Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs? Problématique : La difficulté lorsque vous vous trouvez face à un tel sujet est de confondre le thème avec le problème du sujet. Ici le thème était le désir, mais tous ceux qui se sont contentés de travailler uniquement ce thème (par exemple en récitant son cours) étaient dans le hors-sujet. La question portait sur la réflexion, et non sur le désir. Cette petite subtilité fait toute la différence, car on vous demande dés lors non pas de réfléchir sur le désir, mais sur les philosophies du désir et leur utilité pour nous. Pour éviter de tomber dans de telles erreurs, nous allons en préambule repréciser un petit point de méthode : la formalisation. Pour savoir sur quoi porte la question, il faut se détacher de toute angoisse quant au contenu des connaissances (que vous êtes censé avoir), pour vous concentrer sur la forme de la question. Voilà comment procéder : Au lieu de lire «Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs?» Lisez : «Que peut nous apporter A sur B?» A = une réflexion B = nos désirs. Une telle mise en forme peut paraître ridicule et simpliste, mais il a l immédiat avantage de mettre en valeur le fait que c est A et non pas B qui est le sujet de la question, audelà de toute angoisse sur votre mémorisation. Ainsi vous savez sur quoi porte vraiment la question (d ailleurs il y a d autres sujets plus complexes dans leur formulation qui nécessitent eux systématiquement ce type de formalisation.) Qu est-ce qu une réflexion? C est un acte de pensée, mais qui implique de la part de la pensée un retour sur elle-même. La pensée (le logos en grec, contre la doxa) va se pencher sur ses propres actes, car elle conçoit de manière consciente (donc réfléchie). La spécificité de la pensée philosophique, ainsi que le remarquait le philosophe français Gilles Deleuze, est la fertilité de ces problèmes. Une grande philosophie n est pas une pensée qui va délivrer des 1
vérités indépassables, mais au contraire va montrer la complexité d une réalité, et dire qu il faut la penser. C est là tout l intérêt de la philosophie, nous amener à penser une certaine réalité, car les faits qui nous sont présentés ne sont pas clairs comme de l eau de roche. Donc une réflexion sur nos désirs serait capable de montrer que nos désirs posent un certain nombre de problèmes. Lesquels? Est-ce que ces problèmes sont dus à la nature de nos désirs, ou plus subtilement (et ce sera notre thèse) à la nature des réflexions qui éclairent sous u jour particulier nos désirs? En d autres termes, une philosophie qui réfléchit (au premier sens du terme) sur les désirs ne réfléchit-elle pas (au deuxième sens du terme, celle de la réflexion d une lumière) des postulats ou des préjugés, voire des non-dits? Nombreux furent les philosophes qui réfléchissaient sur le désir ; d une part parce que cela reste un élément fondateur de l homme et de son existence (l homme se définit comme un être de désir), d autre part parce que le désir est un moteur de l activité humaine. En effet le désir est une force, tout autant qu une expression. C est l expression de ce qui nous manque (et cela rejoint en ce sens le besoin), mais c est aussi ce qui nous pousse vers ce qui nous manque. Sauf que ce qui nous manque n est pas nécessairement l objet conscient du désir, mais peut-être davantage une dimension caché. Exemple de plan détaillé. Bien entendu, même si les phrases sont rédigées, ce n est qu un plan détaillé. Il faut dans une dissertation développer davantage, et notamment prendre des exemples, et exploiter les connaissances du cours. I. Le souci de soi comme recherche du bonheur. 1) Epicure et Epictète ont ceci de commun qu ils réduisent le désir à un objet manipulable. Ils organisent leur morale autour de la question de la maîtrise des désirs, l un en voulant sélectionner certains désirs par rapport aux autres, alors que le second veut nous apprendre à 2
supporter ce qui ne dépend pas de nous. Dans les deux cas, ce qui est proposé est un ascétisme, c'est-à-dire une série d exercices sur notre mode de vie quotidien. Certes cet ascétisme est précédé d une réflexion, c'est-à-dire d un travail rationnel, mais il doit être aussi accompagné d une pratique exercée de la volonté. 2) Mais leur réflexion n est pas abstraite : il s agit de penser l homme dans son mode de vie. Le désir n est pas pensé dans sa généralité, dans son essence, mais dans sa réalité ses accidents, c'est-à-dire ses dimensions contingentes 1. Cela donne une réflexion donc pragmatique qui cherche l ataraxie, mais qui ne veut pas pour autant ne pas rationaliser : il faut trouver une règle générale qui convienne à tous les hommes. 3) Le problème qui se pose dés lors : le stoïcisme et l épicurisme n ont-ils pas tendance à déshumaniser l individu? Car il s agit d une lutte volontaire contre les inclinations naturelles de l homme. La solution proposée peut sembler mécaniser les comportements, faisant de nous des machines. Machines heureuses certes, mais machines tout de même. Transition : les réflexions stoïciennes et épicuriennes ont donc un rôle clair : celui de nous apporter le bonheur. Mais cela va impliquer une domination de soi telle, que les dégâts provoqués sont plus importants que les maux à soigner. Une réflexion plus moderne, celle de Freud par exemple, permet peut-être davantage de respecter ce qui fait la spécificité des êtres humains, c'est-à-dire leurs faiblesses et leurs forces. II. Donner du sens à l insensé. 1) La réflexion freudienne est une analyse de la partie irrationnelle de l homme, ca que Platon appelait le Thumos 2. Reconnaître le fait que l homme est capable d actes arbitraires, absurdes, et ne pas vouloir faire disparaître ces dimensions est une démarche nouvelle : la réflexion qui fonde la psychanalyse veut limiter les effets nocifs des névroses, mais pour cela elle accepte des constats anthropologiques, et respecte ce qui 1 La distinction entre essence et accident est faite par Aristote dans son livre la Métaphysique. L essence d une chose est ce qui persiste malgré et au delà des changements relatifs à une situation. Ainsi nous pouvons faire la théorie du désir en général analyser son essence- ou bien voir les manifestations du désir dans chaque individu et faire la collection de ses accidents. 2 Je vous laisse lire le Phèdre pour comprendre ce que c est 3
fait la nature humaine : en clair Freud ne nous dit pas que l homme ne doit pas désirer, mais il décrit plutôt l homme qui ne peut pas ne pas désirer. 2) La volonté de rationnaliser est bien présente chez le médecin autrichien, mais pour expliquer les mécanismes de production du psychisme : il ne s agit plus de distinguer et de sélectionner les désirs, mais de la comprendre, de comprendre pourquoi ils sont refoulés, et qu elles sont leurs sphères d influence dans un comportement normal. 3) Il n empêche que cette réflexion accouche également d une thérapie. La volonté de guérir, et donc de trouver le bonheur, semble rejoindre les aspirations des premières philosophies antiques. Simplement une subtilité subsiste : Freud ne veut pas nous guérir de nos désirs. Il cherche simplement à nous éviter de nous réfugier dans la maladie. La névrose n est pas la maladie. Le désir n est pas la maladie. Donner du sens à ces désirs permet juste d éviter des symptômes nocifs, tels que la paranoïa, et les troubles du comportement. Transition : Donc même si la réflexion freudienne ne porte pas sur les mêmes problèmes que le stoïcisme et l épicurisme, l effet est le même : c est celui d une thérapie de l homme. Mais nous voyons tout de même une subtilité, car la réflexion freudienne ne cherche pas à changer l homme. En ce sens elle rejoint la lecture anthropologique de Spinoza dans L Ethique. III.L analyse du Conatus par Spinoza 1) Lorsque Spinoza débuta sa réflexion, il partit du constat que les plus grandes philosophies voulaient changer l homme, et au lieu de penser ce qu il est, elles travaillaient sur ce qu il devrait être. Spinoza vit là la source des principales erreurs de ces réflexions, et notamment l impossibilité de leur application (sauf à être une personnalité aussi extraordinaire que Marc Aurèle, tout le monde en convient. 2) Donc dans son Ethique, le philosophe hollandais propose une analyse anthropologique, c'est-à-dire qui décrit l homme tel qu il est. Ce n est donc pas une morale. Mais il ne se dispense pas pour autant de faire des distinctions entre les désirs rationnels et les désirs 4
passionnés, entre les désirs du corps et les désirs de l esprit. La béatitude (c'est-à-dire le bonheur en contemplant Dieu, en sens spinoziste du terme) n est possible qu au prix d un seul changement : celui d une liberté définitivement accordée à tous (car ainsi chacun pourrait s accorder vertueusement et rationnellement avec lui-même). Mais cette réflexion pense la réalité humaine dans toute se complexité. 3) Bien entendu elle s appuie aussi sur une théologie, celle du panthéisme, qui peut faire débat : peut-on prouver de manière géométrique que Dieu est l unique substance, dont nous ne sommes que des expressions selon deux modes, le corps et l esprit? La question est ouverte. Et c est justement là le point le plus fertile de cette réflexion : elle nous permet de comprendre qu une philosophie du désir ne se pense pas seule, isolée, comme une recette du bonheur pragmatique ; elle s inscrit plutôt dans le cadre d une métaphysique plus large. Ce sera un enseignement problématisant très fertile pour des réflexions plus modernes. Conclusion : Les philosophies du désir furent nombreuses, et complexes. Certaines veulent changer l homme, d autres préfèrent le considérer tel qu il, avec sa complexité. Mais toutes pourtant se construisent autour d un thème central, celui du bonheur. Nous pouvons donc, grâce à ses réflexions, réfléchir sur la véritable destinée de l homme. D ailleurs un examen attentif de ces philosophies nous montre qu elles ne se contentent pas d être des recettes du bonheur, applicables à tout moment. Elles s enrichissent d une réflexion sur la nature humaine une anthropologie- et aussi d une analyse sur les conditions d existence de l homme soit à travers une ontologie science de l existence-, soit une métaphysique science de l Etre en tant qu être. Donc cela nous permet de comprendre qu il faut toujours penser l homme dans sa globalité. 5