Simulation ou Simulacre?



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Simulation ou Simulacre? Décembre 2009 Josée Des Granges Zimmermann Page 1

Table des matières Introduction pour les internautes p. 4 Remerciements p. 5 Partie théorique Introduction du travail p. 6 Concepts et relations p. 9 La pensée critique p. 9 Les raisonnements vus dans une perspective de recherche en psychologie cognitive chez les médecins p. 10 L organisation des connaissances p. 13 Définition du jugement clinique p. 13 L importance du jugement clinique dans la pratique professionnelle p. 14 Les stratégies permettant de développer le jugement clinique p. 15 Laboratoire d habiletés cliniques et moyens audiovisuels p. 17 Patients simulés p. 21 Examen clinique objectif structuré (E.C.O.S.) p. 23 Pratique réflexive p. 24 Le modèle C.E.P.S.S. p. 26 Josée Des Granges Zimmermann Page 2

Partie pratique/expérimentation p. 29 Description de l expérience p. 29 Atelier pilote 1 : Module M3 «jugement clinique» p. 29 Travail préparatoire des étudiants p. 30 Le choix des situations p. 31 Présentation des situations A B C p. 33 Présentation du module M3 aux étudiants p. 35 Répartition et organisation p. 36 La simulation D et ses particularités p. 37 Analyse du module M3 p. 42 Atelier pilote 2 : Module Réanimation présentation et analyse p. 46 Les principaux obstacles p. 49 Les moments de satisfaction et d espoir p. 51 Économie et faisabilité p. 52 Nos visions pour le futur p. 55 Bibliographie p. 58 Annexes Annexe 1 : Consignes réflexives p. 65 Annexe 2 : Poste formatif et consigne étudiante p. 68 Annexe 3 : Rédaction aux consignes par une étudiante p. 71 Décembre 2009 Josée Des Granges Zimmermann Page 3

Introduction pour les internautes Ce document a été réalisé dans le cadre d un projet interne à la Haute école cantonale Vaudoise de la santé H.E.C.V. située à Lausanne en Suisse. Il se présente sous forme d un rapport, témoignant de deux ateliers pilotes s inscrivant dans un projet interne à l école de développement d un centre des pratiques simulées entre nos différentes filières de formation : infirmiers, physiothérapeutes, sages-femmes, et techniciens en radiologie médicale. Ce projet portait le nom de «C.E.P.S.S.» soit centre d enseignement des pratiques simulées en santé. Le projet C.E.P.S.S. s est échelonné entre septembre 2006 et juillet 2008. Le projet C.E.P.S.S. a été suivi par un projet de développement plus important impliquant : le Centre hospitalier universitaire vaudois (C.H.U.V), la Haute école de soins infirmiers La Source (H.E.L), la faculté de médecine et de biologie de l université de Lausanne (U.N.I.L.), le Centre d enseignement médical et communication audiovisuelle (C.E.M.C.A.V.) et la H.E.C.V. santé. Ce dernier projet inter-institutions a été nommé C 4 : Centre Coordonné de Compétences Cliniques. Le rapport du projet sera rendu en fin décembre 2009. Le document original «Simulation ou simulacre» a été légèrement modifié pour permettre sa compréhension à un plus large public. Quelques documents sont annexés à titre d'exemple, néanmoins la plus grande partie des documents annexes sont à usage interne et ne sont donc pas communicables. Les opinions et positions prises dans ce document n engagent que son auteur. 20 juin 2009 Josée Des Granges Zimmermann Page 4

Le document original comporte ce texte ainsi que quatre cahiers d annexes qui permettent de consulter l ensemble du travail réalisé dans les ateliers pilotes «réa» et «jugement clinique M3». Remerciements Nos remerciements s adressent particulièrement aux Professeurs Duguay et Politis Mercier pour leurs discussions, leurs critiques et leur soutien dans le cadre du projet C.E.P.S.S. ainsi qu à nos collègues réanimatrices de l équipe «Réa 144», les Professeurs Lawrence, Maio et Tagand. Le module M3 a été réalisé en collaboration avec le Professeur Thierry Luthringer qui était aussi le chef de projet C.E.P.S.S. Nous remercions aussi les autres membres de l équipe C.E.P.S.S., les Professeurs Ferrandez, Franco, et Portuesi. Les «patients simulés» doivent aussi être remerciés : les Professeurs Bernouillis, Follonier, Jarne-Top, Kampel, et Lilla. À Mesdames Sibleyras et Beylers pour leur travail de corrections et de mise en page et de vérifications bibliographiques. Notre regard se tourne également vers le Canada, vers notre ancienne doyenne, le Docteur en didactique, Margot Phaneuf et le Dr Claire-Andrée Frenette- Leclerc qui ont accepté en toute dernière minute de relire notre texte. Le Dr Leclerc a été un modèle lors de notre formation initiale en soins infirmiers et a influé favorablement sur notre parcours professionnel vers la pratique clinique, son expertise et la recherche d excellence. La photo en couverture a été autorisée par la patiente simulée ainsi que par l étudiante. Elles n ont cependant pas souhaité voir leurs noms publiés. Josée Des Granges Zimmermann Page 5

Partie théorique Introduction La rédaction de ce travail répond à plusieurs demandes émanant de notre direction, du décanat de la filière de soins infirmiers, ainsi que de plusieurs de nos collègues enseignants et infirmiers. Ce texte présente une approche critique qui n engage que l auteur. La première demande émanant de notre directrice, Mme Mireille Clerc, concerne le projet C.E.P.S.S. Nous tenterons ainsi d apporter des éléments de réponses aux questions abordant la pertinence du modèle C.E.P.S.S., de nos ateliers pilotes, de leurs effets dans l apprentissage et vérifierons leur faisabilité d un point de vue économique. Une revue des écrits nous a aussi été demandée; elle figure à la fin du document. La lecture de cet article en son entier n apparaît pas indispensable pour la prise de décisions. Notre direction peut dès lors se référer directement aux aspects pragmatiques formulés sous forme de propositions dans les dernières pages du document. Ce texte a été rédigé dans une logique «recherche» dans la mesure où nous avons cherché à étayer nos propos par des références que nous croyons crédibles. Il ne s agit cependant pas d une recherche au sens strict, car notre travail ne correspond pas aux critères de rigueur nécessaires à la méthodologie de recherche. Un autre élément justifiant l importance de ce texte est la réalisation d un mandat qui nous a été confié pas notre doyen. M. Van Gele, et qui visait à faire la promotion du jugement clinique et de la guidance des équipes enseignantes dans le cadre de la filière infirmière. Nous croyons avoir partiellement atteint cet objectif et nous souhaitons par ce texte en rende compte. Le dernier élément, et non le moindre, est de pouvoir répondre de façon plus précise à plusieurs questions posées par nos collègues enseignants, praticiens formateurs et cliniciens qui souhaitent développer le jugement clinique en soins infirmiers. Ces personnes attendent de nouvelles pistes de réflexion. Nous tenterons d y apporter nos expériences, qui devraient nous conduire vers des discussions au sein de l institution et vers une ouverture aux différentes pratiques. Josée Des Granges Zimmermann Page 6

Nous débuterons notre article en tentant de cerner notre sujet, soit le jugement clinique dans les professions de la santé. Cette partie du texte sera référencée de façon importante, afin de permettre aux lecteurs de s affranchir du présent document et d aborder les textes fondateurs des différents courants. Cette partie répondra aux deux questions suivantes: qu est-ce que le jugement clinique? Quels sont les cadres théoriques qui le sous-tendent? Nous aborderons par la suite quelques stratégies permettant de le développer. Nous présenterons ensuite le modèle que nous avons expérimenté dans le cadre du projet C.E.P.S.S. et deux ateliers relatifs à ce modèle. Il s agit du module optionnel «jugement clinique» inscrit dans le cursus H.E.S. non Bachelor 4e année et de l atelier réanimation BLS qui lui, est inscrit dans le programme obligatoire Bachelor 2e année. Nous terminerons notre travail par des propositions qui, nous le souhaitons, pourront faire avancer le développement du jugement clinique dans les professions de la santé. De nombreuses annexes permettront aux lecteurs de consulter les objectifs des modules, les consignes, les grilles E.C.O.S, les modélisations organisationnelles, les préparations des briefings, les debriefings et autres documents. Toutefois, les documents vidéo ne seront pas disponibles, car nous nous sommes engagés auprès des étudiants à ne pas les diffuser sans une autorisation écrite de leur part. Définitions Les études sur le raisonnement médical ont suscité de nombreuses recherches dans des domaines aussi différents que la psychologie, la philosophie, ou encore la pédagogie. Les termes employés en médecine sont variés : on parle de «sens clinique», de «jugement clinique», de «processus de décision médicale» ou encore «d analyse décisionnelle». Dans le contexte médical, deux approches essentielles ont été identifiées (Elstein, Schwarz, 2002) (McGuire, 1985) : Josée Des Granges Zimmermann Page 7

l approche descriptive, issue de la psychologie cognitive, qui vise à révéler comment les médecins résolvent naturellement des problèmes cliniques (clinical problem solving); l approche normative, qui vise à définir le processus menant à la meilleure décision dans des conditions d incertitude et à analyser comment la démarche décisionnelle peut s écarter des standards (medicals decisions making). Dans la discipline infirmière, nous retrouvons aussi des concepts et des termes variés concernant le «jugement clinique». L ouvrage de Thompson et Dowding (2002) présente notamment plusieurs termes pour le désigner. Certains auteurs parlent de décisions cliniques (Field, 1987; Ford et al., 1979; Luker et Kenricck, 1992), d autres de jugement clinique (Benner & Tanner, 1987; Itano, 1989), d inférences cliniques (Hammond, 1964), de raisonnement clinique (Grobe et al.) ou encore de raisonnement diagnostique (Carnevali et al., 1984) (p. 7). Cette multitude de concepts, définitions et vocables sont autant de facteurs positifs pour le développement de la profession infirmière. Rodgers (1989) relève toutefois que lorsqu une définition ou un attribut d un concept n est pas clair, sa capacité d intervenir positivement dans certaines tâches est grandement diminuée. Nous nous trouvons ainsi confrontés à une littérature infirmière très abondante et souvent confuse, car les théoriciens utilisent les concepts de façon interchangeable. De plus, l inclusion des différents modèles de soins, des cartes conceptuelles ou encore de différents cycles de réflexivité rend les écrits complexes, voire hermétiques. Nous tenterons dès lors de préciser les concepts centraux du «jugement clinique en soins infirmiers», afin de permettre au lecteur de comprendre ultérieurement les dispositifs didactiques développés et expérimentés dans le cadre du projet C.E.P.S.S. Josée Des Granges Zimmermann Page 8

Pour ce faire, nous utiliserons des recherches en sciences infirmières issues pour la plupart du paradigme naturaliste et employant des méthodologies quantitatives et qualitatives. Celles-ci intégreront les éléments subjectifs, les narrations, l importance du contexte et les différentes cultures professionnelles liées aux sous-champs disciplinaires (par exemple : santé mentale, soins somatiques aigus ou chroniques). Les recherches issues de la psychologie cognitive concernant le raisonnement des médecins nous permettront de circonscrire les concepts et de préciser notre compréhension du jugement clinique. Ces recherches s inscrivent dans le paradigme postpositiviste qui reste le courant dominant de la recherche scientifique actuelle. Concepts et relations Comme nous l avons vu précédemment, «les concepts interchangés» rendent la compréhension difficile. Par souci de clarté, nous nous appuierons sur les écrits d Alfaro-Lefevre (2008) pour préciser les liens entre «pensée critique», «raisonnement clinique» et «jugement clinique». Cette auteure tend à démontrer que les cliniciens utilisent la pensée critique et le raisonnement clinique pour élaborer leur jugement clinique. En d autres mots, le jugement clinique s apparenterait plus à «un résultat» qu à un «processus». Les termes ne sont donc pas synonymes. Tanner (2006) adopte la même position. Ainsi le raisonnement clinique sous-tend le jugement clinique, d où son importance. La pensée critique. Certains théoriciens de «la pensée critique» comme Watson et Glaser (1980), McPeck (1981), Facione (1990), Boychuck Duchster (1999) et Simpson et Courtney(2002) la définissent comme une analyse incluant l évaluation et les inférences. Bitner et Tobin (1998) incluent l interprétation, l explication et l auto-régulation comme éléments centraux de la pensée critique. Le questionnement socratique est souvent proposé pour discerner, examiner les hypothèses, en faire ressortir les contradictions et les points de vue multiples. Ce type de questionnement nous permet aussi de différencier connaissances et croyances. Josée Des Granges Zimmermann Page 9

Les raisonnements vus dans une perspective de recherche en psychologie cognitive chez les médecins Le premier chapitre du livre publié par Junod, A.F. (2007) Décision médicale ou la quête de l explicite, propose une revue des écrits traitant du raisonnement. Nous l avons sélectionné pour la qualité de sa synthèse. Nous postulons ainsi que le raisonnement des infirmières est similaire à celui des médecins. Nous n avons pas de recherche pour appuyer ce postulat; notre seule expérience clinique permet de fonder ce choix. Le raisonnement clinique et ses différents processus D après Junod (2007), les processus se déclinent selon trois perspectives. 1. Les processus analytiques de raisonnement de type hypothético-déductif. 2. Les processus non analytiques de raisonnement. 3. Les processus mixtes, analytiques et non analytiques de raisonnement. 1. Les processus analytiques de raisonnement Junod (2007) cite les recherches effectuées dans les années 1970 par l équipe d AS Elstein à l Université du Michigan et appelées «Medical Inquiry project», ainsi que les travaux de Kassirer, J. Gorry, G.(1978) et de Barrows, H.S.(1972). Ces recherches démontrent que les médecins résolvant un problème clinique utilisent systématiquement une stratégie comprenant plusieurs étapes définissant un processus appelé hypothético-déductif. Dès que la plainte est énoncée par le patient, naissent dans l esprit du médecin une ou plusieurs hypothèses diagnostiques, qui servent dès lors de cadre à la recherche d informations supplémentaires. Les données cliniques sont interprétées pour juger si elles sont compatibles avec l hypothèse testée, puis l hypothèse est elle-même évaluée pour être, soit retenue, soit écartée, soit vérifiée par des données supplémentaires. Ce processus recommence avec de nouvelles hypothèses, jusqu à ce que le médecin atteigne le diagnostic clinique de présomption. Les hypothèses générées peuvent être d abord générales puis spécifiques, ou d emblée spécifiques; la première hypothèse est générée très tôt, après moins de Josée Des Granges Zimmermann Page 10

cinq données cliniques, le nombre d hypothèses considérées en même temps varie de deux à quatre, et le nombre total d hypothèses émises, varie de quatre à sept. Ce même processus hypothético-déductif est également utilisé lorsque les sujets reçoivent comme instruction de ne pas générer d hypothèses avant la fin de la consultation. ( ) Les médecins compétents ne se distinguent, ni par le nombre d hypothèses générées, ni par la quantité de l information recherchée, mais plutôt par la collecte de données clés et par l interprétation et l évaluation de leurs hypothèses, ainsi que la qualité des hypothèses testées. C est ce que confirment certains auteurs (Barrows, H.S. 1982) (Norman, G.R & al 1985). L application de règles causales ou conditionnelles Patel et coll. (1986, 1991) concluent que la connaissance peut être représentée comme un réseau de propositions reliées par des règles causales ou conditionnelles (si le symptôme A est présent ( ) alors cela implique le diagnostic B). Le raisonnement consiste donc en un processus dans lequel les médecins reconnaissent un ensemble de données critiques et appliquent correctement les règles stockées dans leur mémoire. Le processus part donc des données cliniques et aboutit au diagnostic, ce qui est opposé au processus hypothético-déductif qui part des hypothèses pour chercher les données pertinentes. 2. Les processus non analytiques Bien que l existence d un modèle hypothético-déductif ait été largement confirmée par les auteurs suivants : Kassirer, J. Gorry, G. (1978), Neufeld, V.R. Norman, G.R. Barrows, H.S. Feightner, J.W. (1981). Gruppen, L.D. Wooliscroft, JO. Wolf, F.M. (1988), d'autres ont constaté que, dans des situations familières, les médecins n énoncent pas spécifiquement des hypothèses, mais semblent reconnaître directement un tableau clinique, de manière inconsciente et automatique à travers des processus non analytiques. Les lecteurs pourront ainsi se rapporter aux écrits de Norman, G.R. Rosenthal, D. Brooks, L.R. Allen SW, Muzzin, L.J. (1989). Josée Des Granges Zimmermann Page 11

Ce dernier type de processus consiste à identifier au sein d un cas clinique soit des configurations caractéristiques de signes (pattern recognition), Groen, G.J, Patel V.L. (1985), soit une similarité avec des cas rencontrés précédemment. Selon le modèle dit de cas concrets (instances) de Schmidt, H.G. Norman, G.R. Boshuizen,H.P.(1990)., les catégories diagnostiques sont représentées comme une collection de situations cliniques individuelles déjà rencontrées. Lorsque le clinicien est face à un nouveau patient, il compare sa présentation clinique à celle stockée dans sa mémoire pour l associer à un diagnostic donné. Ces cas concrets peuvent être stockés comme ils ont été vécus, sans abstraction, et l apprentissage consiste ainsi en l addition de nouvelles expériences cliniques à la base de données logée dans la mémoire. Nous relions les processus non analytiques déclinés plus haut aux processus intuitifs des «experts» décrit par les travaux de Benners et Tanner (1987). 3. Une catégorie intermédiaire de processus est aussi énoncée dans les travaux de Junod (2007). L intrication entre processus non analytique et analytique est plus complexe qu un simple choix inconscient selon la situation clinique qui se présente. La reconnaissance d une similarité peut représenter le moyen d activation en mémoire d une solution (une hypothèse et un réseau de connaissances relatif à cette hypothèse). Cette première étape d activation peut ensuite être suivie d une étape de confirmation sur le mode hypothético-déductif. Cette combinaison «reconnaissance de similaritéconfirmation hypothético-déductive» est très courante et a été démontrée formellement par Kalatunga-Moruzi, C., Brooks, L.R., Norman, G.R. (2001) ainsi que par Norman, G.(2001). Si l approche «mixte» semble rencontrer un intérêt important chez les experts, l approche hypothético-déductive reste l approche employée quand certaines données ne peuvent plus être reliées entre elles. Ainsi le modèle hypothético-déductif reste-t-il incontournable pour les novices comme pour les experts. Passons maintenant aux connaissances et à leur organisation. Josée Des Granges Zimmermann Page 12

L organisation des connaissances Le processus de raisonnement lui-même ne permet pas d expliquer la compétence à résoudre des problèmes cliniques. Cette dernière est également liée à la connaissance que le médecin possède dans un domaine particulier et à la manière dont celle-ci est organisée suite à l exposition clinique. Les recherches suivantes confirment cette position : Patel, V.L., Groen, G.J. (1986), Groen, G.J., Patel, V.L. (1985), Gale, J., Marsden, P. (1982), Grant, J., Marsden, P. (1988). C est donc vers l étude de l organisation des connaissances et de leur activation que la recherche s est orientée à ce stade. Plusieurs modèles d organisation des connaissances ont été élaborés : parmi eux, les cas concrets (instances), les prototypes, et les réseaux complexes comprenant les scripts, les réseaux sémantiques et les schémas. Nous pouvons relier ces remarques à nos propres observations quotidiennes auprès des étudiants. Les processus sans les connaissances ne permettent pas, en effet, de formuler des jugements cliniques crédibles. Nous proposons maintenant une définition du jugement clinique après en avoir analysé les différentes composantes : Le jugement clinique est la résultante d une combinaison de plusieurs activités procédurales et cognitives complexes. Nous pensons ici à l observation, aux raisonnements, aux réflexions et aux processus décisionnels. Ces différentes activités prennent «sens» en relation avec les connaissances interreliées du professionnel. Cet ensemble d activités s articule avec la position, voire la posture critique qu adopte le soignant, ceci en se soumettant aux règles éthiques et déontologiques professionnelles. Le jugement clinique permet ainsi aux professionnels de la santé de construire et d évaluer les problématiques principales des clients, la gravité des situations, les priorités de soins et de surveillance, et de prendre des décisions contextualisées. Il est à remarquer que la notion de jugement est associée à l absence de certitudes et que ce même jugement évolue en fonction des différents stades de l expertise. Dans notre compréhension et Josée Des Granges Zimmermann Page 13

en référence aux travaux de Kataoka-Yahiro, M. & Saylor, C. (1994), le jugement clinique est un jugement professionnel qui se réalise en situation directe de soins. Ainsi, si les jugements cliniques sont toujours des jugements professionnels, les jugements professionnels ne sont pas nécessairement des jugements cliniques. Le jugement clinique est une thématique importante pour la profession. Nous la retrouvons dans plusieurs axes de la formation ainsi que dans les compétences requises pour exercer la profession. L importance du jugement clinique dans la pratique professionnelle Le développement du jugement clinique représente un défi éducationnel et professionnel important. En effet, depuis plusieurs années, les situations de soins se complexifient, les populations vieillissent, le temps d hospitalisation raccourcit, les contraintes économiques et organisationnelles s amplifient et nécessitent de la part des professionnels des compétences de raisonnement et de jugement en adéquation avec ces situations. De plus, les référentiels de compétences édictés par les instances de formation intègrent formellement le jugement professionnel. Cette compétence est centrale au rôle autonome du professionnel soignant, notamment au regard de l examen clinique. Pour Doyon, Brûlé & Cloutier (2002), «l avenir de l examen clinique dans la pratique infirmière se traduit par l accroissement de l autonomie professionnelle de l infirmière et le développement de sa capacité à poser un jugement clinique solide» (p. 13). Encore maintenant et malgré les recherches, le jugement clinique est présenté comme une forme moderne du processus de soins infirmiers et enseigné comme tel. À cet égard, Dupuis, A. et Lefebvre, M. (1993) définissent le jugement clinique de la façon suivante : En soins infirmiers, porter un jugement clinique signifie poser un diagnostic infirmier et déterminer des interventions infirmières afin de résoudre des problèmes. Pour y parvenir, l'infirmière utilise un processus de résolution de problèmes qu'on appelle la démarche de soins infirmiers (p. 228). Josée Des Granges Zimmermann Page 14

Les recherches conduites depuis la fin des années 1970 ont révélé l inadéquation à présenter le processus de soins infirmiers comme seul représentatif des processus de raisonnement clinique et de leur résultante que sont les jugements cliniques (Corcoran, 1986; Tanner, 1987; Tanner et al.,1987; Tanner, 2006).Ainsi, en fonction des résultats de ces recherches, la formation du «jugement clinique» a évolué. Les stratégies permettant de développer le jugement clinique D une unique centration sur le processus de soins appelé aussi «démarche systématique», les théoriciens et les formateurs ont progressivement intégré des variétés de stratégies, permettant de développer les habiletés multiples et complexes qui composent le «jugement clinique». Précisons néanmoins que même si l enseignement de la démarche systématique est d une grande importance pour la profession, elle ne représente cependant plus «la» seule et unique façon de procéder. Tanner (2006) précise par ailleurs qu une entière confiance en ce seul modèle pour guider la formation infirmière serait un mauvais service à rendre aux étudiants. Corcoran-Perry, S. et Narayan, S. (2000) (p. 249-254) décrivent quelques stratégies éducationnelles permettant de développer ce qu elles désignent sous le vocable de «raisonnement clinique». Certaines stratégies insistent sur les processus cognitifs, d autres sur l organisation des connaissances. Quelques stratégies mettent encore en tension les processus cognitifs et l organisation des connaissances. À titre d exemples, mentionnons les stratégies suivantes : La formulation d analogies; Le processus hypothético-déductif et le testing des hypothèses; Le modèle interactif qui se fonde sur la théorie des schèmes; Penser à haute voix (Thinking aloud); La réflexivité à propos de l action; Les simulations en laboratoire d habiletés cliniques; L aide au raisonnement avec des moyens informatiques. Josée Des Granges Zimmermann Page 15

Ces auteurs nous encouragent à développer un répertoire de stratégies et à l enrichir de nouveaux éléments en fonction des objectifs visés. Dans le cadre du projet C.E.P.S.S., nous avons utilisé plusieurs stratégies permettant de développer le «jugement clinique» : 1. les simulations filmées en laboratoire d habiletés cliniques; 2. l utilisation de «patient simulé»; 3. l utilisation d une grille Examen clinique objectif structuré (E.C.O.S.); 4. la réflexivité à propos de l action; 5. le processus hypothético-déductif et le testing des hypothèses; 6. penser à haute voix (Thinking aloud). Nous présenterons les trois premières stratégies, qui sont peu connues de certains de nos collègues professeurs, et aborderons le modèle C.E.P.S.S. ainsi que la réalisation des ateliers pilotes «jugement clinique» et «réanimation». Nous reviendrons ensuite très brièvement sur la quatrième stratégie, soit la réflexivité, cette stratégie étant déjà bien connue de nos collègues. Nous signalons aux lecteurs que nous avons été très attentive à ne pas confondre les buts et les moyens. Les stratégies sont au service de l apprentissage; elles ne sont pas des finalités. Nous utilisons par exemple «la simulation» afin d aider les étudiants à se professionnaliser par l action. Ce n est donc pas pour le plaisir de faire du théâtre. Néanmoins, si l exercice est agréable, il restera mieux inscrit dans la mémoire de l étudiant. Nous donnerons encore un exemple de la sixième stratégie. Les quatre premières stratégies Laboratoire d habiletés cliniques et moyens audiovisuels L utilisation de «patient simulé» L utilisation d une grille Examen clinique objectif structuré (E.C.O.S.) La pratique réflexive Josée Des Granges Zimmermann Page 16

Laboratoire d habiletés cliniques et utilisation des moyens audiovisuels Nous avons eu l opportunité, en juin 2007, de visiter les laboratoires d habiletés cliniques de l Université de Maastricht en Hollande. Notre interlocuteur, M. Van Dalen, nous a présenté l ensemble des laboratoires d habiletés (Skillslab) et les concepts pédagogiques fondant les laboratoires. Un rapport rédigé par notre doyen, M. Van Gele, résume cette visite et est disponible sur le réseau informatique de la HECVSanté. Nous retiendrons de l expérience hollandaise que les habiletés cliniques se développent et s organisent du simple au complexe. Nous expliquerons de façon détaillée ce principe qui nous a passablement interpellées et qui a posé un obstacle à la transposition didactique des simulations. Depuis de nombreuses années, la discipline infirmière positionne ses pratiques dans le paradigme de la complexité. Les recherches disciplinaires effectuées ont démontré la complexité de nos pratiques, ainsi que la complexité des situations des patients et de leurs familles. De plus, l approche pédagogique de la HECVSanté repose sur le constructivisme où les situations de soins sont d emblée présentées dans leur intégralité afin d en conserver la complexité. N est-ce pas un retour en arrière que de poser ce principe de construction? Dans un certain sens oui, si nous réduisons les situations à «des formats pédagogiques» et croyons que cela est une reproduction du «réel». Dans un autre sens non. Nous continuons alors à nous inscrire dans le paradigme de la complexité et relevons l expérience des laboratoires de pratiques comme des entités différentes de celles de la pratique. Dans cette perspective, les laboratoires de pratiques ne sont pas de «pâles copies» des vraies pratiques sur le terrain. Nous pensons par ailleurs que rien ne peut remplacer la richesse de l expérience professionnelle. Ainsi, les laboratoires ne remplacent pas la pratique. Ils peuvent la préparer, la compléter, mais pas la remplacer. Ce sont des lieux d apprentissage privilégiés où il peut même être possible d apprendre autant, voire plus que dans la pratique si les conditions didactiques sont Josée Des Granges Zimmermann Page 17

respectées. Le «patient simulé» ne disparaîtra pas pour aller au scanner au moment du recueil de données, par exemple. Nous pensons qu il est pertinent d inscrire en début de formation des habiletés faussement qualifiées de «simples» sous la catégorie «moins complexe». À titre d exemple, mentionnons la mesure de la pression artérielle. Cette technique, souvent mal reconnue dans sa complexité, est présentée comme une habileté de base permettant d évaluer la fonction cardio-vasculaire. Elle a été régulièrement pratiquée en milieu de stage. Elle est indispensable au jugement clinique lors de certaines simulations. Néanmoins, nous avons observé que cette mesure est encore mal maîtrisée par nos étudiants en fin de formation. Nous souhaitons démontrer par cet exemple que le jugement clinique doit reposer sur des données fiables et crédibles. L étudiant doit être capable de réaliser un recueil de données «sensé» et suffisamment précis et fiable pour échafauder une construction mentale comme le jugement clinique. Ainsi, dans les ateliers d habiletés, il est pertinent de développer les habiletés dites «moins complexes» ou «de base» ou encore «constitutives», en prérequis des ateliers de jugement clinique. Ceci dans une perspective où les situations sont complexes, mais l apprentissage échelonné selon des gradients de difficulté. Cela ne veut néanmoins pas dire qu il faut interdire aux étudiants de penser ou de chercher à formuler des hypothèses, ce qui semble par ailleurs impossible (se référer aux travaux D Elstein (1978)). Il faut plutôt organiser les activités de formation autrement. Au vu de ce qui précède, nous pensons qu il est difficile de demander à un étudiant en tout début de formation de formuler des jugements cliniques. Il doit d abord commencer par maîtriser les habiletés cliniques de base et connaître les normes. Il doit apprendre au préalable à récolter des données de façon précise. Nous insisterons par conséquent sur le principe du «moins complexe au plus complexe» dans la formation des activités dites «pratiques». Abordons maintenant les moyens audiovisuels, très appréciés des étudiants et des professeurs. Josée Des Granges Zimmermann Page 18

Les moyens audiovisuels Nos étudiants sont de la génération «internet» où l image et les sons sont médiatisés. L utilisation des caméras et autres moyens audiovisuels est perçue comme un moyen dynamique, novateur permettant d apprendre en s observant et en s écoutant. L observation d un document vidéo numérisé permet à l étudiant de s auto-informer et plus spécifiquement de : confronter ses impressions subjectives et son analyse avec des images et des paroles «relativement objectives»; les angles de prise de vue et la qualité des images et du son pouvant influer sur l objectivité; découvrir de nouveaux éléments de la simulation réalisée; vérifier l organisation, la priorité des actions et leur inscription temporelle (timing); observer la position du corps dans l espace; observer les réactions du patient simulé. Les professeurs trouvent aussi des avantages à l utilisation des moyens audiovisuels. S ils sont présents lors des tournages, ils peuvent revérifier l évaluation des prestations de l étudiant et rechercher de nouveaux éléments. Lors de la simulation, l étudiant peut, par exemple, se présenter au patient de façon incomplète. Malgré une grille d évaluation bien construite, il est possible d oublier certains éléments ou d être distrait par un bruit dans la salle ou un problème de caméra. De plus, après plusieurs simulations, une diminution de la concentration du professeur est envisageable. La vidéo peut ainsi apporter des éléments supplémentaires. En revanche, si les professeurs sont absents du tournage, ils peuvent découvrir les prestations des étudiants avec les réserves que nous émettons plus loin. Les vidéos étant numérisées et le timing affiché, il est intéressant de pouvoir situer les actions dans le temps. Nous pourrons par exemple découvrir qu après seulement 2 minutes, l étudiant s est présenté, s est désinfecté les mains, a Josée Des Granges Zimmermann Page 19

installé confortablement son patient, tout en écoutant ses demandes et ses craintes. L enchaînement, l organisation et la priorité des actions sont intéressants à regarder pour identifier les schèmes d action de l étudiant. La vidéo est une aide à l apprentissage. Elle ne doit donc pas être vue uniquement comme un moyen de surveillance et de contrôle. Par ailleurs, si le visionnement des séquences apporte des compléments d information aux professeurs, il nous apparaît cependant impossible, pour le moment du moins, d évaluer somativement des prestations sur la seule base d enregistrement vidéo. Les angles de vue peuvent être trompeurs et désavantager l étudiant. La qualité sonore étant pour l instant médiocre, il est fort possible que des propos soient inaudibles ou que des «bruits parasites» rendent l audition difficile. De plus, le cadrage choisi par le caméraman donne une dimension et une ambiance particulières. L image n est ainsi probablement pas toujours le reflet exact de ce qui s est déroulé. Elle reste néanmoins un complément très intéressant et très apprécié des étudiants et des professeurs. Passons maintenant à l approche des «patients simulés» appelés aussi «patients standardisés». Josée Des Granges Zimmermann Page 20