Changeons. le monde. Bernard Carayon. Député



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Transcription:

Changeons le monde Bernard Carayon Député

Bernard Carayon, né en 1957, est avocat, député du Tarn et maire de Lavaur. Spécialiste de la mondialisation, il a créé la fondation d entreprises Prometheus qu il préside (www.fondation-prometheus.org). Il est l auteur de nombreux rapports parlementaires (www.bcarayon-ie.com) et d un ouvrage (Patriotisme économique, de la guerre à la paix économique, éditions du Rocher). Changeons le monde Il y a des oubliés de la mondialisation comme il y a des soldats inconnus. Artisans, entrepreneurs ou paysans, ils contemplent, avec incrédulité, le spectacle désastreux offert par ceux que l on appelait, il y a quelques mois encore, les «rois de la finance». Aujourd hui, nous avons tous compris que l économie de marché ne pouvait être sauvée par le marché, mais par la puissance publique. Je crois en la diversité de la France, en l émergence de ses talents, en l immense potentiel de ses territoires. Ces réflexions sont commandées par un sentiment naturel de fraternité avec ceux qui souffrent, parfois se battent, et toujours espèrent un autre monde.

Changeons le monde Bernard Carayon Député

5 Avant-propos 11 Changeons le monde 17 Un monde à reconstruire 20 Les nouveaux risques 23 Les nouveaux riches 28 Humaniser la mondialisation 30 Le politique et le marché 36 Libre-échange, justes-échanges 39 L homme au cœur de la mondialisation : industrie et territoires 44 Résumé

Avant-propos Il y a des oubliés de la mondialisation comme il y a des soldats inconnus. Des victimes d une guerre sans les visages et les images tragiques qui nous sont familiers. Des héros des situations ordinaires que l on ne rencontrera jamais dans les grandes capitales du monde, ni sur les plateaux de télévision, et qui, chaque jour, apportent à leur génération beaucoup d eux-mêmes, du travail, de la fraternité, parfois du rêve. Artisans, entrepreneurs ou paysans, ils contemplent, avec incrédulité, le spectacle désastreux offert par ceux que l on appelait, il y a quelques mois encore, les «rois de la finance», jeunes «maîtres du monde», formés dans les meilleures universités du monde, par les meilleurs professeurs au monde. Quand, il y a quelques jours, par la faute de ces spéculateurs, les crédits aux entreprises ont été gelés, que les clients se sont évanouis, tandis que s effondraient en Bourse les actions de 5

nos entreprises les plus sûres et les plus stables, nous avons tous compris, concrètement, combien la mondialisation n était pas un concept, qu elle n était plus seulement une opportunité heureuse d échanges, mais qu elle pouvait constituer aussi une menace directe portée à nos vies, à nos familles, à nos pays. Ces combattants oubliés, je vis avec eux depuis que je suis élu, et c est pour eux que je témoigne, avec autant de colère que d espoir. Depuis quinze ans, je partage leurs enthousiasmes et leurs angois ses ; ceux d un industriel qui se bat, tour à tour, contre ses concurrents du monde entier et les réglementations de dizaines d Etats, contre des Organisations Non Gouvernementales (ONG) aussi, qui, après avoir cherché à lui nuire, négocient chèrement l armistice. Je partage la colère de ces agriculteurs qui ne comprennent pas que Bruxelles gèle quatre millions d hectares de belles terres, quand il y a dans le monde un milliard de nos contemporains qui ne mangent pas à leur faim. la voiture il y a trente ans a été saluée avec joie, mais qui ne peuvent comprendre que l on puisse tergiverser, un mois, au Parlement, sur les modalités de financement du Revenu de Solidarité Active (un milliard d euros) mais «mobiliser» en cinq jours 360 milliards pour des banques. Pour les entrepreneurs comme pour les salariés, il y a aujourd hui quelque chose d incompréhensible, voire d insupportable, à comparer les moyens inimaginables servis, dans l urgence, aux banques qui avaient failli, et les moyens qui, avant la crise, étaient destinés à récompenser le mérite et le travail. Je suis élu d un territoire, j ai envie de dire d un «terroir» tant il est fait pour moi de chair, d histoire et de bonheurs concrets. Je connais l «odeur de la France», selon la belle expression du philosophe Jean-Paul Dollé. Je m y sens chez moi. Et c est là, comme doivent le faire tous les élus, «chez eux», qu il faut tenter d expliquer le sens d un phénomène qui, pour beaucoup, n en a pas... Je connais beaucoup de retraités qui vivent, chaque mois, avec Quoiqu ils en disent parfois, nos électeurs nous accordent quelques centaines d euros, après une dure vie professionnelle, une confiance qu ils ne prêtent pas à d autres, experts et 6 où chaque étape de confort la télévision il y a quarante ans, commentateurs. 7

Et c est fort de cette alliance, si intime, creuset de notre démocratie, que j ai souhaité exprimer quelques libres pensées. Depuis de longues années j ai plaidé la nécessité d un retour de la voix politique dans l économie, d une voix qui serait la traduction d un engagement collectif au service de nos intérêts, français et européens, ce que j ai appelé, en 2003, le «patriotisme économique» 1. Cette voix du politique n est pas l expression d une pulsion colbertiste encore que Colbert ait été l un de nos grands hommes d Etat ni même d un protectionnisme archaïque. Mais c est à l Etat qu il revient de donner du sens, de transformer l avenir en destin. C est à lui de garantir la cohésion de notre pays, c est à dire de faire en sorte que notre développement ne privilégie pas les uns au détriment des autres ; c est à lui de définir nos intérêts stratégiques 2, industriels et scientifiques, à les défendre comme à les promouvoir au côté de nos entreprises, dans les domaines de la santé, de l énergie, de la défense, des technologies de l information, de l aéronautique et du spatial ; c est à l Etat, encore, de conjuguer nos talents, qu ils soient issus du marché, de l administration, de l Université ou des mouvements confessionnels et associatifs. Je suis convaincu que, quelle que soit la nécessité de réformer la gouvernance financière mondiale, il y a plus important encore... Bien sûr, il est nécessaire de réguler, de moraliser, de surveiller, d harmoniser, peut-être même de centraliser, mais nous sommes, dans bien d autres domaines, «dos au mur» : les émeutes de la faim précèdent-elles de nouveaux et vastes mouvements migratoires? Comment les européens assureront-ils dans trente ans leur sécurité collective alors que 40% d entre eux auront plus de 60 ans? Disposons-nous collectivement de tous les outils d alerte, de prévention et de soin contre les grandes épidémies? Je crois en la diversité de la France, en l émergence de ses talents, en l immense potentiel de ses territoires. Ces réflexions sont commandées par un sentiment naturel de fraternité avec ceux qui souffrent, parfois se battent, et toujours espèrent un autre monde. B.C., 11 novembre 2008 8 9 1 Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, La documentation francaise, p.11, 2003 et Patriotisme économique, de la guerre à la paix économique, Editions du Rocher, 2006. 2 Se reporter aux travaux de la fondation d entreprises Prometheus (fondation-prometheus.org).

Changeons le monde Résumé Il y a des oubliés de la mondialisation comme il y a des soldats inconnus. Artisans, entrepreneurs ou paysans, ils contemplent, avec incrédulité, le spectacle désastreux offert par ceux que l on appelait, il y a quelques mois encore, les «rois de la finance», jeunes «maîtres du monde». Les nouveaux risques Nous sommes entrés dans l ère des «nouveaux risques» et des «nouvelles pauvretés». Les menaces sanitaires et environnementales sont devenues globales : il n y a plus de frontières entre pays «riches» et pays «pauvres». L effondrement de la spéculation financière ouvre la voie, historique, par réaction, d une humanisation de la mondialisation. Car nous avons, dans notre malheur, une chance singulière : celle de l élection, à un an d intervalle, de deux hommes de rupture, l un en Europe, Nicolas Sarkozy, l autre aux Etats Unis, Barack Obama, et de deux tempéraments que les temps de crise stimulent. Depuis vingt ans la compétition mondiale s est exacerbée, prenant les traits d une «guerre économique» où tous les coups sont permis, toutes les intimidations autorisées. Triste bilan d une époque où les marchés sont devenus fous et qui s achève... à la corbeille. Le rêve de Montesquieu d un «doux commerce» est bien mort. L épuisement des ressources énergétiques handicape gravement notre économie, les pays développés vieillissent. Dans l accès aux savoirs enfin, la compétition entre pays occidentaux est désormais dépassée. Les nouveaux riches La crise financière a mis en lumière des acteurs financiers habitués à la discrétion : les hedge funds et les fonds souverains. Direction étatique, gouvernance opaque, investissements stratégiques : ces fonds dérogent depuis cinquante ans aux lois du marché, sans que les promoteurs du libéralisme n y aient jamais vu malice 44 45

Les idées et les réseaux sont devenus, aussi, un marché pour les ONG et les think tanks. Les uns comme les autres, dans les pays anglo-saxons, drainent des concours financiers, publics et privés, considérables. Le politique et le marché Nous avons tous compris que l économie de marché ne pouvait être sauvée par le marché, mais par la puissance publique. C est dans un cadre public que les nations assurent leur développement, leur pérennité et leur cohésion. Ce sont les décisions publiques, qui seules, donnent aux communautés humaines la conscience d un destin collectif, un cadre juridique, une réponse aux besoins naturels de santé, d éducation, de logement, de sécurité... force que la force du droit. Le recours, en somme, à toutes les formes de dopage dans la compétition économique. La transparence s impose aux acteurs nouveaux de la mondialisation, comme les ONG et les fondations. Elle nécessite que les «trous noirs» de la finance internationale, les paradis fiscaux soient également supprimés. La réciprocité doit s imposer comme un principe fondamental dans les relations commerciales internationales. La réciprocité c est l application, aux entreprises, dans la compétition mondiale, du principe de l égalité de traitement des citoyens dans un Etat. Il faut enfin opposer la force du droit au droit de la force, en accélérant les procédures de sanction aux violations du droit international. Nous devons, en somme, cesser de vivre dans une sorte d ostracisme mutuel, définir un équilibre entre la régulation publique et l activité L homme au cœur de la mondialisation : de marché, entre la liberté et la responsabilité. industrie et territoires En ces temps de folie financière, l industrie apparaît comme une valeur sûre, rassurante. Parce que l industrie, c est l «économie Libre-échange, justes échanges réelle». L homme au cœur du système économique, sa production Les marchés mondiaux illustrent plus souvent l opacité que la au cœur du dynamisme et de la stabilité des territoires, la morale 46 transparence, l unilatéralisme que la réciprocité, le droit de la au cœur du capitalisme. 47