TIANJIN. Les trésors de la concession française. Alliance Française de Tianjin Association Mémoire de Tianjin 天 津 记 忆. Deux parcours découverte

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1 TIANJIN Deux parcours découverte Les trésors de la concession française Alliance Française de Tianjin Association Mémoire de Tianjin 天 津 记 忆

2 Carte des promenades 1 re promenade : page 61 2 e promenade : page 89 Durée : 1/2 journée chacune.

3 TIANJIN Deux parcours découverte Les trésors de la concession française Alliance Française de Tianjin Association Mémoire de Tianjin 天 津 记 忆

4 Sommaire Tianjin, au rythme des concessions 7 Introduction à Tianjin 9 Brève histoire des concessions 10 La concession française, Les Français de Tianjin 52 première promenade 61 Lieux de pouvoir et places financières deuxième promenade 89 Jardins, belles demeures et grands magasins Informations pratiques 115 Remerciements 117 Crédits photographiques 119

5 Tianjin, au rythme des concessions

6 9 Introduction à Tianjin Sous la dynastie Sui ( ), le site de l actuelle Tianjin, appelée alors Zhigu, devient, avec l ouverture du Grand Canal, une ville et un port de commerce importants. En 1404, l empereur Yongle donne à la ville le nom de TienTsin, littéralement le «gué de l Empereur», pour indiquer le passage, à cet endroit de la rivière, du Fils du Ciel. Plus tard, un fort y est établi, connu sous le nom de fort de Tianjin (Tianjin Wei, 天 津 卫 ). En 1725, la ville devient préfecture. Le xian (district) de Tianjin est créé sous la préfecture en La ville de Tianjin sous la dynastie Qing (1846).

7 10 brève histoire des concessions 11 Brève histoire des concessions L histoire des concessions de Tianjin a pour cadre initial le contexte des Guerres de l Opium, opposant la Chine et les puissances occidentales au milieu du XIX e siècle. Le conflit, motivé par des raisons commerciales, naquit des tensions provoquées par le renforcement des lois anti-opium du gouvernement Qing, alors que les Britanniques tentaient d exporter l opium de l Inde britannique en Chine. Vaincu, l Empire fut obligé de signer des «traités inégaux» avec les puissances étrangères, forçant l ouverture de certains de ses ports au commerce extérieur et mettant en place le principe d extraterritorialité permettant aux ressortissants étrangers d échapper aux lois chinoises. Fortes du succès militaire de la prise de Canton en 1857, les flottes combinées de la France et du Royaume-Uni cherchent à pénétrer plus avant dans le territoire jusqu alors fermé de l Empire et décident de remonter vers le nord pour s ouvrir et forcer la route qui les mènera à Pékin. En mai 1858, la coalition franco-britannique réussit à prendre les forts de Dagu, qui défendaient l embouchure de la rivière Haihe en aval de Tientsin. Le gouvernement chinois signe avec le Royaume- Uni et la France, le 27 juin 1858, le Traité de Tientsin qui met fin à la première expédition de Chine de la Seconde Guerre de l Opium. Cependant, la Chine retarde la ratification du traité et refuse d autoriser l établissement d ambassades étrangères à Pékin, comme pourtant stipulé dans les clauses. En 1859, les forces franco-britanniques tentent une première fois de pénétrer dans Tientsin, mais doivent 1858 : Signature du Traité de Tientsin. faire retraite. Elles ne parviendront à prendre la ville qu en septembre Le 6 octobre, les troupes franco-britanniques occupent Pékin, incendient et pillent le Palais d Été. Le Traité de Pékin, signé le 18 octobre 1860, dont les clauses marchandent le paiement d indemnités et l extension de l occupation étrangère du pays, met un terme à la Seconde Guerre de l Opium. Cette convention inclut notamment : la légalisation du commerce de l opium ; la reconnaissance par la Chine de la validité du Traité de Tientsin ; la liberté de culte et d évangélisation en Chine les missionnaires chrétiens obtenant le droit de propriété privée et de construction d églises, ainsi qu un protectorat religieux ; l ouverture aux étrangers du port de Tientsin, destiné au commerce avec Pékin. La ville de Tientsin offre d abord trois concessions aux puissances occidentales (France, Royaume-Uni et États-Unis). En 1895, de nouvelles concessions sont attribuées à l Allemagne et au Japon (suite à la défaite chinoise dans la guerre sino-japonaise de et à la signature du Traité de Shimonoseki). Lors de la Guerre des Boxeurs ( ), les troupes des Huit Nations alliées occupent Tientsin pour mater la révolte puis marchent sur Pékin pour venir en aide au quartier des légations assiégé.

8 12 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 13 Soldats des Huit Nations pendant la Guerre des Boxeurs. la Guerre des Boxeurs (Tientsin, Pékin). au commerce étranger et son importance s accroît avec la liaison ferroviaire qui la relie, depuis 1897, à Pékin et à Shanhaiguan d une part, ainsi qu à la Mandchourie de l autre. Forces indiennes britanniques. Après la fin de l épisode des «55 jours de Pékin» et la victoire des Huit Nations, quatre autres concessions sont octroyées à l Italie, l Autriche-Hongrie, la Russie et la Belgique. Dans leur sillage, vingt ambassades s installent. Ainsi, neuf concessions étrangères sont établies dans la ville, ce qui fait de Tientsin la ville abritant le plus de concessions en Chine. À la fin du XIX e siècle, les rives du Haihe sont donc gouvernées par les puissances étrangères. Port d influence, Tientsin est une ville ouverte La ville devient rapidement le centre d une importante et florissante communauté européenne de commerçants, d entrepreneurs, de diplomates et de marchands qui y résident à temps plein. Anglais, Allemands, Américains, Italiens sont les plus nombreux ; les Français quant à eux forment une communauté solide. Dès 1860, les premières bâtisses voient le jour. Des architectes occidentaux en élaborent les plans ; chaque concession devenant ainsi la vitrine des divers styles nationaux. Le découpage des différents territoires des concessions est arbitraire, chacune recouvrant des étendues variables. Si le Royaume-Uni et l Allemagne se taillent ainsi la part du lion, Belges et Italiens sont cantonnés à des espaces plus confinés. L ensemble des concessions étrangères couvre au total

9 14 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 15 Tientsin en La gare en Le Bund de Tientsin Plan des concessions étrangères en 1912.

10 16 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 17 15,6 km 2 en Ces différentes concessions sont autonomes et possèdent leurs propres prisons, écoles, églises, casernes et hôpitaux : ce sont des enclaves territoriales juridiquement et administrativement placées sous le contrôle des puissances qui s y installent. La ville chinoise, quant à elle, reste en périphérie. En bordure du Haihe, l hôtel Astor devient le point de ralliement des entrepreneurs occidentaux. C est le premier établissement hôtelier de Chine du Nord ouvert aux étrangers. Tientsin en Toits de la ville chinoise, Tour du Tambour et caravanes, années 1930.

11 18 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 19 L histoire des concessions de Tientsin évolue alors au rythme de la situation internationale, entre prospérité et conflits politiques armés. Très engagés aux Philippines, les Américains cèdent en 1902 leur concession au Royaume-Uni. La Première Guerre mondiale marque le paysage des concessions : dans la foulée de l entrée en guerre de la Chine au côté des Alliés, en mars 1917, les concessions allemande et austro-hongroise sont dissoutes. mier contact avec la Chine fut surprenant. Je logeais dans une maison d allure viennoise, je mangeais du pot-au-feu, je jouais au badminton et le soir, combien de fois n ai-je pas bu de bière allemande?». Visite du Maréchal Joffre à Tientsin, mars Jusqu en 1937, Tientsin connaît une période faste. Personnage influent, l allemand Gustav Detring, commissaire des douanes maritimes chinoises, incarne le dynamisme de la ville. Au service de Li Hongzhang, l homme exerce sans le titre le rôle de maire. Herbert Clark Hoover, futur président des États-Unis, réside alors à Tientsin. Dans son journal, il témoigne : «C est une cité universelle, comme le monde en grandeur miniature. S y côtoient toutes les nationalités, tous les styles architecturaux, toutes les cuisines.» De son côté, le général Georges C. Marshall, qui séjournera un temps dans les baraquements américains, ajoute : «Mon pre- Li Hongzhang en Jour de course hippique, Étrangers à Tientsin 1937.

12 20 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 21 La vie sociale et mondaine des étrangers s organise dans chaque concession, mais les lieux de rencontres sont internationaux. La journée, les hommes se retrouvent dans les clubs : le Tientsin Club de la concession anglaise, près de l Astor ; le Kunst Club pour la communauté juive ; Devant le Tientsin Club, ou encore le Cercle français, rue de France. Les femmes prennent le thé au Kiessling, le café au Victoria Café. Des tournois internationaux sont organisés dans les lieux sportifs que fréquentent les étrangers de toutes les concessions, comme le club de tennis français, le champ de courses de la concession anglaise (sur Race Course Road, l actuelle Machang Dao), ou le Hai Alai de la concession italienne, pour des tournois de pelote basque. Le soir, on se retrouve dans les restaurants, comme le célèbre Maxim s dans la concession française, ou les dancings comme le St Anne s, animés par les «taxi-girls» et «singsong girls». Chaque consulat organise aussi fréquemment ses propres réceptions. Et pour fuir la chaleur, l été, on part en villégiature dans la station balnéaire de Pei Ta Ho (actuelle Beidai He). Tennis à Tientsin, Les notables chinois de Tientsin. Ville ouverte et libre, Tientsin est aussi la ville des notables chinois. Comme en témoignent aujourd hui les nombreuses plaques commémoratives des belles demeures, Chinois très fortunés, personnages influents, et politiciens en exil résident en nombre dans les concessions. Parmi les plus célèbres, citons Yuan Shikai, Li Yuanhong, Duan Qirui, ou encore Feng Guozhang. Mais le plus éminent d entre eux est bien sûr le dernier empereur de la dynastie Qing, Puyi ( ), qui, après avoir été chassé de Pékin, demeurera en résidence surveillée dans la concession japonaise, de 1925 à 1931, où il mènera la vie mondaine des milieux occidentaux. La situation politique est en effet alors plus qu instable et périlleuse, seigneurs de guerre et politiciens se succédant les uns après les autres. Plus d un tiers des chefs du gouvernement de Beiyang ( 北 洋 政 府 ) s installera sous la protection des grandes puissances dans de luxueuses demeures. Les seigneurs de guerre de statuts inférieurs tels que les ministres ou les chefs de province seront encore plus nombreux à venir investir, dans des propriétés immobilières au sein des concessions, leurs grandes fortunes

13 22 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 23 personnelles amassées lorsqu ils étaient au pouvoir. Tien tsin leur offre en effet un double avantage : métropole florissante à proximité de Pékin, c est un havre de paix et de confort idéal pour mener une vie fastueuse. C est aussi la garantie d une protection efficace, puisque selon le règlement du régime des concessions, police et militaires chinois ne peuvent ni traverser ni pénétrer les concessions. Aussi Tientsin servit-elle de décor à de nombreux complots. D où l adage : 北 京 是 前 台, 天 津 是 后 台 (Pékin est la scène de la vie politique, Tianjin ses coulisses). Tientsin accueille aussi des réfugiés. En 1935, elle abrite une communauté juive forte de âmes dont beaucoup sont des rescapés des pogroms. En 1938, la synagogue de Nanjing Lu est inaugurée. Au début de la guerre sinojaponaise ( ), l armée impériale japonaise occupe la ville, en respectant tout d abord les concessions. Estimant que les Chinois (divisés entre nationalistes et communistes, malgré l alliance du Front uni) ont peu de chances au vu de leurs défaites militaires de gagner la guerre, les puissances étrangères s abstiennent en premier lieu de leur fournir une aide trop explicite, qui pourrait nuire à leurs relations avec les Japonais. Les Japonais pillent, torturent et tuent les villageois, mais peu d Occidentaux, vivant généralement en autarcie dans leurs concessions, sont au fait de ces mésactions. Officier et campements japonais. Puyi dans sa résidence avec le seigneur de guerre Zhang Xun, La donne change en 1939 avec l entrée dans la Guerre mondiale. Localement, un premier incident important survient en juin 1939 avec le gouvernement britannique : l armée impériale implante un blocus autour de la concession anglaise pour obtenir six résistants chinois, accusés d avoir assassiné le directeur d une banque appartenant à des capitaux nippons. Par ailleurs, le Royaume-Uni décide d apporter expertise et soutien financier nécessaires à l introduction par

14 24 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 25 Bateaux à vapeur mouillant au port de Tianjin l État chinois d une monnaie fiduciaire via la Banque d Angleterre. En échange, les Britanniques deviennent détenteurs des réserves chinoises d argent-métal. Ils conservent ainsi une partie de ces réserves sous bonne garde à Tientsin, qu ils devront évacuer sous la pression japonaise fin La concession française, quant à elle, placée sous le régime de Vichy, ne connaît tout d abord pas d incident majeur. Tout bascule après l attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941 : les États-Unis entrent en effet en guerre contre le Japon, et la République de Chine est admise parmi les Alliés. Au lendemain de Pearl Harbor, les Japonais entrent dans la concession anglaise : Anglais, Américains et Belges sont assignés à résidence et doivent porter des brassards rouges. Les résidents alliés sont déportés dans le camp d internement de Wehsien, aux environs de Tianjin (Weifang, dans l actuel Shandong). Eric Liddell, le célèbre 1 vainqueur du 400 mètres des Jeux olympiques de 1924, né à Tientsin, est lui aussi déporté. Les maisons sont réquisitionnées. Il semble pour autant que les Japonais cherchent à ménager leurs relations avec les Occidentaux : le camp de Wehsien est réputé beaucoup moins difficile que le Bridge House de Shanghai. Les Japonais, qui reconnaissent le gouvernement de Vichy, ne pénètrent toujours pas dans la concession française. En 1943, lorsque Mussolini fait faux bond à Hitler, les Japonais réagissent à cette trahison en s emparant de la concession italienne et en arrêtant les soldats du corps expéditionnaire italien. Ils mettent aussi fin à l extraterritorialité des Français, dont ils désarment le corps expéditionnaire sans toutefois l arrêter. En revanche, il n y a plus de concessions, les étrangers ne sont plus protégés par les lois de leurs pays et deviennent justiciables de la législation et des tribunaux chinois. Ce n est qu en 1943 que les Japonais entrent dans la concession française. Soumis progressivement aux mêmes mesures de répression que les Chinois, et face aux réquisitions et aux pillages de plus en plus fréquents des concessions, les Occidentaux abandonnent peu à peu la ville. Certains Français rejoindront alors l Indochine. Le 21 septembre 1945, une troupe d Américains, représentants des forces alliées, arrive à Tianjin, toujours occupée et contrôlée par les Japonais, pour préparer les conditions de la reddition nippone officielle et procéder au rapatriement de tous les militaires japonais et de leurs familles. En réalité, les Américains, présents sur le territoire chinois depuis la «Dixie mission» organisée à Yanan, sont inquiets de la progression des forces communistes face aux nationalistes, toujours bloqués au sud du pays. Le contingent de l US Marine Air Force, envoyé en première instance en mission préparatoire au prochain débarquement 1. Sa vie a été portée à l écran dans le film Les Chariots de feu (Chariots of Fire).

15 26 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 27 Un Marine au milieu de la foule en liesse et des soldats nationalistes chinois. Arrivée des Américains à Tianjin, sur le sol japonais, est réorienté sur Tianjin suite au bombardement d Hiroshima, rendant le débarquement américain inutile. Outre la signature de la reddition japonaise, ce contingent a pour mission secrète la défense de la Chine du Nord contre une éventuelle progression des troupes communistes de Mao Zedong. Craignant les représailles des Chinois, les Japonais décident de se rendre aux Américains. C est dans la concession française, face à la Municipalité, que se déroulera le 12 octobre 1945 la cérémonie officielle de reddition. L état-major américain s installe alors à l Astor et les Marines sont accueillis par des familles européennes, ou dans des maisons confisquées aux Allemands. Les Américains ne partiront de Tianjin qu en mars 1946, après l échec de la visite du Général La reddition japonaise devant la Municipalité française, quartier général des Marines. Le Général américain Keller Rockney accepte la reddition japonaise. George Marshall tentant de réconcilier Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek) et Mao Zedong. L année 1946 est marquée par une inflation galopante. Les nationalistes, qui tiennent la ville, surveillent les concessions et montent des barricades en vue d un siège. Car la 8 e armée de route de Mao progresse, on la dit aux portes de la ville. En 1949, Tianjin est bombardée par l Armée populaire de Libération (APL), et le 17 janvier 1949, les 4 e et 8 e divisions communistes, commandées par Lin Biao, se rejoignent sur le Pont International et prennent la ville. Pendant la guerre froide, l héritage est délaissé. Mal entretenus, les

16 28 tianjin Les trésors de la concession française brève histoire des concessions 29 bâtiments se détériorent, en particulier les anciennes concessions russe et française.. Curieusement, la Révolution culturelle de épargne les bâtiments religieux (qui pourtant appartenaient aux «Quatre Vieilleries» 1 honnies) construits dans l enclave des concessions étrangères. Seule l ancienne cathédrale française Notre- Dame-des-Victoires (Wanghailou) fera l objet d une profanation des jeunes Gardes rouges, qui escaladent le toit du clocher, détruisent la croix et saccagent l édifice, avant que le gouvernement chinois ne répare plus tard la croix et ne rénove toute l église. Ville d adoption de Zhou Enlai, Tianjin s honore des visites répétées (1951, 1957 et 1959) du bras droit de Mao à l hôtel Astor, qui témoignent de son réel attachement à la ville. En effet, bien que né dans Zhou Enlai la province du Jiangsu, Zhou Enlai était l aîné en d une famille aisée originaire de Tianjin. Il y vécut toute sa jeunesse, poursuivant ses études au réputé lycée Nankai. C est également à Tianjin que Zhou Enlai rencontra sa future épouse, Deng Yingchao, une étudiante activiste qui devint par la suite un membre important du PCC. Ils créèrent ensemble le Journal de la Fédération des Etudiants de Tianjin et la revue L Éveil, outil de diffusion des idées progressistes. Pendant ses études, Zhou Enlai soutient activement la campagne dite «mi-étude mi-travail en France», lancée par le professeur Cai Yuanpei de l Université de Pékin. C est ainsi que certains étudiants français passeront de courts séjours à l Université de Nankai. 1. Les Quatre Vieilleries: les idées, la culture, la tradition, les coutumes anciennes. À la fin des années 70, le rythme des dégradations du bâti s accélère avec le début de l industrialisation urbaine. Des usines sont construites au cœur de la ville, comme la plus grande presse métallurgique de Chine, construite à Tianjin en Inexorablement, les édifices se délabrent, certains menacent de ruine, les murs noircissent. L ouverture économique prônée par Deng Xiaoping dans les années 80 change la physionomie de la ville. La demande en logements et en bureaux entraîne une spirale presque incontrôlable de nouvelles constructions parfois inachevées. S ajoute la boulimie financière des groupes immobiliers, qui boudent l héritage des concessions, jugé peu rentable. Des gratte-ciel se calent entre les vieux bâtiments, les écrasent aussitôt. Faute de lumière, ce patrimoine s enfonce dans l obscurité. Certaines destructions sont irrémédiables. Bientôt, l ancienne concession russe est engloutie sous le béton et les autoroutes urbaines. Dans son prolongement, la concession belge n est plus qu un pâle souvenir. Aujourd hui, Tianjin offre l aspect d une ville en plein essor. L immense patrimoine architectural, longtemps ignoré, est de nouveau considéré comme un atout majeur de la ville. Disposant d un parc immobilier d environ mille maisons et bâtisses de facture occidentale, construites entre 1860 et 1940, la Municipalité de Tianjin entreprend aujourd hui leur réhabilitation à marche forcée. L ancien Premier Ministre, M. Wen Jiabao, né à Tianjin et, comme Zhou Enlai, ancien élève du lycée Nankai, œuvra activement au développement de sa ville natale. Les bâtiments, vides ou occupés aujourd hui pour la plupart par des entreprises d État, sont placés sous haute surveillance patrimoniale par la Municipalité et ne menacent plus d être détruits. Pour certains, la restauration et la réhabilitation commencent. L ancienne concession italienne (quarante maisons) a été restaurée en deux grandes

17 30 tianjin Les trésors de la concession française 31 artères abritant restaurants occidentaux et flâneries autour de rues piétonnes et de fontaines. Elles font le bonheur des jeunes mariés, qui viennent s y faire prendre en photo dans un cadre «occidental». Dessinée autour de larges rues et d un quartier verdoyant, la concession anglo-américaine, aujourd hui connue sous le nom des «Wu Da Dao» (les Cinq Avenues), est d un bon maintien. Entourées par de petits jardins, les maisons sont d inspiration victorienne. L Institut des Langues Etrangères, ancienne École des Hautes Études Industrielles et Commerciales, sert souvent de décor pour les séries historiques télévisées chinoises. Le quartier voit l essor des touristes chinois qui viennent aujourd hui s y promener en calèche. Tianjin en quelques dates 1404 : Fondation par 1943 à 1945 : Yongle de «Tientsin» Abandon progressif 1860 : Traité de Pékin des concessions 1870 : Saccage de 17 janvier 1949 : l orphelinat français Libération de la ville ou «massacre de Tianjin» par l Armée Populaire (voir pages suivantes) de Libération (APL) 1937 : Occupation de la Depuis 1984 : ville par l armée japonaise Renouveau de Tianjin La concession française Le début de la présence française La présence française à Tianjin remonterait au milieu du XVIII e siècle. Selon François de la Chevalerie, un jésuite du nom d Hector de Zondth serait venu au bord du Haihe dans ce qui n était alors qu une petite bourgade. Il faut surtout attendre le début de la Seconde Guerre de l Opium puis la signature du Traité de Pékin en 1860 pour voir s installer de façon manifeste la présence française officielle (consulat), commerciale et religieuse dans la ville. Officiellement créée le 29 mai 1861, la concession française de Tianjin établit en premier lieu ses quartiers juste au nord de la concession anglaise, sur une surface initiale de 24 hectares. L église Notre-Dames-des-Victoires (Wanghailou) et son orphelinat sont construits en dehors de la concession, en La présence occidentale, impérialiste et expansionniste, est d emblée perçue comme une menace à la fois par les mandarins locaux soucieux de maintenir leurs intérêts et par la population civile. C est dans ce contexte qu a lieu l épisode méconnu du «massacre de Tientsin». Des rumeurs circulent en effet dans la ville, accusant les religieuses des orphelinats et des hôpitaux catholiques d enlèvement d enfants. En juin 1870, une foule mécontente saccage l orphelinat français de Notre-Dame-des-Victoires. Les catholiques chinois présents dans l église en appellent au consul français Fontanier pour faire intervenir le tribunal chinois local. Une dispute éclate, dans les locaux du mandarin chinois intendant des Ports du Nord, et

18 32 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 33 aboutit à la mort du consul et de son chancelier Simon, tués par la foule. Leurs corps sont jetés dans la rivière. Vingt et un Occidentaux, dix religieuses et plusieurs convertis chinois sont massacrés le 21 juin Les canonnières fluviales des puissances étrangères sont aussitôt envoyées pour rétablir le calme, tandis que leurs gouvernements demandent réparation. La France exige qu une mission expiatoire vienne présenter ses excuses à Paris, ce qui est fait devant Adolphe Thiers (à la tête du gouvernement provisoire depuis la chute du Second Empire) en novembre Pour les Européens, preuve était faite qu ils ne pouvaient compter localement sur la protection du gouvernement chinois, pourtant octroyée par les traités. Et pour beaucoup de Chinois, le fait que les Européens et les missionnaires soient considérés comme une élite placée en dehors Éventail illustrant le massacre de Tientsin. Wanghailou, église Notre-Dame-des-Victoires. Article de presse sur le massacre de Tientsin. Les filles de la Charité martyrisées à Tientsin.

19 34 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 35 du domaine de la loi chinoise creuse un sentiment xénophobe qui conduira, indirectement, à la révolte des Boxeurs de La paix revenue, la présence occidentale sort renforcée de l incident. La communauté française s élargit avec l arrivée d architectes et d ingénieurs. Expansion et développement de la concession La concession française connaît alors deux vagues successives d expansion. La première en 1900, qui étend les territoires français vers l ouest jusqu au fleuve Qiangzi (actuelle Nanjing Lu), augmentant ainsi la surface de la concession à 189 hectares. Le nouveau consul G. du Chaylard, arrivé en 1894, marque l histoire de la concession en faisant construire de nouveaux bâtiments publics et reconstruire Notre-Dame-des-Victoires en 1903, détruite à nouveau par la révolte des Boxeurs. Cependant, la densité des Français est faible : ainsi, en 1902, ils ne sont que 70 résidents à temps plein pour 360 Européens et Chinois dans la concession. Toutefois, la concession, abritant des maisons de commerce importantes, et proche de la gare principale, constitue de ce fait un passage obligé de la ville. Le nombre de Français s accroît progressivement ; on en dénombre 370 (hommes, femmes et enfants compris) d après les chiffres officiels du recensement de La seconde vague d expansion territoriale de la Municipalité française a lieu en Elle se dirige vers la vieille cathédrale Xikai et cause une forte protestation publique, autre événement notoire dans l histoire de la concession française, appelé l «affaire Laoxikai». Plan de la concession française. Enclaver le quartier pour le placer en dehors de la juridiction et de l administration chinoise, afin, entre autres, d y prélever une taxe foncière, suscite évidemment une forte opposition chinoise. Mais aussi japonaise, puisque la revendication territoriale française entre directement en concurrence avec les aspirations nippones, dont la concession voisine souhaite également annexer le terrain. Le quartier, qui représente une superficie d environ 55 hectares au moment de son annexion, sera progressivement aménagé par les Français à partir des années Mais la France n obtiendra le rattachement officiel du quartier qu en 1937, au terme d accords passés avec Chinois et Japonais dans un contexte de crise qui débouchera rapidement sur le déclenchement de la guerre sino-japonaise.

20 36 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 37 Une concession prospère La concession française de Tientsin, très active dans les secteurs du commerce, de la finance, et du transport maritime, est connue dans les années 30 pour sa prospérité et sa vitalité. Architecture Pierre Teilhard de Chardin, se rendant à Tientsin au début des années 20,, plutôt déconcerté par la présence de nombreuses bâtisses rappelant l architecture des métropoles européennes, se serait alors exclamé : «Tientsin serait-elle Paris en Chine?». La concession française est en effet alors le théâtre de constructions architecturales de grande importance. Premier consulat de Tientsin détruit par les Boxeurs en Les implantations administratives, politiques et militaires de l enclave française en sont un bon exemple. Elles sont regroupées autour de la rue Chengde Dao. La caserne est établie en 1915, à côté du Consulat, construit en 1923 (le Consulat d origine, de 1863, situé près de l église Wanghailou, fut brûlé par les Boxeurs). Dans son prolongement se situe le bâtiment abritant l ancien conseil de la Municipalité française, dessiné par M. Moule et l ingénieur M. Mendelssohn, construit en Caserne du 16 e régiment d Infanterie coloniale. Consulat de France. Illustration quant à lui d un modernisme volontariste, le Pont International, enjambant le Haihe et reliant la limite de la concession française à la gare de Laolongtou, vint remplacer un pont déjà existant ne pouvant plus répondre aux besoins maritimes et routiers. Construit en 1920, sur l initiative du Conseil Municipal français, il doit son appel-

21 38 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 39 lation d «International» au partage des frais de construction et d entretien, répartis entre les concessions française, britannique, japonaise, italienne, russe, belge, ex-concession allemande, ainsi qu avec les Chemins de fer de Pékin et de Tientsin, la Compagnie des Tramways et le gouvernement chinois. Souvent appelé aussi «Pont français» ou improprement «Pont Eiffel», il représente une imposante construction amovible d une largeur de 19,5 mètres, pouvant supporter une charge de 20 tonnes. Dans son ensemble, la planification urbaine de la concession française reste des plus classiques. Vue du parc français. Le Parc central se situe au centre du quartier résidentiel français de Heping. Le premier parc construit à Tientsin fut installé en 1880 par les Français dans la rue de Takou (actuelle Dagu Lu). D une surface d environ 1,5 hectare, il englobait probablement le «Jardin français», construit par la suite de 1917 à 1922 et orné de statues. Rebaptisé après 1941 «Parc central» ( 中 心 花 园 ), il change encore de nom pour s appeler en 1946 «Jardin Roosevelt», pour enfin se nommer définitivement, en 1949, et de nouveau, «Parc central». Ce parc est un exemple parfait de jardin artificiel à la française. Il est entouré de splendides demeures. Le Pont International. Adjacente, la rue Chifeng Dao est généreusement bordée de petites maisons de maître, la plupart occupées par des seigneurs de guerre. Les autres principaux quartiers résidentiels de la concession française sont : 海 关 胡 同 : la rue de Haiguan ; 连 璧 里 : Lianbili ; 文 兴 里 : Wen Xing Li ; 杨 福 荫 路 地 区 : le quartier de Yangfuyin Lu ; 滨 江 道 连 排 : le quartier de Binjiang Dao ; 兆 丰 路 地 区 : le quartier de Zhaofeng Lu.

22 40 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 41 Vue de la concession française. Le parc français. L Hôtel du Nord.

23 42 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 43 qui l entoure, qui comprend tous les bâtiments publics situés au carrefour de Binjiang Dao et de Heping Lu. Réservé à la consommation de luxe et aux loisirs, Quanyechang est le quartier des grands restaurants, des hôtels, des théâtres et des cinémas. C est aussi le quartier des «Grands Magasins», comme le Grand Magasin Tianxiang, le Taikang, ou le Grand Magasin de chapeaux Shengxifu. Autour des trois grands restaurants de la ville (le Guomin, le Huizhong, et le Jiaotong) et de l ancienne banque du Zhejiang, se concentraient alors les architectures les plus hautes et les plus modernes de Tientsin. Quatre surtout, se faisant face au carrefour, se distinguent : La concession française commerçante, années Commerce Dans les années 20-30, Tientsin devient progressivement le centre économique du nord de la Chine dont elle incarne alors le moteur industriel, commercial local et national et financier. La concession française est le théâtre de l activité économique de la ville. Les trois axes majeurs sont ceux de Yingkou Dao, de Chifeng Dao et de Binjiang Dao. Ils forment à eux trois et continuent de constituer aujourd hui les grandes artères commerciales de la ville. Les avenues tracées sont droites et larges, initiées par de grands bâtiments offrant leur luxe à voir aux passants. Les immeubles sont d excellente facture et particulièrement soignés dans leur architecture. Le véritable poumon commercial de la ville se situe précisément dans le quartier de Quanyechang. Magasin célèbre, le Quanyechang, construit en 1930, donne en effet rapidement son nom au quartier Le Grand Magasin Quanyechang, construit par M. Gao Xing qiao, célèbre homme d affaires et investisseur immobilier autodidacte, Gao Xingqiao est un personnage très en vue dans la communauté internationale de Tientsin, reconnu notamment pour avoir su se faire une fortune colossale dans l industrie minière et les compagnies de chemin de fer ; La Banque du Zhejiang, construite par M. Shen Liyuan en 1922, l un des bâtiments les plus importants de la concession française ; Le restaurant Jiaotong, construit en 1928, grâce à l investissement de M. Gao Xingqiao et du Prince Qing Zaizhen, et dessiné par l architecte français M. Muller. Situé au cœur du quartier commercial et facile d accès, il doit son nom (signifiant transport) à sa localisation proche de la gare Laolongtou ; La concession française résidentielle, années 1930.

24 44 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 45 Le restaurant Huizhong, enfin, abréviation de son nom d origine Xiuzaihuizhong, autrement appelé Restaurant du Ciel. Jadis extrêmement célèbre pour son décor intérieur, ce restaurant a servi de toile de fond à l œuvre de l écrivain Cao Yu, Le Lever du soleil. Finance Si une épithète devait être donnée à la ville, Tientsin, véritable plateforme financière dès le début du siècle, serait certainement définie comme la ville aux mille banques. Il vous suffit, pour comprendre notre propos, de remonter la La ville des banques... rue Jiefangbei Lu, de son origine dans la concession anglaise jusqu à la concession française qui vient mourir au pont Jiefang. Tous les majestueux bâtiments que vous pourrez voir, d époque, abritent le siège d anciennes banques, pour certaines encore en activité : Banque d Industrie Franco-Chinoise, Banque Crédit Agricole, Banque du Zhejiang, Banque Continentale, Banque de l Industrie du Sel, Banque Donglai, Banque de Beiyangbaoshang, Banque de Xinhuaxintuo, Banque Chinoise des Paysans et des Ouvriers, Banque Yujin, Banque Carrefour de Heping Lu et Binjiang Dao. À gauche : le Huizhong et le Jiaotong. À droite : le Jiaotong et le Quanyechang.... et de la finance. La grande rue du Maréchal Foch (actuelle Binjiang Dao), quant à elle, véritable petit «Champs Élysées français», devient vite l artère commerciale la plus importante de la ville. Elle le reste d ailleurs encore de nos jours puisqu elle est actuellement à notre moderne Tianjin ce que Nanjing Lu est à Shanghai...

25 46 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 47 Juxingcheng, Banque Chinoise Kenye, Banque Coréenne... Suivez le parcours de notre balade et prenez le temps de flâner et de remonter le temps. N hésitez surtout pas à entrer dans ces anciennes banques et à pousser les portes : le spectacle d un décor années 30 en l état, où le temps semble s être arrêté, et les trésors d architecture Art déco ne vous décevront pas... Médias, Culture et Éducation Tientsin, centre intellectuel d importance, a rassemblé de nombreux journalistes et écrivains. Le North China Star, influent quotidien américain, annonçait d ailleurs tous les jours l arrivée des nouvelles élites dans la ville, qui descendaient en majorité à l Astor. Les journaux les plus célèbres de la concession française étaient le Dagongbao, ou «L Impartial» (créé par un Chinois catholique, M. Ying Lianzhi, en 1902) et le Yishibao, créé en 1915 par un missionnaire belge, Vincent Lebbe, dont l objectif était de rédiger un journal en chinois, géré par des Chinois et pour un public chinois. Ce célèbre missionnaire prendra par la suite la nationalité chinoise et adoptera le nom chinois de M. Lei Mingyuan. Il existait aussi En haut, le journal un journal rédigé totalement en français, intitulé Le Tientsinois. Au début des années 30, L Impartial. En bas, lejournal Yishibao. on dénombre plus d une trentaine de bureaux de presse, chinois et étrangers, à Tientsin, et on y publie plus d une trentaine de journaux différents, pour un tirage total de plus de exemplaires. L effervescence des journaux promeut le développement de la littérature. Les colonnes littéraires du Dagongbao Wenyi et du Yishibao Yulin permettent en effet de «lancer» les jeunes écrivains de la ville. M. Cao Yu, célèbre dramaturge chinois, renommé pour avoir adapté en Chine des pièces occidentales, celles en particulier d O Neill et d Ibsen, est un ancien élève du réputé lycée Nankai. Influencé par l atmosphère cosmopolite des concessions et la littérature européenne, il écrit à Tientsin sa première pièce, Orage (Thunderstorm), en Suivront La Plaine sauvage et L Homme de Pékin ( 北 京 人 ). Jun ichirō Tanizaki, écrivain japonais qui visite Tientsin en 1918, est séduit lui aussi par l intensité de la vie culturelle et intellectuelle de la ville. Son roman Affres d un jeune garçon (1919) prend pour décor la concession française de Tientsin. Notons aussi que l écrivain Zhang Ailing (Eileen Chang) auteur de La Cangue d or, Love in a fallen city, Lust, et de Caution -dont est tiré le film éponyme d Ang Lee passa son enfance dans la concession française. Le dramaturge Cao Yu. L écrivain japonais Tanizaki en La romancière Zhang Ailing en Zhang Ailing enfant.

26 48 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 49 Les écoles de la concession française sont pour la plupart des écoles religieuses, comme la Xinxue Shuyuan, le collège et lycée des filles de Saint-Joseph, et le lycée Saint-Louis. Le Couvent Saint-Joseph, tenu par des franciscaines, dans l ancienne rue Sabouraud, était réservé aux filles ; le Collège Saint-Louis, ou École des Frères Maristes, était, quant à lui, réservé aux garçons. Construite en 1894, non loin de ce qui sera la prochaine cathédrale Saint-Joseph bâtie par les Frères Lazaristes, l École municipale franco-chinoise est financée par la Municipalité française et inaugurée par l Ambassadeur et le Consul général de France. Les cours, donnés essentiellement en français, sont réservés à un public d élite chinois. Ce fut le siège de la première Alliance Française de la ville. L École des Frères Maristes. L École municipale, siège de la première Alliance Français de la ville. Religion L église de Wesley Construite en 1913, par un père américain dans la rue Lizhan (actuelle Binjiang Dao), cette église a vu jusqu en 1932 se succéder des pères chinois. En 1958, elle devient l une des quatre grandes églises de Tianjin, et prend pour nom l église chrétienne de Binjiang Dao. L église Wesley.

27 50 tianjin Les trésors de la concession française la concession française 51 L église Saint-Louis L église Saint-Louis (ou Zizhulin 紫 竹 林 教 堂 ) est construite en Après l épisode du massacre de Tientsin, l évêque français fait construire l église Saint-Louis de style Renaissance. Située au cœur de la concession française, et proche du régiment d infanterie, l église voit venir s installer de nombreux missionnaires et sœurs et devient rapidement «l église des Français de Tianjin». Prêtres, missionnaires et fidèles français s y réfugièrent lors de l entrée en ville des Boxeurs. Protégés par la présence militaire des autres puissances étrangères des concessions, les fidèles furent épargnés et les Boxeurs finirent par se retirer de la concession française. En 1949, des activités religieuses y étaient encore organisées par des prêtres chinois ; elles furent suspendues en La cathédrale Xikai Construite en 1913 avec des briques expédiées de France et achevée en 1916, elle devient la principale cathédrale du diocèse catholique de Tianjin. Son annexion à la concession française suscita des tensions massives et l intervention de la police pour contrôler les protestations publiques chinoises : c est l affaire dite «Laoxikai». En août 1966, La cathédrale Xikai. les Gardes rouges détruisirent trois de ses tours, et le tremblement de terre de- Tangshan de 1976 causa aussi quelques dégâts. Les réparations commencèrent au début des années 80. La cathédrale Xikai fait partie aujourd hui des reliques culturelles protégées de la ville. L église Saint-Louis.

28 52 tianjin Les trésors de la concession française Les Français de Tianjin Pierre Teilhard de Chardin ( ) Émile Licent ( ) Le nom de Pierre Teilhard de Chardin est, à Tianjin, étroitement associé à celui d Émile Licent, père jésuite comme lui et qui l avait précédé en Chine de quelques années. En 1914, Émile Licent arrive à Tientsin dans le cadre de l École des Hautes Études Industrielles et Commerciales, avec pour but d y fonder un centre de recherche scientifique dédié aux ressources naturelles du Nord de la Chine. Il allait voyager pendant neuf ans et accumuler des pièces botaniques, minéralogiques et paléontologiques et. Et mener à bien la construction du Musée d histoire naturelle de Tianjin (Musée Hoangho Paiho, ou encore Musée Licent, ouvert au public le 3 avril 1924 et dont le fronton est toujours visible dans ce qui est aujourd hui l Institut d Études des Langues Etrangères, sur Machang Dao). Ses nombreux voyages l amenèrent à découvrir d importants gisements de fossiles en 1920 entre le Gansu et le Shaanxi. En octobre 1921, des spécimens rares furent envoyés au Muséum d histoire naturelle de Paris qui décida d associer Teilhard de Chardin, éminent paléontologue entre autres talents, aux travaux menés par Licent. Une correspondance s ensuivit entre les deux jésuites, puis Teilhard se porta volontaire, sur l invitation de Licent, pour partir les français de tianjin pour la Chine afin d étudier sur le terrain avec ce dernier. Ce fut le début de la Mission paléontologique française, dont la direction fut confiée à Licent. Le 10 avril 1923, Teilhard embarque à Marseille pour Tientsin, où il arrive le 23 du mois suivant ; il a quarante-deux ans. Il livre ses premières impressions : «Autant la Malaisie m a paru ensorcelante, sous ses fleurs flamboyantes et ses forêts épaisses, autant les vallées du fleuve Bleu et du fleuve Jaune me semblent des régions austères et désolées». Ou encore, parlant du Nord de la Chine : «Il me semble que pour se plaire dans une région pareille, il faut avoir beaucoup à travailler». Son séjour en Chine, entrecoupé de plusieurs retours en France, sera l occasion d une coopération fructueuse autant que cordiale avec des scientifiques chinois, américains, suédois et russes, qui culmina avec la découverte à la fin de l année 1929 de la calotte crânienne de 53 Musée Hoangho Paiho

29 54 tianjin Les trésors de la concession française les français de tianjin 55 l «Homme de Pékin» par l archéologue chinois Pei Wenzhong. Teilhard, le théologien brillant, eut alors à se pencher, comme à son habitude avec originalité et une certaine liberté d esprit, sur le problème de la confrontation entre créationnisme et évolutionnisme. plaque nominative de l École des Hautes À partir de cette même Études Industrielles et Commerciales année, Teilhard, nommé conseiller du service géologique national chinois, vit désormais à Pékin. En 1931, il participe à la Croisière jaune. Puis il alterne des séjours en Chine et des voyages en Europe et en Asie. En août 1939, quelques semaines avant la déclaration de guerre à l Allemagne, il revient à Pékin. Les Japonais ont envahi la Chine. Les concessions de Tianjin sont isolées du reste de la ville. La situation du musée devient précaire. En 1940, il est décidé de transporter les collections à Pékin. Teilhard passe alors à nouveau quelques semaines à Tianjin pour aider à transporter les collections accumulées en vingtcinq ans par Émile Licent, rentré en France peu avant pour raisons de santé. L Institut de géobiologie de Pékin était né. Le 15 mars 1946, Teilhard quitte définitivement Pékin et la Chine, sur le sol de laquelle il aura passé plus de 17 ans. Paul Claudel ( ) Victor Segalen ( ) L écrivain Paul Claudel ( ) est consul à Tientsin et président du conseil municipal de la concession française de 1906 à Mais il regrette son ancien poste de Foutchéou (Fuzhou) et n aime pas la ville, qu il trouve laide : «C est vraiment de la lisière de pays, comme on dit une lisière d étoffe toute mangée par le sable et l eau salée». D autre part, il indispose les fonctionnaires en recevant trop de missionnaires et il évoque dans son Journal l hostilité du secrétaire de mairie à son égard, un anticlérical qui envoyait des lettres de dénonciation au Quai d Orsay. C est à Tientsin que naissent deux de ses enfants, Marie en 1907 et Pierre en C est aussi à Tientsin que le poète Victor Segalen ( )-parti à Pékin en tant que médecin de la Marine - vient rencontrer en fervent admirateur, en juin 1909, celui qui est pour lui un maître, Paul Claudel le poète. Paul Claudel est alors sur le point de quitter son poste de Consul de France, laissant derrière lui la Chine et quelques grandes œuvres composées à cette époque, dont Connaissance de l Est. La rencontre littéraire de Segalen et Claudel à Tientsin a fait l objet d un colloque organisé par l Alliance Française de Tianjin, en commémoration du centenaire de la publication de Stèles. Les propos qui suivent sont tirés de la conférence donnée ce jour par le Professeur Philippe

30 56 tianjin Les trésors de la concession française les français de tianjin 57 Postel, invité à cette occasion, intitulée «Claudel et Segalen, histoire d un différend»: Mais après la rencontre, l impression que lui a laissée Claudel est globalement décevante : «L après-midi, je me rends au Consulat, et voici Claudel. Froid et aimable d abord, plus aimable que froid. Tête ronde, yeux porcelaine très vifs ; menton et bouche empâtés comme son Connaissance parler un peu.» Ils visitent la ville : «D abord l église de l Est. neuve». En soulignant l adverbe, Segalen lance un nouveau trait d ironie à l égard d une pratique dévote qu il raille. Ils visitent ensuite le temple de Li Hongzhang (dernier vice-roi de la province du Zhili) : le temple chinois fonctionne comme un pendant inversé de l église, car il s agit d un lieu de culte aussi, mais le culte rendu à un homme récemment divinisé, ce qui suscite chez Claudel une réaction de «dégoût». La visite de Tianjin ressemble en somme à une démonstration faite par Claudel de la supériorité de la religion chrétienne sur les pratiques suspectes de la dévotion populaire chinoise. Position diamétralement opposée à celle de Segalen. Segalen éprouve de plus une nouvelle déception en découvrant que Claudel n a lu le Dao De Jing (Livre de la Voie et de la Vertu) qu «à travers une vague traduction» et qu il ne connaît pas le chinois, ce dont il était pourtant persuadé. Les deux hommes se verront encore par deux fois en Chine : à Tianjin tout d abord, Segalen croise Claudel parmi d autres connaissances (dont ses amis les O Neill), puis à Pékin, où Claudel rend visite à Segalen. De façon significative, Segalen, se rendant à Tianjin à la fin du mois, ne saisit pas l occasion pour rencontrer une nouvelle fois Claudel. En somme il a bien tenté, dans les premiers mois qu il passe en Chine, Calligraphie et recueil de Stèles. d approcher le poète Claudel, mais il a été déçu par l homme. Il entendra dès lors séparer nettement en Claudel le poète et l homme, qu il s agisse du consul ou de l homme de foi, de façon à sauver à ses yeux son ancien maître : «Je le tiens toujours très haut dans le ciel des artistes, écrit-il à sa femme. Mais je crois à moins d entrer absolument dans son intimité avoir épuisé dès le début ce que nous avons à nous dire pour longtemps.» Segalen séjournera encore à Tientsin entre mai 1911 et octobre 1912, où il enseignera la médecine à l Imperial Medical College. Sa fille Annie naîtra en août Comme Claudel, Segalen n aime pas la ville et son atmosphère de «médiocrité provinciale, suisse ou belge», et lui préférera toujours Pékin. Tientsin sera pourtant pour lui un lieu d écriture important puisque c est ici qu il rédigera le recueil poétique qui le rendra célèbre et fera de lui «le» poète français de la Chine : Stèles (1912). Recueil qu il dédicace... à Paul Claudel. Construit par un docteur L Imperial Medical College, anglais, John Kenneth où enseigna et pratiqua Victor Segalen. Mackenzie, «l hôpital du Docteur Ma», ainsi appelé en mémoire de son fondateur, se situait dans l avenue Haida Dao (aux de l actuelle Dagubei Lu), autrement appelée rue de Takou selon la toponymie en usage dans la concession française. Après 1949, cet hôpital devient l hôpital public de Tianjin ; c est aujourd hui un hôpital dentaire.

31 58 59 Petite bibliographie pour en savoir plus WEBER Jacques (dir.), La France en Chine ( ), Nantes, Presses Académiques de l Ouest, Centre de recherches sur l histoire du monde atlantique, Université de Nantes, 1997, 267 p. BRIZAY Bernard, La France en Chine du XVII e siècle à nos jours, Perrin, 2013, 556 p. BOUVIER D YVOIRE Vincent, Les Concessions françaises en Chine ( ) : Canton, Hanketou, Tientsin, Shanghai, Mémoire de Maîtrise présenté sous la direction de René GIRAULT, 1988, 252 p. À la découverte de l ancienne concession française deux promenades CESARI Laurent (dir.), «Les relations franco-chinoises au vingtième siècle et leurs antécédents», Actes du colloque d Arras, Artois Presses Université, ZHANG Limin 张 利 民 & REN Jidong 任 吉 东, 近 代 天 津 研 究 史 综 述 («Résumé de la recherche sur l histoire moderne de la ville de Tianjin»), publié dans Shilin («史 林», revue historique, un magazine académique périodique), avril 2011, 173:178. THIN George, The Tientsin Massacre, Bibliolife, 2008, 112 p. ARNOULD Jacques, Teilhard de Chardin, Perrin, 2005, 390 p. *** DUBOIS Jacqueline, Le Gué du Ciel, Flammarion, 1994, 240 p. Vous trouverez cet ouvrage, qui fourmille de détails passionnants sur la vie des concessions à Tientsin, à la bibliothèque de l Alliance Française de Tianjin. FENG Jicai, Le Petit Lettré de Tianjin et autres récits, Éditions Bleu de Chine, 2002, 108 p. Les deux itinéraires que nous vous proposons peuvent s effectuer en une journée. Si vous êtes bon marcheur, vous pouvez faire la balade complète en partant tôt le matin et finir en fin d après-midi. Nous choisissons pour autant de découper la balade en deux promenades, pour ceux qui auraient des enfants ou désireraient prendre leur temps et rester deux journées à Tianjin.