Rapport Général sur la Pauvreté, dix ans après Le droit à la protection de la vie familiale CODE 1 Septembre 2005



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Transcription:

Rapport Général sur la Pauvreté, dix ans après Le droit à la protection de la vie familiale CODE 1 Septembre 2005 Introduction Il y a dix ans, était publié le Rapport Général sur la Pauvreté (RGP) 2. Ce rapport avait été réalisé à l initiative d ATD Quart Monde et de l Union des Villes et des Communes belges. Pour la première fois, la pauvreté était abordée en termes de droits fondamentaux. Fait nouveau, le RGP a aussi été le résultat d un long travail de réflexion et de collaboration avec les personnes vivant dans la pauvreté. En effet, le temps a été pris pour qu un vrai dialogue se mette en place entre personnes issues de la pauvreté et professionnels du secteur, et ce dialogue a notamment permis qu il devienne une référence en la matière et un outil cohérent de travail et de lobbying. Ce rapport contient enfin de nombreuses recommandations en vue de combattre la pauvreté et l exclusion sociale dans notre pays. Diverses avancées ont été possibles grâce au RGP. Nous pensons notamment à la mise sur pied en 1999 du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale créé par l Accord de coopération entre l Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la continuité de la politique en matière de pauvreté 3. Le RGP demandait en effet la création d un outil structurel de concertation pour stimuler un processus de politique générale de lutte contre la pauvreté. Les missions du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale sont les suivantes : analyser les informations en matière de précarités d existence, formuler des recommandations et des propositions concrètes en vue d améliorer les politiques, émettre des avis d initiative et rédiger un rapport tous les deux ans 4. L Accord de coopération précise enfin que ces missions doivent s exercer en concertation structurelle avec les personnes en situation de pauvreté. Dix ans plus tard, il était nécessaire de faire le point. Un état des lieux intermédiaire a été coordonné par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin. Des groupes de travail ont été mis sur pied au sein des provinces et une réunion finale rassemblant tous les acteurs et à laquelle le grand public a été invité s est déroulée le 16 juin 2005 aux Beaux Arts à Bruxelles. 1 La CODE est un réseau d associations qui ont pour objectif de veiller à la bonne application de la Convention relative aux droits de l enfant en Belgique et notamment pour objet de réaliser un rapport alternatif sur l application de la Convention qui est destiné au Comité des droits de l enfant des Nations Unies. En font partie : Amnesty international, ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles, BADJE (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l Enfance), Commission Justice et Paix, DEI Belgique, ECPAT (End Child Prostitution and Trafficking of Children for sexual purposes), la Ligue des droits de l Homme, la Ligue des familles et UNICEF Belgique. Voir www.lacode.be 2 Rapport Général sur la Pauvreté, ATD Quart Monde, Union des Villes et des Communes belges (section CPAS), Fondation Roi Baudouin, 1994. 3 Accord de coopération entre l Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la continuité de la politique en matière de pauvreté, M.B., 16 décembre 1998 et 10 juillet 1999. 4 Article 5 de l Accord de coopération. 1

Une note de réflexion préparatoire a été constituée par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale 5. Elle s est articulée autour de huit droits : droit à la famille, à l aide sociale, à la santé, à l emploi, au logement, à la culture, à l éducation et à la justice, et enfin du thème transversal de la connaissances et des indicateurs. Préalable Tout d abord, il est utile de rappeler que la pauvreté est une réalité multidimensionnelle qui touche tous les droits. Cette dimension multiple a pour conséquence la difficulté de définir une politique globale cohérente. Il s agit en effet de traiter la pauvreté dans son ensemble dans le cadre d une politique coordonnée entre les divers niveaux de pouvoir impliqués. Il faut dès à présent constater que, ces dernières années, la pauvreté a progressé plutôt qu elle n a diminué 6. Selon une étude récente de l Unicef 7, en Belgique, 8% des enfants vivent dans la pauvreté (appartiennent à des ménages ayant un revenu inférieur à la moitié du revenu médian). La pauvreté n est pas seulement une question de revenus ; elle affecte tous les domaines de vie et souvent les précarités se cumulent et se renforcent. L ensemble des droits fondamentaux ne sont pas respectés. Il s agit donc de mettre en oeuvre des mesures qui visent l ensemble des enfants et en priorité ceux qui sont dans les situations les plus difficiles. Dans les situations de grande précarité, une action globale, dans tous les domaines à la fois (sécurité d existence, logement, santé, éducation, ) est indispensable. Dans cette analyse, nous choisissons de traiter le thème relatif au droit à la protection de la vie familiale. En effet, la famille joue un rôle central dans la lutte contre la pauvreté, à la fois comme lieu de reproduction des inégalités mais aussi, comme lieu de résistance contre la pauvreté. Le droit de grandir dans sa famille Le droit de l enfant de grandir auprès de ses parents, garanti par l article 9 de la Convention relative aux droits de l enfant, et la problématique du placement des enfants ont été les axes principaux du chapitre de RGP consacré à la famille. Le retrait d un enfant de sa famille est vécu par celle-ci comme un événement douloureux et une injustice : à l épreuve de ne pouvoir offrir aux enfants de meilleures conditions de vie s ajoute celle du placement 8. Comme nous allons le voir, ce constat reste d actualité. 5 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», avril 2005. Cette note de réflexion a servi de cadre général à la réalisation de la présente analyse. 6 La dernière enquête européenne (SILC 2003) indique que 15.2 % des Belges vivent sous le seuil de pauvreté. 7 «La pauvreté des enfants dans les pays riches» Innocenty Research Center, Unicef, mars 2005. 8 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», avril 2005, p. 11. 2

Les droits de l enfant et la fragilisation des familles Dix ans après le RGP, deux éléments nouveaux entrent en considération dans la mise en œuvre du droit de vivre en famille : d une part, la fragilisation des liens familiaux et d autre part une attention grandissante aux droits de l enfant. En effet, il n y a plus une, mais des familles 9 et la fragilisation des familles liées au divorce ou à la séparation n appauvrit pas tout le monde de la même façon : le sexe, l âge, la formation, le passé professionnel, influencent le prix à payer 10. Par ailleurs, l attention accordée aux droits de l enfant peut comporter des effets pervers : elle peut a contrario disqualifier les personnes en charge de son éducation. De même, cette attention peut accroître les inégalités entre les enfants, les droits renforçant la position de ceux qui ont les moyens de s émanciper et affaiblissant encore la position des enfants plus défavorisés sur le plan social, économique et culturel 11. La famille, lieu de reproduction des inégalités et levier de lutte contre la pauvreté Les auteurs du RGP ont cependant insisté sur la nécessité de reconnaître la famille comme levier de lutte contre la pauvreté. Or bien souvent, les familles sont considérées comme un obstacle à l avenir des enfants. De mauvaises conditions de vie ne favorisent pas l épanouissement des enfants. Tout le monde s accorde sur ce constat : les enfants nés dans un milieu défavorisé sont plus souvent en échec scolaire, en moins bonne santé, 12. Quel est l intérêt de l enfant dans ce cadre? Le retirer de son milieu lui permettrait-il d augmenter se chances, le sortir de la pauvreté et lui offrir un avenir meilleur? La question des véritables intérêts de l enfant a été posée par les auteurs du RGP. Les bienfaits du placement sur le long terme sont clairement mis en doute. Placer les enfants, c est déplacer le problème 13. Les droits de l enfant ne sont pas indissociables des droits de sa famille et dans la majorité des cas, les intérêts de l enfant devraient être évalués en fonction des intérêts de la famille. En effet, la famille est généralement le milieu de vie le plus favorable pour les enfants puissent grandir et se construire harmonieusement 14. 9 Citons la tenue des Etats généraux de la famille. 10 Op. Cit. 11 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 13. 12 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 13. 13 Professeur Eugène Verhellen, cité dans le Rapport Général sur la Pauvreté, p. 46. 14 Voyez notamment le Préambule de la Convention relative aux droits de l enfant. 3

Le placement des enfants, au cœur des réflexions il y a 10 ans, est-il encore d actualité? D après des chiffres disponibles en Communauté française, les placements ont diminué d un peu mois de 10% entre 1997 et 2002 15. En parallèle, il apparaît que les mesures d aide dans le milieu familial se sont diversifiées et multipliées. Toutefois, il n est pas possible d évaluer l impact de ces chiffres sur les familles défavorisées puisqu ils ne donnent pas d indication sur le profil socio-économique des personnes concernées. Aujourd hui, le lien entre placement et pauvreté n est plus mis en doute, ce qui est certainement une avancée. Toutefois, ce qui manque encore, c est la compréhension de ce que signifie vivre dans la pauvreté et de ses conséquences au quotidien. Le regard porté sur les conditions de vie difficiles traduit encore trop souvent aujourd hui l idée que la pauvreté est une affaire de responsabilité individuelle 16. Or, il n est pas inutile de rappeler que la pauvreté est un problème structurel qui n est pas choisi par les personnes qui la vivent. Est-ce que l aide à la jeunesse, dont les principes directeurs donnent priorité à l aide dans le milieu de vie et à la reconnaissance du rôle des parents et des enfants, est une réponse adaptée aux attentes des familles concernées? En Communauté française, un dialogue inscrit dans le long terme se poursuit entre acteurs du secteur et familles. Ce groupe de travail, nommé AGORA, est composé des représentants de deux associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté : d une part, ATD Quart Monde et LST et de conseillers, directeurs, délégués, inspecteurs pédagogiques, et l administration de l Aide à la jeunesse, d autre part. Il se réunit régulièrement. Il est présidé par l administration et bénéficie du soutien actif du Service de lutte conte la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale. A partir d échanges concernant des expériences vécues, le groupe de travail AGORA vise à chercher dans le respect mutuel les démarches à accomplir pour améliorer l application du décret relatif à l aide à la jeunesse. Ces dialogues sont porteurs d espoir car ils témoignent du désir commun des professionnels et des usagers de chercher une meilleure adéquation entre les objectifs indiqués par le législateur et leur mise en œuvre, au jour le jour, sur le terrain. Mais c est un travail de longue haleine ( ) 17. Il faut relever les conditions qui permettent à ce dialogue de se nouer et de se construire entre familles très pauvres et SAJ (Services d aide à la jeunesse). L administration a accepté de travailler assez lentement et à long terme. Ce respect et ce temps sont rarement donnés dans les dialogues auxquels les associations où se rassemblent des personnes pauvres sont conviées par des institutions, mues par leurs logiques, fonctionnements et rythmes propres. Ils sont pourtant indispensables pour qu une réelle participation aie lieu. Quand ces conditions sont 15 Chiffres cités dans le Rapport d activités 2002-2003 de la Direction générale de l aide à la jeunesse de la Communauté française 16 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 17. 17 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 17. 4

réalisées, cette collaboration entraîne une meilleure compréhension mutuelle et débouche sur des propositions constructives et originales, faisant avancer les droits de tous 18. Notons que dans le cadre des Dix ans du RGP, ATD Quart Monde ainsi que d autres associations «où les pauvres prennent la parole» 19 ont regretté que les moyens, notamment en temps, n ont pas été mis en oeuvre pour permettre un vrai dialogue avec les personnes issues de la pauvreté 20. Aujourd hui, le contexte est-il favorable ou non à la diminution des placements liés à la pauvreté? La réponse se doit d être nuancée. Certaines mesures tiennent davantage compte du rôle et des difficultés des parents. Toutefois, une augmentation générale de la précarité et une tendance sécuritaire tant dans les discours que dans les pratiques sont relevées par les acteurs sociaux. Par ailleurs, divers intervenants sociaux évoquent des pressions fréquentes pour placer les enfants, ainsi que le fait ne disposer d aucun moyen pour agir sur la précarité des familles. La question du logement en est une composante importante. Cette fragilité étant génératrice de danger par tous les effets qu elle induit, l intervenant, faute de pouvoir modifier l environnement naturel de l enfant, peut alors être tenté de lui substituer un autre environnement par un placement dans un milieu offrant de meilleures conditions de vie 21. Il faut dès lors constater qu aujourd hui encore, bien que des efforts aient été réalisés, la pauvreté reste encore aujourd hui une cause directe et indirecte de placement des enfants. Le logement (insalubrité, exiguïté, expulsion) est la cause directe la plus visible. Les ennuis de santé, les séparations familiales, les difficultés scolaires (absentéisme, ) pourront également être des déclencheurs de placement dans les milieux défavorisés. Quelles conditions pour vivre en famille? Quasi toutes les politiques ont un impact sur les familles : aide sociale, santé, emploi, logement, éducation, culture, justice et connaissance de la pauvreté. Nous ne pouvons pas les aborder toutes dans le cadre de cette analyse. Dans les lignes qui suivent, nous évoquons les politiques des revenus et le l accueil de la petite enfance 22. La question des revenus est bien entendu centrale et aujourd hui comme il y a dix ans, les familles témoignent de difficultés quotidiennes pour gérer leurs dépenses, qui ont pour conséquence leur endettement. Les pensions alimentaires posent également de grandes difficultés. Le seuil de pauvreté financier communément admis est fixé à 775 euros par mois pour une personne isolée et à 1627 euros pour un couple avec deux enfants. A titre de comparaison, en 18 ATD Quart Monde, Contribution de la CODE au Rapport du Gouvernement de la Communauté française sur l application de la Convention relative aux droits de l enfant, 2005. 19 Ainsi qu elles se dénomment. 20 R. DE MUYLDER, «Dix ans après le Rapport Général sur la Pauvreté, nous sommes inquiets», PARTENAIRE, ATD Quart Monde, n 44, Septembre 2005. 21 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 19. 22 Pour plus de détails sur ces points, voyez Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., pp. 19-26. 5

2005, le revenu d intégration sociale s élève à 625,6 euros par mois pour une personne isolée et à 834,14 euros par mois pour une famille, quelle que soit sa composition. Le revenu d intégration sociale, revenu légalement fixé par notre pays, se situe donc clairement en dessous du seuil de pauvreté. Il est en tous les cas manifeste que l aide sociale joue un rôle essentiel pour permettre à certaines familles de vivre. La question du montant des allocations familiales, tout à fait insuffisant pour subvenir aux besoins des enfants tout au long de l année, a été rappelée. Et nous pouvons également évoquer les nombreux frais scolaires qui doivent être assumés par les parents. Cette nongratuité de l école est en outre un important frein à l accès à la scolarité 23. Enfin, il faut noter que les mesures prises en matière d accueil des enfants (crèches, lieux de rencontre parents-enfants, écoles de devoirs ou lieux d accueil extrascolaire) sont globalement peu accessibles pour les familles défavorisées, sauf, parfois, quand elles leur sont imposées ou fortement conseillées, notamment par le SAJ. Les places disponibles, déjà trop peu nombreuses, sont en effet accordées prioritairement aux parents qui travaillent. Pourtant, quand cet accueil a lieu dans la confiance et le respect réciproques, il peut favoriser le bon développement et la socialisation des enfants et soutenir les parents dans leur rôle 24. Nouvelles problématiques Dix ans après le RGP, certaines problématiques ont davantage été évoquées : la détention des parents, les familles sans séjour légal et les familles sans abri. La détention d un parent a des effets importants sur les liens familiaux. La prison a un coût pour les proches de personne détenue, un coût économique, social et psychologique 25. La situation des familles étrangères ne disposant pas de titre de séjour est également problématique, puisque ces familles n ont droit à aucune aide sociale sauf à l aide médicale urgente. Après divers débats, la Cour d arbitrage a cependant reconnu un droit à l aide matérielle qui peut être octroyé aux enfants, mais qui doit être octroyé en nature dans un centre d accueil fédéral. Cette condition dissuade dès lors de nombreuses familles de faire appel à cette aide. Enfin, il est signalé que des familles de plus en plus nombreuses se retrouvent sans logement et dans une situation très précaire, ce qui a de multiples et graves conséquences sur l ensemble des membres de la famille. 23 Ce concernant, voyez les intéressants travaux réalisés par la Ligue des familles sur le coût scolaire. 24 ATD Quart Monde, Contribution de la CODE au Rapport du Gouvernement de la Communauté française sur l application de la Convention relative aux droits de l enfant, 2005. 25 Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale, «Lance débat, Dix ans du Rapport Général sur la Pauvreté», op. cit., p. 27. 6

En conclusion Force est de constater que la situation des familles qui vivent dans la pauvreté en Belgique demeure extrêmement préoccupante. L ampleur de la pauvreté et ses conséquences sur tous les droits humains, et en particulier sur les droits de l enfant (parce que l enfant est un être en devenir), nous invitent vivement à recommander aux décideurs politiques de mettre cette problématique à l agenda politique et de définir une politique globale de lutte contre la pauvreté et l exclusion sociale. Les droits de l enfant et de sa famille étant étroitement liés, la CODE recommande que des politiques adéquates de soutien aux familles les plus pauvres soient mises en place, qui s attachent à répondre aux véritables besoins de ces familles et qui soient réfléchies en partenariat avec les personnes qui vivent dans la pauvreté. C est la mise en œuvre réelle de l article 27 1 à 3 de la Convention des droits de l enfant relatif au droit à une niveau de vie suffisant qui garantira le droit de l enfant à vivre dans son milieu familial. Ceci implique de sortir du cadre de la politique de l aide à la jeunesse pour apporter des solutions en terme de logement, de santé, de scolarité, etc. Notons enfin que tous les constats réalisés lors des Dix ans du Rapport général sur la pauvreté feront l objet à du prochain rapport bisannuel du Service de lutte contre la pauvreté et donneront lieu à de nombreuse recommandations. Analyse réalisée par la Coordination des ONG pour les droits de l enfant Avec le soutien du Ministère de la Communauté française Direction générale de la Culture Service général de la jeunesse et de l éducation permanente 7