LA LOI PINEL ET L ORDRE PUBLIC DES BAUX COMMERCIAUX



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Transcription:

Livre blanc : bilan d un an d application de la Loi Pinel LA LOI PINEL ET L ORDRE PUBLIC DES BAUX COMMERCIAUX par Frédéric Planckeel, Maître de conférences à l université Lille Nord de France UDSL, laboratoire Droits et perspectives du droit (LERADP), directeur du master 2 droit des assurances, avocat au barreau de Lille Article paru dans la rubrique de l AJDI N 1/15 Éditions Dalloz 2015

11 LA LOI PINEL ET L ORDRE PUBLIC DES BAUX COMMERCIAUX par Frédéric Planckeel Maître de conférences à l université Lille Nord de France UDSL, laboratoire Droits et perspectives du droit (LERADP), directeur du master 2 droit des assurances, avocat au barreau de Lille La loi du 18 juin 2014 n a pas modifié la liste des articles déclarés d ordre public par l article L. 145-15. La plupart des commentateurs en déduisent qu il serait possible de déroger contractuellement à ceux des nouveaux articles insérés par la loi Pinel qui n entrent pas dans la liste. Cette lacune est pourtant involontaire et peut être supplée par le juge au terme d une analyse de l objet de chaque nouvelle disposition. Animée par un constant souci de rééquilibrer la relation bailleur-preneur, la loi n 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite «Loi Pinel», a incontestablement cherché à renforcer l ordre public en matière de baux commerciaux. D une part, elle a entendu neutraliser les clauses contraires au statut en les réputant non écrites, de manière à rendre la sanction imprescriptible (art. 6 de la loi du 18 juin 2014 modifiant C. com., art. L. 145-15 et L. 145-16; V. sur ce point J.-D. Barbier, Loyers et copr. sept. 2014, Dossier 8; Ph.-H. Brault, ibid. étude n 5; J. Monéger, ibid. Repère n 6 et Repère n 11; A. Posez, D. 2014. 2119). Elle a ainsi désavoué la jurisprudence qui s en était tenue pour sa part à la distinction nullité/clause réputée non écrite, assez récente en doctrine, et avait appliqué à cette action en nullité la prescription biennale de l article L. 145-60 du code de commerce (Civ. 3 e, 23 janv. 2008, Bull. civ. III, n 11; JCP 2008. II 10083, note F. Auque; Defrénois 2008. 688, obs. R. Libchaber, ibid. 1707, obs. L. Ruet; RTD civ. 2008. 292, note B. Fages; RLDC avr. 2008, p. 15, obs. C. Le Gallou; JCP 2009. I. 1041, n 12, obs. H. Kenfack). D autre part, la loi Pinel a notablement élargi le périmètre de l ordre public par voie de création, extension ou restauration: nouvelle réglementation de l état des lieux et des charges (art. 13 insérant les nouveaux articles L. 145-40-1 et L. 145-40-2 C. com.) ; neutralisation des clauses du bail en cas de scission de société ou de transmission universelle du patrimoine d une société unipersonnelle à l associé unique (art. 6 modifiant C. com., art. L. 145-16) ; retour au caractère d ordre public du droit de résiliation triennale du preneur (art. 2 modifiant C. com., art. L. 145-4). Pourtant, la loi du 18 juin 2014 comporte une lacune importante et surprenante: le législateur n a pas songé à modifier la liste des textes déclarés d ordre public par l article L. 145-15. Et les premiers commentaires consacrés à la loi Pinel d en déduire que les nouvelles dispositions non visées par ce texte devraient être considérées comme seulement supplétives de volonté (J.-P. Blatter, Janvier 2015 AJDI

12 AJDI 2014. 576 s.; P. Garbit, RLDA sept. 2014. 18; ibid. oct. 2014. 18; H. Chaoui, Bulletin d actualité Lamy droit immobilier juill. 2014, p. 1 s.). Tel serait notamment le cas des articles L. 145-16-1 et L. 145-16-2 encadrant la clause de garantie solidaire du cédant (A. Jacquin, Gaz. Pal. 9 août 2014, p. 39; C. Mutelet, J. Prigent et M.- L. Rodriguez, Rev. loyers, p. 949 s.; C.-E. Brault et M.-L. Sainturat, Loyers et copr. sept. 2014, dossier 5, n os 6-7 et 37-38; J. Monéger et Le législateur n a pas songé à F. Kendérian, RTD. com. 2014, modifier la liste des textes 535), ainsi que de l article L. 145- déclarés d ordre public. 46-1 reconnaissant au preneur un droit de préemption en cas de vente de l immeuble loué (C. Mutelet, J. Prigent et M.-L. Rodriguez, art. préc.; A. Jacquin, Gaz. Pal. 9 août 2014, p. 45 V. cependant notre article, F. Planckeel, AJDI 2014. 595). Si l inconséquence du législateur est indéniable, il nous semble pour autant hâtif et malvenu d en tirer de telles conséquences qui sont manifestement contraires à sa volonté comme à la philosophie d ensemble de la réforme. Nous chercherons à démontrer que le silence du législateur, conséquence d une totale absence de réflexion, ne doit pas empêcher le juge d exprimer l ordre public implicitement voulu, avant d en tirer des conséquences quant au périmètre exact et à la sanction de ce nouvel ordre public. Sur la méthode : possibilité pour le juge de suppléer le silence du législateur La question générale du périmètre de l ordre public n a à aucun moment été abordée par le législateur, que ce soit au stade du projet de loi présenté en Conseil des ministres le 21 août 2014 ou à celui du débat parlementaire. Cette lacune tient peut-être au fait que la place de la liberté contractuelle a été spécialement discutée à propos de deux mesures phares: d une part, le droit de résiliation triennale, qui a fait l objet de plusieurs dérogations dont la stipulation d une durée supérieure à neuf ans; d autre part, le lissage du déplafonnement, que la ministre et l Assemblée nationale souhaitaient mettre à l écart des baux négociés comportant une durée supérieure à neuf ans ou une clause relative à la fixation du loyer (art. 4 du projet de loi adopté en Conseil des Ministres le 21 août 2013). Il n a été fait référence à la liste de l article L. 145-15 qu à l occasion de l examen par les députés (séance publique AN du 13 février 2014) de deux amendements qui souhaitaient préciser dans l article L. 145-40-2 relatif aux charges que toute clause contraire serait réputée non écrite (amendement n 45 de M. Fasquelle et amendement n 257 de M. Giraud), ce qui a été jugé inutile (V. aussi le rapport de M me Bonnefoy au nom de la commission des lois du Sénat). En dehors de cette allusion ponctuelle, il est permis de se demander si, tant au début qu à la fin du processus d adoption de la loi Pinel, le législateur a réellement eu conscience de l incidence de la numérotation des textes. La question de l impérativité des autres articles nouveaux n a jamais été abordée, de sorte que c est par omission, de manière purement fortuite, que le législateur n a pas révisé la liste de l article L. 145-15 afin d y intégrer les nouveaux articles L. 145-16-1, L. 145-16-2 et L. 145-46-1. Le cas du lissage est lui-même très symptomatique. Le projet de loi initial l instituait dans un nouvel article L. 145-39-1 inséré dans le code de commerce, de sorte qu il figurait parmi les articles L. 145-37 à L. 145-41, déclarés d ordre public par l article L. 145-15, alors même que la ministre voulait préservait la liberté contractuelle C est la commission des affaires économiques de l Assemblée nationale qui, avec l accord du gouvernement, a finalement éclaté la règle du lissage en la répartissant entre les trois textes concernés: l article L. 145-34 pour le loyer de renouvellement, l article L. 145-38 pour la révision triennale et l article L. 145-39 pour la révision spécifique aux clauses d échelle mobile. C est ainsi que le lissage est devenu, semble-t-il, supplétif en matière de renouvellement, l article L. 145-34 n étant pas visé par l article L. 145-15, tandis qu il a conservé son caractère impératif au sein des textes sur la révision. Mais, là encore, la lecture des travaux parlementaires ne fait pas apparaître une quelconque conscience de cet enjeu d ordre public. Il serait dès lors hasardeux, compte tenu de l absence d actualisation de la liste de l article L. 145-15 du code de commerce, de donner des effets de droit aux choix de numérotation des nouveaux articles, dont le législateur n a visiblement pas perçu ni voulu les conséquences, exception faite de l article L. 145-40-2. Le maintien de la liste ne signifie ni que les nouvelles dispositions se trouvant comprises dans la liste sont d ordre public, ni, à l inverse, que celles qui n y figurent pas sont considérées comme supplétives de volonté. On remarquera que la seule référence faite par la loi Pinel du 18 juin 2014 aux conventions contraires figure directement dans l article L. 145-4 du code de commerce, qui fixe les conditions dans lesquelles il est possible de déroger au droit de résiliation triennale. C est effectivement article par article que le législateur a élaboré sa réforme, les articles L. 145-15 et L. 145-16 n ayant été discutés que sous l angle de la sanction et des opérations de transmission universelle de patrimoine. Il convient dès lors de suivre la même démarche en recherchant pour chaque disposition nouvelle l intention du législateur, exprimée ou implicite. L article L. 145-15 lui-même ne fait pas obstacle à la découverte d autres dispositions impératives. Il convient de souligner que la tournure du texte n est pas restrictive: il identifie les clauses contraires au droit au renouvellement et aux articles visés, mais ne précise pas que seules ces clauses sont réputées non écrites. Partant, comment pourrait-on lui faire dire que les nouveaux textes sont supplétifs alors qu ils ont été édictés postérieurement à cette «liste noire» qui remonte à la codification du texte par l ordonnance du 18 septembre 2000? Cette lecture était déjà celle de la Cour de cassation qui a su, plus d une fois, déclarer d ordre public des textes non visés par l article L. 145-15 du code de commerce. D une part, elle a déclaré impératives les dispositions des articles L. 145-9 et L. 145-10 relatives à la forme du congé (Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n 00-11.664, Bull. civ. AP, n 1, D. 2003. 333, note S. Becqué-Ickowicz; ibid. 2002. 2053, obs. Y. Rouquet; AJDI 2002. 525, obs. J.-P. Blatter; RTD civ. 2003. 85, obs. J. Mestre et B. Fages), le délai de préavis ne pouvant pour sa part qu être allongé et non réduit (Civ. 3 e, 9 mars 2004, n 02-21.380, Administrer mai 2004, p. 24, obs. B. Boccara et D. Lipman. W-Boccara). AJDI Janvier 2015

13 D autre part, elle a déclaré d ordre public l article L. 145-12 relatif à la durée du bail renouvelé, qui est de neuf ans à défaut de convention contraire postérieure à la date du renouvellement ( Civ. 3 e, 2 oct. 2002, n 01-02.781, Bull. civ. III, n 194, D. 2002. 3014, obs. Y. Rouquet; AJDI 2003. 28, obs. J.-P. Blatter; RTD com. 2003. 277, obs. J. Monéger; Rev. loyers 2002. 628, obs. C. Quément; Gaz. Pal. 2003. 1, p. 452, note J.-D. Barbier; Loyers et copr. 2003, n 259, obs. Ph.-H. Brault). Cette dernière jurisprudence a été critiquée par une large part de la doctrine, qui s en tient à la liste de l article L. 145-15 et a longtemps minoré la portée de l arrêt de 2002, avant que cette solution soit réaffirmée par un arrêt du 18 juin 2013 (Civ. 3 e, 18 juin 2013, n 12-19.568, AJDI 2014. 279, obs. J.- P. Blatter; ibid. 2013. 759; Loyers et copr. 2013, n 276, obs. Ph.-H. Brault; Rev. loyers 2013. 941, note M.-O. Vaissié et H. Chaoui). Cette jurisprudence était donc considérée, d une certaine manière, comme la preuve par l absurde que le juge ne doit pas s émanciper des prévisions de l article L. 145-15. Or, la loi du 18 juin 2014 a consolidé cette jurisprudence, la commission mixte paritaire ayant finalement écarté le texte adopté en première lecture par le Sénat au motif, avancé par le rapporteur du texte pour l Assemblée nationale lors de la réunion du 21 mai 2014, que, «en raison de la durée de l engagement, il est souhaitable que la durée du bail renouvelée ne puisse être décidée de manière définitive lors de la conclusion du bail initial». Et il est intéressant d observer que, là encore, la loi Pinel n a pas pour autant actualisé la liste de l article L. 145-15. C est dire que le législateur ne voit pas dans ce texte un obstacle interdisant au juge de déclarer d ordre public un texte qui l est implicitement. Il y a là clairement une invitation à appliquer cette démarche à la loi Pinel elle-même, en examinant pour chaque texte si sa lettre ou son esprit laisse une place aux stipulations contractuelles contraires. Sur le fond : détermination des nouvelles dispositions d ordre public et de leur sanction Il appartient au juge de considérer comme impératives les règles qui ont pour objet d encadrer les stipulations contractuelles ou de contraindre les parties à un certain comportement. C est évidemment le cas des articles L. 145-40-1 et L. 145-40-2 du code de commerce, qui viennent respectivement imposer l établissement d un état des lieux et encadrer la répartition des charges. C est au titre de leur objet, bien plus qu à celui de leur inclusion dans le groupe des articles L. 145-37 à L. 145-41, qu ils ne souffrent pas les clauses contraires. Le même raisonnement s impose pour l encadrement de la clause de garantie solidaire fréquemment imposée au cédant d un bail commercial. Ces nouvelles dispositions n ont pas été insérées dans l article L. 145-15 ou dans l article L. 145-16, dont le dernier alinéa vise pourtant la clause de garantie solidaire, sans doute parce que la loi Pinel du 18 juin 2014 ne la considère pas comme illicite, au contraire des clauses visées par les deux articles susvisés; celle-ci a donc préféré réglementer la garantie solidaire dans deux textes distincts, les nouveaux articles L. 145-16-1 et L. 145-16-2. Pour autant, il est clair que le législateur a souhaité protéger le cédant en limitant dans le temps sa garantie (trois ans) et en lui permettant d être informé dans le mois de l impayé. Il s agit évidemment d imposer aux parties des limites qui sont assez rarement stipulées aujourd hui, la durée de la garantie s étendant généralement jusqu à la fin du bail en cours. Quelle portée aurait donc cette protection s il était possible d y déroger dans le bail? Soutenir que ce texte ne serait que supplétif de volonté revient en réalité à le vider de sa substance. Le caractère impératif des deux articles ne fait aucun doute à la lecture des travaux préparatoires et notamment des débats en séance publique du Sénat. M. Vaugrenard, rapporteur de la commission des affaires économiques, s opposait au texte en avançant: «Il me semble qu il n y a pas de justification véritable à limiter de la sorte la liberté contractuelle: c est au cédant de déterminer lui-même la portée de son engagement auprès du cessionnaire.» Il lui fut objecté par M. Mézard, coauteur de l amendement, qu «il faut donc prévoir un frein, qui peut être posé par la loi», M. Montebourg stigmatisant pour sa part des «pratiques abusives». Le même reproche de dénaturation peut être fait à ceux qui soutiennent qu il serait possible de déroger au droit de préemption du locataire en cas de vente des lieux loués. Le nouvel article L. 145-46-1 est intrinsèquement d ordre public, comme tous les droits de préemption (C. Saint-Alary, Le droit de préemption, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 164, préf. P. Raynaud, 1979, n 445 s.), qui imposent au propriétaire une restriction au droit de propriété et à la liberté contractuelle. C est bien le cas du nouveau texte, qui frappe de nullité toute vente consentie au mépris du droit de préemption (V. sur ce point notre étude précitée, p. 595). Il est, en revanche, plus délicat de déclarer d ordre public le lissage applicable au déplafonnement du loyer de renouvellement (C. com., art. L. 145-34, dernier alinéa. En faveur de son caractère supplétif, V. Ch.-E. Brault, Gaz. Pal. 9 août 2014, p. 41; C. Mutelet, J. Prigent et M.-L. Rodriguez, art. préc.; Ph.-H. Brault, Loyers et copr. sept. 2014, Dossier 7, n os 41-42). C est, en effet, l ensemble du régime du loyer de renouvellement qui est traditionnellement considéré comme supplétif. Le législateur ne voit pas dans l article L. 145-15 du code de commerce un obstacle interdisant au juge de déclarer d ordre public un texte qui l est implicitement. De plus, le caractère contraignant du lissage n est pas, ici, un argument suffisant puisque le plafonnement peut lui-même être écarté. C est dès lors vers les travaux préparatoires de la loi Pinel qu il faut se tourner. Au départ, comme le souligne l étude d impact, il s agissait clairement de préserver la liberté contractuelle en écartant du domaine du lissage les déplafonnements justifiés par «une clause du contrat relative à la durée du bail ou au mode de fixation du loyer» (préc.). Mais le Sénat a ensuite étendu le lissage à toutes les hypothèses de fixation du loyer à la valeur locative. Et, à l arrivée, si la commission mixte paritaire a réduit son domaine sous couvert de l expliciter!, le lissage s applique bel et bien «s il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d une clause du contrat relative à la durée du bail». L enjeu est, en outre, l effectivité de la réforme, car il faut s attendre à ce que les bailleurs stipulent massivement des clauses excluant le lissage du déplafonnement du loyer. Chaque fois que le juge déclarera d ordre public un texte non visé par les articles L. 145-15 et L. 145-16, une autre question rejaillira: Janvier 2015 AJDI

14 les clauses contraires aux autres articles sont-elles nulles ou réputées non écrites (Ph.-H. Brault, «Le statut des baux commerciaux et la clause réputée non écrite», art. préc., n 18; C. Mutelet, J. Prigent et M.-L. Rodriguez, art. préc.; P. Garbit, art. préc., qui penche pour la nullité)? Si l arrêt La Poste laisse à penser que la nullité a vocation à s imposer (Civ. 3 e, 23 janv. 2008, préc.), la jurisprudence Chronopost montre que la Cour de cassation a déjà su par le passé réputer non écrites des clauses qu aucun texte n interdisait (Com., 22 oct. 1996, n 93-18.632, Bull. civ. IV, n 261, D. 1997. 121, note A. Sériaux; ibid. 145, chron. C. Larroumet; ibid. 175, obs. P. Delebecque; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre; ibid. La prescription ne saurait 1998. 213, obs. N. Molfessis; RTD permettre de légitimer des com. 1997. 319, obs. B. Bouloc). atteintes au statut, résultant Et, là encore, l incidence de la loi notamment du choix d une Pinel ne doit pas être négligée. qualification extrastatutaire. En substituant à la nullité la sanction de la clause réputée non écrite, le législateur n a-t-il pas montré l exemple au juge et dégagé un nouveau principe: les clauses contraires au statut sont réputées non écrites et ne doivent plus pouvoir prospérer à l abri de la prescription biennale enfermant l action en nullité? Plus généralement, la prescription ne saurait permettre de légitimer des atteintes au statut, résultant notamment du choix d une qualification extrastatutaire (V. en ce sens, C. Mutelet, J. Prigent et M.-L. Rodriguez, art. préc.; J.-M. Moyse, Administrer sept. 2014, p. 22-23). La Cour de cassation vient peut-être déjà de tenir compte de ce message: alors qu elle enfermait systématiquement dans le délai biennal les actions en revendication du statut, elle vient d écarter l application de la prescription biennale dans une affaire où le preneur se prévalait d un bail commercial né de plein droit de son maintien dans les lieux à l issue d un bail dérogatoire (Civ. 3 e, 1 er oct. 2014, n 13-16.806, D. 2014. 2565, obs. Y. Rouquet, note R.-J. Aubin-Brouté; Rev. loyers 2014. 513, note J. Prigent; Loyers et copr. 2014, n 272, obs. Ph.-H. Brault). En tout cas, il serait peu logique et peu cohérent que les nouvelles dispositions issues de la loi Pinel soient sanctionnées par une nullité que cette même loi vient précisément de répudier. Certes, la loi du 18 juin 2014 comporte de nombreuses lacunes, mais elle exprime également une réelle volonté de renforcement de l ordre public qu il appartient au juge de faire prévaloir. NOUVEAU Votre revue est maintenant consultable sur l appli Dalloz pour ipad. Désormais : Profitez d un confort d utilisation inégalé grâce à l alliance du papier et du numérique ; Téléchargez un numéro puis consultez-le librement, même hors connexion ; Votre revue vous accompagne dans tous vos déplacements. Téléchargez sur votre ipad l application gratuite Dalloz et connectez-vous à l aide des identifiants qui vous ont été communiqués lors de votre abonnement ou de vos réabonnements. Pour toute question, notre service Relations clientèle se tient à votre disposition au AJDI Janvier 2015