LE CHOIX DE L ECOLE PAR LES PARENTS DES CLASSES MOYENNES SUPERIEURES EN BANLIEUES PARISIENNE ET LONDONIENNE AGNES VAN ZANTEN *

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Transcription:

LE CHOIX DE L ECOLE PAR LES PARENTS DES CLASSES MOYENNES SUPERIEURES EN BANLIEUES PARISIENNE ET LONDONIENNE AGNES VAN ZANTEN * Introduction 1. La problématique et les thèmes de la recherche En l espace de trente ans, entre les années 1970 et les années 2000, les systèmes scolaires français et anglais, comme ceux de nombreux pays occidentaux, ont connu des mutations profondes caractérisées par le passage de politiques centrées sur la démocratisation de l enseignement et l homogénéisation de l offre scolaire à des politiques privilégiant directement ou indirectement les mécanismes de marché et l hétérogénéité de ladite offre. Cette évolution résulte de l interaction entre les décisions prises par les responsables politiques et administratifs et les pratiques des usagers de l école, notamment des parents des classes moyennes et supérieures. D une part, les difficultés associées à la gestion scolaire des nouveaux publics et la mise en cause globale de l efficacité des établissements d enseignement ont conduit les décideurs à adopter des politiques clairement affichées comme en Grande-Bretagne ou en creux des dispositifs officiels comme en France qui favorisent le libre choix des parents et la concurrence entre établissements. D autre part, on observe une évolution des représentations et des pratiques des classes moyennes et supérieures vis-à-vis de la scolarisation. En effet, si les classes moyennes en expansion ont initialement profité des réformes scolaires volontaristes des années 1960 et 1970 pour consolider et améliorer leur position, au fil des années, elles ont adopté une position plus défensive. L affaiblissement de la sélection académique, les transformations des programmes d enseignement pour inclure des éléments de la culture populaire et de celle des différents groupes d immigrés, l allocation prioritaire de ressources aux enfants et aux écoles les plus en difficultés, ont été progressivement perçus comme des menaces sérieuses à leurs projets de mobilité sociale par l école. On assiste alors, à partir des années 1980, à l émergence de stratégies de «clôture» par rapport à la scolarisation, (Murphy, 1988 ; Brown, 2000). Ces stratégies sont plus importantes dans les zones métropolitaines pour au moins deux raisons. La première est la peur plus exacerbée des conséquences de la mixité sur la scolarisation des enfants, liée notamment à la forte présence d enfants issus de l immigration dans certains établissements. La deuxième est la plus grande diversité, hiérarchisation et accessibilité par les transports en commun de l offre d enseignement. En France, les parents des classes moyennes et supérieures, méfiants quant à la «qualité» de scolarisation dans les établissements publics caractérisés par une plus ou moins grande hétérogénéité sociale et ethnique du public d élèves, font des choix résidentiels guidés par le souhait d habiter à proximité d établissements supposés de meilleur niveau.

Mais ces choix sont très coûteux et plus nombreux encore sont ceux qui ont recours à un enseignement privé qui voit ses effectifs exploser ou qui demandent des dérogations pour fréquenter des établissements publics dotés d une meilleure réputation. Mais, comme nous avons pu le monter dans des travaux antérieurs, les stratégies de clôture relèvent aussi d une forme spécifique de prise de parole, la «colonisation» des établissements du quartier (Van Zanten, 2001). Inquiets par rapport aux cadres de scolarisation et de socialisation de leurs enfants, mais n ayant pu ou pas voulu quitter l école du quartier, d autres parents des classes moyennes et supérieures développent ainsi des formes d appropriation de l espace scolaire. Ces stratégies comprennent l enrôlement d autres familles de même type, la construction des liens étroits avec les enseignants, l investissement des associations de parents d élèves ou encore la pression en faveur de la mise en place de classes de niveau (Van Zanten, 2006). Un des risques majeurs de ces nouvelles dynamiques scolaires métropolitaines est celui d accroître la polarisation scolaire. Or cette polarisation remet radicalement en cause non seulement le fonctionnement habituel des établissements d enseignement, mais le rôle même de l école. En effet, alors qu elle est censée être un instrument d intégration nationale, elle contribue ainsi à une division croissante entre des zones scolaires où la «qualité» de l enseignement est entretenue par la mise en concurrence directe ou larvée qu opèrent les familles entre des établissements publics et privés et d autres où l action en matière de discrimination positive provenant le l Etat central ou des autorités locales ne suffit pas à améliorer l offre d éducation et peut même jouer un rôle stigmatisant en termes d image. L enquête en région parisienne a eu lieu dans deux villes de la banlieue Est, Vincennes et Montreuil. Nous avons choisi ces deux villes en raison de leur caractère contrasté, tant du point de vue de la composition sociale et ethnique de la population que de l offre éducative locale, et de leur proximité géographique. La ville de Vincennes est une ville moyenne de 43580 habitants occupant une surface assez réduite dont le développement a été étroitement lié à celui de son bois et de son château. Actuellement, grâce à son histoire, à sa situation géographique et à sa bonne intégration à Paris par le réseau des transports publics, elle apparaît comme une ville très attractive dans laquelle le coût de l immobilier atteint les prix parisiens et dont la population, qui comporte une forte proportion (26%) de ménages appartenant à la catégorie «cadres et professions intellectuelles supérieures», est en augmentation. L offre éducative d enseignement secondaire locale comprend deux collèges (un troisième était en construction au moment de l enquête), un lycée d enseignement général et un lycée professionnel publics ainsi qu un établissement privé catholique scolarisant les enfants de la maternelle au lycée, tous dotés d une bonne, voire très bonne réputation. Nous y avons étudié de façon plus détaillée le fonctionnement d un des deux collèges publics et du collège privé. Avec 90674 habitants, Montreuil est la quatrième ville de la Région Ile-de-France. Du point de vue urbain et social, il s agit d un espace diversifié et hétérogène avec un Centre et un Sud plutôt aisés et un Nord et des bordures défavorisés. Les profils de la population varient fortement entre les quartiers : deux quartiers (Bas Montreuil-Bobillot et Solidarité Carnot) se distinguent par une relative surreprésentation des professions intermédiaires et des cadre, alors que trois autres (Bel Air, Ruffin et Montreau) se caractérisent par une forte surreprésentation des ouvriers et surtout employés. L offre éducative d enseignement secondaire locale comprend huit collèges publics (dont trois sont classés en Zone d éducation prioritaire) et deux collèges privés ainsi que quatre lycées dont deux privés. Les trois collèges comportant le plus grand nombre d élèves issus de familles de classes moyennes et supérieures devenus pour des raisons que nous analysons en détail, assez attractif. Ces

établissements jouissent d une assez bonne réputation au sein de la commune, mais ils ont des résultats scolaires inférieurs à ceux de Vincennes. La partie anglaise de l enquête s est déroulée dans le borough de Hackney, dans le nord-est du grand Londres. Le quartier de Hackney est caractérisé par sa diversité sociale et ethnique. Plus de 50% de la population et 80% des élèves sont d origine étrangère d après les chiffres officiels de l autorité locale pour 2005. C est la deuxième localité la plus socialement désavantagée du pays d après des statistiques officielles (Government Index of Deprivation 2000), et elle accueille une forte proportion de réfugiés et de demandeurs d asile (plus de 10% des enfants scolarisés). Il y existe néanmoins une classe moyenne, réduite mais non négligeable, située principalement dans le quartier de Stoke Newington (Ball et Vincent, 2005) mais qui se déplace vers d autres «enclaves», selon le processus de gentrification analysé par Butler et Robson (2003). Hackney attire par sa proximité du centre de Londres, et a été «colonisé» par des membres des professions sociales, artistiques et intellectuelles. Contrairement à d autres quartiers investis par des salariés du secteur privé et des populations libérales, la population de classe moyenne et supérieure de Hackney se caractérise en effet par des ressources culturelles plutôt qu économiques, par un fort taux de militantisme et d implication associative, ainsi que par la valorisation du brassage ethnique et du cosmopolitisme. Du point de vue scolaire, Hacney a obtenu les pires résultats du pays en 2004 dans les classifications du corps d inspection OFSTED. L offre scolaire y est atypique, d abord par la pénurie de places : l offre est inférieure de 20% environ à la population en âge scolaire, d où la nécessité pour certaines familles de scolariser leurs enfants hors de la municipalité. Le second facteur caractéristique tient à la sur-représentation de collèges non-mixtes (4 établissements sur 9), en particulier trois établissements de filles. Trois des neuf collèges sont confessionnels (un anglican, deux catholiques). Un établissement en particulier, Stoke Newington, est très fortement recherché. Il obtient des résultats bien supérieurs à la moyenne du secteur et dépassant légèrement la moyenne nationale (respectivement 44% de réussite à 15 ans pour l établissement, 32,1% pour Hackney et 42,7% en Angleterre d après les chiffres OFSTED de 2004). Outre ses résultats académiques, les parents soulignent le dynamisme et l inventivité du chef d établissement, et un climat scolaire de confiance et de respect mutuel. Ce collège, le seul du secteur acceptable aux yeux d une majorité des parents de l échantillon, est très fortement représenté dans l enquête (18 familles y scolarisent un enfant au moins). Seuls quatre des neuf établissements secondaires de Hackney sont fréquentés par des enfants de l échantillon. Au total, 11 établissements sont représentés, dont quatre à Hackney, trois écoles privées hors contrat (independent schools) de filles ou de garçons du centre de Londres, la grammar school de Latymer dans un borough proche, classée 5è du pays pour ses résultats à 15 ans en 2004 et ayant un taux de sélectivité à l entrée de l ordre de 5% et un établissement public distant spécialisé dans l enseignement des langues. A Vincennes, et davantage encore dans le collège privé retenu pour l étude, on trouve une forte concentration de ménages dont l un des parents au moins est cadre dans le secteur privé ou professionnel indépendant qui ont choisi ces espaces parce qu ils avaient les moyens de le faire et parce qu ils procurent le type de profits et de satisfactions qu ils attendent de leur lieu d habitation et des établissements où sont scolarisés leurs enfants. Définition de l excellence qui n est contestée que par un petit nombre et seulement en raison du cloisonnement social qu il impose et renforce.

Les parents des classes moyennes et supérieures interviewés à Montreuil appartiennent quant à eux plus souvent au pôle «public» et intellectuel des classes moyennes et supérieure. Ce sont des travailleurs sociaux, des enseignants, des chercheurs, des artistes, qui ont investi certains quartiers de Montreuil attirés par des prix jusqu à récemment relativement peu élevés pour une commune proche de Paris. Une partie d entre eux ont également été poussés à venir y habiter par une vision positive du brassage social et ethnique dans la ville et dans les écoles de quartier. Certains parents fortement porteurs de cet idéal d intégration sociale sont devenus, notamment autour d un des collèges de centre-ville, un groupe de référence qui a réussi à faire adhérer un groupe beaucoup plus large de parents, moins militants, à une norme locale de «loyauté citoyenne» aux établissements publics. Ailleurs, dans un des deux autres collèges étudiés dans cette ville, l adhésion apparaît en revanche plus conditionnelle puisqu elle a reposé, au moins jusqu à il y a peu, sur un contrat implicite supposant la mise en œuvre de certains dispositifs ségrégatifs internes, entre le principal et les parents des classes moyennes et supérieures ayant accepté d y scolariser leurs enfants. Mais dans les deux cas, ce qui apparaît structurant, ce n est ni le marché immobilier, ni le «marché» scolaire, comme à Vincennes mais la présence de réseaux plus ou moins organisés de parents et d agencements plus ou moins attractifs proposés par les établissements qui limitent la défection. Dans les deux espaces, le rôle de l Etat, au travers de l action des autorités éducatives locales et des collectivités territoriales, apparaît à la fois très puissant et peu offensif, s exerçant plutôt en creux comme à Vincennes ou a travers certains supports collectifs dont se saisissent ou non les parents et les établissements comme à Montreuil. A Vincennes, la très grande autonomie dont jouit l enseignement privé en matière de recrutement et d organisation interne joue un rôle beaucoup plus puissant sans l orientation des conduites parentales que les règles, parfois assouplies qui ne s imposent qu à l enseignement public. A Montreuil, ces mêmes règles et les dispositifs de discrimination positive mis en place par les services déconcentrés de l Etat comme par la municipalité interviennent moins dans la prise dé décision parentale que les points de vue et les informations qui circulent dans leurs réseaux. Seul le choix d implanter des options permettant de construire de «parcours protégés» pour leurs enfants semble, dans un des collèges comme dans le collège public étudié à Vincennes, avoir modifié les stratégies parentales. La volonté de maximiser les chances de succès de son enfant est tangible chez la plupart des parents, mais s exprime dans des formes distinctes d instrumentalisme. Outre-Manche, il est acceptable pour les fractions intellectuelles et artistiques des classes moyennes et supérieures de fréquenter l école de quartier au nom des compétences sociales et relationnelles, mais au prix d une prise en charge par la famille de la transmission du capital culturel et même scolaire. L assurance de transmettre un avantage social, culturel et scolaire dans le cadre familial avantage rarement évoqué même par les milieux les plus politisés est sans doute même la condition nécessaire de cette ouverture sans réserves à une altérité qui n est plus menaçante car compensée par le capital culturel familial. Le côtoiement compensé des parents anglais se différencie du côtoiement vigilant des familles françaises par un déplacement de la sphère de vigilance hors d une école à laquelle les parents n attribuent pas le monopole de la transmission de capital culturel ni même scolaire. Chez les parents anglais, les valeurs expressives et une éducation complète de l enfant sous toutes ses facettes constituent l idéal auquel presque tous aspirent. Mais en cela ils se trouvent en porte à faux avec la politique éducative des quinze dernières années, qui les incite à adopter des valeurs plus instrumentales et à agir en consommateurs sur un «marché»

scolaire. L arbitrage pour cette frange des classes moyennes se situe entre deux séries d idéaux : entre l idéal expressif auquel ils adhèrent, et le comportement de stratège auxquels ils se sentent contraints. Les priorités des parents français sont largement déterminés par le fonctionnement méritocratique du système scolaire et par le poids de la scolarité initiale sur la trajectoire sociale et professionnelle. De ce fait, l objectif de réussite scolaire prime, et si des considérations expressives ne sont absentes, elles tendent à rester subordonnés au primat des qualifications. * Directrice de Recherche au CNRS Observatoire sociologique du Changement Fondation nationale des sciences Politiques