Procédé de détection de gaz par imagerie infrarouge Après les détecteurs de gaz ponctuels et linéaires, voici un procédé de détection qui donne enfin une image du nuage. 1 Introduction L actualité récente soumet les industriels à une demande de plus en plus forte en terme de sécurité des installations à risques. La détection précoce des fuites de vapeurs et gaz inflammables, explosifs ou toxiques est une nécessité absolue dans les usines chimiques, pétrochimiques, les stockages d hydrocarbures, de solvants, etc Pour cela plusieurs méthodes sont couramment utilisées : la combustion catalytique, l absorption infrarouge en mesure ponctuelle, la barrière infrarouge et maintenant l imagerie infrarouge. On peut classer ces détecteurs en trois catégories : les capteurs ponctuels, les capteurs linéiques (barrières infrarouge), les capteurs imageurs. L objet de cet article est de décrire le mode de fonctionnement du dispositif de détection de gaz par imagerie infrarouge développé et breveté par la société Bertin Technologies grâce à un financement partiel du Ministère Français de la Défense. ous commencerons par un rapide et indispensable rappel sur le rayonnement infrarouge. 2 Rayonnement infrarouge La matière émet et absorbe en permanence du rayonnement électromagnétique. Le processus d émission est lié à l agitation moléculaire interne de la matière, agitation des molécules qui dépend du matériau mais surtout de la température. La théorie de l électromagnétisme classique nous montre que la longueur d onde du rayonnement émis dépend de l accélération subie par les particules. Comme toutes les valeurs d accélération sont possibles, chaque molécule fournit une certaine énergie radiative dont les niveaux d énergie statistiques prennent toutes les valeurs ; la distribution en longueur d onde est donc uniforme, le rayonnement est dit à spectre continu. L émission thermique des solides est référencée à la notion théorique de «corps noir», défini comme un objet capable d absorber totalement tout rayonnement incident, quelle que soit sa longueur d onde. L émission spectrale du corps noir est décrite par la loi de Planck bâtie sur des considérations thermodynamiques statistiques.
La loi de Wien, qui est obtenue par dérivation de la loi de Planck, décrit le déplacement du maximum de l émission spectrale du corps noir en fonction de la température : Longueur d onde du maximum (en µm) 2898 / Température (en K) Ainsi un corps noir à la température ambiante T300K, a son maximum d émission spectrale pour une longueur d onde de 10µm, alors que le soleil dont la température apparente est de 6000K, donne un maximum à 0,5µm. Cette loi de Wien explique bien le déplacement vers les courtes longueurs d onde l émission des corps noirs de plus en plus chauds. Le rayonnement infrarouge correspond au domaine d émission de la matière dont les températures sont celles trouvées généralement à la surface de la Terre. Les objets naturels ne sont en général pas des corps noirs, s ils ne sont pas colorés, on dit qu ils sont gris. C est-à-dire qu ils n absorbent pas totalement le rayonnement qu ils reçoivent, ils n émettent pas non plus autant de rayonnement qu un corps noir. On définit un coefficient spectral, l émissivité, notée ε, toujours inférieure à 1, qui caractérise la proportion du flux émis par l objet par rapport au corps noir théorique. La conservation de l énergie implique que le flux absorbé est égal au flux émis, l émissivité est donc égale à l absorption. 3 Transmission de l atmosphère L atmosphère terrestre n est pas transparente pour toutes les longueurs d onde. La transmission du rayonnement optique à travers l atmosphère dépend de deux phénomènes essentiels :! l absorption propre des constituants gazeux de l atmosphère, en particulier H 2 O et CO 2,! l absorption par diffusion due à la présence des particules qu elle contient, molécules ou aérosols.
Lorsque le rayonnement traverse l atmosphère, il apparaît des bandes d absorption dues à la présence de vapeur d eau. C est ce constituant qui détermine l absorption la plus importante dans l infrarouge, d autres gaz comme le gaz carbonique (CO 2 ) et les gaz à «effet de serre» interviennent avec moins d intensité. ous constatons donc l existence d un certain nombre d intervalles transparents, les «fenêtres de transmission», c est-à-dire de bandes spectrales à l intérieur desquelles l absorption est très faible. Ces fenêtres sont situées aux intervalles de longueurs d onde :! 0,4 à 1,0µm - la bande visible,! 1,2 à 2,5µm - la bande IR I,! 3,0 à 5,0µm - la bande IR II,! 8,0 à 14,0µm - la bande IR III, Cette dernière fenêtre présente une grande importance, car elle correspond, on l a vu, aux longueurs d onde du maximum d émission thermique du corps noir à la température ambiante. C est donc ici que devront fonctionner les systèmes destinés à détecter les objets par leur émission propre. Il est souvent intéressant d utiliser aussi la fenêtre 3 à 5µm pour la mise en évidence de corps plus chauds. 4 Caméra infrarouge ous venons de voir que l atmosphère possède trois fenêtres de transmission dans l infrarouge, c est dans ces bandes de longueurs d onde que sont optimisés les détecteurs. ous avons à notre disposition des dispositifs plus ou moins complexes pour réaliser des images dans les bandes IR I, II et III. Disons simplement que les premières caméras utilisaient un seul détecteur associé à un dispositif de balayage à miroirs 2 axes (lignes et colonnes), puis des barrettes ont été produites (un seul axe de balayage suivant les lignes), et que nous disposons aujourd hui de caméras utilisant des matrices de détecteurs. Il faut ici ajouter que les détecteurs peuvent être quantiques, ils sont alors refroidis pour éliminer le courant d obscurité, ou thermiques, comme les matrices de micro-bolomètres qui ne sont pas refroidies.
5 Transmission des gaz L ensemble des composés organiques volatils possède des raies d absorption particulières qui dépendent de la structure de la molécule. Ainsi la liaison C-H présente une raie d absorption vers 3,4µm, cette raie sera donc présente dans le spectre de tous les hydrocarbures. Dans la bande IR III (8 à 13µm) les raies d absorption vont être une signature particulière de la molécule. Par exemple voici le spectre d absorption du méthane (CH 4 ) : Methane CH4 0,7 0,6 0,5 Absorbance 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 3,0 4,0 5,0 6,0 7,0 8,0 9,0 10,0 11,0 12,0 13,0 Longueur d'onde en µm Et celui du benzène (C 6 H 6 ) : Benzene 0,8 0,7 0,6 0,5 Absorbance 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 3,0 4,0 5,0 6,0 7,0 8,0 9,0 10,0 11,0 12,0 13,0 Longueur d'onde en µm
ous pourrions multiplier les exemples de ce type. Ce qu il faut retenir ici c est que dans la bande IR II la raie à 3,4µm est commune aux hydrocarbures, dans la bande IR III des raies spécifiques à chaque gaz sont présentes. 6 Principe de mesure Ce système de détection de gaz utilise le fond comme source infrarouge, un algorithme de traitement d image met en évidence l éventuelle présence d un nuage de gaz sur la ligne de visée. L évaluation de la quantité de gaz présent est réalisée par un traitement «doublement différentiel» des images infrarouges, différentiel dans les domaines spatial et spectral. 6.1 La différentiation spatiale Une simple mesure radiométrique ne permet pas directement de «voir» un nuage superposé à une scène si les deux sont à la même température. En effet, posons l équation simplifiée de la luminance observée en regardant le fond de scène à travers le nuage : uage T τ,ε Fond de scène T F Avec : L { LC ) τ + LC ( T ) ε } dλ { LC ) τ + LC ( T ) (1 τ )} dλ { τ [ L ( T ) L ( T )] + L ( T )} dλ! T : température du nuage! T F : température du fond (supposé être un corps noir)! τ : transmission spectrale du nuage C F! ε : émissivité spectrale du nuage (ε 1 - τ )! L C (T) : luminance spectrale du corps noir à la température T (W m -2 sr -1 µm -1 ) Si la température du nuage est la même que celle du fond, alors la luminance observée L (en W m -2 sr -1 ) se réécrit en : C L L ( T dλ c'est-à-dire ce que l on obtiendrait sans nuage. C F ) C
Ce résultat est conforme à l expérience : les nuages ne sont pas directement décelables sur les images de flux. Par contre, si l'on suppose que le nuage est relativement homogène sur l'image et qu'il existe un contraste thermique dans le fond, la différence de luminance entre deux pixels voisins s'écrit : Avec : L { [ LC LC TF ] τ + ε [ LC T LC T ]} 1) ( 2) ( ) ( ) [ LC ) LC )] τ dλ 1 2 dλ! L : contraste thermique entre deux pixels 1 et 2 voisins dans l image. Le terme de luminance propre du nuage a disparu. Seule demeure l'influence de sa transmission. C est sans doute la plus grande originalité de cette méthode : travailler sur des images de contraste, d'où la dénomination de «différentiation spatiale». 6.2 La différentiation spectrale Dans l'équation précédente demeure un terme correspondant au contraste de luminance du fond. Le fond étant a priori inconnu, ce terme l'est aussi. C'est la raison pour laquelle ce procédé utilise deux images prises avec des filtres optiques différents. D'où l'appellation de «différentiation spectrale». La première image qui est appelée l image de référence, ne voit pas la raie d absorption du gaz. Elle ne caractérise que le fond. La seconde, appelée l image de mesure, couvre un domaine spectral suffisamment large pour voir cette raie. Elle caractérise donc le fond et le nuage. τ Filtre de mesure Filtre de référence Spectre du gaz λ Mes λ Réf λ c λ La comparaison des deux voies permet d isoler l influence du nuage. 6.3 Le paramètre de mesure η La comparaison entre les deux voies se fait par division des images de contraste. On obtient le paramètre de mesure η qui ne dépend, en première approximation, que du nuage et des longueurs d onde de coupure des filtres, la dépendance de η avec la concentration du nuage est linéaire pour des concentrations faibles. Ce paramètre de mesure (rapport des contrastes entre les 2 images) est directement lié à la méthode de différentiation spectrale.
η L L Mesure Référence λc λ [ LC1) LC2 )] Avec :! L Mesure : contraste de l image de mesure! L Référence : contraste de l image de référence Mes λc λ τ dλ [ LC1) LC2 )] dλ Re f Pour de petites concentrations de gaz, η varie linéairement avec la concentration du gaz intégrée sur la ligne de visée : η η 0 + sensibilité. Cl Avec :! Cl : concentration du gaz intégrée sur la distance d observation (%.m ou mg.m -2 ) Cette grandeur Cl mesurée par le système est la concentration du nuage de gaz intégrée le long du trajet du rayon infrarouge issu de la scène. En d autres termes, c est la concentration moyenne du nuage (C en %) multipliée par son épaisseur (l en m). Les deux termes du produit Cl sont indissociables, nous n avons en effet que la projection du nuage sur un plan perpendiculaire à l axe optique. Si l on disposait de plusieurs projections, on pourrait reconstituer le nuage dans son volume (tomographie). Cette grandeur est la même que celle qui est mesurée par une barrière infrarouge. La sensibilité du système, mesurée en laboratoire sur le méthane est de 5000 ppm.m soit 0,1 LIE.m alors que celle sur le SF 6 n est que de 10 ppm.m ; la sensibilité dépend de la «force» de la raie d absorption du gaz. 7 Performances L utilisation du fond comme source infrarouge assure un fonctionnement de jour comme de nuit de ce procédé. Les filtres infrarouge large bande conservent à la caméra sa fonction d imagerie, ce qui permet d assurer la localisation du nuage et une éventuelle fonction de surveillance anti-intrusion. La cartographie en fausses couleurs des concentrations intégrées (Cl) mesurées permet de suivre l évolution du nuage et d identifier la position de la source. L image suivante montre un nuage de SF 6 superposé à l image infrarouge du fond, la tache rouge correspond au point d émission du panache de gaz.
Tous les gaz ayant des raies d absorption dans la bande de sensibilité de la caméra infrarouge sont détectables par ce procédé. En effet, il suffit de «régler» les bandes passantes des deux filtres pour isoler la raie du gaz que l on cherche à détecter. Une roue à filtres classique possède 6 positions. Avec 6 filtres bien choisis on peut mesurer, détecter et reconnaître entre 3 et 6 gaz différents dans la bande infrarouge III (8 à 14µm). 8 Bibliographie! Gilbert Gaussorgues La thermographie infrarouge (4 ème édition) Edition TEC & DOC - 1999! Gérard Rayer Combustion catalytique, IR ponctuel ou en barrière? Informations Chimie n 348 - mai 1993! Monotoring of gazeous pollutants by tunable diode lasers Proceedings of the International Symposium held in Freiburg Kluwer Academic Publishers - octobre 1988! Joda Wormhoudt Infrared methods for gaseous measurements Marcel Dekker, Inc. - 1985