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Transcription:

V Métiers Sous Vichy, de nouveaux métiers apparaissent. Le service public est autant concerné que les professions libérales, qui relèvent le plus souvent d un ordre supérieur. En procédant à la réorganisation de la vie dans l entreprise, la Charte du travail, instituée en 1941, ayant pour but de favoriser l entente entre patrons et ouvriers, instaure des modes de fonctionnement qui perdurent. La Charte du travail définit un nouveau mode de relation entre patrons et ouvriers, visant à abolir la lutte des classes. Un certain nombre d institutions mises en place, notamment celles concernant le volet social, persisteront après guerre. (1941)

140 L HÉRITAGE DE VICHY Les femmes au travail L a législation de Vichy développe une démarche contradictoire quant au travail des femmes, comme en témoignent de nombreuses lois à ce sujet. Dès 1940, la politique familiale menée par le gouvernement renvoie les femmes à leur foyer. Parallèlement, on assiste à l émergence d un statut du travail féminin, né du besoin croissant de main-d œuvre de l Allemagne nazie. La loi de 1942 institue ainsi un régime de liberté d exercice du travail par la femme mariée. Un peu d histoire Le travail des femmes est un héritage de l industrialisation et de la Première Guerre mondiale. Les hommes partis à la guerre, les femmes ont dû occuper des emplois traditionnellement masculins. Faute de formation autorisée, elles sont cantonnées à des emplois peu rémunérés (comme les «demoiselles du téléphone»). Un certain nombre de professions leur sont refusées. Cependant, la loi de février 1938 sur la suppression de l incapacité juridique de la femme mariée l autorise en droit à travailler, du moment qu elle exerce une profession non commerciale. La loi sur le travail féminin (1940) Le gouvernement de Vichy valorise la femme au foyer et particulièrement la mère de famille. Il procède d une division de la société où la femme est avant tout membre d une famille mère, fille ou épouse 1. Le 11 octobre 1940 est promulguée une loi 2 interdisant l embauche de femmes mariées dans les services de l État, les collectivités locales ou territoriales, revenant ainsi sur la loi de 1938. Les femmes de plus de cinquante ans ont l obligation de prendre leur retraite. La loi «sur» le travail féminin est en réalité une loi contre celui-ci. Cependant, la loi accorde tout de même aux femmes le droit d exercer un emploi, tout en l assortissant de clauses restrictives : «Les dispositions du présent acte ne font pas obstacle au recrutement ou à l emploi de femmes mariées dont le travail s exerce de manière discontinue à proximité de leur domicile et ne les met pas dans l impossibilité d accomplir les travaux de ménage. La liste des emplois de cette nature sera déterminée par arrêté 3.» Cette loi s accompagne de longs articles dans la presse, illustrés de photos provenant souvent de sources allemandes : «Madame, pour réussir dans votre travail, suivez ces conseils 4.» Le travail en question est celui d une sténodactylo. Ou encore : «J ai le trac, dit la première conseillère municipale 5.» Certaines femmes entrent ainsi timidement dans la vie civile. Toutefois, tout est fait pour maintenir la femme à la maison. Le 29 mars 1941, l allocation de mère au foyer est transformée en allocation de salaire unique. Celle-ci est étendue aux épouses d artisans et d agriculteurs. Dans le Journal officiel d avril 1941 6 paraît un arrêté introduisant des quotas dans les emplois féminins. Le taux de femmes admises dans

MÉTIERS 141 l administration publique, et particulièrement au secrétariat d État aux Communications, Travaux et Transports, est défini comme suit : «Sous-directeur, chef de bureau, sous-chef de bureau, rédacteur : néant. Commis d ordre et de comptabilité : 20 %. Dames sténodactylographes : totalité. Gardiens de bureau, hommes d équipe et femmes de service : 15 % de l effectif total. Femmes concierges : totalité. Enfin, à titre provisoire, le pourcentage de femmes cadres supérieurs ne doit pas excéder le quart desdits emplois.» Mais parallèlement, une offre d emploi est jugée légalement discriminative si elle porte mention de l absence d enfant. De même, on ne peut pas pénaliser une femme dans son travail parce qu elle est mère. Le premier mariage célébré en France par une femme. M me Portman, conseillère municipale à Bordeaux, remet aux époux Pougnet leur livret de famille. Les femmes tiennent une place grandissante dans la société civile. (Reportage de presse allemand, 1942) La loi en faveur du travail féminin (1942) Sous le gouvernement de Laval, la loi du 22 septembre 1942 reprend l essentiel des dispositions de la loi de février 1938 sur la suppression de l incapacité juridique de la femme mariée, en l étendant cette fois aux professions commerciales. L autorisation maritale est supprimée et remplacée par un formulaire de non-opposition du mari. La femme mariée peut donc théoriquement conclure un contrat de travail. En cas de refus du mari, le juge considère «l intérêt de la famille» et tranche. Par cette même loi, les veuves peuvent travailler, si elles ne causent pas de licenciement. La priorité est toujours, certes, donnée à la famille (loi Gournot du 29 décembre 1942, appelée «Charte de la famille»), le mariage encouragé et les familles nombreuses prônées, mais une timide évolution du travail féminin est en marche.

142 L HÉRITAGE DE VICHY Des métiers «réservés» (1943) Toutefois, les femmes sont cantonnées à des métiers «réservés». Dans le développement de la statistique que connaît la France, les «dames de la mécanographie» dépouillent les fiches en carton. «Sous la conduite d une femme/une quinzaine d employés écoutent chaque jour battre le cœur de Paris/Les moindres détails de la vie des Parisiens sont traduits en fi ches par le service des statistiques 7», titre ainsi Paris-Soir en 1943. Autre aspect de la féminisation de la vie professionnelle dans l administration : l intégration de femmes dans la police 8. Un dessin humoristique paru dans Paris-Soir la même année, montre un homme fl agellé par une femme policière. Un passant demande à un autre : «Que dit-il?» Et l autre de répondre : «Encore!» Et aujourd hui? Vers une émancipation des femmes? L importante loi du 22 septembre 1942, validée plus tard par l ordonnance du 9 octobre 1945, reprend et développe celle du 18 février 1938 sur la capacité de la femme mariée. Elle consacre cette égalité, en lui permettant notamment de disposer seule de son capital dans le cadre de la séparation de biens, comme le souligne l ancien ministre de la Justice, Joseph-Barthélemy dans ses Mémoires 10. Cette loi permet quelques avancées vers l égalité des époux : à défaut de droits civiques, la femme dispose au moins de droits politiques. Le 2 février 1943 paraît au Journal officiel une loi sur le règlement par chèque : les femmes peuvent désormais ouvrir un compte en banque sans l autorisation de leur mari 11. Désormais, les quatre cinquièmes des femmes de vingt-cinq à quarante-neuf ans travaillent, même si plus de la moitié des emplois féminins sont concentrés dans dix familles professionnelles sur quatre-vingt-quatre, souvent les moins payées. Leur salaire reste inférieur de 20 % à celui des hommes, et les femmes cadres représentent seulement un tiers de cette catégorie, taux qui chute à un peu plus de 10 % pour les postes à forte responsabilité 9. Le travail féminin s est banalisé.

MÉTIERS 143 Des comités sociaux d entreprise aux «CE» D ans le cadre de la Charte du travail, instituée au printemps 1941 dans le but de favoriser l entente entre patrons et ouvriers en évitant la lutte des classes, le gouvernement de Vichy légifère sur un nouveau type d institutions. Parmi celles-ci figurent les comités professionnels d entreprise et les comités sociaux d entreprise. Une «complète solidarité d intérêts entre employeurs et employés» Dans le cadre de la Charte du travail, la loi du 4 octobre 1941 12 instaure les comités sociaux d établissement, les commissions paritaires et le Comité d hygiène et de sécurité dans les conditions de travail (CHSCT). Un nouveau visage de la vie de l entreprise se fait jour. La presse relaie ces nouveautés, tel Paris-Soir : «La Charte du travail /Comités d entreprises/ Dans les établissements dont l effectif est au moins égal à 100 ouvriers ou employés, il est créé des comités sociaux d établissement qui rassemblent le chef d entreprise et des représentants de toutes les catégories de personnel. Ainsi se trouve obligatoirement organisée la collaboration entre employeurs et salariés. Les attributions de ces comités excluent l immixtion dans la conduite et la gestion de l entreprise et dans les questions débordant le cadre de cette entreprise. Mais leur action peut s exercer dans le sens le plus large en vue : a. d aider la direction à résoudre toutes les questions relatives au travail et à la vie du personnel de l établissement ; b. de réaliser les mesures d entraide sociale dans le cadre d activités du comité social local correspondant 13.» Il existe donc un double volet, professionnel et social. Le premier consistant à prendre en charge chômage, assurance sociale, retraite, aide familiale et constitué de comités professionnels tripartites sera un échec. Le second, lui, se développera. En 1944, on compte entre huit mille et neuf mille comités sociaux, presque autant que le nombre d établissements de plus de cent salariés où ils sont obligatoires 14. Leur aide s oriente vers des secteurs particuliers, tels les cantines ou les coopératives. L employeur est le principal pourvoyeur de fonds, par l augmentation indirecte des salaires que ces avantages procurent. Et aujourd hui? Le fonctionnement des comités d établissement est repris par l ordonnance du 22 février 1945, leur conférant des attributions à la fois sociales et économiques. Les innovations de 1941 «s élargissent dans l œuvre sociale de la IV e République», selon le mot de l historien Marc Ferro 15. En font partie le comité de sécurité, le service médical et social du travail et, pour partie, le comité social d entreprise 16. Son fonctionnement connaît toutefois quelques amendements. Désormais appelé «comité d entreprise», c est une institution représentative du personnel au

144 L HÉRITAGE DE VICHY Le Comité d hygiène et de sécurité dans les conditions de travail (CHSCT) Les instances régulatrices appelées «comité de sécurité» ou «service médical et social du travail» se développent sous Vichy en raison du «mauvais état sanitaire de la population ouvrière et sans doute aussi [ ] le souci toujours très prégnant pendant la guerre d améliorer la productivité 17», explique l historien Jean- Pierre Le Crom. En effet, un salarié en bonne santé est un employé qui travaille mieux. On peut aussi évoquer une instance similaire dans l Allemagne nazie, l Ausschuss für öffentliche Sicherheit (Comité sur la santé publique) qui a un fonctionnement proche de celui adopté par le gouvernement de Vichy. Le comité de sécurité est devenu l actuel CHSCT. Quant au service médical du travail, il se développe parallèlement. sein de la société. Tout établissement de plus de cinquante salariés se doit d être doté d un «CE» dont le budget de fonctionnement consiste en un pourcentage de l ordre de 2 % prélevé sur la masse salariale. Son pouvoir financier est important, mais ses attributions sont moindres que sous Vichy, puisqu il n intervient plus dans la vie professionnelle. Cependant, rares sont les salariés qui ne bénéficient pas de sa manne (subventions d activités diverses, vacances...). Celui-ci est cependant diversement perçu : pour certains, il représente un droit ; pour d autres, une forme de paternalisme.

MÉTIERS 145 Du salaire minimum au SMIC D ans sa politique sociale, Vichy instaure dès 1941 la notion de salaire minimal, en deçà duquel il est interdit de payer un salarié et légifère à ce sujet jusqu en 1944. Le salaire minimum sous Vichy Sous le régime de Vichy, les salaires sont bloqués et contrôlés par l occupant. La notion de salaire minimal apparaît à l automne 1941 18. Celui-ci est compris dans la Charte sociale du travail, incluant les comités d entreprise et la zone de salaire qui distingue Paris de la province. La loi du 4 octobre, relative à «l organisation sociale des professions», fait ainsi du salaire minimal l œuvre des «comités sociaux». Paul Durand, directeur en 1942 de la revue Droit social, parle de «socialisation du droit». Les relations juridiques entre individus laissent ainsi la place à des rapports organisés entre l individu et le groupe 19. Les salaires sont fixés fin 1941 et restent bloqués plus de trois ans. L occupant doit donner son accord quant au déblocage des salaires moyens départementaux dont dépend aussi le montant des allocations familiales. Afin de favoriser le départ des travailleurs outre-rhin dans le cadre du STO grâce à l appât de bons salaires en Allemagne, il n est pas favorable à la hausse des salaires en France. Le Journal officiel du 23 décembre 1943 établit des barèmes précis pour le salaire minimum. Le gouvernement procède à des classifications, détermine des échelons (appelés «échelles») des salaires. Début 1944, l occupant change de politique et autorise enfin un relevé des barèmes de salaire de 30 %. Mais entre-temps, le coût de la vie a augmenté de plus de 50 %. Le salaire versé ne correspond plus à une juste rémunération. Et aujourd hui? À la Libération, la plupart des dispositions prises sous Vichy sont maintenues. Les grandes ordonnances de la fin 1945 majorent de 50 % l allocation de salaire unique et les allocations familiales à partir de trois enfants. L un est toujours lié à l autre. Dans la continuité, le salaire minimal institué en 1950 porte désormais le nom de SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti). Celui-ci est indexé sur les prix. Les salaires sont désormais libres, sauf le salaire minimum qui reste fixe et comporte deux tarifs, l un pour Paris et l autre pour les régions. Vingt ans plus tard, le SMIG devient le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) 20. Il est le plus bas salaire légal, sorte de «salaire plancher», revalorisé au minimum le 1 er janvier de chaque année. En 2012, plus de trois millions de personnes perçoivent ce salaire minimum en France, soit 15 % des salariés. C est toujours le gouvernement qui décide.

146 L HÉRITAGE DE VICHY La fonction de président-directeur général P ar trois lois promulguées entre 1940 et 1943, Vichy crée une nouvelle fonction au sein de l entreprise, celle de président-directeur général. Celui-ci conjugue l activité de supervision autrefois occupée par le président du conseil d administration à celle de directeur opérationnel de la société. Un peu d histoire Avant la réforme des lois sur les sociétés du gouvernement de Vichy, seuls deux statuts existent à la tête d une entreprise : président du conseil d administration rôle surtout honorifique dans l entre-deux-guerres ou directeur général, avec une fonction opérationnelle. Le cumul des deux fonctions n existe pas. Le PDG sous Vichy Vichy procède, dès l automne 1940 21, à une réforme profonde de la structure des sociétés, par une démarche visant à favoriser les sociétés anonymes (SA) au détriment des trusts, accusés de tous les maux. La loi concerne essentiellement le conseil d administration des SA. Sous le titre «Constitution des sociétés», les articles de presse ont annoncé quelque temps auparavant la nouvelle mesure : «M. Bouthillier annonce à Paris la réforme des sociétés anonymes 22.» En effet, Yves Bouthillier, ministre d État à l Économie et aux Finances instaure la nouvelle fonction de président-directeur général. Celle-ci a pour but de renforcer la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux. Quelques semaines auparavant, les pleins pouvoirs ont été votés au maréchal Pétain qui concentre désormais en sa personne non seulement la fonction exécutive, mais aussi la fonction législative autrefois dévolue au Parlement. L époque est à la personnification du pouvoir représenté par un «homme fort», mais aussi à la moralisation du capitalisme et à la responsabilité individuelle, selon les termes de la Révolution nationale. Le PDG doit être une personne physique, et non une personne morale. Il est déclaré «commerçant 23», c est-à-dire pécuniairement responsable, et occupe le plus haut rang de la société anonyme, dotée d un conseil d administration et d un conseil de surveillance. Certes, le PDG a les pleins pouvoirs, mais il est aussi révocable ad nutum, c est-à-dire sur un signe de tête, s il est désavoué par son conseil d administration. La loi de mars 1943 sur les sociétés anonymes et les sociétés «en commandite par actions» ne modifie en rien la fonction du présidentdirecteur général. Des modalités précises fixent les dispositions des membres du conseil d administration, notamment par l existence de jetons de présence 24. L influence allemande est prégnante, sinon nommée. La traduction française des travaux du célèbre économiste allemand Eugen

MÉTIERS 147 Schmalenbach (1873-1955), Betriebswirtschaftslehre (sur la gestion d entreprise) circule au ministère de l Économie. Le Führerprinzip («principe du chef»), terme transparent de Schmalenbach, est étendu au monde de l économie. Et aujourd hui? La fonction de PDG demeure sensiblement inchangée aujourd hui, en dépit de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales 25. La personnification de la société incarnée par le président-directeur général conduit parfois à quelques débordements en cas de conflit social aigu dont la presse se fait l écho. Un autre aspect de la profession, la possible révocation immédiate, a été adouci par ce que l on appelle les «parachutes dorés», ou dédommagement du président-directeur général soudainement désavoué par son conseil. Et sous l influence anglo-saxonne qu eussent abhorrée Yves Bouthillier et le maréchal Pétain, on parle souvent désormais des PDG en les nommant CEO (Chief Executive Officer). La fonction est sensiblement la même. Les PDG n ont pas supprimé les trusts.