La procédure de renflouement interne des banques dans la proposition de Directive du 6 juin 2012



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Transcription:

La procédure de renflouement interne des banques dans la proposition de Directive du 6 juin 2012 Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Comme le souligne la banque centrale européenne, elles fournissent une forme de «service public 1» à travers l octroi de crédit, la conservation des dépôts et la fourniture d instruments de paiement. Si ces services n étaient plus assurés, l économie en souffrirait considérablement. Non content de fournir des services indispensables, le système bancaire européen est fortement intégré. Il en résulte que la faillite d une banque risque d entraîner, par un effet domino, celle de nombre de ses homologues. On parle de «risque systémique». Comment concilier lutte contre le risque systémique et absence d aléa moral? Ce problème relève a priori de la quadrature du cercle. Si les banques savent qu elles seront toujours soutenues pas les Etats, elles sont encouragées à prendre des risques inconsidérés. A l inverse, l absence de soutien par l Etat peut entraîner la faillite d une banque, et, dans sa chute, de l ensemble du système financier. En réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées. Les banques sont soumises à des obligations de fonds propres censées leur permettre de répondre aux demandes de remboursement des dépôts qui leur sont confiés et de payer leurs dettes. Mais l expérience récente a malheureusement montré que ces règles prudentielles ne suffisent pas toujours à assurer la stabilité du système. L objet de cet article est d étudier la procédure de bail in de la Proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil du 6 juin 2012 «établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d établissements de crédit et d entreprises d investissement». Mais il convient d abord de regarder en arrière pour évoquer le renflouement externe (bail out) des banques, pratiqué jusqu à présent. La crise financière et le bail out En 2008, lorsque survient la crise, l alternative qui s offre aux Etats est la suivante : aider massivement les banques ou laisser le système financier s écrouler. Il n existe alors aucune autre solution. Le droit commun des procédures collectives est insuffisant pour permettre une résolution adaptée des banques. Il faudrait en effet des procédures à la fois 1 European Central Bank, Crisis Management And Bank Resolution, Quo Vadis, Europe? de B.J. ATTINGER

extrêmement rapides et garantissant une parfaite sécurité juridique. Il faudrait également pouvoir, en un trait de plume et sans avoir à passer par les comités de créanciers, transformer une partie de la dette en capital et annuler les droits des actionnaires. La proposition de directive du 6 juin 2012, objet du présent article, est peut-être l outil qui aurait pu permettre de moins faire appel à l argent public dans le sauvetage banques. Mais aucun dispositif de ce type n existe alors dans le droit positif. Le choix est donc fait de procéder au renflouement des banques par l argent public. On parle de bail out. La Commission européenne, en tant qu organe de contrôle des aides d Etat va alors de facto 2 jouer le rôle d une autorité de résolution. En effet, si l article 107, 1 du Traité sur le Fonctionnement de l Union Européenne (TFUE) pose un principe d interdiction des aides d Etat, l article 107, 3.b). prévoit une exception en cas de «perturbation grave à l économie d un Etat membres». Ce texte, épaulé par des lignes directrices de 2008 et de 2009 sert alors de fondement au renflouement des banques. La Commission doit alors louvoyer entre l exigence de traitement rapide et efficace des difficultés des banques et le respect des principes régissant les aides d Etat. Ainsi, toute aide n est pas autorisée du seul fait que la banque concernée est en difficulté. Suivant un principe de répartition de l effort entre la banque aidée et l Etat, la Commission exige parfois la dilution du capital, voire des limitations sur le paiement de dividendes ou de stock-options. De même, de nouvelles acquisitions sont parfois interdites 3. Ainsi, il existe déjà, dès 2008, un droit de la résolution des crises bancaires. Mais celui-ci est construit sur le tas, à partir des principes du droit européen des aides d Etat. Il ne permet cependant pas d agir suffisamment en amont, et se résume à l injection de cash avec l argent des contribuables. Suite à cela, chacun a pris conscience, eu égard à la situation des finances publiques, que les Etats ne seraient peut-être plus en mesure de renflouer les banques à l avenir. Mais il ne saurait être question non plus de les laisser sombrer sans avoir essayer de sauver leurs fonctions essentielles par un mécanisme de résolution approprié. Une solution possible peut alors être de procéder par la création d une banque-relais (bridge banque). Mais une telle option, n est pas toujours possible. Une alternative consiste alors à procéder au renflouement interne (bail in) de la banque. Qu est-ce à dire? «Le bail in est un pouvoir légal permettant aux autorités de résolution d agir et de convertir ou réduire la valeur d une dette, sans négociations ou 2 J. ALMUNIA, Revue Banque, n 753, Novembre 2012 3 Idem

accord préalable des créanciers 4». Dans la proposition de directive, il permet également aux autorités d annuler les titres des actionnaires de la banque. Le droit commun de la conversion de créances en capital Considérer comment un tel mécanisme est possible en droit commun des procédures collectives permettra d appréhender ce mécanisme avec plus de recul. Dans le cadre d une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le juge n a pas le pouvoir d imposer une conversion de créance en capital. Une telle opération ne peut avoir lieu sans l accord des créanciers concerné. Cet accord peut-être obtenu de façon individuelle en l absence de comités de créanciers. Si des comités sont établis, les créanciers majoritaires pourront imposer l opération aux minoritaires. Consultation individuelle Une conversion de créance en capital peut-être proposée aux créanciers dans le cadre de la consultation individuelle de droit commun 5. A défaut de réponse du créancier, la conséquence est inverse de ce qui vaut pour les délais et remises : la conversion est réputée ne pas être acceptée 6. Un auteur explique cette différence de régime par le fait que l acquisition de la qualité d associé suppose un affectio societatis 7. Consultation dans le cadre des comités de créanciers La loi prévoit une possible conversion de créances «en titres donnant ou pouvant donner accès au capital 8». Celle-ci peut être imposer, dans chacun des comités, par une majorité des deux tiers aux créanciers minoritaires. Dans les deux cas, la conversion doit être homologuée par le juge. Une procédure de droit commun inadaptée aux banques Dès lors, plusieurs remarques s imposent : 1 la conversion de créances en capital devra être acceptée par au moins une partie des créanciers, 2 le juge ne peut pas imposer une telle conversion, 3 la procédure prend nécessairement plusieurs jours, 4 le droit commun ne prévoit qu un seul des deux aspects du 4 N. JASSAUD et V. LE LESLE, bail in : un outil puissant à bien calibrer, Revue banque, n 753, novembre 2012. 5 Article L.626-5 du Code de commerce 6 Article L.626-6 du Code de commerce 7 A. Lienard, Code 2011, p. 217 8 Article L. 626-30- 2 du Code de Commerce.

bail-in : la conversion de créances en capital ; il exclut l annulation de titres sans le consentement des actionnaires. Une telle procédure n est donc pas adaptée à la résolution des crises bancaires, qui exigent de pouvoir agir en quelques heures et sans l accord des créanciers. Par ailleurs, le droit commun des procédures collectives ne respecte pas toujours l ordre d absorption des pertes initialement prévu par les parties. Si l article L.626-30-2 du Code de commerce exige que le plan «prenne en compte» les accords de subordination entre créanciers prévus avant l ouverture de la procédure, aucune disposition ne permet l annulation des titres des actionnaires dans le cadre d un plan de sauvegarde ou de redressement (les dispositions de l article L.631-19-1, al.2 participent d une autre logique). Pourtant, la possibilité d une telle expropriation des actionnaires semblerait opportune. Comme le souligne Sophie Vermeille «actions et titres subordonnés ne sont-ils pas, par essence, supposés absorber en premier les pertes? 9». Or, le droit commun aboutit à la situation paradoxale suivante : l ordre d absorption des pertes prévu par les parties est en principe respecté entre créanciers séniors et créanciers juniors, mais pas entre actionnaires et créanciers. On a ainsi pu aboutir à des situations où un plan prévoyait des conversions de créances en capital et des abandons de créances, alors même que les actionnaires restaient en place (Technicolor, 2010). Une telle situation n est pas satisfaisante dans la mesure où «une fois la société insolvable, ce sont les créanciers qui en deviennent propriétaires résiduels. Le droit des procédures collectives devrait prendre le relais du droit des sociétés afin de traduire cette réalité économique par la déchéance forcée, sous le contrôle du juge en amont (et non a posteriori), des droits des actionnaires au profit de certains créanciers dès lors que la valeur d entreprise est inférieure à son niveau de dette 10». C est d une certaine manière ce que propose le projet de directive, mais avec un rôle particulier laissé au régulateur. En effet, ce ne sont pas seulement les intérêts des actionnaires, qui sont en jeu, mais également la survie d une forme de service public bancaire. En ce sens, la procédure de bail in peut-être considérée comme une avancée. Elle n en soulève pas moins la question de la protection des droits des actionnaires et créancier (I), que nous étudierons avant de nous interroger sur l efficacité du dispositif (II). 9 S. VERMEILLE, Projet de loi bancaire : un Chapter 11 bancaire?, Revue Banque, n 755-756, janvier 2012 10 S. VERMEILLE, Coup d accordéon et pouvoir de nuisance, Droit & expertise, 22 janvier 2013.

I- la question de la protection des droits des actionnaires et créancier. La procédure de renflouement interne sera mise en œuvre par l autorité de résolution lorsque certaines conditions sont remplies. Elle peut répondre à deux buts différents : recapitaliser un établissement remplissant les conditions de déclenchement d une procédure de résolution dans une mesure suffisante pour rétablir sa capacité de respecter les conditions de son agrément et de poursuivre les activités pour lesquelles il est agréer 11. convertir en participations ou réduire le principal des créances ou des instruments de dette qui sont transférées à un établissement relais afin d apporter des capitaux à cet établissement relais 12. La procédure de bail in peut donc être utilisé en complément de celle de transfert à un établissement relais. Une telle procédure ne manque pas de poser question eu égard à la protection du droit de propriété des actionnaires et des créanciers. Celui-ci est en effet protégé par le premier protocole à la Convention Européenne des Droits de l Homme et par l article 17 de la Charte des Droits Fondamentaux de l Union Européenne. Selon ces deux textes, une atteinte aux droits de propriété n est possible que si les trois conditions suivantes sont remplies : il faut que la mesure soit justifiée par un motif impérieux d intérêt général, prévue par la loi, et respectueuse du principe de proportionnalité 13. Si l annulation des droits des actionnaires semble porter atteinte à leur droit de propriété il en est de même pour les créanciers. En effet, leurs créances peuvent être converties, ou purement et simplement annulées. Or, la Cour Européenne des Droits de l Homme, de façon opportune, assimile la créance à un droit de propriété 14. L atteinte semble d autant plus forte que pour ce qui concerne la conversion de créances en capital, mais également l annulation des droits des actionnaires, les comités de créanciers ne sont même pas consultés. Il s agit d une décision unilatérale de l autorité de résolution. Pour évaluer la conformité de la procédure, il faut donc l examiner eu égard aux trois conditions évoquées plus haut. 11 Article 37, 2. a) de la proposition de Directive. 12 Article 37, 2. b) de la proposition de Directive. 13 BCE, «Crisis management and bank resolution : quo vadis europa?», Legal working paper series, n 13, décembre 2011. 14 Burdov c. Russie, n o 59498/00, 40, CEDH 2002- III

L existence d un motif impérieux d intérêt général ne semble pas poser problème. Les conséquences d une crise bancaire systémique seraient catastrophiques pour l ensemble de l économie. Une fois la directive adoptée et transposée, la mesure serait effectivement prévue par la loi. Par ailleurs, le texte prévoit que «l'obligation pour les autorités de déprécier ou de convertir un instrument dans les cas prévus par la directive devra être mentionnée dans les clauses régissant l'instrument, ainsi que dans le prospectus ou les documents d'offre publiés ou fournis avec l'instrument 15». C est en fait relativement au principe de proportionnalité que le dispositif de renflouement interne pose question. Il faut néanmoins souligner ici que la différence avec une procédure collective classique n est peut-être pas si forte. En effet, les créanciers obtiennent rarement paiement intégral de leur créance lors de la liquidation. Ce qui distingue véritablement le bail in de la procédure collective classique eu égard aux droits des créanciers n est pas tant l absence du paiement attendu que le moment où il en est pris acte. En cas de liquidation, il est pris acte de l absence de paiement en fin de procédure, après cession des éléments d actif de l entreprise, si les liquidités ainsi obtenues sont insuffisantes. Avec la procédure de renflouement interne, on prononce la déchéance des droits alors même que les difficultés, bien que considérées comme inéluctables, n ont pas encore atteint un point de non-retour. Dès lors, le principe même d un renflouement interne peut apparaître conforme au principe de proportionnalité. Il faut cependant observer si sa mise en œuvre est encadrée par les garanties procédurales nécessaires. A ce titre, nous évoquerons le montant du bail in (1), puis les voies de recours (2) et enfin le principe «no worse than liquidation» (3). 1- Le montant du bail in La procédure de bail in permet, par un jeu d écriture comptable, d effacer les pertes de l établissement en difficulté. Les droits de certains actionnaires vont être purement et simplement annulés. Les droits de certains créanciers vont être convertis en actions. Mais comment déterminer le nombre d actions à annuler et le montant de créances à convertir? Une réponse raisonnable est donnée par l article 41 du projet de Directive : il faut que soit rétabli le ratio de fonds propres de base de catégorie 1, ainsi que le montant que l autorité de résolution juge nécessaire pour que la confiance des marchés dans 15 Proposition de Directive, considérant n 51.

l établissement reste suffisante et que celui-ci puisse remplir les conditions de l agrément et remplir les activités pour lesquelles il a été agréé. Si le principe est simple, sa mise en œuvre l est moins. En effet, l actif et le passif d un établissement bancaire n ont pas une valeur figée et objective. Or, les créanciers et actionnaires de la banque ont tout intérêt à ce que le passif soit sous-évalué et l actif surévalué. Cela diminuera d autant l atteinte à leurs droits par l Autorité de résolution. A l inverse, une telle situation risque de compromettre la survie de l établissement. La Directive doit donc trouver un équilibre entre les deux objectifs suivants : ne pas porter atteinte aux droits des actionnaires et créanciers au-delà de ce qui est nécessaire, et permettre l absorption des pertes réelles de l établissement. C est pourquoi la proposition contient également, en son article 30, une importante procédure de valorisation de l actif et du passif de l établissement. Ainsi, selon cette disposition, cette valorisation est fondée sur la valeur de marché. Mais ce principe ne joue que lorsque le marché fonctionne efficacement. Dans le cas contraire, une valorisation fondée sur d autres procédés est possible, afin de refléter la valeur économique à long terme. La valorisation doit être effectuée par une autorité indépendante. En cas d urgence cependant, l autorité de résolution pourra procéder elle même à la valorisation. Cela semble proportionné à l objectif poursuivi. 2- Les voies de recours La question des voies de recours est plus délicate. En effet un des intérêts du renflouement interne pour la banque est de pouvoir se présenter avec un bilan propre sur le marché des liquidités et ainsi obtenir les crédits dont elle a besoin. Or si le renflouement interne est susceptible d être remis en cause, la confiance des marchés risque de diminuer, empêchant ainsi la procédure de produire l effet escompté. A l inverse, permettre la remise en cause unilatérale de droits de propriété sans aucune voie de recours est inenvisageable eu égard aux engagements conventionnels. Habilement, la directive concilie protection des droits et efficacité du dispositif. Elle prévoit ainsi qu une demande de réexamen ou une ordonnance provisoire d'un tribunal ne pourra avoir d'effet suspensif sur l'exécution d'une décision de résolution. De même, si un contrôle juridictionnel est bien prévu, pour assurer la stabilité des marchés financiers, celui-ci ne devra pas affecter les actes administratifs et les transactions fondés sur une décision annulée. Ainsi, Les réparations en cas de décision abusive devraient donc se limiter à

l'indemnisation du préjudice subi par les personnes concernées 16. Dès lors, le créancier ou l actionnaire injustement privé de ses droits ne sera pas réintégré dans ceux-ci. Il ne pourra recevoir qu une compensation pécuniaire. Cela semble proportionné eu égard aux conséquences désastreuses qu auraient une annulation de la procédure. 3- Le principe «no worse than liquidation» La directive entend respecter le principe «no worse than liquidation». Il implique que les créanciers et actionnaires ne soient pas traités plus mal qu ils ne l auraient été en cas de liquidation de l établissement. Il en résulte, selon l exposé des motifs de la Directive, que «dans les cas où les créanciers reçoivent moins, en termes économiques, que si l établissement avait été liquidé dans le cadre d une procédure normale d insolvabilité, les autorités doivent garantir qu ils recevront la différence». La Directive entend également faire respecter ce principe par l ordre d allocation des pertes prévu. Il est fixé par l article 29 du projet de Directive. Ainsi, «les actionnaires de l'établissement soumis à la procédure de résolution sont les premiers à supporter les pertes», et «les créanciers de l'établissement soumis à la procédure de résolution supportent les pertes après les actionnaires, en fonction de l'ordre de priorité de leurs créances déterminé par la présente directive». Par ailleurs, «aucun créancier n'encourt des pertes plus importantes que celles qu'il aurait subies si l'établissement avait été liquidé selon les procédures normales d'insolvabilité». La transposition de la Directive en France risque cependant de poser certains problèmes eu égard à ces principes. En effet, nous avons vu plus haut qu il arrive parfois que les actionnaires soient mieux traités que certains créanciers. Or, le projet de Directive ne le permet pas. Dès lors, on peut craindre qu en vertu du principe selon lequel les créanciers ne peuvent être moins bien traités que dans une procédure normale d insolvabilité, ces actionnaires demandent une indemnisation en démontrant qu ils auraient été mieux traités en cas de sauvegarde ou de redressement. On peut certes objecter que les actionnaires ne sont pas des créanciers au sens strict. Mais ils en sont certainement au sens économique, car ils détiennent des droits sur l établissement. Par ailleurs, pour une banque, la 16 Proposition de directive, Considérant 57.

distinction entre créanciers financiers et créanciers ordinaires n a pas vraiment de sens. Tous les créanciers de la banque sont à la fois des partenaires et des pourvoyeurs de fonds 17. Enfin, l absence de clause de retour à meilleure fortune dans la directive pose question. Imaginons que suite à la procédure de renflouement interne la banque retrouve le chemin de la prospérité. Les créanciers, devenus actionnaires, peuvent alors touchés de substantiels dividendes, s enrichissant peut-être davantage qu ils ne l auraient fait en l absence de conversion de leurs créances en capital. A l inverse, les actionnaires initiaux se retrouvent finalement sans aucun droits sur ces dividendes. Ils n ont plus aucun droit. Cela n aurait pas été possible dans une procédure normale d insolvabilité dans la mesure où l annulation forcée des droits des actionnaires y est impossible. 17 C. BATES et S. GLEESON, Legal Aspect of Bank Bail- Ins, Clifford Chance LLP, May 2011.

II- Interrogations sur l efficacité du dispositif Une procédure de renflouement interne ne peut être engagée que si les conditions suivantes sont remplies cumulativement 18 : L autorité compétente ou l autorité de résolution établit que la défaillance de l établissement est avérée ou prévisible. Compte tenu des délais requis et d autres circonstances pertinentes, il n existe aucune perspective raisonnable qu une action autre qu une mesure de résolution prise à l égard de l établissement, qu elle soit de nature privée ou prudentielle, empêche la défaillance de l établissement dans un délia raisonnable. Une mesure de résolution est nécessaire dans l intérêt public. Ainsi, la procédure ne peut être utilisée que quand la situation est grave. L échec n est donc pas permis. Il conduirait probablement à la nécessité d un un renflouement externe (bail out) coûteux pour les finances publiques ou à une crise systémique. Il faut donc s interroger sur l efficacité du dispositif sur le sauvetage de la banque concernée elle même (1), ainsi que sur les conséquences du dispositif sur l ensemble du système financier (2) 1- La question de l efficacité du renflouement interne pour la banque concernée Selon l article 38 de la proposition de directive, l instrument de renflouement interne s applique en principe à tous les engagements de la banque. Ce même article exclut cependant certaines créances du dispositif. Il s agit notamment des dépôts garantis conformément à la directive 94/19/CE, des engagements garantis, et des engagements ayant une échéance initiale de moins d un mois. Sans annihiler le principe selon lequel tous les engagements de la banque sont concernés ces exceptions induisent le risque que les opérateurs économiques n acceptent plus de la part des banques que des engagements n entrant pas dans le champ du bail in. Dès lors, le renflouement interne deviendrait inapplicable, faute d engagements éligibles Afin de prévenir une telle situation, la directive prévoit des exigences minimales concernant les engagements éligibles au bail in. Ainsi, «Les autorités de résolution doivent être en mesure de garantir que les établissements détiennent dans leur bilan un montant suffisant d engagements susceptibles 18 Proposition de directive, Article 27.

d être soumis aux pouvoirs relatifs au renflouement interne. Le montant minimal sera proportionné et adapté pour chaque catégorie d établissements selon leur risque ou la composition de leurs ressources de financement. (...). A titre d exemple, un pourcentage de 10% du passif total (hors fonds propres réglementaires) serait approprié comme pourcentage susceptible de servir au renflouement interne 19». Le seuil de 10% a semble-t-il été proposé parce qu il représente celui qui aurait été nécessaire en 2008-2009 pour résoudre la crise sans recours au bail out 20. On peut s interroger quant à l arbitraire d un tel choix dans la mesure où il suppose de parier que les crises futures ne seront pas plus violentes que les précédentes. 2- La question de l impact sur le système financier L éventuel premium de bail in On peut d abord s interroger sur un éventuel renchérissement du crédit. En effet, si les obligations peuvent être converties en action de façon unilatérale par le régulateur, il devrait a priori en résulter un renchérissement de celles-ci. Mais les avis divergent sur ce point. Pour le commissaire Almunia «l impact de cette mesure sur le coût de financement des banques sera modéré et de loin compensé par les bénéfices macro-économiques découlant d une probabilité réduite de crises financières systémiques 21». Par ailleurs, le prix ne devrait être impacté que dans la mesure où la probabilité d un bail-in est sensiblement plus forte que celle d une liquidation. Or, ces deux risque étant comparables, il est probable que le prix n en sera pas significativement augmenté. A l inverse, certains anticipent un renchérissement du coût du crédit qui «pourrait peser sur la solvabilité de certaines banques» 22. En réalité, les comportements des marchés sont souvent difficiles à anticiper. Une approche pourrait être de comparer la dette éligible au bail in avec des obligations convertibles en action. La différence réside dans le fait que dans le premier cas, la conversion intervient sur intervention du régulateur, et dans le second cas, lors de la survenance d un événement particulier. Il semble donc que le renchérissement éventuel du crédit devrait 19 Proposition de Directive, exposé des motifs, 4.4.10. 20 N. JASSAUD et V. LE LESLE, Bail in, un outil puissant à calibrer, Revue Banque, n 753, novembre 2012 21 J. ALMUNIA, Interview, Revue Banque, n 753, novebre 2012. 22 N. JASSAUD et V. LE LESLE, Bail in, un outil puissant à calibrer, Revue Banque, n 753, novembre 2012

dépendre de la confiance des marchés envers les régulateurs et de leur propension à n utiliser le bail in que lorsque cela est nécessaire. Risque de contagion et impact économique Mais si les créanciers seniors dont les droits sont annulés sont eux mêmes des institutions financières, il existe un risque de contagion. Un bon système de bail-in exclue donc de son régime les créances détenues par d autres participants au système. Or, tel ne semble pas être le cas de la proposition de Directive. Ainsi, en cas de crise systémique, l efficacité du dispositif sera fonction des détentions et participations croisées au sein du système. Si la dette est en majorité détenue par des investisseurs extérieurs au système, le dispositif devrait être efficace, en ce sens que le système ne devrait pas s effondrer. En revanche, on peut craindre dans ce cas une contagion au secteur non bancaire. Quoi qu il en soit, il faut de toute façon que la perte soit absorbée par quelqu un. En effet, le bail in n est qu une simple opération comptable. Il n y a pas d apport de liquidité. C est un mécanisme d allocation des pertes. Il faut enfin souligner la difficulté que risquent de rencontrer les banques dans leurs choix de financement. En effet, le régime proposé par le projet de Directive exclue les financements à court terme de son champ d application. Cela va contribuer à attirer les banques vers ce type de financement. Or, Bâle III tend à imposer la solution inverse : privilégier les financements à long terme. De même, le fait que les dettes garanties soient excluent du régime risque de provoquer un recours accru au collatéral, provoquant une raréfaction de celui-ci. Par ailleurs, si l essentiel de la dette est garanti, les créanciers chirographaires risquent de voir le passif en liquidation dont ils pourraient disposer diminuer comme peau de chagrin. Etienne de Larminat