallemant, devient «le théâtre de tous leurs divertissements [ ] le rendez-vous de ce qu il y avoit de plus galant à la Cour, et de plus poly parmy les beaux-esprits du siècle» 258. Il faut souligner que le terme galant/galanterie qui revient si souvent dans le vocabulaire du XVII ème siècle en général et dans celui de Tallemant en particulier, peut prêter à confusion tant les codes auxquels il renvoie sont contradictoires 259. Dans ce contexte, il s agit indubitablement de ce qu A. Viala appelle «la belle galanterie», et plus précisément d une certaine pratique de la sociabilité qui implique l usage de la conversation 260. Cet espace culturel ainsi représenté par Tallemant n est pas sans en évoquer un autre, plus romanesque, et immortalisé sous la plume de Madame de La Fayette : «La magnificence et la galanterie n ont jamais paru en France avec tant d éclat que dans les dernières années de Henri Second». Ce salon évoque dans sa magnificence la cour des Valois, qui inspire encore une nostalgie à ceux qui, comme la marquise, jugent sévèrement les manières de la cour d Henri IV et de celle de Louis XIII 261. Surtout, en associant galanterie et politesse, et en soulignant la mixité de ce groupe composé à la fois de gens de la Cour et d hommes de lettres, Tallemant entreprend de représenter la société de l hôtel de Rambouillet comme un otium à la En revanche, nous avons déjà relevé les remarques de la Marquise envers Chapelain. Elle n aimait pas Costar dont les manières lui déplaisaient et ne voulut jamais le recevoir (Historiettes, t. 2, p. 296). On retrouve une autre occasion où elle fait preuve d une certaine méchanceté : lorsque Malherbe dédia ces vers à la vicomtesse d Auchy où il écrit : «Amour est dans ses yeux, il y trempe ses dards», «Madame de Rambouillet», écrit Tallemant, «disoit qu il avoit raison, car ses yeux pleuroient presque toujours, et l Amour y pouvait trouver de quoi tremper ses dards tout à son aise» (Historiettes, t. 1, p. 132). 258 Historiettes, t. 1, p Magendie note que l hôtel de Rambouillet «a effacé par son éclat tous les salons qui l avaient précédé» et il souligne que les écrivains l ont tous unanimement loué (M. Magendie, La politesse mondaine, op.cit., p. 122). 259 Dans son ouvrage La France galante, Alain Viala en trace l historique et relève les multiples interprétations qu en donnent alors les dictionnaires de l époque. Nous ne reprendrons pas ici cet inventaire mais nous soulignerons quand il le faut à quel sens le terme renvoie. 260 Alain Viala, La France galante, op.cit., p Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, Gallimard, 1972, p Par ailleurs, Chapelain se réfère à une lettre de Balzac dans laquelle le salon de Madame de Rambouillet est représenté comme «une partie du monde égale en grandeur aux plus illustres de l antiquité» (Lettres de Jean Chapelain, op.cit., p. 218). 71

80 fois lettré et mondain, un locus amoenus qui n est pas sans évoquer celui de L Heptaméron de Marguerite de Navarre : Il y a au pié du Chasteau une fort grande prairie, au milieu de laquelle, par une bizarrerie de la nature, se trouve comme un cercle de grosses roches, entre lesquelles s élevent de grands arbres qui font un ombrage très agréable 262. Ce lieu privé, mais en même temps propice à la conversation entre intimes, est comme le prolongement du Salon. Il est ce «jardin, lieu clos par excellence, qui est un appel à la promenade, au repos, à la rêverie» 263. Il est aussi le lieu dans lequel on peut mettre en scène la vie sociale et mondaine, comme en témoigne le récit qui raconte le spectacle organisé par Madame de Rambouillet pour surprendre un de ses amis : «Mademoiselle de Rambouillet et toutes les demoiselles de la maison, vestues en nymphes, assises sur les roches, faisoient effectivement le plus agréable spectacle du monde» 264. A plusieurs reprises, Tallemant a souligné l importance que Madame de Rambouillet accorde à son salon qu elle partage avec ses invités, et comment elle l a véritablement transformé en un véritable théâtre mondain. Il décrit avec force détails comment elle dessina elle-même les plans des pièces dans lesquels elle recevait et comment elle en modifia l architecture et la couleur (d ailleurs son salon devint connu sous le nom de la chambre bleue et une série d alcôves et d oratoire composaient son appartement). Elle aménagea aussi, écrit-il, «une cascade, un jet et une nappe d eau dans le bassin où la cascade tomboit; un autre bassin en suitte avec un gros bouillon d eau, et au bout de tout cela un grand carré, où il y a un jet d eau d une hauteur extraordinaire. Adjoustez que tout ce que je viens de vous représenter est ombragé des 262 Historiettes, t. 1, p Voir le chapitre intitulé «Loisir, retraite, solitude» de Bernard Beugnot, dans Le loisir lettré à l âge classique, op.cit., p Historiettes, t. 1, p Ces deux espaces (le salon et le jardin) sont ceux que l historien de la littérature associe à l activité scripturale ou langagière : le jardin, lieu de jouissance sur le mode de la pastorale et le salon et la ruelle, pièces réservées à la conversation entre intimes dans un espace privé, à la lecture ou à l écriture (à ce sujet, voir les interprétations de Bernard Beugnot dans le chapitre cité plus haut, p ). 72

81 plus beaux arbres du monde» 265. Ces deux espaces, le salon et le jardin, sont ceux que l historien de la littérature associe à l activité scripturale ou langagière : le jardin comme lieu de jouissance sur le mode de la pastorale, et la ruelle et le salon, pièces réservées à la conversation entre intimes dans un espace privé, à la lecture ou à l écriture 266 : c est dans cet espace privé, écrit Tallemant, que Madame de Rambouillet «lit toute une journée sans la moindre incommodité, et c est ce qui la divertit le plus» 267. Ainsi elle correspond certainement au portrait que donne Nicolas Faret de l honnête femme «chez qui se font les plus belles assemblées». D après le portrait qu en donne Tallemant qui la décrit comme «une personne habile en toute chose [ ], d humeur à se divertir de tout [ ], à l esprit délicat» 268, une femme fidèle en amitié, une épouse loyale et un esprit lettré, la marquise répond à l idéal d honnêteté qui s applique aussi bien aux hommes qu aux femmes: l honnête homme est celui qui excelle «en tout ce qui regarde les agrémens et les bienséances de la vie» 269 car «l honnêteté est le comble et le couronnement de toutes les vertus» 270. Dans ce salon se trouve ainsi illustré ce que Marc Fumaroli appelle «la triade classique et naturelle du lieu de la conversation : grandes dames, gentilshommes, gens 265 Historiettes, t. 1, p A ce sujet, voir l interprétation de Bernard Beugnot, op.cit., pp Historiettes, t. 1, p Marc Fumaroli, «La conversation», op.cit., p (Il faut aussi souligner ici le sens que le Dictionnaire de Furetière donne à Conversation : «entretien familier ou dans les visites...la conversation est le lien de la société ; c est par elle que s entretient le commerce de la vie civile, que les esprits se communiquent leurs pensées, & que les cœurs expriment leurs mouvements À ce sujet, voir l interprétation de Bernard Beugnot, «Loisir, retraite, solitude», op.cit., pp ). 267 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Chevalier de Méré, Œuvres complètes, Paris, Éditions Fernand Roches, 1930, t. 3, pp La question de l honnête homme au XVII ème siècle a fait l objet de plusieurs études, les plus notables étant celles par Nicolas Faret et par le Chevalier de Méré, déjà cités. Voir l analyse qu en propose aujourd hui Emmanuel Bury dans Littérature et politesse, l invention de l honnête homme , op.cit. 270 Ibid. Marc Fumaroli estime que c est ce profil d «honneste femme» qui contribue à créer un espace où peut s épanouir une sociabilité nourrie par une conversation mondaine et savante. C est elle qui rend possible le dialogue entre nobles et gens de lettres, (Marc Fumaroli, «La conversation», op.cit. p. 3632). 73

82 de lettres» 271. Cette triade est fréquemment représentée dans les Historiettes, dans lesquelles l homme de lettres, Voiture par exemple qui en est alors la parfaite illustration, est reçu par Madame de Rambouillet, et se lie d amitié avec son fils le marquis de Pisani 272. Selon Marc Fumaroli, la conversation, matrice de la langue française, est une pratique sociale et collective, un genre littéraire, et la forme originelle de toute littérature qu elle nourrit et dont elle est nourrie 273. Cette théorie se trouve justifiée dans le cas des Historiettes qui apparaissent comme une transposition écrite de conversations entendues ou rapportées 274 ; retransmises sous formes d anecdotes, elles visent à produire un effet au sein même de l espace mondain qu elles représentent 275. Produire un effet, n est-ce pas influencer son public? Si telle est leur intention, comment ne pas présumer que Tallemant en a fait circuler certaines versions, soit sous forme orale, soit sous celle du feuillet manuscrit. Et si l on accepte cette hypothèse, l image de la «capillarité» que suggère 271 Marc Fumaroli, ibid., p Il faut aussi souligner ici le sens que le Dictionnaire de Furetière donne à Conversation : «entretien familier ou dans les visites...la conversation est le lien de la société; c est par elle que s entretient le commerce de la vie civile, que les esprits se communiquent leurs pensées, & que les cœurs expriment leurs mouvements Se dit aussi des assemblées de plusieurs personnes sçavantes et polies». Furetière insiste sur l importance de savoir «parler en conversation» c est-à-dire de ne pas parler comme dans les livres (Antoine Furetière, op.cit.). 272 Pinchesne qui édita les Œuvres de Voiture rappelle que le poète avait «plusieurs talents avantageux dans le commerce du monde, et entre autres ceux de réussir admirablement en conversation familière» ce que Tallemant confirme lorsqu il rapporte une boutade de Madame de Rambouillet : «pensiez-vous que c estoit pour sa noblesse ou pour sa belle taille, qu on le recevoit partout comme vous avez veû?» (Historiettes, op.cit. t. 1, p. 499). 273 Il faut souligner que cette théorie de la conversation comme «matrice» de la langue française fut remise en question par certains. Selon M. Fumaroli, le salon est l espace «apolitique de l otium lettré et aristocratique, où le raffinement du langage permettrait une rencontre harmonieuse entre élites sociales et intellectuelles». Or cette perspective ignore l histoire sociale des salons, qui sont souvent le théâtre de conflits sociaux et politiques et non seulement «des espaces pacifiés». (Antoine Lilti, Le monde des salons, Fayard, 2005, p ). Cette remise en question trouve un écho dans les Historiettes, puisque Tallemant qui fréquentait le mythique salon de Rambouillet, n a pas manqué de représenter une image beaucoup moins «pacifiée» de ce lieu. 274 Nous avons déjà mentionné que les traces discursives présentes dans les Historiettes supportent l hypothèse d une mise en récit de l oralité puisque la parole est partout signalée comme source du récit. 275 Voir Antoine Lilti, Le monde des salons, op.cit., p. 13. (Par ailleurs, l anecdote comme mode d écriture historique et comme forme narrative brève dans les Historiettes fera l objet d une analyse à part). 74

83 Alain Viala pour décrire la relation symbiotique entre les auteurs et l élite sociale dans les salons peut être tout aussi pertinente pour expliquer celle qui existe entre les Historiettes et leur public et l effet mimétique qui en résulte. À partir de ce constat, on peut avancer l hypothèse d une circulation réflexive des Historiettes : née des conversations entendues ou rapportées dans l espace mondain où elle s inscrit, l anecdote, une fois couchée sur le papier, peut retourner à cet espace dans lequel elle a déjà circulé et qui est à la fois espace public, lieu d invention et de réception. Elle serait donc à la fois la représentation et le produit de la sociabilité dans l espace qui l héberge. Grâce à ce schéma, les destinataires des historiettes pourraient être ceux-là même qui en seraient l origine, un public évoluant dans le salon de la marquise, ce qui permettrait de supposer que le public de Tallemant fût parmi les habitués de ce salon. Cependant, quoique séduisante, l hypothèse d une circulation dans le cadre du salon de Madame de Rambouillet n est pas très plausible puisque, comme nous l avons déjà mentionné, les Historiettes furent rédigées après le déclin de ce salon. Ainsi, Il y a lieu de s interroger si cette mise en écriture d histoires rapportées n est qu une illusion de conversation produite par le pouvoir de l écrit, ou leur re-création. B. Les Paladins de la Table Ronde Tallemant fut aussi le chef de file d un autre groupe, auquel La Fontaine, qui n est encore qu un «garçon de belles-lettres et qui fait des vers», Maucroix et d autres amis se sont associés, et dans lequel on se donnait des noms de «chevalier» ou de «paladin» de la Table Ronde 276. Dans le manuscrit se trouve ici et là 276 Voir Pierre Clarac, La Fontaine, l homme et l œuvre, Paris, Boivin et Cie, 1947, p. 12) : P. Clarac explique que «les Chevaliers de la Table ronde» avaient formé une petite académie et se réunissaient tous les jeudis. Ce groupe était composé de Tallemant, Pellisson, Maucroix, Cassandre et la Fontaine, auxquels se joignaient Charpentier, Furetière, et Antoine Rambouillet de la Sablière, beau-frère de Tallemant. Selon P. Clarac, ces détails se trouvent dans les épitres de trois d entre eux : Pellisson, 75

84 quelques vers de La Fontaine; l un de ceux-là s intitule «Extrait de La Fontaine, disciple de Marot» 277. D après Marc Fumaroli, c est l auteur des Historiettes fervent admirateur du «style troubadour» qui donne son nom au groupe, qui en est aussi le boute-en-train, et qui, familier avec Conrart et Pellisson, fait le premier trait d union entre la «Table ronde» et l Académie 278. On sait que Tallemant était passionné de romans de chevalerie : dans un chapitre des Historiettes qui s intitule «Les amours de l autheur», il cite son frère ainé qui s adresse à lui en l appelant «chevalier», et explique qu on l appelait ainsi parce qu il était «fou de l Amadis» 279. Il y évoque aussi des personnages dont les noms puisent dans ce répertoire : Lisis, Tirsis et Cerilas 280. Le cercle des «Paladins de la Table ronde» se réunit entre 1645 et 1648 et rassemble Maucroix, Furetière, Charpentier, Perrot d Ablancourt, Tallemant, avec Maucroix et Cassandre et il cite Pellisson, dans une lettre à Doneville, vers 1651 : «Nous avions accoutumé de nous assembler dix ou douze, tous les jeudis, pour conférer ensemble». Notons aussi que dans le chapitre sur «Les amours de l autheur», Tallemant raconte qu on l avait surnommé dans sa jeunesse «le Chevalier» parce qu il était fou de l Amadis (voir Historiettes, t. 2. P. 811). De plus, dans une étude consacrée aux cénacles littéraires, Anthony Glinoer et Vincent Laisney évoquent ce groupe qui «prend forme vers 1646», et qui est principalement composé de La Fontaine, son ami Maucroix, Tallemant, Patru, Furetière, Antoine Rambouillet de la Sablière et François Cassandre. Ce groupe prend le nom du cabaret qu ils fréquentent (le cabaret de la Table ronde). D après A. Glinoer et V. Laisney, c est suite à l institutionnalisation de l Académie française que ce groupe de jeunes hommes, recherchant une forme de sociabilité moins formelle et plus festive, décide de se réunir en ce lieu. Dans les Historiettes, La Fontaine est «un garçon de belles lettres et qui fait des vers» (t. 1, p. 391), Maucroix «a beaucoup d esprit, et fait aussy bien des vers et des lettres que personne» (t. 2, p. 847). Un autre membre du groupe, Antoine Rambouillet de La Sablière, dont nous avons parlé plus haut, qui était l époux de la grande amie et protectrice de La Fontaine, Marguerite de La Sablière, était surnommé «le grand madrigalier» par Conrart. On retrouve ses poésies dans une édition de Charles Walckenaer qui rassemble aussi celles de Maucroix, autre ami de La Fontaine (Poésies diverses d Antoine Rambouillet de la Sablière et de François de Maucroix et hommages poétiques à La Fontaine, Paris, Chez A. Nepveu, 1825). 277 Voir copie du f.1 r o du manuscrit (dans l Annexe II). 278 Marc Fumaroli, op. cit., pp Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Dans Amadis de Gaule, (1779), Céline Bohnert souligne que même si les romans de chevalerie sont devenus moins populaires au début du XVII ème siècle, ils sont tout de même encore lus, et elle évoque le groupe composé par La Fontaine, Maucroix, Tallemant et Pellisson, qui se désignaient comme les «Paladins de la table ronde» (voir Amadis de Gaule, de Johann Christian Bach, Philippe Quinault, et Saint-Alphonse, livret, études et commentaires, textes réunis par Jean Duron, Éditions Mardaga, 2011, p. 62). 76

85 Pellisson et La Fontaine 281. La relation entre Tallemant et La Fontaine se trouve aussi attestée en premier lieu par une copie manuscrite qui se trouve dans le Recueil marbré et qui évoque la fameuse fête de Vaux donnée par Fouquet à Louis XIV 282. Dans le manuscrit 673, Vincenette Maigne note que cette copie manuscrite a dû circuler parmi le cercle étroit de quelques amis privilégiés. Le groupe de «la Table Ronde» dans lequel on se réunissait pour le plaisir devint une petite académie qui vit éclore les madrigaux d Antoine Rambouillet, les premières poésies de Maucroix, ou encore les premiers badinages poétiques de La Fontaine. Dans l historiette de «Racan et autres resveurs», Tallemant parle de La Fontaine, comme d «un garçon de belles lettres et qui fait des vers» 283. Bien que les archives éparses de ce groupe littéraire ne nous permettent pas d affirmer de manière péremptoire qu il s agît là du premier public des Historiettes, il est cependant tout à fait plausible de présumer que ce soit là que se trouvent ces «amis» qui pressaient Tallemant de leur donner des extraits et que le public des Historiettes fût précisément celui-là. Dans Les «Belles Infidèles» et la formation du goût classique» 284, Roger Zuber signale qu Olivier Patru, auteur de La vie de Monsieur D Ablancourt 285, a probablement emprunté des anecdotes à son ami Tallemant. Il serait ainsi parmi les 281 Voir A. Génétiot dans Le classicisme, op.cit., p Ce recueil marbré qui avait été identifié par Émile Magne se trouve aujourd hui à la Bibliothèque Nationale sous le manuscrit f.fr La fête de Vaux est cette fête somptueuse qui fut donnée en 1661 par Foucquet, alors ministre des finances, au roi Louis XIV. Elle est restée célèbre parce qu elle entraina la disgrâce de Fouquet, accusé de s être enrichi aux dépens de l État. Dans Louis XIV, François Bluche note que lors de cette fête, «le luxe du surintendant avait tant irrité sa majesté qu elle songea à ordonner l arrestation du ministre, le 17 août, en plein milieu de la fête de Vaux» (François Bluche, Louis XIV, Fayard, 1986, p. 156). 283 Historiettes, t. 1, p Roger Zuber, Les «Belles Infidèles» et la formation du goût classique, Paris, Armand Colin, 1968, p R. Zuber a reproduit le texte de la Vie de Monsieur d Ablancourt et il explique qu il s agit de la première édition qui se trouve dans les Œuvres diverses, jointes en appendice aux Plaidoyers de Patru (2 ème édition, 1681). R. Zuber rappelle aussi que d Ablancourt est mort en 1664 et estime que la Vie a dû être finalisée et mise au point entre 1670 et 1674, après la rédaction des Historiettes de Tallemant. 77

86 premiers lecteurs des Historiettes, dont «il connaissait certainement le précieux manuscrit, demeuré inédit jusqu au début du dix-neuvième siècle» 286. On peut facilement comparer la petite scène entre D Ablancourt et son valet dans les Historiettes de Tallemant : «Il jouoit une fois, et comme il perdoit, son laquais le vint tirer par derriere et luy dit : Mordieu! Vous perdez là tout nostre argent, et tantost vous me viendrez battre» 287, avec celle qui se retrouve dans La vie de Monsieur D Ablancourt : «M. D Ablancourt jouoit un jour à trois dez à la Pomme de Pin, & perdoit. Bassan qui voyoit ce qui se passoit, le tire par le manteau & lui dit à l oreille : Morbleu vous perdez tout mostre argent, & puis tantôt vous me viendrez battre» 288. Les termes du récit sont presque identiques. Il en est de même pour deux autres anecdotes, comme celles de Nau de Montgazon, ou celle de Gaultier-Garguille 289. Par ailleurs, Patru rend hommage à son ami en désignant justement par historiettes les récits qu il lui emprunte, mais surtout en le citant avec respect comme l auteur de l épitaphe de D Ablancourt : «Voicy son épitaphe, que M. des Reaux, un des premiers hommes de notre siècle, a faite» 290. L idée que la verve ironique et comique de ce «Scarron pétulant de santé» 291 a pu trouver résonnance chez un Furetière également railleur est aussi plausible, comme il est possible que ce comique ait également touché le jeune la Fontaine qui 286 Roger Zuber, op.cit. p Historiettes, t. 2, p R. Zuber, op.cit. p Ces comparaisons sont relevées par R. Zuber dans Les Belles Infidèles, op.cit. p Cette épitaphe de Tallemant se lit comme suit : «L illustre d Ablancourt repose en ce tombeau/son génie à son siècle a servi de flambeau/dans ses fameux écrits toute la France admire/des Grecs & des Romains les précieux tresors/a son trépas on ne peut dire/qui perd le plus, des vivants ou des morts». 291 L expression est de Marc Fumaroli. 78

87 s en inspirera plus tard pour ses Fables 292. Il y a certes une concordance de registres satiriques et comiques que l on retrouve dans les œuvres de ces trois auteurs. C. Conclusion Les Historiettes ou du moins certains extraits ont donc pu circuler en cercle restreint. Toutefois, excepté l allusion de Patru dont nous venons de parler, nous n avons pas réussi à trouver des références à ce manuscrit dans les mémoires ou les correspondances des contemporains de Tallemant (comme Conrart, avec qui il fut proche, Chapelain, qu il a fréquenté chez Mme de Rambouillet, ou encore le cardinal de Retz avec qui il fit un voyage jusqu à Rome). Ce n est que presque deux cent ans plus tard que le manuscrit réapparut, et il fit l effet d une douche froide chez ceux habités encore par la magie du Grand-Siècle. Dans le chapitre qui suit, on va tenter de comparer les avis de ceux qui remettent en cause l authenticité du document et la bonne foi de leur auteur, avec ceux qui ont su deviner l importance de ces écrits, sur le plan à la fois historique et littéraire. 292 C est en tous les cas l opinion de Marc Fumaroli, particulièrement admiratif de «la forme éclatée» des Historiettes qui, dit-il, rompt avec le moule narratif traditionnel encore plus violemment que Le roman comique de Scarron (Marc Fumaroli, op.cit., p.137). La Fontaine s est peut-être inspiré de Tallemant pour représenter les animaux de ses Fables dont les comportements évoquent parfois ceux des personnages peints dans les Historiettes. Notons aussi les anecdotes que Tallemant consacre aux bêtes, qu il peint comme des êtres doués d intelligence et de sensibilité: une chienne abandonnée par sa maitresse se met à lécher des hardes que celle-ci envoya à la propriétaire de la chienne dix ans après son départ, ume anesse ouvre avec sa bouche une grosse clef d escurie pour aller trouver son petit, etc. (voir Historiettes, t. 2, p.853). 79

88 IV. La réception des Historiettes lors des premières publications par l imprimé (XIX ème siècle) En 1834, l année de la première publication des Historiettes, Théophile Gautier publiait dans La France littéraire une première étude d une série de dix articles qui constitueront le recueil des Grotesques 293. Le recueil est surtout consacré aux poetae minores 294 du dix-septième siècle, ceux qu on appela les oubliés de Boileau. Tout en précisant dans sa préface avoir «peine à comprendre certaines vogues, certains engouements pour des écrits qui [ ] paraissent maintenant de l insipidité la plus nauséabonde, et qui faisaient pâmer d aise les précieuses de l hôtel de Rambouillet» 295, T. Gauthier veut réhabiliter «les pauvres diables [ ] qui seraient tout à fait inconnus, si leurs noms n avaient pas été momifiés dans quelque hémistiche de Boileau, à qui, à défaut de hautes qualités de poète, nul ne peut refuser un bon sens cruel» 296. Ainsi, Théophile de Viau, ce «véritable grand poète» 297, aurait été «complètement oublié» si Boileau ne l avait pas mentionné dans l Art poétique 298 : A Malherbe, à Racan, préférer Théophile, Et le clinquant du Tasse à tout l or de Virgile Théophile Gautier avait lu les Historiettes 299. Avait-il apprécié la liberté et la franchise de Tallemant, tout comme il appréciait celle de T. de Viau? Il n a 293 Théophile Gautier, Les Grotesques, Paris, Michel Lévy Frères, Ibid., Les Grostesques furent publiés cinq fois du vivant de l auteur : 1844, 1846, 1853, 1856 et Les auteurs du XVII ème siècle dont il est question sont : Théophile de Viau, Pierre de Saint Louis, Saint Amant, Cyrano de Bergerac, Colletet, Chapelain, Georges de Scudéry, Paul Scarron. À part Pierre de Saint Louis, on les retrouve tous dans les Historiettes. 295 Théophile Gautier, Les Grotesques, Paris, Michel Lévy Frères, 1873, p. vii. 296 Théophile Gautier, Les grotesques, Paris, Michel Lévy Frères, 1873, p. vi. 297 Ibid. p Cité par T. Gautier, dans Les Grotesques, p L auteur mentionne Tallemant des Réaux dans son étude sur Chapelain, parmi «ce qu il y avait de plus estimé dans la république des lettres», en compagnie de Maynard, Sarrazin, Ménage, Vaugelas et Balzac (Les Grotesques p. 254) ainsi que dans son étude sur Scarron (Les Grotesques, p. 348). T. Gautier souligne aussi qu un vaudeville intitulé la Gitana) fut tirée des «Mémoires de Tallemant des 80

89 probablement pas désapprouvé le portrait que fit Tallemant de Louis XIII, ce «roi bigot» qui ne tolérait pas les calvinistes 300, ou celui de Richelieu, qui «portera de ses mains sanglantes le dernier coup de hache au grand arbre de la féodalité» 301. Il faut dire que «Le dix-septième siècle est à la mode plus que jamais» 302. Il ne s agit pas seulement d un engouement pour un Grand-Siècle idéalisé. Les explorations que fit Sainte-Beuve à partir des correspondances, mémoires ou échanges épistolaires de l époque vont mettre à jour une autre face peut-être moins glorieuse du XVII ème siècle, mais probablement plus réaliste. Pour Sainte-Beuve, il est plus facile de comprendre l esprit d un siècle à travers les écrits intimes de ceux qui l ont vécu 303. On peut donc imaginer que les Historiettes lui fournissent un matériel riche en informations : «Sans Tallemant et ses indiscrétions, beaucoup d études particulières sur le dix-septième siècle seraient aujourd hui à peu près impossibles. Par lui, on est de toutes les coteries, de tous les quartiers; on connait tous les masques et jusque dans le déshabillé» 304. Même si Sainte-Beuve estime que Tallemant «médit avec délices» des grands qu ils n a pas connus de près, comme Henri IV, Sully ou Richelieu (dont «il n a ramassé que des miettes»), il considère en revanche que les portraits de ceux Réaux». Ce vaudeville jouait au Gymnase, en février 1839 (voir Théophile Gautier, Histoire de l art dramatique en France depuis ving-cinq ans, Paris, éd. Hetzel, 1858, p. 224). 300 Ibid., p Ibid., p Voir «Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité» dans Les causeries du lundi par C. A. Sainte-Beuve, Tome treizième, Paris, Garnier Frères, 1858, p.142. À cet effet, Frédéric Briot rappelle à quel point le XVII ème siècle est redevable au XIX ème siècle. La curiosité pour le Grand-Siècle y fut très vive, écrit-il, et conduisit à une érudition exceptionnelle avec la publication de grands recueils de Mémoires, celle des Historiettes de Tallemant ou à la collection des Grands écrivains de France (voir l article de F. Briot «Boileau ou la voie libre» dans Postérités du Grand- Siècle, sous la direction de Suzanne Gellouz, Presses Universitaires de Caen, 2000, p. 137). 303 Dans son article «Sainte-Beuve : Le XVII ème siècle en toutes lettres», Brigitte Diaz estime que Sainte-Beuve «choisit résolument le XVII ème siècle capricieux contre l académique» (voir cet article dans Postérités du Grand-Siècle, sous la direction de Suzanne Gellouz, Presses Universitaires de Caen, 2000, p. 194). Sainte-Beuve s intéresse particulièrement aux épistoliers et aux mémorialistes parce qu il estime qu «on ne connait pas le XVII ème siècle quand on a lu Corneille, Racine, Bossuet et même Molière» (cité par Brigitte Diaz p. 196). 304 C. A. Sainte-Beuve, op.cit. p

90 qu il a fréquentés sont croqués avec un réalisme sans précédent 305. Quant à Stendhal, il trouve le style de Tallemant «admirable» 306 et déplore que les Historiettes romaines qu il a achetées «très cher» ne contiennent «rien de croustilleux comme dans Tallemant des Réaux» 307. Dans une autre lettre datée du 8 juillet 1841, se plaignant de la prolixité des prosateurs «qui ne sera que de l ennui pour 1880», il en compare le style à la forme brève et concise de Tallemant. Il évoque la première page des Historiettes: «Supposez la première page du Henri IV de Tallemant des Réaux traduite en français de 1841 par un des grands prosateurs actuels. Cette page de Tallemant produirait six page de M. Villemain» 308. Il est vrai que la réaction de l auteur de Racine et Shakespeare ne surprend pas. Celui qui déplorait qu on ne puisse «peindre avec quelque vérité les catastrophes sanglantes narrées par Philippe de Comines, et la chronique scandaleuse de Jean de Troyes, si le mot pistolet ne peut absolument pas entrer dans un vers tragique» 309 ne pouvait que se réjouir du langage coloré de Tallemant Ibid., p (du portrait de M. de Montausier, Sainte-Beuve écrit : «Si ce n est pas là un chefd œuvre de vérité et de ressemblance, où le chercher?»). 306 Voir la lettre du 19 février 1938 dans la Correspondance inédite de Stendhal, Paris, Michel Lévy Frères, 1855, P Incidemment, Cette lettre est signée Adolphe de Seyssel, l un des nombreux pseudonymes de Stendhal. 307 Ibid., P. 179 (cette lettre est datée du 11 novembre 1832 donc avant la première publication des Historiettes par Monmerqué. Cela atteste le fait que le manuscrit avait déjà circulé). 308 Stendhal, Souvenirs d égotisme, autobiographie et lettres inédites, publiées par Casimir Stryienski, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1892 (Abel-François Villemain faisait partie du paysage politique sous la Monarchie de Juillet, il fut aussi écrivain et universitaire, et secrétaire perpétuel de l Académie française). 309 Stendhal, Racine et Shakespeare, Études sur le romantisme, Paris, Michel Lévy, 1854, p On pourrait en dire autant d Hippolyte Taine au sujet de Saint-Simon, qui a révélé au public «les misères du XVII ème siècle». Avant de lire Saint-Simon, Taine souligne que «l illusion était parfaite» et qu on apercevait «un monde sublime et pur [ ] les choses basses et excessives avaient disparu de la vie humaine. Les passions s étaient contenus sous la discipline du pouvoir». Toutefois, sous la perruque, sous les rubans et les manchettes, reste «Pierre ou Paul. C est chez ce Pierre et Paul que Saint Simon nous emmène, tout comme Tallemant l avait fait avant lui (voir H. Taine, Essais de critique et d histoire, Paris, librairie Hachette, 1866). 82

91 Toutefois, les éloges ne furent pas unanimes. Nous avons déjà évoqué la découverte du manuscrit des Historiettes, et comment on commença à en parler vers 1820, avant la première publication 311. Charles Athanase Walckenaer avait déjà évoqué le manuscrit dans sa préface aux Œuvres de La Fontaine en Dans cette préface, C. A. Walckenaer donne une courte biographie sur Tallemant qui «a mené, du moins dans sa jeunesse, une vie très dissipée et même licencieuse» 313 à laquelle il semble attribuer «le cynisme de sa plume», ainsi que «la prolixité de son style et le désordre de sa narration» 314. Un peu plus loin, dans une note de bas de page, Walckenaer critique Tallemant qui avait émis des doutes au sujet du talent de Molière. Il relève ses commentaires dans l historiette de Mondory. Mais si les propos de Tallemant au sujet de Molière ne sont effectivement pas tout à fait élogieux («ce n est pas un merveilleux acteur» 315 note-t-il), il n en reconnait pas moins qu «il a fait des pièces où il y a de l esprit» 316 et que ses pièces «sont comiques» 317. Les commentaires de Walckenaer à l égard de Tallemant ne sont donc pas entièrement justifiés. Il en est de même de l auteur de l Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, paru en J. Taschereau, déclare ne pas accorder confiance à Tallemant au sujet d une assertion que ce dernier fit concernant Molière à ses débuts, insinuant 311 Revue des deux mondes, quatrième série, tome III, 1 er juillet 1835, p Voir aussi les Œuvres complètes de Jean de La Fontaine publiées par Charles A. Walckenaer en 1824, à Paris, chez A.Nepveu, et où on trouve une référence au manuscrit de Tallemant p. 5 : «Dans le journal manuscrit d un contemporain de sa jeunesse, nous apprenons que dès lors notre poète se fit remarquer par ses distractions» avec une note de bas de page ainsi rédigée : «Gédéon Tallemant des Réaux, Mémoires manuscrites intitulés Historiettes». D autres notes de bas de pages s y trouvent tout au long de l ouvrage de C. A. Walckenaer. 312 Voir les Œuvres de La Fontaine, Nouvelle édition par C. A. Walckenaer, Paris, Chez Lefèvre Libraire, 1823, tome II, p. xiij. Dans cette édition, Walckenaer précise qu il avait déjà eu connaissance du manuscrit en 1820, alors qu il ignorait encore le nom de son auteur. 313 On ne sait pas sur quoi se base M. Walckenaer pour avancer ces propos; à l époque où il prit connaissance du manuscrit des Historiettes, Tallemant n était guère connu. 314 Les Œuvres de La Fontaine, op.cit., p. xiij. 315 Historiettes, t. 2, p Histsoriettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p

92 que l auteur des Historiettes semblait bien être le seul à détenir cette information 318. Un peu plus loin, J. Taschereau se montre encore une fois sceptique envers un récit de Tallemant au sujet de Molière : «On voit qu il est difficile d être plus mal instruit que Tallemant des Réaux», écrit-il. Cela parce que dans l historiette de Mondory, Tallemant confond Madeleine Béjart avec sa jeune sœur Armande Béjart. Les critiques de J. Taschereau sont sévères si l on regarde le peu d informations que Tallemant a fournies sur Molière (six lignes, insérées dans l historiette de Mondory). Le connaissait-il au moment où il rédigeait les Historiettes? Il indique clairement n avoir jamais vu jouer Madeleine Béjart 319, et l on sait que Molière épousa sa sœur Armande en 1662, donc après la rédaction des Historiettes. La confusion peut alors être compréhensible. 1. Les Journaux Le 27 décembre 1833, le Journal des débats politiques et littéraires annonce : «Les Historiettes de Tallemant des Réaux, Mémoires inédits pour servir à l histoire du XVII ème siècle, publiées par MM. De Monmerqué, de Châteaugiron et Taschereau, Prix 6 fr.50 c». La première édition des Historiettes en 1834 suscita la méfiance et le doute. Dans un numéro de la Revue des deux mondes parue en 1835, Monmerqué fait allusion à l incrédulité que l ouvrage a provoquée, en l imputant au fait que ce premier volume fut «lancé tout seul, et livré à la critique sans le cortège de [ ] travaux préliminaires destinés à faire connaitre l écrivain, à initier le lecteur dans le 318 J.Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, Paris, Ponthieu, 1825, p. 11. J. Tascherau dit ne pas accorder confiance «à l assertion isolée de Tallemant des Réaux [ ] qui tendrait à persuader que notre premier comique» avait été destiné par ses parents à l état ecclésiastique qu il abandonna pour suivre «la Béjart». Cette information se trouve effectivement dans l historiette de Mondory (Historiettes, t. 2, p. 778). Il faut aussi spécifier que J. Taschereau avait lu les Historiettes telles que reproduites par M. Walckenaer dans son Histoire sur la vie et les ouvrages de Molière. 319 Historiettes, t. 2, p

93 secret des sources où l on a puisé» 320. Toutefois, Monmerqué lui-même ne peut s empêcher de critiquer l auteur des Historiettes, un bourgeois «peut-être jaloux des avantages que donnait une naissance que le mérite n accompagne pas toujours» 321. Cette critique n est pas très juste si l on pense à l amitié que Tallemant porta à Madame de Rambouillet, qui en fit même son confident, ou même à ses relations avec des personnages comme le cardinal de Retz. Mais il est fort possible que Monmerqué ignorât beaucoup de détails au sujet de l auteur qu il publiait pour la première fois. Ou essayait-il peut-être de calmer les esprits en expliquant que le dénigrement et la malignité qui caractérisent la plume de Tallemant étaient dus à la jalousie. Il conseille de lire les Historiettes avec précaution, en faisant «la part des préjugés de l écrivain». Toutefois, il fait la part des choses un peu plus loin et note que la réaction lors de leur publication fut exagérée dans les deux sens : les critiques de ceux qui se sont indignés s explique par la peur de ternir un siècle qu ils révéraient, de découvrir une dégradation des mœurs qui leur semblait incompatible avec cette période de l histoire, ou encore qui tenaient à préserver des valeurs attachées aux monarchies. En revanche, ceux qui se sont réjouis y ont vu avec soulagement une manière de désacraliser un pouvoir et une classe sociale dont l éclat ralentissait le progrès et le changement. Il conclut en suggérant de lire les Historiettes en les mettant dans leur contexte, en se souvenant que Tallemant écrivait pour un petit cercle d amis, «avec l abandon d une correspondance familière». En somme, il s agit «d un nouveau témoin introduit dans l arène des débats historiques» Voir l article de Monmerqué : «Tallemant des Réaux, sa vie et ses Mémoires» dans la Revue des deux mondes, Tome III. 1 er juillet Ibid., p Ibid., p

94 Dès 1834, le Journal des débats commence à évoquer l auteur des Historiettes en termes ambigus : ses anecdotes sont «étourdies, méchantes, un peu immondes, quelque fois plaisantes, souvent niaises» 323. Son portrait n est guère flatteur, on l imagine l air «sardonique et niais», un «esprit sans portée, écho de scandale, de médiocrité qui se nourrit de médisance» 324. En revanche, on compare sa plume à «une lanterne magique colorée, variée, et bien remplie [.], elle embrasse une immense quantité de petits hommes; elle va de Henri III à Louis XIV, sans oublier un seul grotesque de ce temps fécond, une seule caricature, une seule méchanceté» 325. Dans le Panorama littéraire, A. Bazin note que le récit dans les Historiettes «roule sur le sujet inépuisable de toutes les médisances, sur ce texte fécond en menteries, en méchancetés, en plaisanteries détestables» et cautionne le lecteur de ne pas accepter «du premier venu tous les méchants propos qu il aura recueillis en bon et mauvais lieu au cours d une vie obscure» 326. En revanche, Jules Janin semble apprécier Tallemant à sa juste valeur. Dans La Revue de Paris, il qualifie Tallemant de «gentilhomme à l école de Montaigne, sceptique, railleur, indifférent au bien et au mal, racontant le bien comme le mal mais préférant le mal au bien, en sa qualité d historien véridique» 327. Janin reconnait aussi qu il s agit bien d une «conversation écrite», et souligne l hétérogénéité du texte dans lequel «tout est confondu, tout est pêle-mêle, le plaisant à côté du sévère, le sang à côté du rire» Le Journal des Débats, 8 juin Ibid. 325 Voir le Journal des débats, décembre 1834, sous la rubrique «Variétés». 326 Voir l article d A. Bazin «Les Historiettes de Tallemant des Réaux», parus dans Le Panorama littéraire de l Europe, (Ed. Mennechet, directeur), Paris, Belin & Plon, 1834, P Voir l article de Jules Janin, «Historiettes», paru dans La Revue de Paris, nouvelle série année 1834, Paris, Tome 1, p Ibid. 86

95 Les critiques les plus virulentes envers les Historiettes sont émises par Victor Cousin, par Alfred-Auguste Cuvillier Fleury et par Barbey D Aurevilly. Ce dernier consacre tout un chapitre à Tallemant dans À côté de la grande histoire. D Aurevilly déplore que ce «bavardage de portier qu un bourgeois cynique avait recueilli» 329 soit réédité par Monmerqué et ne comprend pas qu un esthète comme Paulin Paris 330 se soit laissé prendre par «cette toile d araignée qui a ramassé au passage tous les scandales bourdonnants et les mauvais propos d un siècle» 331. Tallemant n est qu un : écrivain sans vue et sans style, [ ] un anecdotier moitié perroquet moitié pie, [ ] un dépravé par l habitude du commérage, il ne le recherche point pour ce qu il peut avoir de piquant et d inattendu, il l aime pour lui-même, comme l ivrogne aime l ivresse pour l ivresse et non pour les délicieuses et pénétrantes saveurs de vin, [ ] une espèce de Vidocq des ruelles de son temps 332 Tout au long de ces dix pages, B. D Aurevilly étrille l auteur et l œuvre, et termine en accusant Tallement d avoir utilisé son manuscrit comme un instrument «pour crocheter» la porte des salons qui, autrement, n auraient pas ouvert leur porte à un personnage aussi «obscur». L historien et critique A. Cuvillier Fleury a réagi à la suite de la publication de troisième édition des Historiettes, qui sont précédées par un Avis de Paulin Paris. C est sur un ton méprisant qu il décrit l auteur des Historiettes, qui est «un jaloux qui ne va pas jusqu à la vengeance; un conteur qui ne [donne] jamais qu un quart de la vérité, et qui, au lieu de le chercher dans votre garde-robe des jours de fête, le prend 329 Jules Barbey d Aurevilly, À côté de la grande histoire, Paris, A. Lemerre, 1906, p B. d Aurevilly fait référence à la troisième édition des Historiettes publiée en 1862, précédée d une notice historique et littéraire par MM. de Monmerqué et Paulin Paris. 331 B. d Aurevilly, op. cit. p Ibid. p

96 presque toujours dans vos guenilles» 333. Selon lui, Tallemant est un de «ces écrivains irresponsables de Mémoires domestiques [ ], qui appartient [à la] catégorie des petits justiciers de l histoire» 334, et qui n a ni la verve de Mme de Sévigné ni le génie d un Saint-Simon. Il lui reproche surtout les portraits, qu il juge invraisemblables, d Henri IV, de Sully et de Malherbe. Henri IV, «ce grand roi, que le cardinal du Perron appelait la merveille des rois et le roi des merveilles» 335 devient, sous la plume de Tallemant, «un abrégé de tous les vices» 336. Cuvillier- Fleury semble surtout voir dans l œuvre de Tallemant l effet d un conflit de classe, parce que «des bourgeois aux gentilshommes, la jalousie était profonde» 337. Quant à Victor Cousin, il s étonne que Tallemant fût reçu à l hôtel de Rambouillet, lui, ce «caricaturier du XVII ème siècle, qui recherche avec passion et ramasse avec complaisance les bavardages du plus bas étage pour en salir les renommées les plus pures ou les plus dignes d indulgence, qui partout où il entrevoit quelque faiblesse, imagine une bassesse ou une ordure» 338. De surcroit, V. Cousin semble douter de la véracité des Historiettes, même s il ne manque pas de leur emprunter de quoi étoffer son œuvre. Mais il entend bien se différencier de leur auteur, en critiquant son style par exemple: «Il (Tallemant) prétend que MM. De Guise furent les premiers qui obtinrent les faveurs de la belle demoiselle (Mademoiselle Paulet), et il nous dit cela en des termes tels qu il faudrait un autre 333 Alfred-Auguste Cuvillier Fleury, Nouvelles études historiques et littéraires, op.cit., p Alfred-Auguste Cuvillier Fleury, Nouvelles études historiques et littéraires, op.cit., p Ibid, p Ibid, p Ibid, p Victor Cousin, La société française au XVII ème siècle d après le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, sixième édition, Paris, Perrin et Cie, 1886, p

97 Tallemant pour les citer» 339. Il dénigre aussi les «turpitudes» mensongères que Tallemant rapporte au sujet du «chaste Louis XIII» ou même de son assertion à l effet que le jour de son assassinat, Henri IV se rendait chez Mlle Paulet avec son fils, le duc de Vendôme, pour se «former à l amour» 340. Selon Marie-Gabrielle Lallemand, ces diverses réactions pourraient s expliquer par le contexte politique en 1834 : la Monarchie de Juillet qui succède à la Restauration irrite à la fois les républicains et les légitimistes. L œuvre de Tallemant qui découvre un Grand-Siècle différent de celui qu on avait glorifié, qui dénigre et démythifie des rois comme Henri IV, n était pas pour plaire aux légitimistes. Peindre la bourgeoisie comme il l a peinte, c est-à-dire souvent débauchée et cupide devait aussi froisser les républicains. Il était donc inévitable que les Historiettes déchainent les passions 341. Une autre hypothèse qui pourrait expliquer ces critiques serait l ambiguïté que suscitait le sous-titre de la deuxième édition : «Mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle». Cette ambiguïté a pu prêter à confusion. Les anecdotes triviales, le style bas et la liberté d expression de ce «nouveau témoin introduit dans l arène des débats historiques» 342 ont d autant plus choqué que le 339 V. Cousin fait référence à l historiette de Mademoiselle Paulet (La société française au XVII ème siècle p. 284). Dans cette historiette, Tallemant avait parlé des amours de Mlle Paulet en ces termes : «M. de Guise fut celuy dont on parla le premier avec elle [ ]. M. de Chevreuse suivit son aisné» (Historiettes, t. 1, p. 473). Dans ce même chapitre, Tallemant rapporte le petit vaudeville qui faisait allusion aux amours de Mlle de Paulet avec Louis XIII : «Qui fit le mieus du ballet/ce fut la petite Paulet/Montée sur le dauphin/qui montera sur elle enfin». Il n est donc pas le seul qui médit de la demoiselle. Notons toutefois que dans ses notes, A. Adam souligne que Mlle de Scudéry parle d Élize (pseudonyme de Mlle Paulet dans Le grand Cyrus) de manière tout à fait différente : «Personne n en a jamais rien dit qui luy pust estre désavantageux» (Historiettes, note 2, p. 474). 340 Ibid., p.302. Tallemant raconte en effet qu il menait M. de Vendosme pour «rendre ce prince galant» (il semblait que M. de Vendosme «n aimoit pas les femmes»). Voir Historiettes, t. 1, p Voir l article de M. G. Lallemand, intitulé 1834: les Historiettes de Tallemant des Réaux font scandale dans Postérités du Grand Siècle, sous la direction de Suzanne Guellouz, Presses universitaires de Caen, 2000, p L expression est de Monmerqué, dans la préface de la 2 ème édition des Historiettes, Paris, Alphonse Levavasseur, 1834, p. XIIV. 89

98 public devait s attendre à un récit dans le genre des mémoires 343, généralement rédigés dans un style noble et continu. Malgré cela, le nombre d éditions des Historiettes qui suivirent celles de 1834 prouvent bien l intérêt que l ouvrage a suscité 344. La question qui se pose alors est la suivante : Les Historiettes peuvent-elles servir à l étude de l histoire? Ce texte qui fait souvent appel à une gamme de registres obscènes pour illustrer non pas la débauche du peuple mais plutôt celle des rois, des princes ou des prélats peut-il servir de source historique fiable? Présenterait-il un reflet réel de ce XVII ème siècle souvent mythifié par des historiographes au service du pouvoir? Nous tâcherons de répondre à ces questions dans le chapitre qui suit. 343 Les «Mémoires» sont «des livres d historiens, écrits par ceux qui ont eu part aux affaires, ou qui en ont été témoins oculaires, ou qui contiennent leur vie ou leurs principales actions» (A. Furetière, le Dictionnaire universel, op.cit.). 344 Une autre édition parut en 1840, par Monmerqué (éd.), Paris, H. L. Delloye, 10 tomes en 5 volumes, suivie par une édition en par Monmerqué et Paulin (éd.), Paris, Techener, 9 volumes. 90

99 Chapitre II: Les Historiettes, un document pour servir à l écriture (parodique) de l histoire I. Introduction «Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances: d où vient que le reste ne parait pas tel qu il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu ils tirent, sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins de nos romans, et à concevoir des dessins qui passent leurs forces» 345 Cette partie sera consacrée à l œuvre de Tallemant questionnée à travers le postulat hypothétique de l appartenance des Historiettes au genre historique. En fait, ce postulat soulève deux questions. D une part, une première question qu il s agira d éclaircir sur le plan épistémologique, à savoir qu est-ce que l Histoire au XVII ème siècle? D autre part, une seconde question à laquelle le titre réducteur d «Historiettes» renvoie : en effet, qu entend-on par genre historique dans un siècle qui a vu proliférer tant de discours de codification et des écrits «historiques» de toutes sortes? Par ailleurs, pourquoi Tallemant des Réaux désigne son récit par le terme d Historiettes et non pas celui d histoire? Pourquoi a-t-il fait le choix de cette marque paratextuelle sous forme de diminutif, alors que le récit commence par «quelque chose d illustre, Henry le Grand et sa cour?» 346. S il ne s agit que de 345 R. Descartes, Discours de la méthode (1637), première partie, Œuvres philosophiques, éd. Ferdinand Alquié, Paris, Bordas, , t. 1, p Descartes avait récusé le concept humaniste d une «philosophie par l exemple». Contrairement aux humanistes, Descartes condamnait «l usage pédagogique de l histoire au nom de son incertitude épistémologique» et lui refusait le rang de science (voir Béatrice Guion, Du bon usage de l histoire, histoire, morale et politique à l âge classique, Paris, Honoré Champion, 2016, p ). 346 Historiettes, t. 1, p. 1 91

100 «petits Mémoires, sans liaison les unes avec les autres», l auteur ne se différencie-t-il pas de l historien officiel qui est tenu à un discours plus linéaire? En soulignant aussi son intention de «dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité», Tallemant semble affirmer des jugements de valeur et vouloir tenir un discours de moraliste 347. Deux questions se posent alors si on suit le questionnement de Paul Veyne qui nous aidera à structurer notre propos : la question épistémologique, à savoir s il est possible d écrire l histoire sans porter de jugements, et celle qu on se pose sous une forme déontologique à savoir si l historien a le droit de porter des jugements sur les personnages dont il relate les actions et le caractère 348. En outre, la question de la sincérité et de la vérité soulève aussi des contradictions, que la perspective d écriture soit historique ou mémorialiste. L hypothèse avancée par F. Charbonneau est à cet effet assez éclairante : selon lui, les études qui traitent de l exactitude des mémorialistes, de leurs erreurs, ou de leurs omissions restent strictement tributaires d une approche historienne, alors qu il s agirait plutôt d analyser la sincérité non comme une valeur mais plutôt comme un argument : «que le mémorialiste ait ou nondit, ou voulu dire «la» ou «sa» vérité, est secondaire; ce qui compte c est qu il ne cesse de proclamer et d établir qu il est sincère mineure d un syllogisme dont la majeure serait qu il sait la vérité, la conclusion qu il faut le croire» 349. La construction de cette image de soi cet ethos cherche à persuader le lecteur en inscrivant le texte dans un fonctionnement rhétorique. De plus, l objectif de l histoire et sa fonction d exemplarité doit, pour être efficace, atteindre un large public. Quel est 347 C est aussi l ambition de l historien depuis Thucydide. Dans la préface de sa traduction de L histoire de la guerre du Peloponèse, Perrot d Ablancourt souligne que Thucydide est un «très juste estimateur du merite, & grand amateur de la vérité, qui a pour but d instruire plutôt que de plaire» (voir L histoire de Thucydide de la guerre du Péloponèse, traduction de Nicolas Perrot, Sieur d Ablancourt, Amsterdam, 1713, t. 1, p. XVI). 348 Paul Veyne, Comment on écrit l histoire, Paris, éd. Du Seuil, 1971, p Frédéric Charbonneau, Les silences de l histoire, Les Presses de l Université Laval, 2000, p

101 donc le pouvoir d un texte resté à l état de manuscrit, un texte privé ou même peutêtre clandestin dont le public potentiel aurait été très restreint? Quel effet aurait eu un texte polémique ou satirique qui n aurait pas ou très peu circulé? Devrait-on plutôt classer les Historiettes dans la même catégorie que les Mémoires? Enfin et surtout, le registre satirique qui est annoncé nous éloigne de celui, plus noble, de l histoire. Estce que ce texte parodique qui fait souvent appel à un registre obscène pour illustrer non pas la débauche du peuple mais plutôt celle des rois, des princes ou des prélats peut servir de source historique fiable? Présenterait-il un reflet réel de ce XVII ème siècle souvent mythifié par des historiographes au service du pouvoir? Avant d approfondir les décalages esthétiques et éthiques par rapport à l écriture de l histoire, il est nécessaire de rappeler les codes génériques et discursifs qui en gouvernaient le discours. II. Le préambule des Historiettes Pacte de lecture ou stratégie mémorialiste? Ce fut l œuvre de Commynes qui reçut, la première fois, le nom de Mémoires 350. On trouve une petite notice bibliographique du mémorialiste dans le Dictionnaire portatif de Ladvocat : Historien françois, chambellan de Louis XI et Sénéchal de Poitiers, naquit en Frandre, d une famille noble : ses mémoires contiennent ce qui s est passé pendant trente-quatre ans sous les règnes de Louis XI et de Charles VIII. Ils sont très curieux et méritent l éloge de tous les savants 351. Cette définition souligne deux idées importantes qui définissent le mot et le genre : l Histoire et la renommée 352. À Tallemant, il manquait la renommée de ceux qui ont 350 Voir à ce sujet Philippe Ariès, «Pourquoi écrit-on des mémoires?» dans Les valeurs chez les mémorialistes français du XVII ème siècle avant la Fronde, éd. Klincksieck, 1979, p Cité par Philippe Ariès, «Pourquoi écrit-on des mémoires?», art.cit., dans Les valeurs chez les mémorialistes, p P. Ariès, Ibid. p

102 activement participé aux événements politiques 353. Quant à l histoire, il l avait vécue mais d assez loin. La question se pose alors à savoir si ces historiettes, que l auteur qualifiait de «petits mémoires», peuvent être classées dans le genre des mémoires au même titre que les Mémoires du cardinal de Retz, les Mémoires de la Rochefoucauld ou même les mémoires de Mme de Motteville. En examinant le métadiscours dans le préambule des Historiettes, on ne peut manquer de remarquer des points communs avec les modèles que l on retrouve dans les préfaces des Mémoires. C est en effet dans cet espace que les mémorialistes désignent les destinataires de leur texte et essaient de définir leur projet d écriture 354. Ainsi, le cardinal de Retz commence son récit en s adressant à une interlocutrice 355, et définit sa démarche en ces termes : «Madame, quelque répugnance que je puisse avoir à vous donner l histoire de ma vie, qui a été agitée de tant d aventures différentes, néanmoins, comme je vous l avais commandé, je vous obéis» 356. Bussy-Rabutin explique aussi dès le départ qu il a décidé d entreprendre ses mémoires dans «l oisiveté de [sa] prison». Il présente son projet comme une «confession générale», une sorte d apologie pour rétablir la vérité en expliquant que les malheurs qui lui sont arrivés n étaient pas mérités 357. Quant à Henri de Campion, il clame en première page qu il n écrit pas pour n importe quel public mais plutôt pour sa famille et ses amis : «Si mon dessein étoit d écrire pour le public, je choisirais un 353 Philippe de Commynes par exemple était au service du duc de Bourgogne et de Louis XI. Bassompierre était un homme de guerre (même si Tallemant souligne que le maréchal «n a jamais passé pour brave», il était attaché à Henri IV et participa à ses campagnes. Il eut la charge de colonel des Suisses après les combats des Sables d Olonne. Le cardinal de Retz fut un personnage clé de la Fronde. 354 Nadine Kuperty, «La stratégie des préfaces dans les Mémoires du XVI ème siècle», dans Le genre des Mémoires, essai de définition, Klincksieck, Paris, 1995, p On pense qu il pourrait s agir de Madame de Sévigné. 356 Mémoires de Monsieur le cardinal de Retz, Amsterdam, éd. Jean-Frédéric Bernard, 1717, p Voir Les mémoires de messire Roger de Rabutin, comte de Bussy, Paris, Jean Anisson, 1695, t. 1, p

103 sujet plus intéressant que celui de ma vie; mais comme ce n est que pour ma famille et mes amis, je crois que je ne puis rien faire de plus agréable pour eux [ ] que de leur raconter naïvement [ ] les choses dont j ai été témoin» 358. En outre, le préambule des Historiettes présente des similitudes formelles avec celui des mémorialistes. Il est écrit sur le premier feuillet du manuscrit autographe, suivi directement et sur la même page par la première historiette, comme c est souvent le cas dans les manuscrits des Mémoires, qui ne portent généralement aucune mention permettant de distinguer la préface du reste du texte. On arrive à les repérer par leur contenu qui se présente souvent comme un discours sur le texte à venir, ce qui correspond bien au préambule de Tallemant 359. Malgré des ambiguïtés lexicographiques et génériques sur lesquelles nous reviendrons, et sous une apparente désinvolture de ton, caractérisée par une formule doublement réductrice avec l usage de la prétérition (les Historiettes qui «ne sont que petits Mémoires»), ce préambule pourrait se présenter comme un pacte de lecture aux contours plus ou moins bien définis. Tallemant s empresse ensuite de désigner les destinataires de son récit, «ses amis» qui le pressaient d écrire, et il définit son projet en ces termes : J appelle ce recueil Les Historiettes, parce que ce ne sont que petits Mémoires qui n ont aucune liaison les uns avec les autres.je pretens dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité Je le fais d autant plus librement que ce ne sont pas choses à mettre en lumières Au reste je r envoyray souvent aux mémoires que je pretens faire de la Régence d Anne d Autriche, ou pour mieux dire, de l administration du cardinal Mazarin 360. L emploi de la première personne du singulier inscrit déjà l auteur dans la préface. Cette inscription grammaticale est une pratique commune chez les mémorialistes, qui 358 Voir Henri de Campion, Mémoires, Paris, Treuttel et Würtz, 1807, p. 1, En revanche, une fois les mémoires imprimés, les éditeurs les dotaient d intitulés très divers : prologue, préambule, avis aux lecteurs, etc. (voir à ce sujet les précisions de Nadine Kuperty, dans «La stratégie des préfaces dans les Mémoires du XVI ème siècle», art. cit, p. 13). 360 Tallemant des Réaux, Historiettes, t. 1, p

104 leur permet de revendiquer la responsabilité de leur texte et de cautionner la sincérité de leur discours 361. En revanche, on ne retrouve pas dans le préambule de des Réaux ces allusions à un passé glorieux comme chez Bassompierre, ni même cette forme du plaidoyer qu on retrouve fréquemment sous la plume de mémorialistes comme Blaise de Monluc 362. Même si Tallemant précise qu il s agit de «petits Mémoires», nous verrons qu ils ne rentrent dans la même catégorie que les Mémoires tels qu ils sont définis par Furetière. Ainsi, même si généralement l horizon de lecture dépend du statut officiel du texte, les marques paratextuelles normalement destinées à «mettre le lecteur à l abri de toute méprise» 363 sont ici porteuses d ambiguïtés. En effet, l historien qui invente un détail ou met en scène une intrigue se différencie du romancier qui raconte à partir d un événement historique ou d un fait divers, par l attente qu ils créent chez le lecteur. Le récit historique se distingue du récit de fiction dans la mesure où ce dernier fait entrer le lecteur dans un monde irréel dans lequel la question de savoir où et quand les événements ont eu lieu est sans importance, et dans lequel l exercice du langage n est pas nécessairement contraint à un discours de vérité ou de persuasion 364. Pour les Historiettes, on pourrait parler d un horizon d attente qui serait brouillé. Ainsi, le titre diminutif se rapporte à «une petite histoire mêlée de fiction et de galanterie» 365, alors que les Mémoires sont «des livres d Historiens écrits par ceux qui ont eu part aux affaires ou qui en ont été témoins 361 Nadine Kuperty, «Les préfaces dans les Mémoires du XVI ème siècle», art. cit. p Dans ses Commentaires adressés au roi Charles IX,, Blaise de Monluc essaie de défendre son honneur : «et pour ce qu il a couru un bruit à la cour [ ] que j ay eu intelligence avec les ennemis de mon Roy, pillé ses finances [ ], aultres que je n avais point voullu combattre [ ] et puisque ce bruict a coureu partout, je n ay peu faire de moingz que de rendre compte de ma vie [ ] et par le menu de la vérité, afin d ouster la mauvaise opinion que dans le royaume et hors icelluy l on pourroit avoir prins de moy» (B. de Monluc cité par M. Fumaroli, La diplomatie de l esprit, Paris, Gallimard, 1998, p. 190). 363 Voir Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, éditions du Seuil, 1991, p Voir Paul Ricoeur, La mémoire, l histoire et l oubli, Paris, éditions du Seuil, p Antoine Furetière, Dictionnaire Universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, La définition de Pierre Richelet est similaire : «Historiette : (Historia fabularis.). Petite histoire mêlée de quelque peu de fiction» (Pierre Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, Genève, Jean Herman Widerhold, 1688, t.1, p. 823). 96

105 ordinaires, ou qui contiennent leurs vies ou leurs principales actions : ce qui répond à ce que les latins appelaient commentaires. Ainsi on dit les Mémoires de Sulli, du Cardinal de Richelieu, de Bassompierre, de Brantôme, de La Rochefoucauld» 366. En outre, Tallemant précise que ses historiettes sont «des choses à ne pas mettre en lumière» ce qui les associerait aussi à l anecdote telle que la définit Furetière : «terme dont se servent quelques Historiens pour intituler les Histoires des affaires secrètes des princes, c est-à-dire des Mémoires qui n ont point paru au jour» 367. Selon cette définition, l anecdote ferait partie du registre de l histoire puisqu elle se rapporte à ceux qui peuvent en modifier le cours, toutefois elle n en respecte pas les codes tels qu ils furent établis par les théoriciens. Enfin, pour conclure ce pacte, Tallemant déclare qu afin de «commencer par quelque chose d illustre» 368, il doit ouvrir son récit par l historiette du roi Henri IV, un des plus célèbres rois de France, figure appartenant au domaine de la réalité historique et non de la fiction. Mais si on peut attribuer des événements véridiques à des sujets de fiction et des événements incertains ou fictifs à des sujets réels 369, cette déclaration de Tallemant ne place pas d emblée son discours dans un registre historicisant. Le pacte reste donc ambigu. À ces ambiguïtés génériques qui caractérisent le préambule des Historiettes s ajoute un registre discursif qui relève de l ironie et de la parodie. Cette ironie s inscrit dès le préambule, par le rappel de l influence et le rôle que joua Mazarin lors de la Régence d Anne d Autriche, que Tallemant nomme «l administration du 366 Ibid. Il faut cependant noter que chez Furetière le terme «Mémoire» est polysémique : selon qu il est au singulier ou au pluriel, peut désigner soit un document juridique, soit un document d historien, un brouillon, ou encore une œuvre d historien. 367 Ibid. 368 Historiettes, t. 1, p Jacques Rancière, Les mots de l histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p

106 cardinal Mazarin» 370. Cette déclaration est contraire à l écriture l histoire qui doit être un récit fait avec art et une narration soutenue «de choses vraies, grandes, écrites avec éloquence» selon Richelet 371, ou encore une «narration véritable suivie et enchainée de plusieurs événements mémorables» 372 telle qu elle est illustrée par l Histoire de France de François de Mézeray. Il y a lieu de se demander si ces ambiguïtés reflètent l incertitude de leur auteur pour définir le code de ses Historiettes, ou si elles signalent au contraire une posture auctoriale qui se veut délibérément dégagée de toute contrainte 373. En outre, le clivage aristotélicien entre le Vrai (le contingent, le singulier, le particulier) et le Vraisemblable (l universel, ce qui appartient à la doxa), qui est l objet de querelles littéraires au XVII ème siècle, se retrouve aussi au cœur des préoccupations concernant l écriture de l histoire 374. Or, si l historien est tenu à un discours de vraisemblance, composante essentielle du système poétique de l époque, l auteur d histoires secrètes en revanche se meut dans le domaine du vrai qui n est pas toujours vraisemblable. Toutes ces distinctions 370 Historiettes, t. 1, p Pierre Richelet, Dictionnaire de la langue françoise, op.cit. 372 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, op.cit. 373 Marie-Thérèse Hipp estime que la diversité du vocabulaire par lesquelles on désignait les Mémoires peut être signe de l incertitude qui en gouvernait les codes : histoire, mémoire(s), relation chronique, journal, etc la preuve en est les diverses définitions données par les lexicographes comme Furetière ou les mémorialistes eux-mêmes. Ainsi Bussy oppose roman et mémoires, et Courtilz de Sandras différencie l histoire des mémoires (Marie-Thérèse Hipp, Mythes et réalités, enquête sur le roman et les mémoires , Paris, Klincksieck, 1976, p. 23). 374 Selon Aristote, le propre du poète est de raconter ce qui pourrait ou aurait dû arriver, alors que l historien raconte les événements qui sont arrivés. Pour illustrer son énoncé, Aristote précise que même si on mettait l œuvre d Hérodote en vers, elle n en serait pas moins une œuvre historique écrite en vers, et non une œuvre poétique (Aristote, Poétique[texte traduit par J. Hardy], Gallimard, 1996, p ). Les historiens revendiquent la vérité comme étant l objet même de l écriture de l histoire : Thucydide oppose l historien au poète. Polybe souligne la distinction entre les deux disciplines : l une se règle sur le vraisemblable, même s il est faux, pour l illusion des spectateurs, et l autre sur le vrai pour l utilité des personnes studieuses (cité par B. Guion, Du bon usage de l histoire, op.cit., p ). Antoine Varillas quant à lui, transfère ce clivage à l écriture de l histoire et à celle de l anecdote. A partir du concept de vraisemblance aristotélicienne, Il distingue l historien de l écrivain d anecdotes : «l Historien considère presque toujours les hommes en public; au lieu que l écrivain d Anecdotes ne les examine qu en particulier». L historien, explique Varillas n est obligé de dire la vérité que lorsqu elle est vraisemblable alors que l écrivain d anecdotes doit s attacher au vrai dans toute son étendue soit qu il y ait vraisemblance, soit qu il n y en est pas. (Antoine Varillas, préface des Anecdotes de Florence ou l histoire secrète de la Maison de Médicis, 3 ème édition, La Haye, 1689). 98

107 éloigneraient les Historiettes tout aussi bien du champ Poétique tel que défini par Aristote que de celui de l Histoire. La problématique concernant la production d un discours historique sera soulevée à partir des décalages génériques et discursifs des Historiettes par rapport à l Histoire. Au-delà du caractère ludique de l historiette et de sa fonction de divertissement de salon, il faut se demander si cette œuvre mérite l intérêt de l historien aujourd hui. Que puise-t-il dans le futile et le banal qui puisse étoffer son propre discours? Malgré leurs formes parodiques, ces anecdotes véhiculent-elles une vérité historique? Sont-elles en accord avec ce type de discours? L hypothèse que nous tenterons de démontrer est qu en dépit des multiples décalages, l œuvre de Tallemant des Réaux n en constitue pas moins un espace «déchiffrable» à la fois sur le plan de l histoire et sur celui de la poétique. Surtout, les Historiettes contribuent à approfondir notre connaissance du grand-siècle, et qui plus est, d une partie de la société souvent ignorée par les historiens ou même par les mémorialistes. Dans l avant-propos de sa Comédie Humaine, Honoré de Balzac déplorait que les historiens n aient su donner une histoire de mœurs et souhaitait lire des histoires qui ne seraient pas de «sèches et rebutantes nomenclatures de faits» 375. L oeuvre de Tallemant ne serait-elle pas cette histoire de mœurs? III. L Histoire dans les Historiettes Tallemant historien? Voltaire soutenait que «l Histoire est le récit des faits donnés pour vrais, au contraire de la fable, qui est le récit des faits donnés pour faux» 376. Quelques siècles 375 Honoré de Balzac, dans l avant-propos de La Comédie Humaine, Paris, Michel Lévy Frères, 1865, p Voltaire, Œuvres complètes (Dictionnaire philosophique), [1764], Paris, éd. Perrotin, 1847, p

108 plus tard, c est sous forme d un questionnement que Roland Barthes souligne la proximité entre le roman et l histoire : «La narration des événements passés, soumise communément dans notre culture, depuis les Grecs, à la sanction de la «science» historique, placée sous la caution impérieuse du «réel», justifiée par des principes d exposition «rationnelle», cette narration diffère-t-elle vraiment par quelque trait spécifique, par une pertinence indubitable, de la narration imaginaire, telle qu on peut la trouver dans l épopée, le roman, le drame?» 377. Quant à Paul Veyne, il amalgame les deux concepts en donnant à l histoire la caractéristique de roman : «Les historiens racontent des événements vrais qui ont l homme pour acteur; l histoire est un roman vrai» 378. En dépit des ambiguïtés que soulève cette proximité entre le roman et l histoire, et des interpénétrations entre ces deux types d écriture 379, il n en reste pas moins qu à partir de la définition de Voltaire, le pacte de lecture peut être établi selon que le texte est désigné par «Fable» ou par «Histoire». Paul Ricoeur avait parlé de ce pacte implicite passé entre l écrivain et son lecteur dans La mémoire, l histoire, l oubli. L antinomie entre le récit historique et le récit de fiction est telle que le pacte, même informulé, va «structurer des attentes différentes de la part du lecteur et des promesses différentes de la part de l auteur» 380. De ce fait, avec le roman, le lecteur se prépare à entrer dans un monde irréel. En revanche, en ouvrant un livre d histoire, le lecteur s attend à entrer dans un monde d événements réellement arrivés, et de ce 377 Roland Barthes, Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, («Le discours de l histoire»), Paris, éd. Du Seuil, 1984, p Paul Veyne, Comment on écrit l histoire, op.cit., p François Hartog rappelle que «le problème de l histoire et de la fiction, voire de l histoire entre science et fiction» n a jamais cessé de cheminer jusqu à aujourd hui (François Hartog, Évidence de l histoire, Paris, Gallimard, 2005, p. 13). 380 Paul Ricoeur, La mémoire, l histoire, l oubli Paris, Édition du Seuil, p

109 fait, il exige «un discours plausible, admissible et probable» 381. Ainsi, lorsque Tallemant, dès le préambule, s engage à «dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité» et à écrire tout ce qui est «agréable et digne d être remarqué» 382, il propose un pacte de lecture en se situant dans les pas d un enquêteur, et par là, d un historien 383. Les fréquentes marques d énonciation tout au long de son récit attestent cette posture, tout comme la fréquence des champs lexicaux de la parole : «j ai ouï dire, on m a raconté que, on m a conté» 384. Dans l historiette de la Marquise de Rambouillet, il indique sans ambiguïté aucune que c est d elle qu il tient la plus grande partie de ce qu il écrit 385. Nous avons déjà évoqué que Madame de Rambouillet et son mari avaient fréquenté la cour d Henri IV, et qu ils avaient été lié à Concini. La mort de ce dernier avait entraîné la disgrâce de Monsieur de Rambouillet, il ne cachait donc pas son hostilité envers Richelieu, de même que la marquise ne cachait pas son antipathie envers Louis XIII 386. Les historiettes de Louis XIII et de Richelieu, particulièrement sévères et ironiques, peuvent signaler l influence de la marquise. Les premiers lecteurs de Tallemant l avaient accusé d avoir accueilli ses informations sans aucun sens critique. Mais les sources de Tallemant ne viennent pas seulement des Rambouillet. Elles sont nombreuses et variées comme par exemple 381 Ibid. p Historiettes, op. cit., t. 1, p Rappelons que le terme «historiè» vient directement d Hérodote et signifie l «enquête» qui est menée par un témoin qui a vu (historiè est un «Mot-emblème» selon François Hartog, «formé sur le verbe historein, enquêter, d abord au sens d enquête judiciaire, historia est dérivé de histôr, voir et savoir» (François Hartog, Évidence de l histoire, op.cit.,, p. 72). 384 Il s agit des «embrayeurs d écoute» qui, caractérisent, selon R. Barthes, le discours historique : «ce shifter désigne donc toute mention des sources, des témoignages, toute référence à une écoute de l historien recueillant un ailleurs de son discours et le disant» (Le bruissement de la langue, op. cit., p. 164). 385 Historiettes, t. 1. p Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII ème siècle, Paris, Éditions Mondiales, 1962, t. 1, p

110 celles que souligne Antoine Adam, qui précise que dans le cadre de l historiette sur Louis XIII, Tallemant a probablement appris certains détails concernant l intimité du roi par son premier valet de chambre, M. de Nyert, ami de La Fontaine 387. En général, Tallemant nomme clairement ses sources, en rapportant des conversations dans un style indirect, comme dans l historiette de Ninon de Lenclos, où il écrit : «Elle m a avoué que dès lors.», ou dans celle du Cardinal de Retz où il indique : «Il (le cardinal) m a dit que [ ], en me contant cela, il me disait que» 388. Jacques Le Goff souligne que la science historique «se définit par rapport à une réalité qui n est ni construite ni observée mais sur laquelle on enquête, on témoigne» 389. Rappelons aussi que l histoire a commencé par celui qui a «vu et entendu dire», deux perceptions auxquelles le terme histoire renvoie 390. À partir de ces définitions, il est possible, encore une fois, d avancer le postulat d un Tallemant historien, qui, de surcroît, en «observant la suite du temps» 391, introduit une épaisseur historique en instaurant une liaison entre ses historiettes, ne serait-ce que sur le plan chronologique. Par ailleurs, le pacte de lecture par lequel Tallemant s engage à écrire «le bien et le mal sans dissimuler la vérité» est d autant plus convaincant qu il est construit à l intérieur de trois paradigmes interdépendants : secret-liberté-vérité 392. En effet, la semi-clandestinité du manuscrit de Tallemant lui permet d écrire en toute liberté. La 387 Historiettes, t. 1, p. 347, n Historiettes, t. 2, p. 441 et t. 2, p Jacques Le Goff, Histoire et mémoire, Paris, Éditions Gallimard, 1988, p Nous avons déjà expliqué l origine du terme historiè. Jacques Le Goff explique également que le mot histoire vient du grec ancien historie, et que sa forme dépend de la racine indo-européenne wid weid, voir. La vue est donc source de connaissance et conduit à l idée que istor, celui qui voit, est aussi celui qui sait, istorein en grec ancien signifie chercher à savoir et Istorie signifie enquête (Ibid., p. 179). 391 Historiettes, t. 1, p Sous forme de questionnement, Marc Fumaroli qui situe les Mémoires en marge de l Histoire et du roman, ou de l autobiographie traditionnelle, leur accorde une «liberté de mouvement» et une «recherche de vérité discrète» qui selon lui, va influencer la prose du XVII ème siècle. Ce postulat est tout à fait justifié si l on pense par exemple aux rapports qui peuvent exister entre les Historiettes et certaines comédies de Molière (voir M. Fumaroli, La diplomatie de l esprit, Paris, Gallimard, 1998, p. 183). 102

111 question fondamentale qui se pose n est pas celle de savoir s il a écrit ou non la vérité, mais plutôt de s interroger sur la manière de relater cette vérité. Tallemant précise d emblée le temps «historique» sur lequel portera son discours : «Je commenceray par Henri le Grand et sa cour» 393. Il souligne qu il s arrêtera à la Régence, époque dans laquelle il vit lorsqu il commence à rédiger les Historiettes. Il s agit donc d un discours qui porte sur un passé proche, un demisiècle, puisque Henri IV avait été assassiné en 1610, et que Tallemant commence son récit en Dans le préambule, l auteur indique aussi clairement son intention d écrire d autres mémoires, et il y reviendra à plusieurs reprises tout au long des Historiettes : «au reste, je renvoyray souvent aux mémoires que je prétens faire de la Régence d Anne d Autriche, ou pour mieux dire, de l administration du cardinal Mazarin» 395. À nouveau, Tallemant inscrit son projet dans le temps : il s agira, précise-t-il, des mémoires de la Régence qui continueraient tant que le cardinal Mazarin gouvernera, et qui auraient donc représenté une histoire du temps présent. Quoique l hypothèse que ces mémoires puissent être une suite chronologique des Historiettes soit plausible, les explications fournies par l auteur renvoient aussi à un autre type de registre : en spécifiant qu il s agira de mémoires, l auteur apporte une distinction générique qui marque un écart par rapport aux Historiettes 396. Tallemant 393 Historiettes, op.cit., t. 1, p Cette date se lit sur la première page du manuscrit autographe. Il aurait terminé l essentiel de son récit en Cependant, de nombreux ajouts ont été faits après 1659, qu on peut facilement retracer puisqu il s agit souvent d événements vérifiables. Parfois, Tallemant lui-même spécifie une date, comme celle qui se trouve dans l historiette de Scudéry et sa sœur : il note que c est «au Caresme de 1667» que Scudéry, sa femme et son fils avaient loué une litière (Historiettes, t. 2, p. 696). 395 Historiettes, op.cit. p. 1 (rappelons que Tallemant a vécu la période de la Fronde. Les écrits qu on trouve dans ses autres manuscrits, à La Rochelle ou à la BnF, semblent indiquer qu il était du côté des frondeurs). 396 Emmanuèle Lesne offre une hypothèse intéressante : elle suggère que Tallemant, qui nourrit l ambition d écrire, après ses Historiettes, ses propres Mémoires de la Régence, définit les Historiettes par opposition aux Mémoires : «J appelle ce recueil les Historiettes, parce que ce ne sont que petits 103

112 souligne ainsi les contraintes politiques liées à l écriture des Mémoires, qu il conçoit comme le récit continu et chronologique du rôle public des personnages. Dès le préambule il tient à illustrer cette distinction par un exemple précis, en expliquant qu il ne pourra plus continuer l historiette de M. Chabot duc de Rohan une fois que celui-ci «entrera dans les négociations avec la Cour parce que désormais, c est l histoire de la seconde guerre de Paris» 397. Il semble ainsi insinuer que l histoire de La Fronde ne devrait pas faire partie de l historiette particulière du duc. Plus loin, dans l historiette du Chancelier Séguier, Tallemant renvoie encore une fois aux Mémoires de la Régence où «on verra comment on [le] ballotte» et précise que l historiette ne raconte que «des particularitez qui ne pourroient rentrer dans l ouvrage que je veux faire» de la vie du chancelier 398. Quoiqu il fasse fréquemment allusion aux Mémoires de la Régence dans ses Historiettes, on n a à date pas retrouvé la trace de cette œuvre que Tallemant comptait rédiger. Il y a aussi lieu de s interroger sur les définitions génériques qu en donne l auteur. Parlait-il de Mémoires dans le sens qu on donne aujourd hui à ce corpus, à partir des recherches relativement récentes qui ont fait ressortir leur appartenance à un genre? En les différenciant des Historiettes qui ciblent les «particularités», a-t-il voulu insinuer que ces Mémoires auraient appartenu au genre de l Histoire au XVII ème siècle, plutôt qu à celui des Anecdotes? mémoires qui n ont aucune liaison les unes avec les autres» (Emmanuèle Lesne, La poétique des Mémoires ( ), Paris, Honoré Champion, 1996, p. 418). 397 Historiettes, t. 1, p Ibid. 104

113 IV. Une Histoire de la vie privée L anecdote La distinction entre le public et le particulier qui distingue l histoire de l anecdote d après Antoine Varillas qui, quelques années après Tallemant, écrira dans la préface de ses Anecdotes de Florence que «l Historien considère presque toujours les hommes en public, au lieu que l écrivain d Anecdotes ne les examine qu en particulier» 399. Bien avant Varillas, Procope de Césarée (né vers l an 500), auteur d une histoire officielle sur le règne de l empereur Justinien, avait aussi rédigé une Histoire secrète précédée d un prologue où il expliquait qu après avoir narré les guerres entre l Empire Romain et les nations barbares en respectant l ordre du temps et du lieu, il entreprenait maintenant de raconter «les motifs & les causes des actions & des événements» 400. Dans ce contexte, il ne s agissait plus de narrer le déroulement des batailles et des conquêtes, mais plutôt de dévoiler les secrets d alcôve, de rapporter les motifs secrets et les dessous de la politique de l empereur Justinien. Par exemple, dans l histoire officielle, Procope raconte comment l empereur Justinien rappela son général Bélisaire après ses victoires sur les Vandales. Il attribue ce rappel 399 Antoine Varillas, Les anecdotes de Florence ou l histoire secrète de la Maison de Médicis, 3ème édition, La Haye, 1689, préface (la première édition parut à La Haye en 1684, donc bien après l écriture des Historiettes. Cependant, Varillas ne semble pas avoir lu le manuscrit de Tallemant puisqu il commence sa préface en soulignant que Procope, «est le seul Auteur dont il nous reste des Anecdotes» ). Paul Colomiès, un contemporain et coreligionnaire de Tallemant, lui aussi de La Rochelle, a consacré un petit chapitre à l écriture des anecdotes, toutefois lui non plus ne semble pas avoir eu connaissance des Historiettes puisqu il précise que seuls Procope parmi les Anciens et Varillas parmi les Modernes ont produit «ces especes d ouvrages» (Voir Paul Colomiès, La rhétorique de l honnête homme, Amsterdam, Georges Gallet, 1699, p ). A croire que Tallemant, en gardant l anonymat, avait suivi le conseil de Colomiès qui écrivait : «Ces sortes d histoires secretes sont beaucoup utiles, mais il y a du danger à les écrire : si bien que le meilleur parti d un Ecrivain c est de s attacher à d autres Ouvrages, ou de publier ses Anecdotes sans nom» (p. 158). 400 Procope de Césarée, Anecdota ou Histoire secrète, traduite par M. Isambert, Paris Firmin-Didot Frères, 1856, p.7. Cette Histoire secrète fut découverte vers 1620 par Nicolas Alemanni. Jusqu alors, le nom de l empereur Justinien évoquait la majesté et la grandeur romaine. Aux huit livres officiels que Procope de Césarée avait consacrés à la gloire de Justinien, s ajoutait un neuvième qui portait le nom d Anekdoton qui signifie inédit. C est ce neuvième document qu Alemanni trouva parmi les manuscrits du Vatican. Procope expliquait dans le prologue qu il avait écrit son histoire officielle sous le coup de la terreur sans oser présenter les faits sous leur vrai jour (voir aussi les explications d Ernest Renan dans Essais de morale et de critique, Paris, Calmann-Lévy, 1859, pp ). 105

114 à la crainte que Justinien eut, que son général ne devînt trop puissant. Dans l Histoire secrète, il dévoile que la cause de ce rappel fut une honteuse histoire d amour. Cette version officieuse est plus complète étant donné qu elle révèle des déterminismes autres que ceux de la politique et des armes, et qu elle considère plutôt l histoire comme un rapport entre différentes dynamiques, et surtout celle de l homme dans son entier 401. Les propos de Varillas peuvent surprendre lorsque l on sait qu il fut l historiographe de Louis XIV, mais ce paradoxe ne fait que renforcer la distinction qu il faisait entre l histoire officielle, pompeuse et trompeuse, et l histoire secrète, plus crédible selon lui, et permettant une meilleure connaissance des passions et des hommes. Curieusement, quelques siècles plus tard, Marc Bloch tient un discours assez proche: lorsque nous lisons les témoignages «volontaires» écrit-il, ceux d historiens tels qu Hérodote ou Froissart, «que faisons-nous, sinon nous conformer exactement à ce que les auteurs de ces écrits attendent de nous»? 402 Les Historiettes illustrent parfaitement cette «théorie des petites causes» qui pourraient expliquer des événements majeurs et révéler des déterminismes non reliés 401 Voir la préface d Antoine Varillas dans Les anecdotes de Florence, op.cit., p. 3. L approche de Varillas n est pas sans faire penser à cette réflexion de Marc Bloch : «L objet de l histoire est par nature l homme disons mieux, les hommes. Plutôt que le singulier, favorable à l abstraction le pluriel qui est le mode grammatical de la relativité, convient à une science du divers Le bon historien lui, ressemble à l ogre de la légende. Là où il flaire de la chair humaine, il sait que là est son gibier» (Marc Bloch, Apologie pour l histoire, Édition annotée par Étienne Bloch, Paris, Armand Colin, 2007, p. 4). 402 Marc Bloch, Apologie pour l histoire, op.cit., p. 75. M. Bloch compare ici les témoignages «volontaires», ceux d Hérodote par exemple, à d autres types de témoignages «involontaires», qui se présentent souvent sous forme d indices, tels les papyrus, les monnaies, les inscriptions ou autres. Selon Bloch, les témoignages volontaires, qui sont spécialement conçus pour la postérité, peuvent être déformés ou même erronés. Or, même si les témoignages involontaires, comme les documents secrets par exemple, ne sont pas exempts d erreur ou de mensonge, elles permettent malgré tout de suppléer aux récits, de les comparer et de les contrôler. De même, on peut comparer les récits des historiens officiels sommés d écrire une histoire codifiée avec les histoires secrètes généralement écrites dans une plus grande liberté. 106

115 à la politique ou à la guerre 403. Lorsqu après la bataille de Coutras, Henri IV, «au lieu de poursuivre ses avantages, s en va badiner avec la comtesse de Guiche», Tallemant reproche au roi d avoir sacrifié la politique à son plaisir personnel 404. Il ne semble pas être le seul. Dans la première édition des Historiettes, on trouve une note de bas de page qui cite Bayle 405 : «Si la première fois qu il débaucha la fille ou la femme de son prochain, on l eût traité comme Pierre Abélard, il serait devenu capable de conquérir toute l Europe, et il aurait pu effacer la gloire des Alexandre et des Césars». L historiette de Louis XIII, les anecdotes concernant la sexualité du roi, ses problèmes d élocution, la rivalité avec Richelieu, les conflits avec Marie de Médicis et avec Anne d Autriche peuvent expliquer des événements politiques majeurs comme la Journée des Dupes ou encore le Siège de La Rochelle. Ces petites causes, Voltaire en avait souligné l utilité mais avec beaucoup de réticence, et comme un antidote à l histoire officielle qui se présentait comme une compilation de batailles et de traités. Il aurait fallu, d après lui, «incorporer avec art ces connaissances utiles dans le tissu 403 Notons à ce sujet les remarques de Mme de Motteville : «Les dames sont d ordinaires les premières causes des plus grands renversements des Etats; et les guerres, qui ruinent les royaumes et les empires, ne procèdent presque jamais que des effets que produisent ou leur beauté ou leur malice» (Mémoires de Mme de Motteville, Paris, Michaud et Poujoulat, 1838, p. 56). 404 Selon Antoine Adam, Tallemant avait puisé cette information critique dans les Mémoires de Sully. En effet, Sully note : «Il est également vrai qu on pouvoit tirer de grands avantages pour le parti protestant de la victoire de Coutras, & qu on n en retira aucun. Je suis assez sincère pour convenir que le roi de Navarre ne fit pas en cette occasion tout ce qu il pouvoit faire [ ] L amour le rappelloit aux pieds de la comtesse de Guiche, pour y déposer les drapeaux pris sur l ennemi» (Sully, Mémoires, Londres, [mis en ordre, avec des remarques de Mr. L abbé De L Écluse Des Loges), 1763, t. 1, p ). Il semblerait que le reproche de Sully ne soit pas justifié, et fut relevé par Marbault dans ses Remarques (Marbault écrit : «N ayant point esté à la bataille de Coutras, et ne sachant ce qui en empescha le fruit, il en suppose des causes à sa fantaisie telles qu il luy plaist [ ] Blasme aussi fort le Roy d avoir voulu presenter à la comtesse de Guiche les enseignes» (Marbault, secrétaire de Duplessis-Mornay, Remarques sur les mémoires des sages et royales œconomies d estat domestiques, politiques et militaires de Henry le Grand, Paris, Firmin Didot, 1837, p. 6). Ce qui est curieux, c est que Tallemant connaissait aussi les Remarques, mais aurait sciemment choisi de ne pas les citer. A cela, on peut proposer l hypothèse que, par parti pris, il avait voulu transmettre une seule version pour en préserver l effet sur le lecteur. Mais il est possible aussi qu il ne fut pas convaincu par les arguments de Marbault. Notons aussi Mézeray qui, tout en évoquant l anecdote, la modère en exposant aussi les raisons qui rendaient la continuation de la guerre politiquement impossible (Historiettes, note 2, t. 1, p. 665). 405 Voir les Historiettes de Tallemant des Réaux, Mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle, par messieurs Monmerqué, De Chateaugiron et Taschereau, Bruxelles, 1834, Volumes 1 à 2, p

116 des événements» pour arriver à «écrire une histoire en vrai politique et en vrai philosophe» 406. Mais Tallemant n avait sans doute pas ces prétentions. Tel un photographe, il a croqué ses portraits en soulignant les travers de ses contemporains, sans chercher à édifier un discours théorique. En cela, sa méthode correspond à celle décrite par Paul Veyne qui rejette la notion de l Histoire comme science puisqu elle n a pas vocation à expliquer les événements et qu elle ne repose sur aucune méthode 407. Les historiens, de Thucydide à Marc Bloch, ne font que «raconter des événements vrais qui ont l homme pour acteur», écrit Paul Veyne. C est dans ce «vrai» que réside tout l enjeu de l écriture de l histoire au XVII ème siècle. Avant lui, Ranke avait lui aussi recommandé de «se contenter de montrer comment les choses se sont passées» 408. C est bien ce que fait Tallemant, et c est en «faisant voir», qu il a donné aux lecteurs le moyen de saisir un XVII ème siècle différent de celui qu ils croyaient connaitre, et leur a présenté une réalité autre que celle de l histoire officielle. Cette réalité va certes les déstabiliser ou les choquer, mais elle ne leur 406 Voltaire commence par critiquer les traités d histoire qui n apprenait au lecteur que le déroulement des événements : «Mais après avoir lu trois ou quatre mille descriptions de batailles, et la teneur de quelques centaines de traités, j ai trouvé que je n étais guère plus instruit au fond Je ne connais pas plus les français et les sarrasins par les batailles de Charles Martel, que je ne connais les Tartares et les Turcs par la victoire que Tamerlan rapporta sur Bazajet». Cependant, les anecdotes qu il lit dans les Mémoires du cardinal de Retz ou encore celles de Madame de Motteville, même si elles rapportent «ce que la reine mère a dit mot pour mot à M. de Jersai», ne sont que des «illustres bagatelles» bonnes à satisfaire la curiosité mais sans valeur pour l instruction (voir les Œuvres de Voltaire, «Nouvelles considérations sur l Histoire», Paris, Lefèvre libraire, 1829, t. XXIV, p ) 407 Paul Veyne, op.cit., p. 10. Bien avant Paul Veyne, Hippolyte Taine critiquait Michelet dont l histoire, écrit-il, séduit mais ne convainc pas parce qu elle manque de rigueur scientifique. Selon Taine, «l histoire est un art[ ], mais elle est aussi une science; elle demande à l écrivain l inspiration, mais elle lui demande aussi la réflexion; si elle a pour ouvrière l imagination créatrice, elle a pour instruments la critique prudente et la généralisation circonspecte; il faut que ses peintures soient aussi vivantes que celles de la poésie, mais il faut que son style soit aussi exact, ses divisions aussi marquées, ses lois aussi prouvées, ses inductions aussi précises que celles de l histoire naturelle». (Hyppolyte Taine, Essais de critique et d histoire, Paris, Hachette, 1866, p. 189). 408 Ranke est ici cité par Boulay Bérenger, dans son article «Effets de présence et effets de vérité dans l'historiographie», Littérature 3/ 2010 (n 159), p

117 apporte pas moins une nouvelle vision, moins idéalisée et plus exhaustive du Grand- Siècle 409. Ces divulgations servent aussi une ambition d exemplarité, car elles permettent aux hommes tentés par l exercice de la tyrannie, à ceux que le pouvoir grise ou que l ambition aveugle, d être eux-mêmes éclairés sur les résultats de cette conduite, puisqu ils «pourront y trouver des exemples des malheurs qui sont arrivés aux auteurs» 410. La fonction d exemplarité est bien une notion cruciale qui doit guider l historien, et un topos récurrent chez ceux qui ont tenté d en codifier le discours au XVII ème siècle. On la retrouve sous la plume du Père Lemoyne : «L Histoire» écrivait-il, «est une École Universelle. Un Théâtre pour les bons Princes et un Échafaud pour les mauvais» 411. Dans la même veine, quoique sur un ton plus modéré, Tallemant avait simplement évoqué l utilité des «choses» qu il compte mettre en lumière 412. Il y a évidemment lieu de s interroger, chez Tallemant, tout comme chez Procope, sur la manière de concilier une histoire qui doit être exemplaire mais qui doit cependant rester secrète. Les similitudes entre les deux auteurs ne s arrêtent pas là, et permettent de postuler l hypothèse que Tallemant avait eu connaissance du texte de Procope 413. En effet, Procope avait lui aussi précisé, comme 409 Béatrice Guion rappelle que l idée que les grands événements résultent souvent de petites causes avait déjà été suggérée dans l Antiquité : Tite-Live par exemple, «observe que souvent de petites choses déclenchent des bouleversements». Plus tard, dans l Apologie de Raimond Sebond, Montaigne invoque la disproportion entre les causes des guerres et leurs conséquences. Il cite comme exemple la rivalité entre Pompée et César, et rappelle le rôle joué par les «devis du cabinet des dames et inclination de quelque fammelette» (voir Du bon usage de l histoire, histoire, morale et politique à l âge classique, Paris, Honoré Champion, 2016, p ). 410 Voir la préface d Antoine Varillas, Les anecdotes de Florence, op.cit., p Le Père Le Moyne, De L Histoire, Paris, Louis Billaine, 1670, p. 41. La préface de cette édition était adressée au Duc de Montausier, Gouverneur de Monseigneur le Dauphin. Le Duc de Montausier est, rappelons-le, l époux de Julie d Angennes, la fille de Madame de Rambouillet. 412 Historiettes, t. 1, p D après S. Uomini, l historien byzantin dont on avait publié L Histoire secrète en 1623 chez Alemanni avait connu un engouement tel que non seulement on le réédita, mais qu il y eut aussi des pastiches comme le roman historique de François de Grenaille, Bélisaire ou le Conquérant en 1643) (Voir Steve Uomini, Cultures historiques dans la France du XVII ème siècle, Paris, L Harmattan, 1998, 109

118 Tallemant plus tard, que ses récits étaient sans liaison entre eux, et que quoiqu ils puissent sembler peu vraisemblables, il se portait garant de la vérité qu il rapportait, et que ses témoins, d après lui, auraient confirmée 414. Enfin, tout comme pour les Historiettes, Procope, qui craignait les représailles, ne publia pas son travail de son vivant. Ainsi, pour l un comme pour l autre auteur, il s agit de concilier deux postures antithétiques : la nécessité de voiler et de garder secret, qui est incompatible avec l objectif essentiel de l histoire qui est d informer et d instruire un plus large public. Ces similitudes entre l approche de Tallemant et celle Procope permettentelles d avancer l hypothèse que Tallemant connaissait les codes qui régissent l écriture des anecdotes? Aux dires d Antoine Varillas, ces codes n existaient pas encore et invoquer une «histoire anecdotique» en parlant des Historiettes relèverait presque de l anachronisme. Même si Tallemant fut inspiré par Procope, il revient à Varillas, quelques années plus tard, d avoir réinventé le genre de l historiette en le nommant à partir de l œuvre matricielle de l historien et en en codifiant les règles Lorsque Furetière en propose la définition dans son Dictionnaire, c est à Varillas qu il en restitue l affiliation : Anecdotes : Terme dons se servent quelques Historiens pour intituler les Histoires, qu ils font des affaires secretes & cachées des Princes, C est-à dire des Mémoires qui n ont point paru au jour, & qui n y devroient point paroistre. Ils ont imité en cela Procope, Historien qui a ainsi intitulé un livre qu il a fait contre Justinien et sa femme Theodora. C est le seul des Anciens pp ). Bernard Beugnot situe l apparition de l œuvre de Procope à Lyon, en 1613, sous le titre d Arcana historica (Bernard Beugnot, La mémoire du texte, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 76). 414 Procope craignait que la vérité ne soit pas perçue comme étant vraisemblable par les lecteurs à venir, et qu on l accuse «d avoir publié des contes ou d être rangé dans la classe de faiseurs de tragédies». Il semble donc associer l invraisemblable à la fiction, contrairement à Aristote pour qui la tragédie devait respecter le vraisemblable (Histoire secrète de Justinien, traduit par François André Isambert, Paris, Firmin Didot frères, 1856, p. 2). 415 Dans la préface des Anecdotes de Florence Varillas écrit : «Si Procope, qui est le seul Auteur dont il nous reste des Anecdotes, avait laissé par écrit les règles de ce genre d écrire, je ne serois pas obligé de faire une préface» (Les Anecdotes de Florence ou l histoire secrète de la maison de Médicis, Chez Adrien Moetiens, (La Haye), 1689, p. 2). Cette réflexion porte à croire que Varillas ignorait l existence du manuscrit des Historiettes. 110

119 qui nous ait laissé des Anecdotes & qui ait montré les Princes tels qu ils estoient dans leur domestique. Varillas a fait les Anecdotes ou l Histoire secrette de la Maison de Medicis. Ce mot vient du grec Anecdota, qui signifie, Choses qui n ont pas paru, qui ont été tenuës secrettes, qui n ont pas été données au public 416. D après cette définition, l anecdote, même si elle relève de l inédit, même si elle reste dans le registre du secret et du caché, ne s en rapporte pas moins à des figures de la grande histoire, celle des Princes et des gouverneurs, et Furetière ne l associe nullement à l historiette dont la connotation dans son Dictionnaire lui est presque antinomique 417. Or l œuvre de Tallemant s inscrit bien dans le registre de l anecdote plutôt que dans celui de l historiette et les ambigüités sémantiques et lexicographiques qui se posent à partir du titre et du préambule s expliqueraient alors simplement par le fait que le terme anecdote ne faisait partie ni du vocabulaire des historiens ni de celui des hommes de lettres. Tallemant, mondain lettré, était probablement conscient de ces ambigüités, et son préambule servirait alors à préciser ses intentions en «codifiant» lui-même le discours des Historiettes 418. Il faut rappeler qu il se lance dans la rédaction de son œuvre lors d une période d intensification doctrinale, alors que la question de l écriture de l histoire occupe le pouvoir monarchique qui cherche à s en 416 A. Furetière, Dictionnaire universel, op.cit., p. 93 (La définition qu en donne Pierre Richelet est tout à fait similaire : voir son Dictionnaire de la langue française ancienne et moderne, Lyon, Pierre Bruysset-Ponthus, 1759, tome I, p. 130). 417 Rappelons que Furetière définit l historiette comme une petite histoire mêlée de fiction et de galanterie (la définition de Richelet est semblable). Par ailleurs, le sens d Anecdote a évolué avec le temps. Il a acquis une connotation péjorative chez les historiens, puisqu il désigne le fait piquant et insignifiant et renvoie à la «petite histoire». Curieusement donc, c est avec le temps qu il est devenu synonyme d Historiette. Steve Uomimi note très justement qu au XVII ème siècle, l anecdote était considérée comme «une composante historiographique essentielle, ayant pour caractéristique discriminante le référentiel caché», et que loin d être assimilée au petit fait divers et isolé, ou en marge du déroulement historique, elle relevait au contraire des événements majeurs et contribuait à construire les liens entre des incidents historiques en apparence dissociés. D après l étymologie grecque, le terme renvoie à la matière inédite et à sa divulgation. Il s agit vraiment d une relation de complémentarité entre l Histoire qui relate la chose publique et l Anecdote qui occupe le champ du particulier pour expliquer cette chose publique, tel que l avait déjà souligné Varillas (Steve Uomini, Cultures historiques dans la France du XVII ème siècle, Paris, L Harmattan, 1998, p. 404). 418 On peut aussi avancer l hypothèse que Tallemant pouvait aussi avoir intérêt à jouer sur un effet de fictionnalité. Dans cette instance, le terme «historiette» lui garantissait cette marge de manœuvre. 111

120 approprier le fonctionnement 419. Les hommes de lettres et les historiens cherchent à en codifier le discours, d où une prolifération d essais qui décrivent et précisent les modalités de l historiographie 420. L auteur des Historiettes qui fréquentait les «maitres de l institution» tels Chapelain, Conrart, Pellisson et Ménage, devait en connaitre les mécanismes 421. Il avait aussi puisé, comme l affirme Antoine Adam, dans les œuvres d historiens récents comme par exemple l Histoire universelle de De Thou ou encore les Œconomies royales de Sully 422. Dans l historiette de M. de Sully, il écrit dans une note de bas de pages : «J ay tiré la plus grande part de cecy d un manuscrit qu a fait feu M. de Marbault, autrefois secrétaire de M. du Plessis-Mormay, sur les Mémoires de M. de Sully» 423. Il fait de même dans l historiette du Maréchal d Effiat, dans laquelle il précise avoir consulté Mézeray : «J ay trouvé dans l Histoire de Mezeray ces mots, parlant de Gilbert Coiffier d Effiat» 424. Dans l historiette sur Du Moustier, Tallemant évoque «Du Pleix l historiographe» et ajoute une note expliquant que «M. de Bassompierre dans la Bastille y avoit fait des remarques de 419 Dans Les Pouvoirs de la littérature, C. Jouhaud souligne la problématique de cette écriture de l histoire et il rappelle les contraintes qui sont liées à la dynamique qui gouvernait les systèmes alors en place (systèmes de rétributions). L Histoire est au service du pouvoir, les historiographes sont invités à s intéresser à l histoire du temps présent et du roi régnant afin d entretenir une mystique de la monarchie et l écrivain qui veut briguer une charge d historiographe doit tenir un discours de courtisan et faire preuve d une fidélité aveugle au pouvoir (Christian Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature, histoire d un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, p. 151). 420 Il s agit par exemple de Charles Sorel dans De la connaissance de bons livres, de Gomberville dans le Discours des vertus et des vices de l histoire et de la manière de la bien escrire, de Guez de Balzac dans ses Entretiens, de René Rapin dans Instructions pour l histoire ou encore de P. Lemoyne, dans De l histoire. 421 Ces «maitres de l institution» comme les appelle Alain Viala sont les fondateurs des cercles académiques, ils ont des appuis solides dans les salons. Enfin et surtout, précise A. Viala, ce sont à la fois les «hommes du mécénat» qui en profitent plus que d autres mais qui jouent aussi le rôle de conseillers auprès des mécènes pour la distribution des gratifications. L historien Mézeray a fait partie de ce groupe, au sein duquel l écriture de l histoire n est plus seulement affaire de savants mais aussi de littérateurs qui se font historiens (Chapelain) ou historiographes de profession (Mézeray ou Pellisson) (Voir Alain Viala, Naissance de l écrivain, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p ). 422 Historiettes, t. 1, p. xviii. 423 Ibid., t. 1, p. 44. M. Pierre de Marbault était conseiller et secrétaire de Henri IV. A. Adam explique que M. de Marbault, qui détestait Sully, avait écrit des Remarques sur les Mémoires de Sully, pour y relever ce qu il estimait être des erreurs ou des mensonges. Tallemant avait probablement lu aussi les Mémoires de Sully. Il ne devait pas aimer le ministre du roi, puisqu il choisit de se baser sur le récit de M. de Marbault. 424 Historiettes, t. 1, p

121 bien des impertinences» 425, ce qui permet de supposer qu il connaissait l œuvre de Scipion Dupleix ainsi que le pamphlet dont on attribuait la rédaction à Bassompierre et dans lequel celui-ci critiquait violemment l historien 426. Connaissant certainement les règles sur le discours de l histoire, la distinction que Tallemant établit entre ses Historiettes et les mémoires de la Régence qu il projette d écrire n est alors pas seulement une distinction chronologique mais semble bien être une d ordre générique, et surtout une distinction entre le général et le particulier qui montre bien que l auteur se place sciemment dans un registre aux contours bien spécifiques, celui de l anecdote, même si l appellation n existait pas encore. Avant d aller plus loin dans l analyse de ce registre particulier aux Historiettes, il y a lieu de s interroger sur sa place dans le discours de l histoire et celui sur l histoire du XVII ème siècle. V. L écriture de l Histoire au XVII ème siècle Entre la codification d un genre et la réalité du discours historique Pour celui qui serait tenté de faire un tri dans ce qui peut être considéré «écrit historique» au XVII ème siècle, les sources sont multiples et variées : les livres d Histoires écrits par des historiographes tels Pierre Mathieu, Scipion Dupleix, ou François Mézeray, les Mémoires rédigées par des particuliers ayant été proches du pouvoir tels Les Mémoires de Bassompierre, Ceux du Cardinal de Retz, ou de Madame de La Fayette. Il y a aussi les histoires secrètes ou romans à clefs dont l objectif est de dépeindre l envers du décor en quelque sorte, comme l Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin. En outre, les romans historiques sont à la 425 Historiettes, t. 1, p Ibid., t. 1, p. 660 (Le maréchal de Bassompierre, ancien favori d Henri IV, avait été disgracié en 1630, suite à la Journée des Dupes, et emprisonné à La Bastille pendant douze ans. Il y rédige des Mémoires qui furent publiées en 1665). 113

122 mode, et puisent dans l histoire matière à leurs sujets. Cependant, même si à l instar du Père Lemoyne, on considère que «l Histoire et la Poësie sont alliées», et «Qu il faut être Poëte pour être Historien» 427, l écriture de cette Histoire au XVII ème siècle est loin de satisfaire les attentes du jésuite: «je le répète à notre honte, jusqu icy nous n avons pas eu d Historiens en nostre langue qui se puisse dire Historien parfait» 428. Un autre jésuite, le Père René Rapin, estime que le portrait idéal de l Historien ne se retrouve que dans l Antiquité. Selon lui, la vérité qui est la composante essentielle de l Histoire et la première règle à y observer, est «sans cesse corrompue, et même profanée par la lâcheté des flatteurs, la pluspart des Historiens estant d ordinaire pensionnaires des Cours : on doit se mettre au-dessus de l espérance, ou de la crainte, dès qu on se mêle d écrire, pour avoir la force de dire toujours la vérité» 429. Il fait bien évidemment allusion aux historiographes qui dépendent du pouvoir soit pour subsister, soit pour leur propre gloire. Il faut souligner que cette vision de l «Historien parfait» ne répond pas aux enjeux politiques en cours au XVII ème siècle. En effet, et comme le souligne à juste titre Christian Jouhaud, les contraintes qui pèsent sur les historiographes du XVII ème sont incontournables. D une part, c est le pouvoir qui seul peut octroyer l ordre de s atteler à la tâche de l écriture. D autre part, 427 Père le Moyne, De l Histoire, op.cit. Selon le Père Lemoyne, l Histoire est «une des Muses, mais des plus nobles et des plus anciennes», elle surpasse la Fable qui «n est venue qu après la vérité». Lemoyne évoque Cicéron pour qui l Histoire n est qu une «Poësie libre des servitudes de la parure» (p. 6). La Mothe Le Vayer lui aussi considère l histoire comme le genre le plus noble parmi les genres en proses : «Tous les maitres ont convenu que l histoire estoit une des principales parties de l art oratoire, opus oratorium maxime [ ] Quintilien dit pour cela que l histoire est si voisine de la poésie qu elle est comme un poème libre et sans contraintes [ ]. En effet, l histoire nous présente les choses avenues et véritables, du mesme air à peu près que la poésie nous dépeint les possibles et les vraisemblables» (La Mothe Le Vayer, Discours de l Histoire, Paris, Jean Camusat, 1630, p. 42). 428 Père Lemoyne, De l Histoire, op.cit., p. 18. Le Père Lemoyne spécifie cependant que Philippe de Commynes est l exception et peut se comparer à Polybe (p. 20). 429 Père René Rapin, Instructions pour l Histoire, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1677, p

123 c est ce pouvoir même qui décide des sources à mettre à la disposition de l écrivain et qui peut à loisir censurer son écriture 430. Or, l écriture historique avait connu une évolution au cours de la période qui va du XIV ème au XVI ème siècle, et qui sera reprise au XVIII ème siècle. Cette évolution, qui va peu à peu contribuer à donner à l historiographie ses lettres de noblesse dans le domaine des sciences aussi bien que dans celui des lettres, connait toutefois une période de latence au XVII ème siècle, car les «Artisans de la gloire» cherchent surtout à encenser le pouvoir 431. L observation de D. Bohler et de C. Magnien-Simonin fait écho à la critique déjà développée par Georges Huppert dans L Idée de l histoire parfaite où il rappelle comment le XVI ème siècle avait contribué à rétablir l autorité de la critique historique. Dans cette «histoire parfaite» idéalisée, souligne Huppert, les avocats de cette Histoire Nouvelle font une large place à l érudition et cherchent à éliminer toute trace de fiction. En outre, il ne s agit pas seulement d accumuler les faits, il faut aussi les expliquer et en interpréter les causes et les motifs 432. L approche devait distinguer le «vray historiographe» du simple chroniqueur. Enfin, l historien devait alors «se vouer et se consacrer à la vérité» 433, en sachant comment prendre ses distances envers l autorité et le pouvoir qui auraient pu gêner son labeur Voir Les pouvoirs de la littérature, op.cit., p Marc Fumaroli apporte une nuance intéressante : il estime que les deux pères jésuites semblent ignorer des historiens comme Jacques A. de Thou dont on peut dire que l œuvre se situe dans la tradition de la grande Histoire humaniste (La diplomatie de l esprit, op.cit., p n. 5). 431 Voir la postface aux Actes du colloque tenu à Bordeaux en 2002, Ecritures de l Histoire (XIV ème - XIV ème siècle, Paris, Droz, La formule «Artisans of Glory» est celle du titre du livre d Orest Ranum (Artisans of glory, writers and historical thought in seventeenth century France, The University of North Carolina Press, 1980). 432 Voir G. Huppert, L idée de l histoire parfaite, traduit par Françoise et Paulette Braudel, Paris, Flammarion, 1970, ). Voir aussi Les Lieux de Mémoire, sous la direction de Pierre Nora, Paris, Éditions Gallimard 1997, Vol. I, p. 780). La posture de La Popelinière ne tint pas compte de l historiographe qui, sous l égide du pouvoir au XVII ème siècle, peut difficilement prendre ses distances envers ce pouvoir. 433 La Popelinière est cité par G. Huppert, L idée de l histoire parfaite, op.cit. p Georges Huppert, L idée de l histoire parfaite, op.cit., p

124 Malheureusement, cette évolution fut interrompue et même dénoncée comme sacrilège après C est qu alors, l histoire est placée sous un patronage officiel et il devient hors de question de soumettre à la critique historique un sujet qui pouvait toucher à un secret d État 436. L érudition historique décline, et les historiographes sont appelés à recourir à la tradition humaniste éloquente qui avait tant été critiquée au XVI ème siècle par des historiens comme la Popelinière. Les discours panégyriques des historiographes du XVII ème siècle n obéissent plus aux codes établis un siècle plus tôt, selon lesquels l histoire doit être dépouillée des ornements de la rhétorique, qui y introduisent le soupçon de la feintise. Dans un registre opposé, mais tout aussi éloigné de celui des panégyristes, se trouvent les Historiettes, qui font aussi appel à un vaste arsenal de la rhétorique, mais il s agit ici d une rhétorique du blâme pour brosser des portraits de personnages réels ou relater des événements qui ont eu lieu. L hypothèse qu on pourrait avancer serait que le discours trivial des Historiettes serait une forme d écriture de l histoire dissidente par rapport à celle des historiographes 437. Nous nous trouvons ainsi face à deux types de discours qui cherchent à persuader. Georges Huppert rappelle que la subordination aux exigences monarchiques qui se situe entre la promulgation de l Édit de Nantes et sa révocation, contribue à annihiler les réalisations brillantes de la culture de la Renaissance, et rend vains les 435 G. Huppert explique notamment comment la légende d une paternité troyenne au peuple français s est discréditée au cours du XVIème siècle, non seulement dans les cercles savants mais aussi à la Cour et dans l opinion publique française. Elle avait cédé la place à un exposé scientifique des origines francques. Cependant, la légende est reprise après 1600, même chez un historien comme Mézeray qui «ressuscite les géants de la chronique médiévale» (voir G. Huppert, L idée de l histoire parfaite, op.cit., p ). Le retournement est tel que l historien Fréret sera jeté en prison en 1714 pour avoir repris des thèses historiques qui au XVI ème siècle avaient été imprimées et dédiées au roi Henri III et Henri IV. L autorité de la critique historique était telle alors, que même les rois s inclinaient devant elle (G. Huppert, L idée de l histoire parfaite, op.cit., p. 80). 436 Dans Les lieux de Mémoire, op.cit. (Vol II, p. 374). 437 Béatrice Guion avait avancé ce type d hypothèse concernant Varillas: «L histoire secrete de Varillas est considérée comme une démythification du pouvoir, par opposition aux travaux des artisans de la gloire». Il en va de même de la nouvelle historique, dont on juge couramment qu elle concourt à la démolition de l idéal héroïque» (Du bon usage de l histoire, op.cit., p. 401). 116

125 efforts de La Popelinière pour prouver que l historien pourrait être plus qu un témoin, un narrateur ou un mémorialiste 438. Cette optique rejoint celle de Paul Hazard avant lui, qui estimait qu alors «l histoire fit faillite», et qu on abandonna le savoir sur le passé parce qu on perdit confiance dans ceux qui prétendaient le connaitre, car ceuxci mentaient ou se trompaient. Il évoque des historiens comme Mézeray, Saint-Réal, Varillas ou le Père Daniel et pour qui l histoire est une école de morale, un ensemble de récits dont l exemplarité sert à guider les bons princes ou à décourager les mauvais. De plus, l emphase porte sur le style et non sur l exactitude du contenu. On compare alors l histoire à la poésie, par la noblesse des personnages qu elle doit mettre en représentation, par le sublime qui doit en être l élément primordial 439, et enfin par le discours qui doit être orné et éloquent 440. Exemples à l appui, Paul Hazard cite Saint-Réal qui «romance le caractère et la vie de don Carlos» ou encore Varillas, qui ne vérifiait pas ses sources et ne se gênait pas pour inventer des faits. Bref, tout comme le roman emprunte à l histoire, l histoire se met à imiter le roman 441. Par ailleurs, malgré l engouement du XVII ème pour les études historiques, les travaux historiques rencontrent plusieurs difficultés. En premier lieu, le culte excessif de la royauté et le besoin de la consolider par l histoire qui se renforcent sous le règne de Louis XIII et de son puissant ministre Richelieu pèsent sur cette écriture, puisque l historiographie doit aider à cette consolidation; les historiens travaillent sur l ordre 438 George Huppert, L idée de l histoire parfaite, op.cit. p Paul Hazard, La crise de la conscience européenne , Éditions Fayard, 1961, pp En 1670, le Père Le Moyne écrivait : «L histoire est une narration continue de choses vraies, grandes et publiques, écrite avec esprit, avec éloquence et avec jugement, pour l instruction des particuliers et des princes, et pour la société civile» (cité par Paul Hazard, op.cit., p. 39). Il est opportun ici de noter que la définition du roman au XVII èm e siècle s apparente à celle de l histoire. En effet, en 1671, Huet, dans son Traité de l origine des romans écrit : «[ ] ce que l on appelle proprement Romans sont des fictions d aventures amoureuses, écrites en Prose avec art, et pour le plaisir et l instruction des Lecteurs. Je dis des fictions pour les distinguer des Histoires véritables La fin principale des Romans, ou du moins celle qui le doit être, et que se doivent proposer ceux qui les composent, est l instruction des Lecteurs, à qui il faut toujours faire voir la vertu couronnée et le vice châtié» (Pierre-Daniel Huet, Traité de l origine des romans, Paris, N.L.M. Desessarts, 1798, p. 4). Nous retrouvons donc là aussi les impératifs de l éloquence et de l exemplarité. 441 Paul Hazard, La crise de la conscience européenne, op.cit. p

126 de la cour et sous son contrôle, et sont payés par ce pouvoir 442. La critique historique pratiquée par les érudits du XVI ème siècle devient au XVII ème siècle synonyme de libertinisme 443. C est ainsi que dans la thèse défendue par le Père Garasse dans Les Recherches des Recherches et autres œuvres de Me Estienne Pasquier, publiée anonymement en 1622, le jésuite pourfend violemment l approche de Pasquier. Il condamne l historien qui se permet de juger son «Roy» : «c est une outrecuidance et un desvoyment de plume qui mériterait chastiment» 444. Or, Tallemant ne se permet pas seulement de «juger» le roi, il en fait une figure souvent ridicule 445. Garasse aurait probablement été indigné s il avait lu les propos de Tallemant sur Louis XIII, remettant en question la piété du roi mourant, qui «avoit toujours craint le diable, car il n aimait point Dieu, mais il avoit grand peur de l enfer» 446. Ainsi, la dévotion royale n est que superstition et peur du châtiment. Tallemant rapporte aussi que vingt ans plus tôt, le roi avait décidé de mettre le royaume sous la protection de la Vierge avec une Déclaration qui disait «Afin que tous nos bons sujets aillent en paradis, car tel est nostre plaisir» 447. Dans ses notes, Antoine Adam explique qu il s agissait en 442 Voir Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII ème siècle, tome v, Paris, Éditions Mondiales, 1962, p F. Garasse est ici cité par G. Huppert, op.cit., p Dans ce contexte, «libertinisme» désigne le mouvement qui se caractérise par une révolte contre la religion ou du moins la remise en question des dogmes. À cet aspect spirituel et religieux correspond un aspect moral, du fait que l athéisme mène directement à la dissolution des mœurs (voir Le Dictionnaire littéraire, sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala, Paris, PUF, 2002, p. 343). 444 François Garasse, Les recherches des recherches et autres œuvres de Me Estienne Pasquier, Sebastien Chapelet, 1622, p. 79. Notons que Garasse n est pas le seul à condamner l historien qui critique son roi. Dans des termes plus mesurés, les jésuites Le Moyne et Rapin soulignaient également la nécessité d une censure afin de préserver la dignité des Grands : «quoiqu on ne doive rien dire que de véritable, on ne doit pas dire toutes les vérités», cela parce qu «il y a des têtes privilégiées qu on doit respecter : traitons-les honnêtement; ne laissons point échapper d insolence à leur égard» (le Père Rapin cité par B. Guion, Du bon usage de l histoire, op.cit., p. 158) 445 Tallemant s en prend même à Louis XIV : dans l historiette de Gombaud, il évoque un sonnet que Gombaud hésitait à présenter au roi parce qu il n était pas achevé. Tallemant note entre parenthèse : «Comme si le Roy s y connoissoit, ou ceux qui l approchent!» (Nous sommes en 1658, il s agit donc de Louis XIV). Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Ibid., p

127 fait d une déclaration datant du 10 février Pour se moquer, Tallemant en a isolé les deux dernières lignes, ce qui produit un effet assez comique, comme si accéder au paradis dépendait seulement du bon plaisir du roi. Or, convoquer un registre comique pour évoquer le sacré est alors perçu comme une attitude libertine 449. En condamnant Pasquier comme libertin, Garasse condamne la méthode historique qu il pratique. De plus, la neutralité religieuse de Pasquier qui n hésite pas à affirmer que «Dieu s est diversement joué, tant des catholiques que des Huguenots» 450 est une proposition libertine pour Garasse. Il est fort possible que Tallemant partageât cette neutralité de Pasquier, ou du moins un certain esprit de tolérance, comme le montre cette confidence de Ninon de Lenclos qu il rapporte: «Elle m a avoué que dès lors elle vit bien que les religions n estoient que des imaginations, et qu il n y avoit rien de vray à tout cela» 451. Pour faire ce type de confidences, Ninon de Lenclos se doutait probablement que Tallemant devait penser comme elle. Pour Garasse et ceux qui partageaient ses opinions, l association de l histoire à l érudition plutôt qu à la rhétorique l avait rendue «dangereuse» à la politique de la Contre-Réforme. Il fallait alors la rejeter dans la rhétorique et lui 448 Cette déclaration se termine comme suit : «Afin que sous une si puissante patrone, notre royaume soit à couvert de toutes les entreprises de ses ennemys, qu il jouisse longuement d une bonne paix, que Dieu y soit servy et révéré si saintemant que nous et nos sujets puissions arriver heureusement à la dernière fin pour laquelle nous sommes créés. Car tel est notre bon plaisir» (Historiettes, t. 1, p. 1023, n. 4). 449 Voir l article de Claude Nédélec intitulé «Rire des liturgies au XVII ème siècle : une preuve de libertinage?», Les Dossiers du Grihl [En ligne], Les dossiers de Claudine Nédélec, Le XVII ème siècle, mis en ligne le 14 novembre L auteure y analyse la mise en représentation comique de scènes liturgiques chez Molière, et soulève la question du libertinisme dans ces registres qui mêlent comique et sacré. Peut-on, à l instar de Démocrite, rire de tout, de la mort, de la maladie, du bien ou du mal? La question se pose tout autant pour Molière que pour Tallemant. 450 Voir Les œuvres d Estienne Pasquier, Amsterdam, Compagnie des Libraires Associes, 1723, p Voir aussi la critique de Garasse au sujet de cette déclaration dans Les Recherches des Recherches, Paris, Sebastien Chappelet, 1622, p Historiettes, op.cit., t. 2, p Antoine Adam note que quoique fidèle à la religion réformée, Tallemant n est pas loin de partager la position de Ninon à ce sujet (notes, t. 2, p. 1281). 119

128 rendre sa valeur d exemplarité 452. Ainsi le Grand Siècle semble être une période d éclipse partielle lors de laquelle l écriture de l histoire, sous l égide de l absolutisme royal d une part, et de l attrait des modèles littéraires d autre part, ralentit les progrès de la connaissance historique du siècle précédent 453. L historiographe est un apologiste au service du pouvoir, ce que reflète assez bien la définition qu en donne Furetière, qui le décrit comme étant «celui qui a écrit ou qui écrit l Histoire, qui s applique particulièrement à cette étude [ ] On le dit plus particulièrement de ceux qui ont une Commission, un brevet particulier pour écrire l Histoire de leur temps. Les Rois ont toujours soin d avoir de bons Historiographes» 454. Cette définition sur un terme en usage dès le XVII ème siècle semble porteuse de plusieurs significations. Pour O. Ranum, il ne signifie rien de plus que chroniqueur à qui on accorde un brevet ou une charge d historiographe du roi ou d historiographe de France 455. L explication de François Fossier insiste sur la double caractéristique d une fonction assujettie au pouvoir qui la subventionne et dont elle dépend 456. Selon lui, la charge d historiographe du roi ou de France n a pas d existence institutionnelle, il s agirait plutôt d un titre dont on a voulu honorer des personnages aux parcours très divers, et 452 Voir G. Huppert, op.cit., p Notons en passant une des explications que donne Pasquier sur l origine du mot Huguenot, qui n avait au départ aucune connotation religieuse. Pasquier semble insinuer que souvent, en désignant quelqu un ou quelque chose par un nom, en nommant un parti, on contribue à le différencier, à créer son antinomie et ainsi, comme on le sait dans le cas des Huguenots, provoquer des conflits (voir Les œuvres choisies d Étienne Pasquier, Paris, Firmin Didot, 1849, p. 119). Garasse avait justement critiqué cette analyse de Pasquier 453 Paul Hazard, auteur de La crise de la conscience européenne, , voit dans le Grand Siècle «la faillite de l histoire». Cependant, d après Steve Uomimi, cette tendance à considérer le XVII ème siècle comme une parenthèse dans l évolution du savoir historique doit être nuancée. Il estime que cette évolution fut en réalité ininterrompue, mais qu elle se dessinait alors «en dehors de l histoire narrative traditionnelle», dans des «foyers d activités hétéroclites comme le milieu des savants de Port- Royal mais aussi celui des juristes, collectionneurs antiquaires, adeptes du libertinage érudit» (voir Steve Uomimi, Cultures historiques dans la France du XVII ème siècle, op.cit., p. 7-8). 454 Furetière, Dictionnaire Universel, op.cit. Un siècle plus tard, Voltaire faisait la distinction entre l historien et l historiographe, ce dernier étant pensionné pour écrire l histoire. Voltaire écrit qu «il est rare qu un historiographe ose dire la vérité» (Voltaire, Œuvres complètes, Dictionnaire philosophique, Paris, Lefèvre et Deterville, 1818, t. 3, p. 348). 455 Orest Ranum, Artisans of glory, op. cit., p Voir l article de François Fossier dans la Revue d Histoire moderne et contemporaine, «À propos du titre d Historiographe sous l Ancien Régime», juillet-septembre 1985, t. XXXII, p

129 qui au XVII ème siècle furent recrutés pour des motifs de polémique politique ou religieuse. La pension qui s y attachait dépendait du bon vouloir du souverain et variait d une personne à l autre, ainsi le gouvernement de Richelieu qui voit se multiplier la production et la circulation de pamphlets nécessaires à sa politique récompense les «plumes dociles» par des titres d historiographe, fussent-ils ou non versés dans la pratique de l histoire et de l érudition 457. Se virent décerner ce genre de distinctions des hommes de lettres à gages que souvent rien n avait préparé à la tâche: François Fossier cite Théodore Godefroy par exemple, dont la nomination était due à son abjuration, et celle de Scipion Dupleix, «historien sur commande» 458. Pellisson fut lui aussi contraint d abjurer avant d être nommé historiographe en Quant à Perrot d Ablancourt, son cas illustre l arbitraire de ces nominations : quoique fortement recommandé par Chapelain et favorisé par Colbert, il ne put obtenir la charge car il refusa l abjuration 459. L une des missions des historiographes était donc de construire une histoire qui servait au renforcement du pouvoir royal, et l écrivain qui voulait briguer une charge d historiographe devait tenir un discours de courtisan et ne conservait cette charge qu au prix d une fidélité aveugle envers le pouvoir. La conception de l histoire ne reposait pas sur l exercice critique ou la recherche du vrai, et Richelieu, tout 457 Henri-Jean Martin souligne toutefois que des copies des comptes du Trésor de l Épargne permettent de reconstituer le mécanisme de la propagande royale et démontrent l existence d une institution régulière, celles des historiographes du Roi. Il cite Pierre Paschal qui suit Catherine de Médicis reçoit d elle le titre d historiographe et une pension de 1200 livres. L institution prend sa forme définitive à partir de 1572 et une personnalité nommée par brevet et pensionnée fait figure de titulaire du poste d historiographe. À Pierre Paschal succède Pierre Mathieu entre 1571 et 1610, Bernard Du Haillan entre 1610 et 1620, Charles Bernard entre 1621 et 1636, puis son neveu Charles Sorel. H. J. Martin souligne aussi que toute une série d hommes de lettres sont nommés aussi par brevet et portent le titre d historiographe du Roi (Henri-Jean Martin, Livre, Pouvoirs et société à Paris au XVII ème siècle, Genève, Droz, 1999, p ). 458 François Fossier, art.cit. p Voir Jean Chapelain, Lettres à l Académie Française, Paris, Ph. Tamizey De Larocque, Imprimerie Nationale, 1883, vol. 2, t. 2, p

130 comme Colbert plus tard, veillaient à ce qu on ne déroge pas à la ligne de conduite clairement définie 460. Scipion Dupleix raconte comment Richelieu intervenait dans son travail en apportant des corrections là où il jugeait nécessaire : «La vérité est que mon histoire était encore loin d être mise à la presse que Richelieu me l ouït dire mot à mot tout entière, lui-même la pouvant lire avec tant d attention que personne ne le voyait durant les heures qu il employait à cette lecture» 461. Mézeray, quant à lui, s était permis de critiquer les créations d impôts et les alourdissements de la fiscalité dans l Abrégé de son Histoire de France, ce que Colbert perçut comme des allusions à sa politique financière. Le ministre demanda à Perrault de réviser le texte, et réduisit de moitié la gratification de Mézeray en lui rappelant que «le Roi ne lui avait pas donné une pension de quatre mille livres pour écrire avec si peu de retenue» 462. Varillas avait été formé au cabinet des frères Dupuy et avait travaillé sous leur direction à inventorier des pièces d archives 463. Antoine Adam rapporte qu on le tenait en plus haute estime que Mézeray, cependant, la parution de son Histoire des révolutions arrivées dans l Europe depuis 1574 jusqu en 1658 est un échec et on lui reproche son manque d esprit critique et ses réflexions morales 464. Il subit aussi la foudre de Colbert qui n approuvait pas ses recherches sur les Valois. Pour pouvoir mieux renforcer le pouvoir royal au XVII ème siècle, ni Richelieu ni Colbert 460 Voir Chantal Grell, Les Historiographes en Europe de la fin du Moyen âge à la Révolution, Paris, Presses de l Université Paris-Sorbonne, 2006, pp. 136, 137, et Alain Viala, La naissance de l écrivain, op.cit., p. 211). 461 Scipion Dupleix cité par Chantal Grell, Les historiographes, op.cit., p Cité par Chantal Grell, Ibid., p Antoine Adam, op.cit., p Rappelons que les frères Dupuy avaient hérité de la bibliothèque de leur oncle, l historien Jacques-Auguste de Thou, et qu ils y recevaient un cercle d érudits et de savants dont Chapelain, Ménage, Somaize, La Mothe Le vayer, Mézeray, ou encore Gassendi ou Pereisc, ou des étrangers comme Heinsius et Hobbes. D après A. Adam, Tallemant fréquentait le cabinet des frères Dupuy, et c est chez eux qu il aurait eu connaissance d un manuscrit, le Thuana, dans lequel il aurait puisé des informations qui ont alimenté ses Historiettes (celle qui concerne le marquis de Pisani par exemple, voir A. Adam, notes, Historiettes t. 1, p. 685) 464 Voir Antoine Adam, op.cit., p

131 n acceptaient que l historien interprète les événements qu il rapportait, ce rôle étant strictement celui du roi et de son ministre 465. Alors qu elle doit être une écriture élogieuse au service du pouvoir 466, l histoire ne cesse cependant pas d être au centre des préoccupations des historiens et des hommes de lettres. On trouve ainsi au XVII ème siècle un nombre impressionnant de manuels d histoire écrits par ceux qui voudraient en codifier le discours 467 : Charles Sorel en est un exemple. Sa conception de l histoire est très éloignée de celle de Colbert qui cherchait à promouvoir une histoire à la gloire de Louis XIV, et de la sienne propre par contrecoup. Dans son Avertissement sur l histoire de la monarchie française, Sorel souligne que l histoire doit plaire et profiter, et qu elle doit associer le savoir et l érudition à des techniques narratives qui doivent procurer un plaisir esthétique : 465 Selon Giuliano Ferretti, cette contamination entre politique et histoire est une notion que Richelieu généralisa pour que les faits relatés soient conformes aux intérêts du roi et du pouvoir en place (G. Ferretti, «Richelieu et les historiographes» dans Les Historiographes en Europe de la fin du Moyen âge à la Révolution, op.cit., p. 330). 466 Notons que L.de Samosate recommandait justement à l historien d éviter de se répandre en éloge sur les princes et les généraux, élevant jusqu aux nues ceux de leurs nations Le faiseur d éloges n a qu une préoccupation, c est de louer, de charmer l objet de sa louange L unique devoir de l historien, c est de dire ce qui s est fait L unique devoir de l historien : ne sacrifier qu à la vérité, quand on se mêle d écrire l histoire, et négliger tout le reste Quant au style, à la force de l expression, on n y doit trouver ni véhémence, ni rudesse ni aucun de ces artifices de rhétorique dont la séduction ne convient pas à l histoire» (Voir les Oeuvres complètes de L. de Samosate, traduction nouvelle avec une introduction par Eugène Talbot, Paris, Hachette, 1857, t. 1, p. 356). 467 Citons notamment ceux qui voient dans l histoire une instruction politique, ou un guide pour l éducation des rois et de la noblesse : ainsi Balzac ou Chapelain, (voir «De l utilité de l histoire aux gens de cour» dans Les Entretiens, le père Lemoyne (De l histoire), Nicole (De l éducation d un prince). Pour d autres, l Histoire doit aussi être exemplaire : Sorel souligne que c est dans l histoire que «les bonnes actions sont exaltées afin que les successeurs en reçoivent de l honneur et du profit» (De la connaissance des bons livres), Saint Réal et Mabillon récusent l utilité politique de l histoire, et estiment que l histoire événementielle doit faire place à une réflexion sur la nature humaine. Dans la seconde moitié du XVII ème siècle, les théoriciens de l histoire comme les pères Rapin et Lemoyne, sont guidés par un souci de vraisemblance. Il s agit surtout de donner des leçons «sans faire semblant» et d éviter l abondance des réflexions morales et politiques («disons la vérité sans commentaires, si nous avons l esprit assez fort pour cela» écrivait Rapin dans Instructions pour l histoire). Pour un examen plus approfondi des remises en question de l écriture de l histoire au XVII ème siècle, ainsi que des nombreux textes qui en tracent l évolution, on se réfèrera au travail de Béatrice Guion dans Du bon usage de l histoire, op.cit. 123

132 Nous ne devons plus demander qu un bon livre, qui s estant accordé avec les Anciens et les Modernes nous donne des vérités indubitables, et qui estant fait selon les règles de l art, puisse aussi bien plaire que profiter 468. Les exigences et les remises en question des théoriciens alourdissent ainsi la tâche des historiens, et pour beaucoup, l écriture de l Histoire au XVII ème siècle serait dans une impasse. C est pour cela qu on se rabat sur les Mémoires qui seraient les dépositaires de la vérité que l esthétique aristotélicienne opposait au vraisemblable et au merveilleux, domaines de la poésie. Furetière les définit justement comme des «livres d Historiens écrits par ceux qui ont eu part aux affaires ou qui ont été témoins oculaires, ou qui contiennent leur vie et leurs principales actions, ce qui répond à ce que les latins appelaient Commentaires» 469. Mais les Mémoires seraient-ils bien les dépositaires de cette vérité dans le discours historique? vérité: VI. La question de la vérité dans l écriture de l histoire Selon Aristote, ce qui définit le genre historique est son ambition de relater la Par ce que nous venons de dire, il est aisé de voir que ce n est pas le propre du poète, de dire les choses, comme elles sont arrivées, mais comme elles ont pu ou dû arriver nécessairement ou vraisemblablement [ ] car l Historien et le poète ne diffèrent pas entre eux, en ce que l un écrit en prose, et l autre en vers, mais ils diffèrent en ce que l Historien écrit ce qui est arrivé et le poète ce qui a pu ou dû arriver[ ] C est pourquoy la poésie est plus grave et plus morale que l Histoire, parce que la poésie dit des choses générales, & l Histoire rapporte les choses particulières Charles Sorel est ici cité par Christian Jouhaud dans Les Pouvoirs de la Littérature, op.cit., p Notons que selon le jésuite René Rapin, l Histoire «ne pense qu à instruire» et c est justement en cela qu elle diffère du Roman «qui ne pense qu à plaire» (voir Instructions pour l Histoire, op.cit., p. 30) et en cela, il cite Lucien qui prétendait que l Histoire ne pouvait pas être partagée entre «l utile et l agréable». Ainsi, Hérodote qui voulait plaire au public de son siècle, vit sa bonne foi mise en doute plus tard au point qu il rendit l Histoire suspecte aux yeux des grecs (p. 31). 469 Furetière, Dictionnaire Universel, op.cit. 470 Aristote, Poétique, trad. A. Dacier, Paris, Claude Barbin, 1692, p

133 En suivant cet argument, Aristote avait exclu l histoire du domaine de sa Rhétorique pour l inscrire dans celui du savoir politique 471, car il est question de savoir et non de persuader. Comment écrire l histoire? La question de la véracité propre au discours sur l écriture de l histoire s est posée pendant l Antiquité, elle se posa au XVII ème siècle et elle se pose encore aujourd hui. Peut-on concilier le discours de vérité que requiert l histoire avec l écriture apologétique des historiographes de Louis XIII ou ceux de Louis XIV? Les hommes de lettres du XVII ème siècle ne sont pas dupes et reconnaissent que les discours élogieux ne reflètent pas la réalité. Dans son Dictionnaire, Furetière explique que le panégyrique est le Discours d un Orateur fait à la louange d une personne ou d une vertu extraordinaire, ou qu on veut faire passer pour telle [ ] On dit menteur comme un panégyrique ou une oraison funèbre disait Balzac. L imagination a plus de part dans le panégyrique que la raison. Ce sont des hyperboles continuelles [ ] Le panégyrique est une partie du genre démonstratif suivant les Rhétoriciens [ ] Panégyrique se dit quelquefois en contresens des medisances 472. Furetière inscrit donc le genre du panégyrique dans le champ de la fiction, mais il l inscrit aussi dans un registre moral, puisqu il compare le panégyriste au menteur, de la même manière qu il l avait fait avec le médisant, celui qui «parle mal de quelqu un, découvre ses desfauts, soit qu ils soient vrais, soit qu ils soient controuvés» 473. Similaires parce qu ils partagent des figures de style, l un évolue dans le registre de la louange, et l autre dans celui du blâme, mais tous les deux reposent sur le mensonge, ou du moins sur l exagération. Est-ce à dire que la médisance est l envers du panygérique et qu elle se situe tout aussi loin de la vérité? Là est bien la question qui se pose au cœur du discours de Tallemant dans les Historiettes. Elle avait été soulevée au sujet de Varillas, dont les erreurs et 471 Ibid. 472 Furetière, Dictionnaire universel, op.cit. 473 Ibid., p

134 «l affabulation romanesque» lui seront plus tard reprochées par Bayle dans son Dictionnaire historique et critique 474. Or, Varillas n hésite pas à comparer l écrivain de l histoire à celui des anecdotes, tous les deux obligés, dit-il, de dire la vérité, mais une vérité énoncée de manière différente : «Il n y a point d esclavages plus grand pour un écrivain d anecdotes que d être obligé de dire la vérité dans toutes les circonstances, lors même qu il traite des matières les plus délicates» 475. Varillas semble insinuer que l écriture anecdotique inclut des vérités que l historien passerait sous silence, des vérites qui ne sont pas bonnes à dire dans un document historique. Cela signifie que l anecdote est non seulement complémentaire à l histoire, mais qu elle est plus exhaustive, plus proche de la réalité. Cette question se pose pour les Historiettes en ce qui concerne la nécessité de tout dire. Est-ce que le lecteur aujourd hui doit être concerné par les frasques sexuelles d Henri IV, ou par les galanteries de Marguerite de Valois? En tous les cas, l histoire secrète et anecdotique est récusée par les savants du XVII ème siècle, qui l accusent d embrouiller les frontières entre histoire et roman et qui s inquiètent de son caractère souvent diffamatoire et inexact. Pour eux, le registre souvent satirique de ce type d histoire est aussi dangereux que celui des panégyristes. Si l histoire, comme le rappelle Lucien de Samosate, n admet pas un seul mensonge, il ne faut sacrifier la vérité ni à la louange ni au blâme. En bon fabuliste, Lucien oppose clairement la poésie, où peut régner une liberté absolue, à l histoire qui doit obéir à des lois plus définies 476. Mais, même sous la plume de l historien le plus 474 Voir B. Guion, Du bon usage de l histoire, op.cit., p Antoine Varillas, Les anecdotes de Florence ou l histoire secrète de la maison de Médicis, La Haye, Arnout Leers 1687, p Lucien de Samosate, Œuvres complètes, «Comment il faut écrire l histoire», Paris, Hachette, 1857, p Lucien se moque de tous ces «beaux esprits» qui se croient des «Thucydides, des Hérodotes, des Xénophons», et «pour ne pas rester seul muet en un temps où tout le monde parle», décide de 126

135 soucieux de la vérité, celle-ci reste difficile à cerner et à comprendre. Le Père Rapin engage l historien à un devoir de rigueur et de précision, à une recherche méthodique pour discerner le vrai du faux, sans se laisser influencer par ce qu il nomme «les bruits de la ville» : Mais comme souvent le faux a l air du vrai, il faut bien de la pénétration et du discernement pour en faire une distinction exacte, pour démêler les véritables motifs des actions importantes d avec leurs couleurs et leurs prétextes, et pour choisir sagement la matière, qui ne devient belle et curieuse que par l arrangement des circonstances, et par l ordre ou il faut réduire ce qu il y a de trop vague, en la resserrant dans l étendue naturelle des bornes qu elle doit avoir [ ] 477. Dans ce discours, nous voyons quelles exigences pèsent sur l écriture d une histoire digne de foi : il s agit de dégager la vérité parmi l amalgame d informations mises à la disposition de l historien, il s agit de l écrire sobrement et avec le plus d exactitude possible, en évitant bien de prêter l oreille aux ragots. Selon une opposition alors topique, Rapin estime qu il vaut mieux imiter Thucydide que de s inspirer d Hérodote qu il traite de «fabuliste». De surcroît, il ne suffit pas à l historien d aligner le récit des événements, de faire le «gazetier», mais de démêler aussi les motifs des actions des grands hommes, d expliquer leurs desseins à partir de ces actions, en s inspirant de Cicéron et de Tacite 478. Ainsi, au XVII ème siècle, cette question de la vérité et de l authenticité se pose autant pour les discours officiels que pour les écrits à caractère privé comme les Mémoires, ou les anecdotes, comme celles qu on retrouve dans les Historiettes. Tallemant, rappelons-le, s était engagé à «dire le bien et le mal sans dissimuler la donner quelques conseils sur la manière d écrire l histoire qui n est pas si aisée qu on le pense (voir le dialogue entre Philon et Lucien, p ). Lucien fait des références à des textes historiques précis, pour critiquer leurs auteurs sur un ton ironique. 477 Père Rapin, Instructions pour l histoire, op.cit., p Ibid., p. 64. Curieusement, le Père Rapin suggère que César ne fit que de relater les événements, sans en dire les motifs, mais souligne que César n écrivait «que des Mémoires». 127

136 vérité» 479. Mais de quelle vérité s agit-il? On peut certes lui reprocher ses médisances, toutefois, en dépit de quelques inexactitudes parfois soulignées par ses éditeurs 480, la plupart des événements qu il raconte se retrouvent aussi dans d autres écrits historiques 481. Par exemple, dans l historiette de Henri IV, Tallemant évoque la bataille de Coutras, la passion de Henri IV pour Gabrielle d Estrées, l assassinat du roi par Ravaillac; dans celle de Louis XIII et de Richelieu, il mentionne la «Journée des Dupes», rapporte l exécution de Cinq-Mars et de de Thou. Toutefois, les Historiettes se présentent comme une galerie de portraits. Il s agit donc moins d événements historiques que de peinture de caractères, et le discours événémentiel sert surtout à illustrer cet aspect. Lorsque Tallemant raconte que Louis XIII, au siège de Montauban, «vit sans pitié plusieurs huguenots, de ceux que Beaufort avait voulu jeter dans la ville, la plupart avec de grandes blessures, et ne daigna jamais leur faire donner de l eau» 482, il cherche à montrer la cruauté du roi. Chez Tallemant, il s agit donc plutôt de médisances que de calomnies 483. De plus, c est moins l événement rapporté que son énonciation qui induit le soupçon. On se trouve dans un registre de dénigrement, aux antipodes de celui des louanges excessives. 479 Historiettes, op.cit., t. 1, p Antoine Adam ne manque pas de relever des petites inexactitudes, comme dans l historiette d Henri IV où il corrige Tallemant lorsque celui-ci écrit : «Durant le siège d Amiens, il [Henri IV] court après Mme de Beaufort» (Historiettes, t. 1, p. 3). A. Adam précise qu il s agit en réalité de la prise de Calais par le cardinal d Autriche, un an avant la prise d Amiens (p. 666, note 4). 481 Nous avons déjà signalé que Tallemant n avait pas simplement recueilli les confidences de ses contemporains, il avait également puisé à différentes sources manuscrites ou imprimées (voir dans les Historiettes l introduction d Antoine Adam, p. xviii). 482 Historiettes, t. 1, p. 335 (le siège de Montauban eut lieu en 1621). Dans ses notes, A. Adam explique que ces paragraphes de l historiette ont choqué les historiens. Toutefois, il ajoute que ces mêmes critiques à l encontre de Louis XIII se retrouvent dans le Journal d Olivier Lefèvre d Ormesson. Le roi y est décrit comme «le plus fascheux homme; qu il n avoit ni courage, ni amitié, malfaisant et cruel» (Historiettes, p. 1011, n. 4). 483 Il faut souligner la différence entre les deux définitions. Chez Furetière, la «calomnie» est une «fausse accusation, medisance contre l honneur en chose considerable», alors que la «mesdisance» est un «discours contre l honneur de quelqu un, qui descouvre ses desfauts». Quoiqu il s agisse dans les deux cas de discours contre l honneur de la personne, contrairement à la calomnie, le discours médisant n est pas nécessairement un mensonge (Furetière, Dictionnaire Universel, op.cit.). 128

137 En définitive, n est-il pas ironique de soulever l enjeu d une écriture de la vérité dans le contexte d un discours portant sur l histoire si on se rappelle qu Hérodote, le «père de l histoire», a souvent été traité de menteur? François Hartog rappelle que les Histoires d Hérodote furent renommées et reconnues tout au long de l Antiquité, mais qu elles furent aussi critiquées et attaquées. Ainsi nait la réputation d Hérodote, dont le nom devient double désignant à la fois le père de l histoire et un menteur 484. Or pour les théoriciens, la vérité doit faire partie intégrante de l ethos de l auteur, la garantie du pacte de lecture. Le Père Rapin va jusqu à recommander la prudence quand on raconte des événements qui paraissent «incroyables ou extraordinaires», et souligne la nécessité de donner à ces événements «un air de vérité, ou du moins une couleur de vraisemblance» 485, afin de convaincre le lecteur. On retombe ainsi dans le discours de persuasion qui vise à remporter l adhésion du public. Raconter la vérité, effectivement, mais encore une fois, comment la raconter? Les théoriciens proposent des méthodes, mais ces méthodes ne sont pas toujours cohérentes. En suivant les recommandations du Père Rapin, on se retrouve dans la rhétorique. C est probablement bien pour cela que dans sa préface, il met en garde ceux «qui se mêlent d écrire l histoire où il est si difficile de réussir» 486. En attendant l historien parfait, le XVII ème siècle accumule mémoires, archives et témoignages. 484 François Hartog, Le miroir d Hérodote, Gallimard 2001, p. 45 (F. Hartog cite Voltaire dans Le Pyrrhonisme en histoire en 1768, qui présente les Histoires en ces termes : «En récitant aux Grecs les neufs livres de son histoire, il les enchanta par la nouveauté de son entreprise, par le charme de sa diction, et surtout par les fables»). 485 Père René Rapin, Instructions pour l histoire, op.cit., p Père R. Rapin, Instructions pour l histoire, op.cit., p

138 VII. Le discours mémorialiste Nous avons déjà souligné l ambiguïté du pacte de lecture dans le préambule des Historiettes, sans toutefois écarter l hypothèse d une certaine parenté avec le discours mémorialiste. Il s agit maintenant d examiner la construction du récit pour déterminer si cette parenté est effectivement réelle. Selon Marc Fumaroli, les divisions religieuses, les querelles politiques, les ressentiments de la noblesse envers la monarchie empêcheraient l écriture d une histoire impartiale à l Antique. Les Mémoires seraient donc une alternative qui pourrait servir pour une histoire future. Les mémoires désignent, comme le souligne Philippe Ariès, une chronique écrite par un témoin qui aurait pris part aux événements. Cette posture de témoin commune aux mémorialistes permettrait de placer les Historiettes dans cette catégorie, tout en ne perdant pas de vue qu elles s étalent sur une période plus d à peu près soixante-dix ans, puisqu elles commencent par le règne d Henri IV (1589) et se terminent à la Régence d Anne d Autriche (1643). Nous savons qu une partie de ses Historiettes furent nourries par les confidences de Madame de Rambouillet. Celle-ci, comme le raconte Tallemant, avait vécu à la cour d Henri IV 487. Elle avait dû être souvent le témoin direct des affaires de cette cour qu elle ne voulut plus fréquenter à un certain moment parce qu elle n y «trouvoit rien de plaisant» et que dès vingt ans, elle ne voulut plus aller aux assemblées du Louvre 488. Quant à son époux, avant sa disgrâce, il avait été ambassadeur extraordinaire envoyé par Charles IX en Angleterre; il fut aussi le représentant du duc d Anjou qui venait d être élu roi de Pologne. Le marquis et la 487 «À l entrée qu on devait faire à la Reyne-mere, quand Henri IV la fit couronner, Mme de Rambouillet estoit une des belles qui devoient estre de la ceremonie» (Historiettes, t. 1, p. 442). 488 Historiettes, ibid. 130

139 marquise de Rambouillet furent donc des témoins directs des événements sous le règne d Henri IV 489. On aurait tort cependant de limiter les Historiettes à une simple mise en écriture des confidences de Mme de Rambouillet. Cette hypothèse serait réductrice et ne tiendrait pas compte de leur composition hétéroclite, puisque s y trouvent représentées non seulement des figures comme celles de Henri IV, Sully, Louis XIII ou Richelieu, ou encore comme la société aristocratique de l hôtel de Rambouillet, mais aussi toute la société de lettrés qu avait fréquentée Tallemant dans de nombreux autres salons ou cercles mondains. Dans les Historiettes, apparait aussi toute une classe de gens de robe, magistrats et avocats, qui n appartenaient ni à la société de salon ni à celles des gens de lettres. Dans cette perspective, l auteur des Historiettes est souvent un témoin direct. Est-il mémorialiste pour autant? Les critères qui définissent le genre ne se retrouvent pas intégralement chez Tallemant. Rappelons que ces récits auxquels on a donné le nom de Mémoires furent pour la plupart rédigés par une aristocratie qui cherche à se justifier devant le tribunal de la postérité 490. Ainsi, malgré leur dédain envers le métier d hommes de lettres, ces nobles se décident à 489 Dans l historiette du marquis de Rambouillet, Tallemant rappelle son parcours glorieux sous les règnes de Charles IX, ensuite celui d Henri IV et de Louis XIII : «A la bataille de Bassac, il (M. de Rambouillet) avoit fait merveille avec ses gendarmes. Henri II, alors, alors duc d Anjou, escrivit à Charles IX qu on devoit le gain de la bataille à M. de Rambouillet, et on garde dans la maison une lettre du Roy par laquelle il en remercie M. de Rambouillet». Par la suite, Tallemant précise que «M. de Rambouillet «était bien avec le maréchal d Ancre». On peut donc comprendre son éloignement de la cour après l assassinat de Concini par l ordre de Louis XIII. Cet événement explique sans doute en partie le ressentiment de Madame de Rambouillet envers Louis XIII. Il expliquerait la sévérité de Tallemant à son égard, si l on considère l auteur des Historiettes comme la «plume» de la marquise, et prêtant une oreille complaisante à ces confidences au sujet d un roi qui ne fut pas tendre envers les huguenots. 490 F. Charbonneau souligne que les Mémoires relèveraient de la rhétorique par leur «nature de plaidoyer pro domo sua». Chez le mémorialiste noble, il s agit en l occurrence d un règlement de compte avec la monarchie. (Cette posture prévaut surtout jusqu à la Fronde). Voir F. Charbonneau, Les silences de l histoire, op.cit., p

140 prendre la plume à cause des conjonctures politiques et sociales qui cherchaient à les rabaisser 491. Les Mémoires seraient donc écrits par les acteurs de l Histoire et constituent ainsi une forme polyphonique qui permet au lecteur de comparer les écrits contemporains 492. C est bien ce que nous faisons aujourd hui pour rétablir une certaine vérité historique. Dans Le siècle de Louis XIV, Voltaire n avait-il pas raison lorsqu il écrivait que c est lorsque la même anecdote se retrouve dans plusieurs mémoires à la fois qu on peut y ajouter crédit 493? Là encore, il serait opportun de rappeler la méfiance de l aristocratie envers les historiographes royaux, méfiance qui s explique par leurs perspectives idéologiques qui sont nécessairement divergentes: le discours de l historiographe du roi est encadré par le pouvoir et se doit de promouvoir ce pouvoir, et au contraire, celui du mémorialiste homme de guerre, ou politique ayant participé directement aux événements et convaincu d avoir un accès direct à la vérité, est souvent un réquisitoire ou du moins un plaidoyer. La liberté de ton et l audace les classent indéniablement dans une catégorie à part. Une fois que l absolutisme du Roi- Soleil fut bien établi, le genre des mémoires se transforme sous l influence indirecte du jansénisme, parallèlement à la métamorphose de l aristocratie en noblesse de cour ou en noblesse mondaine. L auteur des Mémoires cesse d être présent à la Cour, pour nourrir un dialogue d ordre plus spirituel et plus intérieur 494. Finalement, en plus des Mémoires de militaires ou de politiques, et en plus des Mémoires/Confessions, le 491 Voir Marc Fumaroli, La diplomatie de l esprit, op.cit., pp Philippe Ariès rapporte la réponse d un ami à qui il avait demandé : «Pourquoi écrire des Mémoires?», et qui aurait répondu : «Pour transmettre un message,, porter un témoignage, pour exprimer un sentiment profond» (art.cit., p. 13). 493 Voltaire, œuvres, Paris, Firmin Didot, 1830, p Voir Marc Fumaroli, op.cit., p Marc Fumaroli pose 1650 comme étant la date charnière de cette transformation, suite à la traduction des Confessions par Arnauld d Andilly. Citons comme exemples de ces Mémoires, les Mémoire du Sieur de Pontis, ou encore les Mémoires de Henri de Campion. 132

141 XVII ème siècle voit aussi l émergence des Mémoires écrits par des courtisans ou par des gens du monde qui s inspirent des conversations de salon 495. Sur le plan de la rhétorique, les Historiettes relèvent de l éloquence judiciaire, puisque l écriture de Tallemant n est pas causée par une disgrâce, comme ce fut le cas pour Bassompierre par exemple. Les historiettes qui se présentent comme un réquisitoire ne sont en fait pas nombreuses 496. Il ne s agit pas non plus d un dialogue spirituel, comme chez Henri de Campion 497. A. Adam avait affirmé que Tallemant «était surtout un observateur et un conteur» 498, un observateur poussé par la curiosité, qui ne se contente pas seulement de recueillir les ragots. Comme l affirme Madeleine Bertaud, «Tallemant ne s est nullement contenté de faire son blé des bruits déplaisants qui couraient pendant la régence. Car la malveillance n était pas ce qui animait ce grand curieux, qui était aussi un grand liseur. Aux sources orales, [ ] il ajoutait les relations écrites, scrupuleusement recherchées 499. Pour M. Bertaud, Tallemant travaillait en «véritable historien». Comment comprendre alors cette écriture si particulière de l histoire? 495 Ibid., p Il s agit particulièrement des historiettes de Louis XIII et de Richelieu. 497 Henri de Campion a entrepris la rédaction de ses mémoires suite à la brusque disparition de sa fille âgée de quatre ans. Ses Mémoires sont «constamment empreints de gravité morale, quand ils ne prennent pas, ça et là, l accent insolite d une authentique méditation religieuse» (voir Hubert Carrier, «Pourquoi écrit-on des Mémoires au XVII ème siècle? L exemple des mémorialistes de la Fronde» dans Le genre des Mémoires, essai de définition, Paris, Klincksieck, 1995, p. 148). 498 Historiettes, t 1, p. XV. 499 Madeleine Bertaud a passé en revue une anecdote qui apparait chez plusieurs mémorialistes : la scène du jardin à Amiens en 1625, lors de laquelle le duc de Buckingham fit des avances à Anne d Autriche. Cet événement est rapporté par Brienne, La Rochefoucauld, le cardinal de Retz, Mme de Motteville, et Tallemant. (voir l article de M. Bertaud, «Les métamorphoses d une galanterie, Anne d Autriche et Buckingham», dans Le genre des Mémoires essai de définition, op.cit., p. 175). 133

142 VIII. Historiettes et Mémoires Relations de transtextualité 500 Jean Mesnard signalait très justement que les Historiettes, malgré leur présentation tout à fait littéraire, s écartent du «grand genre des mémoires» à cause du caractère impersonnel et de la discontinuité des morceaux présentés. Il les classait parmi les formes diverses qu il considérait comme des prémémoires tout en reconnaissant qu ils pouvaient servir à alimenter les mémoires. Parmi ces prémémoires jugées moins ambitieuses que celles des mémoires, J. Mesnard faisait aussi entrer le journal, les anecdotes et les échos de conversations qui peuvent être rassemblés en recueils et la relation de voyage 501. Est-ce à dire qu il existerait des relations de transtextualité entre les Historiettes et les Mémoires d un Bassompierre, d un Monluc ou d une Mme de Motteville? Le XVII ème siècle voit s épanouir le genre des Mémoires, avec une phase particulièrement prolifique autour de Avant cela, «il s en écrit peu et s en publie encore moins» 502 écrit André Bertière qui rappelle qu après 1660, «toutes les conditions sont réunies pour permettre au genre de s épanouir. Les hommes qui atteignent l âge mûr vers cette date ont beaucoup vu» 503. Il s agirait donc d un genre de l âge mûr, ou celui d une disgrâce ou d une mise à la retraite prématurée. Il faut rappeler que représente une date charnière, une rupture avec la période d instabilité politique, des complots et des conjurations 500 La notion de transtextualité prise dans le sens que lui donnait G. Genette : «Tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte» (voir Palimpsestes, Paris, éd. Le Seuil, 1982, p. 7). 501 Jean Mesnard, «Conclusion, les Mémoires comme genre» dans Le genre des Mémoires, essai et définition, op.cit., p. 363, André Bertière, Le Cardinal de Retz mémorialiste, Paris, Klincksieck, 1997, p Ibid., p

143 nobiliaires qui avaient marqué la première partie du siècle sous les règnes de Louis XIII et ensuite de la Régence 504. Tallemant a rédigé la majeure partie de son récit autour de cette date charnière 505. Cependant qu y a t-il de commun entre ce riche bourgeois protestant et ces princes, ducs ou maréchaux qui ont, à un moment ou à un autre, «pris part aux affaires ou qui en ont été témoins oculaires» 506, et furent disgraciés ou exilés, ou qui arrivent alors à l étape du bilan de leur vie? 507 Avant de répondre à ces questions, il faut d abord de se poser la question de savoir si les Mémoires constituent un genre, et dans ce cas, en dégager les caractéristiques communes et essentielles qui en faciliteraient le regroupement. Leur regroupement dans une catégorie commune se fonde d abord, «par nécessité», sur l origine sociale de leur auteur 508. Leur assigner un genre, n est-ce pas, comme le souligne E. Lesne, «statuer sur leur appartenance à la littérature» 509? Or pendant longtemps, les Mémoires ont été catégorisés dans une autre discipline, l histoire, si bien que leur identification générique fut le produit de critères établis par des historiens du XIX ème siècle. C est à partir de leur valeur de document pour l histoire politique, ou encore pour l importance sociale de leur auteur 504 Que l on pense pour cela à la Journée des Dupes, ou au Siège de la Rochelle, lors du règne de Louis XIII, ou encore à La Fronde sous la Régence. 505 Emmanuèle Lesne a dressé une liste de ces auteurs d un passé révolu, indiquant la date de rédaction de leurs écrits. Nous en nommerons quelques-uns : Pontis dont les mémoires ont été recueillis par Thomas du Fossé vers , Henri-Auguste de Brienne qui rédigea les siens autour de 1660, La Rochefoucauld dont les manuscrits furent publiés indiscrètement, a écrit entre 1652 et 1666, Mlle de Montpensier a rédigé la première partie de son œuvre entre 1652 et 1657 et enfin le Cardinal de Retz qui achève ses mémoires vers 1677 (Emmanuèle Lesne, La poétique des mémoires, Paris, Honoré Champion, p.17, 18). 506 Furetière, Le Dictionnaire universel, op.cit. 507 Bassompierre per exemple passe douze ans à la Bastille, de Bussy y passe un an suite à son Histoire amoureuse des Gaules, et doit attendre seize ans en Bourgogne avant de pouvoir revenir à la cour, et enfin le Cardinal de Retz, évadé de Nantes en 1653, partit à Rome, et ne retournera en France qu en «Par nécessité» si l on reprend la définition de Furetière qui implique la nécessité de faire partie de «l establishment aristocratique» pour prendre part aux affaires ou en être le témoin oculaire. 509 Emmanuèle Lesne, op.cit. p

144 que le corpus des Mémoires fut fixé 510. Au XVII ème siècle, ils restaient en marge de l Histoire et leurs auteurs les avaient exclus de la littérature. Cette double marginalité, qui les dégage des restrictions doctrinales des genres officiels, leur aurait justement octroyé une liberté d expression qui curieusement va influencer la prose littéraire de leur siècle 511. Mais ce double décalage explique aussi la diversité du vocabulaire utilisé par les auteurs, et qui en reflète l instabilité générique : histoire, mémoire(s), relation chronique, commentaires, journal. Marguerite de Valois les comparait à «de petits ours, masse lourde et difforme» 512. Pour dépasser cette hétérogénéité, Jean Mesnard dressait les normes qui doivent être satisfaites pour appartenir au corpus des Mémoires : la norme fondamentale étant la présence de l auteur comme sujet principal de son œuvre, et donc l emploi de la première personne. Dans d autres cas, l auteur n est plus sujet, mais il se pose en témoin d un grand personnage à la vie duquel il a été intimement lié, comme Mme de Motteville avec la Reine d Autriche, ou Nicolas Goulas avec Gaston d Orléans. Parfois, on retrouve aussi une dualité d un ordre encore différent, celle de l auteur et d un destinataire précis, comme dans le cas du Cardinal de Retz qui écrit à une destinataire anonyme, ou la reine Marguerite de Valois qui s adresse à Brantôme. Enfin, le destinataire est parfois collectif, ce sont la famille ou les enfants de l auteur, ou encore ses amis. J. Mesnard affirme que le public, quel qu il soit, entretient avec les auteurs de mémoires une relation plus directe qu avec ceux de la plupart des autres genres littéraires, cela grâce à la prééminence du «je» de 510 Voir Frédéric Charbonneau, Les silences de l histoire, Laval, Presses de l Université Laval, 2000, p Voir Marc Fumaroli, La diplomatie de l esprit, Paris, Gallimard, 1998, p Citée par M. Fumaroli dans La diplomatie de l esprit, op.cit., p

145 l auteur 513. Chez Tallemant ce «je» revient souvent même si les Historiettes ne correspondent pas tout à fait aux normes qu on retrouve chez les mémorialistes. Chez lui, il s agit simplement d une trace d énonciation qui sert à signaler le témoignage, c est le «je» de celui qui raconte ce qu il vu ou entendu plutôt que de celui qui a pris part aux affaires. Le destinataire, qui se compose des «amis» reste vague. En revanche, un seul chapitre dans les Historiettes, clairement intitulé «Les amours de l autheur», raconte le récit d une partie de sa vie, au préalable très limitée puisqu elle couvre les années de sa première jeunesse, celles de son voyage à Rome et précédant son mariage à sa cousine Élizabeth Rambouillet 514. Ce chapitre est une mini-autobiographie dont les critères correspondent à ceux que décrit Philippe Lejeune dans Le pacte autobiographique : «L autobiographie (récit racontant la vie de l auteur) suppose qu il y ait identité de nom entre l auteur (tel qu il figure, par son nom, sur la couverture), le narrateur du récit et le personnage dont on parle» 515. En intitulant son chapitre «Les amours de l autheur», Tallemant établit ici clairement un pacte autobiographique avec son lecteur 516, pacte par ailleurs corroboré dans le récit énoncé à la première personne, dans lequel l auteur relate des événements qu il a vécus avec des personnages réels. Or, les commentaires de P. Lejeune sont à ce sujet très significatifs et nous ramènent au discours historique : en effet, il précise qu au pacte autobiographique, il est crucial d ajouter le pacte référentiel qui sous-entend une formule dans le genre : «je jure de dire la vérité [ ]», ce qui fait ressembler ce pacte 513 Jean Mesnard, «Les Mémoires comme genre» dans Le genre des Mémoires, essai de définition, op.cit., p Comme le précise J. Mesnard, il faut distinguer le «je» du mémorialiste qui relate surtout des événements de portée publique, à caractère mémorable» du «je» autobiographique ou intime d un Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions. 514 Il s agit par exemple du voyage detallemant à Rome, peu avant son mariage à sa couine Élizabeth Rambouillet. Tallemant écrit : «et puis, je n avais que dix-huict ans». Son mariage eut lieu en 1636 (voir Historiettes, t. 2, p P. 818). 515 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Éditions du Seuil, 1975, p Voir les explications de P. Lejeune, Le pacte, op.cit., qui distinguent le pacte autobiographique du pacte romanesque (p. 26, 27). 137

146 à celui conclu par un historien ou un journaliste, dont l objectif n est pas la simple vraisemblance, mais la ressemblance avec le vrai 517. Cependant, ce chapitre n est ni le travail d un mémorialiste qui écrit l histoire de son temps, ni d un narrateur qui, à la manière d un Jean-Jaques Rousseau ou d un saint Augustin, décrivait une expérience de l ordre de l intime ou du spirituel. Tout au plus s agit-il d un amusant intermède qui relate, comme le titre l indique, les amours de première jeunesse, et même si certains des personnages furent des figures publiques, tel le Cardinal de Retz qui fut un des compagnons du voyage en Italie, il n est pas question ici du rôle que joua le Cardinal dans l histoire de l époque 518. Quatre autres historiettes comportent aussi des extraits autobiographiques, il s agit de «Tallemant, le maitre des requêtes 519, de «Madame d Harambure» 520, «La Leu et Lozières» 521 et de «L Abbé Tallement, son père, etc» 522. C est grâce à Antoine Adam qu il nous est possible d établir le lien de parenté avec l auteur des Historiettes. Le maître des Requêtes et Madame d Harambure sont ses cousins et l Abbé Tallemant est le frère de Tallemant des Réaux. Le titre de ces historiettes ainsi que la référence à son père ne spécifient pas la parenté que le nom semble suggérer. Un lecteur qui ne connait pas la généalogie de la famille, ne peut pas se douter que le titre renvoie au frère et au père de Tallemant. Cette mise à distance est encore plus frappante dans l historiette de «La Leu» qu il présente en ces termes: «S estant habitué à la Rochelle, car il estoit Huguenot, il espousa la fille d un Flamand natif de 517 P. Lejeune, op.cit., P. 36. Cette problématique nous renvoie au préambule des Historiettes dans lequel Tallemant soulignait son intention de ne rien cacher au lecteur. 518 En revanche, Tallemant consacre une historiette au Cardinal de Retz, dans laquelle il revient sur ce voyage de jeunesse ainsi que sur des épisodes de sa vie qui sont plus publiques. De plus, à la fin de l historiette, Tallemant évoque encore une fois les Mémoires de la Régence qui auraient dû contenir le reste de l histoire du Cardinal (voir Historiettes, t. 2, p. 312). 519 Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p

147 Tournay, nommé Tallemant, qui, chassé de son pays pour la Religion, du temps du duc d Albe». Ce Tallemant est le grand-père de des Réaux, et Paul Yvon, sieur de La Leu serait donc son oncle par alliance. L explication n est peut-être pas indispensable si le récit s adresse à un cercle restreint de proches et d amis, en revanche, pour le lecteur d aujourd hui, le pacte reste ambigu, tout comme l est le registre générique de ces historiettes dans laquelle l auteur relate les tribulations des arrangements matrimoniaux entre les familles Rambouillet et Tallemant, ainsi que les divisions et querelles familiales. Si, à l instar du mémorialiste, Tallemant se projette dans le texte, il ne le fait pas en tant que sujet mais dans une posture de témoin ou d intermédiaire, comme dans l historiette de son cousin, dans laquelle il raconte qu il fut appelé à gérer ses finances: «J entrepris, avec un de mes parents, d estre son intendant, de recevoir son revenue, et de luy donner tant par mois» 523. En somme, ces historiettes ne correspondent pas à la définition de l autobiographie en tant que «récit rétrospectif en prose qu une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu elle met l accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l histoire de sa personnalité» 524. Elles ne sont pas non plus un document historique parce qu elles ne témoignent pas d événements majeurs, en revanche, elles font certainement partie de la peinture de mœurs de cette bourgeoisie dont il est largement question dans les Historiettes et dont Tallemant fait partie. Il faut surtout signaler que les deux Tallemant, ainsi que l oncle par alliance dont il est question dans les historiettes mentionnées, s étaient convertis au catholicisme. Est-ce pour cela que Tallemant des Réaux les a peints de sa plume assez acerbe? Il met en doute leur sincérité et leur jugement et il n est pas dupe du fait que 523 Historiettes, t. 2, p P. Lejeune, le pacte autobiographique, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p

148 ces conversions aient été motivées par des intérêts sociaux ou financiers. De l abbé son frère, des Réaux écrit: «l ambition lui fit changer de religion» 525.Quant à son cousin, c est «entre les mains de l évesque de Saint-Flour Noailles [ ] un des plus ignorants hommes du Clergé, qu il fit abjuration pour espouser Melle de Montaurin», mariage qui, selon Antoine Adam, allait lui rapporter «50,000 écus comptant, 6000 livres de rente et 40,000 écus de meubles et de bijoux. Cette alliance contribua aussi à accélérer son ascension vers les hautes charges, puisqu il se fit recevoir Maitre des Requêtes un mois après son mariage» 526. On ne peut s empêcher de comparer cette anecdote avec la conversion d Henri IV que Tallemant rapportait dans sa première historiette. Plus clément, il y décrit un roi qui tergiverse et qui semble perturbé devant le choix qu il doit faire même s il s agit là ni plus ni moins que de la couronne de France : «Avant la reduction de Paris, une nuict qu il ne dormoit point bien et qu il ne pouvoit bien se résoudre à quitter sa religion, Grillon luy dit: Pardieu, Sire! Vous vous mocquez de faire difficulté de prendre une religion qui donne une couronne» 527. L ambition, et non pas la foi, est certes la motivation commune qui a dicté ces conversions, toutefois le portrait d un roi qui montre des scrupules semble nettement plus avantageuse que celui des membres de sa propre famille. Mais ce qui ressort surtout de ces anecdotes est bien le reflet d un siècle et d une époque encore traumatisés par les conflits religieux, et par les déchirements qu ils causent au sein d une même famille. «Mon pere se fascha, et l envoya pour quelque temps hors de Paris» 528, écrit Tallemant au sujet de la conversion de son frère. Pour se distancier de ces questions familiales, il utilise 525 Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p. 1355, note Historiettes, t.1, p Historiettes, t. 2, p

149 l ironie d une part, et le discours direct d autre part, qui donne l illusion de l objectivité. Ainsi, c est par une double citation qu il relate le conflit qui a dû opposer père et fils. Tallemant cite son frère qui lui-même cite son père dans une lettre: «Sera-t-il dit qu un François Tallemant, petit-fils d un autre François Tallemant qui aima mieux sortir de sa patrie que de fleschir le genou devant l idole etc» 529. La question de la religion semble avoir été un contentieux parmi d autres membres de la famille. Paul Yvon, un oncle par alliance, s était aussi converti au catholicisme pour échapper aux critiques des Ministres qui le tourmentaient «à cause de ses visions» 530, tout comme Lozières, son fils, qui «pour n être pas indigne filz de son père, prit tout d un coup le petit collet, après s être fait catholique» 531. D autres historiettes relatent le récit de ces conversions motivées par l ambition ou l intérêt, comme celle de la comtesse de la Suze qui «changea de religion afin qu on ne la fist point sortir de Paris» 532, et il est facile de voir que la profondeur du conflit touche toutes les classes de la société. En tous les cas, la question religieuse qui semble avoir perturbé la dynamique familiale est au centre des préoccupations de Tallemant, et il est fort possible que la légèreté de ton et la mise à distance ne soient qu un masque destiné à préserver son public de l époque, composé d amis protestants et catholiques Historiettes, t. 2, p Le père fait allusion ici au grand-père de Tallemant, François Tallemant, qui avait fui les Pays-Bas espagnols et trouvé refuge à La Rochelle (voir l introduction d Antoine Adam dans les Historiettes, t. 1, p. vii). 530 Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Les conflits religieux vont plus tard diviser la propre famille de Tallemant : sa femme et une de ses filles se convertissent au catholicisme, une autre de ses filles, ayant refusé la conversion, doit s exiler en Angleterre. Tallemant lui-même se résigne à sauter le pas vers la fin de sa vie. Ce fut le Père Rapin qui, en juillet 1685, l amena à l abjuration (voir Emile Magne, La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Emile-Paul frères, 1922, p. 345). 141

150 IX. Conclusion Les Historiettes, une peinture des mœurs? La problématique que nous avions posée au début de ce chapitre soulevait la question de genre des Historiettes. Nous sommes partis du postulat qu en dépit du décalage de leur écriture par rapport à celle de l histoire officielle, les Historiettes n en constituent pas moins un document historique capital. Dans le Dictionnaire du Grand Siècle, Hubert Carrier avait classé Tallemant parmi les mémorialistes 534. La suggestion de Jean Mesnard de ranger l œuvre parmi les prémémoires nous a semblé plus appropriée, d autant plus que les Historiettes servent aujourd hui à alimenter les recherches à la fois dans les domaines de l histoire et dans celui des Mémoires. Mais il y a un autre aspect des Historiettes qui ne se retrouve pas de manière aussi exhaustive dans les écrits d autres mémorialistes du XVII ème siècle, et encore moins dans celui de l histoire officielle de l époque. Cet aspect gagnerait à faire l objet d une étude exclusive et approfondie. En effet, les Historiettes ne sont pas seulement un recueil de portraits de personnages historiques ou d hommes de lettres qui sont passés à la postérité. Le récit comporte aussi un grand nombre d historiettes qui mettent en scène des membres de la petite noblesse ou de la bourgeoisie, ainsi que des «anonymes» qui doivent leur renommée à la plume de Tallemant. Les anecdotes qui décrivent leur quotidien nous renseignent sur les mœurs de l époque, beaucoup plus peut-être, que «les sèches et rebutantes nomenclatures de faits appelés histoires» 535. Notons surtout l hypothèse avancée par Robert Descimon à savoir que Tallemant met «le social en représentation» 536. Au lieu de se contenter de lire les Historiettes «comme une littérature scandaleuse» ou un exercice de voyeurisme distrayant, 534 Dictionnaire du Grand Siècle, sous la direction de François Bluche, Paris, Fayard, 1990, p Ce sont les mots d Honoré de Balzac dans son avant-propos de La Comédie Humaine. 536 La formule est de Roger Chartier, dans son article «George Dandin, ou le social en représentation», Annales, Histoires. Sciences sociales, 49/2, 1994, p

151 Descimon suggère d interroger le récit sous un angle purement social, sans nécessairement «vouloir vérifier ou contredire les anecdotes» 537, mais en essayant plutôt de déchiffrer les significations sociales dont elles sont porteuses. «L ordre social obsède Tallemant», précise R. Descimon, qui fournit quelques exemples pour illustrer son propos : Madame Roger, écrit Tallemant, «estoit insupportable au Cours, car elle ne faisoit que prosner sur les armoiries des carosses» 538. Madame Roger était pauvre quoique de bonne maison, explique Tallemant. Elle épousa un nommé Roger «filz d un riche orfèvre de Paris», parce qu elle avait cru «qu il était gentilhomme, et qu autrement, elle n eust garde de l espouser» 539. Cette historiette illustre bien les tensions sociales de cette période comme on le voit par la suite, lorsque Tallemant raconte comment son frère Lussac 540, «grand garçon bien fait et bien dansant» fut rejetée par la dame, qui «mesprisoit terriblement les gens de la ville». Une autre fois, Tallemant «ayant esté obligé de donner les violons, [ ] voyait bien à sa mine qu elle avoit quelque honte qu un bourgeois luy donnast les violons» 541. Dans une société où l antagonisme entre noblesse et bourgeoisie s exprimait avec âpreté, nous avons constaté comment, à maintes reprises, Tallemant représente cette tension. Bourgeois lui-même, il avait refusé de faire carrière selon le souhait de son père : «Mon père n estoit pas homme à me donner de bien qu en me mariant ou me faisant conseiller, et je haissois ce mestier-là» 542. Ne rejetait-il pas ainsi le modèle social de la bourgeoisie traditionnellement laborieuse en adoptant le mode de vie de la couche oisive de la 537 Voir l article de Robert Descimon, «L exemplarité sociale des Historiettes de Tallemant des Réaux», Construire l exemplarité, pratiques littéraires et discours historiens (XVI ème -XVII ème siècles, [Textes réunis et présentés par Laurence Giavarini], Dijon, Édition Universitaires de Dijon, Historiettes, t. 2, p. 504 (prosner signifie faire un discours ennuyeux et importun, d après le Dictionnaire de Furetière). 539 Ibid. 540 Il s agit de Paul Tallemant, sieur de Lussac et demi-frère de Tallemant (voir Historiettes, t. 2, p. 1327, n. 1). 541 Ibid., p. 505 (donner les violons signifie demander la première danse) 542 Historiettes, t. 2, p

152 société? 543 A plusieurs reprises, Tallemant commence ses historiettes en dénigrant la lignée du personnage par l emploi d une formule qui revient souvent sous sa plume : dubiœ nobilitatis. Cet acharnement à diminuer le statut social de son personnage est à double tranchant : d une part, on peut y voir la critique d une société obnubilée par les titres de noblesse, qu elle acquiert de manière plus ou moins licite. D autre part, cela signale peut-être la posture d un auteur qui dédaigne les titres usurpés ou chèrement payés, comme lorsqu il se moque de la famille des Picarts, «une des plus anciennes de la Robe» dans laquelle se trouvent des «grotesques, comme dans toutes les maisons où l on se pique de noblesse» 544. Dans les Historiettes, la plupart des unions matrimoniales sont dictées par ce désir d ascension sociale, mais finissent aussi souvent de manière tragique : adultères, violences conjugales, et divorces. Dans l historiette de «Damboise père et fils», le fils de Monsieur d Amboise maytre des Requêtes, «prit l épée, et, pour s appuyer sur une bonne alliance, il espousa Mlle de la Hilliere [ ].Mais soit qu elle le mesprisast ou qu elle ne voulust pas degenerer, elle se mit à faire galanterie» 545. Descimon suggère que les Historiettes seraient «l expression multiple des tensions devenues insupportables, que la construction de 543 Dans La société de cour, Norbert Élias a analysé la dynamique qui régissait le fonctionnement de la société d Ancien Régime et le système de dépenses qui la gouvernait en opposant ce qu il nomme «l éthos social de la bourgeoisie professionnelle» à «l éthos de consommation en fonction du statut social». Ces deux pôles sont incompatibles, comme le souligne N. Élias : «Nous avons affaire à un système social de normes et de valeurs, aux exigences duquel l individu ne peut se soustraire que s il renonce à la fréquentation de ses semblables, à son appartenance au groupe en tant que tel» (Norbert Elias, La société de cour, [traduit de l allemand par Pierre Kamnitzer et Jeanne Etoré], Paris, Flammarion 1985, p ). 544 Historiettes, t. 2, p Ce dédain (ou cette jalousie) transparaissent parfois sous la plume de Tallemant, comme dans cette autre scène où il rapporte la familiarité de Voiture qui enlevait ses galoches devant la Princesse : «mais ma foy, c est le vray moyen de se faire estimer des grands seigneurs que de les traitter ainsy» (Historiettes, t. 1, p. 489). 545 Historiettes, t. 2, p

153 l état monarchique imposait aux individus et aux familles». Plus tard, Molière fit de cette situation une œuvre comique 546. On peut clore ce chapitre en affirmant que le texte de Tallemant offre un espace «déchiffrable» non seulement sur le plan de l histoire, mais qu il fournit aussi des ressources inestimables pour une étude sociale d un siècle porteur de multiples paradoxes. Dans le chapitre qui suit, nous nous efforcerons de montrer qu au-delà des informations que l on y glane tant sur le plan historique que social, c est surtout le style du conteur et l esthétique hybride et multiforme du texte qui donne au récit toute sa saveur. 546 On pense tout particulièrement à George Dandin, ou encore au Bourgeois gentilhomme. 145

154 Chapitre III: Les Historiettes Une esthétique de la bigarrure I. Introduction Selon Furetière, Bigarrure se dit d un «ouvrage d esprit composez de plusieurs choses qui n ont aucune liaison, ni relation ensemble» 547. Il mentionne les Bigarrures de Sr. des Accords, un livre «fait de plusieurs pièces ramassées» 548. Une semblable variété se retrouve dans les multiples registres des Historiettes, qui vont du plus léger comique à la raillerie de bon aloi, d une ironie assez fine jusqu au burlesque satirique assez violent, et ce parfois dans la même historiette. Sur le plan thématique, il s agit d une galerie de portraits représentant une classe sociale hétérogène. Mais on y trouve aussi d autres genres, telle des facéties sous le titre de «Bons mots et Naifvetez» ou encore des «Bons mots, contes pour rire», des historiettes qui relèvent de la fable comme les «contes de bestes», des historiettes composées sur le modèle de l anecdote curieuse comme «Enfans dont les peres ont fait eux-memes justice». Il y a enfin plusieurs historiettes qui relèvent de l autobiographie comme «Tallemant, le Maistre des Requestes», «L Abbé Tallemant, son père etc.», ou encore «les Amours de l Autheur». Les Historiettes 547 A. Furetière, Dictionnaire Universel, op.cit. Selon Furetière : «Bigarrure» se dit aussi d ouvrages d esprit composez de plusieurs choses qui n ont aucune liaison, ni relation ensemble. Les Bigarrures du Sr des Accords des Accords; c est un livre d une façon extraordinaire, fait de plusieurs pièces ramassées. La bigarrure de ce chapitre vous plaira. On le dit aussi d une compagnie : il y avait bien de la bigarrure dans cette assemblée. Dans le Dictionnaire de l académie françoise le mot signifie «Variété de couleurs tranchantes ou mal assorties, [ ] Il signifie aussi fig.la variété de plusieurs choses qui n ont aucun rapport entre elles : Il y a bien de la bigarrure dans cette compagnie, dans ce livre» (Dictionnaire de l Académie françoise dédié au roy, tome 1, Paris, Veuve de Jean Baptiste Coignard, 1694). 548 Ibid., Étienne Tabourot, sieur des Accords, était l auteur de Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords avec les Apophtegmes du sieur Gaulard, dont la première édition remontait à 1594 (voir aussi Les bigarrures Francis Goyet, Genève. Droz, 1986). Dans l historiette de M. De Monbazon, Tallemant précise que cette œuvre avait recueilli entre autres des «sottises» et des «naïfvetez» du duc de Monbazon et du duc d Usez (Historiettes, t. 2, p. 222). Voir aussi la note d Antoine Adam, p (Notons aussi que dans le manuscrit n o 19145, se trouve un petit recueil de Tabourot, f.94, r o. Voir annexe II, p. 297). 146

155 ont été pour la plupart écrites entre 1657 et 1659, mais il y eut plusieurs ajouts, et le format du manuscrit autographe qui se trouve au Musée Condé reflète aussi cette variété et ce désordre 549. Cette hétérogénéité donne à penser que l auteur s amuse à confondre son public, ou alors qu il destinait ses Historiettes à plusieurs publics : un public mondain composé d aristocrates et d hommes de lettres, un public d amis proches, comme Patru, Pellisson et La Fontaine 550, et même un public frondeur. Le noyau narratif élémentaire de cette variété est l anecdote, dans laquelle le récit reste solidement ancré. C est l anecdote qui véhicule la médisance dans les Historiettes. L anecdote est aussi le genre par excellence qui peut supporter une variété de tons et de registres puisque chaque micro-récit est auto-suffisant, et permet l alternance sans entraver la linéarité du récit. 549 Les feuillets du manuscrit se composent chacune de trois colonnes. La colonne du milieu constitue le corps du récit. Tallemant fait souvent des ajouts ou des commentaires, parfois à des dates ultérieures. Ces ajouts se retrouvent dans les colonnes de gauche ou de droite du feuillet. Le premier feuillet du manuscrit comprend la table des matières, avec le titre de l historiette à gauche de la page, et le numéro du feuillet à droite de la page. Certains feuillets comportent beaucoup de ratures, et nombre de notations dans les marges de droite et de gauche. Dans l édition de 1862 (la troisième), M. Paulin Paris suggère qu en dépit du nombre de corrections autographes, il est possible qu il y ait eu un brouillon antérieur, et pour accréditer sa théorie, il renvoie à l historiette de «Villemonté», «tracée d abord sur une feuille volante, puis sur une des pages courantes du manuscrit». P. Paris précise aussi qu un grand nombre d additions successives furent ajoutées dans la seconde marge de la page, au fur et à mesure que Tallemant jugeait que tel nouveau renseignement devait servir à soit corriger ou préciser ce qu il avait déjà écrit. Il faut aussi préciser que dans cette édition, Monmerqué avait changé la disposition du manuscrit autographe. Ainsi, les historiettes «collectives» (celles qui se rapportaient à une classe de la société, ou alors celles qui étaient une compilation de mots d esprits ou autres), qui se trouvaient le plus souvent dans les marges du manuscrit autographe, furent toutes rassemblées dans le dernier volume de cette édition. Monmerqué les associe aux ana. (Voir l Avis dans Les historiettes de Tallemant des Réaux, 3 ème édition, t. 1, Paris, J. Techener, 1862, p. viii). Sans nécessairement réfuter l idée de brouillon, on peut néanmoins rappeler que les autres manuscrits qui nous restent de Tallemant (ceux de La Rochelle ainsi que ceux de la BnF) présentent ce même «désordre» et cette même variété. Ceci semble bien la manière d écrire de Tallemant. Il est donc plausible d avancer l hypothèse que les Historiettes sont une sorte de compilation, écrites au fur et à mesure, et ne suivant pas nécessairement un ordre préétabli, qui rappelle en quelque sorte l écriture «à saut et à gambades» dans les Essais de Montaigne. Alain Viala précise que ce refus des codes génériques dans ce type d écrits où l auteur passe d un sujet à un autre, ou d un ton à un autre, «se conçoit dans une logique de connivence entre auteur et lecteur», fréquent dans un contexte de divertissement mondain (voir la définition du terme «variété» dans Le Dictionnaire du littéraire, op.cit., 2002, p. 639). 550 Ce groupe d amis a été évoqué dans la première partie (voir la sous-partie intitulée «Les paladins de la table ronde»). 147

156 II. Ordre et désordre Unité et éclatement 1. L anecdote, noyau narratif dans les Historiettes Nous avons déjà brièvement décrit l anecdote dans le deuxième chapitre, en relation avec l écriture de l histoire, et souligné le parallèle avec d autres histoires «secrètes», comme celle de Procope de Césarée. Le terme se rapporte non pas au contenu mais plutôt au fait que ces récits sont inédits, parce qu ils relatent des événements secrets et triviaux concernant les personnages historiques. L anecdote revêt généralement un aspect dépréciatif, elle discrédite le personnage en question, ou ses actions 551. C est bien là la caractéristique essentielle de l œuvre de Tallemant. Elle est aussi une forme d écriture, un récit événementiel «marqueur d authenticité et de révélation, dans la mobilisation d un pouvoir de persuasion» 552. De plus, dans les Historiettes, c est bien l anecdote comme structure narrative qui donne au texte son unité. Dans ce chapitre, c est donc l anecdote comme petit récit qui nous intéresse. Nous allons tenter d expliquer comment le texte des Historiettes, à la forme éclatée et discontinue, présentant une variété de registres, s articule autour de l unité narrative et énonciative de l anecdote Il faut souligner que la définition de l anecdote a évolué au cours des siècles. Cette évolution mène à une neutralisation de l anecdote qui ne relèvera plus strictement du secret et du privé mais aussi de l agréable et de l ordre du divertissement (voir «L anecdote entre littérature et histoire : une introduction», par Gaël Rideau, dans L anecdote entre littérature et histoire à l époque moderne, sous la direction de Geneviève Haroche-Bouzinac, Camille Esmein-Sarrazin, Gaël Rideau, Gabrielle Vickermann-Ribémont, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 11). 552 G. Rideau, Ibid., p Francine Wild estime que le texte des Historiettes fait apparaitre «une tension entre recherche d unité et refus de l unité» (voir son article intitulé «Unité et fragmentation dans la composition des Historiettes de Tallemant des Réaux» dans Cahiers Saint-Simon, Anecdotes et Historiettes, N o. 23, 1995, p. 7). 148

157 Dans sa préface, Tallemant écrit que les Historiettes ne sont que de «petits Mémoires qui n ont aucune liaison les uns avec les autres» mais il précise vouloir observer «la suitte du temps, pour ne point faire confusion» 554, ce qui laisse présumer que le texte serait composé selon un ordre chronologique. Cet ordre n est pas souvent respecté. Souvent, Tallemant rassemble ses portraits par l appartenance soit à une même famille soit à un groupe qui se fréquente : par exemple, l historiette du Marquis de Rambouillet est suivie par celle de Madame de Rambouillet, ensuite par celle de Pisani, leur fils, Madame d Hière leur fille, Madame de Montausier, leur autre fille, son mari Monsieur de Montausier, ensuite Mme de Saint-Etienne et enfin Mlle de Rambouillet. D autres «familles» sont ainsi groupées telle la famille des Arnauts ou encore, comme nous l avons déjà évoqué, celle de Tallemant lui-même 555. La première historiette concerne Henri IV, celles qui suivent décrivent des personnages qui étaient proches du roi ou ayant vécu à la cour : celle du Mareschal de Biron le Filz, suivie du Mareschal de Roquelaure, du Marquis de Pisani, etc. L historiette de M. de Bellegarde, intitulée «M. de Bellegarde et beaucoup de choses de Henri IIIème», est suivie par celle de son frère, M. de Termes et ensuite par celle de la princesse de Conty, fille du Duc de Guise «que Henri III fit tuer aux Estats de Blois» 556. Suit enfin l historiette du poète Philippe Desportes, un protégé du duc de Joyeuse qui «le mit si bien avec Henri III ème qu il avoit grande part aux affaires» 557. Toutefois Desportes décida de quitter le parti d Henri III pour suivre MM. De Guise. 554 Historiettes, t. 1, p Dans le T. 2 de l édition d Antoine Adam, se trouve l historiette de Tallemant, le maitre des requestes, suivie par Madame d Harambure soeur du précédent, par La Leu et Lozières (le premier est l oncle par alliance, le deuxième est son fils), par Cheüsse qui avait épousé la sœur cadette de M. de Lozières. Vient ensuite l historiette sur Lesfargues qui hérita de la bibliothèque de Lozières et enfin l historiette sur L abbé Tallemant, son père etc.seule l historiette intitulée Les amours de l autheur est placée plus loin. 556 Ibid. t. 1, p Ibid. t. 1, p

158 Deux personnages relient ces quatre historiettes : Henri III, ainsi que son ennemi et le chef de la Ligue, le duc de Guise. D autres historiettes sont aussi regroupées par familles: ainsi l historiette concernant les Rambouillet, celle concernant la famille de Tallemant, celle de la famille de la comtesse de Vertus 558. Mais comme nous l avons mentionné plus haut, on retrouve aussi des historiettes sur d autres sujets, et qui n appartiennent pas au genre du portrait. Ainsi une historiette intitulée «Vanitez des nations» qui se trouve entre «Le comte de Villa-Mediana» et «M. Viete»; qu y a-t-il de commun entre ces trois historiettes? Le comte de Villa-Médiana est un personnage de la cour d Espagne, et une partie du discours est rapporté en espagnol. L historiette intitulée «Vanitez des nations», qui commence par une fanfaronnade concernant un Espagnol, pourrait justifier la transition. Toutefois, il n y a rien de commun entre cette historiette et celle qui suit sur M. Viete, qui est mathématicien. On en retrouve bien d autres, qui surgissent, insérées sans explication entre deux portraits, comme celles intitulées «Advocats», «Bizarreries», «Marys cocus par leur faute» ou encore «Cocus prudents ou insensibles» 559. Elles sont composées chacune de plusieurs anecdotes et elles appartiennent à des registres variés. Est-ce que Tallemant écrivait ses historiettes sans se soucier de l unité de son récit, ou plutôt a-t-il laissé un récit non achevé, un brouillon qu il avait l intention de réorganiser? Phillip Wolfe estime que cette composition qui semble désordonnée ne signifie pas qu il n y a pas de principe de continuité. Selon lui, Tallemant a 558 À titre d exemple, l historiette sur le marquis de Rambouillet est suivie par celle de la marquise de Rambouillet, de ses filles Mme D Hierre, Mme de Montausier, Mme de Saint-Estienne et Mlle de Rambouillet. L historiette qui suit est sur Mademoiselle Paulet, une amie et habituée du salon de Madame de Rambouillet (voir Historiettes, t. 1, p ). 559 Voir Historiettes t

159 sciemment adopté cette forme libre qui se base sur l esthétique baroque qui vise le contraste, la surprise et la variété pour garder le lecteur en haleine 560. Cette remarque signifierait que Tallemant avait choisi un type d écriture spécifique et qu il a rédigé son récit en s y conformant. Or, le format du manuscrit autographe, les ajouts, ainsi que les nombreuses remarques dans les marges, ne justifient pas la remarque de P. Wolfe. De plus, comme nous l avons noté au chapitre I, l oralité du discours et les multiples digressions suggèreraient plutôt que l auteur écrivait d un seul jet, puisqu une historiette, une situation, un mot ou une idée lui en rappelant une autre, il enchaînait son récit. Dans l Avis de la troisième édition des Historiettes (1862) 561, M. Paulin signale les ajouts successifs que Tallemant a faits après 1659, date à laquelle la dernière historiette fut rédigée. La seconde marge de la page du manuscrit est souvent remplie de notes, et, comme le souligne M. Paris, il est difficile de leur donner des dates précises 562. Selon lui, Tallemant a fait des additions aux Historiettes pendant le reste de sa vie. Cette «forme libre et cavalière» 563 et la variété de registres n exclut pas une unité narrative autour de l anecdote. Contrairement au genre des Mémoires par exemple, qui sont des textes à composante narrative, souvent racontés à la première personne, et dans lesquels l auteur insère parfois une anecdote soit pour illustrer un caractère soit pour alléger le texte et piquer la curiosité du lecteur, les Historiettes se 560 Voir l article de Phillip Wolffe, «Tallemant des Réaux et l esthétique baroque des Historiettes», dans la Cincinnati Romance Review, Vol. 20, 2001, p En ce qui concerne les ajouts au manuscrit des Historiettes, voir note Voir Les Historiettes de Tallemant des Réaux, troisième édition, op.cit., 1862, p. vii. 563 La formule est de P. Paris, op.cit. p. vii. 151

160 présentent intégralement sous la forme d un recueil d anecdotes dans lequel se trouvent ici et là les traces d énonciation de l auteur Définition de l anecdote comme micro-récit fictif Comparaison avec d autres formes brèves: l ana, la chrie ou les facéties. A. Proximité des genres Ana et anecdotes Une relation de proximité existe entre l Ana et l anecdote, qui pourrait s expliquer par plusieurs facteurs, tant par association phonétique que par les similitudes de forme et de contenu. Le genre des ana, comme celui de l anecdote, rassemble des petits faits mémorables, souvent dérisoires, des pensés ou des bons mots d un personnage célèbre. Tallemant était familier du genre et avait eu connaissance des premiers anas dont les manuscrits se trouvaient chez les frères Dupuy. Dans les manuscrits inédits de Tallemant qui se trouvent à la bibliothèque de La Rochelle ou à la Bibliothèque Nationale de France, on trouve justement un assemblage hétérogène et inédit d anecdotes, d épigrammes ou de sonnets de plusieurs auteurs qu il connaissait ou qu il fréquentait, comme Jean-François Sarrasin, Antoine Gombaud, Antoine Godeau, La Fontaine, Corneille ou encore Pellisson. Le terme Ana a tardé à apparaitre dans les dictionnaires de l époque. Il ne se trouve pas dans celui de Furetière de 1690, ni dans celui de Richelet de Les 564 Dans L Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, Karine Abiven a fait une étude sur l anecdote comme séquence pour mieux en déchiffrer la structuration interne et son intégration dans d autres textes plus vastes comme les Mémoires ou les Recueils. Les anas seraient un exemple de textes où on peut trouver de telles séquences et construire le modèle de l anecdote-type. À partir de là, on arrive à une caractérisation de l anecdote en général : absence de complexité, brièveté, absence de développement central. Ces modèles se retrouvent partout dans les Historiettes, quoique parfois, Tallemant élabore son récit de telle manière qu on pourrait l analyser comme une petite nouvelle. (Karine Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, de Tallemant des Réaux à Voltaire, ( ), Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 257). 152

161 dictionnaires commencent à enregistrer l usage du substantif un peu plus tard : en 1803 dans la réédition de Richelet où le terme est défini comme substantif masculin avec le sens de «Recueil de pensées détachées», et en 1835 pour le Dictionnaire de l Académie qui le désigne comme une simple «terminaison» 565. Toutefois, le Dictionnaire de Trévoux (1720) l explique en ces termes : Ce mot ne signifie rien, et n est qu une terminaison Latine de noms adjectifs neutres pluriels; mais parce que depuis quelque temps on a formé de ces sortes d adjectifs Latins des titres à des livres, même François, qui font des Recueils de mots ou sentiments mémorables de quelques savants, ou gens d esprit, on appelle ces livres des livres en ana, ou simplement des ana [ ] M. Wolfius a fait l Histoire des livres en ana dans la préface des Casauboniana. Il y dit que si ces sortes de titres sont nouveaux, la chose est fort ancienne; que les livres de Xénophon, des dits et faits de Socrate, et les Dialogues de Platon sont des Socratiana 566. Les ana se définissent donc par leur titre composé du nom de l auteur et du suffixe ana (Menagiana, Scaligerana, Perroniana), ainsi que par une certaine forme commune. Selon Francine Wild, le genre n est né que lorsque les manuscrits, une fois imprimés, sont venus à la connaissance du public. C est alors qu on leur assigne le suffixe ana 567. Ainsi, les frères Dupuy, dépositaires d un manuscrit dont l auteur était Joseph Juste Scaliger, le publient en 1615, et lui donnent le nom de Scaligerana. Peu après, ils publient aussi les Perroniana et les Thuana. Il est possible que Tallemant, qui avait accès à la bibliothèque des frères Dupuy, ait pu consulter ces manuscrits 568. Dans son Introduction, Antoine Adam indique que l auteur des Historiettes avait 565 Voir Bernard Beugnot, La mémoire du texte, Paris, Honoré Champion, 1994, p Dictionnaire universel François et Latin, Paris, chez Florentin Delaulne, Hilaire Foucault, Michel Clousier, Jena-Geoffroy Nyon, Estienne Garneau, Nicolas Gosselin, T. 1, Notons toutefois que les dictionnaires commencent à enregistrer l usage du substantif un peu plus tard : en 1803 dans la réédition de Richelet où le terme est défini comme substantif masculin avec le sens de «Recueil de pensées détachées», et en 1835 pour le Dictionnaire de l Académie qui le désigne comme une simple «terminaison» (voir Bernard Beugnot, La mémoire du texte, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 68). 567 Voir Francine Wild, Naissance du genre des Ana ( ), Paris, Honoré Champion, p. 14. D après F. Wild, le terme d ana a dû commencer à circuler dans les conversations (p. 55). 568 Les Scaligerana furent publiés en Les Perroniana et les Thuana ont paru presque en même temps. Or, Tallemant a écrit la plupart de ses Historiettes entre 1657 et On peut alors supposer qu il a pu avoir accès aux manuscrits (et non aux œuvres éditées). 153

162 emprunté un certain nombre d anecdotes contenues dans les Thuana 569. On peut par exemple voir dans les Menagiana, la notice sur Boisrobert qui comprend le récit de la farce des «Trois Racan», qu on retrouve dans l historiette de Racan chez Tallemant 570. Dans les Carpentariana, le portrait d un Chapelain avare et malpropre évoque celui de l historiette de Tallemant. Dans les deux récits, l auteur de La Pucelle porte une vieille perruque et des vêtements usés et rapiécés 571. Tallemant fit aussi des emprunts aux Perroniana comme le montre cette anecdote à propos de l accident du bac de Neuilly, qui se retrouve à la fois dans l historiette de Henri IV et dans celle du Cardinal du Perron : la Reine Marie de Médicis ayant failli se noyer, «prit M. de la Chastaigneraie où vous sçavez». Tallemant cite alors le Cardinal du Perron qui dit : «Elle avoit raison, cette partie-là ne va jamais au fond» 572. Quelques pages plus loin, dans l historiette consacrée au cardinal Du Perron, Tallemant rapporte la même anecdote 573. Celle qui est racontée dans les Perroniana a une forme un peu différente, il ne s agit plus de Marie de Médicis. Le cardinal se trouve à diner chez Sully et raconte à la Choisy 574 comment une demoiselle étant tombée dans une rivière, un gentilhomme se jette à l eau pour la sauver. Elle le prit par le corps l empêchant ainsi de nager, et ils périrent tous les deux. Le cardinal conseille alors à la Choisy que si un 569 Historiettes, t. 1, p. XX. 570 Historiettes, t. 1, p : dans cette historiette, Tallemant raconte la farce que jouèrent à Mlle du Gournay deux chevaliers qui se firent passer pour Racan venant la «remercier» pour un livre qu elle lui avait envoyé. Quand le vrai Racan parut chez elle, elle ne voulut pas le croire et le mit dehors. Une pièce en fut tirée, les Trois Racan, et Boisrobert, écrit Tallemant, «joue cela admirablement» (d après Antoine Adam, la comédie des Trois Oronte parue en 1653 fut aussi écrite à partir de cette anecdote). 571 Voir le chapitre intitulé «Les Ana» de Richard Maber dans L Anecdote, éd. Alain Montandon, Association des publications des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1990, p. 104; voir aussi l historiette de Chapelain dans Historiettes, p. 567, t Ibid., t. 1, p Ibid., t. 1, p. 43 (il s agit d une annotation qu Antoine Adam a placée en bas de page). 574 Antoine Adam souligne que le nom de «La Choisy» se retrouve plus d une fois dans les écrits de l époque. Il semble que Monmerqué l avait identifiée comme étant l une des filles de Jacques de l Hospital, marquis de Choisy (soit Louise, comtesse de Castries, soit Francienne, épouse de M. de la Grange-Quincy). A. Adam estime qu il s agirait plutôt d une jeune bourgeoise «fort libre» (Historiettes, t. 1, p. 1032, note 3). 154

163 tel accident lui arrivait, il faudrait qu il prenne son sauveur «par la pièce que vous savez [ ] car elle ne va jamais au fond». Les deux versions ne sont pas similaires : quoiqu il s agisse d un même événement, les personnages et la conclusion de l intrigue diffèrent. Toutefois le noyau de l anecdote est le même dans les deux versions, et il sert à illustrer la grivoiserie spirituelle du cardinal et sa familiarité avec la société de M. de Sully. C est ce trait d esprit que l auteur veut transmettre pour amuser son public, et les détails de l intrigue ne sont là que pour y mener. Dans le cas de l anecdote tout comme dans celui de l ana, il s agit de la transcription d un discours oral 575 qui se trouve nécessairement modifié sous sa forme écrite, soit parce qu on en oublie certains détails, soit encore parce que l auteur veut donner une version qu il pense être plus savoureuse. Nous constatons encore une fois ce va et vient entre l écrit et l oral et les déformations discursives qui sont inhérentes à ces mouvements 576. À cet effet, Francine Wild souligne qu on rencontre souvent les mêmes anecdotes dans différents manuscrits, ce qui confirme la thèse de leur circulation et les multiples emprunts qui sont faits d un texte à l autre. Ainsi L Élite des bons mots et des pensées choisies contient des anecdotes qu on retrouve dans les Historiettes ou encore dans l Esprit de Guy Patin. Selon elle, ces anecdotes communes seraient des histoires connues, qui courent le monde à un moment donné. La petite anecdote qui suit en est un exemple : Mais ce qui fit le plus de bruit, ce fut que quand la cour alla à Amiens, pour s approcher d autant plus de la mer, Bouquincant tint la Reyne toute seule dans un jardin; [ ] Le galant culbutta la Reyne, et luy escorcha les cuisses avec ses chausses en broderies L expression excerpta ex ore se retrouvait dans le titre des premiers ana (voir F. Wild, Naissance du genre des ana, op.cit., p. 21). 576 Voir F. Wild, Naissance du genre des ana, op.cit., p Les premiers rédacteurs avaient tendance à mélanger le texte avec leurs réflexions personnelles. 577 Historiettes, t. 1, p

164 Ce même événement est décrit dans les Mémoires de La Rochefoucauld: Et même, un soir que la cour était à Amiens, et que la reine se promenait assez seule dans un jardin, il y entra avec le comte de Hollande, dans le temps que la reine se reposoit dans un cabinet. Ils se trouvèrent seuls; le duc de Buckingham étoit hardi et entreprenant; l occasion étoit favorable, et il essaya d en profiter avec si peu de respect, que la reine fut contrainte d appeler ses femmes, et de leur laisser voir une partie du trouble et du désordre où elle étoit. Le duc de Buckingham partit bientôt après, passionnément amoureux de la reine, et tendrement aimé d elle 578. L événement fait du «bruit», c est-à-dire qu il circule dans un cercle élargi, ce qui est bien la caractéristique première de l anecdote. Plus la nouvelle est croustillante et plus elle va exciter les curiosités et provoquer la médisance. Dans les trois versions du récit, celle de Tallemant, celle de La Rochefoucauld et celle de Mme de Motteville, le sujet, le cadre et les personnages sont les mêmes (l idylle entre Anne d Autriche et Buckingham, Amiens, un jardin), mais la narration est différente dans chacune. Dans les trois cas, nous avons affaire à un récit anecdotique, puisqu il s agit d une histoire galante qui est censée rester secrète, du moins selon la définition réthorique de l anecdote 579. L historiette de Tallemant est brève, elle est centrée sur l agression de 578 Mémoires du duc de la Rochefoucauld, première partie, Paris, Antoine Augustin Renouard, 1817, p. 6. Le même épisode est relaté dans les Mémoires de Madame de Motteville: «On a fort parlé d une promenade qu elle fit dans un jardin du logis où elle logea lorsqu elle alla conduire la reine d Angleterre à Amiens. [Mais ce fut fort injustement; car je sais d elle-même, qui m a fait l honneur de me le confier sans nulle façon, qu elle avoit voulu se promener dans ce jardin, parce que le Roi en défendoit l entrée à tout le monde : et comme la difficulté augmente le désir, cela lui avoit donné une fort grande envie d y aller; après avoir eu les clefs du capitaine des gardes avec beaucoup de peine, elle y étoit allée un soir, madame de Chevreuse avec elle, et sa petite cour.] La promenade se fit en présence de toute la suite qui, d ordinaire accompagnoit cette princesse. Et j ai vu des personnes qui s y trouvèrent, qui m ont instruite de la vérité. Le duc de Buckhingham, qui y fut, la voulant entretenir, Putange, écuyer de la Reine, la quitta pour quelques momens, croyant que le respect l obligeoit de ne pas écouter ce que le seigneur anglais lui vouloit dire. Le hasard alors les ayant menés dans un détour d allée où une palissade les pouvait cacher au public, la Reine, dans cet instant, surprise de se voir seule, et apparemment importunée par quelque sentiment trop passionné du duc de Buckingham, s écria, et, appelant son écuyer, le blâma de l avoir quittée. Par ce cri, elle fit voir sa sagesse et sa vertu» (voir les Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d Autriche et sa cour, Élibron Classics, 2007, t. 1, p ). 579 Selon Furetière, l anecdote est «un terme dont se servent quelques historiens pour intituler les Histoires qu ils font des affaires secrètes & cachées des Princes, c est-à-dire des Mémoires qui n ont point paru au jour, & qui n y devraient point paraitre.(voir le Dictionnaire universel). Dans le Dictionnaire de Pierre Richelet, l anecdote est «une chose cachée, secrette, qu on découvre; pièce inconnue jusques-là; qu on publie (Dictionnaire portatif de la langue françoise, seconde édition, À Lyon, Pierre Bruyset-Ponthus, 1761). Dans les deux définitions, on constate qu il s agit d événements 156

165 la reine par le duc de Buckingham. Elle est aussi relatée de manière grossière avec les verbes «culbutta» et «escorcha» qui soulignent la violence du comportement du duc et l humiliante posture de la reine. Tout le récit est écrit au passé simple ce qui en souligne le caractère net, singulier et frappant, tandis que le renversement des codes donne un ton burlesque à la scène. Le récit de La Rochefoucauld est plus élaboré sur le plan narratif: l événement est précipité par la réunion de deux conditions, que sont la mention d un cadre spatio-temporel (le soir, le jardin), et le caractère (hardi et entreprenant) du duc. Ces deux conditions sont narrées à l imparfait, elles encadrent l événement proprement dit, qui lui est au passé simple pour en marquer le rythme accéléré et la chute. Ce qui distingue le récit de Tallemant de celui de La Rochefoucauld porte surtout sur la conclusion : dans ce dernier récit, le duc quitta les lieux, «tendrement aimé» de la reine. Cette conclusion surprend étant donné le comportement du duc. S agit-il d ironie de la part de La Rochefoucauld? Le récit de Mme de Motteville appartient à un tout autre registre. L anecdote est beaucoup plus longue, et Madame de Motteville s attarde principalement sur tout ce qui entoure l événement. Ici, la reine est simplement «importunée», et réagit avec sagesse et vertu. Rien ne vient compromettre son honneur. Ces trois récits montrent clairement que malgré le caractère prétendument secret de l anecdote, sa circulation et son succès ne font aucun doute. Deux siècles plus tard, c est Alexandre Dumas qui va en reprendre le thème de manière romanesque dans Les Trois Mousquetaires 580. secrets. Paradoxalement, c est cette caractéristique de l anecdote qui est cause de sa circulation. L anecdote excite d autant plus la curiosité qu il s agit de secrets touchant des personnages célèbres. La personne qui détient l information cherche souvent à se faire valoir (Mme de Motteville par exemple, se sentait «honorée» par la confiance de la reine), à distraire ses amis (Bussy-Rabutin a écrit L Histoire amoureuse des Gaules pour distraire sa maitresse) ou encore à se venger en diffusant ces informations généralement croustillantes. 580 Il s agit du roman Les Trois Mousquetaires, Lausanne, Éditions Rencontre, 1962 (voir p. 30 de cette édition). 157

166 Mais il ne s agit pas seulement d histoires qui circulent. Ce sont aussi des mythes qui se propagent, comme ceux au sujet des gascons, braves et vantards, avec un parler savoureux. Ce mythe du gascon ridicule a inspiré de nombreux auteurs d ana. Elle a aussi intéressé Tallemant, dans son historiette sur Grillon : Avant la reduction de Paris, une nuict qu il ne dormoit point bien et qu il ne pouvoit se resoudre à quitter sa religion, Grillon luy dit : «Pardieu, Sire! Vous vous mocquez de faire difficulté de prendre une religion qui vous donne une couronne!» Grillon estoit pourtant bon chrestien; car un jour, priant Dieu devant un crucifix, tout d un coup il se mit à crier : Ah Seigneur, si j y eusse esté on ne vous eust jamais crucifié!» Je pense mesme qu il mit l éspée à la main [ ]. Ce Grillon, comme on lui monstroit à danser et qu on lui dit : «Pliez, reculez Je n en feray rien», dit-il, [.]. Grillon ne plia ni ne recula jamais. Se peut-il rien de plus gascon! 581. Cette anecdote souligne bien la tension entre la diffusion orale et écrite. L anecdote, généralement définie par son origine conversationnelle, peut poser un problème d énonciation lors de sa mise à l écrit. Dans l exemple cité ci-dessus, on suppose qu une gestuelle ou encore la tonalité de la voix, ou l expression du visage du conteur rendait le récit plus savoureux 582. Tallemant a eu l habileté de transcrire l anecdote au 581 Historiettes p. 12, t. 1. Cette scène pourrait appartenir à un registre comique : Crillon qui met l épée à la main contre un ennemi imaginaire n est pas sans rappeler le personnage de Don Quichotte contre les moulins à vent. Dans un cadre judéo-chrétien, la scène évoque celle dans l évangile, où un disciple de Jésus mets la main à son glaive pour le défendre (Évangile selon Saint Mathieu, chap. 26, verset 51-54). Le personnage du gascon a également servi de modèle à plusieurs générations d auteurs, comme Alexandre Dumas qui lui a donné les traits de D Artagnan dans Les Trois Mousquetaires. Il existait déjà chez Rabelais sous la figure de Gratianaud de Saint Sever, ou encore chez Agrippa d Aubigné sous celle de Les aventures du baron de Faeneste. Jean-Pierre Cavaillé analyse la figure du cavalier gascon et montre qu il ne s agit pas seulement d un ethnotype synonyme de «vantardise et de forfanterie». L objectif est donc de réhabiliter en quelque sorte un mythe qui ne serait pas entièrement représentatif ou mérité. Toutefois, Cavaillé souligne aussi que le «mythe du gascon» dans la première moitié du XVII ème siècle est une figure caractérisée par une certaine outrance verbale, par un accent prononcé et par une forfanterie un peu ridicule, appartiendrait plutôt à une construction (Dumas deux siècles plus tard a repris cette construction sous la figure de D Artagnan dans Les trois mousquetaires). Selon Jean-Pierre Cavaillé, le roman de Claireville qui représente une figure de gascon plus ambigüe et moins caricaturale, ne serait pas un renversement, mais plutôt une peinture qui restituerait leur caractère plus complexe (voir Jean-Pierre Cavaillé, «L extravagance gasconne dans le Gascon extravagant : un déguisement pour parler librement de tout», Les Dossiers du Grihl, , connection le 4 avril 2017). Notons que dans son historiette, Tallemant peint le gascon selon le mythe populaire. 582 François de Callieres rappelait justement qu une mise en écrit pouvait parfois dénaturer l anecdote : «Mais comme ces sortes de contes fondés sur l imitation, n étoient pas toujours soutenus par l agrément du sujet & ne concistoient souvent qu en l adresse de l acteur qui les representoit, ils perdoient beaucoup de leurs graces quand ils étoient racontés par d autres, & auroient cessé d être 158

167 discours direct, allégeant ainsi la narration. L exclamation finale (la chute) relève de l énonciation de l auteur et sert à amplifier le caractère «gascon» du personnage de Grillon. Les nombreux effets de passages de l oral à l écrit, qu ils soient faits dans les ana ou dans les Historiettes, illustrent bien la proximité des deux genres. La seule différence est la question d identité de l auteur, puisque celui des anas peut rester inconnu 583, ou comporter des passages écrits par plusieurs auteurs à des périodes différentes. Le rédacteur devait mettre en œuvre une stratégie d écriture pour que les propos du personnage dont on recueillait les paroles ne soient pas déformés, et pour qu on puisse y retrouver toutes les facettes de son esprit. Toutefois, étant donné que les rédacteurs pouvaient intervenir dans le texte à des périodes différentes, pour ajouter ou juxtaposer leurs commentaires, le produit fini pouvait être assez hétérogène 584. Il n en est pas de même dans les Historiettes, puisque nous sommes en présence d un seul auteur. Toutefois, l hétérogénéité est rendue par la voix des multiples personnages à qui Tallemant donne la parole. Cette polyphonie s exprime par l alternance des discours direct et indirect, comme dans l historiette de Madame Pilou 585, à qui Tallemant donne souvent la parole au discours direct. Plusieurs autres voix se font aussi entendre dans cette historiette, en discours direct ou indirect : celles plaisans si on les eust mis par écrit» (Des bons mots et des bon contes, de leur usage, de la Raillerie des Anciens, de la Raillerie & des Railleurs de nôtre temps, Paris, Claude Barbin, 1692, p. 260). 583 Le terme auteur se rapporte ici à celui (ou ceux) qui ont rassemblé le recueil et non pas à l auteur original des ana. Il faut aussi noter la différence entre ana et florilèges. Dans ces derniers, le nom de l auteur n est souvent pas retenu alors que les ana rattachent les textes reconnus à leur auteur (cette relation se manifeste justement par les titres des recueils qui portent le nom des auteurs en question). 584 A cet effet, F. Wild note que l édition des Scaligerana comporte des notes de Pierre Dupuy, d Adrien Daillé, de Paul Colomiès, de Le Duchat et de Jean Le Clerc. 585 Historiettes, t. 2, p Dans ses notes, Antoine Adam signale que Mme Pilou était probablement la bru de maître Jean Pillou, personnage qu on trouve dans les Bigarrures du sieur des Accords. Dans la troisième édition de Monmerqué, celui-ci rapporte les vers qui sont écrits en patois bourguignon, au chapitre des Épitaphes de l ouvrage de Tabourot : «Icy gist matre Jean Pillou [ ]/Et qui n aimoit boire de l eau/ma deu vin tous les jours un seau.» (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, troisième édition, tome quatrième, par MM de Monmerqué et Paulin Paris, chez J. Techener libraire, 1865, p. 367). 159

168 de M. de Ruvigny, de «mesdames de Rohan et les autres galantes de la place», le marquis de Gesvre, d un médecin, de M. de Tresmes, de M. de Langres, de M. de Candale, de M. de Chavigny, de M. Fieubet, du président de Chevry, de l abbé de Lenoncourt, de Mme de Chaulne et d autres encore. L historiette du Père André 586 est presque intégralement narrée au discours direct. Cette forme de narration est fréquente chez Tallemant, et renforce sa posture de témoin qui rapporte les paroles de ses personnages. Lorsqu il n est pas sûr de la provenance ou de la véracité d un récit, Tallemant n hésite pas à le faire savoir : ainsi l emploi de la locution on des «on dit», typique de l expression de la rumeur 587, comme dans l historiette du maréchal d Effiat : «on a dit, pour le déprimer encore davantage, que la Coiffier, cette traitteuse, était sa parente» 588. Il lui arrive même d exprimer ouvertement ses doutes sur la véracité de certaines rumeurs, comme dans cette historiette sur Henry de Bourbon : «Je ne voudrais pas assurer qu il fut Bougaron tout à fait, mais il estoit grand masturbateur» 589. En définitive, contrairement au satut anonyme du rédacteur des ana, Tallemant revendique dès le départ son statut d auteur dans les Historiettes. En effet, son préambule, rédigé à la première personne, annonce clairement ses intentions : «J appelle ce recueil Les Historiettes [ ] Mon dessein est d escrire tout ce que j ay appris et que j apprendray d agreable et de digne d estre remarqué.» 590 Les traces d une énonciation auctoriale parcourent le texte, Tallemant n hésitant jamais à intervenir dans le discours, ou encore à indiquer ses sources. Par exemple, dans 586 Historiettes, t. 2, p Les «on dit» est une locution devenue synonyme de rumeur. Voir Le Petit Larousse : «On-dit : rumeur, nouvelle répétée de bouche en bouche, et peu contrôlable». 588 Historiettes, t. 1, p. 294) 589 Historiettes, t. 1, p Notons la prétérition dans la première partie de cet énoncé, qui va jeter le doute dans l esprit du lecteur. 590 Ibid., t. 1, p

169 l historiette de Malherbe, il écrit : «Racan, de qui j ay eu la plus grande part de ces mémoires» 591 ; dans l historiette de Madame de Rambouillet il indique aussi : «C est d elle que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j ay escrit» 592. Les ana reflètent souvent, sans la raconter, la vie de leur auteur : elles attestent son esprit, son érudition et ses convictions. Celles du cardinal du Perron le montrent assumant plusieurs rôles : écclésiastique, mondain ou poétique. Francine Wild estime que les Perroniana étaient un document polémique dès le moment où ils furent écrits «car ils présentent la version du cardinal du Perron sur des faits ou sur des points en discussion qu évoquent d autres auteurs au point de vue tout différent» 593. Dans cet esprit, les Historiettes seraient aussi un document polémique sur une variété de sujets, comme la religion, le pouvoir, la politique, avec tous les artifices de la rhétorique que cette entreprise suppose : la satire, la parodie, le dénigrement et le blâme. Mais alors que les ana sont des textes qui reflètent le parcours d un seul personnage, les Historiettes, qui sont constituées en une galerie de portraits hétéroclites, offrent des biographies fragmentaires sur plusieurs individus et une vue d ensemble sur toute une société. En revanche, les deux genres rapportent la parole prononcée, mémorisée et racontée, et s apparentent par leur discours discontinu et par l assemblage d anecdotes, de traits d esprit, de fragments inédits ou même des traces de conversation. Bernard Beugnot rappelle à cet effet que pour les ana, le privilège accordé aux sources orales sur les sources écrites est très significatif. S y retrouvent à la fois la recherche de l inédit, qui satisfait la curiosité, et celle de l esthétique qui retransmet les attraits de la conversation mondaine. Ces mêmes caractéristiques se 591 Ibid., t. 1, p Ibid., t. 1, p F. Wild, Naissance du genre des ana, op. cit., p

170 retrouvent aussi dans les Historiettes et donnent aux deux genres cette forme «faite de liberté et de désordre, de pointillisme et d effet éclaté» 594. III. «Formes brèves et micro-récits» 595 En plus de leur appartenance au discours oral, les ana et les anecdotes se retrouvent dans la taxinomie des formes brèves qui inclut des types de discours variés comme la chrie, l adage, l aphorisme, la maxime, le witz, la pointe, l apophtegme ou encore la nouvelle 596. La brièveté et le laconisme dans le discours requièrent l activité interprétative du destinataire, et suscitent l imagination créatrice du lecteur 597. Selon Alain Montandon, le récit court et la forme brève désignent deux domaines distincts, le récit court étant ce qui est mesurable, tandis que le récit «bref» se rapporte au langage et à la parole, et relève «d une rhétorique, d une stylistique et d une poétique particulière» 598. Les Historiettes sont de longueur très inégale, certaines sont très courtes comme celle du Maréchal de Marillac (à peine deux pages), d autres sont beaucoup plus longues et élaborées, comme celle de la Marquise de Rambouillet qui comporte quatorze pages, celle de Malherbe qui fait vingt-cinq pages ou encore la plus longue, celle du Cardinal de Richelieu, qui couvre soixante pages 599. Toutefois, chaque historiette est elle-même une compilation de récits enchâssés, de micro- 594 B. Beugnot, La mémoire du texte, op.cit., p Alain Montandon, «Formes brèves et microrécits», Les Cahiers de Framespa, framespa.revues.org, connection le 29 novembre Alain Montandon, «Formes brèves», art.cit. 597 Nietzsche écrivait : «Une sentence est un maillon d une chaîne de pensées; elle exige que le lecteur reconstitue cette chaîne par ses propres moyens: c est vraiment beaucoup demander. Une sentence est une forme de présomption. Ou alors elle est une précaution: c est ce que savait Héraclite. Pour être appréciée, une sentence doit d abord être remuée et mélangée à d autres ingrédients (exemples, expériences, histoires). La plupart des hommes ne comprennent pas ça et c est pourquoi l on peut, par les sentences, dire sans danger des choses dangereuses» (Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, Robert Rovini, Paris, Éditions Gallimard, 1988, p. 416). 598 A. Montandon, op.cit. 599 Notons en passant que La Fontaine a droit à une page et demi seulement, et que son historiette est incluse dans celle de Racan (cette pagination est celle qu on retrouve dans l édition d Antoine Adam). 162

171 historiettes contenues dans d autres historiettes ou des digressions 600 plus ou moins brèves. 1. Emphase et brièveté La brièveté ne consiste pas en une question volumétrique portant sur la seule dimension du texte. Comme le souligne Jean Lafond, on ne peut pas simplement opposer «la sentence, théoriquement limitée à la phrase qui l énonce, à l essai montaignien ou à la dissertation balzacienne» 601. Chez Tallemant, il s agirait plutôt de la densité d un texte caractérisé par l allusion et les non-dits. Lorsqu il écrit que Louis XIII «craint le diable, car il n aimait point Dieu» 602, il faut savoir que la réputation de Louis XIII est précisément celle d un roi très dévot. Tallemant sousentend que la piété de Louis XIII est un masque, une illusion ou alors que cette piété n est fondée que sur la peur d aller en enfer, et par conséquent, que sa foi n est pas réelle. En dépit de la concision de la phrase, l emphase est soutenue par l opposition entre la figure du diable et celle de Dieu mais aussi par les temps verbaux : «craint» est au présent, et reflète la mort imminente du roi qui arrive à la fin de sa vie, alors que le verbe «aimer» est à l imparfait, et suggère une temporalité étendue. Le connecteur «car» induit l idée de conséquence : la peur du diable à l approche de la mort résulte du manque d amour envers Dieu La digression «contrevient gravement aux lois du discours». Selon Dominique Maingueneau, digresser c est dévier de son chemin et tromper le lecteur (Voir Pragmatiques pour le discours littéraire, Paris, Bordas 1990, p. 127). Les digressions dans les Historiettes sont analysées plus loin. 601 Voir Jean Lafond, Les formes brèves de la prose et le discours discontinu (XVI è - XVII è siècles), Paris, J. Vrin, 1984, p Historiettes, t. 1, p Stéphane Macé intitulé souligne que la brièveté peut être aussi efficace qu un long enchainement d arguments, pour atteindre le même résultat dans l auditoire. Il donne un exemple proposé par Quintilien : pour émouvoir le public, on peut s attarder à détailler toutes les circonstances d un crime, fournir des détails élaborés sur la souffrance de la victime, provoquer l horreur en évoquant la scène à 163

172 Pour qu un événement à priori futile produise de l effet chez le lecteur, il est impératif de le mettre en valeur, de le rendre saillant. L emphase, qui caractérise la brevitas doit se fonder sur une technique spécifique pour éviter l obscurité et pour réussir à piquer la curiosité du lecteur. La pratique de ce type de forme brève dans les Historiettes se trouve particulièrement illustrée dans les chapitres intitulés «Bons mots et Naifvetez» et d autres du même genre, dont la forme pourrait parfois évoquer celles qu on retrouve dans Les Apophtegmes des anciens, traduits par Perrot d Ablancourt. Les deux anecdotes qui suivent permettent d en comprendre les modalités d écriture: Estant entré dans les galeres de Naples, il (le duc d Ossonne) s informa des forçats ce que chascun avoit fait; tous firent leur apologie; on les y avoit mis à tort; il n y eut qu un seul qui lui avoua franchement qu il le meritoit et par delà : «Ostez» dit-il au commissaire, «ce meschant homme d icy, ils gasteroit tous ces gens de bien» 604. Lambin et Massac, en leur jeunesse, allant se promener, rencontrerent une vieille qui chassoit des asnes; et se voulant railler d elle : «Adieu,» luy disent-ils, «la mere aux asnes». Adieu,» leur dit-elle, «mes enfans» 605. Dans le premier récit, l ironie de la chute est double : le «méchant homme» est le prisonnier repenti qu on libère, alors que les autres forçats, par l énonciateur désignés l aide de métaphores, ou, au contraire, on peut prononcer une seule phrase qui parvient à atteindre le même résultat, en chargeant les mots d une signification particulière : «Tu as tué ta mère. Que dire de plus? Tu as tué ta mère». La répétition et la simplicité de la séquence, ainsi que la ponctuation, créent l emphase tout aussi bien que dans la première version où l amplification est atteinte par la surabondance de la parole. Notons aussi que si, comme nous l avons déjà mentionné, ces anecdotes puisent à une source orale, la manière de dire l anecdote est tout aussi cruciale, l intonation de la voix, le silence allusif, tous ces éléments contribuent à en augmenter l effet (Stéphane Macé, «L amplification, ou l âme de la rhétorique. Présentation générale», Exercices de rhétorique, mis en ligne le 05 décembre 2014, consulté le 12 décembre 2016, 2014, p. 364). 604 Historiettes, t. 1. P. 80 (on peut en comparer la structure avec cet apophtegme qu on trouve dans Les Apophtegmes des anciens, tirez de Plutarque, de Diogène Laerce, d Ėlien, de Sobée, de Macrobe et de quelques autres, de la traduction de Nicolas Perrot, Sieur d Ablancourt, Paris, chez Florentin et Pierre Delaulne, 1694, p. 26 : «Un flatteur lui disant que la volonté des Rois estoit la règle de la justice; dy plutôst que la Justice est la règle de la volonté des Rois, répondit-il»). 605 Historiettes, t. 1, p Cette anecdote évoque également les apophtegmes mentionnés ci-dessus. Charles Sorel estimait que Les Apophtegmes des Anciens «sont un fonds inépuisable, où l on trouve des exemples & des autoritez pour toutes sortes de sujets» (voir La bibliothèque françoise de Sorel, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1664, p. 47). 164

173 comme des «gens de bien», resteront captifs parce qu ils persistent à nier leur culpabilité. Cette anecdote démontre que le pardon est accordé à celui qui reconnait ses torts 606. Dans le deuxième récit, la fonction didactique de l anecdote est soulignée par le profil des protagonistes : d un côté, deux jeunes hommes, de l autre, une vieille femme. L insolence des premiers est ridiculisée par l esprit de répartie de la vieille, et les deux insolents se retrouvent dans la situation de l arroseur arrosé. On peut dire que cette anecdote tient de l apophtegme par sa forme très laconique, et par la frappante répartie de la vieille dame, porteuse d une certaine sagesse. Ces deux anecdotes ont le mérite d être concises et autonomes, elles ne racontent que l essentiel. Elles ont en commun «deux constantes stylistiques» 607 : le choix du participe dans la première partie de la séquence («estant entré», et «allant se promener» et «se voulant railler»), et le discours rapporté dans la deuxième partie de la séquence, qui représente la chute ou la pointe du micro-récit. La forme de ce type d anecdote évoque un «squelette syntaxique» qui devait faire partie d un répertoire type pour les auteurs du XVII ème siècle et que Karine Abiven associe au genre de la chrie 608. Ce squelette ou patron syntaxique se retrouve fréquemment dans les recueils d historiettes et constitue un type de brevitas, qui permet de dire moins 606 Cette anecdote rappelle celle des deux larrons crucifiés en même temps que le Christ. Celui qui reconnut ses torts et se repentit fut absous (voir «L Évangile selon saint Luc» dans La Bible de Jérusalem, éd. Du Cerf, 2000, p. 1803). 607 Voir l article de Karine Abiven : «Marqueurs de l emphase dans la séquence anecdotique, ou comment mettre en relief l insignifiant» dans L emphase : Copia ou Brevitas?, Paris, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2010, p L exercice de la chrie relève «des pratiques de condensation et d amplification» : dans les collèges, les étudiants en rhétorique devaient s exercer à augmenter et à réduire un énoncé de base, selon divers procédés (voir introduction à : L emphase, copia ou brevitas? Op.cit. 2010). François de Dainville explique comment les jésuites devaient multiplier les exercitationes, en exprimant «un même thème, tantôt avec abondance, tantôt avec concision à développer une citation, un fait, selon les huit parties d une chrie» (voir L éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Les éditions de Minuit, p. 188). 165

174 pour faire entendre plus 609. Selon K. Abiven, au XVII ème siècle, les auteurs puisaient dans un arsenal d outils rhétoriques qui les aidait à formuler leurs récits de manière brève et concentrée, afin de solliciter l apport actif et interprétatif du lecteur. Est-ce que Tallemant a fait appel à ce type de dispositif? Il est probable qu il était familier de ces procédés, ou qu il s est inspiré de l approche stylistique qu on retrouvait dans les recueils d apophtegmes fidèles à ce modèle. Les chapitres des Historiettes qui ne sont pas consacrés aux portraits, comme celui que nous venons de citer plus haut, rassemblent des petites anecdotes sur des échantillons de populations : le chapitre intitulé «Advocats» 610, par exemple, comporte une série d anecdotes écrites selon un registre comique. Les historiettes sur les «Marys cocus par leur faute», ou encore les «Cocus prudents ou insensibles» reprennent le topos du mari trompé. Ces historiettes montrent un auteur témoin des mœurs de son temps. Ainsi, dans l historiette «Bizarreries ou visions de quelques femmes» 611, se trouvent huit anecdotes qui sont encore discontinues et autonomes. Elles ont en commun la brièveté de la narration et une thématique constante, puisqu il s agit à chaque fois du comportement naïf, instable ou irrationnel des jeunes femmes avec leurs amants ou leurs époux, comme dans le récit suivant : Un vieux cavalier, nommé M. de Villegaignon, espousa une jeune et belle personne. Cette femme, quelques jours après, dit à une de ses amies : «Je n aime point M. de Villegaignon, quoyqu il m ait fait beaucoup d honneur, estant riche comme il est, d avoir pris une pauvre fille comme moy; mais je m en vais faire une neuvaine pour tascher à l aimer» Karine Abiven, «Marqueurs de l emphase», art.cit. p Historiettes, t. 1, p Ibid. t. 1, p Ibid. t. 1, p

175 Ce micro-récit est bien un fragment qui donne l impression de l inachevé, un «jardin des ruines, [ ] chaotique» 613. Les seuls détails fournis reposent sur le rapport antithétique du couple : lui, vieux et riche, elle, jeune, belle et pauvre. Le contexte social est banal, un mariage de convenances, fréquent dans tous les temps et tous les pays. En revanche, ce qui rend l histoire piquante, c est la chute qui clôt l anecdote : la demoiselle espère qu une neuvaine pourrait changer ses sentiments envers le vieil époux. Or, dans la religion catholique, une neuvaine est une «dévotion de faire dire des Messes pendant neuf jours de suite à l honneur de quelque Saint, pour implorer son secours en quelque nécessité» selon Furetière 614. Le discours direct permet à l auteur de se distancier de son récit, et laisse ainsi la liberté au lecteur d interpréter les paroles de la jeune fille. L ironie repose sur la foi naïve du personnage qui croit que la prière changerait ses sentiments. Mais on peut aussi penser qu il s agit de dénigrer une religion qui promet un meilleur sort à l issue de ce type de prières 615. Le chapitre intitulé «Jaloux» groupe des anecdotes qui vont illustrer la figure du mari jaloux, comme s il s agissait d un groupe social spécifique 616. Les anecdotes qui suivent illustrent les terribles dérapages que cause la jalousie chez les maris: il s agit dans les deux cas d une «histoire brève, sans péripéties secondaires traitant d une personne singulière, dans laquelle, par des traits individuels de comportement et 613 A. Montandon, Les formes brèves, Paris, Hachette, 1992, p.89. Cette description s oppose à «une architecture classique, ordonnée et maitrisée» du discours. 614 Furetière, Dictionnaire Universel.t. 2, 615 Chez les protestants, ce genre de pratique n est pas admis. 616 Notons par ailleurs que le thème de la jalousie se retrouve un peu partout dans les Historiettes, chez les grands comme chez les bourgeois, chez les femmes comme chez les hommes. La présence de la jalousie dans la littérature existe depuis l Antiquité. Plutarque y consacre un chapitre dans Morales, intitulé «Les préceptes de mariage» (voir Les œuvres morales de Plutarque, Iacob Stoer, Genève, 1613, t. 1, p. 462). Montaigne, dans les Essais, qualifie la jalousie de «la plus vaine et tempétueuse maladie qui affecte les âmes humaines». Furetière définit la jalousie comme «une passion de l âme [ ] se dit particulièrement en amour, de la crainte de préférence, ou de partage du cœur, ou des faveurs de la personne qu on aime. Il n y a point de passion plus violente & plus tragique que la jalousie qui naît d un extrême amour». 167

176 de langage est caractérisée une personnalité ou les marques distinctives d un groupe humain» 617. Elle a eu quatre enfans, et parce que ce mary a un petit doigt de la main gauche estropié 618 et tout crochu, et qu il dit que si elle fait des enfans qui ne l ayent pas de mesme ils ne seront pas à luy, tous ceux qu elle a faits ont le petit doigt de la main gauche crochu, soit par la force de l imagination de la mère, soit que la sage-femme gaignée le leur rompe en naissant 619 Un médecin de Soissons, nommé Rapoil, avoit une femme bien faitte, mais elle avait une dartre à la joue qui se renouvelloit tous les mois, en sorte qu elle n avoit par mois que quinze jours de beauté. Il en estoit jaloux, et quoyqu il dist qu il sçavoit bien le moyen de la guerir, par jalousie il ne la voulut jamais guerir entierement 620 L emphase présente dans les deux anecdotes qui se terminent par un fait saillant, est de l ordre du grotesque 621 : dans l une, on déforme les doigts de nouveaux-nés pour qu ils ressemblent à leur père, et le rassurer ainsi sur sa paternité. Dans l autre, le mari médecin s abstient de soigner sa femme marquée au visage pour qu elle ne le trompe pas. Le renversement des codes et des attentes du lecteur (la mère passive ou indifférente devant la mutilation de ses enfants, le médecin qui refuse son rôle de guérisseur) sert à souligner l exemplarité des deux anecdotes, et à révéler les drames qui résultent de la jalousie. Les deux anecdotes ne comportent que le minimum de détails pour en faire un récit, Tallemant ne fournit aucune information sur la psychologie des personnages, on n y trouve aucun élément superflu 622. Toutefois, 617 Voir A. Montandon, Les formes brèves, op.cit. p. 101 (A. Montandin cite ici Max Dalizsch). 618 Dans le Dictionnaire Universel de Furetière, «estropier» signifie couper ou mutiler. Dans les deux récits, l histoire sert à illustrer l absurdité de la posture de ce mari jaloux. 619 Historiettes, t. 2, p Ibid., p Dans son Dictionnaire universel, Furetière définit le «grottesque» en ces termes : «se dit figurément de ce qui est bizarre, extravagant, ridicule dans les personnes, dans les habits, dans les discours. On peignait les Dieux des Payens en mille figures grottesques L Arioste et les autres Poètes italiens inventent mille adventures grottesques, font des descriptions grottesques. Dans les deux anecdotes, l emploi du terme se rapporte au physique des personnages rendu difforme ou simplement laid. 622 G. Genette soulevait la question de savoir si un récit pouvait être réduit à une simple proposition verbale telle: «Marcel devient écrivain» (Discours du récit, Paris, Éditions du Seuil, 2007, p. 19). Karen Abiven rappelle à cet effet que pour pouvoir parler de récit, il faut identifier les critères 168

177 c est la brièveté même de ces deux anecdotes qui les rend particulièrement frappantes. La brevitas a toujours été au cœur des débats soulevés par l apparente contradiction entre l exigence de clarté et la brièveté du texte. Dans cette conjoncture, la brièveté demande une plus grande attention et une plus forte imagination de la part du lecteur dont la participation est requise pour compléter les non-dits, comprendre les allusions ou même tirer les conséquences de formulations implicites. Si «la brièveté est un style qui contient le nécessaire pour manifester la réalité» 623, on peut alors avancer l hypothèse que l œuvre de Tallemant est une histoire sur les mœurs. L anecdote est, comme le souligne A. Montandon, un moyen incontournable «pour pénétrer l intimité et la réalité d une société» 624. Ainsi, ces micro-récits, qui permettent d intégrer un éventail de situations multiples, procurent, malgré leur brièveté et leur discontinuité narrative, une vue d ensemble exhaustive sur la société de leur époque. Mais la brièveté, qui a aussi souvent recours aux ellipses et aux raccourcis, peut parfois obscurcir le texte. Dans les Historiettes, un lecteur qui n a pas de connaissances historiques ou qui ne connait pas le contexte de production du récit ne pourrait pas autant apprécier le texte. Toutefois, n oublions pas que Tallemant écrivait surtout pour des amis déjà au courant des événements qu il rapportait. Pour ces lecteurs, la brièveté des anecdotes était au contraire appréciée parce qu elle reposait sur un contenu implicite déjà familier à son premier public. Pour un lecteur moins initié, le raccourci peut présenter quelques inconvénients, comme dans cette anecdote: quantitatifs et qualitatifs requis. Pour une anecdote, il s agirait surtout de l absence de complexité plutôt que de longueur de récit, de «l expression minimale de la mise en intrigue» (L Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit. p. 254). 623 Alain Montandon, Les formes brèves, Paris, Hachette, 1992, p. 15 («Zénon d Élée, cité par Diogène Laërce»). 624 Alain Montandon, ibid., p

178 Elle (la Reine Marguerite) avoit l esprit fort souple et sçavoit s accomoder au temps. Elle a dit mille cajolleries à la feu Reyne-mere, et quand M. de Souvray et de Pluvinel luy menerent le feu Roy, elle s escria : «Ah! Qu il est beau! Ah! Qu il est bien fait! Que le Chiron est heureux qui esleve cet Achille! Pluvinel, qui n estoit guère plus subtil que ses chevaux, dit à M. de Souvray : «Ne vous disois-je pas que cette meschante femme nous diroit quelque injure?» 625 Pour apprécier l anecdote, le lecteur doit savoir qu il s agit ici de Louis XIII enfant. Lorsque Tallemant parle de l esprit fort souple de Marguerite, le lecteur averti 626 comprend que l alllusion fait spécifiquement référence au comportement de Marguerite de Valois qui fait preuve de beaucoup de sagesse en réagissant de la sorte au comportement de Marie de Médicis, sa rivale 627. Les propos mêmes de Marguerite peuvent également sembler obscurs, si bien qu il y a une mise en abime ici de l anecdote puisque, à l image d un lecteur non averti, l un des témoins est incapable de comprendre le sens. Tallemant fait référence à l érudition bien connue de la reine de Navarre, et il signale, en revanche, l ignorance de Pluvinel, dont le commentaire montre qu il n est «guères plus subtil que ses chevaux». Tallemant s adresse donc à un public censé être familier avec la mythologie grecque, laquelle est alors commune à tous les lettrés. L anecdote est encore plus illisible lorsque le récit fait allusion à un événement dont la véracité historique n a pas été prouvée. Celle qui concerne la mort de Gabrielle d Estrées par exemple montre comment une rumeur finit par faire partie de 625 Historiettes, t. 1, p Une écriture reposant sur la connivence était surtout pratiquée par des libertins qui cherchaient à dissimuler leurs idées par peur des persécutions. Il s agit d une «littérature qui s adresse non pas à tous les lecteurs, mais seulement au lecteur intelligent et digne de foi. Elle a tous les avantages de la communication privée sans avoir son plus grand désavantage n atteindre que les relations de l écrivain» (Léo Strauss, La persécution et l art d écrire,[traduit de l anglais et présenté par Olivier Sedeyn], Paris, Gallimard, 1952, p. 55). Dans l anecdote ci-dessous, il ne s agit pas de ce type de dissimulation, mais plutôt d un langage entre initiés qui partagent les mêmes références socioculturelles. 627 Henri IV avait épousé Marguerite de Navarre en premières noces. Il divorça et épousa Marie de Médicis par la suite. 170

179 l histoire d un personnage et contribue à semer le doute dans l esprit du lecteur. Comme on le voit dans l extrait qui suit, Tallemant lui-même signale qu il s agit d un «on dit» : Pour reprendre donc ses amours, si Sebastien Zamet, comme quelques-uns ont dit, donna du poison à Mme de Beaufort, on peut dire qu il rendit un grand service à Henri IV, car le bon prince alloit faire la plus grande folie qu on pouvait faire 628. Gabrielles d Estrées (Mme de Beaufort) aurait été empoisonnée, suite à un repas chez Sébastien Zamet 629. Le ton ironique de Tallemant, qui estime que S. Zamet «rendit service» au roi en empoisonnant sa maîtresse, rejoint les sentiments de certains contemporains à l encontre de Gabrielle d Estrées, que Henri IV voulait épouser malgré l opinion de ses conseillers 630. Tallemant procède ici comme s il s adressait à un public non seulement restreint, et donc au courant de cette rumeur et des circonstances qui l entouraient, mais aussi que ce groupe partagerait son avis concernant cet empoisonnement «providentiel». 2. Discontinuité des thèmes et discontinuité des formes Si l anecdote a pu survivre en dépit du caractère oral de sa transmission, c est bien grâce à des «monomanes de l information» 631 comme Tallemant. Nous venons de voir que les caractéristiques fondamentales de l anecdote reposent sur «la facticité, 628 Historiettes, t. 1, p Sébastien Zamet était un riche banquier, ami d Henri IV. La thèse d empoisonnement avait été soutenue par Sully dans ses Mémoires (voir Mémoires de Sully, t. 2, Paris, Amable Costes, 1814, p ). 630 Dans l historiette «Henry Quatriesme» Tallemant n est pas tendre envers Gabrielle d Estrées et ses frères et sœurs, réputés pour la lègèreté de leurs mœurs. Il rapporte une épigramme écrite à leur sujet : «J ay veü passer par ma fenestre/les six peschez mortels vivans/conduitz par le bastard d un prestre» (Historiettes, t. 1, p. 5). Dans ses Mémoires, Sully ne cache pas son mépris envers «ceste dame» qui avait «pris des esperances de pouvoir parvenir à des couronnes et diadesmes pour elle et ses enfants» (voir Les Oeconomies Royales de Sully, éditées par David Buisseret et Bernard Barbiche, Paris, C. Klincksieck, 1988, t. 2, p. 350) 631 L expression est de François Moureau (voir La Plume et le plomb, Paris, Presses de l université Paris-Sorbonne, p. 348). 171

180 la représentativité, la brièveté de la forme et l effet qui donne à penser» 632. Pour que l anecdote circule, il faut qu elle soit mémorable. Le narrateur choisit donc l événement qui, pense-t-il, retiendra l attention, ou alors il transcrit cet événement de manière à le rendre piquant et spirituel. Il s agit surtout d un «fait court, saillant, authentique et remarquable» comme ce petit récit dans l historiette du roi Henri IV : Le jour qu il entra dans Paris, il fut voir sa tante de Montpensier et luy demanda des confitures. «je crois», lui dit-elle, «que vous faittes cela pour vous mocquer de moy». Vous pensez que nous n en avons plus». «- Non», respondit-il, c est que j ay faim.» Elle fit apporter un pot d abricots et, en prenant, en vouloit faire l essay; il l arresta et luy dit : «Ma tante, vous n y pensez pas. Comment!» reprit-elle, «n en ay-je pas assez fait pour vous estre suspecte? Vous ne l estes point, ma tante. Ah! répliqua-t-elle, il faut estre votre servante.» Et effectivement elle le servit depuis avec beaucoup d affection. 633 Cette anecdote est enchâssée entre deux autres, qui n ont aucun lien entre elles 634. Le récit au discours direct consiste en un petit dialogue entre Henri IV et sa tante; la narration minimale, et la trivialité de la saynète contraste avec l événement historique qui vient d avoir lieu, à savoir l entrée de Henri IV dans Paris le 22 mars La brièveté de la forme et les ellipses exigent un public au courant des dessous de l histoire: à savoir que Mme de Montpensieur est la sœur du duc de Mayenne, le chef de la Ligue, et qu elle est de ce fait ennemie du roi. Il faut aussi savoir qu Henri IV avait vécu à la cour de Catherine de Médicis, où les empoisonnements étaient fréquents pour expédier un rival politique. La princesse de Montpensier s apprête 632 Ces critères sont soulignés par Alain Montandon dans «L anecdote», Actes de colloques de Clermont-Ferrand, 1988, p Historiettes, t. 1, p. 14. Tallemant ne précise pas la source de cette anecdote. Selon Antoine Adam, il se serait inspiré des Mémoires manuscrits de Fontenay-Mareuil. Il semble aussi que sur le plan historique, le récit ne soit pas tout à fait fidèle à ce qui s est réellement passé, mais l esprit de l anecdote serait exact (voir Historiettes, t. 1, notes p. 14). 634 L anecdote qui précède rapporte un dialogue entre Henri IV et sa sœur, Mme de Bar, au sujet d un ballet. Celle qui suit décrit un roi qui, malgré sa bravoure, ne pouvait s empêcher de paniquer à l approche de l ennemi (Historiettes, t. 1, p. 14). 635 L entrée dans Paris de Henri IV est un moment historique, on peut donc s étonner qu il aille voir sa tante de Montpensier le même jour. D ailleurs, d après Antoine Adam, cette visite n eut pas lieu le même jour mais plutôt le surlendemain et un peu par hasard (dans Historiettes, t. 1, voir note 2, p. 681). 172

181 donc à se servir de la confiture en premier pour rassurer le roi, mais ce dernier, en l arrêtant, lui donne une preuve de confiance, et renverse la situation. Cette historiette relève de l écriture de l exemplum, qui montre qu on peut désarmer un ennemi en lui donnant des preuves de confiance ou des signes d amitié. Henri IV s adresse à Madame de Montpensier en l appelant «ma tante», rétablissant ainsi le lien parental et filial. La brièveté du dialogue signale aussi que le roi a la rapidité d esprit qui lui permet de saisir le moment opportun pour se rallier la duchesse. La chute qui est la conclusion de l anecdote le confirme : face à la bonhomie du roi, la princesse, d ennemie, devient une alliée, sa «servante» 636. Mais les Historiettes ne sont pas exclusivement un recueil d exempla. Malgré leur parenté de forme, leur finalité morale et leur fonction ne relèvent pas toujours de la même catégorie édifiante. Pour bien différencier/comparer les genres de ces formes proches, on peut se référer à l inventaire que dresse K. Abiven de leurs caractéristiques respectives 637. En fait, les anecdotes des Historiettes puisent dans une variété de formes, ressemblant tantôt à l ana, tantôt à la facétie ou à l exemplum, et cela parfois dans la même historiette. À cet effet, notons l anecdote qui suit, dans l historiette sur Henri IV: Quand on luy [Henri IV] produisit la Fanuche, qu on luy faisoit passer pour pucelle, il trouva le chemin assez frayé et il se mit à siffler. «Que veut dire cela?» luy dit-elle. «C est», respondit-il, que j appelle ceux qui ont passé par icy». Picquez, picquez», dist-elle, «vous les attraperez» 638 Ce micro-récit est enchâssé, tout comme le précédent, entre deux autres, ce qui ne l empêche pas d être parfaitement autonome. Il ne s agit plus d exemplum ici. On 636 Historiettes. t. 1, p K. Abiven fait la distinction entre les diverses formes qui s apparentent à l anecdote : la chrie, l exemplum, l apophtegme, l ana ou la facétie. Voir L Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit. p Historiettes, t. 1, p. 7 (dans la deuxième édition des Historiettes, une note de bas de page précise que La Fanuche était une belle courtisane). 173

182 pourrait le classer dans la «liste» d anecdotes qui, par un procédé d accumulation, illustrent les mœurs sexuelles d Henri IV. On ne sait pas sous quelle forme cette scène parvint à l oreille de Tallemant, s il s agit d un récit oral, ou encore si cette scène est réelle ou fictionnelle. Tallemant n en précise pas la source mais il choisit de la raconter dans un registre burlesque : il s agit en effet d une courtisane qu on présente à Henri IV en la faisant passer pour pucelle. Tallemant insinue qu on joue une farce au roi, qu on pense assez naïf pour se laisser prendre. La métaphore du «chemin frayé» est une allusion cavalière qui consiste en un renversement par rapport à la «pucelle». Le récit dénigre le statut du roi en en faisant l objet de la farce. Ce portrait renversé est cohérent avec celui d un roi qui «n estoit [ ] pas un grand abatteur de bois», et donc «toujours cocu» 639. Le récit est surtout croustillant, il n a pas de but pragmatique ou moral, mais illustre peut-être la bonhomie d un roi capable de tourner toute déconvenue en plaisanterie 640. Comme nous l avons noté, ces récits sont enchâssés entre d autres anecdotes qui se suivent de manière discontinue. L anecdote qui précède celle de La Fanuche par exemple, peint un Henri IV constamment cocu et sentant mauvais. Celle qui suit évoque son prédécesseur Henri III et raconte la manière dont il se vengea d une courtisane qui se plaignait de son manque de générosité. Un peu plus loin, Tallemant 639 Historiettes, t. 1, p. 7. Il faut souligner que l historiette sur Henri IV semble s être inspirée d un manuscrit qui circulait alors sous le titre de Les Amours du Grand Alcandre, même si Tallemant déclare ne pas s en être servi (voir note de bas de page dans les Historiettes, p. 3). Dans ce manuscrit, on retrouve les amours du roi avec Gabrielle d Estrées, avec Madame de Verneuil, avec Madame la Princesse de Montmorency. 640 Depuis l Antiquité, on justifiait les biographies des gens illustres et les micro-récits qui en font partie en y attachant une portée morale d exemplarité. Plutôt que de «succomber à l attrait de la seule curiositas à l égard du passé», il fallait surtout réaffirmer sa valeur d auctoritas du passé. À ce sujet, F. Hartog rappelle les mots de Tite-Live à savoir que «chacun doit porter une attention passionnée à ce que furent la vie, les mœurs, aux hommes et aux conduites, dans la paix comme dans la guerre» (François Hartog «l autorité du temps», Études, 7/2000 (tome 411), p ). Or, le petit récit évoqué dans l historiette de Tallemant ne répond pas à ces critères, et ne sert qu à satisfaire un certain voyeurisme. 174

183 passe à la relation conjugale entre Marie de Médicis et Henri IV, il raconte les soupçons envers la Reine-mère accusée d avoir «trempé à sa mort», passe à Ravaillac, pour ensuite reparler d Henri IV et rapporter ses traits d esprit 641. Il en va de même pour les mots d esprit et les facéties qui sont égrenés au fil du texte sous forme de discours réduits, composés de petites structures fermées et autonomes. Ils servent surtout à souligner ou à illustrer l effet du registre comique, comme cette répartie dans l historiette du maréchal de Roquelaure : Le Roy lui demande (maréchal de Roquelaure) pourquoy il avait si bon appétit quand il n était que roi de Navarre et qu il n avait quasi rien à manger, et qu à cette heur qu il estoit roi de France paisible, il ne trouvait rien à son goût : C est, lui dit le maréchal, «qu alors vous étiez excommunié, et un excommunié mange comme un diable 642. Ou, dans un registre plus ironique, le bref échange entre Richelieu et l évêque de Bellay, qui était proche de Saint François de Sales et connu pour sa vie exemplaire: Le cardinal de Richelieu l envoya quérir : «Il faut que nous vous canonisions, Monsieur du Belay», lui dit-il. «Je le voudrais bien, Monseigneur, nous serions tous deux contents; vous seriez pape, et je serais saint» 643 Dans le premier petit extrait, le mot d esprit joue sur deux registres différents porte sur la religion. Le roi se plaint de son manque d appétit, l allusion étant que la royauté est source de soucis et d inquiétudes. Roquelaure tourne cela en plaisanterie en rappelant les origines protestantes du roi, un «excommunié» qu il compare au diable 644. Dans le deuxième extrait, l échange très bref que met en scène Tallemant en deux phrases illustre l esprit vif et mordant de M. de Bellay, dont le persiflage montre 641 Voir l historiette sur Henri IV p dans Historiettes, t Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 2, p Roquelaure, qui est ici l auteur du trait d esprit, détourne habilement les propos d Henri IV. Les protestants étaient excommuniés par l Église, et parfois brûlés. Le jeu de mots joue donc sur la relation entre l excommunication et l enfer. Il faut souligner en passant que le maréchal de Roquelaure était très proche d Henri de Navarre et pouvait se permettre ce genre de plaisanterie, qui aurait pu être offensante de la part d un autre. 175

184 qu il ne craint pas son illustre interlocuteur. Il retourne l ironie du cardinal en sa faveur, tout en se moquant de l ambition démesurée de Richelieu qui serait «content» de devenir pape, alors que lui aurait accédé à la sainteté, ultime récompense pour un homme d église. Encore une fois, le discours direct, sans aucune inclusion narrative, laisse le lecteur libre d interpréter le texte. «Si je m appesantis, tout est perdu», écrivait Joseph Joubert 645. Le mot d esprit, pour qu il fasse de l effet, doit être bref et laisser à l interlocuteur le plaisir de rassembler les fragments du puzzle 646. La discontinuité, qui est souvent caractérisée par une juxtaposition de propositions indépendantes, est donc propice à un style elliptique, incitant ainsi le lecteur à trouver lui-même le lien de la cause à l effet comme dans cette anecdote : On avoit desjà parlé de marier Monsieur le Prince avec Mlle de Montmorancy 647 ; le Roy conclut l affaire, croyant que cela avanceroit les siennes. Monsieur le Connestable donna cent mille escus à sa fille. Monsieur le Prince estoit fort pauvre, mais c estoit un grand honneur que d avoir pour gendre le premier prince de sang 648. L emploi du pronom indéfini «on» ne renseigne pas le lecteur sur les protagonistes qui planifiaient ce mariage; à quelles affaires fait allusion le pronom possessif «siennes» qui termine la première proposition? Tallemant passe outre tous les détails 645 Joseph Joubert, Carnets, Textes recueillis sur les manuscrits autographes par André Beaunier, Paris, Gallimard, [1838] 1938, p Freud souligne l importance de la concision qui est essentielle pour que le mot d esprit soit efficace. Il cite Jean-Paul : «La concision est le corps et l âme du mot d esprit, bien plus, c est le mot d esprit même». Il rappelle ce que disait Lipps, à savoir que le mot dire doit s exprimer «en trop peu de mots, c est-à-dire avec des mots qui, si l on s en tient à la stricte logique ou à la façon commune de penser et de parler, ne suffisent pas», bref, le mot d esprit «réussit à dire en passant sous silence» (Sigmund Freud, Le mot d esprit et sa relation à l inconscient, [traduit de l allemand par Denis Messier], Paris, Gallimard, p. 51). 647 Il s agit de Charlotte-Marguerite de Montmorency, née en Historiettes, t. 1, p

185 qui expliqueraient et lieraient ces événements entre eux 649. La forme elliptique est même utilisée dans la description physique du roi, qui emprunte à la rhétorique épidictique : Pour sa personne, il n avoit pas une mine fort avantageuse. Mme de Simier, qui estoit accoutumée à voir Henri III, dit quand elle vit Henri IV : «J ay veû le Roy, mais je n ay pas veû Sa Majesté» 650. Tallemant ne se lance pas dans une description minutieuse. L emploi de la litote suffit à projeter une image dénigrante du roi qui n a pas «une mine fort avantageuse». Un témoin qui a «vu» renforce ce verdict dépréciatif. Le discours direct ainsi que l emploi répétitif du verbe «voir» (quatre fois en une seule phrase) est là pour ajouter foi à cette description physique. Henri IV est comparé à Henri III, de manière désavantageuse. Encore une fois, l anecdote est très brève, ne fournit ni détails physiques ni détails vestimentaires. Toute son efficacité est dans la chute, en un seul mot, qui suffit à rabaisser le roi, à le dépouiller de son essence profonde : Henri IV n a pas de majesté 651. La discontinuité et la brièveté qui caractérisent la plupart des anecdotes dans les Historiettes reflètent non seulement l oralité d un discours qu on a transposé à l écrit 652, mais aussi le désir de l auteur de relater un maximum de petits récits pour 649 Dans Journal de ma vie, Bassompierre, qui avait été «promis» à la princesse, explique en détail de quelle manière Henri IV, tombé amoureux de Mlle de Montmorency, l a convaincu de renoncer à ce mariage. Bassompierre raconte aussi comment Henri IV qui voulait garder la princesse auprès de lui pour qu elle soit «la consolation et l entretien de sa vieillesse», avait résolu de la marier à son neveu, le prince de Condé, qui «ayme mieux la chasse que les dames». Contrairement à l anecdote de Tallemant, ce récit du Journal couvre plusieurs pages et fournit tous les dessous de l affaire (voir Journal de ma vie, Mémoires du maréchal de Bassompierre, Paris, Veuve Jules Renouard, 1770, p ) 650 Historiettes, t. 1, p L alternance description-discours direct qui se retrouve fréquemment dans les historiettes, et l introduction d un tierce personnage-témoin qui a «vu» ou «entendu», comme dans l exemple cihaut, sert souvent à justifier ou appuyer les remarques de l auteur. 652 Karine Abiven note à cet effet que «la parataxe et l asyndète caractérise un style plus simple, imité du modèle de la conversation» (voir L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit., p. 309). 177

186 illustrer le profil d un personnage par un effet d accumulation. Dans la première historiette, on trouve à la fois le portrait anecdotique d Henri IV, un bref épisode biographique de Madame d Estrées 653, un court portrait de Mme de Verneuil, un autre portrait de Ravaillac, mais aussi des bons mots 654 et des calembours. Pour illustrer «l esprit vif» du roi, la présence de Tallemant narrateur assure la liaison en annonçant : «Henri IV avait l esprit vif et estoit humain [ ] J en rapporteray quelques exemples.». Suit alors toute une série de petites anecdotes qui supportent ce trait de caractère d Henri IV 655. Toutefois, l ensemble du récit s organise principalement autour du caractère du roi. L historiette de Des Barreaux 656 regroupe une douzaine de petites anecdotes autonomes, qui toutes illustrent le libertinage du personnage, et sa vie de débauche. L avantage de ce type de narration brève et discontinue est qu elle permet une lecture à la fois allégée (on peut se permettre de sauter des passages sans perdre le fil), et ouverte (parce que la forme brève «ne supprime rien, elle génère, elle engendre» 657 ). C est ainsi que l on peut trouver des historiettes qui renferment des anecdotes à la fois comiques, satiriques ou polémiques. Les historiettes de Louis XIII, de Richelieu ou de Sully présentent une gradation qui va de l ironie à la satire dans un ton plus polémique. Toutefois, la discontinuité présente des risques. Faite de digressions multiples qui surgissent soit à la faveur d un souvenir, soit par association d idées, soit par un 653 Historiettes, t.1, p. 4-5 : «Cette Mme d Estrées estoit de la Bourdaisière» 654 Il s agit de l échange entre Henri IV et un paysan qui s appelle Gaillard Historiettes, t. 1, p Monsieur de Vienne essayait de faire son anagramme. Le roi lui dit : «Il n y a rien de plus aisé : Jean de Vienne devienne Jean» (Pour illustrer «l esprit vif» du roi, la présence de Tallemant conteur assure la liaison en annonçant : «Henri IV avait l esprit vif et estoit humain [ ] J en rapporteray quelques exemples.» (Historiettes, t. 1, p. 9). Suit alors toute une série de petites anecdotes qui supportent ce trait de caractère de Henri IV. 656 Historiettes, t. 2, p Alain Montandon, Les formes brèves, op.cit., p. 14 (Umberto Eco parle d une écriture «ouverte» qui tend à faire de l interprète «le centre actif d un réseau inépuisable de relations parmi lesquelles il élabore sa propre forme», voir L œuvre ouverte, [traduit de l italien par Chantal Roux de Bézieux], Paris, Éditions du Seuil, 1965, p. 18). 178

187 détour historique, elle risque parfois de faire perdre le fil de la narration. Les mots de Tallemant dans le préambule méritent d être rappelés ici: «Mon dessein est d escrire tout ce que j ay appris et ce que j apprendray d agréable et de digne d estre remarqué [ ], ce ne sont pas des choses à mettre en lumiere quoisque elles ne laissassent d estre utiles» 658. Le célèbre objectif horatien du prodesse et delectare ne risque-t-il pas d être compromis par le nombre et la nature des digressions, ainsi que par l hétérogénéité générique et la juxtaposition des discours? 3. Les digressions Furetière définit la digression comme un «Vice d éloquence, où l on tombe lorsqu un Orateur sort de son principal sujet pour en traiter un autre. Il n y a rien de plus ennuyeux qu un conte plein de grandes digressions. On pardonne les digressions quand elles sont fort courtes et à propos» 659. Pour Richelet, la digression est un «discours qui n est pas tout à fait du sujet, mais qui doit y avoir du rapport & qui sert à embellir les ouvrages d esprit quand il est bien fait et à propos» 660. Les deux définitions ne sont pas tout à fait identiques, Furetière semble refuser l emploi des digressions, alors que Richelet les accepte lorsqu elles ajoutent à la beauté du texte. Dans des genres comme les mémoires, ou l Histoire, l anecdote se retrouve parfois comme une digression qui coupe la monotonie de la narration, et qui sert à illustrer un 658 Historiettes, t. 1, p Voir Antoine Furetière, le Dictionnaire universel, Pierre Richelet, Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, op. cit., p La digression est parfois comparée à la parenthèse, qui est également une figure d interruption. Gérard Milhe Poutingon signale la définition que l on retrouve chez Antoine Fouquelin : «Digression est une interruption de propos et changement en un autre, non étrange du tout : laquelle est quelquefois un peu longue, quelquefois plus courte. La Digression plus longue est volontiers prémunie d une petite et brève préface, de peur que inconsidérément et sans y penser nous semblions aller du coq à l âne : et à la fin d icelle on a de coutume mettre une petite clausule signifiant la retraite est rentrée au propos, duquel on était sorti» (Gérard Milhe Poutingon, Poétique du digressif, la digression dans la littérature de la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 15). 179

188 commentaire, à expliquer un événement historique, à piquer la curiosité du lecteur ou encore à capter sa bienveillance 661. Les digressions ont toujours marqué les œuvres littéraires ainsi que les discours oraux, et les avis sont partagés à savoir si elles ajoutent à la beauté ou à la profondeur du texte ou s il s agit, au contraire, d une «offense à la cohésion du texte» qui doit être évitée. On peut d ores et déjà stipuler que les digressions peuvent introduire un élément ludique parce qu elles allègent parfois un texte trop narratif pour y insérer une anecdote. Le danger est qu elles peuvent aussi distraire le lecteur et couper l enchainement des idées. Chez Montaigne, les digressions, qui font partie de cette manière d écrire «à sauts et à gambades», reflètent le désir d une élocution qui reste naturelle et qui cherche à faire réagir le lecteur. Chez Tallemant, les digressions constituent le motif même du texte, elles en sont la caractéristique principale, et se retrouvent dans chaque historiette. Comme dans une conversation, l auteur passe d un sujet à l autre, souvent sans transition; cela rend parfois le texte décousu ou incohérent 662. Les digressions sont non seulement fréquentes dans les Historiettes, mais parfois, elles amènent d autres digressions et le lecteur peut perdre de vue le discours initial; en même temps, cette caractéristique fait 661 G. Milhe Poutingon rappelle qu Aristote avait déjà établi une relation entre détour et plaisir, et souligne l intérêt accordé à la fonction digressionniste par la Renaissance. Il cite Peletier dans l Art Poétique : «Et parmi l universel discours, il fait bon voir, comment le Poète, après avoir quelquefois fait mention d une chose mémorable [ ] la laisse là pour un temps : tenant le Lecteur en suspens, désireux et hâtif d en aller voir l événement» (Ibid., p. 18). Dans l Histoire de France de F. de Mezeray par exemple, l historien coupe son récit par une anecdote assez croustillante pour expliquer l état de santé de François 1 er : «La réjouissance qu eurent les français de cette trêve fut troublée par le danger où ils virent le roi trois mois après [ ].J ay entendu dire quelquefois qu il avoit pris ce mal de la belle Ferronnière l une de ses maîtresses, dont le portrait se voit encore aujourd hui dans quelques cabinets curieux, & que le mary de cette femme par une étrange et sotte espèce de vengeance avoit esté chercher cette infection en mauvais lieu pour les infecter tous deux» (Histoire de France depuis Faramond jusqu au règne de Louis le Juste, Paris, Denys Thierry, Jean Guignard, Claude Barbin, 1685, p. 1005). Michel Zévaco reprend et développe l anecdote dans son roman Triboulet. 662 Pour un aperçu plus large des définitions, voir l étude de Jacques-Philippe Saint-Gérand, «Qui digression dit addiction», consultable sur le site ( 180

189 l originalité du texte qui peut se lire à l envers ou à l endroit 663 et qui, malgré cet aspect discontinu, n en présente pas moins une cohésion narrative. L historiette sur Henri IV par exemple illustre notre propos, puisqu elle comporte au moins une demidouzaine de digressions 664. Lorsqu un événement lui en rappelle un autre, Tallemant le signale par des marqueurs comme «cela me fait souvenir» 665, ou «à propos 666». Inversement, l historiette de La Princesse de Conty peut égarer le lecteur, tant on y trouve de détours : Tallemant, comme il le fait souvent, commence par rappeler la généalogie du personnage, mais signale la digression par un énoncé métadiscursif : «Mais avant que de parler de ses galanteries, je diray quelque chose de celles de sa bisaïeule et de sa mère» 667. Il se lance alors dans un autre récit qui concerne Mme de Guise, poursuit avec une anecdote sur M. d Urfé, digresse encore avec un «cela me fait souvenir» qui n a aucun rapport avec les récits précédents. Sans transition, il passe ensuite au père de la princesse de Conty, «le Ballafré 668», et lui consacre deux anecdotes, ensuite au comte de Saint-Maigrin, qu on pensait être l amant de l épouse du «Ballafré», et enfin à M. de Mayenne. Ce n est qu alors que le récit de Mlle de Guise commence, mais là aussi, Tallemant décide de passer au récit de Givry, à travers deux digressions 669, pour revenir à la princesse de Conty. La cohésion textuelle est compromise par ces détours, et il revient au lecteur d en reconstruire l ordre et la signification. 663 Cette remarque signifie tout simplement qu on peut commencer notre lecture par n importe quelle historiette, on peut en laisser certaines et y revenir. Les digressions de l auteur permettent des digressions du lecteur, et des choix de textes qui n altèrent pas le plaisir de la lecture. 664 Historiettes, t. 1, p Dans l historiette d Henri IV, l expression est employée deux fois, sur la même page (voir p. 12). 666 Historiettes, t. 1, p. 42, p Ibid. t. 1, p Il s agit du duc de Guise. 669 Ibid. t. 1, p. 35. Givry était amoureux de la princesse de Conty, et Tallemant décide d insérer le billet qu il écrivit à la princesse en expliquant son geste : «Givry, voyant qu elle le quittoit, luy escrivit un billet que je mettray icy, parce que c est un des plus beaux billets qu on puisse trouver». Tallemant décrit ensuite les circonstances de la mort de Givry au siège de Laon, puis termine par une analepse : «je diray encore un mot de ce M. de Givry. Il avait aimé autrefois.». 181

190 Les digressions dans les Historiettes surgissent aussi pour donner au profil du personnage un contour mieux défini, et le rendre plus vivant, comme dans l historiette sur le cardinal de Retz. Rappelons que Tallemant connaissait Jean-François de Gondy 670 et les marques d énonciation montrent que c est directement du cardinal qu il tient la plupart des petits récits qu il rapporte dans son historiette. C est de leur voyage en Italie que Tallemant évoque leurs conversations : «Je l entretins presque toujours, durant dix mois; et, comme il a autant de mémoire que personne, car il sçavoit par cœur tout ce qu il avoit jamais [ ], il me conta et me dit bien des choses» 671. L historiette commence par le portrait physique du cardinal : «Jean- François de Gondy, aujourd huy cardinal de Retz, est un petit homme noir [ ], mal fait, laid et maladroit» 672. Tallemant décrit ensuite les deux frères de de Gondy, et revient enfin au portrait du cardinal pour clore son introduction : «il y avait quelque chose de fier dans son visage» 673. L historiette ne contient pas moins d une demidouzaine de digressions. Toutefois, malgré la discontinuité impliquée par ces allers retours, toutes ces anecdotes contribuent, par un effet d accumulation, à donner un portrait exhaustif de la personne physique et morale du cardinal. Souvent, les digressions sont là pour amuser le lecteur sous forme de facéties ou de mots d esprit, comme dans les séries de réparties qu on trouve dans l historiette de Bassompierre Jean-François Paul de Gondy fut nommé cardinal le 19 février Dans son historiette, Tallemant avait évoqué leur voyage en Italie, et les traces d énonciation de l auteur signalent leur relation. Dans les historiettes consacrées aux membres de sa famille, Tallemant revient sur les rapports étroits qui existaient entre le cardinal de Retz et eux. Il semblerait que ce fut le cardinal qui persuada l Abbé Tallemant de changer de religion (voir Historiettes, t. 2, p. 568). 671 Historiettes, t. 2, p Notons en passant qu il s agit là d une source purement orale. De plus, Retz raconte de mémoire, nous sommes alors en 1638 (c est l année durant laquelle leur voyage s est déroulé). Quelques années plus tard (1657 ou 1658?), Tallemant se fie lui aussi à sa mémoire pour raconter tous les petits événements qui parcourent l historiette. 672 Ibid. t. 2, p Ibid. 674 Tallemant a écrit que Bassompierre aimait mieux perdre un amy qu un bon mot, c est peut-être pour cela que l historiette à son sujet est une série d anecdotes qui illustrent son sens de la répartie, 182

191 Tallemant semble écrire d un seul jet. Ainsi, lorsqu une situation lui rappelle une autre, il poursuit sur sa lancée pour ne pas perdre le fil de son propos. Il écrit aussi souvent par association d idées, comme le montrent de nombreux exemples : dans l historiette sur la vicomtesse d Auchy, Tallemant raconte la manie de la vicomtesse de demander à recevoir l extrême onction, il passe ensuite à une anecdote concernant Grillon qui justement refusait ce sacrement, et revient enfin au Cardinal de Sourdis qui reçut le sacrement «en courant la poste» 675. L extrême onction est ici le fil conducteur, qui relie ces trois petites anecdotes. Dans l historiette du baron de Panat, le premier paragraphe est consacré au baron 676. La digression dans le deuxième paragraphe est introduite par un marqueur souvent employé par Tallemant : «À propos de femmes qui sont revenues» 677, l auteur enchaîne ensuite sur une anecdote qui n a rien à voir avec le baron de Panat, mais qui contient un épisode narratif dont le sujet rappelle celui qu il relatait dans le premier paragraphe 678. Ici encore, il s agit d un fil conducteur reliant des personnages qu on croyait morts et qui reviennent à la vie non pas de manière miraculeuse ou surnaturelle, mais plutôt de façon rocambolesque : dans la première anecdote, c est un coup donné sur la nuque de la défunte par une servante qui cherche à se venger d elle; dans la deuxième anecdote, ce sont les prêtres qui «ressuscitent» la morte par accident, en cognant le cercueil contre un poteau. L invraisemblance du premier récit est en quelque sorte effacée par comme ce qui suit: «Henri IV dit un jour au pere Cotton, jesuite: Que feriez-vous si on vous mettoit coucher avec Mlle d Entragues? Je sçay ce que je devrois faire, Sire, dit-il; mais je ne sçay ce que je ferois. Il feroit le devoir de l homme, dit Bassompierre, et non pas celuy de pere Cotton» (Historiettes, t. 1, p. 598). 675 Ibid., t. 1, p. 136, Tallemant raconte que la mère du baron, sur le point d accoucher, s étouffa à cause d un os de poulet. On la crut morte, on L enterra. Sa servante, venue la désenterrer pour lui voler ses bijoux, lui donna par vengeance un coup sur la nuque qui lui «desboucha le gozier», la ramenant ainsi à la vie. Elle accoucha peu de temps après du baron de Panat (Historiettes, t. 1, p. 178). 677 Historiettes, t. 1, p Il s agit d un autre cas où une femme qu on croyait morte se réveilla lorsque «les prestres donnerent de la bière contre une borne» (Historiettes, t. 1, p. 178). 183

192 la digression qui rapporte un événement similaire mais dans le deuxième récit, rendant l événement moins «surnaturel». Dans d autres historiettes, les digressions se présentent comme des souschapitres indiqués par des titres: l historiette du Cardinal de Richelieu en comporte plusieurs : Le chancelier Aligre, Vaultier, Saint-Germain, Lambert le riche, Rossignol, De Meuves, Des Vallées, Quillet, Mulot, Charpentier et Monsieur le Grand 679. Ces personnages ont en commun d avoir été, d une manière ou d une autre, victimes du cardinal et Tallemant les introduit dans le récit pour souligner le même effet d accumulation, le caractère tyrannique de Richelieu. Toutefois ces souschapitres ne sont pas exclusivement dédiés au personnage dont il est question dans le titre. On y retrouve d autres digressions qui renvoient au cardinal ou à son entourage. Les marqueurs que nous avons brièvement évoqués plus haut servent souvent de repères pour interrompre l énoncé 680, puis renouer avec le propos initial. Ils sont actualisés comme un métadiscours pour expliquer la pertinence de la digression ou l orientation du récit, comme dans cette historiette de Voiture où Tallemant écrit : «Nous dirons le reste à la fin de cette historiette, car nous avons dit la suitte de cette 679 D après les «notes» d Antoine Adam : Aligre fut chancelier de France en 1624, mais disgracié par Richelieu quelques mois après. Vaultier était le médecin de confiance de de Marie de Médicis et encourageait l union de Marie de Médicis et d Anne d Autriche, aux dépens du cardinal. Il fut emprisonné à la Bastille. Saint-Germain (Mathieu de Morgues) était le prédicateur de Marie de Médicis. Il dut fuir au Pays-Bas en 1631, après qu il ait pris la défense de la reine-mère contre Richelieu. Lambert le riche fut commis du trésorier de L épargne sous Richelieu et s enrichit malhonnêtement (Tallemant écrit : «Le Cardinal pourtant n estoit guères bien informé des choses [ ] il vouloit voler, et laissoit voler les autres», Historiettes, t. 1, p. 249). Rossignol était cryptographe, entré au service de Richelieu durant le siège de La Rochelle. De Meuves fut pendu pour s être vanté avoir un secret pour rompre le fer avec une certaine liqueur. Des Vallées prétendait avoir trouvé une langue matrice qui lui permettait de comprendre toutes les autres, et Richelieu le fit venir pour qu il divulgue ses connaissances, mais celui-ci refusa. Quillet était médecin, Tallemant raconte une anecdote dans laquelle il est raillé par Richelieu. Mulot fut un aumônier du cardinal de Richelieu. 680 Selon Gérard Milhe Poutingon, «une digression est en principe bornée, en amont comme en aval, par des formules que Fouquelin nomme preface et clausule». Ces formules servent à «interrompre l énoncé, le réorienter, puis renouer avec le propos primitif» (voir Poétique du digressif, op.cit. p. 161). 184

193 amourette par avance» 681. Ces marques d énonciation servent à préciser la source de l anecdote : «Voici ce que j ai ouy conter à des gens qui le sçavoient bien, ou croyoient le bien sçavoir» 682. Une autre digression dans le même chapitre arrive quelques pages plus loin, et commence par «cela me fait souvenir», qui est un marqueur qu on retrouve aussi fréquemment sous la plume de Tallemant, et qui fait appel à la mémoire de l auteur 683. On peut clore cette partie en rappelant que la plupart des Historiettes puisent dans un répertoire conversationnel. Il semble que Tallemant ait voulu préserver cette caractéristique, comme s il racontait une histoire à un proche. Cette impression est créée par le ton de connivence, les multiples marqueurs de l oralité, et enfin la liberté avec laquelle il s exprime. Comme dans une conversation, il lui arrive de sauter du coq à l âne, et pour ne pas ennuyer son interlocuteur, il essaie d être aussi concis que possible. Ayant fréquenté les salons dans lesquels on pratiquait l art de la conversation, il en a certainement acquis le style. Mais cette conversation, aussi honnête fût-elle, dérapait parfois en médisance. 681 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Le recours à la mémoire, souligne G. M. Poutingon, «offre au digressionniste le type de connexion le plus artificiel et désinvolte qui soit» et permet, comme chez Brantôme, «la pratique de l entassement» (Poétique du digressif, op.cit., p. 142). Cette fantaisie dans la digression évoque ou imite la liberté de la conversation, pratique qu on retrouve chez Brantôme et chez Tallemant. 185

194 IV. Le format de production de la médisance 1. La médisance Un décalage par rapport aux codes de sociabilité On trouva, après la mort du Cardinal, ce qu on a appelé son journal. Il est imprimé. Là on voit que beaucoup de ceux qu on croyait ses ennemis luy donnoient des avis contre leurs propres amis 684 La médisance a mauvaise presse au XVII ème siècle, même par ceux qui la pratiquent. Nous avons vu que Tallemant lui-même traite nombre de ses personnages de médisants 685. La médisance, qui est «un discours injurieux» 686, se situe à l opposé de la conversation telle qu elle devait se pratiquer alors. C est une forme de polémique qui vise non pas les hommes en général, mais le particulier. Elle se caractérise par les injures, les reproches ou les accusations qui remettent en question l honneur de la personne dont on médit 687. La conversation se situe dans un registre carrément opposé. Tout comme le genre épistolaire, elle est régie par des codes de bienséance bien définis. Dans La rhétorique de l honnête homme, Paul Colomiès, en soulignant le lien entre la conversation et la lettre qui devait s y modeler, attirait l attention sur trois règles à respecter : «ne jamais mêler le sacré avec le profane [ ], tâcher de divertir sans faire les Plaisans [ ], et s abstenir de faire des railleries satiriques» 688. Avant lui, la demoiselle de Gournay citait Saint Bernard : «Le 684 Historiettes, t. 1, p Dans l historiette de Louis XIII, Tallemant écrit : «Le feu Roy ne manquait pas d esprit; mais, comme j ay remarqué ailleurs, son esprit tournoit du costé de la médisance» (Historiettes, t. 1, p. 334). Dans celle de Ménage, il note : A Angers, quoyque tout Angevin pour l ordinaire soit goguenard et mesdisant, il estoit fort descrié pour la mesdisance» (Historiettes, t. 2, p. 319). 686 A. Furetière, Dictionnaire universel contenant tous les mots françois A la Haye et à Rotterdam, chez Arnout et Reinier Leers, Contrairement à la satire qui est une forme de polémique qui cible l humanité, avec comme objectif de corriger les mœurs (voir l article de Gérard Ferreyrolle, «le XVII è siècle et le statut de la polémique», classiques, 1/2006 (No. 59), p. 5-27). 688 Paul Colomiès, La rhétorique de l honnête homme, à Amsterdam, chez Georges Gallet, 1699, p

195 médisant et son auditeur volontaire portent tous deux le Diable, l un sur sa langue, l autre en l oreille; & cette meurtrissure de la langue transperce trois personnes en un coup : l offensé, le parleur & l escoutant» 689. Les théoriciens de la conversation au XVII ème siècle comme Mlle de Scudéry ou le Chevalier de Méré estiment que l «esprit» et la «bonne humeur» dictent le comportement en groupe et garantissent une atmosphère enjouée, propice à l improvisation qui fait jaillir des mots d esprit inattendus et des portraits taillées sur le vif. Il est bon de savoir plaisanter, mais on ne peut se moquer de particuliers, et même si la fine raillerie est acceptée, elle ne doit pas être satirique. À ce propos, Théanor et Clarinte, deux personnages de Mlle de Scudéry mettent en garde contre des dérapages dans les conversations qui iraient à l encontre de la politesse : Il faut bien choisir les paroles dont on se sert, puisque bien souvent, un mot un peu trop fort, fait d une raillerie douce une raillerie aigre, et blesse l exacte politesse. Il faut meme quelque fois, ajouta Clarinte, quelque chose de moins qu un mot pour faire ce changement, car le sens de la voix seulement change la voix d un discours; un fou ris malicieux fait une satire d une simple raillerie 690. Pour La Bruyère, la médisance est «une pente secrète de l âme à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles» 691. Si on interroge [le médisant] sur quelque autre, [ ] il fait d abord sa généalogie : son père, dit-il, s appelait 689 La demoiselle de Gournay, «De la mesdisance, et qu elle est principale cause des Duels» dans Les advis ou les présens de la demoiselle de Gournay, Paris, T. Du Bray, 1641, p Madeleine de Scudéry, Conversations nouvelles sur divers sujets, La Haye, Abraham Arondeus, 1685, t. 1, p. 71. À ce sujet, A. Lilti note que la raillerie qui, au XVII ème siècle désigne la plaisanterie ou le mot d esprit agréable, peut aussi rejoindre le sarcasme ou la moquerie lorsqu elle dérape en plaisanterie dirigée contre quelqu un. Elle comporte alors une dimension agressive et se confond avec la satire qui perturbe l harmonie du groupe. Le problème qui se pose alors est de bien distinguer la raillerie subtile et inoffensive qui lie le groupe au sarcasme déplacé qui produit l effet contraire (Antoine Lilti, Le monde des salons, sociabilité et mondanité à Paris au XVIIe siècle, Fayard, 2005, p. 279). 691 Œuvres de La Bruyère, nouvelle édition par M. G. Servois, tome premier, Paris, Hachette et Cie, 1865, p

196 Sosie» 692. Saint François de Sales condamnait sévèrement le médisant qui, «par un seul coup de sa langue, fait ordinairement trois meurtres, car il tue son âme et celle de celuy qui l écoute d un homicide spirituel, & ôte la vie civile c est à scavoir la bonne renommée à celuy duquel il médit» 693. Mais la cloison entre «raillerie douce» et «raillerie aigre» n est pas étanche et il est facile de passer d un registre à l autre, puisque même le son de la voix peut changer le sens du discours. Ainsi, malgré l opprobre dont elle est l objet, la médisance semble être le corollaire incontournable de la conversation et elle est omniprésente dans la plupart des œuvres de mémorialistes ou des romans à clef 694. Nous n avons pas de trace de la réception des Historiettes au XVII ème siècle, mais nous avons déjà mentionné que l œuvre fut l objet de nombreuses critiques lors des premières publications. Même Sainte-Beuve, particulièrement clément, qualifia Tallemant de «bourgeois médisant» 695. C est à travers ce critère de la médisance que nous analysons la poétique des Historiettes. Notre hypothèse présente les Historiettes comme une œuvre de transgression. Une transgression sur le plan de l écriture de l Histoire, mais aussi une transgression par rapport à la représentation des principales figures du classicisme : celle de l «Honnête homme» qui adhère aux règles de la 692 Ibid., p. 88. La Bruyère note que chez les grecs, «Sosie» est un nom de valet ou d esclave. Rappelons ici que Tallemant commence souvent une historiette en dénigrant a généalogie du personnage : «Philippe Des Portes estoit de Chartres et d assez basse naissance» (Historiettes, t. 1, p. 37), ou encore : «Le baron du Tour n estoit pas de si bonne maison qu il le vouloit faire accroire» (Historiettes, t. 1, p. 152). 693 Saint François de Sales, Sentimens et maximes, Paris, Sébastien Hure, 1662, p L Histoire amoureuse des Gaules par le comte de Bussy-Rabutin en est un exemple. Les romans à clef, dans les milieux mondains surtout, sont particulièrement associés au registre de la médisance, et deviennent un jeu de société. Les Caractères de La Bruyère édités en 1689 contenaient des portraits présentés sous des noms grecs, et les lecteurs se sont amusés à y reconnaitre le personnage derrière le pseudonyme. La Bruyère s était défendu d avoir songé à des modèles vivants. Lorsqu il fut reçu à l Académie, Charpentier l accusa d être «descendu dans le particulier» et d avoir fait «des portraits qui ressemblent à de certaines personnes». (Voir le Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l Académie Françoise, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1714, p. 437). 695 Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Paris, Garnier Frères, 1856, t. 13, p

197 bienséance, des codes de civilité et de la galanterie. Les codes de l écriture du roman à la manière de Clélie ou du Grand Cyrus, ou encore celles de l écriture du portrait sont en effet inversées voire parodiées dans l œuvre de Tallemant. L homme des Historiettes est perçu sous l angle de ses faiblesses, c est un anti-héros, un reflet opposé au modèle des romans ou des portraits, tant sur le plan de son langage que celui de son physique ou de son comportement. La norme de l époque renvoie à l honnête homme, au langage châtié de la cour. Or, l homme de Tallemant a parfois un langage de charretier, il est débauché, hypocrite, et médisant (comme Tallemant lui-même). Les personnages historiques ne correspondent plus à leur image idéalisée, tant physique que morale ou religieuse. Le discours qui dénonce la duplicité de l être humain en s en moquant n est pas sans rappeler le discours des moralistes. Ils ont en commun une forme brève et tous deux s attachent à peindre les mœurs de la société dans laquelle ils évoluent. La structure éclatée et fragmentée, en «pièces décousues», cache, dans les Historiettes comme dans les écrits moralistes, une même topique «enveloppée en une infinité de variations» 696. La grande différence repose sur le fait que le moraliste adopte un discours d exemplarité. Or Tallemant ne cherche pas nécessairement à corriger, il choisit plutôt la position de l observateur amusé. Lorsque La Bruyère écrit : «la moquerie est souvent indigence d esprit», il sermonne les moqueurs en les associant aux sots, pour essayer de les corriger. Mais lorsque Tallemant écrit que Louis XIII «avoit toujours craint le diable, car il n aimoit point 696 Louis Van Delft présente un parallèle entre la structure éclatée du tableau de Pieter Bruegel l ancien, les «Proverbes néerlandais» et celle, apparente, du nombre de recueils de moralistes. «Rien de plus désordonné que la présentation de la comédie humaine par Bruegel», écrit-il, «rien de plus disparate, capricieux, désarticulé éclaté que la structure de cette représentation du monde». Or, sous la fragmentation, on retrouve toujours une même structure, tout comme la topique commune qui caractérise les recueils des moralistes. Cette immense production, estime-t-il, «se ramène à moins d une douzaine de thèmes développés en une infinité de variations». On peut avancer l idée qu il en va de même pour les Historiettes, puisqu il s agit aussi de tout ce qui «touche l humain» : l orgueil, la passion, l égoïsme, la cruauté, la jalousie, etc. La matière des moralistes, «l humain voyage», est aussi celle de Tallemant (voir Louis Van Delft, Les spectateurs de la vie, généalogie du regard moraliste, Paris, Hermann éditeurs, 2013, p. 76,77). 189

198 Dieu, mais il avoit grand peur de l enfer» 697, il s agit surtout de dénigrer la personne d un roi connu pour sa piété en dénonçant son hypocrisie. Il faut aussi souligner que, contrairement aux moralistes, Tallemant reste souvent détaché de ses personnages, comme un observateur indifférent. Dans la plupart des historiettes, les jeux de mot, les traits d esprit, le comique de situation transmettent au lecteur une jouissance presque rabelaisienne 698. Cependant, l œuvre n est pas homogène, et certaines historiettes appartiennent plutôt à un registre satirique ou polémique, et ne sont pas sans évoquer le ton des mazarinades 699. Les historiettes sur Louis XIII et sur le cardinal de Richelieu en sont les exemples les plus frappants. D autres l attestent aussi, à un degré moindre, plus particulièrement celles concernant des personnages qui gouvernent, et dont les actions ont pu affecter la marche de l histoire ou la vie de ceux qu ils gouvernaient. L historien Louis Batiffol qui s indignait que «Tallemant accueille sans critique les propos de Mme de Rambouillet qui ne cachait pas son antipathie pour le roi» 700 n avait sans doute pas tout à fait raison. Tallemant n a pas simplement «transcrit» les opinions de Madame 697 Historiettes, t. 1, p Dans L œuvre de François Rabelais, Bakhtine jugeait que Rabelais est «le plus démocratique des chefs de file des littératures nouvelles», indissociablement lié aux sources populaires. Pour le comprendre, il faut faire «une incursion profonde dans les régions de l œuvre comique populaire», dans le monde infini des formes et manifestations du rire. Bakhtine parle de la «non-conformité» de Rabelais qui avait tourné le dos aux canons de l art littéraire en vigueur. Tallemant a renversé les codes de l écriture de l histoire, de l écriture du portrait ainsi que de l écriture du roman. Il a placé tous ses personnages sur le même pied, les a décrits sans nécessairement tenir compte de leur rang ou de leur importance sociale. Tout comme chez Rabelais, le rire atteint toute chose et toutes gens (voir Mikhaïl Bakhtine, L œuvre de François Rabelais, Paris, Éditions Gallimard, p ). 699 Dans les autres manuscrits de Tallemant, la présence d écrits polémiques est fréquente, on en trouve un grand nombre contre le cardinal de Richelieu (voir dans l annexe II des exemples d épigrammes sur «la mort de Richelieu» ou encore celle de Louis XIII. Les feuillets se trouvent dans le manuscrit 19145). 700 Voir l introduction des Historiettes par Antoine Adam, v. 1, p. xvii. Louis Batiffol note en effet que «Tallemant insinue contre Louis XIII des accusations précises. Elles ne sont confirmées par aucun contemporain. Il les tient de sa cousine de Rambouillet qui, dit-il lui-même, ne pouvait souffrir le roi.» (Voir Louis Batiffol, Le roi Louis XIII à vingt ans, Paris, Calmann-Levy, 1910, p. 481). Notons en passant que L. Batiffol a pris la marquise de Rambouillet pour la cousine de Tallemant. Rappelons que Tallemant avait épousé une Rambouillet et qu il était parent avec une branche de cette famille qui n a rien avoir avec celle de la marquise de Rambouillet, l hôtesse de la chambre bleue, et qui devint plus tard la confidente de Tallemant. 190

199 de Rambouillet sur Louis XIII; s il avait de la sympathie pour le roi, il aurait certainement évité de rapporter les critiques de la marquise, mais c est justement parce qu il partageait cette aversion qu il choisit de rapporter ses médisances dans un registre satirique. Dans ce contexte, la posture de Tallemant est plutôt celle d un polémiste qui dénigre et cherche à rabaisser la figure du roi aux yeux du lecteur. L écriture de la médisance présente un statut à la fois fictionnel et factuel. L analyse de l anecdote comme récit fictionnel s articule autour de la spécifité de l énonciation de la médisance, de son format de production (qui l articule, qui la reçoit), de ses genres discursifs et de ses rituels langagiers (registres), des rôles énonciatifs, ainsi que des procédures rhétoriques à l œuvre. La fonction esthétique de la médisance est analysée à partir du noyau discursif qui les constitue, à savoir l anecdote, et des procédés qui la caractérisent dans les Historiettes: la raillerie, l obscénité, le comique, la farce, le burlesque et l ironie. Les outils à l étude sont bien ceux de la fiction, toutefois, rappelons que malgré le soupçon d inauthenticité que véhicule l anecdote, il n en reste pas moins qu il s agit d un discours porteur d une «certaine» vérité. Ce qui diffère, ce sont les choix que l auteur a fait d inclure un type de personnages au détriment d autres types, et sa manière de les représenter 701. L œuvre de Tallemant a l avantage de nous offrir une «autre» vision de l histoire, moins grandiloquente mais plus humaine, dans tous les cas différente de celles des historiens officiels. Même si l auteur ne prétend pas chercher à corriger les erreurs de l histoire, il semble prendre plaisir à souligner le côté grotesque et bouffon de la société du Grand-Siècle, et à en démasquer les vices. Ce faisant, Tallemant semble 701 Karine Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit., p. 9. K. Abiven explique que la sélection de certains faits au détriment d autres implique un point de vue de la part de l auteur qui fait sa sélection dans le but d influencer son lecteur (p. 10). 191

200 rétablir un équilibre par rapport à l écriture parfois exagérément élogieuse de l histoire canonique. V. Le renversement des codes de civilité Lorsque Tallemant commença à rédiger ses Historiettes, les histoires qui intéressaient le public sont surtout celles qui relatent des aventures héroïques de personnages qui semblent proches ou des événements arrivés à ceux qui font partie du même réseau de sociabilité 702. Nous avons parlé des romans à clef qui mettaient en scène des personnages connus, sous des noms différents qu on s amusait à découvrir 703. Un fait d actualité devenait d autant plus alléchant qu on y mélangeait des détails fictionnels, c est-à-dire inspirés d une écriture de la fiction. Le lien étroit entre la fiction littéraire et l actualité historique renforçait la notion de vraisemblance, notion cruciale pour l époque 704. Ce type de récits à la fois fictionnel et référentiel 702 A ce sujet, Du Plaisir expliquait qu un lecteur ne pouvait facilement se projeter dans des aventures qui semblent sortir du réel, préférant celles qui auraient pu lui arriver : «Nous ne nous appliquons point ces prodiges, & ces grands excès; la pensée que l on est à couvert de semblables malheurs, fait qu on est médiocrement touché de leur lecture. Au contraire, ces peintures naturelles & familières conviennent à tout le monde; on s y retrouve, on se les applique, & parce que tout ce qui nous est propre nous est précieux, on ne peut douter que les incidents ne nous attachent d autant plus qu ils ont quelque rapport avec nous» (Sentiments sur les lettres et sur l histoire avec des scrupules sur le stile, Paris, C. Blageart et G. Quinet, 1683, p. 107). 703 Artamène ou le Grand Cyrus par exemple, dans lequel Condé est le personnage qui a donné ses traits au héros «Cyrus», «Cléomire» est la Marquise de Rambouillet, «Sapho», c est Madeleine de Scudéry, Pellisson est «Herminius». Les habitués du Samedi avaient d ailleurs adopté le surnom que l auteur de La Clélie leur avait donné : Godeau devint «le mage de Sidon». Du Plessis «Amilcar», Sarasin «Polyandre», etc. 704 Rappelons qu au XVII ème siècle, la notion du vraisemblable s identifie à la notion de bienséance (Le père Rapin soulignait que «la vérité ne fait les choses que comme elles sont et la vraisemblance les fait comme ils doivent être». En fait, la vraisemblance est «tout ce qui est conforme à l opinion du public» (voir Père René Rapin, «Réflexions sur la poétique», Œuvres, Pierre Mortier, Amsterdam, 1709, t. 2, p. 115, 116). Ainsi, le mélange de la littérature fictionnelle et référentielle permettait à un auteur de prendre des personnages connus et de les faire évoluer dans un cadre fictionnel dans lequel ils devenaient des héros selon les critères de la bienséance. Mais le XVII ème connut aussi un engouement pour la nouvelle historique qui met en scène les aventures de personnages connus, non plus épiques, mais plutôt banals. Pour intéresser le lecteur, l événement doit être récent. Les badinages ou les railleries entendues au salon pouvaient cibler les vices d un contemporain dont le nom reste crypté. «La proximité à l histoire récente impose en effet une dialectique inédite entre fidélité historique et 192

201 foisonne alors, sous des titres plus ou moins évocateurs : «nouvelles galantes», «historiettes», «histoires secrètes», etc 705. Acteur et témoin d une société mondaine à laquelle il appartient, Tallemant n échappe pas à cet engouement, transcrit ses propres médisances sur lesquelles viennent se greffer celles des membres de cette société. La capillarité caractéristique d un milieu à la fois producteur et médium de circulation de la parole présente un terrain propice à la rumeur 706, qui se répète de bouche à oreille et s amplifie au fur et à mesure qu elle circule. Dans ce contexte, tout producteur est à un moment ou à un autre, également récepteur jusqu à la transcription finale par Tallemant, de cette conversation infinie qui prend la forme d une spirale. Si, comme le note Karine Abiven, l anecdote de par son origine conversationnelle, est «peu propice à la communication différée inhérente à l écrit» 707, la forme de micro-récits caractéristique des Historiettes, grâce à leur contenu médisant aux multiples digressions, et à leur style souvent familier, réussissent à propulser le lecteur dans la conversation, comme s il s y trouvait. événements fictionnels» souligne M. Escola (voir son «Introduction» aux Nouvelles galantes du XVII ème siècle, Paris, Flammarion, 2004, p. 8). 705 Karine Abiven, «Comme une anecdote de la veille : mise en scène énonciative de l'actualité dans les genres anecdotiques ( )», Littératures classiques 2012/2 (N 78), p Isaac Bazié établit un lien intéressant entre anecdote, rumeur et commérage : dans les deux premiers cas, Il existe en effet une ressemblance structurelle puisqu il s agit de l insertion d une histoire brève dans un récit qui l intègre. Toutefois, alors que l anecdote, micro-récit autonome, se retrouve encadrée dans un récit qui l englobe et la limite, la rumeur au contraire renvoie à «quelque chose d instable et d ouvert». Quant au commérage, c est lorsque la rumeur colporte une médisance : il ressort que le commérage a toujours pour objet un être humain, et que l information diffusée n est guère certaine (Isaac Bazié, «Texte littéraire et rumeur : fonctions scripturaires d une forme d énonciation collective», Protée, Volume 32, numéro 3, hiver 2004, p ). 707 Voir Karine Abiven qui déclare : «Rien de plus triste qu un recueil d anecdotes, les histoires orales à l écrit, écueils et expérimentations au XVII ème siècle» (dans L anecdote entre genre et histoire, sous la direction de Geneviève Haroche-Bouzinac, Camille Esmein-Sarrazin, Gaël Rideau, Gabrielle Vickermann-Ribémont, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 137). 193

202 1. Le renversement des codes de civilité dans la chambre bleue Un de ces espaces bien connu est celui de la chambre bleue de la Marquise de Rambouillet. Nous avons déjà évoqué le rôle de son salon 708 dans la vie mondaine et littéraire de l époque. La marquise, exemple parfaite de l honnête femme, avait contribué à l essor du mythe du salon en réunissant autour d elle, dans un espace privé, un groupe composé d hommes de lettres et d aristocrates. Balzac appelait l hôtel de Rambouillet le «Temple des Muses, de l Honneur, & de la Vertu» 709. La marquise de Rambouillet avait conçu elle-même un espace propice à la conversation 710, à l écart de la cour et de la vie publique 711. Dans l historiette intitulée Croisille et ses sœurs, Tallemant mentionne qu elle avait lu L examen des Esprits de Jean Huarte 712, lequel avait inspiré Stefano Guazzo, auteur de la conversazione 708 Nous avons déjà souligné que le terme de salon est anachronique, puisqu il n est apparu qu au XIX ème siècle (voir A. Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVVIII ème siècle, Paris, Fayard, 2005). 709 Les Œuvres de Monsieur de Balzac, Paris, Louis Billaine, 1665, p. 877, Lettre X (à Conrart). 710 Le Chevalier de Méré écrivait en 1676 : «J appelle Conversation tous les entretiens qu ont toutes sortes de gens, qui se communiquent les uns aux autres, [ ] en quelque lieu d assemblée, où l on ne pense qu à se divertir» et faisait la distinction de ce type d entretien avec celui qu on emploie pour traiter d affaires, «où d ordinaire il ne faut ny rire ny badiner» (Monsieur le Chevalier de Méré, De la conversation, Paris, Denys Thierry et Claude Barbin, p ). 711 Rappelons les commentaires de Marc Fumaroli, où il évoque les lieux de la conversation depuis l Antiquité et la manière dont furent élaborées des espaces favorisant l épanouissement d une société «de loisir, d amour et de contemplation» pour une élite de grandes âmes (Le loisir lettré à l âge classique, Essais réunis par Marc Fumaroli, Philippe-Joseph Salazar et Emmanuel Bury, Droz, 1996, p. 30). Nous avions aussi souligné que la perspective de M. Fumaroli avait été remise en question per certains. A. Lilti par exemple, estime que cette approche qui «pare les salons des prestiges littéraires de la conversation» ne serait qu une idéalisation qui ignore la part de ce qui est une représentation construite (Antoine Lilti, Le monde des salons, sociabilité et mondanité à Paris au XVIIe siècle, op. cit. p. 51). Les propos nuancés d A. Lilti vont dans le même sens de ce que ce chapitre essaie de démontrer, à savoir que le salon de Mme de Rambouillet n était pas strictement un lieu d échanges littéraires et galants. 712 Historiettes,t. 1, p. 484 (voir aussi Juan Huarte, L examen des Esprits pour les sciences, [traduit de l espagnol par François Savinien d Alquie], Amsterdam, Jean de Ravestein, Le premier chapitre est consacré à l esprit : «Où il est déclaré ce que c est qu esprit, et combien il s en trouve de differences parmi les hommes». On y trouve des chapitres consacrés aux «diligences qu il faut apporter pour avoir des garçons et non pas des filles», ou encore ceux qui procurent des informations pour que «l enfant ait un bon esprit». Dans un article intitulé «Hiérarchie des esprits et esprit fort : le discours médical», Isabelle Moreau souligne que l ouvrage de Huarte reprend l ancienne théorie humorale d Aristote et d Hippocrate pour procéder à une classification entre les esprits. Dans cette classification (qui intéressa particulièrement les libertins), la hiérarchie des esprits s établit d abord dans un monde masculin puisque toute capacité humaine est déterminée par le corps, et qu il y a un lien 194

203 civile 713. Le cercle de conversation au sens de Guazzo supposait un groupe d un nombre limité de personnes, qui avaient des tempéraments divers. L harmonie du groupe se fait à partir d une confiance dénuée de toute affectation, chacun évitant le monopole d éloquence 714 afin que la conversazione puisse être un espace harmonieux dans lequel chacun accepte les règles du jeu. Pour en faire partie, les femmes et les hommes devaient renoncer aux défauts qui leur étaient traditionnellement attribués : la coquetterie et le bavardage pour les femmes, la vanité et l arrogance pour les hommes. C est dans ce type de salon, fréquenté aussi par des femmes censées jouer un rôle dans la «civilisation des mœurs» 715, que l art de la conversation prend son essor, et c est là que peut s épanouir une diversité de genres littéraires : récits, anecdotes, portraits, traits d esprit 716. Cette conversation lettrée qui se propage alors est perçue comme une activité philosophique et même théologique, que François de Sales range parmi les détentes importantes de la vie chrétienne 717. étroit entre masculinité et esprit fort (voir Isabelle Moreau, «Hiérarchie des esprits et esprit fort : le discours médical», Les Dossiers du Grihl, , p. 1, connection le 11 Septembre 2017). L ouvrage de Huarte parut en 1575 et connut un grand succès (il fut traduit et édité à plusieurs reprises). 713 Voir La Civile conversation du Seigneur Estienne Guazzo [traduction par F. Belleforest Commingeois], Genève, Jacob Stoer, Selon Fumaroli, cette «conversation civile» est en quelque sorte un manuel pratique qui traite de la conduite de la vie dans le monde et qui va «régler la société des salons» (voir Le loisir lettré à l âge classique, op. cit., p. 43). 714 À l instar des héros de romans qu ils lisent, les amis de Madame de Rambouillet qui fréquentent son salon «ne cessent de s interroger sur ce qui fonde les lois de la civilité et le plaisir d être ensemble» (voir Histoire de la vie privée, de la Renaissance aux Lumières, sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, Paris, Éditions du Seuil, t. 3, p ). 715 Norbert Élias parle de «civilisation de salon» en se référant à la décentralisation des lieux de sociabilité et de la vie mondaine et culturelle qui commença sous le règne de Louis XV. Les salons des aristocrates et financiers sont en fait les descendants du salon royal sous Louis XIV. (Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985, p. 64). Or, déjà sous Louis XIII, la marquise de Rambouillet qui n aimait pas la vie de cour (selon Tallemant, elle «ne trouvoit rien de plaisant» aux assemblées du Louvre) avait préféré créer son salon particulier. Par ailleurs, N. Élias souligne aussi que cette société de l époque de Louis XIII était caractérisée par le rôle important qu y tenaient les femmes (La société de cour, op. cit. p. 215). 716 Voir Marc Fumaroli, La diplomatie de l esprit, Paris, Gallimard 1998, p Marc Fumaroli explique le rapport entre la conversation et les groupes. Inspirés par les lectures de Huarte, de Guazzo, ou de François de Sales, ces groupes se forment en petit nombre et réunissent des «tempéraments» très divers qui «cherchent entre eux l harmonie» et un dialogue dénué de toute affectation (Marc Fumaroli, La diplomatie de l esprit, op. cit. p. 296). 195

204 Dans cette perspective, la marquise de Rambouillet serait une sorte de Phylotée, puisque, «si elle est bien éclairée sur les périls et la perfidie du monde, elle est aussi animée par l amour du prochain» 718. C est ainsi que nous la présente Tallemant qui écrit : «Jamais il n y a eu de meilleure amie» 719. L anecdote à son sujet est édifiante. M. d Andilly qui est, selon Tallemant, «professeur en amitié», cherchait à l instruire dans ce domaine mais la marquise, coupant court à ses leçons, lui explique qu elle se dévouerait non seulement pour les amis, mais aussi pour toute honnête personne qu elle n aurait jamais connue 720. Maurice Magendie souligne que l hôtel Rambouillet a «effacé par son éclat tous les salons qui l avaient précédé» et rappelle à quel point la marquise excellait dans le rôle d hôtesse. Artiste, érudite et curieuse des choses de l esprit, aussi aimable que vertueuse, elle fut la «sage Arténice» dont parle Balzac dans ses lettres à Chapelain 721. «Un jour de l Hôtel de Rambouillet vaut mieux que plusieurs siecles d ailleurs» 722, écrivait-il à son ami, ajoutant qu il est difficile de dire si «la Mere des Gracques estoit plus Romaine qu elle du coste de l esprit et de la vertu», et ajoute que «non seulement la saine raison & le bon sens, mais aussi la pudeur & l honnesteté forment toutes [ses] paroles» 723. Peinte sous les traits de Cléomire dans le Cyrus, elle fut, selon Mlle de Scudéry, 718 Marc Fumaroli, La diplomatie de l esprit, op.cit., p Historiettes, t. 1, p Jean Lafond souligne que ce fut Guez de Balzac qui fit entrer le mot urbanité dans la langue, et que chez lui, ce thème s inspire d Aristote qui, dans l Éthique à Nicomaque, suggère que la vie de société idéale requiert trois vertus de ses membres : une certaine douceur et facilité de mœurs dans la communication, une franchise et le souci du bien de la compagnie. La personne en société se doit d être gaie et enjouée. L historiette de Mme de Rambouillet semble remplir ces critères : la marquise est toujours «d humeur à se divertir de tout», et à essayer de faire plaisir à ses invités. Surtout, elle refuse de rentrer dans les jeux de la politique et des intrigues comme lorsqu elle remballe le Père Joseph qui lui demandait d espionner deux de ses invités pour le compte de Richelieu (voir Historiettes, p. 444, t. 1). D ailleurs grâce à elle, la réputation de l hôtel était telle qu y être admis, même si on n était pas bien né, valait brevet de bon goût et de parfaite urbanité (Jean Lafond, L Homme et son image, op.cit., p. 27, 28). 720 Ibid., p Lettres familières de M. de Balzac A M. Chapelain, Augustin Courbé, lettre datée du 18 février, 1659, p Ibid., p Ibid., p

205 la femme du monde qui savait le mieux la politesse. Dans ses Conversations, la demoiselle écrivait que «l incomparable Artenice a esté un modele de vertu parfaite, mais d une vertu modeste et charmante, qui joignant la politesse à la raison, n a jamais fait une action de mauvaise grâce» 724. Voiture, qui fut «l âme du rond» 725, lui dédiait cette chanson: Arthénice, où je contemple Tant de miracles divers, Les autres ont eu des vers, Mais à vous il faut un temple 726. On note donc que les hyperboles ne manquent pas pour peindre l hôtesse de la chambre bleue, mais ces louanges, et ces portraits unanimement flatteurs qu ont laissés la plupart de ses contemporains donnent-ils nécessairement une représentation exacte du caractère de la marquise? Si le portrait qu en fait Tallemant est particulièrement bienveillant, il note cependant qu elle était «un peu trop délicate» au point où «le mot de teigneux dans une satyre ou une épigramme luy donne, disaitelle, une vilaine idée. On n oserait prononcer le mot de cû; cela va dans l excès» 727. Tallemant laisse à entendre que cet excès de politesse frise la pruderie. Il avait aussi précisé que c est d elle qu il tenait «la plus grande et la meilleure partie» de ce qu il a écrit. N est-il pas alors difficile d imaginer Madame de Rambouillet dans ce rôle de la «médisante» qui aurait fourni à Tallemant de nombreuses anecdotes parfois salaces? Cette supposition serait difficilement compatible avec le caractère 724 Mlle de Scudéry, Nouvelles conversations, Paris, Claude Barbin, 1684, tome premier, p L expression est rapportée par Benedetta Craveri dans L âge de la conversation, traduit par Éliane Deschamps-Pria, Gallimard, 2002, p. 80. B. Craveri souligne que ce fut «le plus emblématique des noms donnés à Voiture pour indiquer son rôle d animateur». 726 Œuvres de Voiture, lettres et poésies, nouvelle édition revue en partie sur le manuscrit de Conrart, avec le commentaire de Tallemant des Réaux, éclaircissements et notes par M. A. Ubicini, Tome second, Paris, Charpentier, 1855, p Historiettes, t. 1, p

206 qu on lui attribue 728. Toutefois, plusieurs hypothèses pourraient justifier ce paradoxe : Tallemant a peut-être déformé à sa manière les histoires qu elle lui a racontées, pour les rendre plus piquantes. Il est aussi possible que les portraits qu on a faits d elle fussent embellis, leurs auteurs étant des habitués de l hôtel qui recherchaient surtout à flatter leur hôtesse. Son salon était le lieu de prédilection pour les hommes de lettres qui cherchaient à se tisser un réseau de relations pour se faire connaitre et faire connaitre leurs écrits. On pouvait y côtoyer des membres de la haute noblesse ou des écrivains déjà connus. S y faire admettre pouvait certainement accélérer la reconnaissance d un auteur, il est ainsi possible d imaginer que la marquise fût l objet d adulation. Arrivée à l époque des confidences, la marquise de Rambouillet n est peut-être plus celle de l époque de la Chambre bleue; vieillissante et délaissée, elle a pu développer un certain cynisme envers les anciens habitués de son salon. Tallemant soulignait justement que Chapelain, «un des plus grands caballeurs du royaume», négligeait ceux qui ne «caballaient» point, et de ce fait, ni lui ni Conrart ne se rendaient chez Madame de Rambouillet si M. de Montausier, le futur gendre de la marquise, ne s y trouvait. Il ajoute que la marquise «les prend bien pour ce qu ils sont» 729, ce qui signifie qu elle n était point dupe de leur opportunisme. Même avec Voiture, qui fut l âme du salon, elle pouvait se montrer distante ou irritée 730. Et enfin, 728 Dans les écrits des contemporains, la marquise de Rambouillet est presque toujours représentée comme un parangon de vertu et de sagesse : d après Mlle de Scudéry «l incomparable Artenice a esté un modele de vertu parfaite, mais d une vertu modeste et charmante...» (Voir Conversations nouvelles sur divers sujet, Tome premier, La Haye, Guillaume de Voys, 1710, p. 65). De plus, dans l esprit de loisir cher à ce type de société, les petites histoires alimentent les conversations. À ce propos, K. Abiven souligne que la production de ce type de micro-récits «qui bruissent des rumeurs de la cour et de la ville, participent à l esprit de divertissement [ ] et incarnent une Histoire vue par le petit bout de la lorgnette». Selon K. Abiven, l engouement pour ce type de récit serait dû aux liens qui se créent dans une micro-société qui fréquente le même salon, et dans laquelle n importe quel scandale qui éclabousse l un des membres devient sujet de divertissement dans le groupe (voir L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit., p. 15). 729 Historiettes, T. 1, p Tallemant raconte que lorsque Voiture n était pas en humeur de causer, elle faisait comme s il n était pas là (p. 489). A la suite d une altercation avec Chavaroche, un rival, il se mit à dos une partie du groupe (Julie, la file de Mme de Rambouillet, et son époux, M. de Montausier, ainsi que Chapelain, 198

207 plusieurs sources évoquent l antipathie qu éprouvait Madame de Rambouillet envers Louis XIII et Richelieu, il n est donc pas surprenant que les historiettes concernant ces deux personnages soient particulièrement cruelles. Toutes ces hypothèses peuvent expliquer et justifier son côté médisant lorsqu elle relatait certains faits à Tallemant. Mais nous verrons aussi que la médisance, qui est une dégradation de la conversation, frappe la plupart des habitués de son salon. Une séparation s opère entre d une part la politesse et l usage de l éloge comme pratique codée d une belle galanterie enjouée, et, d autre part, la pratique du blâme et de la raillerie, laquelle est en principe condamnée par le «groupe». Dans une société où la conversation tient un rôle si important, il fallait paradoxalement, museler sa parole pour rester conforme à un modèle précis. Toutefois, la médisance permet aux honnêtes gens de souder de manière renouvelée leur complicité par l exclusion satirique des fâcheux qui en transgressent explicitement la norme. Ainsi, même si Chapelain est un homme de lettres reconnu, le groupe qui le fréquente se moque de son allure démodée, et de son avarice. Les traits d esprits et les bons mots qui sont recherchés dans cette société sont plus facilement véhiculés par la médisance. Or, médire c est «parler mal de quelqu un, découvrir les défauts, soient qu ils soient vrais soit qu ils soient controuvez» 731. Les débats à ce sujet sont intenses depuis le début du siècle, et Saint François de Sales y avait consacré un chapitre dans l Introduction à la vie dévote. Cet ouvrage sorti en 1608 est lu par la plupart des dames de l époque. Pour Saint Conrart et Costar) et Mme de Rambouillet en «eut un estrange chagrin». Voiture cessa de fréquenter l hostel après cette altercation, que Godeau illustre en écrivant une «méchante pièce», mettant en scène la querelle du «pourceau» et du «brochet» (le pourceau est Chavaroche, Voiture est le brochet). Voir Historiettes t. 1, p A. Furetière, Dictionnaire universel, op.cit. Furetière associe curieusement le Panégyrique qui est «le discours d un orateur à la louange d une personne [ ] on dit menteur comme un panégyrique L imagination y a plus de part que la raison Le panégyrique se dit quelquefois en contresens des médisances». La plupart du temps, les historiettes se situent dans ce contresens. Notons aussi à ce sujet que le rire «a un effet de regroupement» alors que l adversaire est tenu à distance (voir Marc Angenot, La parole pamphlétaire, Paris, Éditions Payot, 1982, p. 36). 199

208 François, la médisance est la plus cruelle de toutes lorsqu elle est «dite par forme de gausserie». Celui qui médit et celui qui l écoute sont placés au même rang et portent le diable en eux 732. Or, c est dans le salon le plus loué de l époque que Tallemant représente le glissement de la conversation vers la médisance. Tout en déplorant qu «il n y a plus guères de civilité» 733, Tallemant ne peut s empêcher de critiquer Madame de Rambouillet qui est «un peu trop complimenteuse pour certaines gens qui n en valent pas la peine» 734. De plus, nous verrons que les règles de civilité n étaient pas respectées dans son salon, «la cour de la cour» selon l expression du P. Le Moyne 735. Le lieu où se concentrait l élite de la vie mondaine et littéraire était aussi un espace de médisance. 2. L âme du rond, Vincent Voiture 736 Nous avons déjà mentionné le nom de Vincent Voiture, indissociable de celui du salon de la marquise de Rambouillet, qu il a fréquenté pendant toute sa vie. Dans l historiette qu il lui a consacrée, Tallemant écrit : «Comme il avait beaucoup d esprit [ ], il fut bientost toute la joye de la société» 737. Né roturier, «filz d un marchand de vin» 738, c est grâce à ses qualités qu il est introduit au sein de la société de l Hôtel de 732 Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, Lyon, les Frères Bruyset, 1713, p Historiettes, t. 1, p Ibid. 735 Alain Génétiot rappelle que les belles-lettres étaient devenus un moyen de développer la conversation et la civilisation des mœurs. C est la raison pour laquelle les salons tel que celui de Mme de Rambouillet devinrent les lieux où se côtoyaient les auteurs et leur public Alain Génétiot, Le classicisme, Paris, Presses Universitaires de France, p Pour une biographie de V. Voiture, voir Émile Magne, Voiture et l Hôtel de Rambouillet. Une autre source de renseignements sur le poète et son œuvre est l ouvrage de Sophie Rollin, Le style de Vincent Voiture, une esthétique galante, Publications de l Université de Saint-Étienne, Historiettes, t. 1, p Ibid., p

209 Rambouillet 739. Il fréquenta ce salon pendant toute sa vie, et après sa mort, le salon s éteint progressivement. «Il avait soin de divertir la société de l hostel de Rambouillet» 740, et pour lui, la pratique de la littérature fait partie d une activité mondaine. Il ne cherchait pas à se faire publier. Il affiche plutôt cette désinvolture prisée dans le cercle de ce salon où on cherchait à se divertir, et à éviter de se faire passer pour un homme de lettres qui a besoin de vivre de sa plume. Dans le portrait qu en fait Tallemant, Voiture a construit une image de poète amateur 741, le prototype du bel esprit auquel réfère fréquemment le Père Bouhours dans La Manière de bien penser dans les Ouvrages d Esprit 742. Il a acquis la reconnaissance unanime des critiques les plus reconnus, comme Boileau, Perrault, ou Saint-Évremond 743. Cependant, Tallemant rappelle qu en dépit de sa popularité, et de l estime dans laquelle le tient Madame de Rambouillet, un fossé le sépare des aristocrates habitués de l hôtel, comme le duc d Anguien, qui déclarait à ce propos : «si Voiture estoit de notre condition, il n y auroit pas moyen de le souffrir» 744. Un peu plus loin, les mots de Madame de Rambouillet sont presque identiques à ceux du duc. À M. de Blairancourt qui trouvait que Voiture avait de l esprit, elle répondit : «Mais, Monsieur, pensiez-vous que c était pour sa noblesse ou pour sa belle taille, qu on le 739 Tallemant explique que ce fut M. de Chaudebonne, ami de Mme de Rambouillet, qui lui dit : «Monsieur, vous estes un trop galant homme pour demeurer dans la bourgeoisie; il faut que je vous en tire» (p. 485). Remarque à double tranchant qui souligne l écart entre bourgeoisie et aristocratie (un bourgeois ne saurait-il pas être un galant homme?). 740 Tallemant note que Voiture «affectait de composer sur-le-champ» alors que souvent, il avait déjà travaillé ses textes chez lui (ibid., p. 489). 741 Voir La Manière de bien penser dans les ouvrages d esprit, Dialogues, chez Michel Brunet au Mercure Galant, Dans le premier dialogue entre Eudoxe et Philanthe, Eudoxe écrit : «Mais quand Voiture auroit parlé de son chef, je ne le chicanerois pas : c est un Ecrivain enjoûé, qui dans une petite débauche d esprit dit des folies de gayeté de cœur pour se réjoûïr et pour réjoûïr les autres» (p. 43) et plus loin : «il n appartient qu à Voiture de penser plaisamment & correctement tout ensemble : voicy un endroit qui le prouve bien» (p. 44). 743 Voir Sophie Rollin, Le style de Vincent Voiture, une esthétique galante,.p Historiettes, T. 1, p

210 recevoit partout comme vous avez veû?» 745. L ironie de la marquise «dont les vertus estoient si fort au dessus de celles du siècle» 746, suggère clairement qu elle ne le considérait pas des leurs. Sa réaction semble contredire les propos que Tallemant avait précédemment rapportés, lorsqu il disait d elle que «jamais il n y a eu une meilleure amie» 747. Toutefois, si les manières un peu trop familières de Voiture étaient tolérées, c est précisément parce que son comportement ne correpondait pas à celui des aristocrates qui fréquentaient le salon. Serait-il en quelque sorte un «fou du roi», qui pouvait se permettre de faire le bouffon? Tallemant raconte qu il prenait des libertés chez Mme de Rambouillet : «Il estoit quelquefois si familier qu on l a veû quitter ses galoches en présence de Madame la Princesse pour se chauffer les piez» 748. La théâtralité de l anecdote, qui montre la scène où Voiture enlève ses «galoches» 749 devant Madame la Princesse 750, est un double renversement des codes de la galanterie : la galanterie d un homme envers une femme, et la galanterie d un homme du peuple envers une personne de sang royal. Au lieu d ôter son chapeau, ce sont les galoches crottés que Voiture enlève. Cette familiarité presque grossière ne correspond pas au comportement de l honnête homme mais l auteur des historiettes affirme par la suite que c est ce renversement des codes de la politesse qui acquiert à son auteur le respect de cette aristocratie si jalouse de ses privilèges : «mais ma foy, c est le vray moyen de se faire estimer des grands seigneurs que de les traitter 745 Historiettes, T. 1, p Voir les Lettres de Jean Chapelain, Tamizey de Larroque, Tome II, Paris, Imprimerie Nationale, 1883, p Historiettes, t. 1, p Ibid., p Dans le Dictionnaire de Furetière, galoche est une «chaussure ou couverture du soulier pour le tenir plus propre ou pour avoir le pied plus sec». 750 Il doit s agir de Mademoiselle de Montmorency dont l historiette se trouve p. 67 du t. 1 des Historiettes. 202

211 ainsy 751. Tallemant avait émis une semblable remarque en parlant du Maréchal d Ancre : «il meprisoit fort les princes; en cela il n avoit pas grand tort» 752. Parfois même, Voiture semble carrément manquer de délicatesse comme lorsqu il reprenait le cardinal de la Vallette «devant des tesmoins» en dépit des «obligations» qu il lui devait 753. D autres anecdotes que Tallemant rapporte illustrent cette posture si particulière de Voiture: celle où il raille de M. de Schomberg qui «avoit une conversation assez pesante» 754, toutefois, «l autre (M. de Schomberg) ne faisoit qu en rire» 755. De même, c est encore parmi d autres invités de l hôtel que Voiture interrompt le mareschal d Albret : «Je me donne au diable, Monsieur, si j ay entendu un mot à tout ce que vous venez de dire» 756. Le maréchal «ne s en fascha point», précise Tallemant qui n explique ni le sens du rire de M. Schomberg, ni celui du silence de M. D Albret. S agit-il de connivence, d indifférence ou de mépris? Voiture envoie même des vers à la reine où «on voit qu il ne l épargnoit elle-même, car il luy dit tout franc qu elle avoit esté amoureuse de Bouquinquant» 757. Tallemant avoue ne pas le trouver «trop civil», et il ajoute que Voiture avait l air de se moquer des gens en leur parlant 758. Il finit par agacer le groupe; il quitte le salon après une querelle avec un des habitués de l Hôtel, 751 Historiettes, t. 1, p On se trouve ici dans un registre opposé à celui du Bourgeois Gentilhomme où l on voit Monsieur Jourdain faire des courbettes à Dorante, un aristocrate qui se joue de lui (voir en particulier la scène IV de l Acte 3). 752 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Ibid., t. 1, p Ibid. 756 Ibid. 757 Ces vers, explique A. Adam, furent publiés pour la première fois par Monmerqué en 1833, dans La France littéraire. On les retrouve dans l édition de 1855 de Ubicini (voir Historiettes, note 2, p. 491). On les retrouve aussi dans les Mémoires de Mme de Motteville (d après le manuscrit de Conrart, Paris, 1891, p. 182). Mme de Motteville raconte que la Reine qui se promenait dans les allées du jardin de Ruel, remarqua Voiture qui «rêvoit en se promenant», et lui demanda à quoi il pensait, et Voiture «sans beaucoup songer, fit des vers burlesques [ ] qui estoient plaisans et hardis». Mme de Motteville précise que la reine «ne s offensa point de cette raillerie». Voir Historiettes p Ibid., p

212 Chavaroche. Cela mit le marquis et la marquise de Rambouillet contre lui, ainsi que d autres membres du groupe comme Chapelain et Conrart 759. L historiette sur Voiture montre une certaine ambiguité de la part de Tallemant. Il médit du personnage, mais semble en même temps porter une certaine admiration pour sa manière d évoluer en deçà des codes sociaux. Même s il reconnait que Voiture est «un fort bel esprit» et qu il est «le père de l ingénieuse badinerie», Tallemant s empresse de préciser que «son sérieux ne vaut pas grand-chose, et ses lettres [ ] pour l ordinaire mal escrittes» 760. Benedetta Craveri pense pour sa part que Tallemant de Réaux avait peu de sympathie pour Voiture 761. Cela n est pas tout à fait vrai, Tallemant semble éprouver une réelle sympathie pour le personnage dont il reconnait l esprit et le courage 762. S il ne portait pas une certaine amitié à Voiture, aurait-il pris la peine d écrire le commentaire de la cinquième édition des Œuvres de Voiture? 763. Or Tallemant est un témoin qui veut tout «montrer» et même s il admire Voiture, il le met aussi dans des situations où il n a pas nécessairement le beau rôle Sarrazin ne semblait pas apprécier Voiture non plus. Sa «Pompe funèbre de Voiture» (dont une copie se trouve dans le manuscrit 19145, f.60-66) est une pièce satirique envers le poète. Tallemant souligne que Sarrazin «ne le traitte pas bien» même s il admet que ce soit «la meilleure chose» qu il ait écrite» (Historiettes, t. 2, p. 356). 760 Historiettes, t. 1, p L âge de la conversation, Benedetta Craveri, [traduit de l italien par Éliane Deschamps-Pria], Gallimard, 2001, p «Il y a tel brave qui ne s est pas battu tant de fois que luy» (Historiettes, t. 1, p. 495). 763 voir Œuvres de Voiture, lettres et poésies, Nouvelle édition revue en partie sur le manuscrit de Conrart, avec le commentaire de Tallemant des Réaux, par M. A. Ubicini, Tome premier, Paris, Charpentier, 1855). 764 Ainsi cette anecdote dans laquelle le marquis de Pisani et Voiture s amusent «à deviner à la mine la profession des gens» 764. En voyant passer un homme habillé «de taffetas noir avec des bas verts», Voiture gage qu il s agit d un conseiller à la cour des aydes. Il aborde le monsieur en question pour lui demander sa profession, en lui disant qu il s agit d une gageure. Il s avère que le personnage avait plus d esprit que Voiture, puisqu il lui répond : «Gagez que vous êtes un sot, et vous ne perdrez jamais» (Historiettes, t. 1, p Notons en passant que Tallemant semble douter de la véracité de cette anecdote («on m a dit, mais je ne voudrais pas l asseurer»). Est-ce parce que Voiture s y trouve dans le rôle de l arroseur arrosé? 204

213 Pour finir avec la Chambre bleue, soulignons que Voiture n est pas le seul personnage dont la marquise médit. Elle avait souvent une posture assez moqueuse envers certains de ses invités ou même envers des personnages de l époque comme la Vicomtesse d Auchy 765, laquelle avait aussi son salon. Malherbe avait composé des vers pour cette dame, dans lesquels il louait ses yeux : «Amour est dans ses yeux, il y trempe ses dards» 766. Madame de Rambouillet retourne la métaphore flatteuse en moquerie, et raille les yeux larmoyants de la vicomtesse où «l Amour pouvait trouver de quoy tremper ses dards tout à son aise» 767. Tallemant rapporte aussi ses mots méprisants envers le duc de Luynes qui avait épousé une fille qui portoit le nom de Soret : «Faut-il que le connestable de Luynes N ait fait tout ce qu il a fait que pour la fille de Soret» 768. Elle critique l allure démodée de Chapelain lorsqu il est introduit à l hostel portant «un habit comme on en portoit il y avoit dix anz» 769, et compare la comtesse d Alais au «colosse de Rhodes» 770. ` Ce qu il faut surtout retenir de ces exemples, c est que sous la plume de Tallemant, le salon de Madame de Rambouillet n est plus seulement cet espace mythique, déterminant dans la formation du goût et des mœurs. L envers du décor y est aussi représenté, le salon est aussi un lieu de rivalités et de médisances. Même si comme le souligne A. Génétiot, «l Hôtel permet de faire dialoguer des représentants 765 La vicomtesse d Auchy fut, selon Antoine Adam, la Caliste de Malherbe. Les poésies et lettres à Caliste lui étaient adressées (voir Historiettes, t. 1, note 9, p. 816). 766 Malherbe l avait surnommée Caliste et lui avait dédié des sonnets. 767 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p

214 de milieux sociaux variés» 771, Tallemant témoigne que les barrières sociales restent souvent étanches. Une des historiettes les plus malveillantes est celle sur Louis XIII. On sait que Madame de Rambouillet ne pouvait souffrir ce roi au point où sa fille craignait que cette aversion «ne la fasse damner» 772. Dans son introduction, Antoine Adam avait souligné que l historien Louis Batifol, indigné par ce portrait qu il juge invraisemblable, avait reproché à Tallemant d avoir recueilli les propos de Madame de Rambouillet sans aucun sens critique 773. Batifol semble accuser la marquise de calomnie, puisque selon lui, le portrait de Louis XIII n est pas du tout conforme à la réalité. Médisance ou calomnie 774, Tallemant, huguenot de La Rochelle, ayant sûrement souffert de la persécution des protestants lors du règne du roi, a certainement dû transposer ces anecdotes avec prédilection; on peut même supposer qu il en a rajouté. Le registre de l historiette sur Louis XIII pourrait être le développement de l épigraphe en tête des Maximes : «Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés» 775, puisque toutes les qualités que les historiens ont attribuées à Louis XIII sont ici perçues comme une manière de camoufler des fautes incompatibles avec la dignité royale, et démasquées sans état d âme. Tallemant (ou 771 Alain Génétiot, Le classsicisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p Historiettes, t. 1, p A. Adam précise qu en fait, l informateur de Tallemant fut M. de Nyert, premier valet de chambre du roi. Toutefois, on ne peut pas écarter l idée que Mme de Rambouillet a dû aussi rapporter quelques anecdotes à Tallemant. 774 Il faut noter la distinction entre la médisance dont la définition a déjà été donnée, et la calomnie, beaucoup plus grave, et généralement non fondée. Selon Furetière, la calomnie est une «fausse accusation; médisance atroce & mal fondée contre l honneur et la réputation d autrui. Calomnie est aussi une déesse chez les Athéniens [ ], Lucien a fait l emblême de cette redoutable Divinité. Il représente un Prince avec de longues oreilles, environné du Soupçon & de l ignorance. Il tend la main à la Calomnie qui s avance vers lui, le visage tout en feu & pourtant avec un air riant et plein de charmes. Elle tient de la main gauche un flambeau, & traine de l autre un jeune innocent qui tend les mains au ciel, & implore son assistance. Devant la Calomnie marche l envie au visage have, & aux yeux louches, accompagnée de la fraude & de l artifice, qui parent, & ajustent la Calomnie pour la rendre plus agréable» (Antoine Furetière, Dictionnaire Universel, la Haye, 1727, t. 1). 775 François de La Rochefoucauld, Réflexions, sentences et maximes morales, par Amelot de La Houssaye, 1743, p

215 Mme de Rambouillet) dénoncent ces qualités comme autant de vices. Ainsi le roi est représenté en homosexuel assez débauché 776, sous l emprise du Cardinal de Richelieu avec lequel il entretient une relation complexe 777, un roi cruel dont la piété n est qu une «peur de l enfer» 778. D après Tallemant, Louis XIII est sournois, il manque de courage et il n a pas aucune compassion. Ces traits de caractère sont illustrés par le comportement du roi au siège de Montauban, où «il vit sans pitié plusieurs huguenots [ ] avec de grandes blessures, dans les fossés du château, [ ] et ne daigna jamais faire donner de l eau» 779. De ses amours avec Mme de Hautefort et Mme de la Fayette, décrites comme platoniques par les historiens, Tallemant écrit qu elles «estoient d estranges amours; il n avoit rien d un amoureux que la jalousie» 780. Le langage dont use Tallemant pour décrire les mœurs sexuelles du roi appartient au registre de l obscène dont nous verrons les effets dans le texte un peu plus loin 781. Ce 776 Voir l historiette de Louis XIII, Historiettes, t. 1, p Tallemant attribue au roi plusieurs favoris : son cocher Saint-Amour, M. de Luynes, Barradas, Cinq-Mars (d après Tallemant, le cardinal, «voyant qu il falloit quelque amusement au Roy, jetta les yeux sur Cinq-Mars, qui desjà estoit assez agréable au Roy [ ]. Au commencement M. de Cinq Mars faisoit faire desbauche au Roy» (t. 1, p. 346). Toutefois, Cinq-Mars finit par déplaire au cardinal et au roi, et, accusé de trahison pour avoir conspiré contre la France, se vit condamner à mort. Le roi, malgré les sentiments qu il avait portés au jeune homme, ne fit rien pour empêcher sa condamnation. Madame de Motteville avait aussi rapporté cette affaire dans ses Mémoires, et elle raconte que quoique le roi voulût sauver Cinq-Mars, «il n en fut pas le maitre, et il abandonna son favori à la sévérité des juges» (Mémoires de Madame de Motteville sur Anne d Autriche et sa cour, d après le manuscrit de Conrart, Élibron Classics, p. 76, t. 1). 777 Tallemant rapporte une scène où Louis XIII avait été rendre visite à Mme de La Fayette, qui, craignant Richelieu, s était réfugiée au couvent de la Visitation. En sortant du couvent, Nogent dit au roi : «Sire, vous venez de voir la pauvre prisonnière», ce à quoi le roi répondit : «Je suis plus prisonnier qu elle». C est donc le sentiment qu avait Louis XIII envers Richelieu. Dans ses Mémoires, Madame de Motteville écrit justement : «Il [Richelieu] se faisait adorer de toute la France et obéir de son roi même, faisant de son maitre son esclave, et de cet illustre esclave un des plus grands monarques du monde» (Mémoires de Madame de Motteville sur Anne d Autriche et sa cour, d après le manuscrit de Conrart, Élibron Classics, p. 57, T. 1). Dans l historiette de Richelieu, Tallemant écrit : «Le Roy ne fut voir le Cardinal qu un peu avant qu il mourust, et l ayant trouvé fort mal, en sortit fort gay» (p. 289). D après A. Adam, cette attitude du roi qui semble se réjouir de la mort de son ministre est aussi rapportée dans le Récit de ce qui se passa un peu avant la mort du Cardinal 778 Tallement, t. 1, p Les mots de Madame de Motteville sont plus ambivalents : «Voyant bien qu il ne pouvait plus vivre, il se résolut à bien mourir pour vivre éternellement» (Mémoires.op.cit. p. 92). Il s agissait donc d une piété d occasion, pour avoir quelque chose en retour. 779 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Sur la définition de obscène, on se rapportera à Jean-Christophe Abramovici qui souligne que l étymologie du terme est incertaine : une approche fait dériver obscenus de caenum, nue, fange ou 207

216 portrait de Louis XIII démystifie donc l image du Roi Très-Chrétien, et détruit l illusion du roi juste et vertueux. L historiette sur Henri IV, quoique plus bienveillante, n en comporte pas moins des petites anecdotes qui médisent du courage du roi, de sa faiblesse pour les femmes ou encore de sa virilité 782. Même si, dans cette historiette, Tallemant s est surtout inspiré des Mémoires de Sully ou encore de l Histoire de France de Mézeray, Madame de Rambouillet, qui avait fréquenté la cour d Henri IV, a dû être témoin de plusieurs événements et a pu contribuer au récit. On la retrouve à cet effet dans l historiette de Madame la Princesse dans laquelle Tallemant raconte le coup de foudre du roi vieillissant pour la jeune Mademoiselle de Montmorency 783. Le ton ironique de l anecdote pourrait bien être celui que Madame de Rambouillet emploie pour transmettre en détail le comportement du roi qui «couroit la bague avec un collet de senteurs et des manches de satin de la Chine» 784. Tallemant nous fait encore entendre la voix de Madame de Rambouillet qui raconte à Tallemant comment Madame la Princesse eut la petite verolle, «et qu il luy demeura une grosse cousture à chaque joue qui, avec une grande maigreur, la desfigurèrent fort longtemps» 785. Une fois, écrit Tallemant, Mademoiselle de Montmorency se montre au roi «toute ordure. Une autre découpe le mot en ob-scaena, ou hors-scène, qui ne doit pas être représenté. Dans les deux cas, utiliser ce registre pour représenter le roi de France est un renversement. 782 Voir Historiettes, T. 1 p. 7 : «Ce prince a eu une quantité de maîtresses; il n estoit pourtant pas un grand abatteur de bois; aussy, estoit-il toujours cocu». 783 Voir Historiettes, p. 69, t. 1 : Henri IV qui avait alors la cinquantaine tomba éperdument amoureux de Charlotte-Marguerite de Montmorency qui en avait treize ou quatorze. Elle répétait un ballet dans lequel Mme la marquise de Rambouillet jouait aussi. «Ce fut là qu elle fit amitié avec Madame la Princesse» écrit Tallemant. Ce fut elle qui a «avoüé à Mme de Rambouillet» l épisode lors duquel Henri IV se cache derrière une tapisserie pour admirer la Princesse (p. 70). Il est également fort possible que ce soit Mme de Rambouillet qui raconte que Henri IV persuada la princesse à se «desmarier», et ce avec le consentement du père (dans cette historiette, Henri IV n a pas le beau rôle. Il fit épouser Mlle de Montmorency à Condé, pensant «faire avancer ses affaires». Condé qui avait la réputation de s intéresser plus à la chasse qu aux femmes, n en fut pas moins un mari très jaloux. Voir la note 1, p. 754, d A. Adam). 784 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p

217 éschevelée sur un balcon avec deux flambeaux à ses costez, il s en esvanouit quasi et elle dit : Jésus! Qu il est fou!» 786. Cette hypotypose représente un vieux roi un peu ridicule, incapable de contrôler ses passions. D autres scènes bouffonnes sont rapportées par Tallemant : Henri IV voulant revoir la princesse que son mari avait éloignée, «va avec une fausse barbe à une chasse où elle devait estre», malheureusement le mari en est averti et annule la partie de chasse; ou encore Henri IV caché derrière une tapisserie pour voir la jeune femme par un trou 787. Ainsi le roi est représenté comme un personnage de farce qui jouerait dans des scènes appartenant à un registre comique, un roi faible et manquant de majesté. Dans cette anecdote, les voix se superposent puisque Tallemant cite Madame de Rambouillet qui elle-même va évoquer d autres voix : «Madame de Rambouillet dit encore que durant sa grande fleur, dez qu il venait une beauté nouvelle, on disoit aussitôt Elle est plus belle que Madame la Princesse» L espace fréquenté par les hommes de lettres, salons ou académies Cet espace en est un aussi dans lequel la médisance est souvent alimentée par les rivalités et les jalousies. Nous avions expliqué au premier chapitre que la plupart des hommes de lettres, pour pouvoir vivre de leur plume, devait s attacher à quelque grand seigneur, entrer dans sa clientèle, se faire son poète ou son historien. Voiture était au service de Gaston d Orléans, Balzac à d Épernon, Chapelain et Boisrobert à Richelieu. Dans ce contexte, les rivalités et les jalousies devenaient inévitables et alimentaient la médisance. On médit souvent de l accoutrement de Chapelain, et de 786 Historiettes, t. 1, p Il semble certain que cette dernière scène a été racontée à par Madame de Rambouillet, puisque Tallemant affirme que Madame la Princesse «sçavoit l affaire et l a avoué à Mme de Rambouillet» (Historietttes. t. 1, p. 70). 788 t. 1, p

218 son avarice. Nous avons noté les commentaires de Mme de Rambouillet, mais son fils, le marquis de Pisani, se moque lui aussi des «bottes de Chapelain» qui étaient «les plus ridicules du monde» 789. Son portrait physique n est pas plus flatteur, puisqu il est «laid de visage, petit avec cela, et crachottant toujours» 790. Tallemant ne lui reconnait pas non plus grand mérite en tant qu homme de lettres, toutefois, admet qu il a fait quelques bonnes pièces, même si l Ode au cardinal de Richelieu «ne sent pas assez la fureur poétique» 791. Dans cette historiette, Tallemant n est pas le seul à médire de Chapelain; il met aussi en scène nombre d hommes de lettres qui médisent de lui et critiquent ce qu il fait, soit parce qu ils jalousaient l homme de lettres qui recevait des rentes de plusieurs aristocrates, et qui avait une réputation bien établie, soit qu ils trouvaient réellement qu il manquait de talent. Ainsi L Aigle de l Empire à la Princesse Julie «ne valoit pas grand-chose» 792 d après M. Godeau. La Mesnardière avait publié, sous un faux nom, une Lettre du Sr du Rivage contenant quelques observations sur le poème épique et sur le poème de la Pucelle, dans laquelle il juge la fable «défectueuse en la principale de ses parties» 793. Mais Tallemant se moque de La Mesnardière dont les critiques contribuent à faire connaitre la pièce, rendant ainsi service à son auteur. À leur tour, les amis de Chapelain s en prennent à la Lettre du Sr du Rivage et dans une scène farcesque, M. de Montausier parlant à La Mesnardière sans se douter que celui-ci en est l auteur, dit que «celui qui l a fait mériterait des coups de baston» 794. Paroles et écrits se mêlent et circulent d un sous-groupe à l autre, amplifiant ainsi la rumeur et les effets de la médisance. Même 789 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Lettre du Sr du Rivage contenant quelques observations sur le poème épique et sur le poème de la Pucelle, Antoine de Sommaville, 1656, p Historiettes, t. 1, p

219 un homme de lettre comme G. de Balzac, qui ne demeure pas à Paris, peut être la cible de rumeurs et de critiques. Dès l introduction de l historiette, Tallemant rapporte les mots du duc de Montausier pour dénigrer le rang social de son père qui «a esté valet chez M. d Espernon» 795. Sorel se moque de lui dans le Francion où il est représenté en pédant nommé Hortensius 796. L historiette de Ménage est particulièrement dure. L homme de lettres est un redoutable médisant et Tallemant rapporte ce bon mot pour illustrer son caractère : à une fille qui lui en faisait le reproche, Ménage lui demande de lui expliquer la signification du terme. «Pour la mesdisance, je ne sçaurois bien dire ce que c est; mais pour le mesdisant, c est M. Menage» 797, répond la jeune fille. Tallemant rapporte aussi une scène assez intime, lors de laquelle il le vit «dans l alcove de Mme de Rambouillet se nettoyer les dents, par dedans, avec un mouchoir fort salle» 798, alors qu «il se pique d estre galant». Cette scène de «dévoilement» est le reflet de ce que sont les Historiettes : le récit d un témoin qui voit et révèle ce qui est caché. Cette information n est vraiment utile ni pour l histoire ni pour la littérature, toutefois, l homme n est plus ce qu il parait être. Ménage cherche à donner l illusion d un homme galant, Tallemant détruit l illusion. Le détail, quoique trivial, n en rabaisse pas moins le personnage. Un peu plus loin, et dans un registre similaire, Tallemant le montre en train de se «roigner les ongles devant des gens avec lesquels il n estoit point familier» 799 L historiette tourne surtout autour de l homme de lettre connu pour ses critiques féroces envers ses pairs : ainsi, Tallemant raconte qu il s en prit à l abbé d Aubignac 800, à Montmaur, au 795 Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Ibid., t. 2, p A. Adam précise qu il s agit de la querelle de l Héautontimoroumenos, un discours composé par l abbé d Aubignac, contre lequel Ménage oppose une Response au discours sur la comédie de Térence intitulée l Héautontimoroumenos, ce qui provoque une réponse de l abbé d Aubignac intitulée 211

220 prédicateur Ogier et enfin, dans La Requeste des Dictionnaires, à Boisrobert qu il traite de «patelin et de sodomiste» 801. Comme il le fait d habitude, pour amplifier ou pour attester ses opinions, Tallemant rapporte ceux des autres. Pour montrer que Ménage se flattait à tort d être dans l intimité de Mme de Sevigny et de Mlle de La Vergne, il donne la parole à Le Pailleur qui, dit-il, «m a juré qu il avait oüy dire» à Mlle de la Vergne 802 : «cet importun de Menage viendra tantost» 803. Ici la médisance circule de Mlle de la Vergne, à Le Pailleur et enfin à Tallemant. VI. Les portraits médisants dans les Historiettes 1. Introduction Nous avons déjà décrit la réception de l œuvre au XIX ème siècle, et des premières éditions qui furent prudemment censurées pour ne pas choquer le lecteur. La dernière édition, celle d Antoine Adam, est intégrale, et le lecteur du XXI ème siècle est probablement moins soucieux de voir écorchée l image de Louis XIII, ou de constater que le Grand-Siècle avait aussi ses faces cachées. Avec l éloignement, l œuvre de Tallemant est bel et bien historique en ce qu elle jette une lumière crue sur une partie importante de la société du XVII ème siècle et nous permet d en reconstituer certains rouages. Il est probable que les ressorts narratifs de l œuvre et la mise en jeu des multiples procédés rhétoriques induisent un soupçon chez le lecteur qui serait porté à douter de la véracité d un discours qui tombe dans le comique et le burlesque. Il n en reste pas moins que c est précisément par ce Apologie de ce même discours contre les erreurs de maistre Gilles Mesnage. Le litige concernait tout simplement la durée de la pièce (voir Historiettes, t. 1, notes p. 1179) 801 Historiettes, t. 2, p Il s agit de celle qui devint plus connue sous le nom de Mme de La Fayette. 803 Historiettes, t. 2, p

221 renversement que se dégage un autre aspect de l histoire, porteur d une vérité autre, mais non moindre. Nous pouvons ainsi mieux discerner les multiples facettes de ces personnages que les historiens avaient souvent déformés par des louanges excessives. Le récit de Tallemant, où chaque historiette porte le nom du personnage dont il sera question, pourrait s intituler «recueil de portraits». À part quelques historiettes qui pourraient être considérées comme autobiographiques 804 et quelques autres qui appartiennent à un corpus assez différent, le reste de l œuvre est une suite de portraits qui ne font pas que «peindre» un personnage. Placé à l intérieur d un récit où il est en interaction avec son groupe, le personnage devient vivant. Expliquer pourquoi Tallemant a choisi de peindre Louis XIII mais n a pas écrit une historiette sur Marie de Médicis, ou encore un portrait d Anne d Autriche n est pas de notre ressort. En revanche, il est possible de classer les historiettes par catégories pour mieux les comparer. Ainsi, la typologie suivante nous permettra de faire un découpage parallèle des multiples registres comiques qui caractérisent les Historiettes. Nous la suivrons pour analyser les enjeux que soulèvent ces «portraits chargés» qui exhibent une certaine gradation dans le discours satirique : l écriture de l obscénité et du libertinage pour peindre les grands ou le clergé, l ironie et la raillerie pour les hommes de lettres ou pour les classes de la bourgeoisie. 1) Les gouvernants : rois, et ministres tout puissants 2) Une classe d aristocrates vivant soit dans l entourage du roi ou évoluant dans des salons. 3) Hommes et femmes de lettres 804 Le terme autobiographique n est pas tout à fait pertinent dans ce contexte, il est pris dans un sens très large et se réfère plus précisément aux historiettes dans lesquelles l auteur parle des membres de sa famille. Une historiette en particulier s intitule «les amours de l auteur» et raconte les aventures de jeunesse de Tallemant. Il n est nullement question de confessions. 213

222 4) Le clergé 5) La petite noblesse de robe, ou la grande bourgeoisie, avocats, maitre des requêtes ou autres. 6) Un groupe hétérogène rassemblant des personnages de sphères sociales mixtes et plus basses : courtisanes, acteurs de théâtre, employés dans les grandes maisons etc 7) Un groupe d historiettes qui rassemble des membres de la famille de Tallemant. 8) Et enfin des historiettes d ordre général, des petites anecdotes qui auraient pu ne pas faire partie de cet assemblage de portraits. À quelques exceptions près, cette typologie n inclut ni les paysans ni les artisans, ni même la petite bourgeoisie. La raison pourrait en être toute simple : ni Tallemant ni ses informateurs ne devaient fréquenter ce milieu. Ou est-ce alors que ces groupes ne se faisaient pas «entendre» 805? En effet ce découpage rassemble des groupes sociaux dont les actes furent décisifs pour le siècle : la royauté, l aristocratie et le clergé en premier lieu, mais aussi le groupe des hommes de lettres dont le rôle fut non seulement littéraire mais également politique et social, comme le montrent les mazarinades. On trouve aussi le groupe de la petite noblesse de robe et de la riche bourgeoisie qui est également important et en pleine ascension sociale 806. Notons aussi que les portraits dans les Historiettes ne suivent pas une progression 805 Notons la définition du terme «peuple» que proposaient les dictionnaires du XVIIème siècle : «C est tout ce qu il y a de gens qui ne sont pas de qualité, ni bourgeois aisés, ni ce qu on appelle honnêtes» (voir La France du premier XVII ème siècle par Robert Descimon et C. Jouhaud, Paris, Éditions Belin, 1996, p. 82). Dans ce contexte, on pourrait supposer que Tallemant ne fût pas intéressé par cette catégorie sociale. 806 Dans le cadre de sa politique contre les «grands», Richelieu avait contribué à l ascension de la haute bourgeoisie : «Les états généraux de 1624 apportèrent pour la première fois la preuve éclatante de la puissance du tiers état; ils mirent en évidence que la noblesse en tant qu ordre, acculée par la bourgeoisie, dépendait déjà beaucoup trop de la royauté comme appui et arbitre, pour pouvoir tenir tête à ses exigences». Plus tard, sous Louis XIV, «l antagonisme entre la noblesse et la bourgeoisie continuait de s exprimer avec la même âpreté» et «l anéantissement» de la noblesse désespère même le dauphin (voir Norbert Élias, La société de cour, traduit de l allemand par Pierre Kamnitzer et par Jeanne Etoré, Paris, Flammarion 1985, p ). 214

223 hiérarchique 807. L historiette du cardinal de Richelieu par exemple précède celle de Louis XIII, et couvre cinquante-sept pages dans l édition d Antoine Adam, contre dix-neuf pages pour le roi. Tallement a aussi peint des personnages de milieux et de statuts différents. Dans une société où la naissance confère avant tout le rang, le titre et l ancienneté sont les deux gages principaux qui garantissent à leur porteur une place dans la hiérarchie sociale. Or, souvent, Tallemant, commence son portrait par une courte notice pour rappeler les origines souvent peu reluisantes du personnage; l expression dubiœ nobilitatis revient régulièrement: ainsi, dans l historiette du Maréchal de Marillac, Tallemant note : «On disait que Marillac éstoit gentilhomme, mais c estoit un gentilhomme dubiœ nobilitatis». Au sujet du Maréchal D Effiat, il écrit : «Voicy encore un maréchal de France dubiœ nobilitatis» 808, et enfin, Monsieur les connestable de Luynes qui «estoit d une naissance fort mediocre» 809. Lorsque Tallemant relate l exécution de Cinq Mars et de De Thou, accusés d avoir comploté contre le royaume, il précise, preuves à l appui, que De Thou, en dépit de «l opinion d estre descendu des comtes de Toul» est en fait le descendant «d un paysan d Atis» Voir la section III Historiettes, t. 1, p. 290 et Historiettes, t. 1, p Le connétable de Luynes fut un des favoris de Louis XIII. A. Adam précise que Tallemant a ignoré ou n a pas ajouté foi à la généalogie du connétable telle qu elle est rapportée dans les Mémoires de Castelnau. Notons que Tallemant n est pas le seul qui doute de la naissance du connétable. Dans ses Mémoires, le cardinal de Richelieu écrit : «Son père, nommé le capitaine Luynes, étoit fils de M e Guillaume Ségur, chanoine de l église cathédrale de Marseille. Il s appela Luynes, d une petite maison qu avoit ledit chanoine [ ] et prit le nom d Albert, qui étoit celui de sa mère, qui fut chambrière de ce chanoine» (Mémoires du cardinal de Richelieu, Paris, Firmin Didot, 1837, t. 7, p. 74). 810 Historiettes, t. 1, p Tallemant fait référence à un contrat de mariage par lequel on voyait que Messrs. De Thou venaient d un paysan d Atis. En revanche, Antoine Adam estime que cette information repose sur une confusion, et note que les de Thou étaient une famille bourgeoise d Orléans, «bien attestée depuis la première moitié du XIVème siècle» (Historiettes, t. 1, note 3 p. 954). 215

224 Ces précisions généalogiques ne sont pas fournies gratuitement, elles rentrent plutôt dans un registre satirique qui sert à démasquer une société basée sur les apparences et la vanité 811. Mais Pourquoi Tallemant décida-t-il d adopter le format éditorial du portrait alors qu il avait critiqué Mlle de Scudéry qui, écrit-il, «est cause de cette sotte mode de faire des portraits, qui commencent à ennuyer furieusement les gens» 812? Il faut dire que la technique du portrait chez lui est fort différente de celle qu on retrouve chez Madeleine de Scudéry, et contrairement aux portraits flatteurs du Grand Cyrus ou de Clélie, on a affaire ici à un observateur qui peint des portraits chargés, à la manière d un caricaturiste 813. Chez lui, point de censure, mais au contraire une délectation à montrer le ridicule et le scabreux. Nous avons déjà souligné à quel point sa narration discontinue et fragmentée n est pas compatible avec une l écriture de l histoire ou même des Mémoires. En revanche, le genre anecdotique de l historiette rend ses portraits beaucoup plus vivants. «Je n entreprens pas des histoires, mais des Vies, où souvent un mot échappé, une raillerie, un geste, font plus connoistre les vices 811 Il faut rappeler ici comment La Bruyère définit le médisant : «Et pour ce qui concerne le médisant, voici ses mœurs : «si on l interroge sur quelque autre et qu on demande quel est cet homme, il fait d abord sa généalogie. Son père dit-il, s appeloit Sosie [ ] Il a été affranchi depuis ce temps» (La Bruyère, Les caractères suivi des caractères de Théophraste, Paris, Abel Ledoux, 1836, p. 426). 812 Note ajoutée par Tallemant en bas de page (Historiettes, t. 2, p. 691). Ajoutons toutefois qu il devait s intéresser à cette mode puisque dans le manuscrit 672 qui est conservé à la Bibliothèque de La Rochelle, on retrouve une anthologie de six portraits copiés et annotés de sa main (A ce sujet, il faut relever les commentaires d Antoine Adam dans les «Notes» : M lle de Montpensier aurait reçu vers 1657 la visite de la princesse de Tarente et de M lle de La Trémouille qui lui parlèrent d un nouveau jeu de société dans les cercles mondains à La Haye. La princesse trouva l idée intéressante et commença par faire son portrait, suivi aussitôt de ceux qui gravitaient autour d elle (Historiettes, T. 2, p. 1460). Pour Jacqueline Plantié, c est grâce à la princesse de Tarente et à Mlle de la Trémoille que le portrait inséré dans un roman ou une œuvre historique effectue une transition pour devenir portrait genre autonome (La mode du portrait littéraire, op.cit., p. 188). 813 Ce qu on appelait alors le portrait chargé est, en termes de peinture, «une exagération burlesque des principaux traits qui contribuent à la ressemblance [ ]». Notons aussi le parallèle que Furetière fait entre l auteur d un portrait chargé qui déforme et ridiculise son sujet, et le médisant qui a chargé l histoire qu il nous raconte en y ajoutant beaucoup de choses de son cru (Voir A. Furetière, Dictionnaire universel op.cit.) 216

225 et les vertus» 814 écrivait Plutarque pour expliquer et justifier la forme anecdotique de ses portraits. On peut penser que Tallemant l a pris comme modèle, sauf que les portraits des Historiettes n ont pas, pour la plupart, les visées morales de ceux des Vies des hommes illustres 815. L objectif de ce chapitre est double : d une part, montrer le décalage de l écriture des portraits dans les historiettes par rapport à celle en vogue dans les milieux mondains. D autre part, souligner le décalage sur le plan esthétique par rapport aux nouvelles règles de bienséance qui vont régir l art poétique. Pour conclure, on verra comment la rhétorique du blâme dans les Historiettes démasque et dénonce les comportements de chaque groupe tout en faisant rire le lecteur. 2. Formes et techniques du portrait au XVII ème siècle La forme et la technique du portrait telle qu on la concevait alors obéissait à des codes assez précis. Le terme se rapporte d abord à la représentation d un homme, et on utilisait le verbe portraire pour signifier dessiner ou représenter. Charles Sorel utilise ce terme dans son allégorie Description de l Ile de portraitures. André Félibien, dans son traité Des principes de l architecture en donne la définition suivante : Portraire : Le mot de portraire est un mot general, qui s estend à tout ce qu on fait lors qu on veut tirer la ressemblance de quelque chose; neanmoins, on ne l employe pas indifferemment à toutes sortes de sujets. On dit le portrait d un 814 Curieusement, c est le frère de l auteur des Historiettes qui fut un des traducteurs de Plutarque (voir Abbé François Tallemant, Les Vies des hommes illustres de Plutarque, Paris, J. Guignard, 1663, t. II, P. 3-4). 815 Dans l Antiquité, l écriture biographique doit être légitimée, on insistait donc sur sa valeur morale et exemplaire et non à la connaissance érudite ou curieuse des faits : «la curiositas comme pure volonté de connaitre le passé, est exclue : la perception de l Histoire doit être arrimée à la conception morale de l exemplarité et de l auctoritas» (voir K. Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit. p. 115). 217

226 homme ou d une femme; mais on ne dit pas le portrait d un cheval, d une maison ou d un arbre 816 Félibien donne ainsi une spécificité au terme, qui se limite à la seule représentation de sujets humains, mais qui implique une variété de moyens de représentation : le portrait par la peinture, par la sculpture ou encore le portrait écrit, le critère principal étant la ressemblance 817. On retrouve les mêmes définitions dans le Dictionnaire de Furetière: «Représentation faite d une personne telle qu elle est au naturel [ ] Narcisse voyant son portrait dans l eau en devient amoureux [ ] Quand on regarde dans le miroir, on y voit son portrait». Il s agit parfois d une copie presque conforme, une réflexion pure, sans ajout. Furetière distingue encore «l ouvrage d un peintre, qui par art, trace au naturel la figure, l image, la représentation d une personne. De certains portraits on dit : «il n y manque que la parole». On peut aussi flatter un portrait ou au contraire l enlaidir. Dans ce dernier cas, il s agit d un «portrait chargé ou burlesque que fait un peintre pour se divertir» 818 en conservant quelques traits de l original mais en les exagérant pour les rendre difformes ou monstrueux. La définition de Richelet se rapproche de celle de Félibien dans la restriction qu il souligne, en précisant qu un portrait se rapporte exclusivement à la représentation de l homme : «Ce mot se dit des hommes seulement et en parlant de la peinture. C est tout ce qui représente une personne d après nature avec des couleurs» 819. Un portrait 816 André Félibien, Des principes de l architecture, de la sculpture, de la peinture et des autres arts qui en dépendent, avec un dictionnaire des Termes propres à chacun de ces Arts, seconde édition, Paris, Coignard Imprimeur, 1690, p Rappelons que cette ressemblance (ou imitation) avait été définie par Aristote dans sa Poétique comme Mimesis. Elle pouvait se faire de trois manières: représenter le sujet meilleur qu il ne l est, plus méchant, ou semblable : «Comme en imitant on imite toujours des personnages, et que ces personnages ne peuvent qu être bons ou méchants, seules différences à peu près entre les caractères, qui se distinguent uniquement par le vice et la vertu, il faut nécessairement les représenter ou meilleurs que nous ne sommes, ou pires, ou semblables au commun des mortels. C est là aussi la condition de la peinture» (Aristote, Poétique, traduite par J. Barthélémy Saint-Hilaire, Paris, A. Durand, 1858). 818 Antoine Furetière, Dictionnaire Universel., op.cit., t Pierre Richelet, Dictionnaire françois contenant généralement tous les mots et plusieurs remarques sur la langue françoise op.cit. 218

227 est donc en principe une représentation d après nature, une imitation aussi conforme que possible. Mais il est peu probable que les portraits qui nous restent du XVII ème siècle adhèrent à idéal de ressemblance. 3. Le portrait médisant Une rhétorique du blâme sur le mode épidictique Au départ, le goût des portraits littéraires est apparu dans la société mondaine comme divertissement 820. Il faudrait dire «réapparu» puisque, comme le souligne Charles Sorel, «la grande île de Portraiture a été découverte depuis plusieurs siècles, mais jamais elle n a été si célèbre qu elle est depuis deux ou trois ans» 821. Nous avons évoqué la mode des portraits mondains lancée par Mademoiselle de Scudéry, et on sait que dans ses œuvres romanesques, le portrait est évoqué dans sa matérialité 822. Cet engouement passa dans les comédies et même dans les sermons, comme per exemple ceux de Bourdaloue qui faisait des portraits de personnages connus par la cour 823. Même dans son Histoire de France, Mézeray utilise le portrait pour faire le lien entre caractère du personnage et son comportement politique. Ainsi il décrit Catherine de Médicis comme «une mère intriguante, qui estoit la discorde et la division mesme» et dont la devise était : Divide ut regnes 824. On retrouve des 820 Voir aussi à ce sujet Gustave Lanson, L Art de la prose, 2è édition, Paris, Librairie des Annales Politiques et Littéraires, 1909, p. 127 (signalons seulement que le portrait littéraire existait déjà pendant la Renaissance, dans la poésie amoureuse Nous ne nous étendons pas sur cet historique dans le contexte de ce travail). 821 Charles Sorel, Description de l Île de Portraiture, édition critique par Martine Debaisieux, Genève, DROZ, 2006, p. 69. Notons que Jacqueline Plantié a tracé l historique du portrait depuis l antiquité. Elle rappelle qu avant de devenir une mode, le portrait existait déjà dans les genres les plus divers. Le désir de mieux se connaitre et de transmettre une image de soi à la postérité est, écrit-elle, «enracinée en nous» (La mode du portrait littéraire en France ( ), Paris, Honoré Champion, 1994, p. 32). 822 Pour Alain Niderst, les auteurs du Grand Cyrus n inventèrent pas le genre du portrait en prose, ils le ranimèrent et en fournirent de nombreux modèles (voir «Madeline de Scudéry, construction et dépassement du portrait romanesque» dans Le portrait littéraire, sous la direction de K. Kupisz, G. A. Pérouse J.-Y. Debreuille, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988, p. 107). 823 Ibid., p Mézeray est cité ici par J. Plantié dans La mode du portrait littéraire ( ), op.cit., p

228 portraits et des auto-portraits chez les mémorialistes comme le Cardinal de Retz ou Mme de Motteville, chez les romanciers comme Charles Sorel, Paul Scarron, Vincent Voiture ou Antoine Furetière, ou encore chez les hagiographes comme Étienne Cavet 825. À Segrais, qui lui demandait d écrire un portrait, Scarron aurait répondu : «un bon portrait est plus difficile à faire qu on ne pense» 826, avant d ajouter que les portraits écrits par Mlle de Montpensier sont si parfaits, qu ils lui «ôteraient le courage d en faire» 827. Scarron soulève un paradoxe en forme d aporie: pour bien faire un portrait, il faut connaitre son modèle à fond, or cela est impossible. On ne connait bien que soi-même. Mais alors si faire son autoportrait exige une bonne dose de vanité, comment peut-on se louer soi-même? 828 La vogue des portraits n est pas strictement confinée à la littérature. Dans La vie artistique en France au XVII ème siècle, René Crozet note que le mécénat du cardinal de Richelieu se manifeste particulièrement dans trois domaines : le bâtiment, la protection accordée aux artistes et les portraits 829. Le premier château que le cardinal acquiert, celui de Limoures, comporte déjà une galerie de portraits de rois et 825 Dans Le Remède et le mal, Jean Starobinski propose une hypothèse intéressante sur cet engouement pour le portrait: il estime que la doctrine classique de la civilité telle qu elle s est élaborée dans les Salons a contribué à polir les mœurs et à «civiliser» l Éros. Les relations deviennent ainsi «le matériau d une élaboration minutieuse». La valeur esthétique, s attache aux manières agréables, comme celles de Voiture par exemple, reçu chez Mme de Rambouillet grâce à ses manières et son esprit. Ainsi se développe selon Starobinski un «narcissisme de groupe» qui définit les cercles de «bonne société». Parallèlement, les individus mâles féminisent leurs atours : rubans, bijoux, perruques à longues boucles. Il n est donc pas surprenant que le genre littéraire du portrait ou de l auto-portrait s épanouisse dans ce contexte narcissique ambiant (Voir Jean Starobinski, Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989, p. 61, 62). 826 Ibid., p Paul Scarron, Les dernières œuvres de Monsieur Scarron contenant plusieurs lettres amoureuses et galantes, nouvelles histoires.paris, Michel David, 1701, t. 1, p Les hésitations de Scarron en matière de portraits sont peut-être dues à son refus de louer sur commande. Mais malgré ces réticences, il a quand même rédigé des portraits et quelques autoportraits dont le plus savoureux est celui en vers burlesques (Voir «Le testament de Scarron en vers burlesques», Dans les Œuvres de Scarron, Paris, Jean-François Bastien, 1786, t. 1, p. 135). 829 René Crozet, La vie artistique en France au XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1954, p. 90. Notons aussi que Tallemant, dans son historiette sur Richelieu, mentionne cette passion de Richelieu pour les bâtiments. Tallemant parle de l acquisition entre autre de l Isle Bouchard pour en faire un duché, ainsi que de l ancien hôtel de Rambouillet (Historiettes t. 1, pp ). 220

229 de princes, des statues d Henri IV et de Marie de Médicis. Plus tard, l ancien hôtel de Rambouillet transformé en Palais-Cardinal aura aussi ses galeries de personnages illustres 830. Les portraits de Julie d Angennes, fille de Mme de Rambouillet, ou encore de Mme de Sévigné sont croqués par Henri Beaubrun 831. Daniel Dumonstier lui, a saisi les visages de Louis XIII, de la marquise de Sablé, du duc de Rohan et de bien d autres 832. Ce portraitiste renommé a d ailleurs son historiette, et Tallemant le décrit comme «un peintre en crayon de diverses couleurs», et prend soin de souligner que «quand il peignoit les gens [ ], il les faisoit plus beaux qu ils n estoient» 833. Dumonstier, qui, à l instar de Tallemant, n était pas dupe de la vanité des hommes, flattait ses portraits de la même manière qu un homme de lettres louait le mécène duquel il dépendait, pour simplement en recueillir les faveurs : «Ils sont si sots qu ils croyent estre comme je les fais, et m en payent mieux» 834. La noblesse de robe et la bourgeoisie, que ce soit à Paris ou en province, a aussi le souci du paraitre et se fait construire de beaux hôtels dans lesquels cabinets de collections et galeries de tableaux agrémentent leurs loisirs et assoient leur réputation René Crozet, op.cit, p. 94. Ce palais est connu aujourd hui sous le nom de Palais-Royal. 831 Dans l historiette de Liance (t. 2, p. 623), Tallemant mentionne les frères Beaubruns, portraitistes attitrés de la cour. C est à la demande de La Roque, capitaine des gardes de Monsieur le Prince, que les Beaubruns firent le portrait de la belle Egyptienne. Tallemant rapporte aussi le quatrain que Gombauld fit à cette occasion: «Une beauté non commune/veut un peintre non commun/il n appartient qu à Beaubrun/De peindre la Belle brune». 832 Dans La Description de l Île de Portraiture, Charles Sorel décrit, non sans ironie, cet engouement excessif pour les portraits : La grande île de Portraiture a été découverte depuis plusieurs siècles, mais jamais elle n a été si célèbre qu elle est depuis deux ou trois ans [.]. A dire la vérité, tous les habitants de la ville étaient peintres ou marchands de portraits [.] La plupart de ceux qui avaient entrepris un si grand voyage [.] l avaient fait par un excès de vanité et d ambition, et par la croyance qu ils avaient de mériter que leur mémoire fût conservée éternellement (p. 74) 833 Historiettes, t. 1, p Ce sont les paroles de Dumonstier, rapportées par Tallemant. On ne sait pas s il s agit d une conversation entre les deux hommes ou si Tallemant retranscrit les paroles d un tiers (Historiettes, t. 1, p. 660). Sorel quant à lui s amuse du spectacle que donnent ces gens désireux de se faire faire des portraits flattés. Dans La description de l ile de portraiture il décrit la physionomie de ces hommes et femmes qui étaient masqués non point par «galanterie» [.] ni pour danser ballet; qu au contraire, tout leur soin étaient de faire croire qu ils n étaient point masqués» (p. 76). 835 Nicolas De Peiresc en est l exemple. Cet humaniste, archéologue, linguiste et amateur d art, ami de Malherbe et de Gassendi, possède une galerie de portraits par Dumonstier, avec les visages de Henri 221

230 Tallemant avait-il sa galerie de portraits? On se le demande. Quoiqu il en soit, il fréquente le milieu qui raffolait de cette mode et il se moque de Scudéry lorsque celui-ci, au moment de partir s installer à Marseille, «s obstina à transporter bien des bagatelles, et tous les portraits des illustres en poésie, depuis le père de Marot jusqu à Guillaume Colletet»; Tallemant ajoute : «Ces portraits luy avoient cousté; il s amusoit à despenser ainsy son argent à des badineries» 836. Pourquoi Tallemant ironise-t-il ainsi en désignant les portraits en question par le terme réducteur de «badineries»? Il est probable qu il se moque de Scudéry qui, sans peut-être en avoir les mêmes moyens, essayait de ressembler à ceux qui possédaient leur galerie? Scudéry ne fut certainement pas le seul qui dépensa son argent chez les peintres. Richelet remarque dans son dictionnaire : «le portraitiste gagne de quoi faire bouillir son pot, parce qu il n y a pas de bourgeoise un peu coquette et un peu à son aise qui ne veuille avoir son portrait». Le modèle du genre des portraits mondains est le Recueil des portraits et Éloges en vers et en prose publié en 1659 par les soins de Mademoiselle de Montpensier. L auteur de la préface souligne l intérêt des portraits qui instruisent et divertissent le lecteur bien mieux qu une œuvre historique : Les gens délicats et bien sensez ont plus de satisfaction de lire des actions particulières que celles qui sont générales : parce que ce sont autant de portraits qui peignent un homme au naturel et qui nous donne une entière connaissance. C est pourquoi quelques-uns assurent qu une Histoire ne divertit pas extrêmement lorsqu elle nous représente un capitaine toujours l épée à la main [ ] ce qui fait que ces sortes d histoires ne sont pas agréables c est qu elles ne nous instruisent pas pleinement de ceux dont elle nous parle 837. IV, de Malherbe ou encore du cardinal du Perron (dans l introduction des Historiettes A. Adam signale la correspondance entre Malherbe et Du Peiresc conservée à la bibliothèque des frères Dupuy et suggère que Tallemant y a puisé certaines de ses anecdotes, voir Historiettes, p. xx). 836 Historiettes, t. 2, p Dans le Dictionnaire d A. Furetière, «un ouvrage ne contient que des badineries quand il n y a rien de sérieux ni de solide». 837 Anne-Marie-Louise-Henriette d Orléans, duchesse de Montpensier, Recueil des Portraits et Éloges en vers et en prose, Paris, Ch. De Sercy et C. Barbin, 1659, préface p

231 Tout en reconnaissant s être inspirée de la Clélie et du Grand Cyrus 838 la Grande Mademoiselle et ses amis ont néanmoins contribué à lancer la mode du portrait détaché comme genre nouveau, «qui consiste à faire du portrait littéraire un équivalent écrit du portrait peint» 839. En 1659, la mode du portrait et la «fureur» de se faire peindre connaissent une apogée dans le milieu mondain. Tallemant se moque alors de toutes ces dames qui «caballaient» pour se retrouver dans les romans de Madeleine de Scudéry : «Vous ne sauriez croire», écrit-il, «combien les Dames sont aises d estre dans ses romans, ou, pour mieux dire, qu on y voye leurs portraits» 840. Cet engouement excessif allait, on s en doute, entrainer une réaction. Nous avons déjà mentionné l interjection de Tallemant en 1658, qui se moquait de Mlle de Scudéry 841. Charles Sorel qui avait au départ désigné L Ile de Portraiture par les termes de «fable mystérieuse», précise par la suite son objectif. Dans La Bibliothèque Française, il en parle en termes de «satire», satire d une mode, satire des prétentions sociales et satire du paraitre 842. Le personnage principal et narrateur, Périandre, est un «curieux» 843 qui va à la découverte de «La grande île de Portraiture». Comme chez 838 Ibid, Préface, p. 12. Notons aussi que Tallemant et Charles Sorel étaient eux aussi persuadés que parmi les précurseurs, Georges et Madeleine de Scudéry ont joué un rôle essentiel. Dans l historiette de «Scudéry et sa sœur» Tallemant explique que Scudéry, quand il reconnaissait quelqu un dans les romans de sa sœur, «d un trait de plume aussytost il le desfiguroit» (Historiettes, t. 2, p. 690). Charles Sorel, dans l Isle de portraiture attribue au frère et à la sœur un travail de collaboration : «Mais personne de notre siècle n a mieux réussi à ces choses qu un frère et une sœur, illustres par leurs œuvres excellentes où ils ont chacun leur part» (Charles Sorel, L Isle de Portraiture, op.cit., p. 98). 839 M. Lafond, «Les techniques du portrait dans le recueil des portraits et éloges de 1659» in Cahiers de l Association Internationale des Études Françaises, 1966, N o 18, p Historiettes, t. 2, p Ibid., p En cela, il rejoint La Bruyère qui raillait ceux qui fréquentent la cour en essayant de paraitre le plus aristocrate possible : «Un homme de la cour, qui n a pas un assez beau nom, doit l ensevelir sous un meilleur; mais s il l a tel qu il ose le porter, il doit alors insinuer qu il est de tous les noms le plus illustre, comme sa maison de toutes les maisons la plus ancienne : il doit tenir aux princes Lorrains, aus Rohan, aux Foix, aux Chatillon, aux Montmorency, et, s il se peut, aux princes du sang» (voir Les Caractères, op. cit., p. 197). 843 Nom qui signifie à l époque amateur de tableaux. Dans ce nom, M. Jeanneret y voit l anagramme approximative : Peindre ou Peindra. De plus, le nom renvoie à un personnage de L Astrée, dans une anecdote fondée sur l illusion picturale. Il renvoie aussi à une œuvre de Cervantès, Les travaux de 223

232 ses contemporains, Sorel ne manque pas de faire le rapprochement entre peinture et littérature : «Les poètes ont été des peintres parlants, comme les premiers avaient été des poètes muets» 844. Le registre satirique dont il use pour représenter à la fois les peintres et leurs modèles n est pas sans rappeler la posture de Tallemant dans les Historiettes. Ainsi, dans «La rue des peintres satiriques» les peintres «ne faisaient les portraits des gens que pour se moquer d eux». Ces peintres n étaient pas dupés par les masques et déguisements de ceux qui s acharnaient à paraitre autres que ce qu ils étaient en réalité. Sorel décrit ceux «dont les masques étaient si bien faits, et si adroitement attachés ou collés, qu on les prenait pour leur vrai visage», ainsi que les habits des magistrats déguisés en courtisans, parce qu ils voulaient que leur portrait fût fait sur ce qu ils paraissaient être, non pas sur ce qu ils étaient effectivement» 845. Tallemant quant à lui démasque leurs comportements en raillant, comme dans cette historiette sur le chancelier Seguier, dont il dit : «Personne n a tant donné à l extérieur que lui; il a baptisé sa maison hostel, il a mis un manteau et des masses, en forme de baston de mareschal de France, à ses armes, et son carosse en est tout historié. Il ne ferait pas un pas sans exempt et sans archers» 846, ou encore lorsqu il se moque de Madeleine de Scudéry qui parle du «renversement» de sa maison comme s il s agissait «du bouleversement de l empire grec» 847. Persille et Sigismonde, dans laquelle Périandre est mis en présence de tableaux à plusieurs reprises (voir l introduction de Michel Jeanneret p. 34 dans Description de l île de portraiture.). 844 Description de l île de Portraiture p. 97. M. Jeanneret évoque à ce sujet les descriptions de tableaux ou de cabinets de peintures qu on trouve dans des romans comme dans L Astrée et Clélie et qui inspirent poètes et romanciers comme Saint-Amant ou G. de Scudéry (p. 38). 845 Ibid., p Historiettes, t. 1, p Comme le rapporte Antoine Adam, Boileau est encore plus mordant que Tallemant dans la description qu il donne de l allure du Chancelier comme dans ces vers de la satire I (note 7, p. 1217) : «Où ce riche insolent, cette âme mercenaire/qui fut jadis valet des valets de mon père/ne va plus qu en carosse ou en chaise au Palais/Et se fait suivre au cours d un peuple de valets» 847 Historiettes, t. 2, p

233 Alors que La Rochefoucauld dénonce cette forme de tromperie dans le paraitre 848, Tallemant lui essaie de voir ce qui se trouve derrière ces figures fardées au-dehors comme au-dedans. Son objectif est de dire «le bien et le mal sans dissimuler la vérité» 849, et c est grâce à sa propre technique du portrait, qui diffère de celle de Mlle de Scudéry ou encore de celle qui se trouve dans Le recueil des portraits et éloges..qu il tente de percer le mystère de l homme. Comme il n a pas l intention de publier son récit, il peut se permettre d écrire en toute liberté. Il ne s agit pas pour lui de faire des portraits à la manière de Mlle de Montpensier, mais plutôt des scènes de vie sur lesquelles le portrait vient se greffer pour compléter le tableau. Même si l assemblage de ses historiettes sous des noms de personnages dont beaucoup ont marqué l histoire politique et littéraire ressemble bien à une galerie de portraits, sa technique diffère de celle qu on retrouve dans le Recueil ou dans les œuvres de Mlle de Scudéry, laquelle ressemble plus à une «dissertation» 850. Dans le Recueil il s agit plutôt d une analyse abstraite, une sorte de répertoire des caractéristiques physiques et morales 851 qui produiront une image, «statique et intemporelle» 852 comme celle d un peintre. L anecdote de Tallemant, qui ne fige pas le modèle mais qui permet de le représenter en pleine action, permet de mieux saisir le personnage. Pour parler d un 848 «Chacun affecte une mine et un extérieur pour paraitre ce qu il veut qu on le croie. Ainsi, on peut dire que le monde n est composé que de mines» (La Rochefoucauld, Réflexions, sentences et maximes morales, Paris, P. Jannet, 1853, p. 181). 849 Historiettes, t. 1, p Ce terme est employé par G. Lanson qui estime qu un portrait, qu il soit «chargé» ou «flatté» ne fait pas voir, et n est donc pas une peinture, mais plutôt une «dissertation». Les portraits de Mlle de Scudéry par exemple, sont «trop vantés» et «trop embellis par un art doucereux». Ils perdent ainsi toute valeur morale ou documentaire (Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, quatrième édition, Paris, Hachette, 1896, p. 384). 851 Généralement, le portrait moral suit un ordre ascendant : on commence par l esprit, on passe à l humeur et ensuite aux qualités de l âme et à celles du cœur. 852 Jean Lafond, «Les techniques du portrait» dans le Recueil des Portraits et Éloges», art.cit., p

234 «rêveur» comme Racan, il rapporte une série de petits récits dans lesquels on voit le personnage jeter par inadvertance un livre «au privé au lieu de jetter le papier dont il s étoit servi» 853, se tromper de chausses en se levant ou encore donner l aumône à des amis qu ils prenaient pour des gueux. Quand il lui arrive de figer une partie du modèle, c est de manière très brève et incomplète. Ainsi, «Jean-François de Gondy, aujourd hui cardinal de Retz, est un petit homme noir [ ], mal fait, laid et maladroit de ses mains à toute chose» 854, Madame de Courcelles «est petite, et a les yeux petits, mais elle est fort jolie et fort coquette» 855 et Voiture est «petit mais bien fait» 856. Il use de la même technique pour les caractères. Ce sont surtout les mots et les comportements des personnages qui vont permettre au lecteur d en restituer l image complète. L historiette de Des Barreaux par exemple illustre le mode de vie débauché du personnage : «Il estoit insolent et yvroigne. À Venise, il alla lever la couverture d une gondole, qui est un crime en ce pays [ ]. Son Yvroignerie luy a fait courir mille perils et recevoir mille affronts» et Tallemant raconte comment Des Barreaux faillit se faire lapider après avoir insulté un prêtre. «Il prêche l atheisme partout où il se trouve», toutefois «en une grande maladie qu il eut, [ ] il fit fort le sot et baisa bien des reliques». Par un effet d accumulation, toutes ces petites anecdotes donnent une dimension supplémentaire au caractère de Des Barreaux. Elles montrent quelqu un qui pratique le libertinage par un effet de mode, et qui prend peur et se «repent» lorsqu il se croit en danger de mort. Tallemant explique qu en sa jeunesse, Des Barreaux était un beau garçon intelligent mais, «ayant perdu trop tost son père», il fit de mauvaises fréquentations dont Théophile de Viau «et d autres desbauchez, qui luy gasterent l esprit et luy firent faire mille saletez». Bien avant 853 Historiettes, t. 1, p. 386, Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t 1, p

235 l avènement des théories de la psychanalyse, Tallemant semble insinuer que le comportement de Des Barreaux serait dû à l absence de la figure du père 857. Souvent aussi, chez Tallemant, le physique du personnage devient un reflet de son caractère : Voiture par exemple, était «bien fait; il s habillait bien», et il était aussi «un fort bel esprit», qui avait «monstré aux autres à dire les choses galamment» 858. En revanche, la laideur physique accompagne la laideur morale chez Mme de Schomberg, «qui estoit toute contrefaitte, et qui avoit les pieds tout tortus [ ] On la haïssoit; elle estoit laide et meschante» 859. Le portrait physique de la vicomtesse d Auchy, «qui avait fait bien des sottises», reflète bien le tempérament de la dame. «Elle se mit en tête de se passer pour belle» 860, écrit Tallemant, ce qui «lui réussissait assez mal». Le portrait physique sert aussi à rabaisser le personnage, comme dans l historiette de Madame de Montbazon, «une des plus belles personnes qu on pust voir» 861, selon l avis général 862. Or Tallemant ne la peint pas ainsi, au contraire, il énumère ses défauts: «Mais, pour moy, je n eussse pas été de leur avis; elle avoit le nez grand et la bouche un peu enfoncée; c était un colosse [ ], elle avoit desjà un peu trop de ventre, et la moitié plus de tetons qu il ne faut» 863. Il dresse ensuite une liste de ses nombreux amants et rapporte le vaudeville qu on écrivit contre elle, pour marquer la légèreté de ses moeurs: Grand Connasse Grand Connasse, Pourquoi fous-tu tant? 857 Historiettes, t. 2, p Historiettes, t 1, p. 488 et Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 2, p La duchesse de Montbazon était réputée pour sa grande beauté. Dans ses Mémoires, Mme de Motteville écrit : «la duchesse de Montbazon, qui a tenu dans notre siècle le premier rang de la beauté et de la galanterie» (Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d Autriche et sa cour, d après le manuscrit de Conrart, Paris, Charpentier 1891, t. 1, p. 135). 863 Historiettes, t. 2, p

236 Nos vits sont si petits, ton C. est si grand. Je ne m en sçaurois lasser, Je ne m en sçaurois passer 864 Même si Tallemant n est pas l auteur de ce vaudeville, il le trouve «plaisant». Dans les Historiettes ce type d obscénité s exerce plus particulièrement envers la classe sociale qui a le plus de pouvoir 865. Chez Tallemant, le registre de l obscénité est une modalité discursive de la satire. VII. L obscénité dans les Historiettes Une modalité discursive de la satire 1. Introduction Le but de l auteur satirique est de mettre les hommes à nu, et, le physique mis à part, les hommes nus se ressemblent étrangement 866. Dans sa Poétique, Aristote définissait la comédie comme l imitation des hommes dans le ridicule : «Le ridicule est proprement un défaut, une difformité sans douleur et qui ne va point à la destruction du sujet où il se trouve. Par exemple, sans aller plus loin, nous appellons un visage ridicule, un visage desagreable & tout contrefait sans aucune douleur» 867. Cette association du comique et du ridicule se 864 Historiettes, t. 2, p Selon Bakhtine, le XVII ème siècle, sous la monarchie absolue, «les genres élevés du classicisme s affranchissent entièrement de toute influence de la tradition comique grotesque». Toutefois, préciset-il, la tradition du grotesque continue à exister dans les genres inférieurs : comédie, satire, burlesque. Ces genres, selon Bakhtine, revêtent un «caractère oppositionnel», en partie suscitée par l état d esprit de l aristocratie frondeuse. On peut avancer l hypothèse que chez Tallemant, l obscénité, qui est une composante principale du discours satirique ou burlesque, reflète sa posture de polémiste qui conteste ceux qui représentent le pouvoir et l autorité. 866 Mathew Hodgart, La satire, texte français de Pierre Frédérix, Paris, Hachette, 1969, p La Poétique d Aristote, traduite par M. Dacier, Paris, Claude Barbin, 1692, P. 55. Une traduction plus récente de la Poétique définit la comédie comme «l imitation d hommes de qualité morale inférieure, non en toute espèce de vice mais dans le domaine du risible, lequel est une partie du laid. Car le risible est un défaut et une laideur sans douleur ni dommage, ainsi par exemple le masque comique est laid et difforme sans expression de douleur (voir Poétique, traduit par J. Hardy, Paris, Gallimard, 1990, p. 85). 228

237 retrouve chez Umberto Eco lorsqu il explique à son tour les catégories de l art. En effet, Eco suggère que le langage et les comportements obscènes, même s ils expriment parfois la rage ou la provocation, servent surtout à faire rire. Parmi les formes d art, celles qui expriment l harmonie perdue comme le sublime ou le tragique, provoquent anxiété et tension. Celles qui expriment l harmonie préservée comme le beau ou le gracieux, apportent la sérénité. Et enfin celles qui expriment l harmonie perdue et ratée comme le comique reflètent la perte ou l abaissement. Le comique et l obscénité se marient lorsqu on plaisante dans le dos d une personne qu on méprise, comme lorsqu on raille les maris cocus, ou encore lorsqu on cherche à rabaisser un oppresseur par une sorte de révolte compensatoire 868. Le rire, surtout celui associé à l obscénité, a le mérite de déconstruire le mythe de la royauté, en ramenant le personnage du roi au même niveau que le commun des mortels. Ce rire peut aussi désamorcer le pouvoir perçu comme tyrannique d un ministre tel que Richelieu, ou Mazarin. Les mazarinades qui circulaient du temps de la Fronde et raillaient Mazarin illustrent justement le type de révolte compensatoire évoquée par U. Eco. Dans les Historiettes, il est probable que Tallemant utilisât parfois l obscénité pour rabaisser et humilier le personnage dont il désirait «se venger» : l historiette de Louis XIII, qui est l auteur du siège de la Rochelle, ou celle du prince Henry de Bourbon, qui avait fait campagne contre les réformés de Languedoc en , sont des exemples qui illustrent cette posture. Signalons toutefois que dans les Historiettes, l obscénité n est pas strictement associée au registre satirique. Elle est versatile, 868 Umberto Eco, Histoire de la laideur, traduit par Myriam Bouzaher, Paris, Flammarion, 2007, p Le prince Henry de Bourbon, prince de Condé, était le père du Condé vainqueur de Rocroi (voir Historiettes, t. 1, p. 1074, notes 4 et 6). 229

238 pouvant parfois découler d une veine égrillarde associée à une paillardise allègre héritée de Rabelais 870. Cette écriture ludique se retrouve dans l historiette consacrée à Boisrobert : Il [Boisrobert] se vanta à luy-mesme et à d autres d une chose encore plus ridicule : «Croiriez-vous», leur dit-il, «la gloire que j ay eue à mon âge. Le laquais de Mme de Piémont [ ] un des plus beaux garçons, m a foutu deux coups le cû», mais il avoit tort de se vanter car depuis, à la Victoire il eut besoin d un lavement. L Apothicaire eut assez de peine à faire entrer ce qu il falloit dans son cul tant il estoit estroit 871 Cette anecdote appartient plutôt à un registre comique. Tallemant ne semble pas dénigrer l homosexualité de Boisrobert, mais plutôt ses vantardises sexuelles. La manière dont le récit se termine (un bas corporel associé à un bas langagier) n est pas sans évoquer le discours rabelaisien. L écriture de l obscène est doublement subversive chez Tallemant. D une part, parce que les puristes au XVII ème siècle œuvrent pour débarrasser la langue de tout ce qui est «sale et impudique». La bassesse langagière devient associée à la bassesse sociale. Les hiérarchies des goûts classiques ont alors «une fonction sociale de légitimation des différences sociales» 872. Par comparaison, la dramaturgie classique qui triomphe alors repose sur des règles de bienséance et un sublime qui interdit toute mixité langagière ou sociale. Louis XIII lui-même interdit aux comédiens l usage «d aucune parole lascive ou à double entente» 873. François d Aubignac rappelle ainsi aux femmes qu il ne faut pas «proferer jamais la moindre parole qui ressente le libertinage, ni ces mauvaise maximes qui traduisent en raillerie la sainteté de la 870 Voir Alain Viala, La France galante, Paris, Presses Universitaires de France, p Historiettes, t. 1, p Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, Voir le Recueil général des anciennes lois françaises, par MM. Isambert et Taillandier, tome 16, Paris, Belin-Leprieur, septembre 1929, p. 537 (Loi N o 346 «A ces causes nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses, par ces présentes signées de notre main, à tous comédiens de représenter aucunes actions malhonnêtes ni d use d aucune paroles lascives ou à double entente qui puissent blesser l honnêteté publique, et ce sur peine d être déclarés infâmes et autres peines qu il y echerra»). 230

239 religion». Les femmes, écrit-il, «ont le droit de parler de beaucoup de choses qui dépendent de leur condition» mais elles doivent le faire «dans un langage qui ne choque pas la modestie» 874. Ainsi, pour esquiver cet interdit, un art poétique de la politesse se développe, qui se situe au croisement du canon esthétique et de la règle politique. Cet art repose sur un déguisement de l obscénité au moyen de trouvailles stylistiques, afin de «voil[er] les turpitudes des pensées de termes [ ] qui sont ou métaphoriques ou allégoriques» 875. La démarche de Tallemant fut, au contraire, de démasquer dans un registre obscène, non pas la débauche du peuple, mais celle des rois, des princes, ou des prélats. Sur le plan sémantique, «l étymon obscenus est l adjectif scaevus signifiant gauche, et de là sinistre» 876, mais le terme «obscène» connait des modifications au fil du temps. Obscenus est généralement traduit par sale ou deshonnête. Dans le Dictionnaire universel, «obscène» est «tout ce qui est impudique, lascif, deshonnete, soit en paroles soit en actions, ou en représentations». Furetière donne en exemple le Cabinet Satyrique, qui «sont plein de mots obscènes», ou les postures de l Arétin qui «sont fort obscènes» 877. L «obscénité» chez Richelet signifie aussi 874 François d Aubignac, Les conseils d Ariste à Celimène sur les moyens de conserver sa réputation, La Haye, Abraham Arondeus, 1687, p. 30, Chapelain est ici cité par Jean-Christophe Abramovici, Obscénité et classicisme, op.cit., p J. C. Abramovici explique comment cette réforme langagière évolua alors surtout au niveau du signifiant : «on proposa une mécanique des langues opposant à la spontanéité de l usage la logique rationnelle de la signification». Il cite Arnauld dans La logique ou l art de penser. Pour Arnauld, ce qui est obscène ce ne sont pas les idées ou les objets auxquels l écrivain fait référence, mais plutôt les mots qu il emploie pour les désigner : «Il arrive de là qu une même chose peut être exprimée honnêtement par un son, et déshonnêtement par un autre [ ] Ainsi les mots d adultère, d inceste, de péché abominable, ne sont pas infâmes, quoiqu ils représentent des actions très infâmes, parce qu ils ne les représentent que couvertes d un voile d horreur, qui fait qu on ne les regarde que comme des crimes; de sorte que ces mots signifient plutôt le crime de ces actions que les actions mêmes, au lieu qu il y a certains mots qui les expriment sans en donner l horreur, et plutôt comme plaisantes que comme criminelles, et qui y joignent même une idée d impudence et d effronterie, et ce sont ces motslà qu on appelle infâmes et déshonnêtes» (Arnauls, cité par J. C. Abramovivi, obscénité et classicisme, op.cit., p.250). 876 Jean-Christophe Abramovici, Obscénité et classicisme, op.cit., p A. Furetière, Le Dictionnaire universel, op.cit. t

240 «paroles sales, ordures», et il précise que «obscène» vient du latin obscenus qui veut dire «sale» 878. Tout le champ sémantique de la saleté sert à définir et expliquer tout ce qui ne rentre plus dans les normes esthétiques du temps. À propos des écrivains burlesques par exemple, Guez de Balzac écrit qu ils ne «font qu amasser toute la boue et toutes les ordures du mauvais langage, pour salir le papier blanc» 879. Dans la littérature libertine, l obscénité sert souvent de motif discursif, comme une marque de réprobation envers une certaine norme de pensée religieuse ou sociale 880. Signalons toutefois qu une des étymologies du terme obscène, qui continue à séduire de nombreux commentateurs et qui parait pertinente dans le contexte des Historiettes, serait dérivée de ob-scaena, ce qui est «hors-scène», et qui ne doit pas être représenté car il évoque tout ce qui est contraire aux règles de bienséance dans le théâtre classique : les scènes de violence ou de mort, le sang, qu on ne doit pas représenter sur la scène d un théâtre. Ainsi défini, l obscène serait la parodie ou le renversement du sublime 881. Dans les Historiettes, c est précisément ce hors-scène que Tallemant veut montrer, en une sorte de parodie de l écriture de l histoire, qu il réécrit pour démasquer, dénoncer ou simplement amuser le lecteur. 878 P. Richelet, Dictionnaire de la langue françoise, op.cit., t. 2. La définition du terme dans le Dictionnaire de l Académie se place au niveau de la réception : l obscénité est une «parole, image ou action qui blesse la pudeur» (Dictionnaire de l Académie, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1694, t. 2). 879 Cité par Jean-Christophe Abramovici, Obscénité et classicisme, op.cit., p Jean-Christophe Abramovici, Obscénité et classicisme, op.cit., p Aujourd hui on privilégie une autre explication pour Obscène qui dériverait alors de l étymon obscenus signifiant gauche, sinistre, éveillant la crainte ou blessant la pudeur 881 (voir Jean-Christophe Abramovici, Obscénité et classicisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 3). Soulignons aussi que la catégorie de l obscène dans le champ esthétique est apparu après la Renaissance, alors que les critères de jugement d une œuvre devenaient plus uniformes. Le contraste esthétique qui était admis au Moyen-Âge et à la Renaissance (mélange du sublime et de l obscène) commence à disparaitre après le procès de Théophile de Viau, pour faire place à un rapport antagoniste. Abramovici suggère qu en «s inspirant de la théorie freudienne de la sublimation [ ] se seraient définitivement dissociés, à l âge classique, excitation sexuelle et plaisir esthétique (ibid., p. 218). 232

241 2. L écriture de l obscénité qui défigure la personne du roi et des Grands La parole obscène, quand elle intègre un registre satirique, apparait «comme un dire public qui veut jeter l opprobre sur celui qu il vise» 882. Elle dévoile au public ce qui devrait rester caché, et ce «dévoilement brutal s accompagne de la sanction du rire» 883. Or souvent, dans les Historiettes, la parole obscène concerne les toutpuissants. Deux types de discours sur le mode épidictique illustrent le contraste entre l histoire officielle au XVII ème siècle et l historiette : l éloge d un côté et le blâme de l autre. Notre chapitre sur l écriture de l histoire au XVII ème siècle avait montré que l historiographe était un apologiste au service du pouvoir. Dans le discours officiel du XVII ème siècle, le roi est représenté comme un être presque surnaturel, presque divin : «Dans l histoire du roi, tout vit, tout marche, tout est en action [ ] C est un enchainement de faits merveilleux [ ], en un mot, le miracle suit de près un autre miracle» 884. Ce portrait est inversé dans les Historiettes. Tallemant ne représente pas le roi dans sa gloire incomparable, mais plutôt dans la lignée de l Hécube qui lave des couches dans Le Virgile travesti de Scarron. Henri IV est un cocu qui sent le gousset et Louis XIII est un bègue et un homosexuel. Les représentations d ordre sexuel qui vont à l encontre de la notion de pudeur sont nombreuses et souvent très imagées dans les historiettes d Henri IV, de Louis XIII et d autres membres de la famille royale Pascal Debailly souligne que selon Cicéron, l obscénité est «ce qu il n est pas honteux de faire, du moins en secret, il est obscène de le dire» F. Dupont et T. Éloi, L érotisme masculin dans la Rome antique, cités par Pascal Debailly, «L éthos du poète satirique», Bulletin de l Association d étude sur l humanisme, la réforme et la renaissance, n o 57, 2003, pp P. Debailly, Ibid. 884 Racine, «Discours à l Académie française du 2 janvier 1685, cité par Chantal Grell dans Les historiographes, op.cit., p Ce qui est obscène, c est ce qui «blesse délibérément la pudeur par des représentations d ordre sexuel» 885 selon Le Petit Robert. Sur la notion de «pudeur», Michèle Rosellini souligne qu au début 233

242 La première historiette s ouvre ainsi sur le portrait de Henri IV, et le récit commence par une conjonction de subordination : «Si ce prince fust né roy de France et roy paisible, apparemment ce n eust pas été un grand personnage; ils se fust noyé dans les voluptez, puisque malgré toutes ses traverses, il ne laissoit pas, pour suivre ses plaisirs, d abandonner ses plus importantes affaires» 886. Il s agit ici d une insinuation à multiples effets qui repose sur un double dénigrement : celui de la généalogie d Henri IV, qui ne descend pas des «vrais rois» (la lignée des Valois), mais aussi le dénigrement de ces rois de France qui ne sont pas «de grands personnages». De plus, l allusion laudative à la grandeur d Henri IV est annulée par le blâme qui l accompagne, représentant la figure d un roi négligeant les affaires du royaume pour son plaisir. Pour renforcer cette image, Tallemant ajoute une épigramme attribuée à Sigogne en bas de page : Ce grand Henry qui vouloit estre L effroy de l Espagnol hautain, Fuit aujourd huy devant un prestre Et suit le cû d une putain 887. Même lorsque Tallemant souligne la bravoure du roi, il le fait avec réserve, en complétant la louange par une anecdote qui l annule : «Quelque brave qu il fust, on dit que quand on luy venoit dire : Voylà les ennemis il luy prenoit toujours une espèce de dévoyment, et que tournant cela en raillerie il disoit : Je m en vais faire du XVII ème siècle, il s agit plutôt d honnêteté publique («la trace d une limite transgressée par le délit sexuel contre nature»). Elle rappelle que cette notion fut invoquée lors du procès de Théophile de Viau pour la publication de poésies obscènes et blasphématoires. Une atteinte à l honnêteté publique suppose à la fois un crime d impiété qui offense Dieu et un autre qui offense la société civile. Un peu plus tard, lors du procès des Contes de La Fontaine, on a dissocié les deux types d incrimination. L outrage à «l honnêteté publique» fut nommée «pudeur», terme qui n avait plus d implications religieuses (Voir l article de Michèle Rosellini, «Censure et honnêteté publique au XVII ème siècle : la fabrique de la pudeur comme émotion publique dans le champ littéraire», dans Littératures classiques, 1/2009 (n o 68), p ). Selon la définition d A. Furetière, pudeur «est une honte naturelle qu on a de faire quelque chose de deshonneste, ou de mauvais, et qui se témoigne par une rougeur qui monte au visage. La pudeur sied bien aux femmes, aux filles et aux enfans. On a du mépris pour ceux qui sont effrontez et sans pudeur. Il y a de la pudeur, de la honte, à avancer une telle proposition. Le Magistrat doit empêcher ce qui est contre la pudeur et l honnesteté publique». 886 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p

243 bon pour eux» 888. Les attributs qui font partie inhérente de la royauté comme la bravoure et le courage sont annulés 889. Le registre scatologique détrône le roi et le dépouille de son essence surnaturelle, quasi-divine. L historiette de Louis XIII s ouvre sur la nuit de noces du tout jeune roi, et par ces mots que Tallemant transcrit dans un style direct : «Gare, je m en vais bien luy pisser dans le corps. En effet on dit qu il n y fit que de l eau toute claire. Je m en étonne en cette jeunesse là où l on est toujours en état». Cette allusion porte sur la sexualité du roi alors adolescent et se fonde sur une rumeur («on dit»), tout en comportanr la marque d énonciation de l auteur qui exprime sa «surprise» au sujet de la virilité de Louis XIII. Ce type de propos à sous-entendus sexuels provoque généralement un rire méprisant, au même titre par exemple que le rire que susciterait le personnage du cocu. Tallemant évoque ensuite à plusieurs endroits l homosexualité, réelle ou présumée, de Louis XIII : «Il aima Barradas violemment; on l accusoit de faire cent ordures avec lui». Ensuite, ce fut M. de Cinq Mars qui «faisoit faire desbauche au Roy, [ ] qui l aimait éperdument» 890. Dans ce contexte, l écriture de l obscénité contraste avec l image du roi très chrétien de l histoire officielle. L homosexualité, qui dépense en vain la semence, répugne aux bien-pensants, ce territoire est scabreux et ces pratiques déviantes sont stigmatisées comme péché mortel 891. Michel Jeanneret, 888 Historiettes, t. 1, p. 14 (Dans les notes, A. Adam explique que «faire bon pour un autre» signifie se décharger le ventre). 889 Notons l éloge d Henri IV par Casaubon dans la préface de son édition de Polybe (en 1609) : Casaubon écrit que Henri IV a surpassé les héros de l Antiquité tels Hannibal, Pompée, Marc Antoine et beaucoup d autres, réputés pour leur bravoure. Nous nous apercevons alors à quel point ce registre se trouve renversé dans l anecdote de Tallemant. 890 Historiettes, t. 1, p Soulignons en passant que M. de Cinq-Mars fut accusé, avec François- Auguste de Thou, d avoir comploté avec les espagnols. Ils furent exécutés le 12 septembre Voir Michel Jeanneret, Éros rebelle, littérature et dissidence à l âge classique, Paris, Éditions du Seuil, p

244 qui évoque les poèmes libertins de Denis Sanguin de Saint-Pavin dont le thème principal est la sodomie 892, explique que ce «choix de Sodome» est le type de scandale rare et dangereux que le vrai libertin recherche. Ce choix est bien plus dissident que les péchés d adultère, et constitue l ultime insulte à la morale. La voie anale qui est attribuée à une possession diabolique, figure «parmi les transgressions des démons et des sorcières» 893. En accusant Louis XIII d homosexualité, Tallemant en donne une image de libertin impie et débauché et renverse l image d un roi trèschrétien. Le thème de l homosexualité se retrouve d ailleurs fréquemment dans les Historiettes. Ainsi, Boisrobert, qu on avait «accusé d aimer les pages» 894, Des Barreaux, qu on avait surnommé «la veuve de Théophile» 895, ou encore Mme d Aiguillon et Mme de Vigean, qui «s escrivaient les lettres les plus amoureuses du monde» 896. Dans l historiette sur le Prince Henri de Bourbon, Père du Grand Condé, à qui on reprochait sa sodomie 897, Tallemant rapporte une scène particulièrement obscène : Je connois un jeune garçon nommé Fayet à qui il arriva une plaisante aventure avec feu M. le Prince à Essonne, [ ]. M. le Prince le mène insensiblement dans la chambre [ ]. Ils n y furent pas plustost que tous ses gens se retirent. Ils estoient faits à cela. Continuant d interroger ce garçon, [ ] il luy met la main dans les chausses et luy dit : sans doute vous avez bien «branlé la pique» (il pouvait avoir quinze ans au plus). Il prend le catze de l escollier et trouvant qu il n estoit pas en estat : Quoy, vous n arsez pas lui dit-il. 892 Denis Sanguin de Saint-Pavin, né en 1595, était un homme d Église connu pour son esprit, mais aussi pour la légèreté de ses mœurs et son incrédulité. Il fréquentait Ninon de Lenclos et Marion de Lorme, mais aussi Mme de Sévigné et Mme de Rambouillet. Tallemant devait le connaitre puisqu il fréquentait aussi ce milieu. Il en parle dans l historiette du Président Le Cogneux : «Saint-Pavin s avisa de cajoller la presidente le Cogneux. Le president luy dit : Escoutez, fait comme vous estes (il est bossu devant et derrière), vous ne ferez que l eschauffer et quelque blondin la f. sous vostre moustache comme sous la mienne» (Historiettes, t. 2, p. 8). 893 Michel Jeanneret, Éros rebelle, op.cit., p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 2, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p. 417 (Tallemant ajoute que le prince était aussi «grand masturbateur»). 236

245 Monseigneur, répond cet innocent, c est le respect qui m en empêche - J arse, moy, reprit le bonhomme, et ensuite il se fit prendre son engin, et enseigne à ce novice à bransler de la main gauche, et à frotter les reins de la droitte 898. Tallemant, qui connait le garçon, ne spécifie pas si c est de lui directement qu il tient tous les détails qu il rapporte. Il s agit d un jeune adolescent, un «novice [.] qui pouvoit avoir quinze ans tout au plus». L effet de l anecdote est amplifié par le jeune âge du garçon 899 (que Tallemant prend la peine de souligner à plusieurs reprises dans le texte : «jeune garçon», «escollier», «innocent»), ainsi que par sa timidité envers le personnage du prince qui devait probablement l impressionner. De plus, Tallemant utilise le discours direct, ainsi ce sont les paroles obscènes du prince que le lecteur «entend». Soulignons aussi l emploi de l adjectif dans la première phrase : «plaisante (aventure)». Le dictionnaire de Furetière donne les trois définitions suivantes : la première définition de plaisant sa rapporte à ce «qui plait, qui fait rire». Dans la deuxième définition, l adjectif est synonyme de «bouffon, celuy qui affecte de faire rire. Dans les Comédies il y a toujours un plaisant». Enfin plaisant «ce dit quelque fois par injure, ou reproche» 900. Il est probable que Tallemant ait employé cet adjectif par ironie 901, ou bien a-t-il sciemment voulu jouer sur les différents registres? En tous les cas, il condamne les mœurs du Prince dont les «vilainies» ne se comptent pas 902. rabelaisien : L obscénité sexuelle s accompagne souvent de scatologie, rappelant l univers 898 Ibid., p Tallemant prend la peine de souligner la jeunesse du garçcon à plusieurs reprises : ainsi, il s agit d un «jeune garçon», d un «escollier», un «innocent» (Ibid., p. 418). 900 A. Furetière, Dictionnaire universel, op.cit. 901 Dans la terminologie de la rhétorique, l ironie est définie comme «une figure par laquelle on veut faire enendre le contraire de ce qu on dit» (voir Le dictionnaire du littéraire, sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 320). 902 Historiettes, t. 1, p

246 Autrefois, quand c était à la mode de jouer à l Abbé 903, Monsieur le Prince a fait des ordures épouvantables. Il fit manger une fricassée de toutes sortes de fruits dont il mangea le premier, puis du dégobillis d ivrogne dans la poisle, et des apprêtes trempées dans un aposthume 904 de cheval [ ]. En une desbauche il passa tout nû à cheval par les rues de Sens, en plein midy, avec je ne sçay combien d autres nûs aussy 905. On se trouve ici dans un espace de jeu carnavalesque, dans lequel le prince de sang royal joue le rôle d un abbé qui est lui-même grotesque 906. Bakhtine rappelle que les excréments faisaient partie du rituel de la fête des sots durant laquelle un faux évêque se servait d excréments à la place de l encens. L emploi d excréments était connu dans la littérature antique, comme dans les fragments du drame satirique d Eschyle, Les ramasseurs d os ou encore dans Le Banquet des Achéens de Sophocle. Plus tard, on retrouve ce type de registre chez Rabelais. Ainsi, cette image de Gargantua entouré de badauds curieux, et qui «destacha sa belle braguette, et, tirant sa mentule en l air, les compissa si aigrement qu il en noya deux cens soixante mille quatre cens dix et huyt, sans les femmes et petis enfants» 907. Il s agit principalement de gestes comiques traditionnels, auxquels correspond «un rabaissement topographique littéral», c est-à-dire un rapprochement du bas corporel, qui est la zone des organes génitaux D après A. Adam, ce jeu consistait à faire tout ce qu ordonnait «monsieur l abbé» (Historiettes, t. 1, p. 1075, n. 1). 904 Aposthume ou encore apostume signifie une «tumeur contre nature. Enflure causée par quelque humeur corrompue qui aboutit souvent à une suppuration Les medecins comptent entre les apostumes les vrais phlegmons qui viennent des parties charneuses, les froncles, les pustules, la lepre, gangrene, scrofule» (A Furetière, Dictionnaire universel, op.cit.). 905 Historiettes, t. 1, p Bakhtine souligne qu au XVII ème siècle, les personnages de Rabelais deviennent les héros de fêtes de cour et des mascarades. Le grotesque et l obscène, qui sont liés à la culture comique, revêtent au XVIIème siècle un caractère oppositionnel. Bakhtine estime que l imagerie carnavalesque et rabelaisienne serait suscitée par l état d esprit de l aristocratie frondeuse. Notons aussi que (Mikhaïl Bakhtine, L oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, p. 109). 907 François Rabelais, Gargantua, Paris, P. Chéron, 1876, p Mikhaïl Bakhtine, L œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, op.cit. p

247 Toutefois, l historiette du prince Henri de Bourbon s écarte un peu du schéma rabelaisien. Ici, les excréments expulsés sont réintroduits comme nourriture. On sait que les images de banquet sont très fréquentes chez Rabelais, toutefois, même si elles sont mêlées à celles du corps grotesque, elles restent associées à une imagerie joyeuse, et reflètent une étroite symbiose entre l homme et son univers : «L homme déguste le monde, sent le goût du monde, l introduit dans son corps, en fait une partie de soi» 909. Or, l historiette de Tallemant fonctionne encore sur une esthétique du renversement, puisqu on mange ce qui a déjà été rejeté, on ingurgite l abject, notion qui se trouve renforcée par l image des «apprestes» trempés dans l abcès d un cheval 910. Tallemant raconte aussi que le prince eut une espèce de scorbut aux lèvres qui venait d une «chaude-pisse rentrée». Cette image relève d un registre de la déchéance, du corps pourri par la débauche, que Théophile de Viau, ou encore Charles de Sigogne avaient déjà illustrés dans leurs recueils 911. En définitive, la promenade du prince et de ses amis tout nus à cheval achève de plonger le lecteur dans un univers carnavalesque, où le Prince joue le rôle du fou. Le but du satiriste est de mettre les hommes à nu, et dans cette posture, Henri de Bourbon est nu au sens propre comme au figuré. Le but de l auteur satirique est de mettre les hommes à nu puisque «les hommes nus se ressemblent étrangement» Ibid., p À ce sujet, notons les exploits qu accomplit Pantagruel au berceau : «certain jour, vers le matin, qu on volait le faire téter une de ses vaches, [ ], il prit ladite vache par-dessous le jarret, et lui mangea les deux tétins et la moitié du ventre, avec le foie et les rognons» (Voir François Rabelais, Œuvres, Paris, P. Jannet, 1858, P. 194). 910 L étymologie de «abject» serait abjectus qui vient d abjicere ce qui signifie placer ou jeter dehors. Michel Jeanneret souligne que «l idéologie des rebelles repose sur les mêmes hantises que les phobies des dévots : le corps est impur, le sexe est sale, ils trahissent notre déchéance» (M. Jeanneret. Éros rebelle, op. cit., p. 158). 911 Phyllis, tout est foutu/je meurs de la Verolle [ ]/Un ulcère puant a gaste ma parole/j ay sue trente jours, j ay vomi de la colle (sonnet attribué à Théophile de Viau, voir Le Parnasse des poètes satyriques, Paris, Claudin, 1861, p. 7). 912 Mathew Hodgart, La satire, [traduit par Pierre Frédérix], Paris, Hachette, 1969, p

248 Souvent, le langage ou le comportement obscène font rire 913. Tallemant associe souvent ces deux composantes. Ainsi, l anagramme de Jean-François de Gondy, qui a «toujours vescu licencieusement» était «O engin friand de con» 914. La reine Marguerite de Valois était «encline à la galanterie», écrit Tallemant. Son portrait physique n est pas flatteur et même si Tallemant concède qu elle fut belle en sa jeunesse, il émet quelques réserves : «elle avoit les joües un peu pendantes et le visage un peu trop long» 915. De plus, elle «devint horriblement grosse» et elle «avoit esté chauve de bonne heure» 916, Le portrait est donc à la limite du grotesque, et à nouveau, on retrouve le registre scatologique dans l anecdote sur un gentilhomme éperdument amoureux de la Reine Marguerite. Cette dernière exige comme preuve de son amour de prendre du poison, le malheureux acquiesce mais lui demande seulement la permission de mourir à ses pieds. Tallemant raconte que la reine lui fit préparer une médecine laxative qu il avale pensant qu il s agit du poison. Elle l enferme alors dans un cabinet lui promettant de revenir pour le voir expier. Deux heures plus tard, quand on vint lui ouvrir, «personne ne pouvait durer autour de lui» 917. Alors qu il pensait mourir en héros de roman courtois, le jeune homme devient héros de farce. Cette «atmosphère de chaise percée» 918 qui va de la farce rabelaisienne à une licence plus glauque et beaucoup moins joyeuse se retrouve partout dans les Historiettes. Henri IV pue comme une charogne, Monsieur de Bouillon, ivre, «desgobille» sur la gorge de la reine Marguerite, le cardinal du Perron «raporta la 913 Voir Umberto Eco, Histoire de la laideur [traduit de l italien par Myriem Bouzaher], Paris, Flammarion, p Il s agit ici de l oncle du cardinal de Retz (Historiettes, t. 2, p. 37) 915 Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p Historiettes, t. 1, p L expression est de Michel Jeanneret, dans Éros rebelle, op.cit. p

249 verolle de Rome et en mourut», M. de Sully, après avoir fessé sa fille, «luy mit le doigt où vous sçavez, et se l estant porté au nez : Vertudieu! Dit-il, qu il sera fin!», Madame de Verneuil, une fois délaissée par Henri IV, «se mit à faire une vie de Sardanapale ou de Vitellius : elle ne songeait qu à la mangeaille, qu à des ragoust, et voulaist même avoir son pot dans sa chambre» 919. Cette image de Mme de Verneuil, comparée à Sardanapale et Vitellius est une figure orgiaque versant dans les excès et la débauche. Tous ces personnages rabaissées et défigurés ne sont pas loin de ressembler aux images fictives évoquées dans les poésies libertines ou obscènes du Cabinet Satyrique, sauf que les Historiettes restent malgré tout une œuvre référentielle. Vue sous cet angle, l approche de Tallemant est beaucoup plus subversive que celle des poètes satyriques qui écrivaient sous le voile de la fiction. Pierre Bourdieu avait démontré que les arts poétiques durant la période classique tendaient à exclure le peuple ou du moins à s en servir comme «point de référence négatif par rapport auquel se définissent, de négation en négation, toutes les esthétiques» 920. Il y a un retournement à cette approche dans les Historiettes, puisque la débauche et l obscénité est plutôt l apanage des rois, des princes et princesses ou des prélats. Les portraits des courtisanes célèbres comme Ninon de L Enclos ou de Marion de L orme sont presque chastes par rapport aux portraits des femmes de l aristocratie. De Ninon, il dit que «durant sa passion personne ne la voyait que celuy-là» 921. Une autre courtisane célèbre, Marion de L orme, semble avoir imposé le respect. Tallemant raconte que lorsqu elle fut solliciter le président de Mesme pour 919 Historiettes, t. 1, p Pierre Bourdieu, cité par J. C. Abramovici, op.cit., p Historiettes, t. 2, p En revanche, l historiette de Ninon relèverait d un registre de libertinage religieux. Tallemant rapporte une conversation durant laquelle Ninon lui aurait avoué que «les religions n estoient que des imaginations et qu il n y avait rien de vrai à tout cela» (Historiettes, p. 441). 241

250 faire sortir son frère de prison, celui-ci la reconduisit jusqu à la porte. Une autre qui aurait fait comme elle «auroit déshonoré sa famille» 922. En définitive, le registre de l obscénité dans les Historiettes est une forme de polémique qui vise à rabaisser les rois et les grands, et de les ramener au même niveau que le peuple. Cette rhétorique du mépris est caractéristique du genre satirique et, comme nous l avons montré, elle s articule autour d une forme descriptive (avec les portraits caricaturaux et parfois à la limite du grotesque) et d une forme narrative du récit carnavalesque qui provoque un rire d exclusion 923. En ce faisant, Tallemant a probablement l impression qu il les dépouille de la puissance qu ils détiennent. 922 Historiettes, t. 2, p Voir Marc Angenot, La parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982, p. 36. M. Angenot cite G. Bernanos (Liberté) qui écrit : «Tout ce qui est inhumain prête à rire», et conclut qu ainsi, le satirique prouve que l adversaire s est coupé de l humain. 242

251 Conclusion I. Tallemant, «homme de lettres malgré lui» 924? : Les textes, les livres, les discours ont commencé à avoir réellement des auteurs (autres que des personnages mythiques, autres que de grandes figures sacrées et sacralisantes) dans la mesure où l auteur pouvait être puni, c est-à-dire dans la mesure où les discours pouvaient être transgressifs 925 Au terme de ce travail de recherche, une question se pose encore, à laquelle il n y a peut-être pas de réponse : pourquoi est-ce que ce mondain épris de belles lettres, cet Amadis fou de romans de chevalerie 926, décida-t-il un jour de scruter les mœurs de son temps et de les consigner par écrit sous une forme anecdotique? Alors que les modèles héroïques de Tallemant se meuvent dans la fiction, ses personnages historiques, eux, évoluent dans une réalité antithétique à ce monde de héros. Témoin vivant d un «Grand-Siècle», il choisit d en raconter la face obscure. Tallemant aurait-il approuvé la publication de ses Historiettes? Destinait-il son travail à la postérité? Son pacte de lecture n allait pas dans ce sens 927. Dans la conclusion des Silences de l histoire, F. Charbonneau souligne le paradoxe des auteurs de Mémoires comme le cardinal de Retz : «Qu aujourd hui nous lisions les Mémoires du cardinal de Retz comme un classique n y change rien, leur auteur n était écrivain ni aux yeux des contemporains ni aux siens propres [ ] Les mémorialistes du XVII ème siècle qui 924 Cette expression que nous empruntons à Frédéric Charbonneau semble particulièrement être valable dans le cas de Tallemant (voir Les silences de l histoire, op.cit., p. 227). 925 Michel Foucault, Dits et écrits, , Paris, Gallimard 1994, p Dans le chapitre qui s intitule «Les amours de l autheur», Tallemant écrit : «On m appeloit [Chevalier], à cause que j estois fou de l Amadis» (Historiettes, t. 2, p Rappelons ici ce pacte de lecture qui se trouve dans le préambule des Historiettes : Ce sont de «petits mémoires qui n ont aucune liaison les unes avec les autres» et dans lesquels l auteur prétend «dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité». Il s agit de choses «à ne pas mettre en lumière», destiné aux seuls «amis» (Historiettes, t. 1, p. 1). 243

252 figurent dans nos collections littéraires y sont pour la plupart à leur corps défendant : la forme qu ils adoptèrent, ils la voulurent d abord antithétique de la littérature, de l Histoire en beau style» 928. Les mémorialistes, contrairement aux historiographes payés par le pouvoir et accusés de partialité, prétendent rectifier la vérité «dévoyée par les rhéteurs de cour» et, pour affirmer leur indépendance, adoptent un style dépouillé qui tranche avec l ars historica des historiens de métier. Toutefois, malgré le mépris que ces mémorialistes éprouvaient envers les hommes de lettres devenus historiens, le genre des Mémoires est progressivement devenu littéraire. Il en est de même pour les Historiettes, qui sont considérées aujourd hui comme une œuvre littéraire 929. À l instar des mémorialistes, Tallemant a voulu créer une œuvre qui entretienne une relation antithétique à la fois avec l histoire et avec la littérature. Toutefois, l auteur des Historiettes va plus loin. Alors que son siècle fut celui d une intensification doctrinale caractérisée par une prolifération d ouvrages qui tentent de codifier le discours historique, il entreprend, avant Varillas, l écriture d une histoire qualifiée d anecdotique, qui sert «à définir par négation la véritable Histoire» 930. Or, l auteur d anecdotes, contrairement peut-être à une perception un peu hâtive, ne rapporte pas des petits faits cocasses et isolés, mais au contraire, il intègre ses anecdotes dans le canevas des événements majeurs. Par exemple, l anecdote qui montre Louis XIII au siège de Montauban (en août 1621), qui servait à illustrer la cruauté de Louis XIII envers les blessés huguenots, s insère dans le cadre 928 Frédéric Charbonneau, Les silences de l histoire, op.cit., p Marc Fumaroli qualifie les Historiettes de «chef-d œuvre littéraire, dont la forme éclatée, la langue drue, la manière cocasse et singulière rompt, plus violemment que le Roman comique de Scarron luimême, avec le moule narratif traditionnel du récit et avec la prose académique» (voir Le poète et le roi, op.cit., p. 137) 930 Steve Uomini, Cultures historiques, op.cit., p Rappelons encore une fois la définition de «Anecdotes» par Furetière : «terme dont se servent Quelques Historiens pour intituler les Histoires qu ils font des affaires secrètes & cachées des Princes, c est-à-dire des Mémoires qui n ont point paru au jour, & qui n y devroient point paroistre» (A. Furetière, Dictionnaire universel, op.cit.). 244

253 historique du siège de la Rochelle. Nous sommes au mois d Août, et l image des blessés, mourants et dévorés par les mouches, évoque un tableau de Goya ou de Bosch. Le portrait d un roi sans pitié devant une telle horreur est insoutenable et altère la perspective du lecteur au sujet de celui qu on appelle «Louis le juste». Il ne s agit plus ici de lutte noble contre l hérésie 931, ou d héroïsme royal 932 mais de la représentation d un roi qui manque de magnanimité et de compassion. La version de Tallemant reflète-t-elle la réalité? Quelle réalité? Comme on l a vu, l anecdote entretient un soupçon d affabulation, et même si Tallemant s était engagé à «dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité» 933, son choix d écrire des «historiettes» signifie aussi qu il s engageait dans un genre littéraire qui se prête à une écriture parodique et satirique de l histoire, à l opposé de la représentation héroïque que l histoire officielle donnait des hommes de pouvoir 934. Selon F. Charbonneau, l auteur de Mémoires «est d autant plus tenté par la littérature qu il est plus empêché d agir pour tout de bon» 935. Le mémorialiste, écarté de la sphère publique, va produire des textes en marge de la doxa, «écartelés entre protestation et résignation» 936. Mais Tallemant n est pas dans cette situation. C est un mondain lettré qui fréquente les salons et les hommes de lettres. Il tient plutôt de 931 Jean-Christian Petitfils décrit un Louis XIII qui essaie de calmer le prince de Condé pressé d attaquer les huguenots : «Louis XIII répétait que seules les voies de douceur, d amour et de patience devaient servir à la conversion des hérétiques et les ramener dans la vraie foi» (Jean-Christian Petitfils, Louis XIII, Paris, Perrin, 2008, p. 419). 932 Malherbe avait écrit une ode pour Louis XIII : l «Ode pour le roi allant châtier la rébellion des Rochelois et chasser les Anglais qui en leur faveur étaient descendus en l ile de Ré» (Jean-Christian Petitfils, Louis XIII, Paris, Perrin, p. 429). Le premier quatrain se lit comme suit : Donc un nouveau labeur à tes armes s apprête/prends ta foudre, Louis, et va comme un lion/donner le dernier coup à la dernière tête/de la rébellion (voir les Œuvres de Malherbe [recueillies et annotées par M. L. Lalanne], Paris, Librairie Hachette, 1862, p. 277). 933 Historiettes, t. 1, p Dans les genres tels les Mémoires, les anecdotes ou histoires secrètes, et dans les genres de fiction comme la nouvelle galante, ce sont les passions privées ou les petites causes qui sont rapportées. Selon B. Guion, ce déplacement vers le privé qui ne s effectue pas dans l histoire proprement dite, mais dans ces genres connexes, «aboutit à l ébranlement de l héroïsme» (Ibid.). 935 F. Charbonneau, Les silences de l histoire, op.cit., p Ibid., p

254 Diogène «procédant avec sa lanterne, et projetant sur l humanité des lueurs éparses, saisies fragmentaires qui permettent [ ] d examiner les individus» 937, ou encore d Horace qui dépeint la comédie humaine avec «un détachement amusé» 938. Son discours s inscrit surtout dans une satire discursive 939, qui jette un «regard entomologique», méprisant ou apitoyé, sur les personnages qu il décrit. Le mode de narration à la troisième personne crée une distanciation entre le narrateur et son discours. La forme du portrait qu il peint parfois en tableaux grotesques 940, ainsi que le registre obscène qui rabaisse ceux qu il représente, sont caractéristiques de la satire, et contribuent également à cette distanciation. Même dans les chapitres les plus autobiographiques, le regard semble éloigné et le pathos presque inexistant, le jugement qu il peut porter est fait avec mesure et sans passion 941. Souvent dans ces historiettes «familiales» Tallemant ne prend même pas la peine de spécifier le degré de parenté. Ainsi, il présente son frère l abbé Tallemant 942 sur un ton neutre, et comme «un garçon qui a de l esprit et des lettres». On croirait qu il s agit d un étranger. Une autre historiette sur un cousin germain qui se nomme aussi Gédéon Tallemant commence par un état de sa situation financière : «Tallemant a eu de 937 Louis Van Delft, Les spectateurs de la vie, généalogie du regard moraliste, Paris, Hermann, 2013, p M. Hodgart, La satire, op.cit., p La satire étant un type de discours agonique qui est souvent à l opposé de la polémique : Dans le contexte de la satire, le narrateur est détaché et porte un regard plutôt apitoyé ou méprisant sur le système antagoniste. M. Angenot parle d une rhétorique du mépris (Voir Marc Angenot, La parole pamphlétaire, typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1995, p. 36). Un exemple de ce type de discours serait le fameux Dubiœ nobilitatis qui revient fréquemment sous la plume de Tallemant pour dénigrer la naissance de ses personnages. 940 Comme la Reyne Marguerite qui devint «horriblement grosse», qui «avoit esté chauve de bonne heure», et pour cela, «avoit de grands valets-de-pié blonds que l on tondait de temps en temps» (Historiettes, t. 1, p. 60). 941 Dans l historiette du prince Henry de Bourbon par exemple, personnage particulièrement débauché, Tallemant écrit : «On n auroit jamais fait si on vouloit conter toutes ses vilainies» (Historiettes, t. 1, p. 418). 942 Il s agit de l abbé François Tallemant, né en Il est le frère consanguin de l auteur des Historiettes. Il s était converti au catholicisme vers 1639 ou 1640 (Historiettes, t. 2, p. 568). 246

255 patrimoine au moins cinq cent mille livres» 943. L auteur enchaine sur son père «trézorier de Navarre», sans spécifier qu il s agit de son oncle. Nous avons affaire à un observateur neutre, qui scrute ses sujets pour en étudier les comportements. II. Tallemant, «le spectateur de la vie» 944 Pythagore divisait la foule en trois catégories : les uns étaient venus pour vendre, les autres pour acheter. Il disait que ceux-ci, comme ceux-là étaient inquiets, malheureux; d autres ne venaient sur la place que pour regarder [ ] ce qui se passait. Eux seuls étaient heureux [ ] Et le philosophe, disait-il est dans une quatrième catégorie d hommes qui rôdent, sans acheter ni vendre, et ne regardent pas en oisifs, mais en observateurs préoccupés de découvrir sur quoi ils pourraient faire main basse 945. Dans notre chapitre sur les digressions (III.3.3), nous avions souligné que les Historiettes, malgré leur aspect discontinu, n en présentaient pas moins une cohésion narrative. Même si le discours fragmenté et les digressions fréquentes créent un effet d éclatement et de fracture, ces parcelles de discours (la microstructure) s organisent en une mosaïque (ou macrostructure) qui font que chaque petite anecdote ne s éclaire que par rapport à l ensemble des anecdotes sur le personnage, et chacun de ces portraits ne se complète que par rapport aux autres. Ce va-et-vient entre le tout et la partie conduit le lecteur à appréhender non plus chaque personnage dans son individualité, mais plutôt dans son universalité 946. Pour Tallemant, cet éclatement reflète non seulement celui de la société dans laquelle il évolue, mais aussi celui de 943 Historiettes, t. 2, p L expression est empruntée à L. Van Delft. 945 Érasme, «Le banquet des conteurs» [Convivium fabulosum], cité par Louis Van Delft, Les spectateurs de la vie, op.cit., p L. Van Delft compare le fragment à un atome, et rappelle qu on ne peut pas expliquer l atome «sans se référer à l univers tout entier, à la matière» (Les Spectateurs de la vie, op.cit., p. 206). 247

256 son propre entourage: éclatement religieux, éclatement politique et social et éclatement culturel 947. À l instar de Montaigne qui notait ses pensées dans le désordre, pour ne pas introduire une artificialité excessive dans l observation du moi, de même Tallemant écrit d un jet, une idée ou un événement en rappelant un autre, sans intervenir dans le texte, pour ne pas en altérer la représentation. Son entreprise évoquerait celle d un metteur en scène qui essaie, avec sa caméra, d embrasser chaque petit événement d une scène, sans faire de commentaires, pour permettre au spectateur d appréhender le tout. Il n est évidemment pas question ici de comparer la démarche de Montaigne à celle de Tallemant. Le sujet des Essais, c est leur narrateur, alors que les Historiettes proposent un tableau d une population extrêmement diverse. Toutefois, cette population dans son ensemble, c est la nature humaine fragmentée mais qui n en est pas moins une, c est une «logique du vivant» qui est disséquée et appréhendée dans ses multiples manifestations. L. Van Delft estime que la vision chez La Fontaine «plus en surplomb, elle est toute à hauteur d homme» 948. Il en est de même pour Tallemant, même si l éclairage est parfois plus sombre. Alors que La Fontaine offre au lecteur une voie pour accéder à une certaine sagesse, Tallemant lui laisse le texte ouvert 949. Ceci est particulièrement 947 L analyse de L. Van Delft se penche sur ces multiples facteurs : sur le plan religieux, l unité chrétienne se fracture avec les guerres de religion, la Réforme, la Contre-Réforme. La culture éclat et «se diffracte» en culture savante et mondaine. Enfin, les révolutions scientifiques de l âge classique contribuent aussi à remettre en question l imago mundi qui prévalait jusqu alors (Les spectateurs de la vie, op. cit. p. 208). Notons que dans la propre famille de Tallemant, on retrouve aussi cette fracture sur le plan religieux (des membres de sa famille, dont son frère et sa propre épouse se convertissent au catholicisme) et sur le plan culturel (lui-même rompt avec la tradition familiale, et décide suivre ses penchants pour la littérature). 948 Louis Van Delft, Les spectateurs de la vie, op.cit., p L. Van Delft suggère qu il y a «une concomitance entre la fortune du fragment, la structure disloquée au plan de l écriture, [ ] avec l éclatement du monde clos, l ouverture de l univers» (Ibid., p. 211). 248

257 frappant en ce qui concerne les anecdotes qui traitent de religion. Alors que le texte prend racine dans un siècle où la religion est à la fois omniprésente et source de conflits, Tallemant ne semble jamais prendre position. Il se contente par exemple de décrire les conflits entre jésuites et jansénistes 950, ou encore, sur un ton moqueur, il dénigre toute forme de superstition religieuse 951, et se montre tout aussi ironique envers certains libertins qui décident de se convertir lorsqu ils arrivent à l article de la mort 952. Dans l historiette de Ninon de Lenclos déjà évoquée, il rapporte les mots de la courtisane qui «vit bien que les religions n estoient que des imaginations, et qu il n y avoit rien de vray à tout cela». Tallemant ne s indigne pas, il n approuve ni ne réfute, et, encore une fois, l interprétation reste celle du lecteur. A priori, la réponse à la question «Tallemant est-il un auteur moraliste» serait négative si on se réfère à la définition de Furetière : «Auteur qui écrit, qui traite de morale» 953. Tallemant est un «spectateur de la vie des autres hommes» qui, à l instar de La Bruyère, «use ses esprits à en démêler le vice et le ridicule» 954, mais avec plus de légèreté et de détachement. L. Van Delft écrit que La Bruyère c est Héraclite qui voudrait être Démocrite. Tallemant, lui, est indéniablement Démocrite, à qui Hippocrate demanda un jour: «Ne penses-tu pas extravaguer quand tu ris de la mort 950 Voir par exemple la petite historiette qui explique le jansénisme : «Voicy l origine de cette secte qu on appelle les janssénistes, et qui fait aujourd hui tant de bruit. La marquise de Sablé dit un jour à la princesse de Guiméné, qu aller au bal, avoir la gorge descouverte et communier souvent, ne s accordoient guères bien ensemble; et la Princesse lui ayant respondu que son directeur, le père Nouet jesuite, le trouvoit bon, la Marquise la pria de luy faire mettre cela par escrit, après luy avoir promis de ne le monstrer à personne. L autre le luy apporta; mais la Marquise le montra à Arnaut, qui fit sur cela le livre de la Frequente Communion (Historiettes, t. 1, p. 512). 951 Plusieurs anecdotes traitent de superstition. Dans une historiette, il raconte qu une nuit, M. D Andilly entend souffler; il se resveille et met la main dans ses cheveux; le voylà qui croit aussytost que le diable le venoit tenter, comme si le diable n avoit que cela à faire» (Historiettes, t. 1, p. 511). 952 Des Barreaux, écrit Tallemant «a toujours esté impie ou libertin, car bien souvent ce n est que pour faire le bon compagnon. Il le fit bien voir en une grande maladie qu il eut : car il fit fort le sot et baisa bien des reliques» (Historiettes, t. 2, p. 30). 953 A. Furetière, Dictionnaire universel, op.cit. 954 Jean de La Bruyère, «Des ouvrages de l esprit», Moralistes français, Pensées de Blaise Pascal, réflexions et maximes de La Rochefoucauld, Caractères de La Bruyère, Œuvres complètes de Vauvenargues, Paris, Firmin Didot frères, 1858, P

258 d un homme, de la maladie, du dérangement d esprit, de la folie, de la mélancolie, du meurtre, voire des choses pires encore? Ou, inversement, des panégyries, des enfantements, des mystères, des magistratures, des honneurs, de tout autre bien? Car tu ris de ce que tu déplores ce qui devrait réjouir; de sorte qu entre le bien et le mal, il n y a plus pour toi de distinction», ce à quoi Démocrite répliqua : «Je ris d un unique objet, l homme plein de déraison, vide d œuvres droites, puéril en tous ses projets [ ] Je tourne leurs échecs en dérision, j éclate de rire sur leurs infortunes, car ils transgressent les lois de la vérité» 955. Cet homme, celui de Démocrite, comme celui de Tallemant, est universel et intemporel. III. Les Historiettes, une œuvre ouverte Nous avons voulu démontrer que, dans les Historiettes, le discours historique est narré sur le mode anecdotique, et que ces deux modes discursifs, même s ils semblent antinomiques, se complètent et s enrichissent mutuellement. Tallemant n a pas trahi l histoire, il a simplement choisi de l examiner au microscope, sous un angle particulier, et par petites tranches 956. L optique qu il nous offre est à la fois ludique et instructive, elle rejoint le credo classique qui vise à la fois l objectif de plaire (delectare) et celui d instruire (docere). Il y ajoute sa verve de conteur et les trames narratives, même si elles sont ancrées dans le réel, prennent des tournures parfois romanesques, ou rocambolesques. D autres s inspirent d un répertoire tragique : viols, incestes, crimes, sorcellerie. Le narrateur lui reste détaché, il ne cherche ni à enseigner 955 Hippocrate, Sur le rire et la folie, [Préface, traduction et notes d Yves Hersant], Paris, éditions Rivages, 1989, p D après Michel Jeanneret, les anecdotes fonctionnent comme synecdoques : «elles substituent les parties au tout, elles réduisent une existence à la somme aléatoire et incomplète de moments discrets» (Tallemant des Réaux, Historiettes, [choix et présentation de Michel Jeanneret], Gallimard, 2013, p. 25). 250

259 ni à prouver. C est au lecteur de faire ce travail, à sa guise, en explorant et en jugeant cet univers présenté comme un matériel brut. K. Abiven souligne que «la figure de l anecdotier qu est Tallemant est parfois perçue aujourd hui comme celle d un auteur étonamment moderne» 957, et cite L.-F. Céline, qui le rangeait parmi les auteurs cyniques, parce qu il n hésitait pas à raconter les vérités les plus déplaisantes. Ce jugement nous semble plutôt excessif, d autant plus que Tallemant n écrivait pas pour publier. Toutefois, on peut comprendre la fascination de Céline pour Tallemant. L histoire secrète qui alimente l anecdote, ainsi que son registre obscène et scatologique, lui confère un pouvoir transgressif qui résonne chez des auteurs comme Céline 958. Dans ses écrits, on retrouve des registres qui ressemblent à ceux qui se trouvent dans les Historiettes 959. En tous les cas, les Historiettes n ont certainement pas livré tous leurs secrets. Il existe peut-être encore des manuscrits de Tallemant ou de ses contemporains qui n ont pas été découverts 960, qui jetteraient un éclairage différent sur les Historiettes Karine Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit., p Karine Abiven, L anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, op.cit., p Le récit célinien «est un récit de la douleur et de l horreur [ ] parce que toute la position narrative semble commandée par la nécessité de traverser l abjection dont la douleur est le côté intime, et l horreur le visage public» (Julia Kristeva, Pouvoirs de l horreur, essai sur l abjection, Paris, Éditions du Seuil, p. 165). On ne peut pas affirmer que la narration de Tallemant obéisse à ces mêmes critères, toutefois, chez l un comme chez l autre, le corps est «renvoyé du fond des tripes» et la scatologie est banalisée. Comparons par exemple les râles de Titus dans Guignol s band : «Il gît là, dans ses soieries! Plein de ses dégueulages [ ] Il lui remonte plein de gromelots plein la bouche» (L.-F. Céline, Guignol s band, I, Paris, Gallimard, 1952, p. 406), avec les «ordures» de Monsieur le Prince qui fit manger du «dégobillis d ivrogne dans la posle» (Historiettes, t. 1, p. 418). 960 Il faisait fréquemment référence aux «Mémoires de la Régence» qu il comptait écrire à la suite des Historiettes. A-t-il commencé ce projet? L a-t-il mené à termes? D après Antoine Adam, les graves ennuis familiaux et financiers qui bouleversèrent sa vie après 1660 l auraient probablement empêché de s adonner à ce projet (Historiettes, t. 1, p. XII). Toutefois, rien ne permet d affirmer cela, et il est possible qu un autre manuscrit de Tallemant soit encore enfoui quelque part. 961 Pour terminer, notons l existence d un manuscrit inédit présenté par Emma Gilby (Pseudo-Longin, De la sublimité du discours, [Traduction inédite du XVII ème siècle, introduite, éditée et annotée par Emma Gilby, préface de Delphine Denis], Chambéry, L Act Mem, 2007). Il s agit d une traduction partielle du Peri hypsoù (le Traité du sublime) du pseudo-longin, qui n a rien à voir avec celle de Nicolas Boileau-Despréaux. E. Gilby, tout en faisant preuve d une extrême prudence, a esquissé un «portrait robot» de ce traducteur qui ne se souciait pas de publier son texte. Ses recherches semblent indiquer que l auteur de l ouvrage pourrait être Tallemant qui «aurait pu apporter à cet exercice son 251

260 ou sur leur auteur. Cependant, indépendamment de ces découvertes hypothétiques, l œuvre, sur le plan littéraire, se suffit à elle-même et offre des perspectives de recherche variées. Ainsi, une analyse sur la préciosité dans le cadre d un discours «féministe» 962 utiliserait les portraits de femmes à qui Tallemant a donné la parole, comme celui des femmes de lettres, Mlle de Gournay, Mlle de Scudéry, ou encore Mlle Des Jardins 963, celui de la courtisane intelligente et libérée, comme Ninon de Lenclos, celui de la précieuse comme Mlle Diodée 964 ou Mlle de Montausier, ou encore de la femme du monde comme Mme de Rambouillet. Ces femmes lisent ou écrivent 965, certaines sont restées célibataires, ou alors, à l instar de Mlle de Montausier, se sont mariées après une cour assidue de plusieurs années. Parfois élogieux, souvent moqueur ou satirique, le discours de Tallemant sur ces représentantes de la préciosité reste ambivalent. Tout en marquant une préférence pour la préciosité raffinée des Rambouillet, aux dépens de celle de Mlle de Scudéry, qui est «prolixe en ses discours», de Mme de Saint-Ange qui «affecte de réciter fort bien des vers», de Mlle Diodée, qui «n entretenoit le monde que de sa science» ou encore de Mlle Des Jardins «qui parloit sans cesse». Cette opposition entre une propre humour et style, filtrés par une excellente éducation classique» (De la sublimité du discours, p. 45). Cette hypothèse demande à être confirmée par un travail de recherche plus exhaustif, et pourrait peut-être mener à la découverte d autres manuscrits de Tallemant. 962 Le terme est anachronique bien sûr. Nous l employons à bon escient, dans la perspective d un projet qui établirait un parallèle avec le discours féministe actuel. 963 Historiettes, t. 2, p Mademoiselle Des Jardins n est autre que Mme de Villedieu. 964 Tallemant dresse un portrait savoureux de cette précieuse qui lisait «à tort et à travers» et «ne parloit que de livres, et n entretenoit le monde que de sa science» (Historiettes, t. 2, p. 485). 965 Madame de Rambouillet «alloit apprendre le latin, seulement pour lire Virgile..», elle fut ellemême «l architecte de l hôtel de Rambouillet» (p. 443), Madame de Montauzier composa une petite histoire, «Zélide et Alcidalis», et, ajoute Tallemant, elle écrivait des «choses dittes avec beaucoup de délicatesse» (p. 458). Mlle de Gournay «faisoit des vers, mais meschans», et avait fait un livre intitulé «l Ombre, ou les Presens de la demoiselle de Gournay». Madeleine de Scudéry, même si elle a «introduit des meschantes façons de parler» rédigeait les romans que son frère signait. Tallemant signale méchamment que la plupart des dames qui fréquentaient ses Samedy n estoient pas autrement jolies. Il évoque Mlle Des Jardins «a une facilité estrange à produire» et les gens «l ont mise audessus de Mlle de Scudéry et de tout le reste des femelles». 252

261 préciosité de bon goût et une préciosité ridicule sera reprise plus tard et deviendra un topos de l histoire de la préciosité 966. Si «l œuvre d art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant» 967, alors on peut sans risque affirmer que les Historiettes sont une œuvre d art. Aux hybridités génériques et discursives du récit correspond une hybridité interprétative qui va varier selon les temps et selon les lecteurs. 966 Voir à ce sujet Myriam Dufour-Maître, Naissance des femmes de lettres en France au XVIIème siècle, op.cit., p Umberto Eco, L œuvre ouverte, [traduit de l italien parchantal Roux de Bézieux], Éditions du Seuil, 1965, p

262 I. Œuvres du corpus Bibliographie TALLEMANT DES REAUX, Les Historiettes, mémoires pour servir à l histoire du XVII ème siècle, Paris, Alphonse Levavasseur, 1835 [publiées sur le manuscrit inédit et autographe par Messrs MONMERQUE, DE CHATEAUGIRON et TASCHEREAU]. TALLEMANT DES REAUX, Historiettes, Paris, J. Techener, 1862 [PARIS, Paulin, éditeur scientifique, MONMERQUE, Louis-Jean-Nicolas de, éditeur scientifique]. TALLEMANT DES REAUX, Historiettes, Paris, Mercure de France, TALLEMANT DES REAUX, Rois, grandes dames et beaux esprits d autrefois, Paris, Albin Michel, 1911 [avec appendices et notes par A. MEYRAC]. TALLEMANT DES REAUX, Le cardinal de Richelieu, Paris, Brossard, 1920 [introduction et notes d Émile MAGNE]. TALLEMANT DES REAUX, Historiettes galantes, Paris, Éditions du Triolet, 1947 [Présentées par Paul REBOUX]. TALLEMANT DES REAUX, Historiettes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1960, 2 vol. [éd. Antoine ADAM]. TALLEMANT DES REAUX, Edipe, texte inédit établi, avec introduction, notes et relevé de variantes, par Nelson Fiordaliso, libreria Dell Universita-Pescara, TALLEMANT DES REAUX, Historiettes, Paris, Gallimard, 2013 [choix et présentation de Michel Jeanneret]. ADAM, Antoine. Histoire de la Littérature Française au XVII ème siècle, Paris, Éditions Mondiales, 1962, t. I, II, III, IV, V. MAGNE, Émile, La joyeuse jeunesse de Tallemant Des Réaux, Paris, Émile-Paul frères, MAGNE, Émile, La fin troublée de Tallemant des Réau, Paris, Émile-Paul frères, PIGAILLEM, Henri, Tallemant des Réaux, l homme des Historiettes, Saintes, Le Croît Vif,

263 II. Dictionnaires FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire Universel, Arnout et Reinier Leers, La Haye, ARON, Paul, Denis SAINT-JACQUES, Alain VIALA, Le Dictionnaire du littéraire. Paris, Presses Universitaires de France, RICHELET, Pierre, Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, Amsterdam, Jean Elzevir, III. Ouvrages antérieurs à 1800 ARISTOTE, Poétique [texte traduit par J. Hardy], Paris, Gallimard, BALZAC, Jean-Louis Guez de, Lettres familières de M. de Balzac A M. Chapelain, Leiden, Jean Elsevier BASSOMPIERRE, François de, Mémoires pour servir à l histoire de France, Paris, Michaud & Poujoulat [éditeurs scientifiques], BOUHOURS, Père Dominique, La Manière de bien penser dans les ouvrages d esprit, Dialogues, Michel Brunet au Mercure Galant, BRANTÔME, Pierre de Bourdeille, Les Dames galantes, Paris, Gallimard, BUSSY-RABUTIN, Roger de, Mémoires, Paris, J. Anisson, BUSSY, Roger de Rabutin, comte de, Histoire amoureuse des Gaules, Paris, Flammarion, CHAPELAIN, Jean, Lettres [ ], Paris, Ph. Tamizey de Larroque, CAMPION, Henri de, Mémoires, Paris, Treuttel et Würtz, COLOMIÈS, Paul, La rhétorique de l hommête homme.., Amsterdam, Georges Gallet, 1699 CORNEILLE, Pierre, Mélite ou les fausses lettres : pièce comique, Paris, F. Targa, D AUBIGNAC, François, Les conseils d Ariste à Celimène sur les moyens de conserver sa réputation, La Haye, Abraham Arondeus,

264 DE GOURNAY, Marie Le Jars, «De la mesdisance, et qu elle est principale cause des Duels» dans Les advis ou les présens de la demoiselle de Gournay, Paris, Toussainct Du-Bray, 164. DE LA MESNARDIÈRE, Hippolyte Jules Pilet, Lettre du Sr du Rivage contenant quelques observations sur le poème épique et sur le poème de la Pucelle, Antoine de Sommaville, DE RETZ, Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de, Mémoires, Paris, Gallimard, DESCARTES, René, Discours de la méthode (1637), première partie, Œuvres philosophiques, [éd. Ferdinand Alquié], Paris, Bordas, DE SCUDÉRY, Madeleine, Conversations nouvelles sur divers sujet, La Haye, Abraham Arondeus, DE VIAU, Théophile, Le parnasse satyrique du sieur Théophile, avec le recueil des plus excellens vers satyrique de ce temps, Gand, Duquesne, DU PLAISIR, Sentiments sur les lettres et sur l histoire avec des scrupules sur le stile, Paris, C. Blageart et G. Quinet, FARET, Nicolas, L Honneste homme ou l art de plaire à la cour, Paris, [Édition critique par M. Magendie], PUF, FÉLIBIEN, André, Des principes de l architecture, de la sculpture, de la peinture et des autres arts qui en dépendent, avec un dictionnaire des Termes propres à chacun de ces Arts, 2è éd., Paris, Coignard, FURETIÈRE, Antoine, Le roman bourgeois, [édition établie et annotée par Jacques Prévot], Paris, Gallimard, GOMBAUD, Antoine, chevalier de Méré, De la conversation, Paris, Denys Thierry et Claude Barbin, GUAZZO, Estienne, Seigneur de Montferrat, La Civile conversation, Genève, Jacob Stoer, HUARTE, Jean, L examen des Esprits pour les sciences, [traduit de l espagnol par François Savinien d Alquie], Amsterdam, Jean de Ravestein, HIPPOCRATE, Sur le rire et la folie, [Préface, traduction et notes d Yves Hersant], Paris, Éditions Rivages, ISAMBERT, François André et TAILLANDIER, Alphonse-Honoré, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l an 420 jusqu à la révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, septembre

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276 Annexes I. Tallemant des Réaux 968 Repères Biographiques Avant la publication des Historiettes par Monmerqué, le nom de Tallemant avait été mentionné pour la première fois par Charles Anasthase Walckenaer dans son ouvrage sur Antoine Rambouillet de la Sablière et François de Maucroix 969. Walckenaer fait référence aus «mémoires manuscrits» de Gédéon Tallemant des Réaux, et précise que Tallemant avait épousé la sœur d Antoine Rambouillet de la Sablière. Les Historiettes n avaient pas encore été publiées et leur auteur était donc un inconnu. Deux ans après la première édition des Historiettes, M. de Monmerqué publia une «Notice sur Tallemant des Réaux, sur sa famille, et sur ses mémoires» en Monmerqué déplorait alors que le manuscrit qu il avait publié en 1834, fut «lancé tout seul, [ ] et livré à la critique sans le cortège de ces travaux préliminaires qui sont destinés à faire connaitre l écrivain» 970. Dans cette notice, Monmerqué semble avoir reconstitué la biographie de Tallemant à partir d une des historiettes à caractère autobiographique 971, ainsi que de celles que l auteur a consacrées aux membres de sa famille Pour la biographie complète, la plus récente est celle de Henri Pigaillem, Tallemant des Réaux, l homme des Historiettes, Saintes, Le Croît Vif, Voir C. A. Walckenaer, Poésies diverses d Antoine Rambouillet de la Sablière et de François de Maucroix, et hommages poétiques à La Fontaine, Paris, A. Neveu, 1825, p. xiii. 970 M. Monmerqué, Notice sur Tallemant des Réaux, Paris, Alphonse Levavasseur, 1836, p. II. 971 Ce chapitre s intitule «Les amours de l autheur» (Historiettes, t. 2, p. 811). 972 Il s agit des historiettes sur Montauron (Historiettes, t. 2, p. 537), Tallemant, les maistres des requestes (Historiettes, t. 2, p. 545), Madame D Harambure (Historiettes, t. 2, p. 551), La Leu et Lozières (Historiettes, t. 2, p. 554), l abbé Tallemant, son père, etc., (Historiettes, t. 2, p. 568). 268

277 Par la suite, dans la troisième édition des Historiettes en 1862, Monmerqué réécrit une notice biographique de Tallemant en soulignant que d autres détails sur sa vie ont été découverts par M. Louis Paris, notamment dans les manuscrits du chanoine Favart 973 et dans les Mémoires et lettres de Maucroix. Pour compléter ces informations, nous avons aussi consulté les recherches d Émile 974. Les deux ouvrages d Émile Magne se fondent sur des documents inédits pour retracer une biographie plutôt romancée de Tallemant des Réaux. Nous nous limiterons à donner quelques repères qui serviront à situer l auteur par rapport à la société dans laquelle il évolua, et peut-être à faire comprendre certaines postures de Tallemant à travers ses Historiettes. Au XVI ème siècle, François et Antoine Tallemant avaient quitté Tournay, aux Pays- Bas, pour échapper aux persécutions contre ceux qui appartiennent à la religion réformée 975. Ils s établirent à La Rochelle, mais Antoine mourut en défendant la ville lorsque le duc d Anjou vint l assiéger (1573), peu de temps après la Saint- Barthélémy. Cette mort héroïque donna droit de cité à la famille Tallemant et leur autorité dans le domaine religieux et commercial fut dès lors bien établie. L un des fils de François, Gédéon (l oncle de l auteur des Historiettes) épousa une demoiselle 973 Ces manuscrits seraient conservés à la Bibliothèque de Reims. 974 Voir La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux, Paris, Emile-Paul frères, 1920 et La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Emile-Paul frères, (E. Magne a eu accès aux Archives nationales, aux Archives de la Gironde, aux Archives des Basses-Pyrénées, au Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, et à la Bibliothèque de la Société de l Histoire du protestantisme français. Il a aussi consulté «le riche minutier de M e Charles Amédée Lefebvre qui contient de 1634 à 1690, en grand nombreles actes commerciaux, financierset familiaux des Tallemant et des Rambouillet» (La fin troublée p. VII). 975 Cette information se trouve dans les Historiettes, t. 2, p Tallemant écrit : [La Leu] espousa la fille d un Flamand natif de Tournay, nommé Tallemant, qui, chassé de son pays pour la Religion, du temps du duc d Albe, avoit trouvé une jeune veuve des meilleures maisons de la ville, qui l avoit espousé pour sa beauté». 269

278 Rambouillet 976. Son autre fils Pierre épousa en premières noces Élisabeth Bidault, qui mourut jeune lui laissant trois enfants : Pierre, Élisabeth, Paul. Pierre se remaria avec Marie Rambouillet (la mère de notre Tallemant), sœur de Nicolas Rambouillet. Tallemant naquit peu après, en 1619, suivi de deux autres garçons, François et Henry. Entre-temps, les Tallemant et les Rambouillet s étaient associés pour former des comptoirs commerciaux et financiers, ainsi que des compagnies maritimes qui faisaient du commerce en Europe et dans les régions du Nouveau-Monde. Le commerce prospéra rapidement. Confiant les affaires de La Rochelle à un des ses beaux-frères, Pierre Tallemant déménagea avec sa famille à Bordeaux 1623, où il établit un nouveau comptoir de la banque, et ensuite à Paris en 1634, dans un quartier bourgeois, parmi la haute finance protestante. Dans sa préface, Michel Jeanneret souligne que les Tallemant furent les banquiers de Richelieu puis de Mazarin, et les créanciers de la couronne 977. Est-ce que la marquise de Rambouillet avait fait aussi appel à la banque des Tallemant? Émile Magne semble le croire 978. Tallemant étudia le droit civil et canonique, parce que son père le destinait à la magistrature, et comptait lui acheter une charge de conseiller au Parlement. Mais il 976 Cette demoiselle de Rambouillet n a aucun lien de parenté avec la marquise de Rambouillet (ni d ailleurs aucun des Rambouillet qui ont des liens de famille avec les Tallemant). 977 Tallemant des Réaux, Historiettes, [Choix et présentation de Michel Jeanneret], Paris, Gallimard 2013, p On notera une remarque de Tallemant dans l historiette sur Chapelain : «et je sçay, pour en avoir veû le contrat, que Mme de Rambouillet luy [Chapelain] doit plus de seize cent livres de rente presentement» (Historiettes, t. 1, p. 573). Paradoxalement, elle critique son accoutrement démodé. Emile Magne semble insinuer que c est peut-être parce que les Rambouillet, «toujours à court d argent», eurent recours à la banque Tallemant, que l auteur des Historiettes, «malgré son extrême jeunesse et la médiocrité de sa condition», fut admis à l hôtel de Rambouillet (voir Émile Magne, La joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux, Paris, Émile-Paul frères, 1921, p ). Cette remarque d Émile Magne n est pas nécessairement valide. Les Tallemant étaient connus pour être de très riches financiers. Il y avait aussi dans la famille des alliances avec l aristocratie : Marie, la sœur de Tallemant, avait épousé le seigneur de Ruvigny, marquis de Bonneval, d ancienne noblesse protestante (Voir Henri Pigaillem, Tallemant des Réaux, l homme des Historiettes, Saintes, Le Croît Vif, 2010, p. 118). 270

279 n avait aucun penchant pour cette voie 979. Son père étant peu disposé à lui faire partager sa fortune, Tallemant décida d épouser sa cousine germaine Elizabeth de Rambouillet, dont la fortune lui permettait de sortir de la dépendance paternelle 980. Aimant la littérature et la poésie, il put ainsi mener une vie mondaine et fréquenter les salons, dont le plus illustre fut celui de la marquise de Rambouillet, dont il devient le confident après la fermeture du salon. D après Émile Magne, il commença à écrire ses Historiettes en Suite à des revers de fortune, sa femme le quitta et abjura le protestantisme en 1665, ce qui lui valut une pension de deux mille livres 981. Auparavant, le frère de Tallemant, François 982, ainsi que son cousin également nommé Gédéon 983, s étaient eux aussi convertis au catholicisme. Tallemant lui-même, sous l emprise de l orthodoxie ambiante et des pressions de plus en plus menaçantes de la part du pouvoir en place, finit par abjurer en 1685, trois mois avant la Révocation de l Édit de Nantes 984. Un peu plus tard, une de ses filles qui avait refusé l abjuration, fut forcée de s exiler en Angleterre. Selon E. Magne, Tallemant mourut le 10 novembre «Je me resolus donc, voyant que mon père n estoit pas homme à me donner de bien qu en me mariant ou me faisant conseiller, et je haïssois ce mestier-là» (Voir Historiettes, t. 2, p. 572). 980 En épousant Élizabeth Rambouillet, il devenait le beau-frère d Antoine de Rambouillet de la Sablière, dont la femme, Marguerite Hessein, fut l amie de Jean de La Fontaine. 981 Voir l introduction d Antoine Adams, Historiettes, t. 1, p. XIII. 982 François Tallemant devint abbé, et au commencement de la Régence (vers 1643), il devint aumônier du roi (voir Historiettes, t. 2, p. 569). Notons que l abbé Tallemant fit imprimer sa traduction des Vies de Plutarque en Voir l historiette qui lui est consacrée t. 2, p Ce fut le Père Rapin, un jésuite théologien et poète, qui l amena à abjurer en juillet Ceux de sa famille qui refusèrent l abjuration furent punis : Tallemant de Lussac et Nicolas Rambouillet furent emprisonnés, Madame Nicolas Rambouillet de la Sablière s enfuit sous un déguisement (Voir Émile Magne, La fin troublée de Tallemant des Réaux, Paris, Emile-Paul Frères, 1922, p ). 271

280 II. Extraits du manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France 272

281 Extrait des Œuvres de La Fontaine (f.1 r o ) Disciple de Marot L Autheur aux Dames * Gardez-vous de toucher ce livre Mes Dames, il parle d Amour C est aux hommes que je le livre Laissez l aller vers eux son cours C est d eux qu il veut estre entendu Mais vous le lirez nuits et jours Puisque je vous l ay defendu Epigramme à deux Demoiselles Toutes deux bonnes sages belles Toutes deux sœurs et demoiselles Recevez d un cœur chamoiseau Ce petit salut bien et beau 273

282 274

283 A Messieurs de l Académie, sonnet (Feuillet 39,v o ) Vous que le ciel consacre aux plus grands de la terre Pour affranchir leurs noms du temps impérieux Qui par des monuments superbes et pieux Déclarez à la mort une mortelle guerre Puisque l injuste sort détruit comme un tonnerre En un seul demy Dieu cent chefs d œuvres des Dieux Pour faire vivre encore ce héros glorieux Faites parler de lui le métal et la pierre Dans vos diners (inscrivez?) tous ses faits divers Épuisez pour sa gloire et la prose et les vers Juste et dernier devoir où l honneur vous convie Moi qui pour ce grand fait ne suis pas assez fort Pendant que vous direz les actes de sa vie J acheminerai (?) la mienne à soupirer sa mort 275

284 276

285 Sur la mort du Cardinal de Richelieu (f. 41r o ) Épigramme Le Paradis n est pas pour lui St Pierre en a bien fermé l»huis (?) Craignant que cette fière beste Sachant le crime qu il commit Quand il renia Jesus Christ Lui fit aussi couper la tête 277

286 278

287 Autre (f. 43, r o ) Cy-gist Armand dont la noire fureur Nous a privés de tant d illustres têtes Et qui força la famille(?) du laboureur De manger l herbe et (?) aux bêtes Il a tout pris, il a tout abattu Et la pitié n est pas une vertu Qui dans son cœur soit jamais descendue Sa violence a fait taire nos voix Et se moquant des Princes et des Roys Il a joué l Europe et l a perdue (En bas de l épigramme Tallemant a écrit : «Maynard, qui l a tant flatté durant sa vie) 279

288 280

289 Épitaphe de Louis Treizième (f. 44, v o ) Cy-gist le roi notre bon maitre Louis treizième de ce nom Qui fut vingt ans valet d un prêtre Et pourtant acquit grand renom Chez les autres mais chez lui non 281

290 282

291 Sur le bruit de la mort de Madame de Montbazon Me de Crequy (?) fit cette épitaphe (f. 49, r o ) Cy-gist Olympe à ce qu on dit S il n est pas vray, comme on souhaite Son épitaphe est déjà faitte On ne sçait qui meur ny qui vit (à droite de cette épitaphe, Tallemant a écrit : «On accusait Ménage de la luy avoir faitte du temps qu il taschait de luy faire autre chose. Et moy je croiy qu il ne luy a fait ny l un ni l autre»). 283

292 284

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