DOCUMENT EXCLUSIF LA TRANSFORMATION DE L AGRICULTURE CONGOLAISE PAR LE DÉVELOPPEMENT DES PARCS AGRO-INDUSTRIELS Par John M. Ulimwengu 13 EME EDITION 25
John M. Ulimwengu, PhD Conseiller Principal du Premier Ministre en charge de l Agriculture et Développement Rural Chercheur à l Institut International de Recherche en Matière de Politiques Alimentaires (IFPRI, Washington DC) e secteur agricole congolais est confronté à de nombreuses contraintes d ordre technique, économique et institutionnel, à savoir : une faible productivité des filières végétales, animales et halieutiques (voir Graphique 1), une allocation budgétaire encore insuffisante, un cadre institutionnel insuffisamment organisé avec un déficit en ressources humaines, techniques et matérielles, tant au niveau central qu au niveau des provinces, un régime foncier dualiste tiraillé entre le légal formel et le traditionnel informel. L on pourrait ajouter aussi la faible capacité de financement des opérateurs agricoles ainsi que les difficultés d accès au crédit agricole, la dégradation et le faible niveau d accès aux infrastructures de base, le manque d organisation des producteurs et autres acteurs des filières agricoles, l inadéquation de l offre de services de recherche et de vulgarisation agricole au regard de la demande d appui-conseil des organisations paysannes et autres opérateurs, le faible niveau d accès aux informations sur les marchés, la faiblesse de la demande interne du fait du faible pouvoir d achat des consommateurs, enfin le faible niveau de valorisation des productions. GRAPHIQUE 1 : INDICE DE PRODUCTIVITÉ NETTE PER CAPITA (EN %) 3 3 2 2 1 o 1961 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 211 Cereals Total Elevage Source : FAO (212) Exploité à un niveau technologique même moyen, le potentiel agricole congolais pourrait nourrir le tiers de la population mondiale. En effet, la compte environ 8 millions d ha de terres arables dont moins de 1% est exploité. Le pays dispose de 125 millions d ha de forêt tropicale, d une diversité climatique et des sources d eau abondantes et propices à une production intensive, d une capacité d élevage d environ 4 millions de têtes de bétails, et d un potentiel de production annuelle de poissons de près de 7. tonnes, sans compter d immenses potentialités de développement de plusieurs cultures d exportation (palmier à huile, café, cacao, thé, hévéa et quinquina) hautement compétitives sur le marché international et capables de générer de revenus importants. Le secteur agricole peut également s appuyer sur un marché potentiel avec les centres urbains du pays et les pays voisins qui représentent plus de 2 millions d habitants. En dépit de cet immense potentiel, avec un taux de 71,3% pour l ensemble du pays, l incidence de la pauvreté en reste très élevée en comparaison de celle des autres pays d Afrique centrale. De même, la déficience nutritionnelle est très prononcée. Le retard de croissance ou malnutrition chronique touche 43% d enfants de moins de cinq ans. L insuffisance pondérale quant à elle, touche un enfant sur quatre, soit 24%. Ces prévalences se traduisent par plus d un million d enfants affectés par la malnutrition aiguë qu il faut prendre en charge, et par plus de six millions d enfants congolais souffrant d un retard de croissance. À l échelle nationale, au moins % de la population souffre de la déficience en vitamine B12, calories, riboflavine, fer, vitamine E, acide folique et zinc. Les carences en vitamines A, C, B6, dont l huile de palme et le manioc constituent les principales sources, sont moins fréquentes. Comme l ont établi plusieurs études, les carences nutritionnelles ont des impacts négatifs sur la santé ; par exemple, les carences en fer, zinc et vitamine B12 altèrent le développement cognitif et physique chez les enfants et affaiblit la capacité physique chez les adultes. 26 13 EME EDITION
Les grands défis à relever par la à l horizon 22 sont de trois ordres. Il est important de sécuriser et moderniser les systèmes de production agricole pour améliorer durablement la productivité des filières, par un meilleur accès aux facteurs de production, aux marchés et par l amélioration de l environnement juridique et de la gouvernance. Ensuite, il faut arriver à vaincre la malnutrition et l insécurité alimentaire, et réduire significativement le niveau de pauvreté de la population rurale. Enfin, il devient impérieux de mobiliser des investissements conséquents pour permettre à tous les acteurs du secteur agricole de jouer pleinement leur rôle dans la modernisation du pays. PLAIDOYER Il y a plusieurs raisons pour justifier le choix du secteur agricole comme pilier de l éveil économique de la. Premièrement, en dépit de la croissance soutenue (voir Graphique 2) que réalise l économie congolaise depuis quelques années, l incidence sur la majorité de congolais, en termes de réduction de la pauvreté et de l insécurité alimentaire, est à peine perceptible. GRAPHIQUE 2 : CROISSANCE ÉCONOMIQUE SOUTENUE,5,7-1,1-1,3-1,7 -,6-8,4-1,5-13,5-3,9 Source : A partir des données de la Banque Centrale -5,4-4,3-6,9-2,1-6,6-5,8-3,5 En majeure partie, ceci s explique par le fait que la croissance actuelle provient essentiellement du secteur minier et des services (Banques, Télécommunications, etc.) qui emploient une proportion faible de la population congolaise limitant ainsi des éventuels effets d entrainement en termes de revenu. Le Gouvernement ne peut donc compter que sur des mécanismes de transfert pour arriver à redistribuer les effets d une croissance provenant des secteurs utilisant une faible proportion de la population. Il est évident que le gouvernement congolais ne dispose pas encore de capacités pour mettre en place de tels mécanismes. D où la nécessité d ancrer l ensemble de l économie à un secteur ayant un potentiel élevé en termes d effets d entrainement non seulement sur les ménages, mais aussi sur les autres secteurs de l économie nationale. La deuxième raison tient à l impératif de transformation de l économie congolaise à l instar des pays émergents. En effet, dans la plupart des économies sous-développées, l agriculture est pratiquement le secteur le plus important, car elle contribue à entre 4 et 6% au revenu national, et emploie entre 4 et 8% de la population active. La transformation structurelle dans ce cas doit être axée sur l agriculture, à condition bien entendu que la principale contrainte à son développement, à savoir -7,8-5,6-6,3-6,2 1988 199 1992 1994 1996 1998 2 22 24 26 28 21 211 212 213-2,8 7,1 6,9 7,2 8,5 l utilisation des ressources à des niveaux de productivité très faibles, soit éliminée. Une croissance accélérée de la productivité agricole est capable de booster l industrialisation de l ensemble de l économie, car non seulement elle facilite le transfert de ressources vers d autres secteurs, mais elle favorise également les taux relatifs de la formation de capital et la croissance des revenus des différents secteurs, ainsi que la structure et les taux globaux de croissance. En, le choix du secteur agricole comme le porte-étendard de l éveil économique relève aussi de la nécessité de répondre à l insécurité alimentaire devenue chronique (voir Graphiques 3 et 4). Selon les résultats de l analyse IPC (Integrated Phase Classification) conduite en octobre 212, la situation alimentaire et nutritionnelle s est considérablement dégradée sur l ensemble du pays. Le nombre de personnes en crise alimentaire avec un besoin urgent d assistance humanitaire est passé de 5,4 millions en juin 212 à 6,3 millions en octobre 212, soit une augmentation de 17%. La recrudescence des conflits armés exacerbe une situation de sécurité alimentaire déjà précaire. GRAPHIQUE 3 : DÉFICIENCE NUTRITIONNELLE EN (CALORIES) Kasaï - Oriental Maniema Katanga Province Orientale Bas-Congo Kinshasa Equateur Kasaï - Occidental Nord - Kivu Bandundu Sud - Kivu 1 Source: Ulimwengu et al. 211 GRAPHIQUE 4 : DÉFICIENCE NUTRITIONNELLE EN (PROTÉINE) Kasaï - Oriental Maniema Katanga Province Orientale Bas-Congo Kinshasa Equateur Kasaï - Occidental Nord - Kivu Bandundu Sud - Kivu 1 Source: Ulimwengu et al. 211 2 2 3 3 4 4 6 6 7 7 8 8 9 9 13 EME EDITION 27
Structurellement, l insécurité alimentaire en est le résultat de la faible productivité du secteur agricole. L agriculture emploie plus du tiers de la population. Malheureusement, sa productivité est tellement faible qu elle ne permet pas à ceux qui y travaillent de générer suffisamment de revenus pour couvrir leurs dépenses alimentaires. La faiblesse de la productivité entraîne une faible production qui maintient le pays dans une dépendance chronique vis-à-vis de l extérieur pour l approvisionnement en produits vivriers (voir Graphique 5). LES PARCS AGRO-INDUSTRIELS (PAIs) Comme il faut s y attendre, cette situation entraîne la hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité (voir Graphique 6). Les différentes études portant sur les principales spéculations ont démontré que les augmentations de rendement étaient techniquement réalisables lorsque les investissements correspondants étaient réalisés ; notamment sur les filières prioritaires (2,7% pour le maïs ; 2,5% pour le riz ; 3,2% pour le manioc, 3% pour le plantain et 6,5% pour les cultures industrielles). GRAPHIQUE 5 : ÉVOLUTION DES IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS DES PRODUITS AGRICOLES (EN $) 12 Fondamentalement, il est question de satisfaire la double exigence de la lutte contre la malnutrition et l insécurité alimentaire ainsi que la promotion d une croissance économique durable. Pour ce faire, il faut cibler prioritairement les productions vivrières par la mise en place de Pôles d entreprises agricoles sous forme de parcs agro-industriels, tout en assurant la promotion des cultures industrielles. Soutenu par une agriculture irriguée, un parc agro-industriel (voir Diagramme ci-dessous) est un carrefour, un paquet minimum de services aux entreprises, une concentration d infrastructures de production intégrant les équipements et technologies appropriés pour soutenir l ensemble de la chaine de valeurs de l activité agricole en respectant les standards internationaux. Le parc intègre toutes les infrastructures de base, y compris une alimentation adéquate en eau, en électricité ainsi que des services de télécommunication. 8 6 4 2 FIG. 1: STRUCTURE TYPE D UN PARC AGRO-INDUSTRIEL 1961 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 Importations ($) petits fermiers Exportations ($) Source : FAO (212) GRAPHIQUE 6 : LE COÛT DU PANIER DE LA MÉNAGÈRE COMPARÉ À D AUTRES PAYS CARREFOUR INFRASTRUCTURE Electricité, Eau, Routes, Logement, Bureaux, Ateliers, etc. Fournisseurs d infrastructures et services ( pour production végétale. aniamale et halieutique) SERVICES Agronomie, Stockage, Crédit, Marketing,, Réparation, Maintenance, Ateliers, etc. Ghana 15,3$ 29,7$ Cote d ivoire 15,8$ 28 13EME EDITION (Centres de formations, médicaux, etc) Source : Auteur Congo 17,6$ Source : MEENA Finance 213 Ferme modèle Infrastrutures communautaires Chaque parc offrira un environnement propice aux affaires comprenant des services conseils spécialisés, un service de mentorat pour les entrepreneurs, des services de soutien pour consolider et développer les marchés, un accès à des technologies appropriées et répondant aux normes internationales pour le développement des activités agroindustrielles, un accès à des financements sécurisés, et des partenariats intelligents qui favorisent le développement économique des régions en fonction de leurs potentialités.
Le concept de parcs agro-industriels est la réponse idéale à la volonté du Gouvernement de transformer l agriculture congolaise d un secteur de subsistance en un véritable moteur de développement de l ensemble de l économie congolaise. En effet, tels que conçus, les parcs agro-industriels vont générer des effets en amont et en aval pour les autres secteurs de l économie nationale. L initiative dans son ensemble repose autour de trois composantes : le développement des fermes commerciales, l appui aux petits fermiers vivant dans la périphérie des sites sélectionnés, et le développement des coopératives agricoles à haute intensité de capital, technologie et main d œuvre. Ces trois composantes permettent de répondre de manière efficiente et professionnelle aux problèmes auxquels le pays fait face, à savoir l offre d une gamme variée de produits alimentaires sur le marché pour assurer à la majorité des congolais une alimentation équilibrée, la production de manière efficiente et au moindre coût pour augmenter l accès du plus grand nombre à une alimentation décente, la création des emplois stables et rémunérateurs pour réduire le niveau de pauvreté à travers le pays, la réduction significative de la dépendance du pays aux importations des biens alimentaires, et la création d un système efficient de production alimentaire pour permettre à la de devenir un exportateur net des produits alimentaires. Dans un environnement international caractérisé par un ralentissement généralisé de la croissance dans les principales économies vers lesquelles la fournit ses matières premières, il apparaît impérieux de développer des mécanismes endogènes pour soutenir durablement l élan de croissance de l économie congolaise. L implantation des parcs agroindustriels à travers le pays offre précisément le potentiel de créer une base solide capable de protéger les objectifs de croissance contre les soubresauts de l économie mondiale. Compte tenu des investissements connexes en termes d infrastructures, énergie, écoles, centres de santé et autres, une mise en œuvre réussie des parcs agro-industriels conduira ipso-facto au développement du milieu rural congolais. En tant que tel, le développement des parcs agroindustriels est aussi une stratégie intégrée de développement rural. En outre, chaque PAI est conçu comme une entreprise commerciale avec une personnalité juridique propre. ENGAGEMENT DU GOUVERNEMENT ET PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ À travers le pays, le Gouvernement Congolais a identifié plus d une vingtaine de sites disposant d un potentiel avéré en matière de production végétale, animale et halieutique. Les études d analyse de sol, de faisabilité et les plans opérationnels sont financés sur fonds propres du Gouvernement. Bien plus, il y a un engagement ferme de ce dernier de mobiliser les ressources nécessaires pour le financement des infrastructures de base telles que les voies de communication (routes, voie ferrée et voie fluviale), l énergie et l aménagement d eau. Quant à la participation du secteur privé, elle est souvent conditionnée par l aménagement du parc. En effet, c est la provision d infrastructures et services de base (l énergie, l eau et les voies d accès) qui servira de signal au secteur privé par rapport à la rentabilité de leurs investissements sur le site. Les efforts sont fournis pour attirer les investisseurs privés y compris dans la fourniture des services de base, mais le Gouvernement est appelé à fournir les premiers services dans le but de crédibiliser l initiative visà-vis des opérateurs privés. La participation du secteur privé sera séquentielle et graduelle. Les investissements privés seront séquentiels parce que dépendant de la dynamique de la chaine de valeur. Par exemple, les opérateurs intéressés à l élevage et à la pisciculture ne sauront commencer avant ceux devant s occuper de la production d aliments qui eux-mêmes dépendent de la production des céréales telles que le maïs et le soya. Cette participation sera graduelle parce qu elle dépendra du volume de production à chaque étape de la chaine de valeur. Les investissements du secteur privé seront visibles dans la production, la transformation, le stockage et la distribution des produits alimentaires y compris les services connexes, à condition que le site soit aménagé par le Gouvernement qui en est le propriétaire. Cette structure permet à la fois de respecter les prescriptions de l article 16 de la loi agricole et de favoriser les investissements privés sans les contraindre dans une participation minoritaire à côté du Gouvernement. John M. Ulimwengu, PhD Le principe majeur est celui des partenariats autour des chaines de valeur. En règle générale, le rôle du Gouvernement consiste à aménager les PAIs en laissant au secteur privé les activités de production, transformation et commercialisation. Toutefois, même dans la fourniture des services publics tels que l énergie, les voies de communication et l aménagement en eau, il est prévu d explorer également des partenariats publics-privés. 13 EME EDITION 29