Contexte Qu est-ce que «l intérêt supérieur de l enfant»? Préparé par Tara Collins et la sénatrice Landon Pearson L intérêt supérieur de l enfant est tellement important que le Comité des droits de l enfant le considère comme un principe directeur de la Convention relative aux droits de l enfant (CDE) des Nations Unies 1, c est-à-dire un des principes qui orientent l interprétation et la mise en œuvre de tous les articles de la CDE. Ils servent aussi à la résolution des éventuels conflits touchant cette mise en œuvre. À titre de principe directeur, l intérêt supérieur de l enfant s applique donc à toutes les questions relatives aux enfants. Cette notion paraît simple, mais elle est en fait complexe et exigeante. Autrefois, les adultes se référaient souvent à l intérêt supérieur pour justifier leurs décisions, mais sans vraiment tenir compte de la perspective de l enfant. Or, après l adoption de la CDE, cette approche restreinte n est plus acceptable. Il faut maintenant considérer le principe de l intérêt supérieur dans le cadre d une démarche fondée sur les droits. Aux fins de la Session extraordinaire consacrée à l enfant de l Assemblée générale des Nations Unies (prévue en mai 2002) et des négociations concernant le «projet de conclusions», le présent document expose le concept, tel qu il existe actuellement en droit international, et les conséquences qu il a dans la pratique. Historique de l «intérêt supérieur» La notion d intérêt supérieur de l enfant existe depuis assez longtemps en droit international 2. Elle est née avec la Déclaration des droits de l enfant de 1924, qui n évoque pas expressément l intérêt supérieur de l enfant, mais affirme que «l humanité se doit de donner à l enfant le meilleur d elle-même». C est là le premier document juridique reconnaissant que les adultes ont le devoir de faire ce qui est le mieux pour les enfants. La Déclaration des droits de l enfant de 1959 affirme que «l intérêt supérieur de l enfant doit être la considération déterminante» dans «l adoption de lois» relatives aux enfants. 1 Les quatre principes directeurs de la CDE sont : - la non-discrimination (Article 2); - l intérêt supérieur (Article 3); - le droit à la vie, à la survie et au développement (Article 6); - le droit de l enfant d exprimer librement son opinion, et que ces opinions soient dûment prises en considération (Article 12). 2 Ayotte, Wendy. «Separated Children and Adolescents Seeking Asylum-How Can We Consider Their Best Interests?» in Canada s Children, bulletin de la Ligue pour le bien-être des enfants du Canada, hiver 2001, p. 4-11.
Le principe de l intérêt supérieur est développé dans l Article 3 de la CDE. Le paragraphe 3(1) se lit comme suit : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, quelles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l intérêt supérieur de l enfant doit être une considération primordiale. Le texte actuel est plus faible que l article original, soumis par la Pologne en 1978 dans son projet de convention, qui se fondait sur la Déclaration de 1959. Dans la CDE, l intérêt supérieur de l enfant doit être «une» et non pas «la» considération primordiale. Cette formulation signifie qu il peut exister des conflits entre les droits et les intérêts au moment de prendre des décisions concernant les enfants et que leur intérêt supérieur peut ne pas être nécessairement la considération primordiale. On peut aussi interpréter la formulation plus floue de l article de la CDE comme se référant à des procédures qui concernent l enfant, mais dans lesquelles il n est ni ne doit être l acteur principal. Il peut s agir par exemple de procédures de divorce, qui certes concernent l enfant, mais qui sont fondées sur les souhaits des deux adultes en cause 3. Toutefois, dans les décisions touchant les enfants issus du mariage, le principe de l intérêt supérieur doit bien entendu entrer en jeu. Néanmoins, malgré le remplacement de «la» par «une», certains analystes estiment que l Article 3 fait peser le fardeau de la preuve sur les gouvernements, qui devraient démontrer pourquoi l intérêt supérieur ne constitue pas une priorité 4. L Article 21 de la CDE reconnaît et autorise les régimes d adoption dans lesquels l intérêt supérieur de l enfant est la considération primordiale. L expression intérêt supérieur se retrouve dans six autres articles de la CDE, à savoir ceux qui portent sur : la séparation des parents, 9(3); la responsabilité des parents, 18(1); l enfant qui est privé de son milieu familial, 20(1); l adoption, 21(a); la privation de liberté, 37(c); et les procédures judiciaires concernant des jeunes, 40(2)(b)(iii). Le principe de l intérêt supérieur est aussi pris en compte dans un certain nombre d autres ententes et instruments internationaux : deux articles de la Convention sur l élimination de toutes les formes de discrimination à l égard des femmes (CEDAW); la Déclaration concernant le placement familial et l adoption de 1986 de l ONU; les travaux du Comité des droits de l homme en ce qui concerne l interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; la Charte africaine des droits et du bien-être de l enfant africain de 1990; et les travaux de la Commission européenne des droits de l homme 5. 3 Van Bueren, Geraldine. The International Law on the Rights of the Child, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1995, N. 100, p. 62 4 Alston in Ayotte, p. 6. 5 CEDAW, articles 5(b) et 16(1)(d); Déclaration de l ONU, article 5; Comité des droits de l homme, Charte africaine des droits et du bien-être de l enfant africain, article 4(1); et Commission européenne des droits de l homme; cités dans Philip Alston et Bridget Gilmour-Walsh. The Best Interests of the Child: Towards a Synthesis of Children s Rights and Cultural Values, Florence, UNICEF, Innocenti Studies, 1996, p. 6. 2
Comprendre l «intérêt supérieur» L Article 3 comprend trois volets. Le paragraphe 3(1) demande que les gouvernements, de même que les institutions publiques ou privées de protection sociale déterminent l effet de leurs actions sur les enfants. Le paragraphe 3(2) oblige les États à assurer à l enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être en toutes circonstances, tout en respectant les droits et devoirs des parents. Le paragraphe 3(3) exige que des normes soient fixées par les «autorités compétentes» à l égard des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et il oblige les États à veiller à ce que ces normes soient respectées. Malgré la clarté de ces éléments, certains estiment que l Article 3 est trop vague et qu il ne peut par conséquent pas servir de cadre pour déterminer l intérêt supérieur. De plus, le Comité des droits de l enfant n a pas encore précisé exactement comment il fallait déterminer l intérêt supérieur de l enfant. Il a néanmoins affirmé que les trois autres principes généraux de la CDE devaient correspondre à sa détermination dans des situations précises 6, affirmant que tous les articles appropriés de la Convention doivent être pris en considération. On trouvera plus bas des exemples précis à ce sujet. Le contexte international suppose un autre défi à l égard de l Article 3. L interprétation de l intérêt supérieur de l enfant peut changer considérablement d une culture à l autre, surtout dans des domaines comme la garde des enfants, l excision, le mariage des enfants, le mariage arrangé, le travail et l éducation 7 Il peut s ensuivre des conflits avec d autres droits de l enfant ou avec les droits des adultes. Toutefois, l intérêt supérieur, même interprété dans une perspective culturelle, ne peut pas aller à l encontre des autres articles de la CDE ni autoriser les pratiques traditionnelles dégradantes ou encore les châtiments violents 8. La CDE reconnaît à plusieurs endroits que les adultes, y compris les parents, les tuteurs et les enseignants, ont un intérêt ou une part à prendre dans les décisions concernant les enfants. Toutefois, le principe de l intérêt supérieur demande la participation de l enfant dans la mesure du possible, car il est impossible de connaître avec certitude cet intérêt supérieur à moins que la perspective de l enfant ne soit prise en compte. L Article 1 de la CDE donne à tous les enfants le droit d exprimer leurs opinions sur toute question les intéressant et de voir leurs opinions dûment prises en considération. Le point de vue de l enfant est essentiel aux décisions qui le touchent, mais cela ne signifie pas qu il a le dernier mot, car d autres considérations peuvent être jugées plus importantes que son opinion 9. Le fait qu un enfant ait le droit de participer à une décision ne signifie pas qu il puisse en imposer l issue. 6 Rachel Hodgkin et Peter Newell, Manuel d application de la Convention relative aux droits de l enfant, New York; Genève: UNICEF, 1998. 7 Voir Alston et Gilmour-Walsh, p. 3-8. 8 Hodgkin et Newell, p. 40. 9 Nigel Thomas et Claire O Kane, «When children s wishes and feelings clash with their best interests.», in The International Journal of Children s Rights 6, 137-154, 1998, p. 137. 3
Le poids accordé à l opinion de l enfant doit être proportionné à sa faculté de comprendre ce qui lui est proposé 10. Cette capacité ne se mesure pas nécessairement en fonction de l âge ou du degré de maturité, car chaque enfant est différent, et chacun se développe à son propre rythme 11. Toutefois, il faut supposer que l enfant est compétent, plutôt que le contraire, car le principe de l intérêt supérieur fait peser le fardeau de la preuve sur ceux qui refusent à l enfant l exercice de ses droits 12. Habituellement, dans la pratique, les enfants demandent l aide des adultes pour prendre leurs décisions difficiles, de sorte que le principe de l intérêt supérieur suppose un partenariat. L enfant doit participer s il est en mesure de comprendre les conséquences de sa décision. Dans le cas contraire, le parent ne doit faire abstraction des désirs de l enfant que pour le protéger ou pour promouvoir son intérêt supérieur. Lorsque l enfant est compétent, le parent ne doit prévaloir sur lui que pour prévenir un préjudice grave 13. Toutes les décisions importantes doivent être assujetties à une réflexion et à une prise en compte des capacités, des perspectives et des autres aspects qui évoluent dans le temps chez l enfant 14. L «intérêt supérieur» dans la pratique La démarche fondée sur les droits et la notion de développement des capacités 15 sont deux éléments essentiels à la compréhension et à la mise en œuvre du principe de l intérêt supérieur. Ce dernier est généralement déterminé au cas par cas. Selon le principe, des efforts rigoureux doivent être déployés pour que l intérêt supérieur ne corresponde pas simplement à la perception qu en ont les adultes. Dans la pratique, le principe de l intérêt supérieur sert à mesurer et à juger certains éléments particuliers du droit, des politiques et des programmes, qui sont justifiés pour la protection des enfants et qui sont distincts de ceux des adultes. Il faut démontrer que ces éléments sont nécessaires à la protection du bien-être de l enfant, faute de quoi ils risquent d être jugés discriminatoires 16. Voici deux exemples différents des conséquences pratiques du principe de l intérêt supérieur. Le premier concerne l obligation qu ont les États parties d intégrer le principe de l intérêt supérieur dans tout plan d action destiné aux enfants ou, bien entendu, dans toute législation susceptible de toucher les enfants directement ou indirectement. Cela signifie que les enfants doivent être consultés au moment d élaborer les plans et les lois, et être entendus comme témoins lorsque les textes sont à l étude. Dans le cadre de sa Stratégie de réforme de la justice pour les 10 Scarman, cité dans Thomas et O Kane, p. 140. 11 Voir le document thématique sur l évolution des capacités de l enfant publié par le bureau de la sénatrice Landon Pearson. 12 Van Bueren, p. 51. 13 Gerison Lansdown (1995), cité dans Thomas et O Kane, p. 150. 14 Van Bueren, p. 48. 15 Ces deus questions font l objet de documents thématiques distincts publiés par le bureau de la sénatrice Landon Pearson. 16 Pour plus de détails, voir Save the Children, Children s Rights: Equal Rights? Diversity, Difference and the Issue of Discrimination, Londres, The International Save the Children Alliance, 2000, p. 30. 4
jeunes, le gouvernement canadien s est attaché à inclure des jeunes dans ses tables rondes sur les politiques. Plusieurs jeunes ont ainsi pu assister aux travaux du Comité concernant le projet de loi C-7, Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, tant à la Chambre des communes qu au Sénat. Le deuxième exemple est plus spécifique et concerne les problèmes entourant la garde et le droit de visite des enfants, dans les cas de séparation et de divorce. Un certain nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité (parlementaire) mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants (1998), dont plusieurs jeunes, ont recommandé la prise en considération de la Convention, et particulièrement des articles 3, 9 et 12 concernant l intérêt supérieur de l enfant, le droit de l enfant de maintenir des relations avec des membres de sa famille et son droit d être entendu. Ainsi, lorsque le Comité a formulé ses recommandations concernant les facteurs que le juge doit considérer lorsqu il détermine l intérêt supérieur de l enfant, il a énuméré entre autres les éléments suivants : la solidité, la nature et la stabilité des relations qui existent entre l enfant et les personnes habilitées à exercer des responsabilités parentales à son égard ou à demander une ordonnance en ce sens (Articles 9 et 18 de la Convention); les points de vue de l enfant, lorsqu ils peuvent être raisonnablement définis (Articles 9 et 12); la capacité et la volonté de chaque demandeur d ordonnance de pourvoir à l éducation de l enfant, à son développement, aux nécessités de sa vie et à ses besoins spéciaux (Article 27); les liens culturels et la relation de l enfant (Articles 2 et 14); l importance et l avantage pour l enfant de la responsabilité parentale partagée, permettant aux deux parents de demeurer activement présents dans sa vie après la séparation (Articles 9.3 et 18); tout antécédent prouvé de violence familiale perpétrée par la partie réclamant une ordonnance parentale (Article 19); aucun des deux parents ne doit bénéficier d un traitement de faveur fondé uniquement sur son sexe (Article 2) 17. Tous les facteurs cités ici doivent être pris en compte. Toutefois, il ne s agit pas là d une liste exhaustive. Cet exemple sert à démontrer que la Convention constitue un excellent guide pour déterminer l intérêt supérieur de l enfant dans une situation donnée et que, parce que les droits sont indivisibles, tous les articles pertinents doivent être pris en considération. Le principe de l intérêt supérieur n est pas aussi vague que certains l ont soutenu. 17 Parlement du Canada, Comité spécial mixte sur la garde et le droit de visite des enfants, Pour l amour des enfants : Rapport du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, décembre 1998, p. 45. 5
Conclusion Le principe de l intérêt supérieur est important pour la participation et les suites qui seront données à la Session extraordinaire consacrée aux enfants. Il ne peut plus être utilisé dans les procédures pour soutenir certaines attitudes restreintes et paternalistes, comme ce fut le cas dans le passé. Comme le montre le présent document, le principe exige une démarche fondée sur les droits des enfants, qui fasse contrepoids à la démarche fondée sur les besoins ou encore à la perspective axée sur le service de l enfant 18. S il est vrai que le principe de l intérêt supérieur revient souvent dans les négociations concernant les droits et le bien-être des enfants à la Session extraordinaire, il n est ni clairement interprété ni correctement appliqué. Il faudra déployer des efforts considérables pour qu on lui accorde tout le poids qui lui revient. À tout le moins, les enfants doivent participer à la détermination de leur intérêt supérieur, car ils sont souvent plus conscients de ce qui importe dans leurs vies 19. Les personnes qui, par nature ou par idéologie, ont tendance à se montrer protectrices y voient des risques, mais la prise de risques, que ce soit par les adultes ou par les enfants, est inhérente au processus 20. Avril 2002 Bureau de l honorable Landon Pearson Représentante personnelle du premier ministre pour la Session extraordinaire de l ONU sur les enfants Conseillère auprès du ministre des Affaires étrangères pour les droits des enfants Le Sénat du Canada Bureau 210, édifice de l Est Ottawa (Ontario) K1A 0A4 Tél. : (613) 947-7134 ou 1 800 267-7362 Téléc. : (613) 947-7136 Courriel : pearsl@sen.parl.gc.ca Site Web : www.sen.parl.gc.ca/lpearson/ 18 Voir à ce sujet le document thématique sur la démarche fondée sur les droits publié par le bureau de la sénatrice Landon Pearson. 19 Yamamoto et al, in Thomas et O Kane, p. 152. 20 Thomas t O Kane, p. 152. 6