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actualitép La performance durable, C EST D ABORD L INNOVATION Par Claude ONESTA Sélectionneur de l'équipe de France A Photos : Stéphane Pillaud C'était avant le championnat du Monde au Qatar. Claude Onesta intervenait devant les stagiaires du DESJEPS à l'insep. Une intervention qui aujourd'hui prend tout son relief. Elle éclaire un peu plus la victoire des Français. Des bleus qui se maintiennent au plus haut niveau depuis 20 ans avec 2 titres olympiques, 5 médailles de champion du Monde, 2 trophées européens. Claude Onesta a posé les bases de cette longévité. En misant sur l'autonomie et la responsabilité de son staff et des joueurs. Un pari gagnant. Une méthode qui ne cesse de faire ses preuves. 05
pa c t u a l i té Michaël GUIGOU Daniel NARCISSE «NOUS NE SOMME PAS LÀ POUR NOUS AIMER mais pour gagner ensemble» «Je suis de moins en moins un technicien. Ce qui m'intéresse, ce ne sont pas les enclenchements, mais la façon dont les joueurs vont les utiliser» déclare Claude Onesta qui a confié le jeu aux Experts. Après avoir délégué la technique à Sylvain Nouet, et maintenant à Didier Dinard et Vincent Griveau, l'entraîneur des Bleus s'est centré sur les hommes, leurs relations, leurs capacités à s'associer et à collaborer. DES JOUEURS AUTONOMES Les éléments techniques sont indispensables aux joueurs. Habitués à les utiliser de manière autonome, ils finissent par les répéter moins bêtement. Nous avons beaucoup travaillé sur l autonomie des joueurs, leur prise de responsabilité et leur capacité à l'assumer. Je me suis bagarré avec Didier Dinard pour qu'il communique et échange davantage. Etre directif ne fait pas avancer le joueur. Il suffit de discuter avec lui pour qu'il devienne à son tour un relais auprès de ses partenaires. Ces éléments sont déterminants. Ils ne font peut être pas gagner, mais cette démarche a inscrit les Bleus dans la performance durable. Si une équipe est capable de performer par le talent des joueurs, pour rendre sa performance permanente, il faut créer les conditions d'une cohésion et d'une association afin que chaque individu s'engage dans le projet. Il ne le fera pas par obéissance mais parce qu il aura le sentiment que le projet lui appartient. Plus la difficulté est importante, plus les gens qui se sentent responsables du projet vont se réunir et se fédérer pour ne pas échouer. A l inverse, dans des projets «obéissants», quand les gens sentent la tempête arriver, ils essaient d abord de se protéger pour s'épargner. L'IMPORTANCE DE LA COHÉSION Regardez les Croates avec leurs joueurs exceptionnels comme Balic, Vori ou Métlicic. Leur équipe n a rien gagné depuis les Jeux Olympiques d'athènes en 2004. Il ne suffit pas d avoir des joueurs de haut niveau pour gagner les compétitions. Il doit leur manquer une dimension humaine, cette capacité à appréhender les projets en commun, à se faire confiance et à collaborer. Réfléchissez à la relation entre la technique et la performance. Les joueurs viennent en équipe de France parce qu on leur donne des responsabilités. Les associer les a fidélisés et leur a donné l'envie de revenir. Les résultats ont validé cette méthode. Nos relations n empêchent pas l autorité. Quand je dois prendre des décisions, je ne me préoccupe pas 6
actualitép de savoir si tout le monde est d accord. Ce n est pas une démocratie «molle», mais elle est réelle parce que chacun peut prendre la parole et est écouté. La décision vaut pour tous et elle est prise en connaissant les dispositions des uns et des autres. Elle apporte à tout le groupe. UN ÉCHANGE PERMANENT Souvent ce sont les cadres qui viennent me parler. Il arrive qu ils me demandent d annuler une séance. Sur le coup ça me hérisse mais s ils estiment que la lassitude ou la fatigue sont trop présentes, il le faut peutêtre. En revanche le deal, c est que si nous avons un match 3 jours après, ils ont intérêt à être bons Ecouter ne veut pas dire être d accord avec tout. L autorité reste la même et les sanctions peuvent tomber. Nous ne sommes pas là pour nous aimer mais pour gagner ensemble. Ce mode de fonctionnement est basé sur le partage, ce n est pas de l autogestion mais de la cogestion. Les joueurs ont des connaissances et on a tout à gagner à les mettre en commun pour alimenter le projet de l'équipe. Si les joueurs de l'équipe de France avaient 20 ans, je serai peut être plus directif au départ mais toujours avec l ambition de les mettre dans la bonne direction et très vite leur laisser plus de liberté pour développer leur autonomie. C est un aller retour constant de liberté et de reprise en main quand ça dérape. C est dans cette liberté d action que l on construit l'autonomie des joueurs sur le terrain. Didier DINART CONSTRUIRE SA BOÎTE À OUTILS Dans la formation, il y a plusieurs phases. Au début, le joueur répète et recherche la précision pour construire sa boîte à outils. Son autonomie se voit à sa capacité à utiliser, de façon adaptée, les outils dans un environnement calme et hostile. Il est plus simple de trouver une solution adaptée dans une situation délicate si tout le monde a été habitué à la chercher. Car, le jour où la situation est difficile et que les joueurs ont été habitués à obéir, ils se tournent vers le coach qui est seul et doit trouver la bonne solution. Après la construction de la boîte à outils, il faut aussi passer à l apprentissage de l utilisation de ces outils, à l autonomie des joueurs. 7
pactualité Nikola KARABATIC et Thierry OMEYER Jérôme FERNANDEZ UNE RELATION DE CONFIANCE AVEC LE STAFF Je m entoure de personnes plus expertes que moi dans leur domaine. C'est basé sur une relation de confiance et je ne vais pas aller leur dire ce qu ils ont à faire. La force d un staff, c est l addition des compétences. Son autonomie est indispensable. Si avant un stage un des intervenants vient me montrer ce qu il a préparé, je ne veux pas le savoir. Cela voudrait dire que je le valide et que j en deviens responsable. Je veux des personnes qui jouent aussi leur place en étant responsable de leur travail. Plus la personne se sent libre de travailler, plus elle va réfléchir et chercher à progresser et innover. En revanche, plus je la contrôle plus elle va se contenter de me donner ce que j attends. Mon travail est d arbitrer toutes ces idées, sinon cela devient ingérable. Par exemple, si on trouve que les joueurs sont en perte de vitesse, le préparateur physique va dire qu il faut refaire des séances physiques dures pour travailler l explosivité, et de l autre côté le médecin va dire non c est juste qu ils sont fatigués... Comme chacun pense qu il est un élément déterminant pour l équipe, aucun des deux ne lâchera son idée, c est là que j interviens pour arbitrer ou prioriser. Sur les temps morts de l équipe de France, les joueurs parlent. Je préfère que ce soit eux puisqu ils vont retourner sur le terrain. S ils ont la solution et qu ils sont encore lucides, je les laisse faire plutôt que d imposer la mienne qu ils ne sont peut être pas prêts à mettre en œuvre. Je n interviens que si la lucidité n est pas présente chez eux à ce moment là. Nous avons aussi une culture handball plutôt orientée vers le jeu et le piège. Les Russes ne font que réciter parce que c est dans leur culture sportive et ils ont appris ainsi. Ils récitent avec une telle précision que parfois ils sont performants. En jouant les Scandinaves avec leur jeu très organisé, nous allons plutôt essayer de leur mettre la pagaille que de jouer comme eux. A ce jeu là on va perdre. On gagne parfois plutôt parce qu'on a mal fait jouer l adversaire que parce que nous avons bien joué. LA RICHESSE DU MÉTISSAGE En gros, plus on laisse d autonomie et de liberté d action, plus on devient imprévisible pour nos adversaires et donc difficiles à lire. Nous avons la chance d avoir des joueurs issus de cultures différentes comme La Réunion, Nouméa ou Strasbourg, c est une richesse. 8
a c t u a l i tép DES SÉANCES VIDÉO COURTES Sur l analyse vidéo, il est parfois préférable de regarder les joueurs plutôt que l écran et celui qui parle. Il y en a qui sont concentrés tout le long, certains commencent à bâiller... On doit comprendre que le joueur a une capacité d écoute et de concentration qui ne dure pas des heures, il faut donc que la séance vidéo soit courte. Il faudra montrer ce qui semble essentiel du rapport de force entre ton équipe et l adversaire. Très souvent, la vidéo devient la justification des connaissances du technicien qui montre tout ce qu'il sait et dit ce qu il faut faire. En gros cela veut dire que ce ne sera pas de ma faute si vous ne le faites pas J ai imposé à Dinard qu une séance vidéo ne dure pas plus de 20 minutes. Je demande au responsable vidéo de réussir en 10-15 minutes à montrer globalement le jeu des adversaires et identifier leurs points forts. Ensuite chaque joueur a un disque dur avec les images dont il a besoin. Je n interviens jamais sur les séances vidéo sauf si je pense que les enclenchements proposés n amènent des solutions que dans un seul registre. Il faut de l alternance. Je ne regarde la vidéo que pour comprendre les moments clefs d un match, là où il bascule. La France, grâce à cette multitude de cultures, a cette faculté à jouer sur une palette de solutions beaucoup plus larges. C est difficile du coup de trouver de l homogénéité mais lorsqu on accepte d avoir un fonctionnement commun, on peut vraiment tirer profit de cette variété. SE DIRE LES CHOSES EN FACE Laisser de la liberté aux joueurs, c est leur laisser la parole et construire le projet ensemble. Un jour, après une défaite j ai vu dans les journaux des joueurs qui disaient: «on aurait du, on aurait pu, il aurait fallu» Cela m a énervé car il aurait fallu le dire avant! J ai donc décidé que les joueurs devaient dire ce qu ils pensaient et qu'on mette ensemble nos idées. En revanche, ils devaient parler à ce moment là, car après c était trop tard, cela aurait été une trahison. A force d avoir créé ces conditions de discussion, au cours de la promenade d avant match, les joueurs règlent des situations de jeu alors que 5-6 ans en arrière ils parlaient de voiture, de cinéma Il y a énormément de moments d'échanges qui permettent ces réglages et ces ajustements. Cela a aussi favorisé l apaisement des tensions. C est plus efficace que de «L'OBÉISSANCE génère la déresponsabilité. La performance ne consiste pas à exécuter sans réfléchir» jouer sur l obéissance à un projet décidé sans les joueurs. L obéissance génère la déresponsabilisation. La performance ne consiste pas à exécuter sans réfléchir. Il faut ouvrir cet espace d exploration pour découvrir des choses merveilleuses même si ce n est pas rassurant pour le coach. On peut se tromper, mais à vouloir toujours éviter l échec, on finit par ne rien faire. INNOVATION ET ÉPANOUISSEMENT Pour moi, la performance durable c est d abord l innovation. Après une victoire, tout le monde est heureux et finit par s endormir pour savourer cet état. Or, il ne faut pas tomber dans le piège de la satisfaction mais aller chercher l innovation et l exploration. Elles maintiennent un niveau de vigilance, d application et de 9
pactualité Sébastien PIERRE, le médecin Joël DELPLANQUE et Jacky BETTENFELD Samuel HONRUBIA Michel BARBOT et William ACCAMBRAY concentration. Quand on ne se sait pas ce que l on va trouver, on s applique. Le deuxième élément indissociable de la performance durable, c est l épanouissement. Quelqu un qui vit bien ce qu il fait est capable de relativiser ce qui se passe à l arrivée. Si on s épanouit, que l on apprend et comprend, que l on se connaît mieux et que l on prend du plaisir dans la qualité de sa pratique, le fait de perdre ou de gagner devient moins vital. Tout ce que l on a appris et notre évolution nous serviront demain et aideront à réussir. Le chemin devient donc plus important que l arrivée. Investir sur ce fonctionnement, c est nourrir l individu et lui donner envie de recommencer. COACH, UN MÉTIER D'ÉQUILIBRISTE Ce que l on attend d un manager ou d un coach, c est qu il tire profit au maximum du groupe avec lequel il travaille. On ne vous demande pas de faire du «génie» mais d être efficace avec le potentiel que vous avez. La nature de ce métier est donc de repérer les forces et les faiblesses de son groupe, de tempérer les faiblesses ou d augmenter les forces pour être performant. On ne peut donc pas manager de la même façon tout le temps, il faudra accepter l'incertitude et l'instabilité qui vont générer la performance. Trop de certitude, c est l inaction. Trop d incertitude c est la paralysie donc l inaction aussi Il faut naviguer sur ce curseur. Les personnes doivent être capables de s associer. Les joueurs savent qui est numéro 1 à un poste et qui est numéro 2. Je ne choisis, en numéro 2, que des joueurs capables de jouer ce rôle. Il doit être le meilleur numéro 2 et pas celui qui veut devenir numéro 1 sinon ce n est pas possible. Je prends parfois le numéro 3 ou 4 pour être certain de mon choix. Associer les meilleurs joueurs n est pas la solution. Ils doivent être capables de collaborer et d assumer leur rôle. Si des joueurs sont en concurrence et qu ils se frictionnent dans l intérêt de l équipe cela ne me gêne pas. En revanche, si c est pour eux et égoïstement, je vais intervenir pour que cela cesse. Le désir d un joueur ne peut pas être assouvi au détriment de l équipe. La collaboration est un gage de réussite collective et tous les joueurs en tireront un avantage. 10