Le handicap au quotidien. J émettrai d abord une question : qu est-ce que le handicap? Pour moi, c est seulement une façon différente de penser, d être, d exister et de fonctionner. Je revendique mon statut d homme et non pas celui d une personne dite en situation de handicap. C est pourquoi mon quotidien est différent de celui de la majorité des personnes handicapées. Je vis chez moi, et pour libérer mes journées, j ai repoussé tout ce qui m était imposé par mon handicap en dehors de ma journée de travail, c est-à-dire tôt le matin. Pour cela le réveil sonne tous les jours à cinq heures. Petit déjeuner, préparation et évacuation des selles, rasage, douche, soins, habillage et enfin, mise au fauteuil. Mes relations avec les soignants sont donc minimalistes. L équipe qui m entoure se compose de trois auxiliaires de vie qui s alternent à mes côtés. La toilette est assurée par une aidesoignante du service de soins à domicile de la ville de Poitiers. Les soins sont réalisés par des infirmières libérales. Tous les jours de la semaine, je consacre vers midi, 45 minutes à un kinésithérapeute pour l entretien de mes articulations et poursuivre mes exercices respiratoires. En temps normal, mon médecin traitant fait un check-up mensuel. Les passages au CHU sont souvent des périodes de souffrance, sauf dans de trop rares services. Aujourd hui, l hôpital est coincé dans des objectifs de rentabilité qui ne lui permettent plus de réaliser humainement sa tâche. De plus, comme il ne s est pas équipé en technologie adaptée, accès à Internet à haut débit par exemple, chaque séjour est une lourde contrainte. On n a plus le temps nécessaire pour effectuer correctement votre toilette. Prenons par exemple le cas du brossage des dents : si vous n insistez pas, il ne sera pas fait ou de façon très administrative. Pour le reste, il faudrait être autonome pour tout, ce qui engendre des tensions trop souvent excessives, et on vous colle alors l étiquette «d exigent». Les rapports humains ne sont, d ordinaire, pas simples à gérer, mais sous la pression cela se complique davantage. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 1 sur 6
Je me demande parfois si ma façon détachée de vivre mon handicap ne vient pas interférer avec mes besoins légitimes. Le handicap du côté administratif. La première grande loi sur le handicap date de 1975. D'autres aménagements ont suivi. La vraie prise en considération du handicap s'est fait par la loi du 11 février 2005 dite «pour l égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées». Cette loi introduit entre autres, la compensation du handicap (PCH), la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) le guichet unique et l accès à tout pour tous pour le 1 er janvier 2015. Il s agit bien d un événement révolutionnaire qui nous impose à tous la prise de conscience qu il existe des personnes différentes. Voici une petite présentation non exhaustive d éléments capitaux gérés par les MDPH. Ces prestations sont délivrées en fonction d un guide barème qui s appelle le GEVA. C est un changement radical dans le fonctionnement quotidien d une personne handicapée, notamment lorsqu elle vit de manière indépendante. Pour exemple, le budget de fonctionnement d une année est d environ : 70 000. Le handicap du côté social et loisirs. Sur le plan social d abords. Le handicap n est pas synonyme de la fin de la vie. C est pourquoi une vie handicapée une peut être bien remplie. Le fait de devenir immobile ne m a pas privé de mes facultés intellectuelles. Considérant que le handicap est toujours injustement traité par notre Société, je consacre mon temps à poser les questions essentielles à tous les centres de décision pour permettre d'élaborer et mettre en œuvre les solutions qui vont assurer réellement la réintégration des personnes handicapées. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 2 sur 6
C est pour cela que j ai bien besoin de l intégralité de mes journées et que le rituel du matin débute à cinq heures. Je peux alors me consacrer au travail vers 8h45. Je commence mes activités. Elles sont multiples. En voici quelques exemples : CDCPH (comité départemental consultatif handicapées). des personnes CDAPH (commission des droits l autonomie des personnes handicapées, séances plénières seulement). Commission communale d accessibilité de la ville de Poitiers. Groupe de travail accessibilité déplacements de la ville de Poitiers. Président de l association Dominer son handicap. Vacataire à l IRTS (institut régional du travail social). Conférencier. Membre du groupe de travail à l ANESM (agence nationale de l évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) : les missions du chef de service et de l encadrement dans la prévention et la lutte contre la maltraitance pour les services de soins à domicile. Etc. Je ne peux résister au désir de vous conter un autre détail de mon existence handicapée : celui de «mon» divorce et des JAF (juge aux affaires familiales). Le premier jugement eut lieu à mon domicile, le tribunal n étant pas accessible. J avais voulu un divorce à l amiable car j avais admis que Laurence ne veuille pas finir ses jours avec un handicapé. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 3 sur 6
Le second jugement eut lieu à Chambéry (département de résidence des enfants) et j ai le sentiment qu en plus des aspects financiers, on a considéré que, devenu handicapé, je n étais plus capable d assumer mon rôle de père. En raison de notre éloignement géographique, je ne vois plus mes enfants que cinq fois par an. Un mois l été, à la Toussaint, une semaine pendant les vacances de Noël, une pendant celles de février et une pendant celles de Pâques. Au fil du temps, j ai compris que j allais progressivement perdre contact avec mes enfants. Pourtant, ils étaient bien le Fruit du Désir que leur mère eut pour moi, et vice-versa, mais, cela c était du passé. Même si ma mère me rappelle sans cesse pour me soutenir «continue à les aimer et sois patient»! Je trouve cela dur à vivre. Mes enfants me manquent. Guillaume et Lucas, je vous aime. Sur le plan des loisirs, des activités sportives et de la vie culturelle. Là encore, dans ces domaines, le handicap, bien qu il soit un facteur limitatif, n en est pas pour autant une invitation à ne rien faire. Voici quelques exemples : Le ski : descente de la vallée Blanche le 18 avril 2007. Concerts, théâtre, casse-croûte entre amis. Etc. Cependant, beaucoup de choses restent à faire. J aimerais aussi vous parler d accessibilité. Comment une personne handicapée pourraitelle participer à une société à laquelle elle n aurait pas intégralement accès? C est un élément fondamental de la chaîne du lien social. Je l entends tout d abord sur un plan physique. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 4 sur 6
Bien sûr, cela s améliore peu à peu, mais la tâche est encore considérable et elle se fait au prix d un investissement sans précédent des personnes handicapées, notamment, aux commissions d accessibilité dans lesquelles le combat reste difficile tant souvent sont mises en avant des considérations financières et de respect du patrimoine. Les résultats sont parfois obtenus de haute lutte, comme cet ascenseur de l Hôtel de Ville de Poitiers, où malgré les demandes répétées des associations de personnes à mobilité réduite, il avait fallu un coup d éclat médiatique lors du premier tour des élections présidentielles le 22 avril 2002. Le dit ascenseur a été mis en service l année suivante. Aujourd hui, la loi du 11 février 2005 permet une amélioration certaine avec l obligation d accès à tout pour tous pour le début de l année 2015, la mise en place des MDPH et de la PCH. Il faudra cependant rester très attentif aux dérogations. Pour assurer une continuité de l accessibilité, il faut bien sûr évoquer l accès aux transports. Aujourd hui, c est bien souvent le déplacement de courte distance qui pose le plus de problème. 158 pour faire 25 kms, allers et retours dans un utilitaire! L absence de concurrence peut-être? Etant tétraplégique, les voyages en TGV se font à l étroit, sauf sur les nouvelles rames (et je me mets à penser que si la loi de 1975 avait connu une complète application on n aurait pas eu besoin de celle de 2005, mais c est compliquer d imaginer vivre au futur en utilisant le passé. Demain, si je serais plus handicapé c est beau on dirait presque du JC Van Damme. Mais revenons à nos moutons, je ne vais pas vous faire sa théorie de la Relativité, je suis handicapé Les voyages en avion ne me sont pas encore autorisés en raison des dimensions trop généreuses de mon fauteuil. Je suis tétraplégique et le fauteuil d un tétra, c est volumineux. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 5 sur 6
Voici quelques exemples de ces insuffisances qui ne permettent pas aux personnes handicapées de retrouver leur place au sein de leur famille, au sein du cercle de leurs proches, de leurs connaissances, du monde du travail et de notre Société. Conclusion. Le parcours du handicap est une véritable machine à exclure et pourtant les personnes qui l ont pensé ont certainement voulu bien faire. Mais le défaut de coordination aboutit à cette exclusion, grave violence faite aux personnes handicapées. Notre société n est pas tendre avec les handicapés puisqu'elle ne les regarde pas véritablement comme des hommes! Il y a urgence à changer quelque chose dans ce monde, je sais que cela prendra du temps, et le temps, je n en ai guère, surtout si les obstacles s amoncellent... En conclusion, je pourrai vous dire que l handicapé est quelqu un à qui il est arrivé quelque chose... Je vous souhaite à toutes et à tous qu il vous arrive quelque chose, même trois fois rien, car comme disait Raymond Devos, 3 fois rien c est déjà quelque chose. Je vous remercie de votre attention. J. Gaudinat Dominer son handicap Page 6 sur 6