PROPOSITION DE L UNIVERSITÉ QUISQUEYA POUR LA RELANCE DES ACTIVITÉS PENDANT LA PHASE DE RÉCUPÉRATION, APRÈS LE SÉISME DU 12 JANVIER 2010 Les institutions éducatives ont été très durement frappées par le séisme du 12 janvier 2010. Selon un rapport préliminaire du ministère de l Education près de 80% des établissements scolaires du département de l Ouest ont été soit détruits soit endommagés et sont rendus inutilisables. L enseignement supérieur et universitaire n a pas échappé à la catastrophe et les infrastructures se trouvent affectées dans des proportions similaires. L université Quisqueya n a pas échappé au désastre. Son nouveau campus de Turgeau en voie d achèvement a été complètement détruit, incluant le musée établi dans l ancienne résidence du Président Magloire qui s est effondré au moment où il accueillait une exposition consacrée au peintre américain d origine haïtienne Jean Michel Basquiat. Les pertes en vies humaines ont été importantes : 15 étudiants, un professeur et deux employés. Les bâtiments du campus du Bicentenaire, bien que encore debout, sont inutilisables, selon l évaluation faite par un expert de Cornell University. L enceinte intérieure abrite un centre hospitalier mis en place par les Américains et le reste de la cour intérieure, l auditorium ainsi que d autres bâtiments (bureaux, laboratoires et salles de classes) sont occupés par les Gis qui ont pris possession des lieux afin d assurer la sécurité des personnels médicaux américains. De plus, les terrains de ce campus font l objet d une occupation par les résidents (entre 7000 et 10,000) des quartiers de Cité L Eternel et Cité de Dieu. L ensemble des pertes matérielles subies par l université s évaluent à 4.8 millions de dollars américains. L un des constats les plus troublants de la gestion des conséquences du séisme du 12 janvier 2010 est que les institutions en place pour aider, assister, encadrer, guider la population sont aussi désorientées et démunies que la partie de la population la plus sinistrée. De plus, les myriades d agences et d organisations humanitaires présentes sur le terrain, malgré leur activisme débordant, ne trouvent pas assez de repères pour orienter leur action et interviennent de façon non coordonnée, parfois avec des moyens et des ressources très en deçà des vrais besoins et attentes, ce qui ajoute aux frustrations de la population. La plupart des Haïtiens ont compris qu ils doivent se remettre debout tous seuls et donc n attendent ni l Etat ni la communauté internationale. Les espaces occupés par les sinistrés n ont pas été assignés par l Etat et ce dernier est très peu présent pour aider les communautés à faire face aux innombrables problèmes posés par cette occupation spontanée : absence d aménagement du territoire occupé, insalubrité, insécurité, problèmes psycho sociaux affectant les familles, particulièrement les enfants etc. Si rien n est fait pour améliorer le plus vite possible les conditions de vie des sinistrés dans ces camps, la frustration se transformera en colère. Pourtant, il nous semble que l Etat doit compter avec cette dynamique spontanée de la population pour mettre en place les solutions qu il n est pas encore en mesure d offrir. Cette dynamique peut offrir une base propice pour ancrer les efforts de récupération de la population et de reconstruction du pays. Les universités et écoles supérieures haïtiennes ont reçu et continuent de recevoir un grand nombre de promesses d aide de la plupart de plusieurs institutions d enseignement venant de diverses régions : Europe, Amérique Latine et Caraïbe, Etats Unis et Canada. La plupart de ces offres portent sur des propositions de mobilité étudiante qui devront être examinées au cas par cas, avec le souci d optimiser
tous les bénéfices qui peuvent en résulter (notamment la nécessité de renforcer le bassin de compétences humaines disponibles pour l enseignement supérieur), tout en excluant l illusion d une expatriation en masse des étudiants haïtiens vers des centres universitaires étrangers. Mais il est tout aussi vital, pour la reconstruction de notre système d enseignement supérieur, que les universités haïtiennes mettent sur pied, et sur place, et le plus rapidement possible des activités académiques pour maintenir en activité leur corps professoral et conserver le minimum de capital intellectuel qu ils ont bâti en plusieurs années. Quisqueya a mis au point, 10 jours après le séisme, un service de volontariat qui permet de mobiliser les étudiants et professeurs dans un grand mouvement de solidarité et d appui aux «colonies» sinistrées. Dans une première étape, et sur la base de ses moyens propres, l université a commencé également à faire fonctionner depuis plus d un mois : un centre hospitalier postopératoire, installé dans le parking du campus de Turgeau, et qui a trouvé par la suite l appui d un groupe de médecins slovaques de l université Ste Elisabeth ; une clinique mobile qui dessert une quinzaine de campements localisés dans le quartier de Turgeau ; un point de distribution d eau potable accessible aux résidents des quartiers de Turgeau ; un dispositif d accueil des enfants dans le parking de l université à Turgeau, qui a déjà accueilli plus de 1000 enfants des camps avoisinants dans des activités récréatives et de prise en charge psychosociale. Ces activités sont conduites avec la participation d étudiants des trois facultés suivantes, avec l aide des professeurs de ces facultés Faculté des sciences de l Education pour le volet Education des enfants, Faculté d agronomie et d environnement pour le volet Formation des comités de gestion des camps ; faculté de Médecine pour le volet Santé. L Université Quisqueya se propose de relancer les activités académiques de la session de janvier 2010 en formalisant ce service de volontariat et en le systématisant, comme dispositif central d une stratégie de relance de ses activités académiques et aussi de prise en charge des effets négatifs du séisme sur le moral de nos étudiants et professeurs. Ce dispositif est prévu pour fonctionner dans la phase de récupération que nous évaluons à trois sessions (18 mois). Ce n est qu à partir de là que la phase de reconstruction des infrastructures physiques pourra être envisagée. De toutes manières, les leçons qui pourront être tirées de cette expérience d une formation ouverte sur les besoins du milieu constituent des données essentielles à partir desquelles on pourrait peut être repenser le paradigme de la formation universitaire traditionnelle évoluant dans l espace clos de la salle de classe. Les activités seront organisées en quatre volets. Volet 1 : (Tente numérique) apprendre sous une tente en exploitant les technologies de l information Une grande partie des enseignements prévus dans les programmes de master des universités haïtiennes ont lieu dans le cadre de missions d enseignement dont certaines sont financées par l AUF ou la Coopération française, ou encore directement par les universités haïtiennes bénéficiaires. Dans le cas de l université Quisqueya il existe six programmes de master dont la réalisation n est possible que grâce aux missions d enseignement par des enseignants venant de la France, du Canada et des Etats Unis. Ces programmes sont : a. Le master en Santé publique, donné en partenariat avec les Centres Gheskio et Cornell University ;
b. Le master en développement urbain, options quartiers précaires, donné en partenariat avec le GRET et l université du Québec à Montréal (Uqàm) ; c. Le master en éco toxicologie, environnement et gestion de l eau (MEEGE), master de la filière AUF donné en partenariat avec l INSA de Lyon ; d. Le master en Gestion de projet, de la filière AUF ; e. Le master Conduite de projets et gestion des organisations d éducation et de formation, qui est un master offert en co diplomation entre l université Paris 12 et l université Quisqueya ; f. Le master en Comptabilité, Contrôle et Audit (MCCA) donné en partenariat avec l IAE de l université Paris 12. Pour des raisons évidentes plusieurs de ces missions ne peuvent plus se tenir aujourd hui. Nous avons donc décidé d organiser un espace temporaire avec des tentes sur le parking du campus de Turgeau à partir duquel plusieurs de ces cours pourront être donnés par visioconférence. La stratégie pourra s étendre aux programmes de licence sous la forme de cours en ligne, en privilégiant les étudiants finissants. L objectif recherché est de permettre aux étudiants auxquels il manque quelques cours pour obtenir leur licence de pouvoir disposer de cette formation en accédant à des cours en ligne pour les matières concernées. Quisqueya est en contact avec plusieurs universités qui sont en train d examiner cette option de coopération. Une «tente numérique» (salle de travail aménagée sous une tente) sera mise à la disposition des étudiants concernés. Les cours du programme de master en Conduite de projets et gestion des organisations d éducation et de formation reprendront le mercredi 17 prochain à 11 heures. (Voir en fichier joint la description du programme) Volet 2 : Propédeutique et formation spécialisée à l intention des nouveaux admis et des étudiants réguliers de l UniQ La deuxième session de l université devait commencer à la fin du mois de janvier avec l admission de quatre cents ou cinq cents nouveaux étudiants. Le processus de sélection des candidats a été interrompu par le séisme du 12 janvier. Le volet de la proposition concernée ici consiste à admettre l ensemble des postulants et à organiser à leur intention une session propédeutique (15 semaines) dont le contenu correspondra aux cours de mise à niveau et aux cours de formation générale de base prévus dans le régime des études du premier cycle de l université. Ces cours porteront sur les disciplines suivantes : Français, Techniques d expression créole, Mathématiques, Biologie, Chimie, Physique, Introduction aux logiciels de base, Introduction aux sciences de l environnement, Introduction au travail intellectuel. Cette propédeutique sera couplée avec une formation spécialisée de courte durée dans divers domaines correspondant aux besoins associés à la phase de récupération des populations affectées par le séisme et de reconstruction du pays. Une étude plus complète permettra de mieux définir ces domaines de compétences, parmi les quels, on peut distinguer déjà les suivants : secourisme, prévention des risques et gestion des désastres, organisation et animation communautaire (dans les espaces occupés par les nouveaux sans abris, gestion des stocks, logistique de l aide humanitaire etc.). Cette formation sera sanctionnée par un certificat et sera aussi ouverte aux autres étudiants réguliers de l université. Volet 3 : Etudiants volontaires au service des populations vivant dans les camps de sans abris Les habitants affectés par le séisme n ont pas attendu que les autorités leur assignent des abris appropriés et se sont regroupés spontanément dans divers espaces publics (places publiques, rues,
cours des bureaux publics) ou appartenant à des particuliers (cours et parkings de résidences de particuliers ou d organisations, terrains privés, campus d universités, terrains de jeux etc.) où ils essaient tant bien que mal d organiser un cadre de vie. L Etat envisage, il est vrai, de relocaliser ces populations dans des espaces plus structurés et plus sécurisés, dotés d un minimum d infrastructures. En attendant, personne ne peut dire combien de temps ces réfugiés doivent passer dans les abris spontanés actuels. Quelque soit le cas de figure, ces espaces de vie (qu ils soient spontanés ou organisés par les soins des pouvoirs publics) posent plusieurs problèmes qui ne peuvent pas être laissés à la seule discrétion des populations sinistrées, étant donné le grand désarroi dans lequel le séisme les a plongé. Ces problèmes concernent les besoins psycho sociaux des familles (en particulier des enfants), l organisation de l espace occupé qui doit obéir à des règles d aménagement de base tant pour la sécurité des occupants que pour une meilleure convivialité, l assainissement des lieux et la gestion des déchets, l éducation d un grand nombre d enfants dont certains n ont jamais été à l école ou ne pourront pas retourner à l école, des jeunes et des adultes aussi à prendre en charge pour les aider à récupérer leur capacité de génération de revenus à partir d une activité économique etc. Les cours réguliers reprendront à partir du 5 avril. Compte tenu de la phobie qui hante étudiants, professeurs et parents en ce qui concerne l organisation d activités dans des espaces couverts par des dalles de béton, les cours seront délivrés dans des abris temporaires qui seront aménagés dans la cour du campus de Turgeau, notamment sous des hangars construits localement et des tentes. Ce volet de la proposition consiste à offrir à tous les étudiants intéressés ayant complété deux sessions à l université l occasion d intervenir dans une structure de volontariat en appui à ces communautés. Ce régime ne concernera donc que les étudiants qui ne disposeront pas d une charge de travail trop lourde en fonction des crédits auxquels ils s inscrivent et qui ont besoin d un support financier pour pouvoir assurer la poursuite de leurs études. On peut envisager que l étudiant volontaire pourrait dédier à cette activité environ 15 à 20 heures par semaine, ce qui lui laisse la possibilité de participer à d autres activités plus ordinaires comme les cours auxquels il choisit de s inscrire. Avant le déploiement des étudiants sur le terrain, ces étudiants participeront à un ou des séminaires intensifs de préparation destinés à leur offrir les outils conceptuels et méthodologiques pour intervenir efficacement dans ces communautés. Ils seront regroupés périodiquement à la fin de chaque semaine dans des ateliers de synthèse ou de recadrage qui permettront d analyser les leçons de l expérience, de raffiner les outils ou les méthodes d intervention, de formaliser ou d institutionnaliser les connaissances académiques sous jacentes à l expérience de travail dans les camps. Pendant le processus d intervention dans les camps chaque groupe de 10 à 15 étudiants bénéficiera d un coaching de la part d un enseignant ou d un intervenant spécialisé qui leur fournira sur demande une assistance particulière pour les problèmes spécifiques qu ils auront rencontré sur le terrain. Le travail de l étudiant dans les communautés pourrait porter, selon les champs de compétence attribués, sur les activités suivantes : Animation culturelle dans la communauté Prise en charge psychosociale des familles et des enfants Education des enfants et des adultes Formation et encadrement des leaders de la communauté Aide à l organisation de la vie dans la communauté : appui à la résolution des problèmes d assainissement, gestion et valorisation des déchets, rationalisation du mode d occupation des espaces (zoning), élaboration et animation des échanges devant conduire à l adoption d une charte de convivialité etc.
L étudiant pourrait recevoir un certain nombre de crédits (à définir par chaque faculté) pour le travail de volontaire effectué dans les communautés. Chaque volontaire recevrait une bourse (environ 300 U$ par mois) financée par un sponsor, en contrepartie de son travail de volontaire. Cette bourse devrait lui i permettra de faire face aux frais de scolarité de l année et de disposer de quelques ressources propres pour ses besoins personnels. Cette formule pourrait s appliquer à environ un millier d étudiants par an. Volet 4 : Ecole de langue Ce projet qui était mis au point pour commencer avec l ouverture de la session de janvier peut être remis à l ordre du jour. Les laboratoires seront placés sous les tentes ou dans d autres espaces éclatés. Le Français, l Anglais et le Créole (pour les nombreux secouristes et assistants étrangers) font partie du premier portefeuille de langues à promouvoir.