Compte rendu du Petit Déjeuner débat du Mardi 17 Avril 2012



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Transcription:

Compte rendu du Petit Déjeuner débat du Mardi 17 Avril 2012 Jean-Marie Chevalier Economiste, Professeur des Universités Michel Derdevet Directeur de la communication et des affaires publiques de RTE Maître de Conférences à l Institut Politique de Paris Débat à partir de leur ouvrage commun «L avenir énergétique : cartes sur table» (Ed. Gallimard, Février 2012) 1. Les enjeux de l énergie à l échelle internationale On ne peut pas définir une politique énergétique française sans prendre en compte le contexte international, qui est d ailleurs préoccupant, plein de surprises et d incertitudes. En 2012, l avenir énergétique est plus que jamais incertain. Le gaz de schiste L arrivée du gaz de schiste, que personne n avait anticipée, est en train de bouleverser à la fois la situation économique américaine et le rapport de force énergétique mondial. Aux USA, le gaz de schiste est devenu une composante importante de la reprise économique, en particulier pour l industrie pétrochimique. C est la démonstration du lien direct entre une énergie bon marché et la croissance économique. En France, au printemps 2011, la classe politique dans son ensemble a exclu l opportunité que représente le gaz de schiste avant même de déterminer dans quelles proportions, à quel coût et dans quelles conditions nous pourrions en disposer. Ce consensus, presque péremptoire et adopté très rapidement, semble irrationnel. Il va falloir envisager de relancer la question, en veillant au respect 1

de l environnement, sous peine de rater un tournant pour notre avenir énergétique et notre économie. Il y a plusieurs moyens d envisager ce sujet. L un d entre eux consisterait éventuellement à impliquer les collectivités qui disposent de ressources et de les intéresser au profit de l exploitation du gaz de schiste. Fukushima Il ne s agit pas d une rupture de ce qu on a appelé «la renaissance du nucléaire», mais c est une remise en cause des différentes composantes du nucléaire avec à la fois la sûreté et l économie. Le gouvernement a bien réagi à la suite de la catastrophe en commandant deux rapports importants : l un à l Autorité de Sûreté Nucléaire sur la sécurité des sites français, et l autre à la Cour des Comptes sur les coûts réel du kwh nucléaire. Il y a aujourd hui 450 réacteurs nucléaires à travers le monde qui sont en train de vieillir et qu il va falloir prendre en charge et il s agit là d un marché pour les entreprises françaises. Trois scénarios semblent alors envisageables par rapport au nucléaire. Le choix de l un d entre eux dépendra de l avis de l ASR sur le maintien ou non de la filière : Si l ASR émet un avis négatif, la France doit être capable de stopper sa production nucléaire. Si l ASR émet un avis positif sans conditions, la France n a pas de raison de renoncer à cette filière qui lui offre une électricité compétitive. Si l ASR émet et avis positif à condition d investir massivement pour le renouvellement des infrastructures, c est alors à l opérateur de juger de la rentabilité de tels investissements. C est un problème complexe, car il faut non seulement prendre en compte le coût de l investissement, mais aussi le prix auquel on valorise le kwh supplémentaire. Cela pose la question des tarifs et du prix. Géopolitique du pétrole D une façon générale, la géopolitique du pétrole et du gaz naturel (hors gaz non-conventionnels) est préoccupante pour les années qui viennent. La menace d un conflit avec l Iran existe et aurait évidemment des conséquences importantes sur la géopolitique du Moyen-Orient, et donc sur l approvisionnement et le prix du pétrole. La France a accumulé des stocks importants de pétrole qui, le cas échéant, lui offrirait une marge de manœuvre pour réagir. Ce stock relativement confortable il s élève à 10 millions de barils/jours pendant un an ne garantit néanmoins pas une protection durable. La question du réchauffement climatique La communauté scientifique internationale envoie des signaux de plus en plus alarmants. L objectif longtemps poursuivi de limiter le réchauffement climatique à deux centigrades semble aujourd hui insoutenable. Le réchauffement va donc vraisemblablement se poursuivre à un rythme élevé, avec les conséquences dramatiques pour certains pays car toutes les régions n ont pas la même vulnérabilité au changement climatique. Il y a peu de chance de voir cette tendance s inverser à moyen terme tant les négociations pour parvenir à des accords internationaux contraignants sont dans l impasse. La géopolitique du climat sur une opposition frontale qui laisse peu de place à un compromis. Les pays émergents font porter 2

la responsabilité de la situation sur les pays développés et exigent d eux le règlement de la facture ainsi qu une aide financière et technologique pour leur propre développement. Les pays développées quant à eux n ont ni l envie ni les moyens de donner raison à cette vision. Dans cette situation de blocage, l Europe est pour l instant la seule à donner un signal important, même si elle ne parviendra pas à changer le monde à elle seule. Elle ne dispose pas d une politique énergétique mais a établi une vision responsable, auto-contraignante, du futur énergétique. Ce sont les trois «20» pour 2020 qu elle s est engagée à suivre, c'est-à-dire : - Réduire de 20% les émissions de gaz à effets de serre - Augmenter de 20% l efficacité énergétique - Porter à 20% la part des énergies renouvelables Le réchauffement climatique a des conséquences directes sur les populations, et ces effets vont aller en s aggravant. Seulement, face à ce défi, tous les pays n ont pas les mêmes moyens pour y faire face. Il faut distinguer l adaptation ex-ante et l adaptation ex-post. - L adaptation ex ante. C est notamment l exemple des Pays-Bas qui consacrent chaque année 1 milliard d euros pour surélever des digues et construire des maisons flottantes capables de faire face à la montée des eaux, - L adaptation ex post. C est le cas du Bangladesh, pays parmi les plus pauvres du monde qui est confronté à deux phénomènes climatiques problématiques : les moussons dans le nord du pays et la montée des eaux de l océan au sud. N ayant pas les moyens de s adapter au préalable, elle est contrainte de réagir ex-post sans pouvoir éviter les migrations, les épidémies etc. qui sont par ailleurs autant de facteurs de tensions géopolitiques. L augmentation des prix de l énergie est donc inéluctable et va pénaliser la croissance économique. Cette perspective nous force à être inventif et à faire émerger de nouveaux moyens de croissance. Il faut, entres autres, investir sur les énergies renouvelables même si la rentabilité actuelle n est pas satisfaisante car il faut préparer l avenir énergétique. Ces investissements bénéficieront rapidement d effets d expériences. D autres enjeux sont également à relever. 2. Les enjeux énergétiques à venir pour la France La question des coûts L énergie est un sujet politique incontournable car il renvoie à des interrogations économiques et à l idée de vérité ou de transparence des prix. On reste traditionnellement très attaché à l idée d avoir des prix harmonisés et régulés pour pouvoir encaisser les chocs et faire en sorte que l acceptabilité par l opinion soit au rendez-vous. La question majeure est pourtant de savoir si on peut rester longtemps dans un système économique artificiel et si les prix actuels de l énergie reflètent réellement les coûts? Garantissent-ils pour les entreprises du secteur une viabilité à l horizon de dix ou quinze ans? La réponse est non. Pour autant, peut-on de manière automatique et mécanique aller vers une application stricte des coûts réels sur les prix pratiqués? Il est clair qu il est difficile de l envisager politiquement. 3

Repenser les politiques énergétiques Faire le bilan des politiques nationales depuis 40 ans Actuellement, 3,8 millions de français sont en situation de précarité énergétique, ce qui est un phénomène nouveau. En réalité, c est le modèle actuel, issu des Trente Glorieuses, qui se grippe dans sa dimension de politique nationale. On pointe aujourd hui du doigt l échec d un système qui fait augmenter les prix. Il faut déterminer d où vient ce phénomène : y a-t-il trop de concurrence ou pas assez? Quelle politique de concurrence a été pratiquée et à partir de là, quel bilan peut on faire de l ouverture? Un des éléments de la compétition est aussi l existence ou non de prix administrés (c est le cas de la France, à l instar de 17 autres pays de l UE). Il semble aussi que l on soit dans un pays bloqué, à tel point que s il fallait envisager aujourd hui un plan de l envergure de 1974 nous n y parviendrions sans doute pas. En matière de réseau, enfin, les procédures se sont allongées et il faut en moyenne 7 ans pour construire une usine électrique (il en fallait 3 il y a dix ans). Notre démocratie s est «enkystée». Promouvoir une politique européenne Il faut aller de l avant en la matière, et savoir aborder à plusieurs pays les défis énergétiques de demain. La volonté politique semble exister mais n arrive pourtant pas encore à se concrétiser. Comment y parvenir? La réussite d un tel défi passe nécessairement par un choix politique fort. A l origine de la CECA, les fondateurs ont certes entendu les industriels mais ont surtout porté un projet politique. Idem pour Euratom. Aujourd hui on ne parvient plus à réussir ces défis. Il y a pourtant des coopérations qui sont indispensables. La question de la sécurité de l approvisionnement, par exemple, ne doit plus être envisagée au niveau national. Aujourd hui, dans la mesure où les interlocuteurs sont les mêmes, il faut parler d une seule voix vis-à-vis des fournisseurs externes. En particulier vis-à-vis de la Russie, car le carnet de commande européen dans le budget russe est colossal. La somme des contrats gaziers russes signés avec des pays européens est très importante et devrait encourager l UE à mettre en place une politique convergente. Il faut repenser la relation énergétique entre l UE et la Russie comme une relation d interdépendance, pour rééquilibrer le rapport de force en notre faveur. De la même manière, l interconnexion des réseaux est une problématique qui relève de l échelon européen, et l UE doit être plus efficace sur cet enjeu. Il y a 50 000 km de lignes électriques à construire dans les 10 années à venir (ce qui représente 104 milliards d euros d investissements), cela veut surtout dire une réponse au différents choix nationaux. Mais même si les Etats ont tendance à faire de plus en plus des choix souverains en matière énergétique (Cf. l Allemagne sur le nucléaire, en 2011), il y a un intérêt évident à coopérer. Le pic de consommation atteint en France les 7 et 8 février 2012 a été satisfait grâce, entre autres, à l éolien allemand. Et l Allemagne qui choisit de renoncer au nucléaire, continuera indirectement à consommer de l électricité nucléaire via ses importations (françaises en particulier). C est la réalité de l Europe, faite d interconnexions. Un exemple semblable d interconnexion se retrouve entre la France et l Espagne. Il a fallu une coupure de courant de grande ampleur dans le sud-ouest pour que les opposants français au projet de lignes de raccordement entre les deux pays se rendent à l évidence. De la même manière, aujourd hui l Espagne, qui a suspendu tout ses projets énergétiques, maintient seulement les investissements liés au raccordement avec l Europe (via la France) car l interconnexion est désormais indispensable. En effet, l intensité électrique augmente, ce qui accroit la fragilité de nos systèmes électriques (ex : En 4

France, une baisse de 1 degré en hiver correspond à un besoin de plus de 2 GW, soit l activité de deux centrales nucléaires). Il faut envisager ce problème à l échelle européenne. A défaut de disposer à court terme d un système européen expérimenté, il faut craindre que les pannes soient un phénomène de moins en moins rare dans les années à venir. C est là deux domaines majeurs qui doivent être envisagés désormais au niveau européen : le renforcement des interconnexions et la sécurité de l approvisionnement. On pourrait également envisager d autres sujets, comme la question de la pauvreté énergétique, qui touche de plus en plus de citoyens. L Europe est un marché, mais l autre pied de la construction européenne est aussi la solidarité. Il faut définir un niveau de pauvreté énergétique, fixé à 10% du revenu de ménages, quel que soit le niveau de développement des pays. La dimension locale Un autre phénomène nouveau est de plus en plus perceptible : les citoyens et collectivités aspirent à s intéresser aux questions d énergies. Sur l aspect local, ce qui est étonnant dans notre pays, c est qu on voit un questionnement sur les échecs de la politique nationale. Il y a aussi une multitude d initiatives locales qui sont pertinentes et encourageantes, comme certaines collectivités qui développent des projets énergétiques. Il faut encourager ce tissu de démocratie, de dialogue. Les élus semblent prêts, quelle que soit leur sensibilité, à accompagner ces changements. Dans la foulée des trois «20» pour 2020, consensus européen à 27 trouvé en 2008, 400 villes européennes se sont retrouvées et ont pris l engagement d aller encore plus vite. Ces villes sont aujourd hui 1 200. On sent que les citoyens ont de plus en plus envie de participer à la définition de l univers dans lequel ils vivent au quotidien (qualité de l air et de l eau, transports, déchets, énergies etc.). C est un challenge pour la France. Nous avons de grandes entreprises, qui sont des champions européens, voire mondiaux. Il faut à la fois les projeter sur la dimension pertinente de leur marché et recréer en même temps les conditions d une démocratie. Smart grids Dans le domaine de l énergie les smart grids (réseaux intelligents) évoquent l intelligence de la liaison entre l offre et la demande. Derrière ce terme, il faut aussi envisager des smart cities, des smart buildings et des smart consumers. Cela implique un changement radical des pratiques, de la part de l ensemble des acteurs, qui s effectuera nécessairement dans la mesure où l ère de l électricité abondante et bon marché que nous avons connus jusqu alors va s achever. Il va falloir inventer ces systèmes et s adapter à des modes de consommation beaucoup plus raisonnable. Ce défis mobilisent des acteurs nouveaux (ex : Google, Cisco etc.), en plus des acteurs traditionnels de l énergie, ce qui dynamise véritablement le secteur. Les smart grids sont à la fois porteur d une nouvelle rationalité écologique, mais aussi de croissance car c est un marché extrêmement porteur. Les grands groupes de l énergie restent souvent hostiles à la décentralisation énergétique et à l émergence d initiatives locales car ces pratiques vont à l inverse de leurs habitudes. En revanche, d autres acteurs y voient des opportunités formidables. 5

Il y a des initiatives concrètes qui sont déjà mises en place et qui fonctionnent, à l image du Programme Ecowatt (RTE) en Bretagne et en PACA qui alerte les consommateurs via leurs mobiles le matin des jours de pic de consommation pour les encourager à différer leur demande, à travers une stratégie d évitement. Cet initiative ne fait appel qu au comportement citoyen des consommateurs et connait un réel succès. Les français semblent prêts à entendre et à être sensibilisés par un discours public sur l énergie, une réduction de la consommation ne correspond pas nécessairement à un moindre confort ou à la décroissance. Le discours politique doit jouer son rôle dans cette transition qui s opère. Il ne doit pas être en retard et doit prendre toute la mesure du défi à venir pour l encourager. C est également un enjeu explosif en matière sociale, du moins qui pourrait vite le devenir si la France n est pas capable de s adapter : la précarité énergétique peut se transformer en exclusion sociale si la situation s aggrave. 6