L engagement des travailleurs, un levier prometteur qualité de vie au travail et lean



Documents pareils
La qualité du travail et l engagement des salariés, un levier négligé de la compétitivité

La Qualité de Vie au Travail, Pourquoi aujourd hui? C est quoi? Pour faire quoi? Comment? Jeudi 5 février 2015 Rencontre Prévention - STSM

Baromètre : Le bien être psychologique au travail

Bien-être des salariés et performance des magasins entrent-ils dans le même caddie?

L évaluation des risques au travail

Bien-être et Performance Collective Des risques psychosociaux au modèle de management et au bien vivre ensemble

Prévenir et gérer l absentéisme

RECO. Définition des bonnes pratiques de prévention dans les centres d appels téléphoniques R.470

LES RÉFÉRENTIELS RELATIFS AUX ÉDUCATEURS SPÉCIALISÉS

LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES Anne DIETRICH Frédérique PIGEYRE 2005, repères, La découverte

5 e Baromètre ALMA CG sur l Absentéisme*

Lean management et conditions de travail!

Le Document Unique : une obligation légale des entreprises

La qualité de vie au travail. comment bien mettre en œuvre l Accord National Interprofessionnel

Les dirigeants face à l innovation

Santé et relations humaines au travail Sommes-nous prêts à être plus performants?

Plan et résumé de l intervention de Jean-Philippe Dunand

Chapitre 16 Comment les entreprises fonctionnent-elles?

La transformation du travail au quotidien suite à l implantation d un nouveau logiciel de gestion

INTRODUCTION. Master Management des Ressources Humaines de l IAE de Toulouse Page 1

RPS QVT. risques psychosociaux / QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL. l expertise obea

L3 Psychologie «Ergonomie : travail, innovations et formation» Les enjeux et éléments historiques. Principaux concepts et théories sous-jacentes

Des formations pour la prévention du stress et des performances managériales

Les «risques psychosociaux» au travail : De quoi parle-t-on? Comment aborder ce sujet? Quelques repères

DEVENIR INTERVENANT CERTIFIE WELLSCAN

La gestion des seniors dans l entreprise : Quels enjeux? Quelles actions?

10 REPÈRES «PLUS DE MAÎTRES QUE DE CLASSES» JUIN 2013 POUR LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF

L observatoire «Entreprise et Santé»

Vos stratégies d attraction et de rétention vous permettent-elles d attirer et de fidéliser les meilleurs talents?

La gestion des ressources humaines, un enjeu incontournable

Burn out des professionnels de santé. Quels facteurs? Comment le mesurer? Quelles conséquences?

Les commissions antistress sont-elles légales?

LA PROFESSIONNALISATION DU COACHING EN ENTREPRISE :

MÉTHODOLOGIE DE L ASSESSMENT CENTRE L INSTRUMENT LE PLUS ADÉQUAT POUR : DES SÉLECTIONS DE QUALITÉ DES CONSEILS DE DÉVELOPPEMENT FONDÉS

I. - LES FAITS NÉCESSITANT LA MISE EN ŒUVRE DE LA PROCÉDURE SPÉCIFIQUE D URGENCE A.

P résentation. L ensemble des concepts et des outils de la Gestion des Ressources Humaines. La Gestion des Ressources Humaines (collection Les Zoom s)

Stress et Management Droits et devoirs du manager. Inter- Entreprises

Compétences de gestion et leadership transformationnel : les incontournables liés au nouveau contexte environnemental

E-monitoring : intégrer l émotionnel dans votre «balanced scorecard»

PROGRAMME DE MANAGEMENT DES ORGANISATIONS

Association pour la Promotion de l Assurance Collective Clauses de désignation et de migration

Wellness Management 66 Avenue des Champs-Elysées PARIS contact@wellness-management.com. Feel Well Work Well

ENQUÊTE SUR LA PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS

Les projets d investissement en PME

Intérêt pour les personnes Club social. 5.5 Compromis Laisser-faire. Intérêt pour la tâche. Travail équipe.

Documents mis à disposition par : Attention

«Les acteurs du mieux-vivre en entreprise au service du bien-être au travail»

L expérience-employé et l expérience-client : Un tandem indissociable au service de la performance organisationnelle

M2S. Formation Management. formation. Animer son équipe Le management de proximité. Manager ses équipes à distance Nouveau manager

UN MBA POUR QUI, POURQUOI?

LA RECONNAISSANCE AU TRAVAIL: DES PRATIQUES À VISAGE HUMAIN

Démarche de prévention des TMS et outils pour l action

Première étude statistique sectorielle sur la performance du processus d embauche intégrant la PERIODE D ESSAI.

Le risque TMS chez les intervenants à domicile

Ch.2 La recherche du mieux-vivre au travail estelle compatible avec les objectifs de performance?

»»»» CONCILIATION FAMILLE-TRAVAIL OU COMMENT RÉCONCILIER LES DEUX MONDES DANS LESQUELS NOUS ÉVOLUONS? DÉFINITION

Vision prospective et obstacles à surmonter pour les assureurs

Ergonomie et Prévention des risques professionnels

KnowledgeManagement : Repartir de l individu.

MÉMOIRE CONSEIL QUÉBÉCOIS DU COMMERCE DE DÉTAIL SUR LE DOCUMENT DE CONSULTATION VERS UN RÉGIME DE RENTES DU QUÉBEC RENFORCÉ ET PLUS ÉQUITABLE

2009 et DUBAR C., TRIPIER P., Sociologie des professions, Collection U, Armand Colin,, 2 éd., 2009

LE BAROMÈTRE DES FEMMES MANAGERS

EDUCATEUR SPECIALISE ANNEXE 1 : REFERENTIEL PROFESSIONNEL

LA SANTE AU TRAVAIL DES SALARIES DE LA SNCF EN REGION BRETAGNE. Synthèse de l enquête auprès des salariés de la SNCF en Bretagne.

Les seniors, une cible particulière? Tiphaine Garat Ingénieur d étude, UDS

BURN OUT DES PROFESSIONNELS DE SANTE. Et Hygiène? Dr JC Perréand-Centre Hospitalier Valence

La RSE au service de la stratégie de l entreprise et de la création de valeur

Management Interculturel

Pour les principaux résultats de cette étude, découvrez notre résumé. Tous les tableaux et les chiffres se trouvent dans le rapport complet.

CHARTE D ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DU GROUPE AFD

Comment détecter les risques psychosociaux en entreprise?

Le projet collaboratif 2.0

Service Interentreprises de Santé au Travail Drôme Provençale Ardèche Sud MONTELIMAR

quelles sont les spécificités du système de gouvernance des PME - PMI?

Etude du niveau stress ressenti par les salariés de plusieurs entreprises du tertiaire. Un outil de mesure.

OUTIL DIAGNOSTIQUE DE L ACTION EN PARTENARIAT

Crise, transmission, concurrence L entreprise face à ses mutations

Etude relative aux rapports des présidents sur les procédures de contrôle interne et de gestion des risques pour l exercice 2011

OBSERVATOIRE UFF / IFOP DE LA CLIENTÈLE PATRIMONIALE

Compte rendu Salon Préventica Sud Ouest Toulouse, 4 et 5 février 2009 Réalisé par les étudiants du Master 2 MRH de l IAE de Toulouse :

Conduire les entretiens annuels d évaluation

MASTER 1 MANAGEMENT PUBLIC ENVIRONNEMENTAL CONTENU DES ENSEIGNEMENTS

Or, la prévention des risques psychosociaux relève de l obligation générale de l employeur de protéger la santé physique et mentale des salariés.

1. Les augmentations du salaire de qualification

TOUR DE FRANCE NOUVEAU DIALOGUE FORUM-DEBAT POITIERS

EVALUATION DU POINT FORT 1 «LANGUE ET FORMATION» : RAPPORT INTERMEDIAIRE

Master Audit Contrôle Finance d Entreprise en apprentissage. Organisation de la formation

La fonction d audit interne garantit la correcte application des procédures en vigueur et la fiabilité des informations remontées par les filiales.

Catalogue de formations. Leadership & développement durable

Le point de vue de l UNSA

UN MARCHE DU RECRUTEMENT DU MARCHE COMPTABLE

NOTORIETE DE L ECONOMIE SOCIALE SOLIDAIRE ET ATTENTES DE LA JEUNESSE

Les conséquences du sous-financement des organismes communautaires montréalais

Motiver les équipes commerciales

Le scoring est-il la nouvelle révolution du microcrédit?

L obligation de négocier sur la pénibilité dans les entreprises. Premiers éléments de bilan. Direction générale du travail

Comment améliorer la motivation du personnel?

Les outils classiques de diagnostic stratégique

Guide à l attention des représentants du personnel au CHSCT

Transcription:

L engagement des travailleurs, un levier prometteur qualité de vie au travail et lean Ce document de La Fabrique de l industrie participe à une réflexion en cours sur le thème plus général des leviers de compétitivité négligés. D autres thèmes ont ainsi été explorés de façon plus ou moins approfondie : la réglementation, la normalisation, le design et l impact du prix de l immobilier sur la compétitivité industrielle. Synthèse La qualité de vie au travail (QVT) est un concept difficile à définir, d autant plus que la littérature sur ce sujet varie dans les concepts qu elle emploie 1. Toutefois, les partenaires sociaux en ont proposé une définition lors de l Accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 : «les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s exprimer et à agir sur le contenu de celuici déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte» 2. La qualité de vie au travail renvoie donc à un sentiment subjectif qui est influencé par des conditions objectives de travail et d organisation du travail dans l entreprise. La question de son évaluation se pose. Elle est complexe compte tenu du caractère subjectif de la qualité de vie au travail. Des outils ont été proposés pour mener ces évaluations. Ils permettent notamment de déterminer la situation dans les entreprises et de comparer différents salariés entre eux ou les entreprises entre elles 3. Les liens entre qualité de vie au travail et performance de l entreprise sont multiples. Premièrement, la qualité de vie au travail facilite le recrutement des employés dans l entreprise. Alors que l industrie peine à recruter des individus qualifiés, elle peut constituer un réel facteur d attractivité pour les entreprises, notamment auprès des jeunes 4. Elle est également un facteur d engagement 5 pour les salariés. Il existe sur cet aspect une littérature scientifique foisonnante, tant aux EtatsUnis qu en Europe. Il en ressort que des salariés engagés dans l entreprise sont moins souvent absents, moins stressés, changent moins souvent de poste ou d entreprise, fournissent plus d efforts, font un travail de meilleure qualité et prennent plus d initiatives 6. Les gains espérés de l engagement sont donc potentiellement importants. Une étude de l INRS et de l Ecole des Arts et Métiers Paris Tech estimait par exemple que le coût lié au stress (dépenses de soins, absentéisme, etc.) atteignait 2 à 3 milliards d euros en France en 2007. Certains acteurs du monde de l entreprise reconnaissent l effet positif de la qualité de vie au travail sur la performance de l entreprise. C est par exemple le cas de dirigeants d entreprises comme Henri Lachmann (Président du Conseil de surveillance de Schneider Electric), Guillaume Pepy (PDG de la 1 Une des principales difficultés rencontrées lors de la préparation de cette synthèse fut de concilier de façon cohérente l ensemble des concepts relatifs à ce thème (voir p14). 2 Les partenaires sociaux ont aussi restreint le champ de la qualité de vie au travail à 10 thèmes (voir p12). 3 L Anact a par exemple créé un modèle de mesure de la qualité de vie au travail intitulé C2R (voir p16). 4 Une chronique postée sur le site du Harvard Business Review soulignait par exemple que les jeunes accordaient beaucoup d importance à l ambiance de travail et à la reconnaissance lorsqu ils choisissent leur emploi (voir p21). 5 L engagement est un état psychologique qui caractérise l individu dans son rapport à l entreprise. Il a notamment un impact sur la qualité des prestations des salariés et sur leur absentéisme (voir p18). 6 La littérature scientifique distingue trois formes d engagement qui n ont pas les mêmes implications pour la performance de l entreprise, ni les mêmes liens avec la qualité de vie au travail des salariés (voir p19). 1

SNCF) ou Muriel Penicaud (ancienne Directrice générale des ressources humaines de Danone). En revanche, il semble qu une majorité d entreprises en France négligent ce sujet. C est ce que montre un sondage réalisé par l Ifop en 2008 7 qui souligne que seules 35% des entreprises considèrent réellement la qualité de vie au travail comme un levier de compétitivité et seraient prêtes à agir significativement sur ce thème. La qualité de vie au travail constitue donc encore un gisement de compétitivité sousexploité par les entreprises 8. La question du sens du travail en entreprise apparait de façon récurrente dans de nombreux rapports sur le sujet. Martin Richer 9 soulignait par exemple que ce qui nuit actuellement à la qualité de vie au travail n est pas la charge de travail, mais l absence de sens dans l action collective lorsque les employés ne savent ni pourquoi ils travaillent, ni quelle stratégie est poursuivie par leur entreprise. Ce déficit de vue d ensemble se traduit alors par un désengagement des salariés chez qui se développe également un sentiment de malêtre 10. La question du sens en entreprise se pose également au regard de la qualité du travail 11. En effet, un travail peut ou non être jugé de qualité selon différents critères et les avis peuvent diverger dans l entreprise autour de cette question. Pour le psychologue du travail Yves Clot, l existence d une telle divergence dans l entreprise est normale et doit donner naissance à un débat organisé entre les acteurs de l entreprise. Dans le cas contraire, le salarié pourrait avoir l impression que l entreprise l empêche de bien faire son travail 12. Les pratiques managériales peuvent également dégrader ou améliorer la qualité de vie au travail des salariés 13. Certaines pratiques semblent améliorer la performance de l entreprise en même temps qu elles améliorent la qualité de vie au travail des salariés. Une étude menée en 2013 par la fondation de Dublin (Eurofound) montre par exemple que certaines pratiques dites innovantes (degré élevé de formation des employés, autonomie importante, concertations fréquentes, etc.) conduisent à cette double performance économique et sociale 14. Le lean 15 est caractéristique de ces pratiques managériales qui ont un effet sur la performance de l entreprise, et sur la qualité de vie au travail des salariés. Lorsqu il est imposé aux employés, il conduit souvent à une dégradation des 7 «Baromètre : le bienêtre psychologique au travail», Ifop pour Psya et Malakoff Médéric (2008). 8 Le rapport de La Fabrique Spinoza expliquait cette réticence à concevoir la qualité de vie au travail comme un levier de compétitivité par l existence d un aspect culturel en France qui pousse les managers à privilégier un management de type tayloriste (voir p22). 9 Martin Richer est un ancien directeur général de Secafi, un cabinet de conseil aux Comités d entreprises et aux CHSCT. Il est actuellement consultant en RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) et coordinateur du pôle «Affaires sociales» chez Terra Nova. 10 Dans Le mythe de Sisyphe (1942), Albert Camus avait déjà pointé du doigt les dangers pour la santé liés au fait d exercer un travail qui n a pas de sens : «Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir» (voir p24). 11 Le thème du «travail empêché» a été développé par le psychologue du travail Yves Clot (voir p25). 12 Dans une telle situation, la qualité du travail va à l encontre de la qualité de vie au travail des salariés puisque ces derniers ne reconnaissent pas l objectif poursuivi par l entreprise comme légitime (voir p25). 13 Une pratique managériale qui dégrade la qualité de vie au travail des salariés pourra par exemple réduire leur engagement, et donc avoir pour un effet de dégrader leur performance et celle de l entreprise (voir p26). 14 L étude de la Fondation de Dublin (Eurofound) a été menée à partir de données récoltées en 2012 auprès de 44 000 employés situés dans 34 pays (voir p29). 15 Apparu dans les années 1980, le lean est une approche qui permet de repenser l organisation du travail autour de ce qui crée de la valeur en limitant les gaspillages (voir p30). 2

conditions de travail 16, suscitant ainsi le désengagement des salariés. L effet de la démarche lean sur la performance de l entreprise est alors nuancé, voire annulé. Lorsqu au contraire le lean est introduit en concertation avec les employés et avec leur implication active, il peut conduire à la suppression de tâches jugées inutiles par le salariés qui se sentent ainsi plus efficaces et moins submergés par les procédures qu ils pensent inutiles 17. La qualité de vie au travail des employés s améliore donc grâce au lean qui s avère ici doublement profitable pour l entreprise puisqu il stimule l engagement des salariés en même temps qu il les rend plus efficaces. Finalement, la qualité de vie au travail nous semble être un levier négligé par les entreprises. Pour celles qui s emparent de ce thème, c est souvent l angle défensif qui est privilégié c estàdire la prévention des risques (stress, risques psychosociaux). Pourtant, les études mises en avant dans ce document exploratoire montre que les entreprises gagneraient à aborder la QVT d une façon beaucoup plus positive car elle est un facteur d attractivité et de mobilisation du personnel. Ainsi, La Fabrique propose de poursuivre ses travaux sur la QVT en privilégiant cet angle positif, ce qui consiste à tester l hypothèse suivante : la QVT, ou plus largement l engagement des salariés, est un levier de la performance économique des entreprises. Des partenaires sont intéressés, l ARCAT Ile- defrance notamment qui souhaite démontrer aux entreprises qu elles ont intérêt à adopter une approche beaucoup plus offensive de la QVT. La contribution de la Fabrique pourrait être de compléter l analyse plutôt théorique et conceptuelle privilégiée dans ce document par des illustrations concrètes issues de l expérience des entreprises du secteur industriel en matière de QVT, d engagement des salariés. En effet, faire remonter des expériences nous paraît être une bonne voie pour diffuser des connaissances et des outils opérationnels aux entreprises industrielles. 16 De nombreux ergonomes ont ainsi remarqué l apparition de troubles musculosquelettiques et le développement du stress chez les salariés après l instauration d une démarche lean en entreprise (voir p31). 17 Sous cette forme, le lean est décrit comme «ascendant» par Pascal Ughetto car il prend l avis des salariés comme origine du changement dans l entreprise (voir p32). 3

L ENGAGEMENT DES TRAVAILLEURS, UN LEVIER PROMETTEUR Synthèse sur la qualité de vie au travail et lean 4

Table des matières intermédiaire Introduction p.7 PARTIE 1 : LA NOTION DE QUALITE DE VIE AU TRAVAIL p.8 I. Une définition de la qualité de vie au travail? p.8 II. La question de l évaluation de la qualité de vie au travail p.11 PARTIE 2 : LES LIENS ENTRE QUALITE DE VIE AU TRAVAIL ET PERFORMANCE p.13 I. Le cadre d analyse p.13 1. La qualité de vie au travail est un levier de compétitivité p.13 a. Elle stimule l engagement des salariés dans l entreprise p.14 b. Elle facilite le recrutement des employés p.17 2. La qualité de vie au travail reste un levier négligé p.18 3. Différentes stratégies en matière de compétitivité p.18 II. Une approche thématique p.20 1. La question du sens du travail dans l entreprise p. 20 a. Une perte de sens collectif p.20 b. Une incertitude sur le sens du travail bien fait p.21 2. La question des pratiques managériales p.22 a. Pratiques managériales, performance et qualité de vie au travail p.23 b. Le lean, un facteur de qualité de vie au travail? p.26 5

Introduction Le thème de la qualité de vie au travail (QVT) a été débattu à l occasion de l Accord national interprofessionnel ANI du 19 juin 2013 signé par les partenaires sociaux et relatif à l amélioration des conditions de travail en entreprises. Cet accord a donné naissance à une action portée par l Anact 18 au niveau national et par le réseau Aract 19 à l échelon régional et qui a pour objectif d expliciter le lien entre qualité de vie au travail et performance des entreprises. Au même moment, le think tank Terra Nova a lancé un groupe de travail traitant du sujet. Antérieurement, le thème de la qualité de vie au travail avait fait l objet de plusieurs rapports dont celui de Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Penicaud intitulé «Bienêtre et efficacité au travail» et publié en 2010, et celui du think tank La Fabrique Spinoza intitulé «le bienêtre au travail, vecteur de performance socioéconomique» et publié en 2012. A l image de l Accord national interprofessionnel ANI du 19 juin 2013, de nombreux rapports soulignent le lien entre qualité de vie au travail et performance de l entreprise. Celuici semble être d une double nature. D une part, la qualité de vie au travail apparait pleinement comme un levier de compétitivité pour les entreprises. D autre part, la performance est un signe et une condition de la santé des salariés. La qualité de vie au travail n est donc ni un frein à la compétitivité, ni une contrepartie consentie aux employés en échange d une amélioration de la productivité. Elle permet de limiter les coûts du stress et de mobiliser pleinement le potentiel des employés. Ce dernier aspect est malheureusement trop souvent négligé par les dirigeants d entreprise. Deux thèmes semblent particulièrement discutés en rapport avec la qualité de vie au travail et la performance : celui du sens du travail et celui de l organisation du travail dans l entreprise. En effet, les salariés se plaignent actuellement d une perte de sens du travail qui concerne à la fois l action collective dans l entreprise et la notion de travail bien fait. Par ailleurs, certaines pratiques managériales ont un impact sur la productivité de l entreprise et sur la qualité de vie au travail, et donc sur l engagement des salariés. Les pratiques managériales influencent donc la performance de l entreprise à la fois par le biais de la productivité, et par celui de l engagement des salariés dans l entreprise. Le sujet du lean mérite ici d être discuté. Il peut en effet avoir des effets opposés sur la qualité de vie au travail des employés selon la façon dont il est introduit dans l entreprise (il peut être imposé ou appliqué en concertation avec les salariés). L impact final du lean sur la performance de l entreprise est alors dépendant de l effet induit sur l engagement des salariés. Plus généralement, la qualité de vie au travail renvoie au thème plus large de l attractivité de l entreprise et de l engagement des salariés. A coté de la qualité de vie au travail et de la rémunération, d autres considérations déterminent les choix et la motivation des individus parmi lesquelles se trouvent le sens de l action collective (comme avoir le sentiment de travailler pour une «juste cause»), le style de l action collective (qui inclut notamment la responsabilité sociale d une entreprise RSE), la représentation sociale du travail effectué (contribuer à un projet prestigieux par 18 Agence nationale pour l amélioration des conditions de travail. 19 Agence régionale pour l amélioration des conditions de travail. 6

exemple), ou l enthousiasme d être confronté à des défis stimulants 20. Tous ces éléments sont de nature à influencer le comportement des individus visàvis d une entreprise. PARTIE 1 : LA NOTION DE QUALITE DE VIE AU TRAVAIL I. Une définition de la qualité de vie au travail? Le concept de qualité de vie au travail est difficile à définir. L Accord national interprofessionnel (ANI) de juin 2013 stipulait que «les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s exprimer et à agir sur le contenu de celuici déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte». La qualité de vie au travail renvoie donc à un sentiment subjectif qui est influencé par des conditions objectives de travail et d organisation du travail dans l entreprise. La qualité de vie au travail détermine le bienêtre des salariés et est une condition de leur efficacité et leur engagement dans l entreprise. Schéma adapté de «la qualité de vie au travail» selon l Anact (p.2, 2014) Capacité d expression et d action Contenu du travail Conditions d emploi et de travail Perception de la qualité de vie au travail La qualité de vie au travail est un thème très large. C est pourquoi l Accord national interprofessionnel (juin 2013) a cherché à préciser le contenu de la QVT en répertoriant dix champs d actions possibles pour les entreprises : La qualité de l engagement de tous à tous les niveaux de l entreprise La qualité de l information partagée au sein de l entreprise La qualité des relations de travail La qualité des relations sociales, construites sur un dialogue social actif 20 Que ces défis soient sources de prestige ou de satisfaction intérieure. 7

La qualité des modalités de mise en œuvre de l organisation du travail La qualité du contenu du travail La qualité de l environnement physique La possibilité de réalisation et de développement personnel La possibilité de concilier vie professionnelle et vie personnelle Le respect de l égalité professionnelle entre hommes et femmes Eclairage L avis des salariés sur la qualité de vie au travail Un sondage réalisé par le Groupe Obea infraforces intitulé «Les salariés des grandes entreprises françaises et le capital humain» exprime l avis des salariés sur ce thème. Il montre que les employés considèrent comme importants le cadre de travail (qualité des relations avec les autres employés, diversité au sein des équipes, dialogue social), le fait de pouvoir faire leur travail efficacement (qualité du management, accès à des outils numériques et collaboratifs performants), la rétribution associée au travail (rémunération, jours de RTT, et offre de services pour les collaborateurs), les perspectives de carrière et d épanouissement personnel (formation professionnelle, perspectives d évolution professionnelle), et enfin l équilibre entre vie privée et vie professionnelle (possibilités d aménagement du temps de travail, jours de RTT et offre de services pour les collaborateurs). La qualité des relations avec les autres salariés La qualité du management La rémunération L accès à la formation professionnelle Les perspectives d évolution professionnelle La diversité au sein des équipes Le dialogue social Le nombre de jours de RTT L accès à des outils numériques et collaboratifs performants L offre de services pour les collaborateurs Les possibilités d aménagement du temps de travail Améliore la qualité de vie au travail 93% 84% 84% 84% 83% 82% 80% 76% 75% 75% 75% Source : «Les salariés des grandes entreprises françaises et le capital humain», Obea Infraforces (2014) Martin Richer 21 remarque qu en France, la problématique de la qualité de vie au travail est trop souvent appréhendée de façon négative lutter contre les risques psychosociaux 22 alors qu il serait souhaitable de l appréhender sous un angle plus positif attractivité de l employeur, engagement des 21 Martin Richer est un ancien directeur général de Secafi, un cabinet de conseil aux Comités d entreprises et aux CHSCT. Il est actuellement consultant en RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) et coordinateur du pôle «Affaires sociales» chez Terra Nova. 22 Selon l Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), la notion de risques psychosociaux (RPS) regroupe le stress au travail, les violences internes (conflits, brimades, harcèlement, etc.), les violences externes (commises sur des salariés par des personnes externes à l entreprise), l épuisement professionnel et les formes de malêtre, de souffrance et de malaise ressenties par les salariés. 8

salariés, productivité, etc. La qualité de vie au travail est une notion plus large que les risques psychosociaux. Elle recouvre en effet l ensemble des ressources disponibles (organisation du travail, flexibilité des horaires, rapports entre collègues ou avec les supérieurs hiérarchiques, espacement des bureaux ou des ateliers, espaces de communication, etc.) qui permettent à l individu d effectuer un travail de qualité dans un environnement où il se sent bien et où il souhaite s impliquer dans ce qu il fait. Développer la qualité de vie au travail apparait donc comme un moyen de développer le potentiel d actions individuelles et collectives des employés. Eclairage Les concepts clefs Cette synthèse sur la qualité de vie au travail s inspire de travaux existants qui mobilisent un ensemble de concepts ayant des appellations, des définitions et des périmètres variables. Une des principales difficultés rencontrées fut donc de rendre compte de façon cohérente des différents travaux traitant de ce sujet. Les concepts clefs que nous avons mobilisés dans cette synthèse sont les suivants : La qualité de vie au travail (QVT) est le terme retenu par les partenaires sociaux lors de l Accord national interprofessionnel de juin 2013. Elle décrit la perception qu ont les employés de leurs conditions de travail, et des ressources mises à leur disposition. Les risques psychosociaux (RPS) décrivent les conséquences d une mauvaise qualité de vie au travail (voir note n 40 p13.). Ce terme fut longtemps utilisé par les partenaires sociaux dans le cadre des négociations sur les conditions de travail. Le fait de ne plus parler de RPS pour parler de QVT permet de mettre l accent sur le potentiel d action des salariés. La qualité du travail (QT) est un concept développé par le psychologue du travail Yves Clot. Il est assimilable à la notion de travail bien fait «qui consiste, pour le salarié, à atteindre les buts qu il s est fixés ou qu on lui a fixés, et à parvenir ainsi à un résultat qui est défendable à ses propres yeux». La notion de bienêtre au travail est proche de celle de qualité de vie au travail puisqu elle traite des conditions de travail des employés et de l implication pour la performance pour l entreprise. C est l approche retenue par le rapport de Henri Lachmann, et par le think tank La Fabrique Spinoza. La notion d engagement est présente principalement dans la littérature scientifique dans le domaine de la psychosociologie. Les études sur ce sujet cherchent à comprendre le comportement d un individu par rapport à une entreprise. Elles nous semblent s inscrire pleinement dans le périmètre de la qualité de vie au travail. 9

II. La question de l évaluation de la qualité de vie au travail Pour mener des politiques internes aux entreprises efficaces, il convient de pouvoir mesurer ce que l on cherche à améliorer, en l occurrence la qualité de vie au travail. Les auteurs du rapport «Bien- être et efficacité au travail» (2010) rappellent que ces évaluations doivent être suffisamment simples, doivent s inscrire dans la durée et doivent être discutés par l ensemble des parties prenantes (management, partenaires sociaux, service de santé au travail, etc.) pour être correctement interprétées. Des outils existent pour mesurer la qualité de vie au travail. Il existe tout d abord des outils quantitatifs qui mesurent la nonsatisfaction au travail, comme les taux d absentéisme et de turn- over. Il existe aussi des outils qui cherchent à mesurer positivement la qualité de vie au travail et qui s appuient sur des questionnaires. Une difficulté est que le concept de qualité de vie au travail renvoie à des notions qui sont souvent subjectives, ce qui rend la comparaison difficile entre employés et entre entreprises. Les questionnaires de Siegrist et de Karasek Le questionnaire de Karasek (1985) se fonde sur le modèle de la «demande / latitude décisionnelle». Chaque situation de travail est caractérisée par la combinaison d une «demande psychologique» (quantité de travail, contrainte de temps, demandes contradictoires, interruptions fréquentes) et d une «autonomie décisionnelle» (possibilité de prendre des décisions, d être créatif, maitrise des moyens). Cette dernière notion de l autonomie décisionnelle recoupe deux aspects : avoir la possibilité de choisir comment faire son travail et pouvoir utiliser ses compétences. La combinaison d une «demande psychologique» faible ou forte et d une «autonomie décisionnelle» faible ou forte conduit à différents types de situations de travail. La situation entraînant le plus de stress est celle où la demande psychologique est élevée et où l autonomie décisionnelle est faible. Le questionnaire de Siegrist (1996) est basé sur le couple «efforts / récompenses» et sur les déséquilibres potentiels entre ces deux notions. Un travail où l effort consenti dépasse la récompense obtenue pourra être source de stress, et plus généralement de malêtre au travail. La notion d effort recoupe les contraintes de temps, les interruptions, les responsabilités et la charge physique. La notion de récompense concerne la rémunération, l estime au travail et le statut professionnel (sécurité de l emploi et perspectives professionnelles). L inventaire systémique de qualité de vie au travail (ISQVT) développé par le sociologue Gilles Dupuis Le questionnaire développé par Gilles Dupuis 23 et son équipe répond à l étape du diagnostic de la qualité de vie au travail dans l entreprise. Cette étape est incontournable car elle permet de guider l action qui suit. A chaque question, le salarié doit se situer par rapport à une situation idéale. Il doit communiquer sa situation actuelle, et la situation souhaitée qui peut différer de la situation idéale. Le salarié doit également donner des informations sur le changement de situation (la situation reste stable, s améliore ou se détériore) et sur la vitesse de changement (plus ou moins vite). A la fin du 23 Gilles Dupuis est professeur au département de psychologie de l Université du Québec à Montréal. 10

questionnaire, le salarié devra également évaluer l importance qu il accorde à chacun des domaines traités par le questionnaire. Il est possible d ajouter au questionnaire des questions spécifiques à chaque entreprise en fonction de son secteur ou de ses caractéristiques. Ce questionnaire permet alors d obtenir une évaluation de la situation de la qualité de vie au travail dans cette entreprise et de la comparer avec celles d autres entreprises. Il est alors possible de dégager un profil individualisé pour chaque salarié. Les résultats permettent aussi de déterminer si la situation est critique dans cette entreprise et quels domaines pourront constituer une priorité pour l intervention à venir. Plus précisément, les domaines sont triés en 3 zones : une verte, une jaune et une rouge. Les résultats déterminent alors quels sont les domaines où la situation est sensible. Par ailleurs, ils offrent un diagnostic du changement et de la vitesse d amélioration ou de détérioration de la situation. Le questionnaire permet également d évaluer l importance relative accordée à chaque domaine. Si tous les domaines sont décrits comme pas ou peu importants, c est un signe de démotivation des employés. Si au contraire tous les domaines sont essentiels ou très importants, alors c est le signe d une incapacité des salariés à hiérarchiser les choses. Enfin, le diagnostic fourni une analyse des situations désirées. Si tous les objectifs sont faibles, alors la motivation des salariés est probablement en berne. Si au contraire tous sont élevés, alors il serait intéressant de déterminer qui fixe les objectifs, les salariés ou la direction. Le modèle «ContraintesRessourcesRégulations» (C2R) de l Anact Le modèle retenu par l Anact cherche à déterminer le ressenti des situations de travail de la part du salarié pour prévoir les éventuelles situations de stress. C est donc un modèle de prévention des risques psychosociaux qui analyse les conditions du travail en confrontant les exigences des salariés et celles de l entreprise tout en gardant à l esprit le contexte de l entreprise et des relations personnelles dans l entreprise. La démarche qui succède à ce test cherche à compenser les contraintes subies par les salariés en développant les ressources à sa disposition ou en développant les instrument d analyse et de régulation des situations de travail. Ainsi, les éléments de la qualité de vie au travail peuvent ici être perçus à la fois comme des ressources ou des contraintes. Celles ci concernent par exemple les relations de travail avec les collègues, avec les supérieurs hiérarchiques ou les clients, l organisation du travail, la répartition des tâches, etc. Pour en savoir plus sur le modèle C2R, il est possible de se rendre sur le site de l Anact 24. En ce qui concerne les outils d évaluation de la qualité de vie au travail, plus d informations peuvent être trouvées sur le site www.travaillermieux.gouv.fr et sur Vigeo. 24 http://www.anact.fr/web/dossiers/santeautravail/rps?p_thingidtoshow=31993631 11

PARTIE 2 : LES LIENS ENTRE QUALITE DE VIE AU TRAVAIL ET PERFORMANCE Dans cette partie, le concept de performance de l entreprise renvoie à l absentéisme des individus, à leur productivité, et à leur inclinaison à prendre des initiatives, à innover et à travailler en équipe. Cette notion de performance est évidemment discutable. Il est possible de distinguer deux approches parmi les études qui analysent les liens entre qualité de vie au travail et performance. La première approche s appuie sur des études de cas et cherche à expliquer les mécanismes à l œuvre en détail. C est l approche retenue par certains psychosociologues du travail comme Yves Clot 25 par exemple. La seconde approche se veut plus systématique et quantitative. Elle cherche à mettre en relation certains éléments de la qualité de vie au travail et la performance des entreprises en ayant recours à des outils économétriques et en traitant un grand nombre d entreprises. Cette approche est retenue par de nombreux psychologues et économistes qui cherchent à comprendre les mécanismes psychologiques à l œuvre lorsqu un salarié décide ou non de s investir dans son travail. La synthèse qui suit mobilise les deux approches. La majorité de la littérature sur le sujet s accorde pour dire que la qualité de vie au travail constitue un facteur de la compétitivité des entreprises. Il nous a paru important d expliciter cette relation de façon globale, c est à dire en prenant la qualité de vie au travail comme un tout (I. Le cadre d analyse). Certains thèmes comme la question du sens ou celle des pratiques managériales comme le lean revenaient de façons récurrentes dans de nombreux textes portant sur la qualité de vie au travail. Nous avons donc voulu rendre compte des aspects propres à ces thématiques (II. Une approche thématique). I. Le cadre d analyse La qualité de vie au travail et la performance des entreprises ne sont pas opposées. La qualité de vie au travail ne doit pas être considérée comme une contrepartie de la performance des salariés, mais comme un levier d amélioration de la compétitivité. Ce levier semble néanmoins aujourd hui sous- évalué, et sousexploité par les entreprises. Et pourtant, son importance pour les entreprises grandit à mesure qu elles poursuivent une stratégie de compétitivité par la qualité et par la montée en gamme. 1. La qualité de vie au travail est un levier de compétitivité L importance de la qualité de vie au travail pour la compétitivité des entreprises a été reconnue par de nombreux acteurs du monde de l entreprise dont les partenaires sociaux lors de l Accord National interprofessionnel de juin 2013, certains dirigeants d entreprises comme Henri Lachmann 26 ou Guillaume Pepy 27 et par la majorité des employés 28. Les liens entre qualité de vie au travail et performance sont multiples. Développer la qualité de vie au travail, c est déjà stimuler l engagement des salariés, ce qui se traduit par une implication dans l entreprise plus importante et par une 25 Yves Clot est psychologue du travail et titulaire de la chaire Psychologie du travail au CNAM. 26 Voir le rapport «Bienêtre et efficacité au travail», 2010. 27 Voir le magazine Personnel n 542 de septembre 2013. 28 Une étude conduite par Obea Infraforces (2013) soulignait que 85% des employés considèrent que la qualité de vie au travail a un impact sur la situation économique de l entreprise. 12

diminution des risques psychosociaux. En stimulant l attractivité de l entreprise, la qualité de vie au travail facilite également le recrutement des employés, qu ils soient ou non qualifiés. Les liens entre qualité de vie au travail et performance de l entreprise Qualité de vie au travail (QVT) Engagement des salariés Attractivité de l entreprise Performance de l entreprise a. Elle stimule l engagement des salariés dans l entreprise La qualité de vie au travail est un facteur d engagement des salariés dans l entreprise. La notion d engagement a fait l objet de nombreuses recherches, tant théoriques qu empiriques depuis les années 1970. L objectif de ces recherches étant souvent de distinguer les différents aspects de l engagement, ses déterminants, et ses conséquences notamment au niveau de la performance et du bienêtre des individus. La notion d engagement dans l entreprise 13

Les différentes dimensions de l engagement (Meyer & Allen, 1990) L engagement est décrit comme un état psychologique qui caractérise l individu dans son rapport à l entreprise. Il explique pourquoi un individu choisi de rester dans une entreprise et pourquoi il s y investi plus ou moins. Un engagement fort pourra par exemple expliquer pourquoi le salarié fournit plus d efforts et prend plus d initiatives. En quelque sorte, l engagement est un facteur de mobilisation du capital humain dans l entreprise. On distingue trois formes d engagement : L engagement affectif concerne un attachement et une identification à l entreprise. L engagement normatif renvoie à une attitude de loyauté envers l entreprise. L engagement de continuation est basé sur l évitement des coûts engendrés par la rupture du lien contractuel avec l entreprise : perte du salaire, des avantages liés à l emploi, etc. Les déterminants de l engagement La littérature scientifique sur le sujet a cherché à déterminer ce qui suscite l engagement des employés dans l entreprise. Il fut possible de répertorier quatre catégories de critères : les caractéristiques personnelles : variables démographiques (âge, ancienneté, etc.) et variables «dispositionnelles» (personnalité, valeurs, etc.). les caractéristiques organisationnelles : centralisation des décisions dans l entreprise, politique de gestion et de communication interne à l entreprise, etc. les caractéristiques liées au rôle de l employé dans l entreprise : le spectre des tâches de l employé est large ou spécifique, et clairement défini ou non. Cet aspect inclut également les relations entre un supérieur et son subordonné ou entre collègues. les expériences de travail : la confiance qu inspire l entreprise à ses employés, l importance accordée par l entreprise à ses employés, les attentes réalisées des employés, etc. La qualité de vie au travail semble liée à différents facteurs qui déterminent l engagement des salariés dans l entreprise. Particulièrement, le champ des caractéristiques organisationnelles, celui des caractéristiques liées au rôle de l employé dans l entreprise et celui des expériences au travail couvrent les principaux éléments du concept de qualité de vie au travail. Il est ainsi possible de dire qu une amélioration des expériences de travail contribue à l amélioration de certains aspects de la qualité de vie au travail. De même, une modification des caractéristiques organisationnelles aura un impact sur la qualité de vie au travail des salariés. La qualité de vie au travail est donc susceptible d avoir un effet sur différents types d engagement (affectif, normatif ou de continuation) en fonction du levier actionné. Certaines études ont cherché à déterminer les liens entre ces différentes variables et les trois formes d engagement. Il est à noter que la majorité des recherches a été conduite sur l engagement affectif (Vandenberghe, 1998). Par exemple, les caractéristiques personnelles apparaissent comme faiblement corrélées à l engagement affectif qui est en revanche significativement corrélé avec certaines caractéristiques organisationnelles comme la décentralisation des décisions dans l entreprise. Autre exemple, la non transférabilité des compétences d une entreprise à une autre est positivement corrélée à l engagement de continuité. Finalement, différentes études ont souligné que les éléments de l expérience au travail sont particulièrement liés à l engagement affectif. 14

Les conséquences de l engagement L engagement des salariés a pour l entreprise deux conséquences (Eurofound, 2013) : Une implication plus forte dans le travail implique que l employé sera enclin à fournir davantage d efforts, à prendre plus d initiatives et à fournir un travail de meilleure qualité. Une implication plus forte auprès de l entreprise implique une baisse du stress chez les salariés, et en conséquence des taux d absentéisme et de départs volontaires plus faibles. Une hausse de l engagement permet donc de réduire les risques psychosociaux chez les salariés (voir note n 41). L implication auprès de l entreprise suscite aussi le développement de comportements dits «extrarôle» de la part du salarié qui peut par exemple aider un collègue à effectuer une tâche ou faciliter l intégration d un nouvel employé dans l équipe. Corrélations entre les 3 dimensions de l engagement et les 2 types d implication pour l entreprise Implication dans le travail (plus d efforts et d initiatives, meilleure qualité des prestations) Implication auprès de l entreprise (moins de stress, de départs volontaires et d absentéisme) Engagement affectif (lié à un attachement et à une identification à l entreprise) Corrélation positive Corrélation positive Engagement normatif (lié à la loyauté envers l entreprise) Corrélation faible et positive Corrélation faible et positive Engagement de continuation (lié aux coûts engendré par la rupture du lien contractuel) Corrélation absente ou négative Absence de corrélation Il existe des différences significatives dans les liens reliant les 3 catégories d engagement (affectif, normatif et de continuation) et les deux types d implication des salariés. En particulier, si certains liens sont positifs comme entre l engagement affectif et l implication dans le travail par exemple, les liens entre l engagement de continuation et les deux types d implication sont souvent nuls et parfois négatifs. Le fait de développer l engagement de continuité sans chercher à stimuler les autres catégories d engagement ne permet donc pas d améliorer la performance des employés par rapport à la situation initiale 29. Cette situation peut par exemple se développer lorsqu une entreprise est en situation de monopsone local pour les compétences des travailleurs 30. Ces derniers restent en effet «par défaut» dans l entreprise puisqu ils ne peuvent trouver un autre emploi dans la même région. Cette diversité des liens entre engagement et performance de l employé implique que l entreprise connaisse les leviers de l engagement qu elle actionne en développant certains champs de la qualité de vie au travail afin de ne pas mener des politiques inutiles et couteuses. 29 Soulignons tout de même que les éléments déterminants l engagement de continuité (salaires, services mis à disposition des employés, etc.) contribuent à la performance des entreprises en d attirant des employés compétents. Le fait de souspayer les salariés pourra également avoir un impact négatif sur la performance de l entreprise si ils considèrent que leur travail n est pas reconnu à sa juste valeur. 30 Une entreprise est en monopsone si elle est l unique acheteuse d un produit sur un marché. En l occurrence, l entreprise est l unique acquéreuse pour les compétences spécifiques du travailleur sur le marché du travail. 15

L engagement affectif (lié à un attachement et à une identification à l entreprise) semble également être source de bienêtre pour les salariés. De nombreuses études mettent en évidence qu un engagement affectif plus important correspond à un plus faible niveau de stress 31 pour les salariés. Seule une étude traitait en 1998 du lien entre le stress et les deux autres catégories d engagement. Elle montre qu un engagement normatif diminue le stress mais que l engagement de continuation (lié aux coûts engendrés par le départ de la firme) n aurait aucun effet. Conclusion : le lien entre qualité de vie au travail et performance de l entreprise Certains éléments de la qualité de vie au travail déterminent l engagement des salariés, qui est lui- même susceptible d influencer l implication des salariés dans leurs tâches et auprès de l organisation dans son ensemble. Or, l implication des employés est un déterminant de la performance de l entreprise. Néanmoins, il existe différents types d engagement qui n ont pas les mêmes effets sur l implication des salariés. De même, tous les facteurs relatifs à la qualité de vie au travail n ont pas les mêmes effets sur les différents types d engagement. C est pourquoi il convient de décomposer la qualité de vie au travail pour comprendre les liens spécifiques entre chacun de ses éléments et la performance de l entreprise. Par exemple, une organisation du travail laissant plus de liberté et de responsabilité aux employés pourrait ainsi stimuler l engagement affectif des salariés (les salariés sont attachés à l entreprise), ce qui se traduirait par une implication plus forte dans le travail (produits de meilleurs qualité, plus d efforts et de prises d initiatives de la part des salariés) et auprès de l organisation (absentéisme et départs volontaires en baisse). En revanche, la mise en place d une conciergerie dans l entreprise, si elle ne fait que développer l engagement de continuation dans l entreprise (lié aux coûts engendré par le départ de la firme pour une entreprise où il n y a pas de conciergerie), est susceptible de n avoir aucun effet sur l implication des salariés, et donc sur la performance des salariés 32. b. Elle facilite le recrutement des salariés La qualité de vie au travail est également un facteur d attractivité pour les entreprises. Elle permet ainsi à l entreprise de recruter des employés plus facilement, qu ils soient qualifiés ou non. La qualité de vie au travail est particulièrement importante pour les jeunes qui ont tendance à attendre plus de leur vie professionnelle en termes d épanouissement personnel. Une chronique postée sur le site du Harvard Business Review soulignait par exemple que les jeunes accordaient beaucoup d importance à l ambiance de travail et à la reconnaissance lorsqu ils choisissent leur emploi. Les perspectives de mobilité et de carrières figuraient également parmi les facteurs primordiaux. La qualité de vie au travail constitue ainsi une alternative au salaire pour attirer des employés dans l entreprise. Cet aspect est d autant plus important que l industrie semble peu attractive pour les jeunes et rencontre des difficultés à recruter des employés avec certaines qualifications spécifiques 33. 31 Nous parlons ici du stress qui dégrade le bienêtre des salariés et pas de celui qui les stimule. 32 La conciergerie pourrait toutefois avoir un effet positif sur la performance de l entreprise de si elle permet aux salariés de travailler plus efficacement ou si elle permet d attirer des employés plus compétents dans l entreprise. 33 Sur ce point La Fabrique a organisé un entretien intitulé «Surmonter les difficultés de recrutement dans l industrie» dans le cadre de la semaine de l industrie 2014 au collège des Bernardins. 16

2. La qualité de vie au travail reste un levier négligé Il est possible de distinguer trois façons d appréhender la qualité de vie au travail dans l entreprise. La première approche consiste à traiter la qualité de vie au travail en accord avec la réglementation en vigueur. L entreprise respecte alors uniquement les obligations en matière de qualité de vie au travail qui lui sont imposées. La deuxième approche, décrite comme «curative» par le think tank «La Fabrique Spinoza» dans son rapport «Le bienêtre au travail, vecteur de performance socio- économique» paru en 2012, entend minimiser les risques psychosociologiques liés à un environnement de travail anxiogène. Il s agit alors de lutter contre le stress, le mécontentement des salariés ou l absentéisme en faisant appel à des médecins du travail. La dernière approche dite «positive» consiste à développer la qualité de vie au travail des salariés afin d améliorer le vécu des employés ou de stimuler la compétitivité de l entreprise. Amélioration du bienêtre des salariés et performance économique de l entreprise vont alors de pair. Force est de constater que peu d entreprises adoptent cette dernière approche. Les entreprises, grandes ou petites, où la qualité de vie au travail est un perçue comme un enjeu stratégique restent minoritaires, et le levier de compétitivité demeure sousexploité. Un sondage conduit en 2008 par l Ifop pour le cabinet Psya et l Assurance Malakoff Médéric soulignait que seules 35% des entreprises considèrent réellement la qualité de vie au travail comme un levier de compétitivité et seraient prêtes à agir significativement sur ce thème. Les autres entreprises interrogées ne considèrent pas la qualité de vie au travail comme un enjeu primordial, ou ne se donnent pas les moyens (financiers mais pas seulement) de mener une réelle politique d amélioration de celleci. Cette négligence engendre des coûts importants pour les entreprises, et également pour la société dans son ensemble. Une étude de l INRS et de l Ecole des Arts et Métiers Paris Tech estimait en effet que le coût lié au stress (dépenses de soins, absentéisme, etc.) atteignait 2 à 3 milliards d euros en France en 2007 34. Par ailleurs, certains articles de recherches 35 arrivent à la conclusion que le bienêtre des employés permet d expliquer plus de 25% des variations de performance entre employés. Le rapport de La Fabrique Spinoza met en évidence certains obstacles à la mise à profit de la qualité de vie au travail comme levier de performance. Premièrement, les dirigeants d entreprises ne sont pas suffisamment convaincus des bénéfices économiques qui peuvent être tirés de la qualité de vie au travail. Ils sont donc peu enclins à mener des politiques ambitieuses en la matière. Ensuite, le rapport souligne l existence d un aspect culturel en France qui pousse les managers à privilégier parfois excessivement un mode organisationnel de type tayloriste (stricte différenciation des rôles, spécialisation de chacun, rationalisation de la production, etc.). Enfin, les outils de mesure du bien- être des salariés et de la performance collective seraient lacunaires ou mal connus. 3. Différentes stratégies en matière de compétitivité Bien que la question de la qualité de vie au travail soit importante pour toutes les entreprises, elle devient encore plus prégnante lorsqu une entreprise aspire à développer sa compétitivité par la qualité et par la montée en gamme. En effet, une telle stratégie passe souvent par la production de 34 L étude ne prend pas en compte le coût du désengagement des salariés dans l entreprise. 35 Voir sur ce point l introduction de l article intitulé «The impact of organizational factors on psychological needs and their relations with wellbeing» de N. Gillet et al. (2011). 17

biens plus complexes, en plus petites séries et accompagnées d un service après vente de qualité. Elle nécessite ainsi un degré d initiative et d implication plus important de la part des employés qui doivent également fournir les efforts nécessaires à un travail de meilleure qualité (attention accrue, anticipation pour éviter les panes, être disposé à s adapter rapidement en cas de changement d outil de production ou de caractéristiques d un produit, etc.). M. Richer soulignait sur ce point qu un lien évident existe «entre qualité du travail et qualité des produits ou des prestations». La fabrication de biens complexes exige également que l entreprise recrute un personnel hautement qualifié, notamment dans les départements de R&D. Or, le marché du travail est parfois tendu concernant ce type d employés qualifiés. La qualité de vie au travail peut alors améliorer l attractivité d une entreprise, et ainsi faciliter le recrutement de ces employés. Par exemple, les entreprises de la Silicon Valley aux EtatsUnis ont cherché à améliorer le cadre de travail de leurs employés (création de salles de sport dans l entreprise, de conciergerie, modification des espaces de travail pour les rendre plus conviviaux, flexibilisation des temps de travail pour concilier vie privée et vie professionnelle, etc.) lorsqu elles ont rencontré des difficultés à recruter des employés hautement qualifiés. 18

II. Une approche thématique De nombreux rapports ou études mentionnent les liens spécifiques entre qualité de vie au travail et sens du travail dans l entreprise, et qualité de vie au travail et pratiques managériales. Plus précisément, ces deux thèmes mettent en évidence des situations où la recherche de performance dans l entreprise peut conduire à une dégradation de la qualité de vie au travail des employés. 1. La question du sens du travail dans l entreprise. La question du sens du travail dans l entreprise renvoie à deux aspects : le sens du travail collectif dans l entreprise (partie a) et le sens du travail bien fait (partie b). a. Une perte de sens collectif. Pour Martin Richer, le problème actuel principal n est pas la charge de travail, mais la perte de sens du travail. Les salariés ont en effet un sentiment de perte de sens collectif dans l entreprise. Il souligne que le problème n est pas tant l absence de sens dans l entreprise, que la communication de ce sens depuis la direction, jusqu aux salariés. Cette perte de sens peut s expliquer en partie par la financiarisation des objectifs de l entreprise qui se traduit par la prévalence du court terme d une part, et par l évaluation chiffrées des performances individuelles dans l entreprise d autre part. Les employés ont alors parfois le sentiment d être devenus des «chiffres comme les autres» travaillant sans ligne directrice de long terme. Enfin, la parcellisation grandissante des tâches semble également susceptible de conduire à une perte de sens. «Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir.» Camus dans Le mythe de Sisyphe. Vue d ensemble Pour redonner du sens au travail, il faut que le salarié sache à quoi va servir son travail. Cela ne peut se faire que si la stratégie et les objectifs de l entreprise sont communiqués depuis la direction jusqu à l ensemble des salariés. L effort pour communiquer une vue d ensemble aux opérateurs peut également se faire sur le terrain sémantique. Ainsi, un chaudronnier conscient que la pièce qu il crée fera partie d un navire sera plus motivé qu un opérateur ne sachant pas à quoi servira la pièce qu il est en train de construire. Avoir le sentiment de participer à un projet qui nous dépasse, et poursuivre une stratégie avec l ensemble de l entreprise permet de redonner du sens à la tâche directe qu on effectue, aussi spécialisée soitelle. Des espaces de communication entre employés. Enfin, la constitution d espaces d échanges entre salariés permet également de redonner du sens au travail. M. Richer souligne l importance des lieux de discussions et d échanges sur le travail pour que les salariés puissent mieux concevoir l activité globale de leur département ou de l entreprise dans son ensemble. Ce constat est présent dans le rapport Lachmann où il est dit que les espaces de discussions sont indispensables à la fois pour que les salariés s approprient leurs pratiques professionnelles, pour redonner une place à l action collective dans l entreprise et enfin pour prévenir les conflits et s assurer que les problèmes rencontrés soient réglés collectivement. Reconnaissance du travail 19

La contribution de l individu à l action doit être reconnue par l entreprise, c est à dire par la direction, les managers et les collègues. Dans une interview publiée en 2009, le psychiatre et psychanalyste C. Dejours affirmait que la reconnaissance dans l entreprise tournait autour du couple contribution rétribution. La rétribution comporte une dimension morale forte : elle doit être la reconnaissance de la qualité de la contribution. Cette reconnaissance peut éventuellement passer par la rétribution matérielle, mais l argent ne suffit pas. Il faut que la reconnaissance ait un sens, et non que le travailleur ait l impression d être «payé pour ne rien faire». La reconnaissance semble être une des clefs de la qualité de vie au travail. Valeurs de l entreprise et fierté d appartenance La quête de sens s opère également sur le terrain des valeurs de l entreprise. Ces valeurs doivent être déterminées, communiquées à l ensemble des employés et respectées de façon exemplaire par la direction et le management intermédiaire. L identification à des valeurs soutenues par une entreprise peut entraîner un sentiment d identification de la part des employés qui seront alors fiers d y travailler. Ces derniers auront alors tendance à s engager davantage dans l entreprise. b. Une incertitude sur le sens du travail bien fait. La qualité du travail 36 est un préalable à la qualité de vie au travail. De nombreux sociologues et psychologues du travail dont Yves Clot soulignent en effet que la qualité du travail est nécessaire au bienêtre des salariés qui ont besoin d être satisfaits de leur travail et de se sentir efficaces. Le fait de travailler dans une entreprise qui réussi est en soi un facteur de bienêtre chez les salariés. De façon opposée, un effort qui ne mène à rien peut dégrader le bienêtre des individus. La relation est ici inversée puisque la performance de l entreprise stimule la qualité de vie au travail des individus, et non l inverse. Yves Clot affirme même qu il ne peut pas y avoir de santé au travail sans qualité du travail. Permettre aux employés d être efficaces semble donc constituer la première étape d une démarche d amélioration de la qualité de vie au travail. Or, les salariés peuvent se sentir frustrés et penser que l entreprise les empêche de faire un travail de qualité si leurs critères de qualité diffèrent de ceux retenus par l entreprise. Il existe en effet une multitude de critères de qualité dans l entreprise (volume des ventes contre qualité de la prestation au client par exemple) et les employés de l entreprise peuvent avoir des opinions divergentes sur ce sujet. Ces divergences peuvent par exemple opposer des opérateurs à leurs managers, des opérateurs ou des managers entre eux, ou des membres de différents départements. Le stress et la frustration peuvent alors se développer chez des employés qui n ont pas les mêmes critères de qualité que ceux retenus par l entreprise. C est ce qu affirme Yves Clot lorsqu il dit que le stress peut intervenir lorsque «l organisation n a pas les moyens de faire face à l exigence des salariés de faire un travail de qualité». La recherche de la performance, lorsqu elle n est pas acceptée par les employés, peut alors nuire à leur qualité de vie au travail. 36 Le concept de qualité du travail est assimilable à la notion de travail bien fait «qui consiste, pour le salarié, à atteindre les buts qu il s est fixés ou qu on lui a fixés, et à parvenir ainsi à un résultat qui est défendable à ses propres yeux» (Yves Clot). 20