La Sakura-Michi Par Jean-Michel Boiron Pour moi l histoire de la SAKURA-MICHI, «La course des cerisiers» commence il y a 15 ans, l année de la naissance de Clémentine, mais je ne le sais pas encore. A l époque je suis un coureur de 100 km reconnu dans le petit monde de la course longue distance, et je fréquente des amis coureurs qui me ressemblent beaucoup. C'est-à-dire que tous sont un peu prêts à tout. Cette année là nous avons décidé de participer au «Sparthatlon», petite course de 246 km fin septembre entre Athènes et Spartes. Je me suis bien préparé pendant le mois d août, je suis fin prêt, et j attends la course avec impatience. Clémentine assure bien le coup en naissant le 9 septembre, mais là tout s enraye. Je travaille jour et nuit sur une affaire importante qui pour diverses raisons prend du retard. A mon grand désespoir on me demande de ne pas partir. Je conduis mes copains à l aéroport tôt le matin et je retourne travailler alors qu eux s envolent vers la Grèce. Très marqué par cet incident, pendant 13 ans, malgré les sollicitations de mes amis je ne refais pas l effort de me préparer pour la Grèce, et je me consacre aux 100 km. Et puis avec l âge qui avance et les performances qui baissent je me dis que le moment est venu de me relancer dans l aventure. Du coup je fais une grosse préparation estivale à laquelle toute la famille participe en se relayant pour les entraînements et les compétitions ( jusqu à 250 km par semaine). Et la préparation paye puisque 6 jours après avoir fait les 100 km de Millau, je termine le Sparthatlon dans le délai de 36 heures, un peu dans la douleur, mais avec une réelle satisfaction de réussir à cette première tentative en étant «le moins jeune» de la course. Entre temps une course née en même temps que Clémentine a grandi avec elle. Cette course la SAKURA-MICHI est la copie japonaise du Sparthatlon. C est une course en ligne de 250 km non stop qui traverse le Japon dans sa largeur en reliant Nagoya à Kanasawa. La sélection est draconienne 100 coureurs, 80 Japonais, 20 étrangers, mais le Sparthatlon est un peu le sésame pour être retenu. Je décide de tenter ma chance. 1
J envoie donc mon inscription avec un petit palmarès de 100 km les résultats du Sparthatlon et un petit texte de motivation dont je connaîtrai plus tard l importance. Mes chances d être retenu sont minces malgré tout pour cette première tentative. Quelques jours passent et surprise je reçois un e-mail m annonçant ma sélection. J accepte immédiatement l invitation. Je ne veux bien sûr pas laisser passer cette chance. Je vérifie la liste des coureurs retenus. Nous sommes 9 Français dont 4 de mon groupe les «KéKéS du Bocage», 1Belge, 1 Finlandais, et 9 Coréens, dont certains déjà rencontrés en Grèce. La préparation hivernale est pour moi beaucoup plus difficile que celle de l été, le manque de temps, les mauvaises conditions climatiques, l absence de courses de début de saison, tout joue en ma défaveur. Heureusement les sorties avec le CTL, les brevets de 200 km me mettent doucement en forme. Le jour J arrive enfin, le kilométrage de préparation est bien inférieur à ce qu il faudrait, mais comme toujours la vérité sera dans la course. Dimanche 15 Avril 18 h 10 c est le départ de Roissy, 12 heure de vol, repas japonais dans l avion, arrivée à Nagoya 13 h 00 lundi. C est fait nous sommes au Japon, l aventure commence. L aéroport de Nagoya situé sur une île artificielle est à 1 heure du centre ville. Nous prenons le bus pour aller à la gare. Facile il y a encore un peu d Anglais dans l aéroport. Le vrai Japon commence à la gare de Nagoya. Nous devons prendre le train jusqu à Hida Takayama pour rejoindre Hiroshi Ogo (grand patron de la course) qui va nous accueillir jusqu au vendredi matin dans sa maison. Prise du billet : gare ou pharmacie? 2
Quel quai? Nous arrivons vers 20 h, Hiroshi nous attend à la gare avec un autre chauffeur et 2 minibus étroits purs véhicules japonais, quelques minutes plus tard nous sommes tous dans sa maison. Celle-ci est située dans la montagne au centre du Japon à peu près à mi-parcours de la course là où les traditions sont encore bien ancrées. Le hall d entrée comporte des casiers où il faut poser ses chaussures pour circuler en chaussettes dans le reste de la maison. Il en sera de même dans les restaurants, les hôtels, les bains etc La première cérémonie sera celle des cadeaux. Avant le premier dîner, chacun d entre nous remet à nos hôtes les cadeaux rapportés de son pays. Hiroshi et son épouse reçoivent les cadeaux et remercient. Les cadeaux sont alors posés sur une table sans être ouverts. Ils y resteront 2 jours puis disparaîtront sans qu aucun avis ne soit donné sur la façon dont ils ont été perçus. Les maisons sont en bois avec un seul poêle au centre de la pièce principale, nous dormons sur des futons posés à même le sol avec une literie purement japonaise que nous apprendrons à mettre en place. Les repas seront pris à heures fixes 8h30, 12h, 18h. Le reste du temps se partage entre entraînement léger, visite de Takayama, ballade dans la montagne voisine. La maison d Hiroshi Table des Coréens. Heureusement je suis à la table du fond, ma souplesse naturelle n étant pas très développée! 3
Nous avons 2 jours pour visiter, tester la nourriture, profiter des bains japonais (une merveille), le 3 e jour sera consacré à une sortie pour répondre à une invitation d un ami d Hiroshi et une visite aux fêtes traditionnelles. Hida-Takayama un jour ordinaire Hida-Takayama pendant les fêtes traditionnelles 4
Dans cette journée de jeudi, nous aurons également un briefing sur la course et à faire la préparation des poches permettant de laisser du ravitaillement et des vêtements tout au long du parcours. Le repas traditionnel chez les amis d Hiroshi est une pure merveille et les fêtes traditionnelles un dépaysement total. Une idée pour les candidats aux élections municipales Restaurant typique Hiroshi aux fourneaux 5
Jeunes beautés nipponnes Vendredi matin réveil matinal, adieux à tous ceux qui ont veillé sur nous pendant ces derniers jours, photos traditionnelles devant la maison puis départ vers Nagoya en minibus. Au début, le voyage se fait à l envers sur le parcours que nous emprunterons demain, puis sur l autoroute. Nous arrivons à l hôtel et nous prenons possession de nos chambres avec vue sur le château, point de départ de la course, suit la cérémonie d ouverture de la course, la dépose des sacs d assistance sur les tables, la remise des dossards Après quelques dernières recommandations sur la météo, Hiroshi nous abandonne. Il est le grand patron de la course et il a plein de fonctions à assurer. En fait toujours nous sentirons sa présence à nos côtés et il y aura toujours quelqu un pour nous aider en cas de problème. Pour la dernière soirée c est quartier libre. Nous effectuons une ballade dans Nagoya avec repas japonais dans un restaurant traditionnel bien sympathique avec bière, saké faciles à commander. La commande des plats se fait avec quelques difficultés mais dans la bonne humeur. Une table d étudiants Gheisa à l hôtel 6
Samedi matin le lever est à 4 heures, dans la soirée avant de dormir nous avons préparé les affaires pour courir et les sacs à remettre dans le minibus. Nous déjeunons copieusement puis nous remontons dans les chambres chercher les sacs et peaufiner l équipement (ceinture, casquette etc ). Le rendez-vous pour le départ est à 5h30 à l intérieur du parc du château de Nagoya. Le départ lui-même se fait en vagues de 16 coureurs à partir de 6h toutes les 3 minutes. Je fais partie d la 2 ème vague avec le belge, le finlandais et des japonais. Le Château de Nagoya Départ de la course Le départ du groupe N 2 A 6h03 c est le départ, 1km dans le magnifique parc du château, puis c est la ville pendant 60 km. Les spectateurs nombreux sur le parcours, les automobilistes, les enfants des écoles nous encouragent «gambaté, gambaté» ce qui veut dire «bon courage» en japonais. Tout au long du parcours, nous avons droit à ces mots, à des sourires ou des petits saluts de la main. Il faut dire que les bénévoles sont nombreux, 700 personnes en tout pour 100 coureurs nous les retrouverons aux divers ravitaillements (50 au total). Le parcours en ville est une succession de trottoirs, de passerelles, d escaliers, d arrêts aux feux rouges pour piétons. Au fil de ces arrêts, les groupes se font et se défont dans la bonne humeur. La présence du public et la chaleur des ravitaillements font vite passer le temps, les kilomètres défilent, il fait un peu chaud 25 et tous les européens sont un peu trop couverts. 7
Le parcours en ville pendant la course nous suivons le signe de la Sakura-Michi visible sur la banderole rose Un ravitaillement Mon groupe Vers le 65è kilomètre, nous quittons la ville le profil du parcours commence à monter. Nous allons passer du niveau de la mer à 850m d altitude, au kilomètre 135 avec une pente qui s accentue au fil des kilomètres. Je passe au CP 21 qui constitue le premier point d élimination Shirotori au Km 107 avec 1 heure d avance sur le délai, 12h57 de course je suis bien, je retrouve mon sac avec des vêtements chauds pour la nuit et quelques gels «magiques» pour reconstituer ma réserve. 8
Les ravitaillements proposés par l organisation sont bien faits, on trouve à peu près tout, banane, sushi, riz, pâtes japonaises, soupes, pommes, gâteaux. L ambiance y est chaleureuse mais fidèle à mon habitude, je ne traîne pas et ne prends que du liquide, eau, glucose, coca. Nous avons droit également aux serviettes chaudes. Les points d élimination sont aussi l occasion de revoir le minibus dans lequel sont les personnes qui nous encadrent (tous amis d Hiroshi) et les accompagnateurs des coureurs étrangers. Petit à petit les accompagnateurs des concurrents japonais nous reconnaissent et nous encouragent également avec beaucoup de vigueur, il se crée au fil des rencontres une vraie fraternité. Maintenant il fait nuit, la pente s accentue je repars vers le prochain point d élimination situé après la montagne. Je souffre un peu car je ne suis pas trop grimpeur mais malgré la nuit les kilomètres défilent tranquillement, la plupart du temps je suis seul parfois je double un coureur ou je me fais doubler. Les ravitaillements sont les occasions de retrouver chaleur et convivialité, je parviens au sommet sans dommages. Encore quelques descentes et montées c est le 2 ème point d élimination au kilomètre 143, 18h51 de course et toujours 1h d avance. Je repars dans la nuit, le parcours descend bien maintenant, les kilomètres défilent rapidement. Le parcours passe à côté d un très vieux cerisier de 400 ans qui a été déplacé lors de l édification d un barrage toujours les cerisiers.. Le cerisier miraculé J arrive au point d élimination suivant CP 34 à Shirakawago km 172.60 en 23h51 l avance a un peu diminué mais j ai encore 48 minutes par rapport au temps limite et pas trop mal aux jambes. Je repars. Finalement nous avons eu une nuit assez douce maintenant le jour va se lever. C est le moment que je choisis pour commettre ma première erreur depuis le départ. Je loupe le ravitaillement du 180è kilomètre un peu placé en contre bas de la route. Je dois donc attendre le suivant 185.1km pour me ravitailler. Je commence une hypoglycémie qui va durer 20km. Au 200 ème alors que je suis juste remis de l hypoglycémie, la route se met à monter très fort pendant 4km environ. Pour économiser mes réserves encore fragiles, je monte en alternant marche et course mais je sens que mon avance 9
diminue, une fois le sommet passé, je sais que la route redescend fort jusqu'au prochain point d élimination. J arrive au sommet et je constate qu en marchant, j ai pris une mauvaise position, j ai le dos bloqué et j arrive à peine à courir. J essaie de durer encore un peu avec l espoir de trouver un kiné au prochain CP. Je parviens au CP 42, kilomètre 212 à Honana-chou avec seulement 3 minutes d avance sur le temps limite, je cours depuis 30 h 27, il n y a pas de kiné, il est au prochain CP. Il ne me reste plus que 38 kilomètres (que j ai fait tant de fois) pour arriver à Kanazawa mais je reste là. Je monte dans le minibus où je retrouve beaucoup de coureurs étrangers (l année avait été celle des japonais mais pas celle des visiteurs). Sommet de la 2eme côte fatale à mon dos Les rizières sur le parcours Dans le bus il fait bon. Comme nous sommes au dernier point d élimination, le bus nous ramène directement à l hôtel. Je profite du voyage pour dormir un peu. A l hôtel nous retrouvons les bains japonais et l immense dortoir ou sont accueillis tous les coureurs. Les premiers sont déjà arrivés depuis longtemps, la bière coule à flots pour les plus en forme, d autres dorment du sommeil du juste. Ce soir nous dînons à l hôtel, nous n avons pas trop envie de marcher dans la ville. Le dortoir d arrivée 10
Quelques heures de sommeil plus tard, toute la troupe se remet en route : petit déjeuner à l hôtel, restitution du badge reçu vendredi à notre arrivée, règlement des diverses consommations, puis départ en car vers Shirotory pour la plantation des cerisiers et la cérémonie de clôture qui sera accompagnée de musique traditionnelle et d un bon repas. Puis ce sont les adieux avec tous ceux qui nous ont encadrés pendant ces deux jours. Nous laissons Hiroshi qui va retourner planter le riz que les concurrents mangeront chez lui l année prochaine. La plantation des cerisiers Le départ vers Nagoya Hiroshi et une des vainqueurs en féminines Nous profitons de notre dernière soirée à Nagoya pour faire quelques courses dans les immenses immeubles bondés d appareils de haute technologie et flâner dans les rues pour s imprégner un peu plus de l atmosphère niponne. Après une dernière et courte nuit à l hôtel nous repartons pour l aéroport. Tout le monde est à la fois heureux de rentrer et triste de laisser ces moments forts derrière lui. Déjà l envie de revenir commence à poindre. Dans l avion comme d habitude je ne dors pas et nous veillons à nous réhydrater copieusement (voir photo ci-contre). Quelques cadavres en fin de voyage 11
Je garde de ce voyage un souvenir inoubliable. J ai été frappé du calme et de la gentillesse des Japonais. Dans toutes les circonstances des passants nous ont aidés à trouver notre chemin, des voisins de table nous faciliteront la tâche de la commande au restaurant. Pendant dix jours sans comprendre un mot sur un panneau ou une parole des personnes rencontrées, j aurai vécu comme un poisson dans l eau avec un sentiment de sécurité et de bien être particulièrement intense. Quant à la course c est un pur bonheur pour ceux qui aiment évidemment. En conclusion je vous raconterai l extraordinaire histoire qui a conduit à l organisation de la course. Après la guerre un chauffeur conduisait les bus quotidiennement entre Nagoya et Kanasawa. Il était très proche de la nature et trouvait son trajet un peu triste. Il décida donc de planter des cerisiers sur son parcours et pendant tout le reste de sa vie, il passa ses dimanches et ses vacances à planter des cerisiers. Seule la mort le stoppa dans sa mission, mais il eut malgré tout le temps de planter des milliers d arbres Touché par cette histoire Hiroshi Ogo lui-même très traditionaliste décida de prendre ce parcours pour organiser sa course. et la date d Avril pour que les concurrents puissent voir les magnifiques cerisiers en fleurs. Enfin chaque année après la course les coureurs plantent quelques cerisiers pour prolonger la légende de monsieur Sato. 12