3 La 3D au cinéma «Bienvenue dans le monde réel.» Morpheus (The Matrix)
44 Concevoir des films en 3D relief Maintenant que nous savons comment fonctionne notre cerveau pour recréer la 3D relief, nous allons nous atteler à la création de ladite 3D. Si, dans le monde réel, il n y a pas spécialement de limites, dans le monde du cinéma, il y en a beaucoup. La zone de confort Avant l avènement de la 3D, il était relativement simple de composer une image : l écran représentait un rectangle, dans lequel nous placions nos objets en suivant (ou non) des règles de composition inspirées (ou non, toujours) par les grands peintres et autres artistes nous ayant précédés (voir Figure 3.1). Avec la 3D, notre toile rectangulaire se transforme en fenêtre. Certes, elle délimite toujours un rectangle dans lequel nous allons découvrir l univers créé par le cinéaste, mais si cette fenêtre pose les contours du monde, elle n en limite plus la profondeur. Nous pouvons, à loisir, afficher des objets entre la fenêtre et le spectateur, mais aussi entre la fenêtre et la ligne d horizon (voir Figure 3.2). À loisir? Pas tout à fait, car on ne peut malheureusement pas faire faire n importe quoi à nos yeux, et il existe une petite subtilité entre le monde réel et le monde virtuel. Figure 3.1 : L espace 2D d un film traditionnel.
La 3D au cinéma Chapitre 3 45 Figure 3.2 : L espace 3D d un film en relief. Quand vous marchez dans la rue et que vous regardez au loin, vos yeux s adaptent et convergent vers ce point. Rien de plus normal. Si nous reprenons cette même scène au cinéma et que, dans le film, vous regardez au loin, vous avez l impression que vos yeux s adaptent aussi et convergent vers ce point. Sauf qu en fait, vous regardez un écran de cinéma qui vous donne l illusion de la 3D. Vos yeux s adaptent donc à la distance qui vous sépare de l écran, mais convergent en réalité dans le vide, entre l écran de cinéma et vous. Le cerveau n a pas l habitude de décarreler ces deux processus, et cela peut entraîner de la fatigue visuelle si vous n y prenez pas garde. Comment éviter cette fatigue? Regardons la Figure 3.3. Voici la configuration habituelle d une séance de cinéma. Nous sommes assis et regardons l écran. Nos deux yeux s adaptent à la distance et convergent vers l écran. Si l on s attarde sur le champ de vision dessiné devant l écran, on remarque trois zones distinctes : une zone que seul l œil droit peut voir, une zone que seul l œil gauche peut voir, et une zone que les deux yeux voient. Les deux premières zones sont appelées zones de rivalité rétinienne.
46 Concevoir des films en 3D relief Figure 3.3 : Nous voici dans une salle de cinéma à regarder l écran. Observez bien le champ de vision défini par nos yeux. Rivalité rétinienne Les zones de rivalité rétinienne, comme je l ai rapidement expliqué au chapitre précédent, sont des zones qui ne sont vues que par un seul de nos deux yeux, et donc habituellement situées aux extrémités de notre champ de vision. Ces zones étant périphériques, nous n y prêtons pas attention, puisqu elles se situent dans la zone balayée par la première passe de notre vue et qu elles ne sont, par conséquent, pas très définies. Dans la réalité, si jamais un élément important vient attirer notre attention dans une telle zone, nous avons le réflexe de tourner la tête. Pas au cinéma.
La 3D au cinéma Chapitre 3 47 Au cinéma, notre œil suit ce que le réalisateur souhaite nous faire suivre. Depuis toujours, l art du cinéaste est de composer les images pour nous guider dans son histoire et ses émotions, tout comme le magicien nous fait regarder à droite pendant que le trucage a lieu à gauche. Quand nous nous laissons guider comme cela, nous faisons implicitement confiance au réalisateur (ou au magicien). Il y a bien quelques malins qui essayent toujours de feinter en regardant à droite et à gauche, pour voir s ils ne détectent pas la supercherie ou le monstre caché derrière l actrice principale, mais à part ce cas de figure, nous nous laissons guider par ce que nous voyons. Et c est le rôle du réalisateur 3D de ne pas nous vriller les yeux. Tentons une simple expérience. Tendez votre index et placez-le au bout de votre nez sans le regarder. Vous devriez le voir en double, comme sur la Figure 3.4. Maintenant regardez-le (reculez-le de quelques centimètres si vous n arrivez pas à le voir correctement, mais pas trop). Normalement, cette convergence ne devrait pas être très confortable. Maintenez-la quelques secondes de plus et déplacez votre doigt vers l extrémité de votre œil droit ou gauche (voir Figure 3.5). Vous devez avoir perdu la convergence au moment où le doigt dépassait la position de votre œil, et avoir eu une sensation oculaire désagréable. Eh bien, c est ce qui risque d arriver à vos spectateurs si vous guidez leurs yeux sur des éléments 3D qui se trouvent ou se déplacent dans les deux zones de rivalité rétinienne situées devant l écran, que nous avons vues tout à l heure (voir Figure 3.3). Il est donc très important de bien les connaître. Figure 3.4 : Notre doigt est dédoublé, car très proche de nos yeux.
48 Concevoir des films en 3D relief Figure 3.5 : Convergez et déplacez le doigt vers la droite ou la gauche. Vos yeux ne vous diront pas merci. Les plus attentifs d entre vous auront remarqué qu il existe aussi deux autres zones de rivalité dans le champ de vision qui se situe derrière l écran. Bien qu il faille éviter également d y placer des éléments importants, ces deux zones ne seront pas aussi douloureuses pour les yeux que celles que nous venons de voir. Elles sont situées dans la profondeur, ce qui évite une trop grande convergence à nos yeux. Cependant, s y aventurer peut ruiner l effet de relief de la scène donc, à éviter tout de même.
La 3D au cinéma Chapitre 3 49 Figure 3.6 : Les quatre zones de rivalité rétinienne. Maurice, tu dépasses les bornes des limites Voici donc les deux zones dans lesquelles nous pouvons placer nos objets 3D importants. Par importants, j entends ceux sur lesquels nous allons demander au spectateur de se concentrer, par exemple l acteur principal. De ces deux zones, vous remarquerez que celle située derrière l écran est la plus grande. C est celle dans laquelle vous aurez le plus à travailler, parce que c est la plus confortable pour nos yeux et pour votre espace 3D, vu qu il y a de la place. La zone située devant l écran est cependant la plus intéressante et la plus dangereuse. Intéressante, car c est dans cette zone que devront se situer tous les objets qui «sortent» de l écran. Dangereuse, car c est aussi dans cette zone que le risque de faire mal aux yeux est le plus important. C est elle qui nécessite en effet le plus de travail musculaire pour la convergence, et certaines parties de cette zone ne doivent pas être utilisées plus de quelques secondes sous peine de voir votre spectateur détourner la tête et fermer les yeux.
50 Concevoir des films en 3D relief Figure 3.7 : Les deux zones de profondeur. Figure 3.8 : Nos deux zones, numérotées.
La 3D au cinéma Chapitre 3 51 Divisons la zone en deux parties égales, dans le sens de la largeur (voir Figure 3.8). La zone 1, qui touche l écran, est la zone que vous pouvez utiliser au maximum sans souci. La convergence est proche de celle de l écran et les objets qui s y trouvent sont agréables à regarder. La zone 2, la plus proche de nous, n est à utiliser qu avec parcimonie, pour les effets «Wahoo!. Dreamworks est devenu un pro dans la maîtrise de cette zone et l utilise pour nous envoyer des choses à la figure dans presque tous ses films. Dans Monstres contre Aliens, un des personnages joue avec une raquette à laquelle est reliée une balle rebondissante, et cette balle rebondit droit vers nous. La balle pénètre la zone 2 plusieurs fois pendant quelques fractions de secondes, suffisamment rapidement pour ne pas nous faire mal aux yeux. Cet effet est utilisé une seconde fois un peu plus loin dans le film, quand le clocher de l église tombe et que la pointe sort de l écran, encore droit sur le spectateur. L utilisation de la zone 2 ne doit vraiment pas être régulière, répétée et longue, sous peine de faire fuir les spectateurs. Elle est vraiment réservée uniquement pour faire sursauter la salle. Retournons maintenant de l autre côté de l écran. Le bout de la zone située derrière l écran représente l infini à nos yeux, et c est le point où le décalage entre l image de droite et celle de gauche est le plus grand. Il serait contreproductif d y placer des éléments importants, dans la mesure où notre cerveau ne peut naturellement plus, à ce niveau, calculer les distances ni le relief. Cette zone est donc elle aussi dangereuse, non pas pour nos yeux, mais pour l effet 3D de la scène. Si l on prend en compte toutes les zones à éviter, entre les rivalités et les extrémités, vous remarquerez que notre espace 3D se retrouve finalement assez limité. Le pire, c est que ce n est pas tout! Figure 3.9 : Vers l infini et au-delà? Il ne faut pas trop y compter.