Compte rendu de l intervention de M Aldo Levy, «Comment les établissements financiers islamiques doivent-ils, avec une gouvernance élargie, financer l économie réelle?» 1. Les sources : Sources principales Coran : 6.219 versets la principale source du droit islamique à peine 10 versets concernent l économie et la finance soit 0,2%! Hadiths qui forment la Sounna permet les interprétations, commentaires, précisions, digressions, etc. du Coran. Sources secondaires Ijtihad aide à interpréter les textes fondateurs de l islam et répondre à des questions qui n y sont pas explicitement envisagées Ijma consensus, est la principale source de la charia et de la jurisprudence musulmane Fiqh jurisprudence islamique Qiyas pour passer d un savoir tacite à une connaissance explicite, o Analogie permet des ressemblances entre deux ou plusieurs éléments différents o Métaphore très souvent utilisée dans les religions, a pour but de transmettre un sens. Mais, toute métaphore est inexacte, et d ailleurs, elle ne revendique pas d authenticité. o Métonymie consiste à remplacer un mot par un autre mot À ces sources s ajoutent plusieurs autres : l opinion personnelle le ray', l istihsân, la relativisation et la prise en compte du contexte, l'istihsâb la prise en considération de la pratique en vigueur, l istislâh la prise en considération de l intérêt général, l ijtihad effort de réflexion personnelle basée sur les principes généraux de l islam. Des coutumes préislamiques ont été intégrées dans la loi musulmane les exégètes (comités de la charia) sont nombreux et les exégèses (fatwa) parfois opposées 2. Les interdits : 2.1 Le prêt à intérêt Riba L argent ne peut pas fructifier ex nihilo, sans qu il n y ait aucun «travail» autre que celui de faire fructifier son argent L'intérêt portant sur un flux financier unique, constitue pour la charia un prélèvement de fait sur le travail d'autrui sans participation, ni même une simple prise de risque du prêteur. donc le travail prime sur le capital si le prêteur supporte seul le risque financier n est pas interdit ( Moudaraba). 1
la charia ne s oppose pas à la rémunération de l argent. Mais c est le caractère fixe et prédéterminé de l intérêt, donc sans prise de risque, qui est interdit. 2.2 Thésauriser On doit épargner mais uniquement pour subvenir à leur besoins sociaux et au remboursement de leurs dettes L épargne de précaution autorisée, halal l islam reconnaît le rôle essentiel de la monnaie, mais pour le seul motif de transaction, (comme l ont fait les classiques et les néoclassiques). Mais la charia rejette le motif de spéculation au sens keynésien. Thésaurisation interdite car origine : manque de placements suffisamment profitables sur le marché pour inciter les financeurs à investir ; stratégie délibérée d entretien de la rareté, qui leur permettra de tirer des revenus plus substantiels au moment opportun où les cours auront atteint des sommets. L épargne manque de foi en l avenir, «à la grâce de Dieu» inch Allah Remarques : Pour ne pas thésauriser, les investisseurs islamiques doivent surinvestir, dans des projets pharaoniques, souvent immobiliers (cf. la démesure des pays du Golfe, la crise immobilière de Dubaï, Qatar, etc.) risque de confisquer (proscrit) des capitaux pour financer les projets socioéconomiques plus petits. manière détournée, de gérer la pénurie (proscrit). 2.3 Garar Vice caché : Manque de transparence dans un contrat. expose l autre à un risque ou un danger excessif dans une transaction commerciale en raison d incertitude sur le prix, la qualité, la quantité, la date de livraison, etc. occasionne une perte imprévisible, donc non maîtrisable Limite : les contrats d assurance classiques sont contraires aux principes de la charia, car le montant du remboursement est incertain puisqu il dépend de la survenance d événements aléatoires. 2.4 Maysir Spéculation, jeux de hasard, etc. détournent les personnes de leurs devoirs sociaux et économiques, en leur faisant croire à des gains sans travail économique (non financier?), sans peines et difficultés proscrit en principe les opérations ou produits financiers des établissements de crédits classiques comme les futurs, swaps, options, etc. Transactions sur les métaux précieux sont interdites si elles ne sont pas en parfaite équivalence Remarque : Les ventes de biens et services seulement éventuels comme la météo, pourtant fonction d événement hasardeux, ne sont pas proscrites car Mahomet admit que les agriculteurs s engageaient sur des récoltes simplement probables. Donc, négocier des matières premières avant l extraction ou la récolte, ou anticiper des températures, relève de la même logique. Cela s appelle en finance classique : spéculer. 2
Le travail, condition essentielle de l enrichissement en finance islamique, est une notion mal définie Les subprimes, à l origine de la crise financière mondiale actuelle, avaient bien des sous-jacents physiques : les maisons vendues à crédit par des établissements financiers les ayant payées au comptant. 2.5 Investir dans des activités amorales Investir dans des activités directement ou indirectement associées aux produits addictifs comme l alcool, la pornographie, etc. (pas armes ou tabac) interdit. les produits financiers islamiques représentent des actifs spécifiques qui peuvent attirer les investisseurs à la recherche d investissements éthiques rejoint la notion d investissement socialement responsable pour un développement durable et attire ceux qui recherchent une moralité dans les affaires. 3. Les facteurs de production Travail Tout travail mérite salaire et en islam par principe travail >> Capital Travail mais pour quel montant? Les musulmans ne doivent pas être désœuvrés risque d esclavage Capital La richesse et l argent jamais tabous dans les religions abrahamiques. Mais les modèles de management financier expliquent comment gagner de l argent (la rentabilité, la profitabilité, etc.) et optimiser les revenus (gains de productivité, rendements, etc.), il n en n existe quasiment aucun qui explique comment distribuer les richesses créées. Ces religions n ont pas indiqué comment gagner de l argent ; elles ont explicité en revanche comment répartir : les revenus : maassere 10 % du revenu chez les juifs, dime10 % du revenu chez les chrétiens le patrimoine (zacat 2,5 % du patrimoine chez les musulmans). 4. Les opérations financières a) Opérations avec participation de la banque - Moudaraba : Partenariat passif Limitée : précis. Un entrepreneur sollicite une banque avec un projet. La banque prete. L entrepreneur fait faillite. L entrepreneur a travaillé, la banque n a rien fait, donc, pas de remboursement. Illimitée : la banque prête sans projet. La banque perd seule. - Moucharaca : partenariat actif Simple : gestion commune : joint-venture Dégressive : rachat des parts investies Titrisation : projets pharaoniques Remarque : tout financement doit passer par l économie réelle : il est interdit de dématérialiser l argent. Il faut donc une réciprocité des flux : un flux financier contre un flux réel. 3
Les pertes sont supportées par les partenaires en proportion de leur participation au capital. - Moudaraba et Moucharaca Banque risque tout Banque ne risque pas seule b) Opérations sans participation de la banque - Mourabaha Vente : coût + marge Un acheteur et un vendeur, qui marge lors de la revente au client. - Ijara Simple : location avec loyers Wa Ictina : Crédit-bail. - Istina Financement de bien à produire. Bien inexistant : VEFA. Problème : spéculation possible et risque mineur. Opération critiquable. - Salam Idéal pour les matières premières. Livraison différée, paiement comptant. Conclusion Toute banque doit avoir un Charia Board, composé d Oulemas experts en finance qui donne son avis pour toute opération financière. Il n a qu une voix consultative, mais le risque est que les déposants retirent leurs capitaux s il n est pas écouté. 4
Compte rendu de l intervention de Stéphane ONNEE Professeur agrégé des Universités en sciences de gestion à l Université d Orléans «Le financement participatif ou crowdfunding» I - Définitions, origines et fonctionnement du crowdfunding Le crowdfunding consiste à avoir recours aux services d une plateforme afin de proposer un projet auprès d une communauté de financeurs en échange éventuel de contreparties préalablement définies. Ce terme n existe que depuis une dizaine d années. Les étapes de gestion d un projet de crowdfunding sont les suivantes : Soumission du projet à la plateforme Processus de sélection du projet Tri Eviction éventuelle Avis des internautes Investissement des internautes Tout ou rien collecte réalisée seulement si l objectif est atteint Tout est pris sommes collectées conservées même si l objectif n est pas atteint Le recours à «la foule» n est pas une idée nouvelle : en 1874, la statue de la liberté a été financée par souscription publique. Aujourd hui, ce modèle est fortement lié à l économie de la contribution, du partage et de la collaboration. Son développement est facilité par les technologies renforçant le relationnel (technologies web 2.0), notamment au sein de communautés de personnes qui ne se connaissent pas, favorisant l innovation ouverte : la foule, bien que non experte, apporte ses idées, son temps de travail, son argent. On distingue différents modèles de financement par crowdfunding : - Le don pur, sans contrepartie - Les modèles avec contrepartie : o Les modèles communautaires l octroi d une récompense intangible (un simple merci) ou matérielle (un objet) le préachat du produit financé (obtention d un objet en avant première) la participation aux bénéfices du projet o Les modèles financiers L investissement régulier par un groupe de personnes (approche Club) ou par la plateforme elle-même (approche holding) Les prêts : le prêt solidaire (micro crédit, souvent à taux 0) le prêt entre particulier (prêt rémunéré pour une voiture par exemple) le prêt entre entreprises (désormais autorisé par la loi Macron) Les plateformes de crowdfunding réunissent à la fois les porteurs de projet et les investisseurs. Gravitent autour d elles des acteurs diversifiés : - Associations et ONG qui y trouvent une source possible nouvelle de financement ; 5
- Sociétés de capital risque, banques et business angels qui y trouvent un intérêt complémentaire à leur activité. Ces plateformes constituent un véritable marché, caractérisé aujourd hui par de nombreuses créations et disparitions et pour lequel il est très difficile d en dresser la liste, à l exception des 3 acteurs majeurs que sont KissKissBankBank, My Major Company et Ulule. Qu elles soient généralistes ou spécialisées, territorialisées ou non, ces plateformes sont confrontées à la nécessité d atteindre la taille critique pour les rendre économiquement viables. II - Etat des lieux du crowdfunding en France Les fonds recueillis ont été multipliés par 2 entre 2013 et 2014, pour atteindre une collecte de 152 M millions en 2014. Les porteurs de projets sont des entreprises (qui se financent en grande majorité par le capital et par le prêt), des associations (qui cherchent le plus souvent des dons avec contrepartie) et des particuliers (pour obtenir des prêts ou des dons avec contrepartie) En matière de modèle de financement, pour l année 2014, c est le prêt qui génère la collecte la plus forte (88 M ), devant les dons (38 M,) puis les investissements en capital qui ne représentent que 25 M mais dont la progression et la valeur moyenne de la collecte sont les plus élevées. La forme de crowdfunding dépend souvent de la nature des projets : les projets culturels sont financés en grande majorité par le don alors que les projets liés aux activités commerciales et de service le sont par le prêt ou le capital. L environnement réglementaire a fortement évolué, sous la régulation de l AMF, avec la naissance en 2014 du statut de Conseiller en Investissement Participatif, l autorisation maximale de collecte pour un projet augmentée à 1 M et le soutien maximal à 1 000 par projet et par internaute. Au niveau mondial, le marché français du crowdfunding se trouve en 3 ème position derrière le Royaume-Uni et les USA. III - Les enjeux du crowdfunding Un premier enjeu de taille : celui d une communauté - La plateforme joue le rôle d un animateur de réseau, organisant les rencontres entre financeurs et porteurs de projet. Elle va également permettre d enrichir le capital social du porteur de projet. - Le rayonnement du projet se fait autour de la notion de cercles communautaires : o 1 er cercle : famille, amis, fans, o 2 ème cercle : les amis du 1 er cercle (il contribuent à faire le buzz sur le projet en le faisant circuler), o 3 ème cercle : la foule, c'est-à-dire les inconnus. La valeur ajoutée d une plateforme réside dans sa capacité à mobiliser le 3ème cercle : elle devient alors une communauté dotée de son propre capital social et mobilise la foule pour tout porteur de projet. Un deuxième enjeu : celui de l externalisation : 6
- Le crowdsourcing consiste à externaliser une activité via internet auprès d un grand nombre d individus anonymes, avec ses déclinaisons : o le crowdwisdom (capter l intelligence, comme dans les forum) o le crowdcreation (capter le potentiel créatif) o le crowdvoting (capter le jugement, l avis) o le crowdworking (faire travailler la foule) Même si le crowdfunding est une forme de financement, il s associe souvent via les plateformes aux autres branches du crowdsourcing. Vers l acteur client : un enjeu stratégique et marketing - Quelles sont les motivations qui poussent l internaute à financer un projet? o Disposer d un retour sur investissement (besoin économique) o Satisfaire des besoins psychologiques, non financiers (suivre le porteur dans son projet, participer à un défi, s exprimer, se divertir) o Se donner un statut dans la société et partager pour dépasser la logique d anonymat Un levier d attraction territoriale : - le crowdfunding permet de proposer une offre complémentaire de financement pour les acteurs locaux : financer sa région permet «d investir local» - de nombreux projets sont alors le fruit d une participation entre acteurs locaux. Le crowdfunding est un mode de financement souvent complémentaire des financements bancaires : - Certains projets pourraient être financés par les banques (financement alternatif) - Pour de nombreux dossiers, le financement par crowdfunding est un moyen de tester l intérêt du projet, notamment lorsqu il est atypique. La financement bancaire sera alors un relais ultérieur. IV - L Ordre des Experts-Comptables et le crowdfunding L Ordre des Experts-Comptables a noué des partenariats avec deux plateformes de crowdfunding : Lendopolis et Prêtgo ; l expert-comptable devient le partenaire de confiance de la plateforme : - il a un rôle d information vis à vis de ses clients en leur faisant connaitre ce mode de financement - il apporte un cadre sécurisé pour l internaute en délivrant à partir du business plan du projet une «attestation d informations financières» qui témoigne du sérieux des informations prévisionnelles. V Les risques liés au crowdfunding Le financement par crowdfunding comporte des risques et connaît des limites : - le risque de faillite des plateformes (comme la faillite de Isodev en janvier 2015), - le risque de défaut des projets financés ; ces risques restent limités, notamment par la sélection des projets par les plateformes, - la faible visibilité historique qui empêche de mesurer réellement la performance des plateformes, - le taux de commission élevé prélevé sur les sommes collectées (jusqu à 8%), 7
- le doute sur le fait que tous les projets financés le soient réellement pour une bonne cause compte tenu du manque de contrôle et de recours à posteriori, - le risque de fraude, sur la base de fausses promesses, - le risque de plagiat, les composantes fondamentales d un projet étant mises à la disposition de la foule, - la durée de la levée de fonds et la lourdeur de l investissement personnel, pas toujours anticipé par le porteur de projet, - la méconnaissance et la méfiance des internautes. VI - Recommandations aux porteurs de projets Le porteur de projet doit prendre en compte de nombreux éléments pour mener à bien l opération : - Le choix de plateforme est fondamental, avec une réflexion à mener par rapport à son positionnement et à l accompagnement qu elle propose, - La présentation précise des tenants et des aboutissants du projet de façon à l expliciter et le mettre en valeur, - Une bonne définition des paliers de financement et de contrepartie : o un niveau 1, accessible à tous («j aime bien le projet») o un niveau 2, impliquant un don avec ou sans contrepartie (association possible avec une plateforme de e-commerce) o un niveau 3, avec une différenciation des internautes, soit par le faible nombre, soit par l octroi d une contrepartie différente, soit via des clubs privilégiés. - Une culture régulière des réseaux sociaux 8
Compte rendu de l intervention de M Nicolas Pesquidous, analyste financier de la plateforme LENDOPOLIS Forts de 5 années d expériences dans le financement participatif, les fondateurs de la plateforme KissKissBankBank décident fin 2014 de créer LENDOPOLIS une nouvelle plateforme dédiée au prêt aux entreprises. En effet le 1er octobre 2014, le cadre règlementaire évolue et permet désormais à un particulier de prêter à une entreprise. Ce prêt est cependant encadré : * Une entreprise ne peut pas lever plus d un million d euros de financement participatif * Une particulier ne peut pas financer plus de 1000 par projet * Une personne morale ne peut pas prêter dans ce cadre Quels sont les avantages de ce financement? Le financement participatif de l entreprise est un modèle vertueux qui permet d aller collecter l épargne publique dormante. Les banques sont parfois frileuses pour prêter aux petites entreprises, elles ne connaissent pas toujours le marché pour apprécier les perspectives de croissance. L appel à un financement participatif peut venir en complément d un financement bancaire classique, le fait que le projet ait été validé par la «foule» étant un facteur rassurant pour le banquier. Le coût du financement participatif (environ le double d un financement par emprunt), n est paradoxalement pas un frein pour l emprunteur. La collecte est rapide, sans caution ni garantie et permet de fédérer le réseau autour de l entreprise (famille, clients, fournisseurs) de sorte que même les grandes entreprises ont compris l intérêt de ce type de financement. Comment sont menés les projets? En quatre mois d existence LENDOPOLIS a reçu 1400 demandes de financement. Ces demandes sont accompagnées d un historique de l entreprise, du projet à financer, des 2 dernières liasses fiscales, des coordonnées de l expert comptable (il est à noter que LENDOPOLIS a signé un partenariat avec l OEC). Une notation est établie par un prestataire extérieur (Score et Décision). Seuls sont retenus les dossiers ayant un score correspondant à moins de 5% de risque de défaut de paiement (environ 200 dossiers conservés). Les dossiers sélectionnés sont envoyés à l expert comptable auquel il est demandé d établir un prévisionnel et de donner son avis sur la viabilité du projet ainsi que d attester les documents fournis par le client (certificat d'information financière obligatoire). La phase de collecte des fonds Les fonds levés représentent en moyenne 50 000 par projet avec une évolution vers 100 000. La collecte dure 30 jours via la plateforme. Au bout de ce délai si la somme n est pas réunie, les fonds sont rendus aux prêteurs, le porteur de projet ne paie rien. Pendant la période de collecte un forum est mis en place pour échanger avec le dirigeant, c est un facteur important de réussite (notion d intelligence collective). LENDOPOLIS a recensé 1800 prêteurs réguliers (pour la plupart 9
retraités du monde des affaires ou lecteurs des Echos avec qui un partenariat a été signé). Les limites du système tiennent dans la possibilité de faillite de la plateforme, les commissions élevées prélevées (5% de la collecte), la visibilité faible en matière de performance. Les perspectives d évolution du financement participatif sont toutefois favorables. Le magazine Forbes estime que le marché dépassera les 1000 milliards de dollars en 2020. LENDOPOLIS s est positionné sur le marché du financement aux entreprises en misant sur la sécurité des prêteurs grâce à son partenariat avec l Ordre des Experts Comptables qui joue le rôle de tiers de confiance. 10