Normes internationales concernant l objection de conscience au service militaire

Documents pareils
J ai droit, tu as droit, il/elle a droit

AZ A^kgZi Yj 8^idnZc

Convention sur la réduction des cas d apatridie

Convention européenne des droits de l homme

Fiche d'information n 26 - Le Groupe de travail sur la détention arbitraire

Observations de Reporters sans frontières relatives aux projets de loi sur la presse marocains -

Copie préliminaire du texte authentique. La copie certifiée par le Secrétaire général sera publiée ultérieurement.

Cour européenne des droits de l homme. Questions & Réponses

HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L HOMME. Principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l homme

GROUPE DE RÉDACTION SUR LES DROITS DE L HOMME ET LES ENTREPRISES (CDDH-CORP)

VIE PROFESSIONNELLE ET RESPECT DE LA VIE PRIVEE Par Béatrice CASTELLANE, Avocate au Barreau de Paris

utilisés en faveur d un relativisme culturel, allant à l encontre de l universalité des droits de l homme,

Les Principes fondamentaux

Algérie. Loi relative aux associations

Déclaration universelle des droits de l'homme

DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME ONU - 10 Décembre Texte intégral

4./4/14 DE DROIT AÉRIEN. (Montréal, 26 CONVENTION SURVENANT. (12 pages) DCTC_WP_DCTC_

Continuité d activité. Enjeux juridiques et responsabilités

Principes de liberté d'expression et de respect de la vie privée

Code de conduite pour les responsables de l'application des lois

Loi institutant un Médiateur de la République du Sénégal

L EVALUATION PROFESSIONNELLE

Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales

PROTOCOLE DE LA COUR DE JUSTICE DE L UNION AFRICAINE

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Distr. GENERAL. HCR/GIP/02/02 Rev.1 Date: 8 juillet FRANÇAIS Original: ENGLISH

- La mise en cause d une personne déterminée qui, même si elle n'est pas expressément nommée, peut être clairement identifiée ;

Circulaire de la DACG n CRIM 08-01/G1 du 3 janvier 2008 relative au secret de la défense nationale NOR : JUSD C

LES DROITS CULTURELS. Déclaration de Fribourg

' '(!)('( ' #$%&'# ! '! " #$%&

A/RES/55/25 II. Protection des victimes de la traite des personnes

Cadre général du Forum sur les questions relatives aux minorités

Nathalie Calatayud - Responsabilité juridique de l'infirmière

NORMES INTERNATIONALES EN MATIERE DE TRANSPARENCE ET D OBLIGATION DE RENDRE COMPTE1

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

Cour. des droits QUESTIONS FRA?

RESPONSABILITE DU DIRIGEANT EN DROIT DU TRAVAIL

Ce projet de loi fixe un plafond pour le budget de la Défense et un plancher pour le budget de l Aide internationale.

NATIONS UNIES. Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques

Convention de Vienne sur la représentation des Etats dans leurs relations avec les organisations internationales de caractère universel

Plan d Action de Ouagadougou contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, tel qu adopté par la Conférence

DIRECTIVE PRATIQUE RELATIVE À LA MISE EN OEUVRE DE L ARTICLE

Les 7 Principes fondamentaux

STATUT ACTUALISÉ DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L EX-YOUGOSLAVIE

Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) du 19 décembre 1986

Fiche pratique N 1 : Qu est-ce que les droits de l Homme?

Notions de responsabilité. Stage initial initiateur CTD 74 - nov Jean-Pierre GUERRET

Convention sur les missions spéciales

La majorité, ses droits et ses devoirs. chapitre 7

Déclaration de Lilongwe sur l accès à l assistance juridique dans le système pénal en Afrique

CODE DE CONDUITE FOURNISSEUR SODEXO

la gestion des dossiers

Protocole n 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales (STCE n 213) Rapport explicatif

RECOMMANDATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE N 13 DE L ECRI

41/128 Déclaration sur le droit au développement

LE DOCUMENT DE MONTREUX

Normes de formation au pré-déploiement pour la Police des Nations Unies

Déclaration sur le droit au développement

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

Éléments des crimes *,**

Responsabilité professionnelle des Infirmiers

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

BELGIQUE. Septième session de la Conférence des Etats Parties à la Convention relative aux Droits des Personnes handicapées

Introduction. Une infraction est un comportement interdit par la loi pénale et sanctionné d une peine prévue par celle-ci. (1)

Charte de la laïcité à l École Charte commentée

Vu le recours, enregistré à la Cour le 17 janvier 2014, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

COMPRENDRE, EVALUER ET PREVENIR LE RISQUE DE CORRUPTION

L ABUS DE CONFIANCE I - CONDITION PREALABLE A - LES BIENS CONCERNÉS B - LA REMISE DU BIEN

LES RESPONSABILITES DES AGENTS PUBLICS DE L ÉTAT. Formation AVS Janvier 2013

TRIBUNAL DE POLICE ET SANCTIONS PENALES : PEINES PRINCIPALES, SUBSIDIAIRES & ACCESSOIRES

Art. 2. Les vérificateurs environnementaux, tels que définis à l article 2, point 20) du règlement (CE), relèvent du régime suivant :

ALLOCUTION DE M. BENJAMIN HOUNTON CHARGE DU BUREAU DU HAUT COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L HOMME POUR L AFRIQUE DE L OUEST

LE DOCUMENT UNIQUE DE DELEGATION

Règlement d INTERPOL sur le traitement des données

La responsabilité pénale dans l entreprise

Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif

NOTE D ORIENTATION DU SECRETAIRE GENERAL. Aide à la consolidation de l état de droit : l approche de l ONU

Déléguée ou délégué : une fonction officielle

PROJET D ARTICLES SUR LA RESPONSABILITE DE L ÉTAT POUR FAIT INTERNATIONALEMENT ILLICITE

Article 1654 Le mariage est un contrat solennel entre deux personnes de sexe opposé qui souhaitent s unir et former une famille.

La responsabilité juridique des infirmiers. Carine GRUDET Juriste

La clause pénale en droit tunisien 1

Guide de la pratique sur les réserves aux traités 2011

Responsabilité civile et pénale de l instituteur

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Notions de responsabilité. Commission Technique Régionale Est

LA DEFENSE DEVANT LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES

PROJET D ARTICLES SUR LA RESPONSABILITE DE L ÉTAT POUR FAIT INTERNATIONALEMENT ILLICITE

Les autorités judiciaires françaises n ont pas mis en œuvre de politique nationale de prévention dans ce domaine.

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

REVENDICATIONS PARTICULIÈRES : NÉGOCIER L ACQUITTEMENT DE LA DETTE NATIONALE DU CANADA

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

ARROW ELECTRONICS, INC.

LA REBELLION. a) il faut que l'agent ait agi dans l'exercice de ses fonctions.

REGLES INTERNES AU TRANSFERT DE DONNEES A CARACTERE PERSONNEL

Projets de principes sur la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d activités dangereuses 2006

Peut-on envisager un effet direct?

TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE (VERSION CONSOLIDÉE)

Annexe VI au Protocole au Traité sur l Antarctique relatif à la protection de l environnement

Transcription:

Novembre 2011 Quaker United Nations Office Normes internationales concernant l objection de conscience au service militaire par Rachel Brett English Français Español Русский Deutsch

Introduction L objection de conscience au service militaire n est pas explicitement reconnue dans les normes internationales des droits de l homme. Cela a conduit certains Etats à discuter de sa protection et à suggèrer qu elles ne la protège pas. Ce n est toutefois pas le cas. Le Comité des droits de l homme, l organe d experts qui surveille l application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 1 (PIDCP), indique clairement que l objection de conscience au service militaire est protégée par le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et l a déclaré dans ses Opinions (décisions) concernant des communications individuelles 2, dans ses Observations générales 3 et ses Observations finales 4. De plus, l ancienne Commission des droits de l homme des Nations Unies 5 a adopté une série de résolutions sur l objection de conscience au service militaire, et le Groupe de travail sur la détention arbitraire ainsi que le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction du Conseil des droits de l homme des Nations Unies ont également examiné le sujet. En outre, une récente décision de la Cour européenne des droits de l homme, rendue par la Grande Chambre en juillet 2011, a reconnu l existence d un droit à l objection de conscience au service militaire 6. Le droit à l objection de conscience au service militaire Le Comité des droits de l homme a reconnu le droit à l objection de conscience au service militaire comme faisant partie du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion garanti par l article 18 du Pacte 1 167 Etats sont désormais partis au PIDCP (novembre 2011) 2 Le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d une violation par cet Etat partie (à la fois du Protocole et du Pacte). En novembre 2011, 114 Etats étaient partis à ce protocole. 3 Les Observations générales sont rédigées et acceptées à l unanimité par le Comité afin d interpréter les dispositions du traité. 4 Les Observations finales sont des recommandations du Comité adressées à un Etat à la fin de l examen du rapport de l Etat concernant l application du Pacte. 5 Le Conseil des droits de l homme a été établi en 2006. Il remplace la Commission des droits de l homme, formellement abolie le 16 juin 2006. 6 Cour européenne des droits de l homme, Grande Chambre, affaire Bayatyan v. Arménie (requête nº 23459/03), 20 juillet 2011. 1

international relatif aux droits civils et politiques. Il a traité ce sujet dans de nombreuse Observations finales sur des rapports d Etats parties et dans les cas individuels, notamment ceux de Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi v. République de Corée 7, Eu-min Jung et al v. République de Corée 8 et Min-Kyu Jeong et al v. République de Corée 9. Dans le dernier cas, le Comité a soutenu que l objection de conscience entrait dans le champ du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L objection de conscience au service militaire est donc un droit que le Comité reconnaît expressément comme étant garanti par le PIDCF. Ce droit ne doit pas être compromis par des mesures coercitives 10. Dans les affaires précédentes, le Comité avait identifié l objection de conscience comme étant une forme protégée de manifestation de la croyance religieuse entrant dans le champ du paragraphe 1 de l article 18 du Pacte. Le Comité avait déjà mis fin aux arguments selon lesquels l objection de conscience n est pas reconnue par le Pacte soit parce qu elle n est pas explicitement inclue (le raisonnement qu il avait déjà contré dans son Observation générale 22 sur l article 18) 11 soit à cause de l article 8 et sa référence à l objection de conscience. L article 8 traite de la prohibition du travail forcé, et son paragraphe 3 déclare que, dans ce contexte, travail forcé ou obligatoire n inclut pas tout service de caractère militaire et, dans les pays où l objection de conscience est admise, tout service national exigé des objecteurs de conscience en vertu de la loi. Dans Yoon et Choi v. République de Corée, le Comité a déclaré que l article 8 en soi ne reconnaît pas le droit à l objection de conscience, pas plus qu il ne l exclut. 7 Yeo-Bum Yoon et Mzung-Jin Choi v. République de Corée (CCPR/ C/88/D/1321-1322/2044, 23 janvier 2007). 8 Eu-Min Jung et al v. République de Corée (CCPR/C/98/D/1593-1603/2007, 14 avril 2010) 9 Min-Kyu Jeong et al v. République de Corée (CCPR/C101/D/1642-1741/2007, 5 avril 2011) 10 Min-Kyu Jeong et al v. République de Corée (CCPR/C101/D/1642-1741/2007, 5 avril 2011), para. 7.3. 11 En 1993, le Comité des droits de l homme a déclaré dans son Observation générale nº 22 concernant l article 18 que l invocation de l objection de conscience au service militaire peut être déduite de la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction dans la mesure où l obligation d employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion or ses convictions. 2

Ainsi, le grief en question doit être apprécié à la seule lumière de l article 18 du Pacte 12. Le paragraphe 1 de l article 18 du Pacte, qui relève à la fois de la liberté de pensée, de conscience et de religion et du droit à la manifester ne permet aucune dérogation même en cas d un danger exceptionnel qui menace l existence de la nation 13. Bien que certaines restrictions au droit de manifester sa religion ou conviction soient permises, ce ne sont que celles définies par le paragraphe 3 de l article 18, c est-à-dire celles prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l ordre, de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d autrui. Le Comité des droits de l homme indique clairement que une telle restriction ne doit pas porter atteinte à l essence même du droit en question 14. Ainsi ces limitations possibles ne peuvent servir d excuse pour ne pas prévoir l objection de conscience au service militaire. On peut remarquer que dans son Observation générale 22, le Comité des droits de l homme a noté que la sécurité nationale ne fait pas partie des motifs de restriction recevables, parce qu elle ne figure pas dans la liste à l article 18, au contraire d autres articles du Pacte. Pourtant, depuis Min-Kyu et al v. République de Corée, la question de limitations est obsolète car le Comité a jugé que l objection de conscience entre explicitement dans le champ du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et n est pas uniquement une manifestation de cette liberté. Dans l affaire de Bayatyan v. Armenia 15 en 2011, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l homme a suivi la même logique que le Comité. Elle a jugé que l opposition au service militaire lorsqu elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l obligation de servir dans l armée et la conscience d une personne ou ses convictions sin- 12 Cet éclaircissement a de l importance car une affaire antérieure (L.T.K. v. Finlande, nº 185-1984) avait été jugé non recevable quand le Comité a déclaré que les détails de l article 8 écartaient la nécessité des Etats de reconnaitre l objection au service militaire. 13 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 4. 14 Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi v. République de Corée (CCPR/ C/88/D/1321-1322/2004, le 23 janvier 2007). 15 Cour européenne des droits de l homme, Grande Chambre, affaire Bayatyan v. Arménie (requête nº 23459/03) 3

cères et profondes, de nature religieuse ou autre constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d importance pour entraîner l application des garanties de l article 9 (le droit à la liberté de pensée, conscience et religion) de la Convention. De plus, la Grande Chambre a conclu qu il ne fallait plus interpréter l article 9 à la lumière de l article 4 de la Convention européenne. Peu après, le jugement d Erçep v. Turquie 16 a clarifié et réitéré cet argument. Il a trouvé que le refus de mettre en place des formes de service de remplacement afin d offrir une solution aux personnes dont les convictions personnelles interdisaient d accomplir leurs obligations militaires constitue une violation de l article 9. Qui peut être objecteur de conscience? Bien qu il soit possible qu une objection de conscience soit basée sur une croyance religieuse formelle, cela n est pas obligatoire. Le Comité des droits de l homme a indiqué qu aucune discrimination n est permise en ce qui concerne la religion ou croyance sur laquelle est basée l objection 17. D ailleurs, dans son Observation générale 22, le Comité parle de situations où l obligation d employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion et ses convictions 18. La même observation générale accorde une large acception aux termes religion et croyance et déclare que 19 (L) article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées ( ) L article 18 n est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles. Le Comité traite spécifiquement de cette question dans ses observations finales à des rapports présentés par des Etats parties, 4 16 La Cour européenne des droits de l homme (deuxième section), Affaire Erçep v. Turquie (Requête n o 43965/04), le 22 de novembre, 2011. 17 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para 11; aussi Brinkhof v. Pays Bas (Communication numéro 402/1990 du 27 juillet 1993). De même, la résolution 1998/77 de la Commission des droits de l homme (adopté sans vote) : Considérant que l objection de conscience au service militaire découle de principes et de raisons de conscience, y compris de convictions profondes, fondées sur des motifs religieux, moraux, éthiques, humanitaires ou des motifs analogues. 18 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para.11. 19 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para. 2.

en appelant, par exemple, un Etat à étendre le droit à l objection de conscience au service militaire obligatoire aux personnes qui font valoir des convictions de conscience non religieuses et l accepter pour toutes les confessions religieuses 20. Dans le cas d Eu-min Jung et al v. République de Corée, le Comité a spécifié que la déclaration de culpabilité et la condamnation des auteurs ont constitué une atteinte à leur liberté de conviction, ainsi qu une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou croyance 21. De même, une personne peut devenir objecteur de conscience en étant dans les forces armées, que ce soit comme conscrit ou volontaire. Une telle situation peut se présenter dans le contexte général d un changement de religion ou de croyance, ou se rapporter spécifiquement au service militaire. La liberté générale de changer sa religion ou croyance est reconnue par l article 18 (1) du Pacte 22 et l article 18(2) interdit une contrainte pouvant porter atteinte à la liberté d un individu d avoir ou d adopter une religion. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire considère que l incarcération répétée dans le cas des objecteurs de conscience vise à leur faire changer de conviction et d opinion sous la menace d une sanction. Le Groupe de travail considère que cela est incompatible avec le paragraphe 2 de l article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 23. L application spécifique a été reconnue explicitement par le Comité des droits de l homme lorsque, par exemple, il a recommandé l adoption d une législation concernant l objection de conscience au service militaire à un Etat qui présentait un rapport reconnaissant que l objection de conscience peut être soulevée à tout moment, y compris lorsque l intéressé a déjà commencé le service militaire 24. De même, la Commission des droits de l homme des Nations Unies a déclaré que les personnes effectuant leur service militaire peuvent devenir objecteurs de conscience et souligné qu il importe de 20 Comité des droits de l homme, Observations finales sur l Ukraine, novembre 2006 (CCPR/C/UKR/CO/6), para.12. 21 Eu-min Jung et al v. République de Corée (CCPR/C/98/D/1593-1603/2007, le 14 avril 2010, para. 7.4). 22 Le droit à changer de religion ou de conviction est aussi mentionné dans l Observation générale 22 du Comité des droits de l homme. 23 Group de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, Recommandation 2: détention des objecteurs de conscience, E/CN.4/2001/14, paras. 91-94. 24 Comité des droits de l homme, Observations finales sur le Chile, mars 2007 (CPR/C/ CHL/CO/5) 5

veiller à ce que toutes les personnes visées par le service militaire soient informées du droit à l objection de conscience au service militaire et des moyens d obtenir le statut d objecteur de conscience 25. En 2010, le Comité des Ministres du Conseil de l Europe a adopté la Recommandation sur les droits de l homme des membres des forces armées. Il a reconnu de manière explicite que les membres professionnels des forces armées, tout comme les appelés, devraient pouvoir quitter les forces armées pour raison de conscience 26. Processus de prise de décisions La Commission des droits de l homme des Nations Unies a noté avec satisfaction que certains Etats acceptent l objection de conscience sans enquête et engagé les Etats qui n ont pas un tel système à mettre en place des organes indépendants et impartiaux de décision 27. Le Comité des droits de l homme s est préoccupé des décisions ( ) rendues par les tribunaux militaires dans les affaires concernant des objecteurs de conscience 28. Il a suggéré de confier l évaluation des demandes de statut d objecteur de conscience aux autorités civiles 29. Dans l affaire Erçep v. Turquie à la Cour Européenne des droits de l homme, le requérant s est plaint d avoir dû, en tant que civil, comparaître devant une juridiction composée exclusivement de militaires. La Cour a confirmé qu il y a eu une violation de l article 6 de la Convention (le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, par un tribunal indépendant et impartial). Comme nous l avons mentionné ci-dessus, quoi que soit le processus d évaluation, aucune discrimination n est permise entre objecteurs de conscience sur la base de la nature de leurs convictions particulières 30. 25 Commission des droits de l homme des Nations Unies, résolution 1998/77. 26 Recommandation CM/Rec (2010)4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les droits de l homme des membres des forces armées, février 2010, paras. 40-46. 27 Commission des droits de l homme des Nations Unies, résolution 1998/77, OP2 et OP3. 28 Commission des droits de l homme des Nations Unies, Observations finales sur Israël, juillet 2003 (CCPR/CO/78/ISR), para. 24. 29 Commission des droits de l homme des Nations Unies, Observations finales sur la Grèce, mars 2005 (CCPR/CO/83/GRC) para.15. 30 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para.11. 6

Peine pour les objecteurs de conscience non-reconnus Les objecteurs de conscience ne peuvent être condamnés plus d une fois pour leur refus d entreprendre ou de continuer leur service militaire pour des raisons de conscience. L Observation générale 32 31 du Comité des droits de l homme concernant l article 14 du Pacte traite spécifiquement des peines répétées pour les objecteurs de conscience : Le paragraphe 7 de l article 14 du Pacte, qui dispose que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d une infraction pour laquelle il a déjà été condamné ou acquitté par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays, consacre le principe de ne bis idem. Cette disposition interdit de traduire un individu qui a été condamné ou acquitté pour une infraction déterminée, soit de nouveau devant la même juridiction soit devant une autre juridiction pour la même infraction ; ainsi, par exemple, la personne qui a été acquittée par une juridiction civile ne peut pas être jugée de nouveau pour la même infraction par une juridiction militaire ou une juridiction d exception ( ) Les peines répétées prononcées contre les objecteurs de conscience qui n ont pas obéi à un nouvel ordre d appel sous les drapeaux peuvent être assimilées à une peine sanctionnant la même infraction si ce refus réitéré est fondé sur la même détermination permanente qui s appuie sur des raisons de conscience. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a traité de la prohibition des peines répétées pour les objecteurs de conscience pour leur refus continu d entreprendre leur service militaire. Le Groupe a jugé que les peines de prison répétées constituaient une détention arbitraire 32. Cependant, suite aux opinions du Comité des droits de l homme concernant Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi v. République de Corée 33, le 31 Observation générale 32, CCPR/C/GC/32, 23 août 2007, IX PRINCIPE: NE BIS EN IDEM, paras 54-55 (note de bas de page omise). 32 Opinion N. 3/1999 (TURQUIE): Nations Unies, Groupe de travail sur la détention arbitraire (E/CN.4/2001/14/Add.1), Groupe de travail sur la détention arbitraire, Recommandation 2(E/CN.4/2001/14); et Opinion No.24/2003 (Israël) E/CN.4/2005/6/Add.I. 33 Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi v. République de Corée (CCPR/ C/88/D/1321-1322/2004, le 23 janvier 2007). 7

Groupe de travail a déclaré que 34 la première peine d un objecteur de conscience au service militaire avait aussi un caractère arbitraire résultant de l exercice des droits et libertés garantis par l article 18 de la Déclaration universelle des droits de l homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 35 Service alternatif Tout service alternatif exigé des objecteurs de conscience en lieu et place du service militaire obligatoire doit être compatible avec les raisons de l objection de conscience, offrir un statut de civil ou de non-combattant, être dans l intérêt public et ne pas avoir le caractère d une sanction 36. Dans l affaire de Min-Kyu Jeong et al v. République de Corée, le Comité a précisé que le service alternatif doit être civil et indépendant du système militaire. Il ne doit pas être de nature punitive. Le service alternatif doit être dans l intérêt public et compatible avec le respect des droits de l homme. Le terme sanction se réfère non seulement à la durée du service alternatif, mais aussi au type de service, et aux conditions dans lesquelles il s accomplit. En plus d un service alternatif civil, un service militaire sans armes peut être organisé pour ceux dont l objection est seulement le port personnel d armes 37. La question de la longueur du service alternatif comparée à celle du service militaire a été le sujet de plusieurs cas considérés par le Comité des droits de l homme. Le Comité a désormais clairement établi (Foin v. France) que toute différence de longueur doit être fondée sur des critères raisonnables et objectifs tels que la nature du service dont il est question ou la nécessité de subir un entraînement spécial pour pouvoir accomplir ce service 38. 34 Opinion No. 16/2008 (TURQUIE) du mai 2008. 35 De même, la Commission des droits de l homme des Nations Unies, résolution 1998/77 souligne que les Etats devraient prendre les mesures requises en vue de s abstenir de soumettre les objecteurs de conscience à l emprisonnement ou à des sanctions répétées (OP5). 36 Commission des droits de l homme, Résolution 1998/77, OP4. 37 Commission des droits de l homme, Résolution 1998/77, OP4. 38 Foin v. France (Communication No.666/1995), CCPR/C/D/666/1995, 9 novembre 1999. 8

Non-discrimination En ce qui concerne à la fois les aspects spécifiques de l objection de conscience et du service alternatif déjà mentionnés, et plus généralement, il est clair qu aucune discrimination n est permise à l égard des objecteurs de conscience ou entre ces derniers. Non seulement aucune distinction entre les objecteurs de conscience sur la base de la nature de leurs convictions particulières 39 n est permise, mais de même aucune distinction dans la législation ou la pratique n est permise entre ceux qui font le service militaire et ceux qui choisissent un service alternatif en ce qui concerne les conditions ou modalités du service. Par la suite, les objecteurs de conscience ne peuvent pas non plus être soumis à une discrimination concernant leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils ou politiques parce qu ils n ont pas accompli le service militaire. 40 39 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para.11. 40 Comité des droits de l homme, Observation générale 22, para. 11 ; Commission des droits de l homme des Nations Unies, résolution 1998/77, OP6.

Bureau Quaker auprès des Nations Unies: Bureau Quaker auprès des Nations Unies: A Genève: 13 Avenue du Mervelet 1209 Geneva Switzerland Tel: +41 22 748 4800 Fax: +41 22 748 4819 quno@quno.ch A New York: 777 UN Plaza New York, NY 10017 United States Tel: +1-212-682-2745 Fax: +1-212-983-0034 qunony@afsc.org www.quno.org Bureau Quaker auprès des Nations Unies Les Bureaux Quaker auprès des Nations Unies (QUNO), à Genève et à New York, représentent le Comité consultatif mondial des Amis (Quakers), une organisation non gouvernementale avec statut consultatif général auprès des Nations Unies. Les Bureaux Quaker auprès des Nations Unies travaillent à promouvoir aux Nations Unies et dans d autres institutions internationales les causes de paix et de justice des Amis (Quakers) du monde entier. Ils sont soutenus par la Comité américain de service des Amis (American Friends Service Committee), l Assemblée annuelle de Grande Bretagne, la communauté mondiale des Amis, et d autres groupes et personnes individuelles. Quaker United Nations Office Geneva