La dépendance Questions sociales - Avril 2011
Perspectives de la réforme de la dépendance La dépendance des personnes âgées : La perte d autonomie liée au grand âge, qualifiée de dépendance, n est pas nouvelle, ce qui change c est le nombre de personnes concernées et l allongement de la période de dépendance, 5 à 15 ans. La dépendance peut être définie comme l état d «une personne qui, nonobstant les soins qu elle est susceptible de recevoir, a besoin d être aidée pour l accomplissement des actes essentiels de la vie ou requiert une surveillance particulière.» (loi du 24/1/1997 instaurant la PSD, prestation spécifique dépendance, remplacée au 1/1/2002 par l APA, allocation personnalisée d autonomie). La situation de dépendance est donc distincte de celle de maladie. On estime aujourd hui à 1,5 millions, le nombre de personnes âgées dépendantes, dont 230 000 au lit ou en fauteuil, et on considère qu au-delà de 80 ans, ¼ de la population est totalement autonome, ¼ gravement handicapé, et ½ à mi chemin entre dépendance et autonomie. En 2015, 2 millions de personnes auront plus de 85 ans. La grande majorité des personnes dépendantes vivent à domicile et souhaitent y rester, ce qui nécessite la mise en œuvre de politiques publiques d ampleur. Certains plaident pour une approche plus large de la dépendance, incluant le handicap : «La dépendance des personnes âgées est une forme de handicap» selon Hélène Gisserot. La convergence des politiques sociales en direction des personnes âgées et handicapées et la nécessité de prendre en compte le vieillissement des personnes handicapées, 265 000 ont aujourd hui plus de 60 ans, justifieraient une approche plus globale. 1- Le contexte Des besoins certains : Situation de vieillissement démographique : l arrivée aux grands âges des générations nombreuses du baby boum d après guerre, et l allongement continu de l espérance de vie, (en 2010, l espérance de vie à 60 ans est de 22,2 ans pour les hommes, 27,2 pour les femmes (INSEE)), font apparaître une nette progression du nombre des plus de 80 ans à l horizon 2060 ; en 2035 un Français sur 3 aura plus de 60 ans, 11,9 millions auront plus de 75 ans et en 2060 le nombre de personne âgées dépendantes devrait doubler : 2,3 millions selon les critères actuels de l APA. Des financements incertains dans un contexte d essoufflement de la solidarité publique : La dépense publique pour la dépendance représente 23 mds d euros par an (2010), soit 1,1% du PIB, dont 60% à charge de l assurance maladie, 20 % à charge des départements (APA principalement, et aide sociale à l hébergement), le reste revenant à l Etat (exonérations fiscales et sociales), la CNSA, et les branches famille et vieillesse de la sécurité sociale. Difficulté de trouver un financement durable pour des dépenses dont la croissance à venir est certaine (augmentation des personnes âgées en perte d autonomie de 1,3 à 1,6%/an jusqu en 2012, puis de 0,8 à 1,1% /an entre 2012 et 2025, suscitant une augmentation de dépenses de personnels sanitaires et sociaux, de financement de places en structures d accueil et services à domicile). 1 / 6
La question du reste à charge des familles : Le coût d un hébergement en maison de retraite se situe autour de 2200 e /mois, d une aide à domicile 1800 e/mois alors que la plupart des retraites sont inférieures à 1000 e/mois. En 2007, le reste à charge moyen en établissement était de 1468 e/mois, lié au coût de plus en plus élevé de l hébergement, qui n est pas socialisé comme le sont les dépenses de dépendance ou de soin. La situation difficile des départements : Pour les prestations APA (allocation personnalisée d autonomie), et PCH (prestation de compensation du handicap), la gestion est décentralisée mais la réglementation relève de l Etat. De plus, avec l APA, l aide sociale auparavant limitée à des doits subjectifs résultant d une situation de besoin, intègre une prestation de solidarité qui se veut universelle et égalitaire. Nombre de départements sont en difficulté financière pour faire face aux dépenses générées par ces prestations, d autant plus que le taux de couverture de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l autonomie) a chuté : 66 % en 2009 contre 93% en 2008 pour la PCH, 30 % en 2009 contre 33 % en 2008 pour l APA, alors que, lors de l adoption de la loi du 20/7/2001 instaurant l APA, l Etat avait posé le principe d un cofinancement à 50%. Au 30/6/ 2010, 1 174 000 personnes âgées dépendantes ont bénéficié de l APA. Parmi elles, 719 000 personnes âgées ont perçu l APA à domicile (61%) et 455 000 personnes ont bénéficié de l APA en établissement.( DREES) En 2010, l APA a représenté un coût de 5,2mds et l aide sociale à l hébergement de 1,2mds. L insuffisance des dispositifs actuels : Poids des restes à charge pour les personnes âgées en perte d autonomie et les personnes handicapées à domicile malgré la création de la PCH, différences entre les personnes hébergées dans des établissements pour personnes âgées et dans ceux pour personnes handicapées, épuisement des aidants familiaux, insuffisance des structures de répit, disparités d un département à l autre et surtout disparités infra départementales dans l appréciation de la dépendance et notamment l attribution du GIR 4; disparités également dans les pratiques départementales de récupération de l aide sociale à l hébergement. L offre de services et d hébergement est éclatée entre les différents régulateurs (DGCS, ARS, CNSA, conseils généraux). L offre d hébergement souffre d une inégale répartition territoriale, les services à domicile connaissent des difficultés de structuration et de financement dans un secteur fortement concurrentiel. 2- Le calendrier en cours Annoncée depuis 2007, la réforme de la dépendance a été maintes fois reportée et officiellement lancée en janvier 2011 avec la création d un comité interministériel de la dépendance. Une grande consultation a été engagée sur 6 mois, des débats programmés en région, un colloque initié au CESE (Conseil économique social et environnemental) et 4 groupes de travail mis en place viennent de rendre leurs conclusions (fin juin 2011) : - «Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées» présidé par Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille. 2 / 6
- «Perspectives démographiques et financières de la dépendance», sous la houlette de Jean-Michel Charpin. - «Accueil et accompagnement des personnes âgées en perte d autonomie» (Evelyne Ratte) - «Société et vieillissement» (Annick Morel) Le gouvernement devrait procéder aux arbitrages durant l été 2011 et les traduire dans le PLFSS 2012 soumis au Parlement en novembre 2011. 3- Les enjeux de la réforme Le champ de la dépendance La question s est posée d une simple réforme du financement de l APA, ou des 2 prestations qui concernent la dépendance au sens large, APA et PCH, dans le sens voulu par le législateur de 2005 (art 13 de la loi 11/02/05) qui prévoyait la suppression dans les 5 ans de la barrière d âge de 60 ans qui sépare l APA de la PCH. Créée dans un premier temps (loi 30/6/2004) pour répondre aux besoins suscités par la perte d autonomie des personnes âgées, la CNSA a vu s élargir ses missions au financement des besoins suscités par le handicap (loi 11/2/2005) dans une approche plus large de la perte d autonomie, indépendante de son origine; ainsi la CNSA (rapport 2008) propose de créer un droit universel à compensation, c est-à-dire «un droit universel, venant compenser les restrictions dans la réalisation des activités de la vie courante et de la vie sociale, et cela quelque soit l âge des personnes et quelque soit le facteur explicatif du besoin d aide à l autonomie», ce qui aboutirait à créer une prestation personnalisée de compensation universalisée. Cet objectif n est pas retenu actuellement et les débats s orientent clairement vers un refus de la suppression de la limite d âge de 60 ans, Madame Bachelot a affirmé nettement que la réforme ne devrait pas concerner les personnes âgées handicapées et donc restera ciblée sur la perte d autonomie des personnes âgées. 5 ème risque ou 5 ème protection Evoluera-t-on vers la notion de risque, maintes fois évoquée, toujours repoussée, le fameux cinquième risque? La notion de 5 ème risque renvoie à une prise en charge organique par la sécurité sociale qui est clairement écartée aujourd hui, pour des raisons tenant à la fois aux difficultés financières du système assurantiel au sein de la protection sociale, et au choix d une gestion départementalisée pour l APA. On parlera plutôt de 5 ème protection, retenant l idée d universalité et d association des acteurs dans une configuration institutionnelle indépendante de la sécurité sociale. Quel sera le périmètre de cette protection? La CNSA en sera vraisemblablement l organisme gestionnaire en association avec les départements, mais quelle sera la nature de son rôle? Partage entre solidarité nationale et prévoyance privée et articulation solidarité publique/ solidarité familiale Quelle place à la responsabilisation individuelle par rapport à l étendue de la solidarité collective? Quelle nature des financements? Quelle part accorder aux différentes logiques : logique collective de solidarité ou logique individuelle de prévoyance privée, logique assurantielle ou logique assistancielle, logique obligatoire ou logique facultative. 3 / 6
La place de la prévention Et au delà, la place de l ancien dans la société, et la contribution de l ensemble des politiques à la prise en compte du vieillissement, voire à sa perception positive. 4- La question du financement et de l engagement de la solidarité nationale Le rapport parlementaire de Mme Valérie Rosso-Debord (juin 2010) : Constat que les dépenses suscitées par la dépendance sont dans une dynamique de croissance en lien avec l augmentation des classes d âge de plus de 70 ans. 3 mesures phares qui infléchiraient la nature de la solidarité : - réformer l APA en la recentrant sur les personnes les plus dépendantes, c est-à-dire celles relevant des GIR 1 à 3 et en exclure le GIR 4. - rendre obligatoire dès 50 ans la souscription d une assurance contre la perte d autonomie, auprès de l établissement labellisé de son choix (selon la mission, une assurance de 15 e par mois permettrait de toucher une rente de 500 e par mois, alors que l APA représente aujourd hui 530 à 1235 e /mois) 5,5 millions de personnes ont déjà souscrit une assurance dépendance. - dans la ligne du rapport Marini (Sénat, 2008), créer un doit d option à l APA pour les détenteurs d un patrimoine supérieur à un certain seuil, (100 000 euros proposé) : l APA est versée à taux plein si le bénéficiaire accepte le principe de la récupération (plafonnée à 20 000 e), sinon l APA est versée à taux réduit (50%). Les propositions du groupe de travail présidé par B.Fragonard (juin 2011) : - 3 scenarii proposés : consolider le système actuel fondé sur un socle d aides publiques dans le sens d une meilleure efficience et d une plus grande justice; instaurer une assurance obligatoire et universelle gérée par répartition et financée par des cotisations proportionnelles aux revenus ; instaurer une assurance universelle et obligatoire par capitalisation, qui substituerait le versement de rentes par l assurance privée aux aides publiques ; ce dernier scenario a été écarté par le gouvernement. - le groupe marque une préférence pour le premier scenario : l amélioration des aides publiques à domicile et en établissement, en augmentant les plafonds d aide selon le GIR (groupe iso-ressources) pour les personnes isolées ou atteintes de la maladie d Alzheimer, en réduisant le taux d effort dans les GIR élevés, en élargissant les dépenses éligibles aux plans d aide, en réduisant les restes à charge en EHPAD par l augmentation de l allocation logement ou l instauration d un bouclier qui plafonnerait les dépenses en fonction des ressources. - l assurance privée en complément du socle d aides publiques devrait être mieux régulée : créer un label public pour l assurance dépendance, une grille d évaluation de la dépendance commune à tous les acteurs. - diversifier les sources de financement. 4 / 6
Autres possibilités en débat : Ces propositions visent à trouver des ressources supplémentaires en agissant sur différents leviers: - sur le travail : créer une deuxième journée de solidarité pour l autonomie (proposition du député L. Hénart, et du groupe de travail «Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées»), étendre la csa ( contribution de solidarité pour l autonomie) aux professions non assujetties (indépendants) et aux retraités. La csa (contribution de solidarité pour l autonomie) rapporte actuellement 2,2 milliards à la CNSA. - sur les revenus de remplacement des bénéficiaires potentiels : aligner le taux de la CSG payée par les retraités (6,6%), sur celui de droit commun (7,5%), (proposition du groupe présidé par B.Fragonard et du CESE) - sur le patrimoine : relever la fiscalité sur les successions, supprimer les niches fiscales sur le capital et le patrimoine ; le CESE préconise une taxe de 1% sur les donations et successions à titre gratuit qui pourrait rapporter 1,5 mds. - sur l épargne : autoriser la sortie des contrats d assurance vie en rente dépendance, proposition de la mission sénatoriale, hostile à une assurance obligatoire, de réorienter l assurance vie et l épargne retraite vers la dépendance et d inclure la garantie dépendance dans les complémentaires santé. - sur la sélectivité : transformer l APA en minimum garanti pour financer la dépendance des plus modestes. - sur des économies et un redéploiement des financements pour instaurer un bouclier- dépendance : proposition de l UFC- Que Choisir : maintenir le dispositif d aide actuel (APA, réductions d impôt) pour les épisodes courts, et instaurer pour les personnes souffrant de dépendances longues un «bouclier dépendance» qui permettrait une augmentation significative de l aide publique, à partir d un certain seuil de dépenses personnelles, tout en plafonnant le reste à charge en fonction du revenu de la personne dépendante. Le coût de cette mesure, qui pourrait concerner jusqu à 340 000 personnes, resterait, selon l union de consommateurs, contenu à 2 milliards d euros par an, et pourrait être financé par l abandon de dispositifs fiscaux dérogatoires (CSG réduite et abattement de 10 % sur le revenu imposable pour les retraités) et la recherche d une plus grande efficience du système de prise en charge. Cette idée de bouclier dépendance est reprise avec vigueur par le groupe de travail présidé par B.Fragonard. Position du gouvernement exprimée par le Président de la République en février 2011: - écarter toute solution qui aurait pour conséquence d accroître l endettement public - écarter toute solution qui aurait pour conséquence d accroître la taxation du travail - envisager un panier de sources de financement - maintenir le socle de solidarité, le recours à l assurance privée ne devrait avoir qu un rôle second. 5- La prévention de la perte d autonomie Nécessité d agir en amont dans une logique de prévention. Le rapport Rosso-Debord (juin 2010) suggérait de mettre en place sans délai une consultation gratuite de prévention pour les personnes de plus de 60 ans, le CESE souhaite l organisation de dépistages précoces. 5 / 6
Le groupe de travail «société et vieillissement» a développé diverses propositions, autour de l idée que «le bien-vieillir» et la prévention de la dépendance sont favorisés par une bonne intégration dans la ville, le quartier, les réseaux familiaux et amicaux: il faut engager «une politique de prévention plurielle, médicale, médico sociale et sociale» : - faire un choix collectif pour le maintien à domicile, adapter les logements privés à la perte d autonomie, et en ce sens, la CNAV et l ANAH ont signé (juin 2011) un partenariat afin de favoriser le maintien à domicile en subventionnant les travaux nécessaires. - instaurer une obligation pour les communes et les intercommunalités de prendre en compte le vieillissement dans les documents locaux d urbanisme, - développer les structures d accueil intermédiaires : résidences services, résidences seniors, - faire des ARS les chefs de file des schémas de prévention territoriaux, en coopération avec les départements et les communes. - créer un guichet unique pour les personnes âgées et leurs familles, simplifier leur parcours, en reconnaissant une mission de coordination qui pourrait être attribuée aux départements responsables de la politique gérontologique. - soutenir les aidants familiaux, notamment par l assouplissement du congé de soutien familial. - le rapport du groupe souligne la grande complexité de la prise en charge de la dépendance et le manque d optimisation des coûts qui favorise le recours fréquent à des solutions plus coûteuse comme l hospitalisation. le groupe de travail «accueil et accompagnement des personnes âgées» recommande également de privilégier une politique publique de soutien à domicile avec la mise en place d un plan national de modernisation des services. Le rapport du CESE (juin 2011) - insiste sur l importance du volet habitat dans la réforme à venir et l incitation des acteurs publics (Caisse de dépôts et consignations) à développer une offre appropriée, - pointe la question de l aménagement du territoire et du risque local de désertification, faute de services et structures pour des personnes âgées légèrement dépendantes, - souhaite que les entreprises soient mieux sensibilisées aux difficultés des salariés aidant un proche âgé, dans leur réflexion sur la conciliation vie professionnelle/vie familiale. 6 / 6