r F. OTTMANN Professeur à l'université de Nantes Directeur du Laboratoire de Géologie marine et appliquée et G. LAHUEC Boursier du Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO) au Laboratoire de Géologie marine et appliquée V L'amélioration de l'équivalent de sable lors de dragages et de remblaiements hydrauliques J UIVANT leur destination, on peut distinguer trois types de dragages : ceux dits d'approfondissement des chenaux, dont le seul but est de permettre la navigation, l'utilisation des matériaux étant secondaire ; ceux destinés à créer des remblais, que l'on pourrait assimiler aux emprunts» en technique routière ; ceux destinés à la vente des matériaux. Ce sont surtout ces deux derniers qui nous intéressent ici, par suite de l'importance qu'ils prennent à l'heure actuelle par leur volume (remblais de millions de m dans l'île Beaulieu à Nantes - mouvement de millions de m pour l'europort de Rotterdam, de millions de m pour Fos-sur-Mer), de leur rapidité d'exécution ( million de m par mois), et, d'autre part, par suite des exigences de qualité du matériau pour les remblais ou la construction. Dans le cas de remblais sur de vastes surfaces planes, on est plus tolérant quant à la qualité. Par contre, pour les remblais routiers, allongés selon l'axe de l'ouvrage et parfois assez élevés dans les zones basses ou marécageuses, on est beaucoup plus exigeant. Dans le cadre de nos relations amicales avec le port autonome de Nantes \ un projet routier en remblai hydraulique nous avait amenés à nous pencher sur ce problème des remblais et de l'équivalent de sable (ES) des matériaux, avant, pendant et après dragage et refoulement. Le choix de l'équivalent de sable, comme critère, nous a semblé commode par suite de son emploi généralisé et de sa facilité de mesure. D'autre part, il nous est apparu, très vite, d'autres conséquences futures pour l'extraction des sables marins. Les vastes possibilités d'exploitation des sables et graviers marins «offshore» seront souvent limitées en Atlantique par la présence d'une certaine quantité de vase, qui pourrait nuire à la qualité des matériaux vendus. Il est bien évident que des sables marins fréquemment rencontrés, avec un ES de à, ou moins, ne sauraient être commercialisés tels quels pour la construction. Les nombreux remblais hydrauliques de la région nantaise nous ont fort heureusement montré que TES s'améliore, et parfois considérablement, au cours des différentes phases de dragage et de refoulement à terre. C'est ce point que nous développerons dans cette étude, basée sur plus de observations d'es, faites par séries de à mesures, dont on n'a gardé que les valeurs moyennes significatives, après élimination des extrêmes. Nous allons examiner divers chantiers de dragages et remblais hydrauliques de la région nantaise, en les classant en fonction du procédé employé et du nombre croissant de «lavages» et de «décantations» que subissent les sédiments au cours des diverses opérations. On peut distinguer les cas suivants : dragage au point fixe avec refoulement direct (un lavage et une décantation in situ) ; dragage, puis lavage intermédiaire en «chaland débourbeur», reprise et mise en remblai (deux lavages, une décantation, dépôt) ;. Que nous sommes heureux de remercier pour la collaboration et l'aide qu'il nous apporte dans cette étude, qui sera d'ailleurs prolongée sur tous les nouveaux chantiers nantais.. Nous appellerons «lavage» la mise en suspension du sédiment dans l'eau de la conduite sous l'action de l'aspiration, ou lors du clapetage des sédiments. Bull. Liaison Labo. P. et Ch. - - juil.-août - Réf.
dragage à l'aspiratrice en marche, dépôt en puits, reprise et mise en remblai (deux lavages, deux décantations) ; dragage à l'aspiratrice en marche, dépôt en puits, clapetage en fosse de décantation, reprise et mise en remblai par aspiration et refoulement (trois lavages, trois décantations). Il est bien évident qu'au cours de ces diverses manipulations, les sables vont perdre leur vase et que leur ES va s'améliorer, d'une façon notable, parfois surprenante. REFOULEMENT DIRECT Le prélèvement des sédiments dans le fleuve se fait par une drague aspiratrice stationnaire qui refoule directement à terre. Il est cependant nécessaire de prévoir une décantation correcte en déversant dans des casiers ou boites d'écoulement, limités par des cloisons en planches ou des petites levées de sable (diguons) et dotés d'une bonne évacuation pour les eaux chargées des parties fines. On évitera ainsi leur accumulation dans des zones privilégiées et la formation de poches de vase dont la présence diminue la qualité des remblais. En outre, pour pallier une éventuelle ségrégation des boules de vase et la formation de poches d'accumulation, le remblai est homogénéisé en changeant de place les tuyaux de refoulement, et par reprise des matériaux au bulldozer. Les prélèvements de remblai ont tous été effectués à une profondeur de, m, afin d'éviter les couches supérieures lavées par la pluie ; échantillons furent ainsi prélevés dans les différentes parties d'un remblai de l'hôtel Frantel, dans l'île Beaulieu à Nantes. Une série d'échantillons ont été récoltés directement in situ dans le lit de la Loire au moyen de dragages à main, pendant la durée du dragage. Les analyses granulométriques et les mesures de TES ont été faites au Laboratoire de géologie marine et appliquée, afin de suivre l'évolution des caractéristiques du sédiment et, en particulier, sa propreté, depuis son prélèvement au fond du fleuve, jusqu'à sa mise en place définitive en remblai. Arrivée des sédiments. Les résultats groupés dans le tableau I indiquent une amélioration certaine de la qualité des matériaux au cours de leur mise en place par cette méthode. L'équivalent de sable moyen passe ainsi de in situ à sur le remblai hydraulique, soit un gain de unités. Notons leurs valeurs extrêmes : minimales maximales In situ Remblai - - - - L'amélioration au cours du refoulement est par conséquent assez importante, et aboutit à un remblai hydraulique de qualité satisfaisante, si on admet ou comme valeur minimale pour un remblai correct. Il faut noter la présence encore importante de fines qui risqueraient de former des poches de vases sans précautions suffisantes, d'où la différence notable entre les minimums et les maximums observés sur le remblai. Dans ce cas, une bonne conduite des chantiers de refoulement et un soin particulier sont nécessaires pour éviter les poches de vase. LAVAGE EN «CHALAND DEBOURBEUR» Arrivée des sédiments sur le remblai. On remarque les petites boules noires de vase compacte. Quand l'objectif final des opérations de dragage est la constitution d'un remblai hydraulique de très
TABLEAU I Valeurs de l'équivalent de sable avant et après dragage a) Prélèvements en Loire (Pont Clemenceau) I b) Prélèvements sur remblai hydraulique après refoulement direct (Hôtel Frantel) I c) Prélèvements sur remblai hydraulique après lavage en chaland débourbeur (Ile Beaulieu) < ß % < ß % < M %, Moyenne * Dans ce tableau et les tableaux suivants, nous n'indiquons par échantillon que TES visuel, le rapport ES piston/ ES visuel étant systématiquement supérieur à, et souvent égal à., Moyenne Moyenne. bonne qualité, on s'efforce de ne pas retenir dans le remblai des pourcentages de vase trop élevés. Pour le remblaiement de l'ile Beaulieu, par exemple, réalisé en par des Hollandais, une trémie flottante se trouvait placée à côté de la drague aspiratrice stationnaire et recevait la mixture amenée par le groupe de dragage ; une grille arrêtait les mottes de vase compacte ; la turbulence qui régnait dans la trémie permettait l'évacuation, par surverse de la plus grande partie de la vase ; la pompe de refoulement ne reprenait ensuite pratiquement plus que du sable propre. Les échantillons sableux sont prélevés sur le remblai hydraulique de l'ile Beaulieu, toujours à une profondeur de, m environ. Ce remblai étant maintenant terminé, nous n'avons pas pu faire les prélèvements in situ lors du dragage. Les échantillons du remblai (tableau le) seront donc comparés aux matériaux dragués actuellement dans le lit de la Loire à hauteur du pont Clemenceau à Nantes, c'est-à-dire dans la même zone de prélèvements que pour les remblais de l'hôtel Frantel. Les valeurs des ES relevés dans le tableau le) prouvent que les matériaux en place dans le remblai hydraulique de l'ile Beaulieu sont de très bonne qualité. L'ES piston moyen passe de in situ à sur le remblai, soit un gain de unités environ. Relevons les valeurs extrêmes : In situ Remblai minimales - - maximales - - Le lavage intermédiaire se révèle donc être très efficace, puisqu'il permet d'éliminer la plus grande partie des matériaux fins. Le remblai hydraulique en place est, de ce fait, de bonne qualité et homogène dans son ensemble. DRAGUE ASPIRATRICE, PORTEUSE ET REFOULEUSE (deux lavages) Le sable est aspiré suivant le procédé habituel par la drague qui le stocke dans ses puits. Il subit, durant cette opération, un premier lavage par mise en suspension lors de l'aspiration, puis une décantation dans les puits avec une première élimination des éléments fins entraînés dans la «surverse», c'est-à-dire le débordement.
Chaland refouleur, sur le bord de la Loire. Une deuxième étape consiste à refouler le matériau des puits à déblais de la drague dans une conduite à terre, en vue de l'édification du remblai hydraulique. Une prise d'eau à la mer permet une nouvelle mise en suspension du matériau en puits, mixture alors aspirée par la pompe. Le sable subit donc un second brassage très énergique, avant d'être refoulé à terre dans des chambres de dimensions convenables, limitées par des clayonnages mobiles. L'évacuation de l'eau après dépôt et son retour au fleuve doivent être largement assurés pour éviter les poches de vase. Ce problème a été étudié en Loire à bord de la drague aspiratrice, porteuse, refouleuse René-Siegfried, sur le remblai de La Ramée. Les Moyenne prélèvements in situ ont été effectués dans le lit même de la Loire, par dragages à main au niveau de Cordemais dans la zone d'activité de la drague aspiratrice (tableau lia). Les échantillons ont été prélevés dans le matériau en place sur le remblai hydraulique de La Ramée à quelques kilomètres en aval de Cordemais, après l'opération de refoulement (tableau llb). TABLEAU II Valeurs de l'équivalent de sable avant et après dragage a) Prélèvements en Loire (Cordemais) <? % b) Prélèvements sur remblai hydraulique après transport et refoulement à terre (remblai de La Ramée) Moyenne < /i % Quoi qu'il en soit, le remblai définitif en place est de très bonne qualité et homogène dans son ensemble. On notera déjà l'intérêt de cette méthode, dans le cas d'exploitation de sables destinés à la vente pour la construction. Les valeurs des ES du remblai hydraulique sont excellentes, TES moyen est de sur le remblai en place. Le gain est plus difficile à chiffrer, car plus réduit en raison de la meilleure qualité du matériau in situ, avec un ES moyen de. Il faut tout de même noter les valeurs extrêmes qui laissent prévoir une amélioration de à unités pour certains échantillons très vaseux. In situ Remblai minimales - - maximales - - DRAGUE ASPIRATRICE EN MARCHE AVEC REFOULEMENT INDIRECT après clapetage en fosse de dépôt (trois lavages) Si la drague ne possède pas de système de refoulement, le sable est déposé, par clapetage libre, dans une fosse préalablement creusée dans lé lit même du fleuve. Cela permet l'élimination des fines par les courants et constitue un lavage supplémentaire, très intéressant dans certains cas.
Le sable est ensuite repris par un engin spécial et refoulé sur le remblai, suivant les méthodes classiques décrites plus haut. Nous pouvons donc considérer que le matériau en place a subi, cette fois, trois lavages successifs. Le remblai hydraulique de l'epi III, à Montoir, a été édifié suivant cette méthode par une entreprise hollandaise il y a quelques années. Le matériau constitutif a été pris en aval dans la région de Bonne Anse, lors du dragage du chenal. Les caractéristiques du matériau in situ ont été étudiées sur les parties superficielles de carottes récoltées vers Bonne Anse, par la société Armor (tableau III a). TABLEAU III Valeurs de l'équivalent de sable avant et après dragage III a) Prélèvements en Loire (région de Bonne Anse) a b c a b Moyenne < /* % (ES p = ) _ (ES p = ) (ESp = ) I b) Prélèvements sur remblai hydraulique après clapetage en fosse et reprise pour refoulement à terre (Montoir, Epi III) Moyenne < y- % D'autre part, des prélèvements ont été effectués sur le remblai en place à une profondeur de, m, afin d'éviter les effets du lavage par les précipitations atmosphériques (tableau III b). La valeur de TES moyen,,, très élevée, montre bien que le remblai en place est de très bonne qualité. Si l'on compare les valeurs des deux tableaux : In situ Remblai minimales ~ maximales - On s'aperçoit que l'amélioration obtenue par ce procédé est considérable, et peut parfois se chiffrer par un gain de unités d'es. On constate que les valeurs finales sont à peu près les mêmes que ci-dessus avec cependant peut-être des valeurs plus homogènes sur le remblai de Montoir. On peut donc penser que le traitement «clapetage + reprise» serait l'équivalent de celui obtenu par la drague aspiratrice-porteuse-refouleuse lorsqu'elle refoule directement à terre. CONCLUSIONS Ces résultats ont été obtenus pour la seule région nantaise et les sables de Loire. Leur granularité assez grossière, médiane entre, et, mm favorise évidemment la décantation des grains, le lavage et l'évacuation des fines. Toutefois, on peut penser que les violents courants hydrauliques mis en œuvre dans les pompes et les conduites ne devraient pas avoir de plus mauvais résultats avec des matériaux plus fins..., les pertes de matériaux devant être plus importantes encore. Ces résultats, qui doivent encore être ^considérés comme préliminaires, et qui ne sont basés que sur les observations «Loire», nous ont semblé intéressants pour les praticiens. En effet, alors que les méthodes de dragage et refoulement hydraulique se répandent (en mer et en rivière), il parait nécessaire de fixer avec discernement les ES minimaux pour les «emprunts», selon la technique de dragage qui sera employée. La méthode la plus simple de refoulement direct permet d'améliorer les ES de à unités ES. Aussi, des matériaux avec ES à partir de à, rejetés en techniques terrestres, peuvent être utilises pour des remblais hydrauliques de type routier où l'on exige un ES de à. Par contre, avec un dépôt en chaland débourbeur, reprise et refoulement, cette amélioration passe à environ unités ES. Des sables, toujours avec des ES de à, donc de très mauvaise qualité pour la construction, peuvent donc être utilisés pour la vente à la construction. Enfin, le dragage en puits, transport et reprise par refoulement obtient les résultats maximums, et l'amélioration peut alors atteindre unités ES. Nous allons toutefois nous efforcer de vérifier ces observations dans d'autres régions, et serions heureux que les ingénieurs responsables de futurs chantiers de remblais hydrauliques nous informent de leurs projets ; soit que nous puissions aller sur place suivre les différentes opérations, soit que nous puissions échanger des informations à ce sujet. Si l'on admet que pour la construction il faut des sables propres, avec des ES > ou selon leur emploi, on voit que les sables, même vaseux, peuvent par cette méthode de dragage devenir aptes à la vente pour le béton.
Cette dernière observation est très importante à la veille de la mise en exploitation de vastes réserves de sables marins, «off shore», qui sont souvent plus ou moins vaseux, surtout sur les côtés atlantiques. Bien sûr, l'équivalent de sable n'est pas le seul critère, il vaudrait mieux, par exemple, éliminer le sel toujours gênant, surtout pour les bétons armés. On peut alors concevoir que les aspiratrices porteuses ayant dragué en mer remonteraient en estuaire, en eau douce, ou dans les fleuves, afin de décharger hydrauliquement leur cargaison. Cette dernière opération assurerait donc en même temps la fin du lavage des fines et du sel. Mais c'est alors que se poseront peut-être les problèmes de pollution de ces estuaires par les fines... Toute nouvelle technique pose de nouveaux problèmes, hélas... Ce travail a été réalisé dans le cadre du contrat CNEXO -. BIBLIOGRAPHIE LEPLAT J., VIVIER M., Les sables de la région du Nord, Bull, liaison labo. routiers. P. et Ch., (), p. -. OTTMANN F., Problèmes géologiques liés aux aménagements portuaires, Coll. Intern. sur l'exploitation des Océans (), Th. I, tome I. WIEGERS M., L'équivalent de sable et la nature de la fraction fine des sables naturels, Bull, liaison labo. routiers. P. et Ch., (), p. -. MODE OPÉRATOIRE LCPC, Essai d'équivalent de sable, Dunod, Paris ().