CHRONIQUE 6 LES SUBVENTIONS AUX SERVICES AUDIOVISUELS DANS LE CADRE DU GATS : SITUATION ACTUELLE ET IMPACT DES NÉGOCIATIONS.



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CHRONIQUE 6 LES SUBVENTIONS AUX SERVICES AUDIOVISUELS DANS LE CADRE DU GATS : SITUATION ACTUELLE ET IMPACT DES NÉGOCIATIONS Ivan Bernier La plupart des États subventionnent à des degrés divers leurs services audiovisuels. Dans les pays développés plus particulièrement, les subventions aux services audiovisuels se retrouvent pratiquement à toutes les étapes du processus de production et de distribution. C est ainsi que pour l industrie du film (et dans une large mesure pour la télévision aussi), on retrouve des programmes de subvention au développement des projets, à la scénarisation, à la production, au marketing, à la distribution, au doublage et au soustitrage, aux festivals, aux événements cinématographiques internationaux, à la coproduction, etc. Parmi tous les secteurs de services, celui des services audiovisuels est le plus fréquemment mentionné comme bénéficiant de subventions, d après les données obtenues dans le cadre des examens périodiques de la politique commerciale des Membres de l OMC 1, Ce dernier constat nous amène tout naturellement à nous interroger sur la nature des engagements actuels de ces derniers en matière de subventions dans le secteur audiovisuel ainsi que sur les répercussions des négociations du GATS (General Agreement on Trade in Services) qui ont présentement cours à cet égard. I. La situation juridique actuelle concernant les subventions dans le GATS La seule disposition qui traite explicitement des subventions dans le GATS est l article XV. Celui-ci ne comporte aucun engagement contraignant en ce qui concerne les subventions, hormis celui d entreprendre des négociations en vue d élaborer des disciplines multilatérales nécessaires pour éviter les effets de distorsion que peuvent avoir les subventions sur le commerce des services. Une note annexée au paragraphe 1 de l article 1 Voir OMC, doc. SWPGRW25 (260198

2 XV précise qu un «programme de travail futur déterminera de quelle manière et dans quels délais les négociations sur ces disciplines seront menées». Cependant, jusqu'en juillet 2002, rien n'avait été fait pour établir un tel programme de travail. Mais il convient de rappeler que les Lignes directrices et procédures pour les négociations sur le commerce des services, adoptées le 28 mars 2001 à la Session extraordinaire du Conseil du commerce des services, disposent que "les Membres viseront à mener à bien les négociations au titre des articles VI:4, XIII et XV avant que les négociations sur les engagements spécifiques ne soient achevées" 2. Pour le moment toutefois, et jusqu à ce que des disciplines spécifiques concernant les subventions soient formellement adoptées, les membres demeurent libres en principe d agir comme ils l entendent en ce qui concerne les subventions aux services audiovisuels. Nous verrons plus loin comment ces négociations au titre de l article XV évoluent. Deux autres dispositions du GATS viennent quelque peu restreindre la portée de cette apparente liberté laissée aux membres de subventionner comme ils l entendent leurs services audiovisuels, même si ces dispositions ne font pas référence en tant que tel aux subventions. La première de ces dispositions est l article II, qui concerne l engagement des Membres d accorder «aux services et aux fournisseurs de services de tout Membre un traitement non moins favorable que celui qu ils accordent aux services similaires et aux fournisseurs de services similaires de tout autre pays», c est-à-dire l obligation d octroyer le traitement de la nation la plus favorisée. Cet engagement, qui se retrouve dans la Partie II du GATS (Obligations et disciplines générales), est applicable à tous les Membres et à l ensemble des services, y compris les services audiovisuels. Il s accompagne toutefois de la possibilité exceptionnelle offerte à ces derniers de maintenir des mesures incompatibles avec l engagement en question, pourvu qu elles figurent dans une annexe à cet effet et qu elles satisfassent aux conditions indiquées dans ladite annexe. L annexe en question est applicable uniquement aux mesures inscrites au moment de l entrée en vigueur de l Accord. Toute nouvelle exemption demandée après la date d entrée en vigueur de l Accord sur l OMC relève du paragraphe 3 de l article IX dudit accord, qui ne permet d exempter un Membre de ses obligations que si les trois quarts des membres y consentent. Les exemptions accordées par ailleurs doivent être réexaminées cinq ans au 2 OMC, Rapport du Président du Groupe de travail des règles de l'agcs, Négociations sur les subventions

3 plus tard après l entrée en vigueur de l Accord de l OMC, lorsqu elles sont d une durée de plus de cinq ans. En tout état de cause, l annexe prescrit que l exemption d un Membre à ses obligations au titre de l article II :1 ne devrait pas «en principe» dépasser une période de dix ans. L approche adoptée à l égard des exemptions au traitement de la nation la plus favorisée, on le voit, n est pas dépourvue d ambiguïté : en laissant entendre que ces exemptions, que l on a manifestement envisagées comme temporaires, peuvent exceptionnellement durer au-delà de dix ans, on ouvre la porte à un dépassement du délai en question, comme si on prévoyait déjà que dans certains secteurs un tel dépassement était inévitable. Si l on en juge par les faits, cela pourrait bien être le cas du secteur audiovisuel. D après une étude réalisée par le Secrétariat de l OMC, c est effectivement dans ce secteur que le plus grand nombre d exemptions au traitement de la nation la plus favorisée ont été pris. Si on considère la Communauté européenne comme une seule entité, pas moins de 33 demandes d exemptions visant expressément ce dernier secteur ont effectivement été formulées à cet égard 3. Or, bon nombre de celles-ci visent les accords de coproduction dans les domaines du film et de la télévision et à un moindre degré les accords régionaux d aide à l industrie cinématographique et télévisuelle, lesquels, pour des raisons ayant trait essentiellement à la préservation d identités culturelles nationales ou régionales, dérogent ouvertement au traitement de la nation la plus favorisée en rendant accessibles aux seuls signataires les programmes nationaux de subventions existants dans ces domaines. Fait particulièrement intéressant à souligner, ces exemptions relatives aux accords de coproduction sont plus souvent qu autrement présentées comme ayant une durée indéfinie, tout comme si l échéance de dix ans n existait pas. De plus, ces exemptions sont interprétées très souvent comme couvrant aussi bien les accords antérieurs que postérieurs à la date d entrée en vigueur de l OMC, avec le résultat que les bénéficiaires de ces exemptions continuent de signer allègrement de tels accords de coproduction doc. S/WPGR/10, 30 juin 2003 3 WTO, Conseil sur les services, Services audiovisuels, Note d information du Secrétariat, par. 29, Doc. S/C/W/40, 15 June 1998, par. 31: http://www.wto.org/english/tratop_e/serv_e/w40.doc,

4 nonobstant l échéance en question 4. Reste à voir cependant dans quelle mesure un tel développement pourrait être remis en cause dans le cadre des présentes négociations du GATS. Pour ce qui est des Membres de l OMC qui n ont pas inscrit d exemption relativement aux accords de co-production, il va de soi qu ils n ont plus la possibilité de conclure de tels accords. La seconde disposition du GATS susceptible de restreindre l apparente liberté laissée aux Membres de l OMC de subventionner comme ils l entendent leurs services audiovisuels est l article XVII. Si un Membre prend sur une base volontaire des engagements concernant l octroi du traitement national dans un secteur de service donné, ainsi que le prévoit l article XVII, ce Membre, à moins qu il n ait inscrit une réserve expresse limitant à ses seuls nationaux le bénéfice des programmes de subventions existants dans ce secteur, ne pourra en priver les fournisseurs étrangers de services audiovisuels présents sur son territoire. C est ainsi que les États-Unis ont inscrit dans leur liste d engagements spécifiques dans le domaine de l audiovisuel une réserve concernant les subventions octroyées par le National Endowment for the Arts aux seuls citoyens américains ou résidents permanents américains 5. La Nouvelle-Zélande a fait de même pour ses subventions aux films d origine néo-zélandaise 6 et Israël pour ses subventions accordées aux films d origine israélienne 7. Même la Chine, à l occasion de sa récente accession à l OMC, a inclus dans ses engagements horizontaux, concernant l ensemble des secteurs inclus dans sa liste, une réserve concernant «les subventions actuellement accordées aux fournisseurs de services nationaux dans les secteurs des services audiovisuels, des services d'aviation et des services médicaux» 8. II : Les propositions de négociations susceptibles de modifier la situation actuelle Comme on peut le constater, très peu est définitivement acquis au plan juridique en ce qui concerne le droit des Membres de subventionner comme ils l entendent leurs services 4 A titre d exemple de membres dont l exemption réfère explicitement aux accords de coproduction existants et futurs, voir : pour les Communautés européennes (GATS/EL/31), pour le Chile (GATS/EL/18) et pour la République Tchèque (GATS/EL/26). 5 OMC, doc. GATS/SC/90, p. 46. 6 OMC, doc. GATS/SC/62, p. 13 7 OMC, doc. GATS/SC/44, p. 9 8 OMC, doc. WT/ACC/CHN/49/Add.2, 1 er octobre, 2001.

5 audiovisuels. Dans un tel contexte, il était inévitable qu un certain nombre de propositions formulées par les membres dans le cadre des négociations en cours sur les services remettent en cause directement ou indirectement la situation juridique actuelle des subventions dans le GATS. C est ainsi que l on retrouve des propositions qui demandent l élimination de toutes les exemptions au traitement de la nation la plus favorisée, y compris celles concernant les accords de coproduction et d autres qui suggèrent carrément la mise en place d un régime particulier pour les subventions dans le secteur audiovisuel. Trois pays en particulier ont insisté pour que soit éliminées les exemptions existantes au traitement de la nation la plus favorisée, soit le Japon, le Mexique et la Corée. Déjà en mai 2001, le Japon, le premier, avait proposé que soient éliminées avant la fin de 2004 toutes les exemptions inscrites à l Annexe sur les exemptions des obligations énoncées à l article II 9. En novembre 2001, la Corée, à l instar du Mexique qui avait fait la même chose un peu plus tôt, affirmait à son tour «qu'il y aurait lieu de renforcer aussitôt que possible le principe fondamental du traitement NPF dans le cadre de l'agcs» et qu elle «voudrait en conséquence demander instamment aux Membres d'éliminer et/ou de réduire les mesures incompatibles avec l'obligation NPF avant l'expiration de la période de dix ans, en considérant celle-ci comme une durée maximum» 10. Mais ce point de vue qui, s il devait l emporter, aurait pour effet de mettre un terme définitif à la pratique des accords de coproduction cinématographique, ne semble pas avoir rallié un appui déterminant à ce jour, du moins dans le secteur audiovisuel. Il faut se rappeler à cet égard que les accords de coproduction sont très courants non seulement entre pays développés mais aussi entre pays développés et pays en développement, et qu ils opèrent dans ce dernier cas un net transfert de ressources financières et de technologie des premiers vers les seconds. L incitation concrète à mettre fin à la pratique de tels accords n est donc pas très grande. Il faudra toutefois attendre la fin des négociations du GATS pour voir ce qu il adviendra de ces derniers. L ambiguïté qui entoure de façon générale la question du traitement des subventions dans le cadre du GATS a également conduit, dans le secteur audiovisuel, à des propositions qui 9 OMC, doc.s/css/w/42/suppl.1, 14 mai 2001 : MFN Exemption: Analysis and Proposal 10 OMC, doc. S/CSS/W/127, 30 novembre 2001

6 débouchent sur la mise en place d un régime de subventions particulier à ce secteur. Trois pays en particulier, le Brésil, la Suisse et les États-Unis, se sont montrés ouverts à une telle approche. Le Brésil adopte sur la question un point de vue qui se veut le reflet des préoccupations des pays en développement. Après avoir fait valoir que le GATS offrait la possibilité de libéraliser les échanges dans le secteur audiovisuel sans pour autant priver les membres de l autonomie nécessaire pour appuyer leurs objectifs de politique culturelle, ce dernier affirme : Toutefois, compte tenu du caractère sensible de ce secteur, il faudrait prendre en considération des instruments additionnels, en particulier dans le domaine de la production et de la distribution de films cinématographiques. Des mécanismes de subventionnement dans le secteur de l'audiovisuel en vue d'atteindre les objectifs de politique culturelle méritent d'être considérés. Cet aspect pourrait être pris en compte dans les négociations en cours sur les subventions au titre de l'article XV de l'agcs dans le cadre de disciplines multilatérales éventuelles ou en inscrivant des limitations en matière de traitement national pour ces subventions dans les listes d'engagements spécifiques des Membres. Dans tous les cas, il serait important de veiller à ce que ces mécanismes créent le moins de distorsions possible pour le commerce, compte tenu des disparités entre les Membres du point de vue de leur capacité de subventionnement. Les besoins spéciaux des pays en développement doivent être dûment pris en compte à cet égard. La Suisse, pour sa part, aborde les subventions dans le secteur audiovisuel comme une question parmi plusieurs autres que soulève le traitement des services audiovisuels dans le cadre du GATS. L ensemble de ces questions, suggère-t-elle, pourrait faire l objet d un débat lors d une session spéciale du Conseil du commerce des services et donner lieu, le cas échéant, à une annexe spéciale sur les services audiovisuels ou à tout autre type d instrument jugé approprié. Concernant plus particulièrement les subventions, cependant, elle fait valoir ce qui suit : Les règles générales sur les subventions énoncées à l'article XV de l'agcs doivent encore être élaborées. Force est de constater que la plupart des Membres de l'omc accordent des subventions plus ou moins importantes à la production et à la distribution de produits audiovisuels, tout au moins pour ce qui concerne les films cinématographiques. En conséquence, il serait utile d'examiner, outre les règles générales sur les subventions, les pratiques de subventionnement et leur situation au regard des disciplines devant être convenues dans le cadre des travaux sur l'audiovisuel. Une convergence de vues entre les Membres sur les subventions, l'objectif de politique qui les justifie et leur effet sur le commerce serait une condition préalable positive à la fois pour la négociation d'engagements spécifiques dans le secteur audiovisuel et pour l'élaboration de règles générales en matière de subventions. Les États-Unis, enfin, envisage la possibilité d un traitement particulier des subventions dans le secteur audiovisuel en lien avec la prise d engagements dans ce secteur. La nature exacte de ce lien toutefois n est pas très claire. Ce que les États-Unis semblent

7 affirmer, en fait, c est que si un nombre suffisant de Membres acceptent de prendre des engagements dans le secteur audiovisuel - on sait que lors des négociations du Cycle de l Uruguay, très peu de ceux-ci avaient accepté de ce faire ils seraient réceptifs à la négociation d un entente spéciale sur les subventions dans ce secteur. La proposition américaine se présente ainsi : Conjointement à la négociation d'engagements concernant les services audiovisuels, les Membres pourraient également parvenir à une entente sur les subventions qui respecte le besoin de chaque pays de promouvoir son identité culturelle en créant un environnement enrichissant pour la culture nationale. À cette fin, de nombreux Membres subventionnent la production de films commerciaux. Il existe un précédent à l'omc en ce qui concerne l'élaboration de règles qui reconnaissent l'octroi de subventions soigneusement limitées à des fins spécifiquement définies, des précautions étant prises en parallèle pour que les effets potentiels de distorsion sur les échanges soient effectivement limités ou notablement neutralisés. Il faut cependant préciser que le précédent auquel la proposition américaine fait référence n est plus en vigueur depuis le 1 er janvier 2000, les membres n ayant pas prorogé l application des règles en question tel que requis 11. On notera de surcroît que la proposition en question s éloigne passablement du régime actuel en suggérant des règles qui reconnaîtraient l octroi de subventions «soigneusement limitées à des fins spécifiquement définies» et entraînant le moins possible de distorsions sur les échanges. À ce jour, aucune suite concrète n a été donnée à l une ou l autre de ces propositions. Les négociations sur les services de façon générale progressent plutôt lentement en ce qui concerne les offres de concessions et, après l échec de Cancun, le moins que l on puisse dire est que des questions comme celle d un régime particulier pour les subventions dans le secteur audiovisuel, ou celle de l élimination de toutes les exemptions au traitement de la nation la plus favorisée, y compris celles concernant les accords de coproduction, ne font pas partie des priorités. À moins d un développement majeur dans les négociations tant au plan des négociations en général qu au plan des négociations sur les services il est concevable que les seules restrictions nouvelles à la liberté des membres de subventionner comme ils l entendent leur secteur audiovisuel proviendraient des engagements spécifiques qu ils auront bien voulu prendre dans le secteur audiovisuel. 11 Les règles en question se retrouvent à l article 8.2 de l Accord sur les subventions et les mesures compensatoires. L article 31 du même accord prévoit toutefois que ces dernières seront en application pour une période de cinq ans seulement, après quoi elles devront être prorogées pour demeurer en vigueur.

8 Mais comme ceux-ci se sont engagés dans les Lignes directrices et procédures pour les négociations sur le commerce des services à «mener à bien les négociations au titre des articles VI:4, XIII et XV avant que les négociations sur les engagements spécifiques ne soient achevées» 12, il apparaît opportun de voir maintenant ce qu il advient des négociations au titre de l article XV. III. Les négociations en cours au titre de l article XV sur un éventuel régime juridique applicable aux subventions Le moins que l on puisse dire est que les négociations en question ne progressent pas très rapidement. Dans le dernier rapport du Groupe de travail des règles de l AGCS, en date du 30 juin 2003, le Président du Groupe constate en conclusion que «de manière générale, les travaux concernant les subventions sont touchés par le syndrome de la poule et de l œuf et ils n ont guère progressé en ce qui concerne les questions techniques» 13. Ce n est pas faute de support institutionnel que les négociations n ont pas progressées. Ainsi que le note le Rapport, depuis 1996, date de la première inscription du sujet à l ordre du jour du Groupe de travail des règles de l AGCS, les négociations sur les subventions ont pu s'appuyer sur les contributions écrites suivantes: i) sept contributions formelles et six contributions informelles présentées par les Membres; ii) un certain nombre de notes élaborées par les différents présidents en vue de structurer les débats, en particulier la liste de questions concernant les subventions, récemment révisée sous la cote JOB(03)/57; iii) neuf notes formelles et quatre notes informelles présentées par le Secrétariat. Mais si on fait abstraction des notes du président du Groupe de travail et du Secrétariat pour ne prendre en considération que les contributions des membres, on constate qu à part les Communautés européennes qui ont transmis un document informel sur le régime communautaire des aides d'état dans le domaine des services, seulement six membres, soit le Chili, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, Hong Kong/Chine, la Pologne et l Argentine, 12 Voir supra, note 2.

9 ont transmis des documents formels et informels. On ne peut certainement pas parler à ce stade-ci d un intérêt majeur de la part des Membres pour cette question des subventions. Reste à voir quelles questions ont été abordées durant ces négociations et quelle place a été faite dans le cadre de celles-ci aux subventions dans le secteur audiovisuel. Dès le départ, en 1996, une attention particulière a été accordée à la nécessité et au contenu possible d une définition pour les subventions dans le secteur des services ainsi qu à la nécessité d un échange de renseignements sur les subventions dans le secteur des services. En ce qui concerne le problème de la définition, certains Membres ont suggéré que l on s inspire de celle de l Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, mais d autres ont fait valoir que le modèle en question, applicable exclusivement aux marchandises, n était pas particulièrement utile pour définir les subventions dans le secteur des services puisque les caractéristiques étaient différentes dans les deux secteurs. En 1997 le Groupe de travail approuvait un questionnaire pour faciliter l échange de renseignements concernant les subventions. De 1997 à 1999, les délégations ont poursuivi leur analyse technique des subventions et ont examiné les questions conceptuelles et juridiques. En 2000, le Groupe de travail s est penché sur la nécessité et la portée possible de disciplines sur les subventions susceptibles d avoir des effets de distorsion sur le commerce. Cette même année, le président, à la demande du Groupe de travail, distribuait une liste de question concernant les subventions afin d aider les membres à aborder d une manière plus systématique les questions pertinentes à ce point de l ordre du jour 14. En 2001, les Membres ont poursuivi leurs travaux sur la base de cette liste de questions, en 13 OMC, doc. S/WPGR/10, 30 juin 2003, paragraphe 19. 14 Cinq questions portant sur les sujets suivants étaient identifiées : 1) Définition d'une subvention dans le secteur des services, y compris la pertinence de la définition donnée dans l'accord sur les subventions et les mesures compensatoires, et la nécessité et les façons possibles d'établir une catégorisation des subventions concernant les services ; 2) Examen de tout élément de preuve de l'existence de subventions qui sont susceptibles d'avoir pour effet de fausser le commerce des services (y compris les subventions à la production, à la distribution, à la consommation et à l'exportation) ; 3) Notions pertinentes pour déterminer quelles subventions devraient être considérées comme ayant des effets de distorsion des échanges, y compris la spécificité, les objectifs de politique générale, la nature des subventions, et les subventions autorisées ou ne donnant pas lieu à une action ; 4) Dans quelle mesure les règles de l'omc, en particulier l'agcs et les disciplines qu'il prévoit en ce qui concerne le traitement national et le traitement de la nation la plus favorisée, réglementent-elles déjà les subventions relatives aux services, ou offrent-elles les moyens de le faire? 5) Rôle plus large des subventions, y compris la réalisation d'objectifs de politique générale et rôle des subventions par rapport au développement, et besoin de souplesse pour les pays en développement Membres.

10 abordant un point à chaque réunion. En 2002, les discussions se sont à nouveau centrées sur la nécessité de disposer de renseignements complémentaires concernant les subventions dans le secteur des services en général, seulement quatre Membres ayant répondu alors au questionnaire élaboré en 1997. Le 17 mars 2003, enfin, le président présentait une version révisée de la liste des questions concernant les subventions distribuée en 2000. On ne sera pas surpris d apprendre que durant toutes ces années, il n a à aucun moment été question d un traitement particulier des subventions aux services audiovisuels. Deux explications ont été avancées pour expliquer le peu de progrès réalisés dans les négociations sur les subventions. La première renvoie à la complexité inhérente au traitement des subventions dans le secteur des services. Tout en admettant que l élaboration de disciplines multilatérales pour éviter les effets de distorsion dans le commerce des services n est pas une tâche aisée en soi, comme le montre bien la liste des questions établies par le président du Groupe à ce sujet, il est difficile de voir dans cette explication la cause première des difficultés rencontrées. Ce n est pas non plus celle qui ressort le plus des rapports annuels du président du Groupe de travail. Une seconde explication, plus évidente, concerne le comportement des Membres. Très tôt dans les discussions, ceux-ci ont fait valoir la nécessité d adopter une approche prudente et systématique de la question. L avertissement fut manifestement pris au sérieux car il faudra attendre jusqu à 2002 avant de voir le programme de travail prévu à la note annexée au paragraphe 1 de l article XV finalement adopté. Mais ce qui frappe surtout, comme on l a mentionné précédemment, c est le peu d empressement des Membres à répondre aux questionnaires et à s impliquer activement dans les négociations. Ce qui faisait dire au président du Groupe de travail en 2003 : «Je conseillerais aux membres de s attacher activement à engager des débats pour déterminer les éléments qui pourraient être utilisés pour aller de l avant. Je souhaiterais aussi encourager les membres à soumettre de nouvelles propositions - formelles ou informelles tenant compte des spécificités de l AGCS». Dans ce contexte, la reconnaissance, dans le cadre des négociations de l article XV, d un régime particulier pour les subventions octroyées dans le secteur culturel n apparaît pas

11 une hypothèse très réaliste, du moins pour le moment. Mais il ne faut pas perdre de vue que les négociations sur les subventions découlent du mandat de l article XV du GATS et qu elles pourraient donc se poursuivre après la fin des négociations de Doha si cela devait s avérer nécessaire pour arriver à un résultat. Conclusion Comme on peut le constater, si le droit des Membres de l OMC de subventionner comme ils l entendent leurs services audiovisuels n apparaît pas sérieusement remis en cause pour le moment, c est, dans une large mesure, parce que les négociations en cours ne progressent pas comme prévu. Mais rien ne garantit qu au terme des présentes négociations, ou au terme d autres négociations, un régime juridique mettant en place les disciplines multilatérales nécessaires pour éviter les effets de distorsion des échanges découlant du recours aux subventions ne sera instauré. En attendant, les Membres sont appelés à prendre des engagements spécifiques dans le secteur audiovisuel qui, s ils n y prennent garde, pourraient avoir pour conséquence que toute subvention octroyée par ceux-ci dans le secteur audiovisuel à leurs producteurs et distributeurs nationaux devraient aussi l être aux producteurs et distributeurs étrangers présents sur leur territoire. Tant et aussi longtemps qu un instrument international sur la diversité culturelle, qui aurait entre autres objectifs d offrir un forum de débat sur les politiques culturelles et d établir une surveillance globale de l état de la diversité culturelle dans le monde, n aura pas été mis en place, il apparaît nettement préférable d éviter de prendre de tels engagements.