Dimanche 1 e semaine de l Avent C Frère Pierre-Marie Jr 33,14-16 ; 1 Th 3,12-4,2 ; Lc 21,25-28.34-36 3 décembre 2006 Paris, Église Saint-Gervais De la terre qui meurt au ciel où tout revit À l écoute des propos de Jésus que nous venons d entendre, le moins que l on puisse dire est que nous ne sommes pas trop rassurés! Si l on prend ses affirmations à la lettre, vers quels lendemains dramatiques notre monde et l humanité ne sont-ils pas en route? Il faut aller au-delà de ce qui est à mettre au compte du genre littéraire propre à ce type de discours apocalyptique. Au-delà aussi du fait que les auditeurs de Christ ont sans doute assimilé ce qu il disait de la ruine de Jérusalem avec son évocation de la fin des temps. Que nous enseigne donc au juste Celui dont nous redisons, nous aussi : C est vraiment lui le Sauveur du monde (Jn 4,42)? Ses propos peuvent s entendre sur un double registre. Le premier, comme en négatif, mais déjà porteur d une belle exigence ; et le second, tout en positif, empreint de la force de l espérance. Sur le mode négatif, le Seigneur nous rappelle tout d abord que ce monde créé est, en lui-même, menacé de ruine, ou, si l on veut, frappé de caducité. Soleil, lune étoiles, terre, mer et puissances des cieux (Lc 21,25s) ne sont pas du tout assurés de perdurer à jamais. Pas plus que notre vie ne peut se prolonger indéfiniment ici-bas, l univers où nos sommes ne peut assurer
2 par lui-même sa propre survie. Bien plus, il doit finir (Lc 21,25-26)! On sait scientifiquement aujourd hui que ces propos du Christ demeurent de ce fait étonnamment réalistes et justes. Dieu ne veut pas détruire le monde pour autant, à tout prix, ou faire mourir les fils d Adam. Il a créé l univers en voyant que c était bon et même, pour l homme, que c était très bon (Gn 1,10.25.31)! Mais le péché a fait entrer dans l homme et dans le monde un germe de mort, comme dit l Écriture (Sg 2,24 ; Rm 5,12), qui conduit inéluctablement la figure de ce monde à passer (1 Co 7,31), et l homme que nous sommes à mourir (Rm 5,2). Voilà pourquoi d emblée, le commencement regarde la fin. Car c est le terme des choses qui donne sens à leur devenir. L essentiel de notre vie n est donc pas dans cet ici-bas. Et c est pourquoi, à chaque fois que recommence le nouveau temps liturgique de l Avent, nous nous souvenons d abord de cette fin dernière vers laquelle, invariablement, nous glissons. Toujours dans ce registre, le Christ nous enseigne encore qu avec son premier avènement, les temps sont accomplis (Mc 1,15). En quelque sorte ils sont finis. C est-à-dire réorientés à la vraie vie. Désormais tout est dit et tout est donné. Tout va pouvoir renaître. Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, est-il écrit, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils. Ainsi commence la lettre aux Hébreux (He 1,1-2). Le Verbe s est fait chair (Jn 1,14), et toute chair a vu le salut de Dieu (Lc 3,6). La fin du monde (non pas de ce monde que Dieu aime au point de lui donner son Fils unique (Jn 3,16), mais de ce monde qui le repousse en repoussant la vie, l amour, la joie, la lumière, la paix, cette fin n est donc pas d abord l affaire de Dieu, fracassant tout à la fin des temps. Mais notre propre affaire, en ces jours que le Christ nous donne pour éliminer de notre vie toutes les œuvres de mort. Quel rude, mais beau labeur pour notre temps! Souvenons-nous :
3 Au premier jour de la création, Dieu a tout créé par la séparation distinctive : lumière et ténèbres ; jour et nuit ; ciel et terre ; homme et femme, etc. En ces derniers jours de notre re-création, nous avons à tout renouveler par la séparation unitive : à la haine, que réponde l amour ; à la discorde, que réponde la communion! Que la tristesse fasse place à la joie ; que l abattement fasse place à l espérance ; que le doute fasse place à la foi! Il n y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre. Il n y a plus ni homme ni femme, mais vous ne faites tous qu un dans le Christ Jésus (Ga 3,28). En d autres termes, c est en nous séparant de tout ce qui n est pas Dieu, ou selon le plan de Dieu, que nous irons au mieux vers Dieu, en accomplissant l œuvre de Dieu. Que nous passerons du vieil homme qui meurt, à l Homme nouveau qui se renouvelle à l image du Créateur (Col 3,10). Que nous monterons, de ce monde qui passe, à celui qui ne passera pas parce que c est en lui que la justice habitera (2 P 3,13). Voilà donc la fin par quoi tout recommence! Entre la première venue de Jésus et son dernier avènement, il nous est donné à chacun, ce temps du choix, de l option et de l accomplissement. Ce temps où tout se prépare à renaître en acceptant de commencer par disparaître! Dans un registre plus positif, on peut dire dès lors que le Christ et l Église nous invitent tout particulièrement durant ce temps de grâce de l Avent, à nous ouvrir à la joie des temps nouveaux. Des temps où l espérance renaît parce que va revenir Celui qui est déjà venu. Voici venir des jours où j accomplirai la promesse de bonheur que j ai adressée à la maison de mon peuple En ces jours-là, en ces temps-là, je ferai naître dans la descendance de David un Germe de justice.
4 Et il exercera dans le pays le droit et la justice (Jr 33,14-15). Voilà donc, frères et sœurs, ce qu annonce essentiellement la fin du monde qui passe et d une vie qui avance. Car, si nous mourrons tous, à la fin, et à ce monde que nous quitterons et à cette vie que nous laisserons, ce sera dans une ligne ascensionnelle! Ce sera par la montée de l espérance, dont Paul nous dit qu elle surabonde en nous par la puissance de l Esprit Saint (Rm 15,13). De cette espérance qui est la vertu typique de l Avent, parce qu elle nous tire précisément en avant. Au-delà du visible, du limité, du mortel. Sûrs d un salut déjà donné et qui a déjà relevé un monde déchu, nous avançons vers la pleine réalisation de ce qui n a pas encore été manifesté (1 Jn 3,2), mais qui nous reste promis. Voilà ce que les apôtres ont pu appeler : l Évangile du salut (Ac 13,26 ; Ep 1,13 : He 2,3 ; 1 P 4,10-11). Au germe de mort qui conduit tout à sa perte, s est substitué un Germe de justice qui ramène tout à la sainteté. Passant par le Val du Pleureur, ils en feront un lieu de source. Ils marcheront de hauteur en hauteur et Dieu leur apparaîtra dans Sion, chante magnifiquement le psalmiste (Ps 84,7-8). Si la montée vers Pâques nous élève vers la contemplation du Soleil de justice, en la personne du Christ ressuscité, la marche vers Noël nous conduit vers l étoile du matin, en la personne du Verbe incarné (2 P 1,19 : Ap 2,2). Que faire dès lors, en attendant? L apôtre Paul nous le rappelle dans cette lettre d hier toujours actuelle en ce jour : Que le Seigneur vous donne entre vous et à l égard de tous, un amour de plus en plus intense et débordant Et qu ainsi il vous établisse fermement dans une sainteté sans reproche devant Dieu notre Père, pour le jour où notre Seigneur Jésus viendra avec tous les saints (1 Th 3,12). Ainsi nous voilà bien remis sur le vrai chemin.
5 Il faut et il suffit d aimer. Car l amour relève, restaure et revivifie tout. Et il ne passe jamais (1 Co 13,8)! Il renouvelle le cœur de l homme et il renouvelle la face du monde. En élevant peu à peu tout être et toute chose vers de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera (2 P 3,13). Ainsi tout s unifie dans ce passage du négatif au positif. Pour fuir le mal, pratiquons le bien (Rm 12,21)! Pour faire reculer le mal, faisons avancer le bien! Pour mourir au mal, donnons notre vie au bien! La mort est pâque de vie. La terre est tremplin vers le ciel. La fin du vieux monde en route, chaque soir, annonce la venue, chaque marin, du monde nouveau. Restez éveillés et priez en tout temps, se contente de nous dire Jésus (Lc 21,36). Comment ne pas le faire en effet, quand cela peut traduire, en nos vies, l amour effectif que nous avons pour Dieu et ce monde qu il veut sauver, et l espérance joyeuse que nous mettons en lui et en cette terre où il nous a placés? FMJ Tous droits réservés