MAI 2012 Maitrise de la consommation électrique: techno-push contre comportements, ce que nous apprennent les expériences asiatiques Thomas Le Diouron, Managing Partner thomas.lediouron@impulsepartners.com La question pressante de la transition énergétique produit deux réponses-types: 1) Investir lourdement dans le développement de nouvelles technologies (énergies renouvelables et consommation intelligente) et 2) encourager des comportement de réduction de la consommation à technologie constante. Tout l enjeu consiste donc à optimiser dans le temps l usage de ces deux méthodes. Jean-Matthieu Hautenauve, Consultant jeanmatthieu.hautenauve@impulsepartners.com «Est-il justifié de supporter le coût de solutions 100% technologiques si des progrès significatifs peuvent d ores et déjà être accomplis sans investissements majeurs?» La transition vers un cycle vertueux de production et de consommation énergétique s est érigée en question de société majeure. A ce jour, la question pressante de la transition énergétique a produit deux réponses-types: La première consiste à investir lourdement dans le développement de nouvelles technologies qui permettront, à moyen terme, de faire mûrir l ensemble du secteur des énergies renouvelables et de la consommation intelligente - c est le cas, notamment, des smart-grids. Le projet pilote sur l ile de Jeju en Corée est illustratif de cette tendance «technopush». La seconde réponse-type est plutôt d ordre comportemental et vise, à technologie constante, à encourager la réduction de la consommation. Certes contraint par des circonstances exceptionnelles, c est néanmoins la prouesse réalisée par le Japon depuis la catastrophe de Fukushima. Quoi qu il en soit, ces différentes approches reposent sur des horizons temporels très différents - court et moyen terme. Tout l enjeu consiste donc à optimiser dans le temps l usage de ces deux méthodes. 1
Modèle 1 : Le techno-push Coréen L impossibilité de stocker de l électricité et de faire varier sensiblement le volume de production tend à rendre les systèmes de génération d électricité très sensibles aux pics de consommation. Plusieurs gouvernements et grandes entreprises développent ainsi de nouvelles technologies visant à éviter les tirages exceptionnels et de lisser les courbes de charges dans le temps. Parmi celles-ci, les réseaux intelligents «smart grids» font l objet d un enthousiasme mondial et font espérer qu un jour, l interconnexion de tous les appareils électriques et la coordination de leur consommation d électricité permettra de mieux gérer le tirage sur le réseau et, en retour, d optimiser la production, de limiter les pannes et d intégrer au réseau des énergies renouvelables dont la production est souvent instable. «Les objectifs d économies d énergie sont peu ambitieux et ne dépassent pas 10% en 2030» A l instar de nombreux autres pays, la Corée du Sud a mis en place, sur l ile de Jeju, une expérience grandeur nature de ce type de «smart grids». L objectif du projet est de valider, entre 2010 et 2013, les technologies nécessaires au bon fonctionnement d un réseau intelligent (compteurs, instruments de traitement de données, appareils ménagers «connectés», énergies renouvelables ) avec l ambition de pouvoir étendre d ici 2030 ce type de réseau à l ensemble de la Corée. La phase pilote du projet est divisée en 5 volets, portant d abord sur les réseaux intelligents per se, puis sur les instruments de comptage et de traitement de données, et enfin sur les véhicules électriques, les appareils domestiques, les énergies renouvelables et l offre de fourniture et de services liés. Au total, plus de 170 entreprises, réunies en 10 consortium, sont impliquées dans ces différents volets, dont les géants coréens KEPCO, LG, Samsung, MKE, et plus de 6000 foyers ont d ores et déjà été connectés. Objectifs des phases pilotes du projet Jeju Island De nombreux indicateurs de réussite, avec des objectifs chiffrés, on été mis en place. Aucune évaluation formelle de la phase pilote du projet n a encore été menée, mais on constate d ores et déjà que les objectifs d économies d énergie devant être réalisées par les particuliers sont peu ambitieux et ne dépassent pas 10% en 2030. En revanche, l investissement total dans cette première phase du projet dépasse déjà $220 millions (169 m ), et devrait dépasser $24,5 milliards (18,8 mds ) en 2030. Sources : www.smartgrid.or.kr, www.smartgrid.jeju.go.kr, Impulse Partners analysis 2
Modèle 2 : La civilité japonaise comme supplétif à la baisse des capacités de production Evolution de la capacité de production d électricité avant et après le tsunami de mars 2011 Le secteur énergétique japonais a subit de plein fouet l impact du tsunami de mars 2011. La capacité de production d énergie nucléaire japonaise a été immédiatement réduite de 10% avec la destruction des réacteurs de Fukushima, mais aussi par la dégradation de capacités de production thermique. Avec les doutes soudainement surgis quant à la sécurité de l atome, les autres centrales nucléaires du pays n ont pas été en mesure de renouveler leurs autorisations d opérer auprès des gouvernements locaux et ont été progressivement éteintes. En mai 2012, c est l ensemble du parc nucléaire japonais qui est arrêté et près de 23% de la capacité de production d énergie du pays suspendue. Sources : Institute of Energy Economics, Japan (IEEJ), Impulse Partners analysis «En mai 2012, c est l ensemble du parc nucléaire japonais qui est arrêté et près de 23% de la capacité de production d énergie du pays suspendue» Or la consommation électrique japonaise est très cyclique, avec d importantes variations dans la consommation liée aux pics de température en été, a tel point que le premier ministre inaugure depuis 2004, au début du mois de juin, une période de chemisette à manche courtes pour tous, sans cravate, afin de limiter les besoins en climatisation. Mais le tsunami a fait tomber la capacité de production du pays sous le niveau habituel du pic de consommation estival, et le gouvernement a donc décidé, pour l été 2011, d implémenter des mesures exceptionnelles : d abord par une réduction de la consommation d énergie, puis par le lissage de la consommation. L objectif Courbes de demande de consommation (habituelle et visée) dans une journée d été Sources : Institute for Energy Economics, Japan (IEEJ), The Tokyo Foundation, Impulse Partners analysis affiché est de réduire la consommation de 15%, permettant de dégager ainsi, au-delà du strict minimum, une marge de sécurité de l approvisionnement. Parmi les mesures les plus remarquées : imposition d une baisse de la consommation de 15% pour les grands consommateurs industriels, lissage de la consommation industrielle par le décalage d une partie du travail vers la nuit et le weekend, hausse de la température «réglementaire» dans les bureaux, télétravail, encouragement des économies domestiques Ces objectifs ont été maintenus pour l été 2012. 3
Ces changements du mix énergétique ont entrainé une importante hausse des importations de gaz naturel en 2011 (+52%), principalement en provenance d Australie, d Asie du Sud-Est, du Qatar, mais aussi plus récemment des USA et de la Belgique. Ces importations déséquilibrent la balance commerciale japonaise et engendrent naturellement une augmentation des coûts de production de l électricité. En outre, les industriels japonais ont dû activer des mesures couteuses de travail de nuit et de week-end. Mais on constate surtout qu il n y a pas eu de coupure majeure en été 2011. La consommation d énergie a baissé de 4,7% sur l année par rapport à 2010, et à même atteint un minimum de -11% en aout par rapport à aout 2010. Les réductions ont été particulièrement importantes chez les particuliers, quand bien même aucune obligation financière ne leur était imposée. Et en apparence, rien n a changé à Tokyo. Avec 35 C à l extérieur en été 2011, le métro, les commerces et tous les lieux publics sont restés largement climatisés, souvent bien au delà des standards français. Les enseignes, très nombreuses dans les quartiers commerçants, sont restées allumées toute la nuit, comme d habitude. Métro, trains de banlieue et shinkansens ont fonctionné avec la fréquence et la ponctualité habituelle. «Les réductions ont été particulièrement importantes chez les particuliers, quand bien même aucune obligation financière ne leur était imposée» Seules signes visibles d efforts de maitrise de la consommation : des posters «energy savings» disposés dans les lieux publics, et chaque soir à la télévision un point sur «load utilization factor» et les prévisions de consommation du lendemain. 4
Conclusion : Le passage programmé vers la production d une énergie plus propre repose en théorie sur une mécanique de prix simple : le coût des énergies fossiles va nécessairement monter, celui des énergies renouvelables parvenir à maturité puis diminuer. Au voisinage du point d équilibre, une transition naturelle pourra s effectuer. Les projets pilotes comme celui de l ile de Jeju s inscrivent dans cette logique, tout comme la nouvelle orientation du Japon vers davantage d énergies renouvelables. Toutes les économies matures en Amérique du Nord, en Europe, et même en Chine parient sur le développement des ces nouvelles technologies en mettant en avant les vertus de la «croissance verte». Mais ce raisonnement tend à marginaliser une vérité simple : toute notre consommation d électricité n est pas indispensable. Si les baisses de consommation ont été imposées aux industriels japonais et assorties de pénalités financières, les objectifs imposés aux particuliers japonais n étaient en rien contraignants. Est-il justifié de supporter le coût de solutions 100% technologiques si des progrès significatifs peuvent d ores et déjà être accomplis sans investissements majeurs? Les deux approches ne sont pas moins légitimes l une que l autre. Il s agit seulement de penser les horizons de temps multiples. A court terme, la solution japonaise a le plus d impact. La voie technologique est sans doute celle de l avenir. L idéal serait dès aujourd hui de ne brocarder ni l une ni l autre. A propos d Impulse Partners Impulse Partners est un cabinet de Conseil en Direction Générale. Nous accompagnons les dirigeants de grands groupes sur des problématiques nouvelles à fort contenu technologique qui remettent en cause le core business traditionnel et qui nécessitent de revisiter la stratégie d innovation, d ouvrir l entreprise sur l extérieur et de repenser les business models. Nos équipes publient régulièrement des points de vue et analyses dans la presse et sur notre site internet www.impulse-partners.com 5