L INDUSTRIE DE L ÉLECTRICITÉ : RÉGLEMENTATION, STRUCTURE DU MARCHÉ ET PERFORMANCES

Documents pareils
LE MARCHE FRANCAIS ET EUROPEEN DE L ELECTRICITE. Conférence Centrale Energie, 19 Janvier 2011

La situation en matière de pension privées et de fonds de pension dans les pays de l OCDE

Âge effectif de sortie du marché du travail

REGARDS SUR L ÉDUCATION 2013 : POINTS SAILLANTS POUR LE CANADA

Agricultural Policies in OECD Countries: Monitoring and Evaluation Les politiques agricoles des pays de l OCDE: Suivi et évaluation 2005.

MIEUX TRAVAILLER AVEC L ÂGE

Nom. les. autres États. n de l aviation. Organisation. ATConf/6-WP/49 14/2/12. Point 2 : 2.2. Examen de. des accords bilatéraux. consultées.

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

Actifs des fonds de pension et des fonds de réserve publics

VI. TENDANCES DE L INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER DANS LES PAYS DE L OCDE

Quel est le temps de travail des enseignants?

Le creusement des inégalités touche plus particulièrement les jeunes et les pauvres

Étude EcoVadis - Médiation Inter-Entreprises COMPARATIF DE LA PERFORMANCE RSE DES ENTREPRISES FRANCAISES AVEC CELLE DES PAYS DE L OCDE ET DES BRICS

La publication, au second

Le travail est-il le meilleur antidote contre la pauvreté?

à la Consommation dans le monde à fin 2012

Le contenu en CO2 du kwh électrique : Avantages comparés du contenu marginal et du contenu par usages sur la base de l historique.

Les tendances du marché de. la production d électricité. dans le monde. participation d entreprises privées locales ou internationales

Niveau de scolarité et emploi : le Canada dans un contexte international

1. La production d électricité dans le monde : perspectives générales

Production électrique : la place de l énergie éolienne

Quelle part de leur richesse nationale les pays consacrent-ils à l éducation?

ANALYSE. La transition énergétique allemande à la recherche de son modèle

Cet article s attache tout d abord

CHAPiTRE 2 LE SYSTÈME ÉLECTRIQUE FRANCAIS,

Améliorer la gouvernance des Services Publics d'emploi pour de meilleurs résultats sur l'emploi

L équilibre offre-demande d électricité en France pour l été 2015

Le point sur les marchés des pensions. des pays de l OCDE OCDE

L offre d énergie: une comparaison France, Allemagne et Japon. Par Pierre Lasserre, Sciences économiques Université du Québec à Montréal

LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE

Le montant des garanties constituées aux fins du STPGV est-il excessif?

Comparaisons internationales de la dette

TROISIEME REUNION DU FORUM SUR L ADMINISTRATION FISCALE DE L OCDE

NOTE D INFORMATION n 01 Janvier 2014

Les perspectives économiques

LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : UNE COMPARAISON DE LA POLITIQUE DES «35 HEURES» AVEC LES POLITIQUES D AUTRES PAYS MEMBRES DE L OCDE

Programme «Société et Avenir»

Norme comptable internationale 7 Tableau des flux de trésorerie

L indice de SEN, outil de mesure de l équité des systèmes éducatifs. Une comparaison à l échelle européenne

COMPTE RENDU. Atelier-débat avec les futurs clients éligibles. 25 septembre 2002

Développement rural Document d orientation

AMÉLIORER LE RAPPORT COÛT-EFFICACITÉ DES SYSTÈMES DE SANTÉ

Le nouvel indice de taux de change effectif du dollar canadien

Le gaz de schiste «pertubateur» du marché de l électricité? Jacques PERCEBOIS Directeur du CREDEN Professeur à l Université de Montpellier I

Un cadre d action pour une croissance verte

CONFERENCE DE PRESSE > LANCEMENT DU «MANIFESTE POUR UNE SOCIÉTÉ POSITIVE»

L énergie en France et en Allemagne : comparaisons

Investissements et R & D

Régimes publics de retraite État de la situation. Perspectives des différents régimes publics de retraite. Plan

Projet de loi sur l ouverture à la concurrence du secteur des jeux d argent et de hasard en ligne. Jeudi 5 mars 2009

Les enfants laissés pour compte

L Europe des consommateurs : Contexte international Rapport Eurobaromètre 47.0

OBSERVATOIRE DE L EPARGNE EUROPEENNE

DES PAROLES ET DES ACTES : LES 4 MENSONGES DE MONSIEUR LENGLET

ASSURANCE-LITIGE EN MATIÈRE DE BREVETS

Énergie et Mondialisation

SOMMAIRE. AVRIL 2013 TECHNOLOGIE ÉTUDE POINTS DE VUE BDC Recherche et intelligence de marché de BDC TABLE DES MATIÈRES

Principaux partenaires commerciaux de l UE, (Part dans le total des échanges de biens extra-ue, sur la base de la valeur commerciale)

E-COMMERCE VERS UNE DÉFINITION INTERNATIONALE ET DES INDICATEURS STATISTIQUES COMPARABLES AU NIVEAU INTERNATIONAL

Market Data Feed. Maîtrisez le flux.

Les perspectives mondiales, les déséquilibres internationaux et le Canada : un point de vue du FMI

Canada-Inde Profil et perspective

L incidence des hausses de prix des produits de base sur la balance commerciale du Canada 1

TROIS ASPECTS DE LA COMPARAISON ALLEMAGNE-FRANCE SUR L ELECTRICITE

Comment avoir accès à la valeur de rachat de votre police d assurance vie universelle de RBC Assurances

3CB La Centrale à Cycle Combiné de Bayet

PROFITEZ DE DONNÉES DE CLASSE MONDIALE. Creditsafe lance une suite de solutions conçues pour accompagner votre développement à l international

Rapport financier du premier trimestre de

Pension AOW pour les assurés hors des Pays-Bas

Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

Supporting deployment of low-carbon technologies in the ETC and SEMED regions

Le FMI conclut les consultations de 2008 au titre de l article IV avec le Maroc

MARCHÉ DE L ÉLECTRI- CITÉ : CONCURRENCE ET DÉSENCHEVÊTREMENT DU «SWISS GRID»

GDF SUEZ. Branche Energie Europe et International. Jean-Pierre Hansen

23, , en % du chiffre d affaires net 4,4 5,3 8,4 3,0. Investissements / Désinvestissements nets

CHAPITRE 3 ÉPARGNE ET INVESTISSEMENT DES ENTREPRISES : ÉVOLUTIONS RÉCENTES ET PERSPECTIVES

Intraday Pricing Service. Votre traitement instantané quand vous le souhaitez.

La transition énergétique L Energiewende allemande. 7 Conclusions clés. Une initiative de la Fondation Heinrich Böll Publié le 28 novembre 2012

Compétitivité française : Quelques constats

Bilan électrique français ÉDITION 2014

Les concepts et définitions utilisés dans l enquête «Chaînes d activité mondiales»

La révision des indices du cours du franc suisse, nominaux et réels, pondérés par les exportations

la séparation totale des activités des postes et télécommunications;

CENTRALES HYDRAULIQUES

L énergie nucléaire au sein du mix énergétique belge

Avis n sur la méthodologie relative aux comptes combinés METHODOLOGIE RELATIVE AUX COMPTES COMBINES

BULLETIN OFFICIEL DES DOUANES ET DES IMPOTS. Texte n DGI 2011/25 NOTE COMMUNE N 16/2011

Libéralisation des industries électriques et analyse économique

La coordination des soins de santé en Europe

Bioénergie. L énergie au naturel

Contribution des industries chimiques

Les coûts de la chaleur issue d une chaudière collective au gaz et d un réseau de chaleur au bois

Le Québec en meilleure situation économique et financière pour faire la souveraineté

PERSISTANCE D UN HAUT NIVEAU DE CHÔMAGE : QUELS RISQUES? QUELLES POLITIQUES?

LES RETRAITES. Dossier d information. Avril 2010

L'ouverture à la concurrence

Transcription:

Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I L INDUSTRIE DE L ÉLECTRICITÉ : RÉGLEMENTATION, STRUCTURE DU MARCHÉ ET PERFORMANCES Faye Steiner TABLE DES MATIÈRES Introduction... 160 L industrie de l électricité... 162 Décomposition fonctionnelle de l industrie de l électricité... 163 Progrès technologiques dans l industrie de l électricité... 165 Cadre réglementaire et réforme de la réglementation... 166 Raisons du changement... 166 Schémas de réforme... 167 Réforme de la réglementation, structure des marchés et de l industrie et régime de propriété... 171 Synthèse de la réforme de la réglementation pour les besoins de l analyse empirique... 174 Évaluation des effets de la réforme de la réglementation sur les résultats de l industrie de l électricité... 180 Approche empirique... 180 Données sur les performances... 182 Difficultés empiriques... 185 Résultats empiriques... 187 Conclusions et axes de recherches futures... 195 Faye Steiner, Université de Stanford. Cet article a été rédigé alors que l auteur était consultante au Département des Affaires économiques de l OCDE. L auteur adresse ses remerciements à Giuseppe Nicoletti, Jørgen Elmeskov et Nick Vanston pour l aide, les informations et les commentaires qu ils lui ont fournis ainsi qu à Michael P. Feiner, Rauf Gönenç, Jens Høj et Peter Fraser pour leurs observations instructives concernant les versions antérieures de cet article. Les entretiens avec Sally van Siclen, Carlos Ocana, John Paffenbarger, Lawrence Metzroth, Karen Treanton et Erkki Adourian ont été très fructueux. Martine Levasseur a apporté son aide pour la partie statistique. La contribution financière de la Commission européenne a été grandement appréciée. Les opinions exprimées dans cet article n engagent que son auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l OCDE ou de la Commission européenne. 159

INTRODUCTION Dans une économie, la production et l alimentation en électricité sont vitales. L électricité intervient dans la production de la quasi-totalité des biens et services, mais elle est aussi, en grande quantité, consommée directement par les ménages. Aux États-Unis, par exemple, les ventes annuelles d électricité dépassent 200 milliards de dollars, et l industrie de l électricité représente environ 3.2 pour cent du PIB et 5 pour cent de la formation brute de capital fixe (1994) 1. En outre, le secteur de l électricité a connu un rythme de croissance au moins aussi rapide que le PIB. Dans les années 60, la production d électricité a progressé au rythme de 7.6 pour cent par an, puis de 4.4 pour cent, dans les années 70, et de 2.8 pour cent, dans les années 80. Les projections donnent une croissance annuelle de 2 à 2.6 pour cent jusqu en 2005. Ces taux de croissance dépassent ceux de la consommation totale d énergie finale et de l offre totale d énergie primaire. Ils suivent le rythme de croissance du PIB quand ils ne progressent plus vite. En outre, alors que l intensité énergétique baisse depuis 1973, l intensité électrique, elle, a suivi une progression inverse : la part de l électricité dans la consommation d énergie finale a plus que doublé entre 1960 et 1989, passant de 8.3 pour cent à 17.2 pour cent 2. 160 Ces dix dernières années, le cadre réglementaire dans lequel s inscrit l industrie de l électricité a commencé à se transformer. Un petit nombre de pays de l OCDE ont mis en œuvre de nouvelles réglementations destinées à stimuler la concurrence par la libéralisation de l industrie en s efforçant surtout de réorganiser les fonctions qui ne relèvent pas du monopole naturel 3. Certains pays de l OCDE notamment ont adopté des lois introduisant la concurrence à la production et sur le marché de détail et pour ce faire ont dissocié ces fonctions de la partie «réseau» de l activité, ce qui permet aux nouveaux entrants d avoir accès aux réseaux existants, et en créé des marchés où les prix sont déterminés par l offre et la demande. Même pour ces pionniers, les réformes ont été longues à mettre en place, de sorte qu une poignée seulement de pays peut se vanter d avoir accompli de réels progrès en direction de la concurrence 4. Aujourd hui, d autres pays de l OCDE sont sur le point de libéraliser le secteur, notamment les pays de l Union européenne, qui sont tenus de respecter les délais prescrits par la Directive sur l électricité de l Union européenne pour l établissement du marché intérieur de l électricité en Europe 5.

L industrie de l électricité : réglementation, structure du marché et performances La plupart des dirigeants et des économistes sont de l avis que la libéralisation du secteur de l électricité doit, en provoquant des baisses de prix, améliorer le bien-être des consommateurs. Cependant, il n existe pas de consensus quant aux réformes spécifiques de la réglementation à réaliser pour tirer pleinement parti de la concurrence. Parmi les pays qui ont lancé des réformes, certains se sont concentrés sur la libéralisation de l industrie de l électricité, d autres ont choisi d en privatiser certains segments et d autres encore ont combiné les deux solutions. Ces variations dans les formules choisies par les pays pour libéraliser et privatiser ce secteur constituent pour l analyste une bonne base d étude des avantages de la réforme. En général, on cherchera à savoir si l introduction de la concurrence apporte de réelles améliorations de l efficience et des prix de l alimentation en électricité. De même, il est possible d évaluer l impact de la privatisation seule ou associée à la libéralisation, sur les performances de l industrie de l électricité. Pour une analyse fine des politiques possibles, la réflexion portera sur les réformes les plus susceptibles d aviver la concurrence ainsi que sur les corrélations existant entre les divers schémas institutionnels et régimes de propriété et les améliorations des performances 6. Les travaux empiriques consacrés à des réformes de grande envergure opérées sur un seul marché 7 pas plus que d autres études anecdotiques des modifications de la réglementation dans un pays particulier 8 ne permettent de dégager des conclusions générales concernant les politiques à suivre parce que ce type d étude n établit pas de distinction entre les effets de la réforme et les spécificités nationales. Nous nous efforcerons donc, dans cet article, de les dissocier en nous appuyant sur des données (comparables) relatives à la réglementation, la structure de l industrie et ses performances dans plusieurs pays. A partir de documents de l Agence Internationale de l Énergie (AIE) et d autres sources, nous avons établi un jeu de données de panel afin de procéder à une comparaison empirique de l expérience de 19 pays de l OCDE entre 1986 et 1996. Pour cette collecte de données et la comparaison empirique, nous nous sommes intéressés au segment de la production de l industrie de l électricité, soit le lieu de la plupart des innovations technologiques et initiatives réglementaires. Nous avons en particulier établi des indicateurs de la structure réglementaire et industrielle qui font la synthèse des informations obtenues sur le calendrier et l étendue de la libéralisation de l entrée dans la production, la structure de propriété et la privatisation des opérateurs historiques, l intégration verticale et la séparation fonctionnelle de l industrie, les règles gouvernant l accès des tiers au réseau national et la participation à un marché de l électricité, le cas échéant. En revanche, nous n avons pas prévu d indicateurs de séparation horizontale dans l analyse, c est-à-dire de concentration du marché, parce qu ils ne varient pas de façon significative dans la plupart des pays, ni sur le gros de la période considérée, ce qui dénote des conditions de monopole (souvent légales). Les indicateurs de structure réglementaire et industrielle 161

Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I servent ensuite à effectuer des régressions sur données de panel afin d en évaluer l impact sur des mesures de l efficacité productive des centrales (utilisation de la capacité et de la réserve, une mesure de la capacité de satisfaire la demande de pointe), ainsi que sur les prix de détail de l électricité (prix de détail payés par les industriels et différence entre les prix payés par les industriels et par la clientèle domestique). Dans les régressions, les effets-pays sont maîtrisés en exploitant la dimension internationale et chronologique des données. Cet article s organise comme suit. Dans la deuxième partie, nous décrirons les caractéristiques économiques et technologiques de l industrie de l électricité qui importent le plus pour la réforme de la réglementation. La troisième partie, consacrée au cadre réglementaire et au processus de réforme, expliquera les raisons du changement et décrira les formes de réglementation actuelles. Dans cette partie, les méthodes statistiques de l analyse factorielle et de l analyse hiérarchique servent à décrire les indicateurs de la réglementation. Dans la dernière partie, nous analyserons l approche empirique et les difficultés qu elle soulève, et nous présenterons quelques résultats et conclusions. L INDUSTRIE DE L ÉLECTRICITÉ 162 Dans l industrie de l électricité, la réglementation se justifie essentiellement par l existence de conditions de monopole naturel et d externalités et par la notion de bien public 9. Cette situation résulte de spécificités économiques de l électricité qui ne peut être stockée. Cette impossibilité de stocker l électricité signifie que la taille des marchés diminue avec le temps, et qu elle est déterminée par la demande instantanée plutôt que par la demande sur une longue période. Par conséquent, une seule entreprise a plus de chances de desservir les clients sur un marché donné à l échelle d efficacité minimale. En outre, la demande d électricité subit d importantes variations cycliques, saisonnières et aléatoires à court et à long terme. De plus, pour répondre aux attentes des clients, la desserte doit être continue, fiable et se faire à fréquence et tension constantes 10. D où l obligation pour les producteurs d électricité d avoir une réserve tournante et d être capables de redémarrer hors tension 11. Cet impératif de la continuité de l offre, tandis que la demande varie, signifie que les fournisseurs doivent posséder une surcapacité s ils veulent pouvoir passer les pointes de la demande. Une compagnie d électricité qui élargit sa clientèle peut réduire sa puissance en réserve dans la mesure où le regroupement de clients ayant des demandes hétérogènes permet en fait de répartir les risques et, partant, d abaisser les frais d exploitation et les coûts en capital par client. En résumé, les conditions sont réunies pour qu une structure monopolistique obtienne des rendements d échelle croissants et une meilleure maîtrise des coûts.

L industrie de l électricité : réglementation, structure du marché et performances Par ailleurs, des externalités découlent du fait que le fonctionnement ou le dysfonctionnement de chaque groupe de production se répercute sur la totalité du réseau interconnecté. Il faut savoir également que l investissement dans la capacité de production passe par un difficile travail d optimisation dynamique dans des conditions incertaines, comporte des externalités liées au fait que l ajout ou la suppression de capacité influe sur la totalité du réseau et fait intervenir la notion de bien public dans la mesure où toute extension du réseau de transport bénéficie à l ensemble des producteurs et des consommateurs. Ces deux dimensions, à savoir les externalités et la notion de bien public, plaident en faveur de la planification et de la coordination du réseau électrique, ce pourquoi le monopole naturel est plus efficace. Décomposition fonctionnelle de l industrie de l électricité Bien que l offre de l électricité se caractérise, en général, par des conditions de monopole naturel, des externalités et la notion de bien public, il existe certains segments fonctionnels qui ne possèdent pas ces propriétés économiques. L industrie de l électricité peut être subdivisée en quatre fonctions : la production, le transport, la distribution et l alimentation. Cette répartition fonctionnelle est particulièrement importante pour la compréhension des récentes évolutions de la réglementation. Il existe entre ces fonctions des différences technologiques et économiques, et c est à ce niveau de décomposition que l on s est efforcé de réformer la réglementation. Produire de l électricité consiste à transformer une forme d énergie en énergie électrique. On peut utiliser, pour ce faire, du pétrole, du gaz naturel, du charbon, de l énergie nucléaire, de l énergie hydraulique (chute d eau), des combustibles renouvelables, des éoliennes et les technologies photovoltaïques. Les différentes techniques de production se distinguent par leur structure de coûts. Les principales composantes du coût de la production de l électricité sont les prix des combustibles (livrés), les coûts en capital et les coûts d exploitation et de maintenance. Ces coûts varient également avec les performances de la technologie de production (facteur de charge, rendement thermique et durée de vie de l installation) 12. La production nucléaire se caractérise par de forts coûts en capital, dus en partie aux délais de construction très longs (frais financiers) et aux coûts du déclassement (coût de la mise hors service de l installation à la fin de sa durée de vie). Dans le cas du nucléaire, l opposition du public à la technologie et au stockage des déchets peut également entraîner d importantes charges fixes. En revanche, les coûts du combustible et les coûts d exploitation (coûts variables) des installations nucléaires sont faibles et sont assez stables sur toute la durée de vie d une centrale. Les coûts de la production hydraulique dépendent en grande partie de la géographie et du climat. Cette technique possède de faibles coûts variables. Les prix des combustibles représentent une bonne part des coûts de la production 163

Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I 164 d électricité dans des centrales au charbon, au fioul et au gaz naturel de sorte que les coûts variables de la production thermique dépassent ceux de la production nucléaire 13. Cependant, les coûts fixes de la production thermique classique sont en général plus faibles que ceux de la production nucléaire, en particulier ceux des centrales au gaz, dont les délais de construction sont très courts. La diversité des techniques de production et des structures de coûts est à l origine de l ordre d efficacité économique, à savoir le principe qui consiste à démarrer les différents types de groupes de production en fonction de leurs coûts variables. Les centrales nucléaires et, souvent, les centrales hydrauliques et au charbon, sont utilisées en base, tandis que les autres centrales thermiques assurent la semi-base ou les pointes. Parce qu elle permet de réduire la puissance à conserver en réserve et facilite l équilibrage de l offre et de la demande d électricité en temps réel, la diversification du parc de production apporte des gains d efficience. L ordre d efficacité économique, avec les gains d efficience associés, devrait aussi entraîner des baisses des prix de l électricité. Dans le transport et la distribution, on inclut les fonctions de réseau. Le transport recouvre l acheminement à haute tension de l électricité. Toutefois, cette fonction ne se limite pas au transport et comporte la gestion de groupes de production éparpillés sur un réseau de façon à maintenir la tension et la fréquence nécessaires et à éviter l écroulement du système. Le transport constitue un monopole naturel dans la mesure où la concurrence sur ce segment reviendrait à reproduire le réseau existant (un doublement des réseaux haute tension CA et la concurrence entre coordinateurs de réseaux auraient pour effet d augmenter les coûts du transport). Dans le transport, la réglementation s opère normalement par le taux de rendement, formule qui, d après l étude classique d Averch et de Johnson (1962), entraîne un surinvestissement en capital et son corollaire, l incapacité de minimiser les coûts 14. La coordination des groupes de production selon l ordre d efficacité économique se situe entre la production et le transport. De ce point de vue, l intégration de la production et du transport autorise des économies d échelle si elle permet d internaliser les externalités résultant de la dispersion des producteurs dont les investissements et les décisions d exploitation se répercutent sur la totalité du réseau. En revanche, si la production (qui n est pas en soi un monopole naturel) et le transport sont intégrés, les problèmes de réglementation et d efficience propres au transport, dans le cas de la réglementation par le taux de rendement, risquent de s étendre à la production. La distribution désigne l acheminement de l électricité à basse tension. Comme le transport, elle est généralement considérée comme un monopole naturel et, de la même manière, l introduction de la concurrence sur ce segment se traduirait par une multiplication des lignes. A l inverse de ce qui se passe pour le transport à haute tension, son intégration avec la production ne présente aucun intérêt.

L industrie de l électricité : réglementation, structure du marché et performances Enfin, l alimentation en électricité désigne la vente d électricité aux clients finals. Cette activité recouvre le comptage, la facturation et le marketing et peutêtre une activité de gros ou de détail. L alimentation n est pas considérée comme un monopole naturel, et son intégration avec d autres fonctions ne présente pas d avantage notable. Chacune de ces fonctions contribue aux coûts de l offre de l électricité aux clients finals. Sur la base d estimations effectuées pour le Royaume-Uni, nous avons illustré sur le graphique 1 la part de chaque fonction dans le coût total de l électricité. On peut voir que la production représente la plus forte proportion du coût de l offre de l électricité. Graphique 1. Décomposition des coûts de la fourniture d électricité selon les différentes fonctions au Royaume-Uni Distribution 20 % Fourniture 5 % Transport 10 % Production 65 % Source : OCDE. Progrès technologiques dans l industrie de l électricité En abaissant l échelle d efficacité minimale, les progrès technologiques ont multiplié les possibilités de concurrence à la production. La mise au point de la turbine à gaz en cycle combiné a fortement amélioré le rendement thermique et réduit le seuil de rentabilité des installations, qui est passé de 1000 MW au début des années 80 pour atteindre 50 à 300 MW aujourd hui 15. Avec de faibles coûts variables, cette technologie est adaptée à la charge de base en production d électricité. Autre avantage, les délais de construction et de planification sont moins longs. A la même époque, de nombreux pays se sont intéressés de plus près à la production d électricité à partir d énergies renouvelables, soit des projets qui, en 165

Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I général, sont de petite taille et, de plus, privés ou détenus par des entités locales. Certains pays ont également choisi de recourir davantage à la cogénération qui permet de réduire la taille optimale des installations. Compte tenu de la nature de ces progrès technologiques, nous nous concentrerons dans ce document sur la fonction de production. Au cours des dix dernières années, les réformes de la réglementation ont essentiellement porté sur la séparation de la production des autres fonctions et sur l introduction de la concurrence dans la production. L analyse empirique du segment production peut, de ce fait, exploiter la variabilité géographique et temporelle des systèmes de réglementation de la production et des structures industrielles. Inversement, une analyse du transport et de la distribution ne serait pas aussi riche d enseignements concernant les politiques possibles. Bien que n échappant pas à la réglementation, ces fonctions, en tant que monopoles naturels, ne devraient pas être libéralisées à l avenir. De plus, si l influence des dispositions réglementaires sur le transport et la distribution intervient dans l analyse, nous n avons pas cherché à en tirer des conclusions concernant l action publique en dehors du segment de la production. CADRE RÉGLEMENTAIRE ET RÉFORME DE LA RÉGLEMENTATION 166 Raisons du changement Les caractéristiques économiques et technologiques de l industrie de l électricité ont marqué l évolution de la réglementation ainsi que de la structure du capital et des marchés dans ce secteur. Comme le transport et la distribution sont des monopoles naturels, l ensemble de l industrie a été assimilé à un monopole naturel, ce qui laissait penser que le monopole légal était un cadre réglementaire efficace. D un autre côté, le monopole s accompagne également de pertes nettes lorsque le monopoleur, cherchant à optimiser ses bénéfices, facture des prix supérieurs au coût marginal. C est ce qui a conduit les pouvoirs publics à adopter deux types de formules : le monopole public intégré ou des entreprises d électricité privées réglementées. De nombreux pays (par exemple, l Irlande, la France, la Grèce et l Italie), partant du principe qu une entreprise publique ne cherche pas à maximiser ses bénéfices et que cette forme juridique permettrait d améliorer le bien-être des consommateurs, ont regroupé et nationalisé leurs industries électriques pour créer des monopoles publics légaux. Dans une variante de cette formule, on trouve des monopoles légaux régionaux (exemple de l Allemagne). Dans le cas de monopoles privés mais réglementés, les entreprises sont supposées rechercher le maximum de bénéfices, et la réglementation sert à en atténuer les effets préjudiciables au consommateur. Les régulateurs de monopoles privés s intéressent surtout à la tarification et appliquent souvent une réglementation par le taux de rendement. Les États-Unis et le Japon illustrent bien le cas des monopoles régionaux privés mais néanmoins réglementés. Pourtant, même aux

L industrie de l électricité : réglementation, structure du marché et performances États-Unis, les instances publiques régionales conservent une bonne part du capital et un rôle opérationnel significatif dans des segments de l industrie. Dans la plupart des pays, que les entreprises d électricité soient publiques ou privées, centralisées ou régionales, la séparation verticale vient seulement de commencer. Les préférences technologiques ont également déterminé la structure du capital et des marchés. Certaines technologies de production, comme la production hydraulique, sont liées à des capitaux publics car, souvent, l État détient les droits de propriété et les ressources financières nécessaires à la construction d importants projets hydroélectriques. L échelle d efficacité minimale de la production a, de plus, évolué au gré des options technologiques. C est ainsi qu à la suite des chocs pétroliers, on a privilégié les grands projets nucléaires tandis qu avec l avènement de la turbine à gaz en cycle combiné, les installations de petite taille sont devenues très populaires. Si les technologies font appel à des installations très importantes à forts coûts fixes, l État en assure souvent le financement, alors que les technologies à petite échelle laissent plus de place à l investissement privé. Schémas de réforme Le mouvement actuel de libéralisation de l industrie de l électricité se caractérise par d importantes différences entre pays dans le calendrier et la démarche choisis. En général, cette réforme se concentre sur la séparation fonctionnelle de la production et du transport, l introduction de la concurrence à la production et l ouverture de l accès au réseau. A des stades plus avancés, on trouve la constitution de marchés spot de l électricité, sur lesquels s établissent les prix et les échanges d électricité, et le libre choix de son fournisseur. Enfin, les étapes ultimes de la réforme peuvent également comprendre le passage d une tarification du transport par le taux de rendement (fondée sur les coûts) à une tarification de type price-cap (plafonnement des prix). Le calendrier et l importance des réformes de la réglementation ainsi que la réaction des intervenants sur le marché varient considérablement suivant les pays. On trouvera sur les tableaux 1 à 3 une synthèse de la situation en 1998 de la réglementation et de la structure des marchés dans les pays de l OCDE représentés dans l échantillon. Comme le montre le tableau 1, en 1998, de nombreux pays avaient libéralisé l accès aux réseaux de transport et de distribution. Dans la plupart des cas, la formule de l ATR réglementé a été adoptée. Cette formule prévoit l obligation juridique d assurer l accès au réseau dans des conditions non discriminatoires. L ATR réglementé s impose si l on veut permettre à de nouveaux producteurs d entrer sur un marché concurrentiel et au consommateur de choisir son producteur/fournisseur. En l absence d ATR réglementé, la libéralisation de l entrée sur le marché et la 167

168 Australie Tableau 1. Réforme de la réglementation dans l industrie de l électricité en 1998 Libéralisation ATR Marché de l électricité Electricity Industry Act pour l État de Victoria (1994) ATR réglementé National Electricity Market (1997), Vic Pool (1994) Tarification du transport Fondée sur les coûts Belgique Néant Néant Néant Fondée sur les coûts Canada Néant Néant Pool de l Alberta (1996) Fondée sur les coûts Danemark Finlande Amendement à la loi danoise sur l électricité (1996, entrée en vigueur en 1998) Loi sur le marché de l électricité (1995) ATR réglementé Néant ATR réglementé Bourse de l électricité finlandaise (1995) Fondée sur les coûts Fondée sur les coûts France Néant Néant Néant Fondée sur les coûts Allemagne Loi sur la fourniture de l électricité et du gaz (1998) ATR négocié Néant Fondée sur les coûts Seuil d ouverture 1 État de Victoria : 1994 5 MW, 1995 1 MW, 1996 750 MWh/an, 1998 160 MWh/an, 2001 0 kw Distribution : 1 MW Aucune liberté de choix Aucune liberté de choix 1995 500 kw, 1997 0 kw Aucune liberté de choix 1998 0 kw Grèce Néant Néant Néant Aucune liberté de choix Irlande Néant Néant Néant Aucune liberté de choix Italie Néant Néant Néant Price cap Aucune liberté de choix Japon Amendement à la loi sur l industrie ATR négocié Néant Fondée 1998 2 MW de l électricité (1995) sur les coûts Pays-Bas Loi sur l électricité (1989) Néant Néant Néant Aucune liberté de choix Nouvelle-Zélande Energy Act and Companies Act (1992) ATR réglementé Electricity Market Company (1996) Norvège Loi sur l énergie (1990) ATR réglementé Bourse norvégienne de l électricité (1991), NordPool (1996) 1993 500 kw, 1994 0 kw Price cap 1991 0 kw Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I

169 Tableau 1. Réforme de la réglementation dans l industrie de l électricité en 1998 (suite) Libéralisation ATR Marché de l électricité Tarification du transport Portugal Néant Néant Néant Fondée sur les coûts Espagne Loi sur l électricité (1994) ATR négocié Néant Fondée sur les coûts Seuil d ouverture 1 1998 1 GW Suède Projet de loi de 1992 adopté en 1996 ATR réglementé NordPool (1996) Néant 1996 0 kw Royaume-Uni Electricity Supply Act (1990) ATR réglementé England and Wales Market (1990) États-Unis Energy Policy Act (1992) ATR réglementé Néant Fondée sur les coûts 1998 15 GWh, 2000 9 GWh, 2002 5 GWh, 2004 1 GWh Price cap 1990 1 MW, 1994 100 kw, 1998 0kW New Hampshire, California : 1998 0 kw 1. La Directive CE concernant les règles communes pour le marché intérieur de l électricité impose aux États Membres de l Union européenne d ouvrir leurs marchés aux clients consommant plus de 40 GWh en 1999, 20 GWh en 2000 et 9 GWh en 2003. Source : Voir le corps du texte. L industrie de l électricité : réglementation, structure du marché et performances

Revue économique de l OCDE n 32, 2001/I 170 suppression du monopole légal ont peu de chance d autoriser véritablement l entrée de concurrents si ces derniers sont exposés à des «coûts de hold-up» 16. Les opérateurs historiques qui conservent le contrôle du réseau de transport peuvent empêcher l entrée de concurrents sur le réseau soit en refusant de transporter leur électricité ou en leur demandant de payer une prime supérieure au prix du transport de leur propre électricité ou de celle de leurs filiales. De même, en l absence d ATR réglementé, la liberté de choisir son fournisseur risque de rester lettre morte. Faute de nouveaux producteurs sur le marché, la liberté du consommateur sera toujours aussi limitée, et les clients continueront de faire affaire avec l opérateur en place même s ils ont parfaitement le droit de s adresser ailleurs. Par ailleurs, les plus gros consommateurs, qui remplissent presque toujours les conditions nécessaires pour choisir leur fournisseur, ne pourront pas, en l absence d ATR, passer directement des contrats avec des producteurs tiers sans avoir recours aux sociétés de distribution. Aux termes de la directive de la Commission européenne de 1996, qui établit les règles communes pour le marché intérieur de l électricité, les États Membres de la Communauté européenne seront tenus d introduire l ATR. Le type d ATR que choisiront les États Membres devrait avoir un impact significatif sur le développement de la concurrence dans l industrie. Autre disposition réglementaire destinée à stimuler la concurrence, la possibilité pour le consommateur de choisir librement son fournisseur. Certains pays ont accordé cette liberté de choix aux gros consommateurs (par exemple, l Angleterre et le pays de Galles, la Nouvelle-Zélande) et prévoient de l étendre progressivement à l ensemble des clients, tandis que d autres ont d emblée décrété la liberté de choix du fournisseur pour tous les clients dès l adoption de la réforme du secteur de l électricité (la Norvège et la Suède, par exemple). Même dans les pays entièrement libéralisés, ce sont d abord et avant tout des gros consommateurs qui bénéficient de cette possibilité étant donné le coût prohibitif du matériel de comptage pour une multitude de petits consommateurs et pour la clientèle domestique 17. Aux termes de la directive de l Union européenne de 1996, tous les États Membres sont tenus d offrir aux gros consommateurs le choix de leur fournisseur selon le calendrier suivant : consommateurs de plus de 40 GWh, en 1999, consommateurs de plus 20 GWh, en 2000, et consommateurs de plus de 9 GWh, en 2003, ce qui représente (d après les estimations) 26.48 pour cent, 28 pour cent et 33 pour cent des marchés nationaux en 1999, 2000 et 2003 respectivement 18. Rares sont les pays qui ont libéralisé la tarification du transport. Les deux modèles dominants concernant le transport sont la tarification fondée sur les coûts (réglementation par le taux de rendement), en vigueur aux États-Unis notamment, et une réglementation souple des prix, aux Pays-Bas et en Suède, par exemple. Cette dernière réglementation domine dans les pays dotés d une industrie de l électricité décentralisée où la régulation et le contrôle s exerçaient traditionnellement au niveau local. Aux États-Unis, en revanche, la réglementation par le taux de