MES ARBRES ET MOI... TOUTE UNE HISTOIRE... Introduction Il n existait aucune école, aucun manuel pour m aider lorsque j ai débuté, en 1985. Je commençais avec quelques petits plants de jardinerie et le résultat, bien que cela me satisfaisait à l époque, avec le recul, était quelque peu catastrophique. Mes premiers prélèvements, la même année, furent un petit chêne et deux ormes et je suis assez fier que ces arbres soient encore dans ma collection aujourd hui. Malheureusement, ils ne seront jamais primés à la Kokufu... Michel AUGEIX - Scuola Arte Bonsaï - Examen final cours instructeur. 12,13 & 14 mars 2009 1
Ma forêt L été 1985, voyant que cet Art me passionnait, mon épouse m offrit une forêt d Acer burgerianum ( 1). Cette forêt n était pas bien grande mais je fus ébloui par sa beauté. Lorsque je regarde les photos de l époque, je me dis que mon regard a bien évolué car aujourd hui, elle me paraît bien insignifiante. Au printemps suivant, je me décidais à la rempoter dans une poterie plus grande (2) : avec un peu d apréhension car c était mon premier «vrai» rempotage. Tous les arbres ayant survécu, je me suis dit qu après tout, ce n était pas si difficile que je me l imaginais et je décidais de rajouter des arbres au fur et à mesure des rempotages (3). En 1992, je la plaçais sur une lauze et en 1993, elle fut présentée ainsi pour la première fois à l exposition nationale (4), bien que le résultat sur cette pierre n était pas très bon. En 1995, je trouvais enfin la poterie que je souhaitais et depuis, elle est toujours dedans. En 1999, je la présentais au world Bonsaï Contest parrainé par la Japan Air Line; j eus la surprise qu elle soit sélectionnée et la satisfaction de voir la photo de la forêt exposée lorsque je me rendis à Kyoto à la manifestation Taïkanten. J étais vraiment fier bien que je pensais toujours que quelque chose n allait pas. L année suivante, je décidais de mettre un arbre principal plus important et légèrement plus au centre (6) mais, après ce rempotage, je trouvais que deux arbres étaient en «désaccord» avec les autres du fait qu ils étaient tordus alors que les autres arbres étaient relativement droits (6A). Autre point choquant que je n avais pas remarqué jusque là : le manque d espace vide sur la droite et devant (6B). Je corrigeais aussi cela, mais je ne réussis pas tout à fait à combler l espace créé par la suppression de ces deux arbres tordus (7). Je me rassure en me racontant l histoire de cette forêt dans laquelle on a créé une clairière. C est assurément la pièce qui me tient le plus à coeur, d abord parce qu elle me fut offerte par mon épouse et aussi parce qu elle m a donné beaucoup de joie durant ces vingt trois ans. Bien sûr, j eus de temps en temps quelques craintes, lorsque des parasites l envahissaient ou que l oïdium s installait mais la somme des deux est largement en faveur des joies qu elle me procure. Cette année, elle s habitue doucement au climat de ma nouvelle habitation et je la protège autant que je peux. 1 - Automne 1985 2 - Mars 1986 4 - Septembre 1993 3 - Avril 1991 2
5 - Décembre 1996 6 - Février 2002 6A 6B 6A Octobre 2007 7 - Février 2005 Février 2008 : Présentation à l examen du niveau 3 de la Fédération française de bonsaï 3 Juin 2008 (dernier rempotage en mars )
Mon If En 1993, durant le congrès national, un artiste hollandais, Marc Noelanders, fit une démonstration sur un if qui captiva toute mon attention. Le résultat m avait enchanté si bien qu en fin de journée, je lui achetais l arbre et le rapportais à la maison en étant persuadé que je tenais là une pièce unique (1). L arbre était dans un conteneur plastique et le premier rempotage fut difficile car il fallut couper beaucoup de racines. Malgré cette coupe sévère, l arbre reprit très vite et se montra si vigoureux que les ligatures faites par le démonstrateur s incrustèrent dans l écorce, ce qui provoqua de vilaines cicatrices. L autre problème apparut dès les années suivantes : la forte croissance de la branche de la cîme : cette branche devint vite plus grosse que les branches basses (2) : je n avais pas su maîtriser suffisamment la croissance de l arbre. En plus, la courbure de cette branche était devenue très laide. Je me trouvais dans une impasse. Que faire avec ces branches basses trop fines par rapport à la cime? Je cherchais encore la solution lorqu un américain, Michaël Persiano, invité par la Fédération française de Bonsaï pour effectuer des démonstrations dans diverses régions vit mon arbre et fut très intéressé. Il me demanda l autorisation de l utiliser en démonstration. Je lui demandais ce qu il comptait faire : il pensait à une cascade. Cette idée me séduit et j acceptais de le laisser intervenir. Il supprima alors plusieurs branches pour n en garder que deux afin de réaliser cette cascade (3). Malheureusement, le résultat s avéra décevant car ces deux branches parallèles n étaient guère esthétiques et le bois mort, point focal de l arbre à l origine, n était pas en valeur. Ne sachant vraiment plus quoi faire, je gardais l arbre en l état en attendant d avoir une idée. Finalement, en 2003, je l apportais à un cours d Hideo Suzuki. Ce dernier me suggéra de supprimer la branche haute et de créer une tête sur la branche restante (4). Désormais, l arbre reprenait petit à petit de l élégance, la branche en cascade allait pouvoir se développer et la beauté du bois mort serait mise en évidence. En 2005, je le travaillais de nouveau avec H. Suzuki. Depuis ce temps, l arbre s est étoffé, la branche cascade a été légèrement raccourcie, le pot a été changé au printemps dernier et l arbre est sélectionné pour le prochain congrès national, en mars 2009. 1 - Septembre 1993 2-1998 4
Tête trop haute et trop droite Deux branches parallèles Branche trop longue 4 - novembre 2003 : Que faire? 3-1999 : après l intervention de M. Persiano 4 - novembre 2003 : coupe de la branche supérieure et travail sur la branche cascade 5 - novembre 2005 : modification du shari 6 - Octobre 2008 (changement de poterie en avril dernier) 5 - novembre 2005 5
Mon Pin sylvestre A l automne 2002, nous devions étudier le style fukinagashi pendant le troisième cours d Hideo Suzuki. J apportais un arbre qui avait été prélevé quelques années auparavant et qui n avait jamais été travaillé. J avais acheté cet arbre dans ce but car il m avait raconté son histoire : planté sur un flan de montagne, balayé par le vent, la pluie et la neige, on sentait qu il s était battu pour survivre (1). Quelques branches étaient mortes et malgré des soins attentifs, il restait relativement faible. Après le cours théorique, la phase pratique fut agréable : le mouvement de l arbre était naturel et les ligatures furent douces. En fin de journée, on pouvait presque sentir la force du vent qui avait contraint l arbre à aller dans son sens (2). On l imaginait résistant le plus possible au vent en tentant de faire pousser des branches à contre sens. L année suivante, j eus une mauvaise surprise lorsque je dépotais l arbre pour le mettre dans un pot à bonsaï : pas ou peu de racines, un étranglement du tronc au dessus du nébari dû à une racine que je ne pouvais supprimer à ce moment car elle était la seule capable de nourrir l arbre. J ôtais tout l argile et replaçais l arbre dans un grand pot avec un mélange drainant en espérant que l arbre prenne de la vigueur. Ne pouvant attacher la motte faute de pain racinaire, j utilisais des haubans (3). Mais, ayant déjà surmonté bien d autres épreuves dans la nature, l arbre reprit assez vite et la masse de verdure prit du volume si bien qu en 2006, je pus le mettre dans un pot plus petit. Le pot était un peu trop clair et un peu trop profond. De plus l inclinaison de l arbre n était pas très bonne et l impression de subir le vent était difficilement crédible. J eus la satisfaction de le travailler à nouveau lors d un cours avec H. Suzuki, lequel me conseilla d alléger la masse foliaire et de changer la face pour garder le caractère sauvage qu il avait à l origine. En mars 2007, je le présentais à l examen de fin d étude supérieure (4) puis, l été suivant au congrès de l école, à Arona, en Italie. Au printemps 2008, je le rempotais dans un pot plus foncé et plus plat en l inclinant davantage (5). On peut maintenant imaginer le vent s acharnant sur lui. Je pense que l histoire de l arbre serait encore plus crédible s il était planté sur une lauze. L arbre est également sélectionné pour le congrès national de 2009. 1 - Automne 2002 2 - Automne 2002 : après la première mise en forme 6
3 - Automne 2004 : après la première mise en pot, l arbre est fixé par des haubans 4 - Mars 2007 : L arbre est placé dans un pot plus petit mais ce pot est trop clair et l arbre est un peu trop vertical. Il demande encore du raffinement dans la ramification. 2 - Octobre 2008 : la poterie est plus plate, l arbre plus incliné. Il reste à revoir la cîme. 7
Conclusion Ma première approche du bonsaï était plutôt pratique : culture, taille, entretien. Ensuite, l autre plaisir a été de vieillir avec l arbre; plus je prends de l âge, plus l arbre vieillit. Bien sur, je n aime pas vieillir car cela me rapproche de la mort, c est pourquoi, je souhaiterais voir mes bonsaï vieillir plus vite que moi. Chacun se fait une idée différente de la perfection du bonsaï. La passion du bonsaï consiste à chercher sa propre perfection. Les pièces remarquables sont le reflet de leurs propriétaires. Pour moi, ce pin travaillé depuis 6 ans représente mon idéal. Je l ai rêvé ainsi dès 2002. La grande joie du bonsaï est de chercher l arbre avec lequel on peut vieillir et je crois l avoir trouvé avec ce pin. Je m interroge tous les jours sur les possibilités d amélioration de ces trois arbres mais je sais que le temps est l un des facteurs les plus importants. Enlever tout ce qui n est pas nécessaire et atteindre le but que je me suis fixé, étape par étape, sans jamais imposer ma volonté à l arbre mais, au contraire, le laisser me guider. Cette forêt était mon idéal il y a plus de vingt ans, mais en vingt ans, j ai évolué et mon idéal a changé. C est ce qui m a fait comprendre que la notion de mochicomi est si importante : elle permet d atteindre peu à peu la perfection. Comme j ai changé, l arbre ausi a changé au fil des ans. C est une voie sans fin et c est pour cela que l art du bonsaï me passionne. 8