NOTES D ALLOCUTION «PRATIQUES EXEMPLAIRES» À L INTENTION DES AVOCATS DU TRIBUNAL



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Transcription:

THE CANADIAN INSTITUTE ADVANCED ADMINISTRATIVE LAW & PRACTICE Gatineau (Québec), les 28 et 29 octobre 2008 NOTES D ALLOCUTION «PRATIQUES EXEMPLAIRES» À L INTENTION DES AVOCATS DU TRIBUNAL Madame la juge Sandra Simpson Présidente du Tribunal de la concurrence Juge de la Cour fédérale du Canada Préparé en collaboration avec Angèle Roy, avocate au Tribunal de la concurrence

1. INTRODUCTION Les activités de l avocat varieront en fonction de la loi habilitante du tribunal administratif, de la taille de ce dernier, de l expertise des décideurs et de la nature des procédures. Cela étant dit, l avocat accomplira généralement deux types de tâches, soit des tâches administratives et des tâches relatives aux procédures contentieuses quasi judiciaires. Ces dernières ont fait l objet d un examen judiciaire dans les instances où des allégations de violation des principes de justice naturelle ont été formulées. L avocat du tribunal administratif est l avocat du décideur. Son rôle principal consiste à mettre le tribunal en garde contre les interventions susceptibles de violer les principes de justice naturelle. Constituent des violations les interventions qui : démontrent de la partialité ou donnent lieu à une apparence de partialité de la part du décideur, des avocats de la Commission, tant ceux qui sont consultés que ceux qui rédigent; entravent ou semblent entraver l indépendance du décideur; indiquent qu une décision et/ou les motifs ne sont pas ceux du décideur; portent atteinte à la capacité d une partie de connaître la charge de la preuve qui lui incombe; portent atteinte au droit d une partie à une audience équitable. Cette présentation mettra l accent sur les procédures contentieuses quasi judiciaires et examinera le rôle de l avocat à toutes les étapes (c.-à-d. avant l audience, pendant l audience et après l audience). Je parlerai également du rôle de l avocat dans la procédure de contrôle judiciaire. 2. AVANT L AUDIENCE L avocat donnera des conseils relativement aux questions procédurales et s assurera que tous les documents nécessaires auront été déposés. L avocat rédigera également les ordonnances rendues durant la gestion de l instance et les procédures interlocutoires. De plus, lorsqu il se prépare à l audience, l avocat devrait, à mon avis, renseigner les membres du banc sur le droit et les faits pertinents. Toutefois, à titre de pratique exemplaire, l avocat ne devrait pas donner son opinion sur le bien-fondé de l affaire aux décideurs. En outre, les décideurs devraient être tenus à l écart des avis préliminaires 1

concernant la force des thèses des parties vu que le personnel du tribunal et les experts qui se préparent à l audience tireront inévitablement leur propre conclusion à cet égard. Cette pratique exemplaire peut être assouplie si les décideurs sont des experts en la matière et qu ils possèdent une formation juridique et que la totalité de la preuve est déposée au préalable. Autrement, la prudence est de rigueur, puisque l avocat a comme obligation première de protéger les décideurs du tribunal administratif contre des allégations voulant qu ils aient manqué d indépendance. L avocat doit également s assurer que les décideurs ne sont pas en conflit d intérêts, c est-à-dire : qu ils ne détiennent pas d actions dans l une ou l autre des parties; qu ils n ont pas d intérêts dans une entité touchée par l issue de l audience; qu ils ne sont associés de près avec l avocat de l une des parties. L avocat aurait intérêt à élaborer une politique en matière de conflits, envisager de faire signer par les décideurs éventuels des formulaires attestant qu ils ne sont pas en conflit d intérêts et de publier les noms des membres du banc avant la tenue de l audience afin que les parties et les avocats puissent vérifier s il existe des conflits. Il est important de rappeler que le privilège avocat-client ne sera applicable que lorsque l avocat du tribunal administratif donnera un «avis juridique». La Cour suprême a affirmé ce qui suit : Vu la nature du travail d un avocat interne, dont les fonctions sont souvent à la fois juridiques et non juridiques, chaque situation doit être évaluée individuellement pour déterminer si les circonstances justifient l application du privilège. Ce dernier s appliquera ou non selon la nature de la relation, l objet de l avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni : Campbell, précité, par. 50. Comme je l indique précédemment, lorsqu il s applique, le privilège avocat-client protège une vaste gamme de communications entre avocat et client. Il vise tant l avis donné à un organisme administratif par un avocat salarié que l avis donné dans le contexte de l exercice privé du droit. Lorsqu un avocat salarié donne des conseils que l on qualifierait de privilégiés, le fait qu il est un avocat «interne» n écarte pas l application du privilège ni n en modifie la nature 1. 1 Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, aux par. 20-21. 2

3. PENDANT L AUDIENCE Pendant l audience, l avocat du tribunal administratif peut donner des conseils relativement aux problèmes de procédure et aux questions de droit. Ce faisant, il doit demeurer détaché et neutre et donner également l impression de l être. On trouve un exemple de bonne conduite dans l affaire Ahluwalia c. College of Physicians and Surgeons 2. Les membres du comité de discipline du Collège qui ont entendu l affaire n avaient pas de formation juridique et ils ont demandé à leur avocat de présenter ses observations lorsque les parties ont débattu les questions d admissibilité. La Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que l avocat du tribunal administratif avait participé à l audience de façon appropriée, puisqu il avait présenté ses observations de façon indépendante et neutre. Dans certaines affaires, il conviendra que l avocat du tribunal administratif produise la preuve, contre-interroge les témoins et présente des observations. Toutefois, l avocat ne doit jamais prendre le contrôle de l audience. Dans l affaire Brett c. Board of Directors of Physiotherapy 3, l avocat de l Ordre a siégé avec le banc aux côtés du président, a participer à l audience sans avoir été invité à le faire, est intervenu lors des contre-interrogatoires, a soulevé des objections et s est ensuite prononcé sur ses propres arguments, a facilité l engagement des poursuites en proposant des réponses à ses témoins et a, de façon générale, dirigé l audience. La Cour d appel de l Ontario a confirmé la décision de la Cour divisionnaire qui a conclu que sa conduite biaisée avait empêché le demandeur d obtenir une audience équitable. Dans l affaire Adair c. Ontario (Health Disciplines Board) 4, le Conseil des sciences de la santé a retenu les services d un avocat pour jouer le rôle de conseiller lors de l examen d une plainte formulée contre cinq infirmières qui auraient, entre autres choses, participé à une grève illégale. Le Conseil devait se prononcer sur la question de savoir si la plainte devait être renvoyée au comité de discipline. Durant l examen (qui ne constituait pas une audience), l avocat du Conseil «est descendu dans l arène». Il a interrogé l avocate des infirmières alors qu elle présentait ses observations devant le Conseil et a créé, par ses observations abruptes, une apparence d iniquité. L avocat aurait intérêt à élaborer des politiques pour traiter avec les parties qui agissent pour leur propre compte et déterminer s il convient de retenir les services d un avocat externe pour aider ces parties. 4. APRÈS L AUDIENCE 2 Ahluwalia c. College of Physicians & Surgeons (Man.) (1998), 128 Man. R. (2d) 161 (Q.B.), conf. par. (1999), 134 Man. R. (2d) 152 (MBCA), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1999] S.C.C.A. No. 328 3 Brett c. Board of Director of Physiotherapy (1991), 77 D.L.R. (4 th ) 144, conf. par (1993), 104 D.L.R. (4 th ) 421 (C.A. de l Ont.) 4 Adair c. Ontario (Health Disciplines Board), (1993), 15 O.R. (3d) 705 (C. div. de l Ont.) 3

a. Délibérations et consultations Après l audience, les décideurs peuvent solliciter l avis juridique de l avocat du tribunal administratif sur des questions de droit. La Cour d appel de la Saskatchewan a affirmé ce qui suit 5 : [TRADUCTION] L appelant fait valoir que la Commission a effectivement délégué son pouvoir décisionnel en consultant l avocat qu elle avait embauché. Je ne suis pas de cet avis. Un tribunal administratif ou quasi judiciaire tel que la Commission peut obtenir l avis juridique de ses avocats. L obtention d un avis et d une recommandation ne constitue pas une délégation de pouvoir décisionnel. Si la Commission conserve le pouvoir décisionnel entre ses mains, la décision qu elle rend est appropriée. (voir Wade, Administrative Law (5 th ed.), aux pages 321-22). En l espèce, la Commission a consulté ses avocats, conseillé les parties sur certaines questions soulevées et rendu finalement la décision. Il est vrai que la Commission a fait référence à l avis et à l opinion de son conseiller juridique en rendant sa décision, mais il clair également que la Commission a rendu ellemême la décision et qu elle n a pas délégué le pouvoir décisionnel à son avocat 6. En outre, la simple présence de l avocat du tribunal administratif durant les délibérations n entraîne pas l invalidation de l instance 7. Dans Consolidated Bathurst 8, la Cour suprême du Canada a approuvé des consultations institutionnelles se limitant aux questions de principe et de droit. L arrêt Consolidated Bathurst concernait la pratique de la Commission des relations de travail de l'ontario qui consiste à tenir des réunions plénières pour examiner les conséquences importantes en matière de politique d une décision sur le point d être rendue par un banc de la Commission. Le président, les vice-présidents, les membres et certains cadres supérieurs étaient présents à la réunion. Après la réunion plénière, le banc s est réuni pour rendre sa propre décision et n était pas lié par l avis de collègues exprimé lors de la réunion précédente. La Cour suprême du Canada a soutenu que les décideurs pouvaient consulter d autres membres de l organisme lors des réunions plénières afin d accroître la cohérence et la qualité dans la prise de décision. Les principes énoncés dans l arrêt Consolidated Bathurst ont été ultérieurement résumés par la Cour suprême du Canada dans l arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commissions des relations de travail) 9 comme suit : [Le juge Gonthier] a formulé un ensemble de principes essentiels visant à assurer le respect des règles de justice naturelle. Premièrement, la procédure de consultation ne pouvait pas être imposée par un niveau d autorité supérieur dans la hiérarchie administrative, mais ne pouvait être demandée que par les arbitres 5 Canadian Pacific Ltd. c. Carlyle (Town), [1987] 4 W.W.R. 232 (C.A. de la Sask.) 6 Ibid., p. 251-252. 7 Omineca Enterprises Ltd. c. British Columbia (Minister of Forests) [1993] B.C.J. No. 2337 (C.A de la C.-B.) 8 Syndicat international des travailleurs du bois d Amérique, section locale 2-69 c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282. 9 Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au par. 29. 4

eux-mêmes. Deuxièmement, la consultation devait se limiter aux questions de principe et de droit. On ne pouvait pas permettre aux membres de l organisation qui n avaient pas entendu les témoignages de les réévaluer. La consultation devait reposer sur les faits énoncés par les membres qui avaient entendu les témoignages. Enfin, même relativement aux questions de droit et de principe, les arbitres devaient demeurer libres de prendre la décision qu ils jugeaient juste selon leur conscience et selon leur compréhension des faits et du droit, et ne pas être forcés d adopter les opinions exprimées par d autres membres du tribunal administratif. Dans la mesure où ces règles étaient respectées, la consultation institutionnelle ne créait pas de crainte raisonnable de partialité ou de manque d indépendance. En plus d autoriser les processus de consultation institutionnelle dans les circonstances précédemment décrites, l arrêt Consolidated Bathurst s est avéré important en raison de l exposé général du juge Gonthier sur les règles de justice naturelle. Le juge a déclaré, au paragraphe 96, que les règles n étaient pas absolues et qu il fallait pondérer les besoins de l organisme décisionnel et ceux des parties comparaissant devant lui avant d évaluer si le processus était équitable : 96. Les règles de justice naturelle doivent avoir la souplesse nécessaire pour tenir compte à la fois des pressions institutionnelles qui s'exercent sur les tribunaux administratifs modernes et des risques inhérents à cette pratique. À cet égard, je fais miens les propos tenus par les professeurs Blache et Comtois dans La décision institutionnelle, précité, à la p. 708 : Le phénomène d'institutionnalisation de la décision existe dans notre droit et il semble qu'il y soit pour rester. Le problème qui se pose n'est donc pas de savoir si la décision institutionnelle devrait ou non être autorisée, mais d'articuler des modalités de mise en œuvre qui permettent d'en limiter les risques. Il s'agit là d'une approche qui n'a rien de révolutionnaire et s'inscrit dans la tradition jurisprudentielle anglaise et canadienne selon laquelle il faut interpréter avec flexibilité les règles de justice naturelle. Le processus de consultation adopté par la Commission reconnaît formellement les inconvénients inhérents aux réunions plénières de la Commission, savoir que l'indépendance judiciaire des membres d'un banc peut être diminuée par une telle pratique et que les parties n'ont pas 5

la possibilité de répliquer à tous les arguments soulevés au cours de ces réunions. Les garanties dont est assorti ce processus de consultation sont, à mon avis, suffisantes pour dissiper toute crainte de violation des règles de justice naturelle pourvu également que les parties soient informées de tout nouvel élément de preuve ou de tout nouveau moyen et qu'elles aient la possibilité d'y répondre. L'équilibre ainsi réalisé entre les droits des parties et les pressions institutionnelles qui s'exercent sur la Commission sont compatibles avec la nature et l'objet des règles de justice naturelle. Deux ans plus tard, la Cour suprême a réexaminé le processus de consultation institutionnelle. Dans l arrêt Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales) 10, la Commission des affaires sociales avait adopté une pratique standard exigeant que toutes les décisions soient envoyées au conseiller juridique de la Commission aux fins de contrôle. Lorsqu une décision excédait les normes généralement acceptées par l organisme, on consultait l ensemble de la Commission. Durant la consultation, un procès-verbal était rédigé et un vote formel était pris sur les questions ayant fait l objet de la consultation. La Cour a statué que la nature obligatoire et formelle de la procédure employée par la Commission portait atteinte à l indépendance du décideur et donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Dans l affaire Bovbel c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) 11, la Cour d appel fédérale a affirmé qu il était approprié d encourager un commissaire à accéder volontairement à un mécanisme de révision mis à sa disposition par le tribunal administratif. Cette affaire concernait une politique du Guide à l'intention des commissaires de la Section du statut de réfugié qui prévoyait que les motifs pouvaient être volontairement présentés sous forme d ébauche au conseiller juridique de la Commission qui était chargé de les réviser. Cette décision suivait un jugement antérieur de la Cour dans l affaire Weerasinge c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1994] 1 C.F. 330 (C.A.). b. Rédaction et révision de décision À mon avis, la pratique exemplaire pour les décideurs consiste à rédiger leurs propres décisions et à se charger de la supervision et de l approbation de toute révision. C est seulement lorsqu elle prend la plume pour décrire les faits importants, définir les problèmes et les questions auxquelles il faut répondre et qu elle rédige ensuite les réponses qu une personne peut affirmer avec certitude qu elle a rendu la décision en ce sens que tant le résultat de la décision que le raisonnement qui y a conduit sont les fruits du travail du décideur. 10 Tremblay c. Quebec (Commission des affaires sociales), 1 R.C.S. 952. 11 Bovbel c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) et al. (1994), 18 Admin. L.R. (2d) 169 (C.A.F.), l autorisation d interjeter appel auprès de la CSC a été refusée 6

Si les décideurs ne peuvent pas rédiger la décision et les motifs en raison de leur charge de travail ou d autres circonstances, je propose qu ils préparent un mémoire à l intention du rédacteur en exposant les questions de fait, de crédibilité et de droit, les décisions auxquelles ils sont parvenus et les motifs qui les sous-tendent. En tant qu avocat, vous devriez insister pour obtenir un tel document qui expliquerait votre thèse et celle de vos décideurs si une allégation de délégation inappropriée était soulevée. Il n y a pas lieu de considérer le libellé des observations de l avocat comme étant des motifs. Dans Adair, précité, l avocat, qui était trop agressif, a donné un avis écrit en employant le style qui peut être utilisé pour exposer les motifs, et ses mots exacts figurent dans les motifs. Cela a donné l impression que le Conseil avait délégué ou abandonné la responsabilité qui consiste à trancher la question et que les infirmières n avait pas été traitées équitablement. C est pour ces raisons notamment que la décision rendue par le Conseil a été annulée. Dans l affaire Spring c. Law Society of Upper Canada 12, le Barreau a tenu une audience de cinq jours pendant lesquels il devait examiner douze allégations d inconduite et entendre plusieurs témoins. Un exposé conjoint des faits et des observations écrites ont été présentés. Après l audience, le comité de discipline s est réuni à plusieurs reprises, a tiré des conclusions relativement aux faits et à la crédibilité et a rendu une décision sur le fond et au sujet de la pénalité. Le demandeur a été radié. Le secrétaire du comité a agi comme greffier durant l audience, mais il n a pas participé à l enquête, ni à la poursuite ou aux délibérations. Au cours d un entretien téléphonique qui a duré cinq minutes, le président du comité a informé le secrétaire des conclusions du comité et lui a demandé de préparer un projet de motifs. L ébauche a été revue par le président, a fait l objet de modifications mineures et a été publiée comme décision du comité après avoir été examinée et adoptée par ce dernier. La question était de savoir s il était équitable, dans les circonstances, que le comité interprète et adopte comme siens les motifs préparés par une tierce partie impartiale. Il n y avait aucun doute que le comité avait rendu la décision et tiré les conclusions relatives au contexte factuel, mais il était également clair que le secrétaire avait administré la preuve et proposé le raisonnement à l appui des motifs. La Cour divisionnaire de l Ontario a affirmé que les motifs étaient suffisants, mais elle l a fait en exposant un solide énoncé de principe du juge Labrosse, selon lequel le comité aurait dû rédiger l ébauche et une forte dissidence exprimée par le juge Trainor, lequel disait essentiellement qu il était absurde que l on puisse, après cinq minutes de discussion, considérer les motifs rédigés par le secrétaire comme étant ceux du comité même s ils ont été subséquemment adoptés en tant que tels. Il a ajouté : 12 Spring c. Law Society of Upper Canada (1988), 64 O.R. (2d) 719 (Ont. Div. Ct.) 7

[TRADUCTION] Je sais que les avocats allouent une bonne partie de leur temps aux travaux demandés par le Barreau et que l accomplissement desdits travaux entraînent pour eux des pertes financières. Toutefois, la tâche qui consiste à administrer la preuve, à trancher les faits, à se prononcer sur la crédibilité et sur d autres questions nécessaires à la prise de décision peut difficilement être décrite comme étant étrangère à la profession d avocat. À mon sens, on ne saurait dire que ceux qui acceptent la charge de membre du comité dépassent les limites de leur devoir, surtout lorsqu il s agit d une affaire aussi grave, en rédigeant leurs propres motifs, notamment toutes les ébauches ou, du moins, en rédigeant l ébauche ou en dictant et en faisant transcrire l exposé des motifs du comité ayant trait aux constatations essentielles de l affaire au soutien des conclusions tirées et en soumettant ensuite la version préliminaire à la critique, et que la justice ne semble pas avoir été rendue ou qu il existe une crainte raisonnable de partialité. Le comité de discipline du Barreau devrait être le phare des tribunaux administratifs. L arrêt de principe qui traite de la question de la participation de l avocat à la rédaction des motifs est actuellement l arrêt de la Cour d appel de l Ontario rendu dans Khan c. College of Physicians and Surgeons 13. Il s agissait d une affaire d inconduite professionnelle comprenant des allégations voulant qu un médecin ait agressé sexuellement un enfant. À la suite d une longue audience devant le comité de discipline du Collège, le D r Khan s est vu retirer son permis d exercer la médecine. La première ébauche des motifs a été écrite par le président du comité. La révision de cette ébauche par l avocat et le président du comité a donné lieu à une deuxième ébauche qui a été révisée et approuvée par le comité sans la participation de l avocat. Cette procédure a été confirmée. Toutefois, la Cour d appel de l Ontario a affirmé qu il n existait pas de formule pouvant être appliquée uniformément pour déterminer à quel moment la participation de l avocat du tribunal administratif à la rédaction des motifs a porté atteinte au caractère équitable du processus. Le but ultime du processus de rédaction consiste à regrouper l ensemble des motifs reflétant adéquatement le processus de réflexion des décideurs. Le principe le plus important qui se dégage de cette affaire est que le décideur ou le banc doit rendre la décision et fournir les motifs à l appui de sa décision. Ces tâches ne peuvent pas être déléguées. Selon moi, la participation de l avocat ou du personnel à la révision des motifs devrait inclure les tâches suivantes: 13 Khan c. College of Physicians and Surgeons of Ontario, [1992] O.J. n o 1725 (C.A.), au par. 129. 8

organiser, repérer et résumer les éléments de preuve; corriger les références erronées à la preuve et en proposer d autres; revoir la décision pour identifier les erreurs de transcription, les fautes d orthographe et de grammaire; revoir les renvois aux sources juridiques et aux pièces; informer les décideurs des décisions judiciaires et d instances administratives qui s appliquent à la question; informer les décideurs des incohérences qui se trouvent dans la décision et de tout aspect qui a été négligé 14. Toutes les ébauches qui ont été revues par l avocat doivent être soigneusement prises en compte par le décideur. Le décideur ne doit pas accepter aveuglément les suggestions ou les commentaires de l avocat du tribunal administratif 15. Les motifs de la décision doivent être également ceux du (des) décideur(s). Le décideur ne peut pas dire : voici ma décision à vous de rédiger maintenant les motifs. Une décision est le fruit d un processus de réflexion. C est ce processus de réflexion qui doit être clairement expliqué dans les motifs. La raison sous-tendant ce principe est que les parties sont autorisées à savoir pourquoi la décision a été rendue. L explication donnée par une autre personne ou la rationalisation de cette décision ne doit pas remplacer les motifs du décideur 16. L affaire Khan est également intéressante du fait qu aux paragraphes 126, 130 et 131, la Cour propose que l on encourage, dans le processus décisionnel moderne, la consultation de sources externes et la collaboration de ceux qui n ont pas entendu l affaire, pour autant que l équité procédurale soit maintenue. Par cela, j entends du moins ce qui suit : Les décideurs doivent conserver la liberté de décision. Les renseignements ne doivent pas être biaisés. Les parties doivent avoir la possibilité de traiter de nouvelles questions. Enfin, dans l arrêt Re Sawyer and Ontario Racing Commission, l avocat qui assurait la poursuite avait, en fait, rédigé les motifs que la Commission a annexés à sa décision officielle. Aucun projet de motifs ni résumé de ces motifs n a été fourni à l avocat. La Cour d appel de l Ontario a statué que la Commission a eu tort de faire 14 Voir : Khan c. College of Physicians and Surgeons of Ontario, précité, Bovbel, précité, Weerasinge c Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1993), 17 Admin. L.R. (2d) 214 (C.A.F.) 15 Précité, note 3. 16 Ibid., par. 125. 9

intervenir l une ou l autre des parties dans ses travaux. Agir de cette façon constitue un déni de justice naturelle car cela laisse planer un soupçon de partialité 17. 5. QUALITÉ POUR AGIR DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF LORS DU CONTRÔLE JUDICIAIRE Historiquement, un organisme dont la décision faisait l objet d un contrôle judiciaire ne pouvait que produire ses propres dossiers et faire des observations restreintes. Toutefois, les tribunaux et les organismes administratifs peuvent maintenant, selon les circonstances, avoir la qualité pour agir et sont aptes à se prononcer sur le régime législatif, les questions de compétence et ses politiques et procédures 18. L étendue de la qualité pour agir d un tribunal administratif doit être déterminée au cas par cas plutôt que par un ensemble de règles fixes, lorsqu elle n est précisée par sa loi habilitante 19. La Cour d appel de l Ontario a indiqué comment rendre une décision sur la qualité pour agir dans les termes suivants : [TRADUCTION] Ultimement, si la loi n expose pas clairement le rôle du tribunal administratif, l étendue de la qualité pour agir accordée au tribunal dont la décision fait l objet d un contrôle, il revient à la Cour de trancher la question. La Cour doit, dans chaque cas, tenir compte de l importance de régler en toute connaissance de cause les questions dont elle est saisie et d assurer l impartialité du tribunal. La nature du problème, l objet de la disposition législative, le champ d expertise du tribunal et la disponibilité de l autre partie en mesure de répondre en connaissance de cause à l attaque lancée contre la décision rendue, voilà autant d éléments qui peuvent être pertinents pour évaluer la gravité des doutes concernant l impartialité et la nécessité d un débat exhaustif 20. Le rôle accru des tribunaux administratifs dont les décisions font l objet d un contrôle ne se traduira pas nécessairement par la comparution de l avocat du tribunal. Les services d un avocat externe peuvent être retenus, en particulier lorsque la question peut être renvoyée au tribunal pour réexamen. Le cas échéant, l avocat du tribunal pourra ne pas participer ou il pourra jouer un rôle se limitant à donner des directives. 17 Re Sawyer and Ontario Racing Commission (1979), 24 O.R. (2d) 673 (C.A.) 18 Imperial Oil Ltd. c. Alberta (Minister of Environment), [2004] 4 W.W.R. 564 (ABQB) 19 Ontario (Children s Lawyer) c. Ontario (Information and Privacy Commissioner), (2005) 75 O.R. (3d) 309 (C.A de l Ont.) 20 Ibid., au par. 43. 10