La communication sur la santé auprès des jeunes

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Transcription:

La communication sur la santé auprès des jeunes Analyses et orientations stratégiques Ouvrage coordonné par : Karina Oddoux, chargée d études au CFES Les auteurs : Jacques Arènes,psychanalyste Christine Ferron,adjointe au responsable du service Appui au développement de l éducation pour la santé au CFES Bruno Housseau, chargé de mission au CFES Anne Ramon, responsable du service Communication au CFES D O S S I E R S T E C H N I Q U E S

Sommaire Résumé 5 Introduction 11 Méthodologie de l étude qualitative 15 Résultats de cette étude 21 Élaboration des valeurs et codes culturels des jeunes: invariants et nouvelles tendances 21 La santé: une représentation positive et globale 25 Tendances actuelles en matière de communication auprès des jeunes 31 Attentes des jeunes en matière de communication sur la santé: émotions fortes, immédiateté et proximité 35 Discussion 43 Comment les jeunes perçoivent-ils le risque et ses conséquences? Comment les accompagner dans l apprentissage du rapport au risque? 43 La notion de risque: Comment l utiliser? Doit-elle être mise en scène de manière dramatique? Quel impact cela pourrait-il avoir sur les jeunes les plus fragiles? 46 Le besoin d information en santé: quelle signification? 50 Doit-on communiquer de manière différente en direction des filles et des garçons? 57 Recommandations pour l action 65 Critères de sélection preneurs de risques/non-preneurs de risques pour les réunions de groupe et entretiens individuels 74 Experts interviewés lors de l étude 76 Remerciements 76 Cahier central (I - VIII) : visuels de campagnes de communication sur la santé auprès des jeunes

Résumé Introduction La mission du CFES est de «communiquer» à chacun le désir et la capacité de prendre en c h a rge sa santé, et d adopter des comportements favorables à son bien-être physique, mental et social. L élaboration des messages destinés aux jeunes est un exercice périlleux qui doit composer avec les exigences d une population composite et en évolution permanente. Dans le cadre de la réflexion sur les aspects stratégiques et créatifs de la communication publique en éducation pour la santé, et afin d adapter au mieux ses actions pour les années à venir, le CFES a souhaité explorer leurs codes culturels et de communication. Cette étude a été pilotée par le CFES sur la base d un financement de la Cnamts. Sa réalisation a été confiée après appel d offres à l Institut Gaultier & Associés en octobre 1999. Elle se donne pour objectif d analyser les tendances actuelles en matière de communication auprès des jeunes, dans le but de déterminer les approches et les ressorts les plus pertinents pour communiquer auprès d eux en éducation pour la santé. Le présent document n en est qu un bref résumé. Un rapport plus complet contenant résultats, discussions et recommandations pour l action est disponible au CFES. Méthodologie L étude s est focalisée sur les jeunes de 11 à 30 ans actifs, étudiants ou sans emploi non mariés. Dans un premier temps, une recherche documentaire a été réalisée sur la base d une revue de la littérature récente concernant la communication dirigée vers les jeunes, l interview de vingt-et-un spécialistes de la santé et de la communication et une analyse sémiologique d une sélection d annonces publicitaires dirigées vers les jeunes. Dans un second temps, une étude qualitative a été réalisée sur la base de vingt-quatre entretiens individuels et de six réunions de groupe à Paris, Lille, Tours et Marseille. Chaque groupe comprenait des jeunes répartis en fonction du sexe, du niveau d instruction, du lieu d habitation et de leur rapport au risque. 5

L essentiel des résultats Riche en enseignements, cette étude nous informe sur les codes utilisés par les marq u e s privées leaders auprès des jeunes, et sur les attentes d un public imprégné de culture publicitaire. Les jeunes possèdent un esprit de contradiction et font preuve d une certaine insatisfaction vis-à-vis des codes de communication classiques. Ils abordent les médias avec une grande méfiance et une certaine distanciation: ils craignent très vite d être manipulés et décryptent très bien les stratégies d influence. En outre, le processus d identification à un personnage mis en scène est difficile dans une démarche publicitaire : le style, le look sont tellement segmentants qu on ne peut pas s adresser de la même façon à tous les jeunes. C est pourquoi les marques mettent en place des stratégies de contournement où l adhésion se fait au niveau des valeurs ou de la qualité de la création publicitaire. Phénomène nouveau, les actions de communication en direction des jeunes ne cherc h e n t plus à convaincre, elles veulent d abord divertir. Elles ne délivrent pas seulement un message, elles racontent une histoire. Elles doivent permettre aux jeunes d exercer leur intelligence, de s amuser, de vivre quelques instants d émotion, d excitation ou d humour car c est un public qui s ennuie vite. La communication sera donc jugée sur l approche artistique, sur la qualité et l originalité de l approche créative. La recherche d un certain esthétisme est constante. La création occupe donc une place essentielle et les techniques de production sont de plus en plus sophistiquées. Il faut de plus stimuler l intérêt des jeunes en permanence en renouvelant la forme de la communication, en multipliant les niveaux de lecture, en multipliant les médias et les formes d intervention. Il faut surprendre, étonner, dépasser l attendu. C est pourquoi les marques s efforcent de multiplier les films, d inventer des techniques de production et des outils toujours plus originaux (les «consumers magazines», l affichage sauvage, l utilisation d Internet ). Si la dimension «spectacle» est essentielle, cela ne signifie pas que l attention portée à la forme soit plus importante que le fond du message. Ce qui est prioritaire aujourd hui aux yeux des jeunes n est plus seulement le produit mais plutôt les valeurs défendues par la marque ou l émetteur. Ignorer ces valeurs, c est risquer de ne plus rien signifier et de faire une communication qui ressemblerait à une coquille vide. L émetteur doit donc d abord chercher à créer une relation privilégiée avec les jeunes. Les grands champs de valeur plébiscités par les jeunes sont relativement stables et aussi idéalistes qu auparavant : il est toujours question d amour, de séduction, de liberté, d indépendance, d authenticité, de réalisation de soi, etc. Les marques s appuient encore sur des idées ou des valeurs simples mais à travers une forme qui tend à s opacifier ou à utiliser des détours de plus en plus compliqués. Cette re c h e rche de connivence passe également par une transparence de l intention de l é m e t t e u r, qui doit être volontairement affichée pour favoriser une relation de confiance. Autrement dit, c est avant tout le contrat implicitement passé entre la marque et son destinataire qui compte ; il s agit d un contrat de reconnaissance mutuelle de la lucidité de l autre. Recommandations pour l action en éducation pour la santé On ne peut s interdire d utiliser les codes de communication présents dans les stratégies de marques privées au seul motif qu il n est pas possible d appliquer à la communication publique des stratégies commerciales. En revanche, on ne peut pas non plus copier à l identique ce qui est fait dans la sphère des marques et des produits du marché. D une part, notre statut d émetteur public rend la dimension de «recherche de connivence» difficile à exploiter. Il faut se garder de faire du «jeunisme» et de vouloir jouer sur une complicité ou une proximité artificielles. D autre part, nous travaillons sur des sujets qui ne se prêtent pas toujours au «spectacle». Cela ne signifie pas qu il faille exclure de nos messages toute notion de divertissement mais il faudra être vigilant sur la façon de le faire. Les tensions sont fortes entre la nécessité d émerger dans cet univers de communication très concurrentiel et la nécessité de respecter les objectifs pédagogiques et les valeurs qui sont celles du CFES et de son réseau. C est pourquoi il est difficile de poser des principes généraux qui puissent s appliquer à chaque action de communication. Nous avons néanmoins tenté d énoncer des recommandations pour la communication en éducation pour la santé en direction des jeunes. Celles-ci ne doivent pas être interprétées comme des «recettes» mais plutôt comme des orientations pour l action : Véhiculer des valeurs au lieu de communiquer sur des bénéfices en termes de santé La communication en éducation pour la santé auprès des jeunes peut difficilement s appuyer sur la valorisation des bénéfices sanitaires à long terme. Au lieu d interpeller les jeunes à propos des effets de leurs comportements de santé, nos actions de communication peuvent s appuyer sur des valeurs auxquelles ils croient: l accomplissement personnel, la recherche d une identité propre et l expression du droit d être soi, d être différent et de refuser la pression du groupe. Ces valeurs peuvent permettre d établir une passerelle entre les différents thèmes de communication. Elles devront exprimer le sens de notre action et être le reflet de notre démarche d éducation pour la santé auprès des jeunes. Elles seront en elles-mêmes porteuses de sens et elles permettront de fonder notre légitimité ainsi que notre identité d émetteur. Elles nous autoriseront à adopter, sur la forme, des codes de communication en affinité avec l univers des jeunes. Travailler sur le présent et l immédiateté La difficulté pour l adolescent, en particulier le garçon, à imaginer tout bénéfice ou toute conséquence néfaste différés dans le temps n empêche pas, au contraire, de déployer à cet égard une pédagogie. Il serait possible d adopter des messages qui tiennent compte de l angoisse des jeunes quant à l engagement dans la durée, le «toujours» et le «jamais». Le sevrage tabagique, par exemple, serait présenté comme une aventure, une expérimentation dans laquelle on s engage au jour le jour. Il s agit de sortir de la notion du contrat qui 6 7

enchaîne, et d aider plutôt l adolescent ou le post-adolescent à s enraciner dans une décision qui n appartient qu à lui. Par l appel à la liberté, il s agit de l aider à aff ronter la terreur de l engagement définitif: liberté chaque jour renouvelée de choisir ce qui est bon pour soi. Redonner une place à l information objective et transparente pour créer la confiance Les jeunes attendent des institutions qu elles leur rappellent la norme, la règle. Ils sont en demande de repères, de validation d informations précédemment acquises. Si la rhétorique moralisatrice qui peut parfois imprégner le discours des institutions est rejetée par les jeunes, une rupture de ton peut être à l origine d une relation de confiance entre elles et les adolescents. En redonnant confiance en l émetteur, la diffusion d une information claire, objective et transparente pourrait être le premier pas vers l établissement de cette relation de confiance entre les institutions et les jeunes. Une relation basée sur l écoute et le dialogue peut en effet s instaurer à partir d une question d ordre purement technique. Afin que cette pertinence et cette confiance perd u rent, les institutions devraient être capables d émettre des messages «a v a n t - g a rd i s t e s» correspondant à des données scientifiques, tout en échappant à un discours d interdiction et de coercition. Communiquer différemment en direction des garçons et des filles? Un des enseignements de nos travaux est que sans aller jusqu à l élaboration de messages ou de spots spécialement destinés aux filles ou aux garçons, les scénarios des messages pourraient tenir compte subtilement d un accent différent porté sur la problématique propre à chaque sexe. Ainsi le rôle initiateur, voire pédagogique des filles pourrait être souligné, et la capacité des garçons à dédramatiser pourrait être utilisée. À l adolescence, les garçons ont souvent un fonctionnement caractérisé par l expérimentation ou des mécanismes de défense comme le déni et la fuite dans l acting. Les filles, elles, ont plus souvent recours à la recherche d information et au dialogue. Ces différences pourraient être mises en relief dans la trame des messages, sans enfermer ni les uns ni les autres dans une vision schématique. S appuyer sur des ressorts de communication pertinents : l émotion, la peur savamment dosée et l humour Parmi les moyens de susciter des émotions fortes, l humour créatif reste la meilleure façon de créer de la complicité et de l impact. Il permet de rompre avec les règles conventionnelles. L humour est valorisé car il est synonyme d originalité et de créativité. Il ne s agit pas cependant de l utiliser systématiquement: tous les sujets ne se prêtent pas au rire et les émetteurs institutionnels ne sont pas toujours prêts à assumer des messages trop décalés. Multiplier les approches créatives Le regard des jeunes sur la communication est extrêmement sévère pour tout ce qui relève de la bêtise, du médiocre, du conventionnel, du ridicule et du démodé. Nous devons donc attacher une grande importance à la forme de la communication. C est la qualité et l attractivité de la forme de notre communication qui fera que les jeunes s y intéresseront. Nous devons, comme le font les marques privées, passer d un mode de persuasion à un mode de séduction. Si les messages doivent être simples et pérennes, leur forme doit être originale, parfois complexe, et doit toujours étonner. La création doit être construite pour que les jeunes puissent exercer leur intelligence, participer, s amuser, vivre un moment d émotion, d excitation ou d humour. Il faut également renouveler en permanence les créations afin de ne pas lasser un public qui s ennuie vite. Articuler les approches média et hors-média La créativité doit être présente dans l utilisation publicitaire ou non des médias et la construction des dispositifs hors-média. En termes de fréquentation média, les 15-25 ans se caractérisent par une grande volatilité. C est pourquoi il convient d avoir une approche multiple : la radio, média de proximité, pour son caractère affectif ; le cinéma, média qualitatif, pour sa dimension spectacle ; la télévision, média impactant par excellence; la presse spécialisée, support en affinité avec leurs centres d intérêts ; l Internet, incontournable désormais, pour sa dimension interactive représentant la liberté d expression. Indépendamment de l utilisation des grands médias, il s agit, à travers les actions hors-média, de multiplier les opportunités de toucher les jeunes dans leur univers en allant à leur rencontre. Il est indispensable que nous développions le «marketing opérationnel» pour être présent là où ils sont : événements sportifs, concerts, partenariats avec des marques et partenariats institutionnels. La personnalité en construction des adolescents est largement dominée par les émotions. Pour qu ils se sentent concernés, il doit donc y avoir une intensité quasi dramatique dans les messages de prévention, tout en évitant des mises en scène exagérées puisque les jeunes sont demandeurs d un discours de vérité. Si certains jeunes «demandent» des images plus fortes, c est en partie en raison de leur désir d un discours plus réaliste et plus responsabilisant. Il est possible d avoir modérément recours à la peur dans les actions de communication si le message est accompagné d une possibilité de mise à distance cognitive et affective. Une certaine «dose» de fiction permet notamment d éviter que le réalisme ne dépasse les frontières du psychiquement élaborable. 8 9

Introduction L action du CFES s inscrit dans le domaine de la santé publique, domaine de connaissance et d action qui vise à améliorer le bien-être de la population, notamment par la promotion de la santé. Sa mission est d informer sur les conditions de la santé et sur les différents risques encourus, mais également de «communiquer» à chacun le désir et la capacité de prendre en charge sa santé, d adopter des comportements favorables au bien-être physique, mental et social. L éthique du CFES est avant tout une éthique de responsabilité: ne pas culpabiliser, ne pas imposer de normes ou de discours unique mais donner à réfléchir, éclairer les choix, les responsabilités. La perception de la santé chez les jeunes est spécifique en ce sens qu ils associent à la santé leurs préoccupations pour le corps et ses transformations, leurs interrogations sur la sexualité, leur rapport aux autres et même les problèmes de société plus large comme la pollution de l environnement ou la misère persistante des pays en développement 1. Cette perception très globale de la santé, perception non médicalisée, n est pas éloignée de celle de l Organisation mondiale de la santé, et peut être un support très favorable à des actions de prévention. Il est nécessaire de partir de leurs préoccupations et de leurs représentations pour être efficace en termes de communication. L élaboration des messages destinés aux jeunes est une entreprise délicate qui doit composer avec les exigences d une population composite en évolution permanente. La capacité des jeunes à générer leurs propres codes, à s approprier des codes exogènes et à les transformer s est considérablement développée et accélérée depuis quelques années, donnant naissance à un univers d expression en permanent remaniement. Enfin, les codes qui fondent l expression des jeunes ont souvent pour caractéristique de se reconnaître au sein d univers très segmentés (filles/garçons, tribus, classe d âge, milieu social, bande de copains) et non de permettre la communication avec l ensemble du monde environnant. Il ne faut pas cependant céder à la tentation de croire que ces univers cloisonnés soient insensibles à une culture commune, notamment avec le monde adulte. L adolescence et la jeunesse, temps de paradoxes, conjuguent souvent une fermeture particulariste et un désir d universalité. 1.R o b e rt W. Blum. Global trends in adolescent health.jama, May 22/29, 1991 : Vol 265, n 20 : 2711-9. Weiler R. Adolescents Perceptions of Health Concerns: An exploratory Study Among Rural Midwestern Youth. Health Education and Behavior 1997; 21 (3): 287-99. Michaud P., Martin J. La santé des adolescents vaudois de 16 à 19 ans: leurs perceptions, leurs pratiques et leurs souhaits. Revue Suisse Med 1983; 49: 1545-53. 10 11

Au-delà des conditions d acceptabilité de sa communication, la question qui préoccupe le CFES est de savoir dans quelle mesure il est possible de concilier stratégie de communication qui suppose qu en partie l on s inspire des codes des jeunes et stratégie éducative, qui suppose que l on se réfère à des valeurs et que l on amène les jeunes à développer leurs potentialités propres. Le travail sur lequel se fonde ce rapport est interdisciplinaire au sein du CFES et rassemble des chargés d études, des chargés de communication, des experts en psychologie et en sciences de l éducation, ainsi que des spécialistes en sciences humaines. Depuis quelques années, le CFES a privilégié une approche de partenariat avec les médias dans sa communication auprès des jeunes, notamment avec les radios, et cela au détriment d une approche publicitaire classique. L objectif était d «infiltrer» les milieux jeunes en faisant porter les messages par des acteurs légitimes pour s adresser à ce public. À titre d exemple, les actions de communication récentes menées par le CFES en direction des jeunes ont traité de la vaccination contre l hépatite B, du tabac, de l alcool, de la toxicomanie, des accidents de sport et de loisir et du sida. Dans le cadre d une réflexion de fond sur la pertinence de ses choix stratégiques et créatifs en direction des jeunes, et afin d adapter au mieux ses actions pour les années à venir, le CFES a souhaité explorer leurs codes culturels et de communication. Cette étude, qui s intitule «La communication en santé auprès des jeunes, analyses et orientations pour l action», a été pilotée par le CFES sur la base d un financement de la Cnamts. Sa réalisation a été confiée à l Institut Gaultier & Associés en octobre 1999 par décision de la commission d appels d offres du CFES. Ce travail examine l univers d expression des jeunes d aujourd hui pour voir dans quelle mesure les campagnes récentes du CFES s inscrivent dans leurs registres et/ou pourraient beaucoup plus s en rapprocher. Son enjeu réside sans doute davantage dans l appréhension des mécanismes qui fondent ces codes que dans leur inventaire. L étude se donne donc pour but d analyser les tendances actuelles en matière de communication auprès des jeunes, dans le but de mieux appréhender les approches et les ressorts les plus pertinents pour communiquer auprès de ceux-ci en éducation pour la santé. Deux sous-objectifs ont été assignés à cette étude : Effectuer un bilan prospectif des connaissances disponibles en ce qui concerne l évolution des styles de vie, des codes culturels, des valeurs des jeunes dans leurs implications avec la santé et la communication. Valider les mécanismes identifiés auprès des jeunes eux-mêmes au travers de réunions de groupe et d entretiens individuels, en analysant les facteurs d impact des actions de communication existantes: les styles les plus accrocheurs, les univers de référence auxquels ils appartiennent (musique, cinéma, jeux vidéo, etc.), les formes que doit pre n d re l information pour être acceptable, crédible, légitime ; les médias et supports à utiliser (flyers, spots TV, radio, affiches, brochures, sites web, réseaux associatifs ou informels), les émetteurs les plus crédibles (pairs, adultes, vedettes du sport, du cinéma ou de la chanson). Le document présente dans un premier temps la méthodologie utilisée durant l étude (page 15 et suiv.) ainsi qu une synthèse des résultats obtenus (page 21 et suiv.). Afin de ne pas en rester à ce que nous disent les jeunes rencontrés, les principales conclusions du rapport d étude sont ensuite mises en débat au travers d une discussion documentée (page 43 et suiv.) et aboutissent à la formulation de recommandations pour mener à bien des actions de communication en éducation pour la santé en direction des jeunes (page 65 et suiv.). 12 13

Méthodologie de l étude qualitative L étude présentée dans ce document n est pas une étude quantitative mais une étude qualitative. Les études qualitatives ont le plus souvent une vocation exploratoire : examiner un secteur inconnu, identifier les principales dimensions d un problème, formuler des hypothèses, comprendre les motivations et les freins. Elles se fondent sur une analyse en profondeur du discours d individus interviewés en groupe ou individuellement. Elles portent sur des individus sélectionnés en fonction de leur profil et selon une segmentation déterminée à partir des objectifs de l étude. Elles peuvent être une phase préliminaire à une démarche quantitative ou se suffire à elles-mêmes. Contrairement aux études quantitatives, elles n ont pas pour mission de mesurer ni de hiérarchiser et elles ne sont pas basées sur un échantillon représentatif. Cette étude s est focalisée sur les jeunes de 11 à 30 ans. La première phase de cette étude a été une phase de recherche documentaire, basée sur une revue de la littérature récente concernant la communication dirigée vers les jeunes, l interview de 21 spécialistes de la santé et de la communication et une analyse sémiologique d une sélection d annonces publicitaires dirigées vers les jeunes. Phase 1 Bilan prospectif Expertise Évaluation de Analyse de la des informations l expérience communication émise disponibles des émetteurs Recherche et analyse 21 entretiens Analyse sémiologique documentaire approfondis 15

La seconde phase de cette étude a été une phase qualitative réalisée sur la base de 24 entretiens individuels approfondis et de 6 réunions de groupe à Paris, Lille, Tours et Marseille. Phase 2 Étude qualitative Radiographie des éléments de communication sélectionnés Repérage des ressorts de communication, de leur pertinence, de leur performance Attentes Approche individuelle Approche collective 24 entretiens approfondis dont : 6 réunions de groupe dont : 12 entretiens à Paris 1 à Paris, 11-14 ans, profil sans risque 4 entretiens à Lille 1 à Paris, 19-30 ans, profil à risque 4 entretiens à Marseille 1 à Tours, 11-14 ans, profil à risque 4 entretiens à Tours 1 à Tours, 15-18 ans, profil sans risque 1 à Marseille, 15-18 ans, profil à risque 1 à Lille, 19-30 ans, profil sans risque Tranches d âge: 11-14 ans 15-18 ans 19-30 ans Segmentation selon l attitude face au risque : Personnes prenant relativement souvent des risques Personnes prenant relativement rarement des risques Chaque groupe comprenait des jeunes répartis en fonction du sexe, du niveau d instruction et du lieu d habitation (rural, semi-urbain et urbain). L étude a pris pour hypothèse que, pour les mêmes tranches d âge, les jeunes se distinguaient prioritairement en fonction de leur attitude face au risque. Dans le questionnaire de recrutement, 5 questions permettaient donc de départager les jeunes entre «prenant relativement souvent des risques» et «p renant relativement rarement des risques». Chaque tranche d âge a fait l objet d une réunion de groupe selon ce profil de risque. Les critères de sélection «preneurs de risques» / «non-preneurs de risques» sont présentés pages 74-75. Les jeunes de 19 à 30 ans pouvaient être actifs, étudiants, sans emploi mais ils n étaient pas retenus s ils étaient mariés, avec ou sans enfants. Les entretiens en réunions de groupe se sont basés sur des exemples réels de communications publiques et privées françaises et étrangères. Des supports vidéo, audio et écrits P a rmi les supports vidéo utilisés lors des entretiens individuels et les réunions de gro u p e figurent les films suivants : Prévention des cancers, film de la Ligue nationale contre le cancer (1999): le spot met en scène des jeunes «branchés» en boîte de nuit, tantôt consommant des cigarettes, tantôt buvant des verres d alcool en accéléré. Silence. Apparaît sur l écran: «20 ans est l âge idéal pour éviter un cancer à 40 ans.» Tom et Lila, prévention du tabagisme, film CFES (1997): un garçon de 18-20 ans court dans la rue. Il est interpellé par un groupe d amis qui lui demandent du feu. Il leur répond qu il ne fume plus, mais montre un briquet sur lequel est gravé un prénom de fille. Il retrouve la jeune fille qui lui reproche sa nervosité depuis qu il a arrêté de fumer et qui lui demande s ils arrêtent ou s ils continuent. Le jeune homme répond qu ils n ont qu à continuer d arrêter. Il lui lance le briquet qui tombe par-dessus le parapet du pont. Ils s éloignent en riant et en s embrassant. Arrêt sur image avec en surimpression: «La vie sans tabac, vous commencez quand?». Sur un écran noir, s affiche le numéro de téléphone de Tabac Info Service 0 803 309 310. Le bowling, prévention du sida, film australien (1991): ce spot inquiétant donne à penser que le sida peut faire de nombreuses victimes. Sur une piste de bowling assez floue, des personnages vêtus de noir et portant une faux (allégorie de la Mort) se servent de boules géantes pour renverser des gens placés là comme des quilles. Le choix des personnages un homme, une grand-mère, une petite fille, une mère et son bébé montre que le sida peut frapper n importe qui. Voix off : «Au début, les seules victimes du sida étaient les homosexuels et les toxicomanes qui se piquaient. [Une machine dépose un groupe de gens comme des quilles sur la piste de bowling]. Le fait est que plus de 50000 hommes, femmes et enfants ont actuellement le virus du sida. Mais dans trois ans, 2 000 d entre nous seront morts. [La Faucheuse lance une boule sur la piste vers le groupe.] Si on ne l arrête pas, le sida risque de faire plus de victimes parmi les Australiens que la Seconde Guerre mondiale. [La boule renverse le groupe qui est balayé par la machine. Un autre groupe prend sa place et la séquence se répète.] On peut arrêter le sida et vous pouvez y contribuer. N ayez de rapports sexuels qu avec un/une part e n a i re dont vous êtes sûr(e) ou bien utilisez toujours des préserv a t i f s. TOUJOURS.» Sandra et Marek, prévention du sida, film France 2/CFES (1995) : une jeune femme racontant son histoire d amour avec un homme séropositif. Alternance de photos et de séquences filmées du couple. Sandra confie: «Je m appelle Sandra et j ai 23 ans. Quand je t ai rencontré, je n allais pas très bien. Tout de suite, je me suis sentie attirée par toi, Marek. Tu semblais venir d une autre planète. Très vite, tu m as dit que tu étais séropositif et tu croyais que j allais m éloigner parce que moi je ne l étais pas. Mais moi je m en foutais. Je me sentais bien avec toi. On s est mis à vivre à cent à l heure. Et puis tu es tombé malade. Là, ça a été le choc. Je me suis sentie complètement impuissante. Parfois tu veux arrêter tes traitements. Et là, je dis non. T es pas tout seul. De toutes façons, le sida ne nous prendra pas ce qu on vit maintenant. C est bien à nous. Et puis même si les autres ne nous comprennent pas toujours, on s aime très fort.» Apparaît sur l écran: «Vivre avec le SIDA. Sida Info Service 05 36 66 36*.» * Numéro de Sida Info Service en 1995. 16 17

Le jeune qui va se faire dépister, film CFES (1998): la caméra suit un jeune homme chez lui, visiblement inquiet et tourmenté. On entend ce qu il se dit en lui-même: «Quel con! J ai pas mis de capote. Pourquoi j ai pas mis de capote? Je me fais dépister? Mais quand?» Une voix o ff poursuit : «Au plus vite, pour bénéficier plus vite de traitements efficaces. Il y a 300 centres de dépistage anonymes et gratuits et 180 000 médecins en France.» On retrouve le jeune homme marchant dans la rue. Apparaît sur l écran : «Sida, aujourd hui on peut faire beaucoup. Mais rien sans vous. Sida Info Service: 0 800 840 800.» postales du CFES pour la prévention de la consommation d alcool en 1999 (la route et les marques au sol d un accident, la jeune fille sur son lit et le jeune homme agressif), les affiches CFES: «Voyez votre avenir sans tabac» de 1998, les flyers CFES pour la prévention du sida, une affiche de la Prévention routière de 1999, un livret CFES: «Je stoppe la clope» (1999).* Enfin, une succession de spots et messages radio ont également été diffusés en réunion de groupe (campagnes 1998 dans le cadre de partenariats avec NRJ et Skyrock). Trop tôt, trop tard,prévention du sida, film des Pays-Bas. Le spot pose la question: «Quand devez-vous aborder la question du préservatif?» et met en scène sur un ton humoristique une succession de saynètes abordant le thème «trop tôt, trop tard». Une petite fille en salle de classe qui tend un préservatif à son amoureux, déguisé en Superman («trop tôt» s affiche à l écran). Un couple de jeunes mariés, dont la femme est enceinte et dont l homme est visiblement très embêté de la situation («trop tard»). Trois veuves et un veuf éplorés autour d un même cercueil («trop tard»). Un policier qui fouille de très près un jeune homme qui semble beaucoup apprécier la situation et qui lui propose un préservatif («trop tôt»). Une infirmière qui s apprête à faire une piqûre à un homme dont on voit les fesses en gros plan («trop tard»). Finalement, un jeune homme et une jeune femme, tous deux en sous-vêtements, allongés sur un canapé et qui sortent en même temps un préservatif. S affiche à l écran «BINGO» puis «Faites-le quand vous avez encore votre pantalon». Le jeune hémiplégique à l hôpital, promotion du port du casque à moto, film espagnol : le spot se déroule dans une chambre d hôpital sur une musique des plus bouleversantes. Il met en scène un jeune de 18-20 ans, équipé d une minerve et assis dans un fauteuil roulant. Son infirmier lui dit que ses parents sont venus lui rendre visite mais il refuse de les voir. Gros plan sur le jeune homme essayant de passer de sa chaise à son lit. La difficulté lui arrache un cri de douleur et d abattement. Silence. Sur un écran noir apparaît: «Conduire sans casque, ne pas respecter les distances de sécurité. Conséquences: lésions cérébrales et paraplégie.» Les amis accidentés, film de la Prévention routière (1999): le spot met en scène des jeunes roulant à grande vitesse à la nuit tombée, musique à fond. Un feu tricolore se profile, qui passe à l orange puis au rouge. L un des passagers pousse le conducteur à accélérer pour passer. L hésitation ne dure pas et la voiture grille le feu. La caméra se trouve tout à coup de côté et tout se passe comme si elle était dans un second véhicule qui traverserait le premier sans le perc u t e r. L accident n est pas mis en scène. On re t rouve le jeune conducteur, soulagé d être passé sans encombre. Il se tourne alors vers ses amis qui sont très sérieusement accidentés. On lit la frayeur et l horreur sur son visage. Silence. Apparaît sur l écran: «On devrait toujours penser à ce que l on risque sur la route.» Parmi les supports écrits utilisés figurent les publicités parues dans la presse écrite ciblée «jeunes» pour les marques suivantes : Kookaï, Gucci, Santé Canada, Fila, Suzuki Alstare, Pool Palace, Manix, France Télécom, Playstation, Puma, Nescafé, Bigstar, Lara Cro f t, Tampax, SNCF, BNP, Sony, Eastpak, Petit-Bâteau, OCB, Levi s Sta-Prest, Forest Hill/Aquab o u l e v a rd, Yamaha, M6, l armée de terre, Pilot bag, Axe et Hugo, Sécurité ro u t i è re, Célio, L Oréal, Jean-Paul Gaultier, Perrier. Des affiches, brochures et flyers ont également servi de supports à cette étude: des affiches CFES pour la prévention du sida en 1999 (éléphant, Kama Sutra), les affiches et cart e s * Voir cahier central. 18 19

Résultats de cette étude Les résultats de cette étude qualitative s articulent autour de quatre grands pôles de réflexion. Nous explorerons dans une première partie comment s élaborent les valeurs et les codes culturels des jeunes en nous penchant plus particulièrement sur les invariants et les nouvelles tendances. Nous verrons dans une seconde partie quelles représentations les jeunes ont de leur propre santé et dans quelle mesure ils pensent pouvoir agir sur ses différentes composantes. La troisième partie sera consacrée à l examen des tendances actuelles en matière de communication en direction des jeunes. Enfin, nous nous pencherons dans une dernière partie sur les attentes des jeunes en matière de communication sur la santé et nous verrons qu ils souhaitent avant tout de l émotion, de l immédiateté et de la proximité. Élaboration des valeurs et codes culturels des jeunes : invariants et nouvelles tendances La société des jeunes est très difficile à cerner car elle est à la fois multiple et contradictoire. Elle serait tout à la fois individualiste, tribale et universelle, individualiste et fusionnelle, égoïste et solidaire, autonome et dépendante à l égard du monde des adultes, transgressive et respectueuse des normes, voire même demandeuse de normes. L a p p roche générationnelle conduit même à penser qu il y a moins de différence entre les jeunes d un même âge dans les différents pays européens qu entre les jeunes et les adultes d un même milieu social en région parisienne, par exemple. Il existe néanmoins une grande variabilité des réactions et des approches des jeunes vis-à-vis de la santé et des comportements de santé. Ainsi, la réaction à l image d un fumeur dans un magazine, selon que le jeune qui la regarde est fumeur ou non, qu il trouve ou non l image esthétiquement attirante, le modèle attractif ou non est sujette à beaucoup de fluctuations 2. Le Crédoc a élaboré une typologie de jeunes par rapport aux risques et à la prévention des comportements à risque, où l on distingue globalement deux principaux groupes de profils : Les «sans-problèmes», «ceux qui contrôlent» : ces profils, suffisamment sociabilisés, sont 2. Gray D., Amos A., Currie C. Decoding the image - consumption, young people, magazines and smoking. An exploration of theoretical and methodological issues. Health Education Research, 12 (4), 1997, 505-17. 21

perméables à la prévention et à la communication, et plus particulièrement à des messages impliquant une responsabilisation individuelle. Les «mal dans leur peau», «les déstabilisés» et les «hédonistes», plus réticents ou plus difficiles à toucher. Cette approche rejoint l opposition «population à risque» versus «population moins exposée» qui a été choisie comme segmentation dans la phase qualitative de la présente étude. Dès l instant où l on commence à vouloir appréhender les jeunes en termes de risques et de perméabilité à la communication, l approche privilégiant le sexe et l âge s avère insuffisante. Si la communication commerciale et le marketing des grandes marques peuvent faire l économie de cette approche, il en est tout autrement pour les acteurs de la prévention. L a p p r oche par le risque renvoie à la complexité des mécanismes sociaux et psychologiques évoqués précédemment. Le risque est sous-tendu par des facteurs de fragilité personnelle liés au milieu familial et à l histoire individuelle. Il renvoie par ailleurs à des facteurs de fragilité sociale, où les inégalités en termes d accès à l éducation, aux médias, à la culture sont prégnantes. La prise de risque n est pas toujours perçue comme telle et peut être complètement inconsciente. Les comportements ordaliques des adolescents s inscrivent ainsi souvent dans une non-reconnaissance du risque ou du danger, voire dans une virtualisation totale de la mort, re n f o rcée par la culture ambiante. On peut enfin parler d une culture du risque et de l expérimentation énoncée par A. Ehrenberg dans L individu incertain 3. Les jeunes et les moins jeunes se construisent ainsi beaucoup plus qu avant dans l expérimentation et non à partir de ce qui leur est transmis par les générations précédentes. L entrée dans la vie adulte ne s effectue plus comme pour la génération précédente : la synchronie du passage adolescence/monde adulte a disparu au profit d un étirement de la période de transition, ce qui pose le problème du statut de l individu au cours de celle-ci et de sa reconnaissance par le monde adulte. Depuis le début des années quatre-vingt, le pouvoir d achat des jeunes a presque triplé en valeur absolue alors que l inflation durant cette période a été très limitée. Les jeunes restent parallèlement de plus en plus longtemps dépendants de leurs parents, ce qui en fait des personnes au statut hybride, entre l adolescence et l âge adulte. L apparition du vocable d «adulescence» en est d ailleurs symptomatique. Les jeunes vivent en fait une situation paradoxale puisqu ils sont consommateurs matures de plus en plus tôt, tout en étant des acteurs sociaux reconnus comme tels de plus en plus tard. Cette intégration de plus en plus précoce des jeunes dans le jeu de la consommation a plusieurs conséquences. En premier lieu, les jeunes ont une connaissance de plus en plus fine des règles du jeu de la société adulte et ont un besoin croissant de différenciation. Ils ont en parallèle une capacité importante d appropriation des outils et objets proposés par la société de consommation. Enfin, ils décodent parfaitement la manière dont les adultes peuvent utiliser la communication et ils ont une capacité d innovation croissante en ce qui concerne les modes d expression et les comportements de communication. Pour ne pre n d re qu un exemple, il est remarquable que le téléphone portable, dont le monde adulte a favorisé l utilisation chez les jeunes pour maintenir de manière plus ou moins implicite un contact et un contrôle, devienne support de formes de communication interne au groupe adolescent. Consommer est donc essentiel pour les jeunes de notre société. Consommer, c est prouver que l on n est pas rejeté. Consommer, c est être à la fois dépendant et autonome. Consommer, c est aussi construire son identité, exister aux yeux de l autre. Pour les adolescents issus de familles économiquement défavorisées, l impossibilité de consommer devient alors un point de rupture sociale et provoque un sentiment de non-existence. La «poly-connectivité», à savoir la capacité à vivre des relations à géométrie variable avec le monde dans lequel on vit, semble également un élément de changement important; ce qui pourrait expliquer les images contradictoires de la jeunesse qui nous sont proposées par les observateurs. La construction identitaire conduit à une affirmation de l individualité de manière relativement plus précoce, ce qui n est pas antinomique avec le besoin important de relation fusionnelle avec le groupe. L hyperprésence selon le mot des industriels rendue possible par les téléphones cellulaires, souligne cette manière paradoxale de gérer une autonomie individuelle néanmoins constamment connectée. «Plus rien ne pourra jamais vous séparer», affirme ainsi une publicité pour un réseau de téléphonie cellulaire. Corrélativement, l angoisse de séparation, voire d abandon, devient le signe cardinal de la difficulté de beaucoup de jeunes en souffrance. Dans une autre perspective, il serait erroné de considérer, comme le font certains observateurs, que l univers techno représente le signe du déclin de l individualité. Simultanément, les jeunes sont en mesure de vivre des relations de couple (en sachant que l âge de la première relation sexuelle a peu changé dans le temps) et avec le groupe des pairs. Enfin, si l ancrage des relations au sein d un cercle réduit est important (la famille, les copains de lycée, de quartier), l ouverture au monde est essentielle: les jeunes revendiquent à la fois des codes spécifiques au petit groupe auquel ils appartiennent et des codes universels, communs avec leurs pairs du monde entier. Cette «poly-connectivité» varie toutefois considérablement en fonction du milieu auquel ils appartiennent et de l accès à l éducation, à la culture, aux médias. Elle semble beaucoup plus faible chez les jeunes des milieux les plus défavorisés. Certains des experts interrogés ont évoqué le phénomène de confiscation de l idée de jeunesse et des valeurs qui lui sont attachées par le monde des adultes, rendant difficile la démarche de différenciation des adolescents et des jeunes adultes. La jeunesse est devenue depuis 20-30 ans un référent incontournable du monde des adultes, qui s en approprie les bienfaits au travers, entre autres, de la publicité. Les jeunes ont donc été confrontés à la nécessité d exprimer une jeunesse différente. La musique constitue sans nul doute un vecteur clé de cette démarche. L univers techno, dans ses formes diverses et variées, illustre clairement cette démarche, en brouillant définitivement les règles du jeu issues de la tradition «rock and roll». Cette évolution identitaire s accompagne de l émergence ou du renforcement de nouvelles valeurs et de nouvelles attitudes qui président à l élaboration et à la mise en œuvre de leurs codes. Les jeunes ont besoin de se voir reconnus dans leur individualité et dans leur sociabilité, en tant qu acteurs sociaux, et pas uniquement en tant qu acteurs de la consommation. 3. Ehrenberg A. L individu incertain.paris: Calmann-Lévy, 1995: 351. 22 23

Pour les experts rencontrés dans le cadre de cette étude, les jeunes ont également conscience d être innovateurs, de créer le mouvement, d être observés, imités, suivis. Les marques commerciales s imposent donc en véhiculant les valeurs qui fondent leur légitimité, leur personnalité, leur identité : l indépendance ; la mobilité, la liberté de mouvement ; l amour, la séduction ; la liberté d exprimer ses désirs ; l authenticité, la réalisation de soi-même ; l innovation, l imagination, la créativité ; la solidarité, la tolérance, le respect. Ces valeurs sont, somme toute, relativement universelles et traditionnelles. Leur appropriation par les jeunes tend toutefois à les dynamiser. Individualité/individualisme Mobilité À différencier de l égoïsme. Être mobile dans la société. Démontrer ses particularités, Être mobile dans l espace se démarquer des autres, pour s approprier la ville. exprimer ses désirs, ses intérêts particuliers. Être mobile dans le temps : Être en même temps comme immédiateté de la communication les autres, de manière universelle. interpersonnelle. Tolérance, universalité Respecter les autres parce qu on a besoin d être respecté. Innovation Imaginer, créer, modifier, modeler le monde à son image. Le corps et la corporalité sont dominants dans le processus d élaboration des codes c u l t u re l s, ce qui se traduit par la prépondérance de références comme la musique (qui constitue sans doute aujourd hui le prisme au travers duquel se structurent directement ou indirectement tous les autres modes d expression), le look (les «fringues», la mode) et le sport (l activité physique sous toutes ses formes). L univers culturel des jeunes est essentiellement dominé par deux types d outils : D une part, les outils qui permettent la communication et la mobilité: le téléphone et surtout le portable, les moyens de transport (deux-roues, automobiles ou transports en commun). D autre part, les outils qui médiatisent le vécu et permettent d exprimer des tensions, des conflits, des inquiétudes. On y trouve l ensemble des productions audiovisuelles (le cinéma, la radio et la télévision), les jeux vidéo (sur console, en salle d arcade, jeux de rôle, jeux de combat, etc.), les outils de l interactivité dont l utilisation se développe (Internet). L élaboration des codes de communication des jeunes repose sur un processus d appropriation permanent de codes, de signes issus de l environnement dans lequel ils vivent. Les modes d appropriation sont à la fois opportunistes (on décode, on parasite les émissions du monde adulte), mobiles, changeants (la précarité est parfois devenue style de vie et démarche d adaptation permanente). Cependant, cette appropriation diffère selon l âge et la maturité développementale. Ainsi, les plus jeunes décodent intuitivement bien les images, mais ont du mal à mettre en mots 4. Les procédés utilisés musicalement (sampling, cutting, etc.) se retrouvent également dans le processus d élaboration des codes culturels. L élaboration de ces codes passe essentiellement par cinq types de processus : la récupération, le détournement, la modification du sens originel ; la transgression ludique, la provocation ; le mimétisme, le transformisme, la dérision ; le métissage, le mélange des genres, l association d éléments a priori a n t i n o m i q u e s ; l élaboration de nouveaux rituels plus ou moins éphémères. Ces codes visent à la fois l affirmation de soi-même, la structuration de la sociabilité et du rapport aux autres, la construction d un rapport à la société, au monde des adultes. C e rtains groupes sont part i c u l i è rement dynamiques dans ce remodelage permanent des codes culturels. Il ne faut cependant pas confondre l ensemble de la jeunesse avec la minorité avant-gardiste de certains milieux qui sont des éléments moteurs et producteurs de codes. Il s agit alors d éviter l élitisme tout en constatant toutefois que les modes sont issues de petits groupes très innovants et très influents. La santé : une représentation positive et globale Les éléments recueillis au cours des entretiens et des réunions confirment les informations communiquées par les experts rencontrés lors de l étude et plusieurs constats peuvent être effectués d emblée. Tout d abord, la notion de santé existe pour tous les jeunes. Elle n est pas un sujet de préoccupation quotidien mais elle s inscrit dans la réalité. Ce n est pas une abstraction. Les jeunes interrogés ont des contacts plus ou moins fréquents avec le monde médical (les filles plus fréquemment que les garçons). L hygiène du corps semble également constituer une préoccupation. Certains professionnels comme le proviseur et l infirmière du lycée Galilée de Gennevilliers constatent que l hygiène du corps a considérablement progressé chez les garçons alors que c était un public traditionnellement réticent dans le passé. Les jeunes rencontrés lors des réunions de groupe et entretiens individuels ont une repré - sentation positive et plutôt holistique de la santé, souvent appréhendée en opposition à la mauvaise santé. La santé est associée au plaisir, à la séduction, à la liberté, à l indépendance, au bien-être, au lien avec les autres. À l opposé, être en mauvaise santé, c est se sentir mal, c est être dépendant, coupé des autres, ne plus avoir envie de rien, c est perdre tou- 4. Gray D., Amos A., Currie C. Decoding the image - consumption, young people, magazines and smoking. An exploration of theoretical and methodological issues. Health Education Research, 12 (4), 1997, 505-17. 24 25

te sensorialité. Il apparaît clairement que la santé ne peut se réduire à un discours sur le corps et sur les organes. «Quand t es en bonne santé, tu rigoles, t es énergique. Quand tu fais du sport, t as pas les yeux cernés, tu communiques avec plein de personnes.» Laetitia, 16 ans, en classe de seconde. «On peut se dire : je suis en bonne santé parce qu on est grand, on est beau, on fume pas, et en même temps avoir plein de problèmes dans sa tête. En fait, c est physique et mental à la fois. Je m estime en bonne santé parce que je vais bien dans ma tête, je m amuse bien, j ai pas de problèmes et tout ça.» Benjamin, 13 ans, en classe de 3 e. «Quand on n est pas en bonne santé, on se sent seul, on se sent exclu.» Laurianne, 22 ans, DESS technico-commercial. «Si ta chambre est mieux rangée, si on a un environnement agréable, on est mieux.» Réunion de groupe, 11-14 ans. Dans les discours tenus par les jeunes lors des réunions de groupe et des entretiens individuels apparaissent de fortes différences selon le sexe. Pour les filles, l univers santé/forme/bien-être est plus structuré et de manière plus précoce que chez les garçons. Elles lui donnent une dimension-temps plus développée («Je suis déjà ce que je serai»). Très jeunes, elles s imaginent déjà comme mères un jour. Elles ont une plus grande conscience de l intérieur du corps et elles en parlent avec plus de richesse. Elles parlent également davantage d émotions, de sensations, de plaisir, et avec moins de pudeur ou de retenue que les garçons. D emblée, les filles expriment une plus grande perméabilité à la prévention et une certaine précocité de la gestion de leur capital santé. Elles constituent d ailleurs des relais auprès des garçons dans le cadre des relations amoureuses, mais également entre elles et avec leurs copains. Pour les garçons, l univers de la santé apparaît moins structuré dans leur discours. Ils semblent vivre leur corps davantage dans l instantanéité, dans l action, dans la performance, avec une vision plus fonctionnaliste de la santé et du corps : courir, se battre, être perf o rm a n t. Enfin, on constate souvent des conflits plus ou moins explicites entre le normatif («ce qu il faut faire») et l identitaire, voire le pulsionnel («ce que j ai envie de faire pour me différencier, pour exister, pour faire comme les autres»). Des différences importantes apparaissent également en fonction de l âge des jeunes interrogés. Entre 11 et 14 ans, ils associent à la santé l hygiène (se laver les mains, bien manger, se coucher tôt) et des notions de responsabilité individuelle mais également collective (les parents). La santé est alors fortement évocatrice de la norme, des règles (faire ce que les parents et les autorités demandent, se laver les dents, se nourrir correctement). «Avoir une mauvaise santé, c est avoir mauvais caractère, répondre à ses parents, se coucher tard.» Antoine, 14 ans, en classe de 4 e. «Pour être en bonne santé il faut se laver les dents, avoir une bonne alimentation.» De 15 à 18 ans, la notion de responsabilité vis-à-vis de sa propre santé augmente en même temps que la tentation et le désir de prendre des risques. En fait, la découverte intellectuelle de la possibilité de prendre des risques découverte de l interdit va de pair avec le désir de transgression. Enfin, à partir de 18-20 ans apparaît la notion du capital santé à préserver ainsi que celle des coûts et bénéfices différés dans le temps. Cette notion apparaît plus tôt chez les filles que chez les garçons. Les jeunes rencontrés tendent à distinguer plusieurs types de risques. D une part, les risques intériorisés, générés par le monde normatif des adultes. Tout ce qui relève du pathologique (les maladies) appartient à cet univers. D autre part, les risques dont on a pris conscience après expérience (l expérience de l «accident» qu on a eu ou qu on a failli avoir). Enfin, les risques qu on accepte de prendre à un moment donné pour s affirmer, par défi, par bravade, et qui restent valorisants. En ce qui concerne ces derniers, on se situe dans la perpective classique des comportements d essai de l adolescence. L univers de la santé se caractérise également par des sources d angoisse extrêmement présentes, qui cristallisent la majeure partie des craintes. Les jeunes se sentent particulièrement exposés à certaines menaces et on retrouve dans les verbatims de nombreuses références aux risques, à l insécurité et à un univers globalement hostile. «La santé, ça me concerne et c est l angoisse. Je fais rien du tout pour la sauvegar - der. Heureusement je suis pas malade du tout, même si sur certains points je me lais - se aller. Je fume deux paquets par jour depuis l âge de 13 ans. Je bois, je me dis que le cancer c est pour dans 10, 15 ans. Ça m angoisse et d un autre coté je suis libérale, je me dis pour l instant tout va bien, je m en fous. Pour l instant, j ai aucun signe physique qui me dise stop. J attends que quelque chose se passe pour réagir. J ai fait une grosse connerie, j ai couché avec un gars qui était séropositif, sans pro - tection. Je croyais que je m en foutais, mais en fait, je m en foutais pas vraiment.» Bojane, 22 ans, étudiante en capacité de droit. «Il y a plein de menaces: l alcool utilisé en trop grande quantité, beaucoup de jeunes entre 18 et 25 ans qui meurent dans des accidents de voiture. Il y a aussi la cigarette en trop grande quantité, le sida, le cancer, les OGM, l alimentation, la pollution» Nora, 26 ans, documentaliste. Le sida est unanimement évoqué par tous les jeunes rencontrés comme source d angoisse, ce qui recoupe les données d enquêtes quantitatives 5. C est le mal absolu, qui frappe la société dans son ensemble (la mort, la menace qui porte sur l épanouissement personnel, sur le plaisir sexuel, alors qu il est devenu accessible et qu il s est dépouillé de ses interdits), mais qu on essaie d apprivoiser (il faut apprendre à vivre avec cette menace). «On est la génération sida.» Les drogues sont au centre d enjeux spécifiques car elles s inscrivent dans un rapport avec les autres jeunes, dans un système d influence. Les jeunes interrogés évoquent souvent la peur de la dépendance, de la pression des autres, de la violence, de se laisser entraîner, de ne pas pouvoir résister, d être mis hors du groupe. 5. Arènes J., Baudier F., Janvrin M.-P.J. Baromètre santé jeunes 97/98, Vanves: CFES, 1998. 26 27

Le tabac peut s apparenter à la drogue par la dimension pression du groupe, expérimentation, dépendance mais il n effraye pas autant que les autres drogues. Le tabac est parfois associé, même chez les plus jeunes, à la perspective d arrêter, voire à des tentatives d arrêter. Les filles semblent davantage sensibles au fait que fumer peut correspondre à une période et que l on arrêtera, quand on attendra un enfant par exemple. L alcool a un caractère festif, désinhibant. La modération semble une notion assez floue et l ivresse constitue une expérience parfois valorisée. «Moi, je bois quand même beaucoup. Le coma éthylique, ça m est arrivé une fois, c était dans l ambiance, c est ridicule.» Cyril, 22 ans, à la re c h e rche d un emploi. «Avoir pris une bonne cuite, ça fait partie de l expérience personnelle.» Tous les jeunes interrogés font un lien très immédiat et très fort entre alcool et conduite automobile et ils admettent majoritairement qu on ne devrait pas conduire après avoir bu. Les accidents de la r o u t e sont également unanimement évoqués. Ils sont synonymes d horreur, de victimisation, de perte de proches. Les accidents sont souvent perçus comme générés par le monde des adultes meurtrissant des jeunes. «Je ne supporte pas les gens qui conduisent bourrés. Moi quand je nage bourré c est pas la vie des autres que je mets en jeu.» Réunion de groupe, 19-30 ans, Paris. Les accidents consécutifs à la pratique du spor t ont un statut particulier dans le domaine des accidents. Ils sont associés à la responsabilisation vis-à-vis de soi-même, à l évaluation de ce que l on est capable de faire. Les jeunes évoquent souvent un accident de sport comme une expérience valorisante. Enfin, la violence entre jeunes apparaît comme traumatisante et anxiogène. Elle victimise mais de manière différente des accidents évoqués précédemment. Elle est omniprésente, imprévisible, soudaine, gratuite. Cette violence fait peur et on a peu de prise sur elle. Elle semble inhérente à la vie en milieu urbain. Les jeunes sont alors demandeurs de «trucs» pour la gérer, la canaliser. Cependant, pour tous, la santé est quelque chose sur quoi on peut agir dès le plus jeune âge par une discipline personnelle ou par le respect de certaines règles. L idée que l on peut faire quelque chose pour sa santé est spontanément présent chez tous les jeunes rencontrés, tout âge confondu. La santé peut avoir une dimension d auto-re s p o n s a b i l i s a t i o n, mais aussi de responsabilisation à l égard des autres. «La santé, ça dépend de soi aussi.» «Il y a deux maladies, celle qu on provoque, et celle qui nous tombe dessus.» Réunion de groupe, 11-14 ans. «Si on essaie de faire moins de choses qui sont nocives pour le corps et qu après il nous arrive quelque chose, déjà, c est bien moins nocif.» Benjamin, 13 ans, en classe de 3 e. «Y a des risques qui dépendent beaucoup de soi le tabac, l alcool mais on peut se laisser influencer.» Vincent, 18 ans, cuisinier. «Comme fumeur passif, si on est le seul non-fumeur dans son entourage, on subit.» Réunion de groupe, 11-14 ans. En définitif, la notion de santé telle qu elle est spontanément décrite par les jeunes rencontrés fait appel à trois pôles de bien-êtr e physique, psychique et social comme le résume la figure ci-après : Être bien dans sa peau Ne pas être malade Ne pas en être diminué Avoir la pêche Ne pas être isolé chez soi, dans son lit Santé Être bien avec les autres Absence de violence Ne pas faire de mal aux autres Appartenir à un groupe Respecter les autres Pouvoir sortir entres copains Communiquer, échanger, partager, donner Être bien dans sa tête Absence de stress Absence d angoisse Capter Être utile Participer, être ouvert Séduire Enfin, les jeunes rencontrés ont souvent l i m p r ession de manquer d information et ils expriment spontanément leurs attentes envers les institutions. En même temps, ils ont fortement l impression que certains thèmes sont insuffisamment développés par rapport à ce qui les préoccupe réellement et qu on ne parle pas de ce qui les intéresse vraiment. On constate, en effet, une demande persistante sur les modes de contamination et de traitement du sida, sur les dommages de la consommation de tabac, d alcool, de drogues et sur la signification de la modération. Cette demande d information reste cependant extrêmement ambivalente. «J aimerais bien savoir plus de choses sur les drogues douces, sur leurs effets réels.» Yoann, 15 ans. 28 29