A. MIDOL, Centre de Recherche et d'innovation Sportives, U.E.R. - Education Physique et Sportive Lyon 1, 27-29, bd du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne. T.G. MATHIA, J. DUARTE, Laboratoire des Technologies des Surfaces - C.N.R.S. (UA.855) - Ecole Centrale de Lyon, 36, av. Guy-de-Collongues, 69130 Ecully. UNE GLISSE PERFORMANTE Introduction Dès que, sur la terre, l'homme a voulu ou a dû se déplacer, il s'est heurté aux difficultés créées par les éléments et en particulier par l'eau et la neige, qu'il a surmontées en réalisant des matériels adaptés. Des recherches paléontologiques ont fait découvrir des skis d'âge préhistorique, ainsi que des canoës creusés dans les troncs d'arbre. Le bois fut le matériau composite utilisé dans l'un et l'autre cas, et ce n'est que de nos jours, qu'abandonnant leur destination utilitaire pour rentrer dans le domaine de la compétition, que ces instruments ont fait appel à des matériaux composites nouveaux, produits de synthèse. Le désir de performances toujours plus élevées a fait rechercher à améliorer les propriétés du glissement, autrement dit : la glisse. Pour progresser dans ce domaine, il est désormais nécessaire d'avoir une compréhension plus aiguë des phénomènes qui se manifestent à l'interface ; seule une investigation scientifique peut dégager les paramètres à prendre en compte pour tenter d'agir encore plus efficacement ; comme l'ont compris les fabricants et les Fédérations qui nous ont consultés. Notre approche de l'étude des mécanismes de glissement, prend en compte des analyses rhéologiques pour la détermination des comportements de la matière, soumise aux contraintes de déplacement, et des analyses statistiques à partir de relevés topographiques. En ce qui concerne le ski, la connaissance de la rhéologie du milieu pulvérulent constitué par la neige n'en est qu'à ses débuts, et la question fondamentale de la localisation de la scission interfaciale se pose au tribologue, ainsi les problèmes ne sont pas seulement pratiques, mais aussi théoriques. C'est à la demande de la société Rossignol que nous avons entrepris une étude sur la glisse des skis de descente dont les semelles en PEHD ont été soumises à une gamme d'usinage déterminée dans le but d'obtenir une topographie plus performante ; cette détermination a été possible grâce à une étude fondamentale de l'abrasion, étude conduite dans le cadre du GRECO 46-Méca. des contacts. La morphologie des surfaces a pu être visualisée grâce aux enregistrements de relevés tridimensionnels réalisés avec un matériel informatisé adapté par notre équipe et commercialisé par une société lyonnaise (figure 1).
Approche du problème de la glisse des canoës-kayaks Quant aux canoës-kayaks destinés à la course en ligne, ils sont traditionnellement en bois. Du fait de son caractère fortement anisotropique, ce matériau présente une hétérogénéité de surface dont la morphologie est très particulière. Cet état de fait n'est pas favorable aux meilleures performances de glisse. Ayant par hypothèse, conçu que l'amélioration des surfaces, relativement à leur état micro-topographique et physicochimique, pouvait conduire à des gains significatifs dans le domaine de la compétition au plus haut niveau, nous nous sommes intéressés à l'analyse des états de surface des canoës-kayaks (nous avons précédemment obtenu des résultats positifs par la préparation des semelles de skis), et de leur influence sur les phénomènes mis en jeu. Ces travaux ont pu être réalisés grâce au concours d'une équipe scientifique disposant d'un laboratoire hautement spécialisé, doté d'équipements de pointe. Ainsi avons-nous entrepris l'étude systématique de la morphologie des surfaces au moyen de microscopes optiques et électroniques (microscopie à balayage) et l'utilisation d'un profilomètre tridimensionnel, outil très perfectionné couplé à un ordinateur, nous a permis d'obtenir le tracé de la microgéométrie de la surface, qui en donne l'image spatiale. Parallèlement, nous avons étudié comment il était possible d'obtenir une application utilisable de produits dont la molécule offrait des plus basses tensions de surface. Des recherches dans ce sens avaient été précédemment menées sur les semelles de ski. C'est ainsi qu'après cette étude, les kayaks firent leur entrée au laboratoire. Nos premiers efforts se sont portés sur les matériels destinés aux compétitions sur le plan mondial, à l'occasion desquelles nous pensions obtenir des données utilisables statistiquement conduisant à des conclusions non ambiguës qui, dans un premier temps, nous dispenserait de concevoir et réaliser une métrologie fiable, ce que les échéances rapprochées ne nous permettaient pas d'envisager. Les résultats ont d'une manière éclatante, confirmé nos espoirs, tant pour les skis que pour les kayaks. Morphologie des surfaces Les canoës et les kayaks en bois restant plus performants que les bateaux construits en matériaux composites (polyesters ou époxy stratifiés), nous avons fait porter nos travaux sur les premiers, afin de déterminer des traitements susceptibles d'en améliorer la glisse. La première qui apparaît à l'évidence, au simple examen du bois, est sa forte hétérogénéité et d'une structure qui suggère que ses propriétés sont directionnelles, ce qui se conçoit aisément si l'on se reporte à sa formation et à sa croissance. En outre, des variations s'observent sur un même arbre d'un endroit à l'autre, c'est dire le degré d'anisotropie du matériau sur lequel nous devons opérer. Le bois est mis en oeuvre sous forme de planches obtenues par le sciage du tronc parallèlement à son axe, celui-ci étant grossièrement assimilé à un cylindre. Il s'ensuit que l'alternance du bois d'été et du bois d'hiver se traduit par des veines sensiblement parallèles dirigées dans le sens des fibres longues, interrompues par les rayons, fibres médullaires perpendiculaires à cette direction.
Quand on sait la complexité des phénomènes se manifestant lors des opérations abrasives d'un matériau isotrope, on se rend compte du caractère aléatoire que peuvent présenter les résultats à attendre avec un matériau si complètement hétérogène. C'est pourtant ce problème que nous avons tenté d'approcher. A la suite de nombreux essais, nous avons été en mesure d'établir une classification des topographies corrélées avec les finitions obtenues par ponçages abrasifs. L'abrasion est une opération dynamique qui génère chaleur et comportement rhéologique particulièrement difficile à apprécier car on ne peut y appliquer les caractérisations rhéologiques classiques, parce qu'il est clair que les réactions seront différenciées selon la nature anatomique des fibres et selon les structures juxtaposées, et que l'élévation de température provoquera des transformations internes dont on n'est pas en mesure d'évaluer la perturbation résultante. De plus, les fragments arrachés qui restent à l'interface participent aux mécanismes de l'abrasion et modifient l'action des produits abrasifs. Enfin si un lubrifiant est utilisé, il est susceptible de réagir chimiquement avec les constituants du bois et ainsi en affecter le comportement rhéologique ; on observe toujours une imprégnation du bois par le lubrifiant qui peut modifier de façon importante et durable les propriétés superficielles, action que nous avons utilisée dans notre démarche. Dans tous les cas de finitions par ponçages abrasifs, l'examen a révélé l'existence d'échardes (voir photos). Par ailleurs, sur le bois vernis on remarque des fractures (voir photos) du revêtement localisées autour de ces échardes, ce qui suggère que l'eau monte dans celle-ci par capillarité, comme dans une mèche, les faisant gonfler suffisamment pour provoquer la fissuration du vernis. Nous avons porté une attention particulière à l'état de surface du revêtement, siège des forces résultantes qui s'opposent à la glisse et avons systématiquement examiné ces zones. Pour ce faire, nous avons dû mettre au point une procédure d'obtention de répliques fiables que nous pouvions utiliser soit pour nos examens en microscopie, soit pour obtenir le tracé de nos diagrammes tridimensionnels. A partir de ces résultats préliminaires, le classement et l'analyse statistique des profils obtenus, il nous a été possible de déterminer mathématiquement la relation entre certaines géométries, leur rugosité et la glisse sur l'eau. Ainsi, nous avons pu améliorer de façon sensible la qualité de la préparation des surfaces sur le plan de la microgéométrie et préciser une procédure de finition avant revêtement (figures 2.3.4.5). Physico-chimie des surfaces Notre objectif primordial consiste à diminuer les forces d'adhérence entre liquide et solide, donc à savoir la plus faible mouillabilité possible. Dans la recherche explicative des paramètres dont dépend l'intensité de ces forces d'adhérence, problème majeur de la mécanique des fluides, certains spécialistes de la tribologie pensent que la scission interfaciale se produit dans la couche limite (couche liquide au contact du solide où sont générés les tourbillons caractérisant l'écoulement turbulent), d'autres qu'elle se situe au sein du matelas gazeux. emprisonnée dans les rugosités, qui s'interpose entre le liquide et le solide. Quelle que soit l'hypothèse retenue, notre démarche consiste à interposer entre le solide et l'eau une molécule présentant la propriété désirée, dont
l'application est technologiquement possible et l'efficacité durable. Nous nous sommes donc intéressés à des corps dont la configuration stérique de la molécule présente des radicaux a-polaires, et un radical polaire. Un radical polaire est un groupement d'atomes environnants, les liaisons les plus solides procédant d'un échange d'électrons. Le plus souvent ces groupements d'atomes représentent une fonction chimique. A l'inverse, un radical non polaire (ou a-polaire) ne permet la création de liaisons avec les molécules du milieu au contact et par conséquent, est hydrophobe. Les plus connus et les plus fréquemment utilisés sont les radicaux hydrocarbonés -CH3, =CH2, =CH- ou, des radicaux dérivés des précédents dans lesquels des atomes d'halogène (F2 ou C12) sont substitués à des atomes d'hydrogène -CF3, -CF2H. Il n'est donc pas surprenant que les surfaces concernant des produits tels que le Teflon (PTFE, polytétrafluoréthylène ou en polyfluorure de vinyldiène), offrent une meilleure aptitude à la glisse que les surfaces en bois. Une couche monomoléculaire d'un corps présentant sur l'extérieur de tels radicaux donnera les mêmes propriétés. Prenons par exemple, une graisse-acide gras pour les chimistes - sa molécule est constituée d'une tête polaire et d'une longue chaîne apolaire. Si l'on enduit la surface d'un bateau d'un tel produit, la tête polaire se lie au bois par des forces d'adhérence, laissant sur l'extérieur la chaîne a-polaire hydrophobe qui sera au contact de l'eau, Le problème du revêtement consistera à concilier la résistance mécanique de la couche et sa résistance dans le temps, avec la valeur de l'énergie de surface qu'elle confère. Traitement final : l'aqua-tribo-finition Selon la réglementation en vigueur, il est interdit de déposer sur les surfaces des canoës et des kayaks, des produits favorisant la glisse et qui se dégradent au contact de l'eau. On a donc cherché à mettre au point les traitements mécano-chimiques qui confèrent à la surface les meilleures propriétés de glisse. Conformément à ce qui a été dit, cette performance dépend simultanément de l'état topographique et de l'état physico-chimique de la surface. Pour des raisons de facilité, on a cherché un procédé de finition qui, en une seule opération, crée les propriétés tribologiques demandées en modifiant simultanément l'état topographique et l'état physico-chimique des surfaces. Ce procédé appelé, l'aqua-tribo-finition, repose sur l'abrasion en présence des agent chimiques dont la fonction consiste à gouverner la morphologie d'écoulement de la matière autour de chaque grain abrasif, de façon à créer la topographie souhaitée tout en favorisant la chimie-sorbtion de certaines espèces et la physi-sorbtion des autres. Toute une gamme de produits, d'outils de finition, de modes opératoires adaptés à des natures de bateaux sont à la disposition des sportifs.
Conclusion Il apparaît donc clairement, que l'avancement de ce genre d'étude exige une approche multi-disciplinaire et, que selon toute vraisemblance, des gains appréciables sont encore à attendre. Annexes Après l'étude sur la finition des semelles de ski, pour le compte de la société ROSSIGNOL, les skis de cette marque représentaient 10 médailles sur les 18 possibles, à Sarajevo. - La FÉDÉRATION FRANÇAISE de CANOE-KAYAK remportait 4 médailles aux Jeux Olympiques de Los-Angeles (course en ligne). Cette année, la moisson des Championnats du Monde fut de 18 médailles pour les différentes disciplines de la FFCK. Remerciements : les auteurs remercient M. Paul MIDOL pour ses précieux conseils en physico-chimie.
FIGURE 1 - RELEVES TRlDlMENSlONNELS D'UNE SEMELLE DE SKI A). Avant transformation de la gamme d'usinage B). Après transformation de la gamme d'usinage
FIGURE 2 - Principe de lissage permettant de séparer la composante macrogéométrique de la rugosité, suivi d'une analyse statistique qui concerne les hauteurs, pentes et courbures.
Figure 3
Figure 4 Figure 5
CLICHES DE MICROSCOPIE ELECTRONIQUE A BALAYAGE 1) - VISUALISATION D'ECHARDES - Inclinaison : 0. Grossissement : 500 2) - FORTES FRACTURES DANS LE VERNIS Inclinaison ; 0. Grossissement :1000