LE PIED DIABETIQUE 1996



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Transcription:

LE PIED DIABETIQUE 1996 M. LEUTENEGGER, D. MALGRANGE, H. BOCCALON, P. FONTAINE, I. GOT, P. VALENSI, B. YOMTOV Texte établi par le comité d'experts ci-dessus et validé par les membres des conseils d'administration et scientifique de l'alfediam Les pieds du diabétique sont exposés à développer des troubles trophiques potentiellement graves et pouvant aboutir à des amputations. Le risque est favorisé par la conjonction de complications neurologiques artérielles et infectieuses. Les lésions sont souvent secondaires à des micro traumatismes. La fréquence des lésions du pied chez les diabétiques est très élevée. On estime à 40 000 l'incidence annuelle de troubles trophiques (1). 20 à 25 % des diabétiques consultent au moins une fois dans leur vie pour une lésion du pied. Cependant les enquêtes épidémiologiques manquent en ce domaine. Si les études anglo-saxonnes (2) ou scandinaves (3) font apparaître un risque d'amputation multiplié par 10 à 15 chez le diabétique, aucune étude française n'est en fait disponible. Les complications du pied ont par ailleurs une incidence économique très importante. La prise en charge préventive et thérapeutique des troubles trophiques du pied chez le diabétique est complexe, multidisciplinaire mais reste mal codifiée. Des enquêtes partielles font ressortir la très grande diversité de cette prise en charge et l'absence fréquente de concertation multidisciplinaire. RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE A. FACTEURS PATHOGÉNIQUES- Trois mécanismes, diversement associés, peuvent être impliqués. 1. La neuropathie peut associer 3 types d'atteintes: - les troubles de la sensibilité (tactile, thermique, algésique, profonde); - le déficit moteur responsable d'un déséquilibre entre les muscles extenseurs et les fléchisseurs du pied; - l'atteinte végétative, autonome, source de sécheresse cutanée, d'oedèmes et de troubles vasomoteurs (ouvertures de shunts artério-veineux, perte de la vasomotion des capillaires). La neuropathie est très fréquemment à l'origine des lésions du pied car elle entraîne une perte de la sensibilité, favorisant les zones de frottements et d'hyperpression, et des troubles de la statique réalisant, à l'extrême, I'ostéoarthropathie nerveuse diabétique avec constitution d'un pied de Charcot. 2. L'ischémie résulte essentiellement de la macroangiopathie. L'artériopathie des membres inférieurs est plus fréquente et de localisation plus diffuse et plus distale que chez le nondiabétique. Son évolution est plus grave, souvent indolore, sans claudication intermittente. Elle est fréquemment révélée par un trouble trophique. Les autres Facteurs de Risque Vasculaire classiques (tabac - HTA- Dyslipoprotéinémie) ont ici une place essentielle. En

revanche l'atteinte microcirculatoire joue un rôle beaucoup moins important qu'il n'était admis comme en attestent les bons résultats des pontages distaux (4). 3. L'infection peut-être superficielle mais son risque est lié à une atteinte profonde pouvant menacer les tissus, les gaines et tendons, et surtout les structures osseuses. L'infection est très souvent polymicrobienne chez le diabétique et de diffusion rapide. Elle est favorisée par le déséquilibre glycémique qu'elle aggrave. Il en est de même des mycoses. B. FACTEURS DÉCLENCHANTS - Les lésions du pied sont très souvent occasionnées par des traumatismes mineurs. Les facteurs déclenchants les plus fréquemment en cause sont les chaussures inadaptées, une hygiène insuffisante, des soins de pédicurie mal faits, des sources de chaleur non perçues... PREVENTION Les patients diabétiques les plus exposés doivent être dépistés à l'occasion des consultations ou du bilan annuel de leur diabète, en s'appuyant sur l'examen clinique ou des examens paracliniques simples. L'inspection des pieds doit être systématique à chaque consultation. Une fois dépistés, ces patients doivent en effet bénéficier d'une éducation et d'une surveillance destinées à prévenir l'apparition des troubles trophiques. A. DEPISTAGE DES PATIENTS A RISQUE - Les patients à haut risque de lésion du pied sont ceux qui présentent: - des antécédents d'ulcération du pied, - ou une neuropathie périphérique, - ou une artériopathie des membres inférieurs - ou des déformations du pied. Le dépistage de la neuropathie est essentiellement clinique. Dans sa forme pure, le pied neuropathique présente les caractéristiques symptomatiques résumées dans le Tableau I. La neuropathie est confirmée par l'existence d'au moins 2 critères parmi les 4 suivants: - signes fonctionnels (douleurs, crampes ou paresthésies nocturnes); - hypoesthésie: tactile (monofilament), thermique algésique ou vibratoire (diapason gradué ou biothésiomètre); - signes moteurs: faiblesse musculaire, aréflexie ostéo-tendineuse; - critères électrophysiologiques. Tableau I. Pied neuropathique - Pieds chauds, hyposudation, turgescence veineuse - Insensibilité - Aréflexie ostéotendineuse - Hyperkératose - Pouls perçus, parfois amples

Le dépistage de l'artériopathie est basé sur l'interrogatoire, l'inspection du pied, la palpation des pouls la recherche de souffle(s) vasculaire(s). Dans sa formé pure, le pied ischémique comporte les éléments cliniques résumés sur le Tableau II. Les pressions de cheville mesurées à l'aide d'un doppler de poche sont très utiles, mais leurs valeurs peuvent être faussement élevées en cas de médiacalcose rendant les artères peu ou non compressibles. Un deuxième examen est souhaitable: étude des flux par doppler continu, pression du gros orteil, mesure de débit par technique pléthysmographique ou électromagnétique. Tableau II. Pied artériopathique - Claudication intermittente (inconstante) - Pied froid, pâle à l'élévation, cyanosé en déclive - Pied maigre, atrophique - Ongles épaissis, dépilation - Pouls non ou mal perçus - Souffle vasculaire - Lenteur du remplissage veineux - ROT et sensibilité normaux Le dépistage de déformations doit être précoce. Un examen médical podologique devrait être systématique, à la recherche de perturbation des appuis, chez tout patient de plus de 40 ans ayant plus de 10 ans d'évolution de diabète. La prise d'empreinte systématique des deux pieds, par un appareillage simple (papier encré), à la recherche de zones d'hyperappui, permet de dépister, lors du bilan annuel, les patients à risque: ceux-ci sont alors adressés au médecin podologue. B. PREVENTION ACTIVE - La prévention, chez. ces patients particulièrement exposés, doit associer une éducation et un suivi spécialisé. 1. L'éducation doit commencer chez les diabétiques sans critère de risque. Les conseils indispensables sont résumés dans le Tableau III. Tableau III. Conseils aux patients jeunes, sans critères de risque - Soins des pieds réguliers - Limer et non couper les ongles - Choix de chaussures confortables et adaptées - Lutter contre les facteurs de risque vasculaire: tabagisme, mauvais contrôle glycémique ou lipidique, hypertension - Pratique régulière de sport

- Consultation rapide si problème En revanche, chez le patient à risque, l'éducation spécifique revêt une importance fondamentale. Deux ordres de conseils doivent êtres donnés: les gestes à éviter (Tableau IV) et ceux qui assurent la protection des pieds (Tableau V). Tableau IV. Patients à risque : gestes à éviter : IL NE FAUT PAS - Marcher pieds nus - Couper les ongles à vifs : il faut les limer - Utiliser un instrument tranchant pour cor et durillon : attention à la "chirurgie de salle de bain" - Utiliser des corricides - Prendre des bains de pieds prolongés Tableau V. Patients à risque : assurer la protection des pieds - INSPECTER chaque jour au besoin à l'aide d'un miroir - Requérir l'aide d'une TIERCE personne si nécessaire - SIGNALER immédiatement toute lésion suspecte - LAVER chaque jour les pieds à l'eau tiède et au savon. Bien SECHER notamment entre les orteils - En cas de peau sèche, appliquer une CREME HYDRATANTE neutre. PONCER les zones d'hyperkératose (pierre-ponce ou quicklime) - Eviter les ongles trop courts - CHAUSSETTES en fibres naturelles, changées tous les jours - Etre attentif au choix des CHAUSSURES qui doivent être achetées en fin de journée. Plusieurs paires sont nécessaires pour varier les appuis et frottements. Contrôler l'absence de corps étranger avant de se chausser. Limiter les talons à 5 cm - Les soins de PEDICURIE doivent être prudents en prévenant qu'on est diabétique.

2. Le suivi spécialisé régulier est indispensable. Les troubles de la statique doivent être corrigés par des orthèses dont l'efficacité doit être surveillée par des bilans podologiques réguliers. L'atteinte artérielle doit être précisée par des explorations fonctionnelles vasculaires. La mise en évidence de lésions artérielles proximales (aorto-iliaque,fémorale) hémodynamiquement significatives, peut faire discuter dès ce stade l'indication d'une artériographie et d'un geste de revascularisation. En l'absence de trouble trophique et même de manifestation douloureuse, on peut être amené a être plus interventionniste chez le diabétique que chez le non-diabétique pour des lésions proximales. En revanche, les atteintes distales pures ou à faible retentissement hémodynamique ne relevent à ce stade que d'une surveillance. Dans tous les cas, la prise en charge des autres Facteurs de Risque Vasculaire est ici indispensable: l'arrêt du tabac, la normalisation des paramètres lipidiques et des chiffres tensionnels sont des impératifs communs à toute situation de prévention secondaire. TROUBLE TROPHIQUE CONSTITUE A. STADES DE GRAVITE - La classification décrite par Wagner (5) permet de définir 6 grades de gravité croissante notés sur le tableau Vl. Cette classification doit être précisée par l'extension de la lésion en surface et en profondeur à l'aide d'une planimétrie et d'un sondage avec un stylet. Tableau VI. Grades de gravité des lésions du pied diabétique (d'après Wagner (5)). Grade 0 Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Grade 5 Pas de lésion ouverte, mais présence possible d'une déformation osseuse ou d'hyperkératose Ulcère superficiel sans pénétration dans les tissus profonds Extension profonde vers les tendons ou l'os, les articulations Tendinite, ostéomyélite, abcès ou cellulite profonde Gangrène d'un orteil ou de l'avant-pied le plus souvent associée à une infection plantaire Gangrène massive du pied associée à des lésions nécrotiques et à une infection des tissus mous B. BILAN 1. Le bilan initial doit rapidement répondre à 2 questions: existe-t-il une infection ou une ischémie qui pourraient justifier un traitement urgent? A ce stade, l'examen clinique est au premier plan. L'atteinte artérielle est évoquée devant des pouls non palpables, un souffle vasculaire, des troubles de la recoloration, un pied froid. L'examen est utilement complété au lit du malade par une étude des pressions avec un doppler

de poche ou mieux par une vélocimétrie doppler. L'infection est évidente dans les cas extrêmes de gangrène gazeuse, phlegmon, cellulite de l'arrière-pied, ou plus torpide et plus profonde, à suspecter quand le sondage au stylet révèle un pertuis, un contact osseux ou provoque un écoulement purulent... Parfois, I'infection est superficielle, notamment en cas de mycose. Le bilan de la neuropathie est effectué mais n'a aucune incidence sur la décision thérapeutique immédiate. L'examen clinique est complété par des radiographies des deux pieds, face et profil en s'aidant au besoin d'un cliché avec stylet en place pour mieux localiser un trajet fistuleux et la zone osseuse en regard de la plaie. 2. Bilan spécialisé - Toute suspicion d'atteinte artérielle ou d'infection profonde doit faire pratiquer des examens spécialisés. a. Bilan artériel - Le niveau lésionnel est précisé par les Explorations Fonctionnelles Vasculaires (doppler - échodoppler - pressions). L'importance de l'ischémie doit être quantifiée par les mesures de pression d'oxygène-en transcutanée (TcPO2) au niveau du pied ou de façon étagée. Les valeurs normales sont de 50 mmhg. Au-dessous de 30 rnmhg, il existe une ischémie sévère qui doit faire discuter l'indication d'une revascularisation. Au dessous de 10 mmhg, il s'agit d'une ischémie critique mettant en jeu le pronostic local à court terme. Il importe cependant de tenir compte d'une éventuelle infection locale qui peut minorer les chiffres et imposerait de refaire les mesures quand l'infection aura rétrocédé. Par ailleurs, certains tests de stimulation (oxygène ou position déclive, jambe pendante) pourraient avoir une valeur pronostique. - L'indication d'une artériographie des membres inférieurs est alors discutée, dans l'optique d'un geste de revascularisation (angioplastie - pontage). La réalisation technique doit en être irréprochable avec notamment opacification des artères de la cheville et du pied indispensable pour apprécier la possibilité de pontages distaux. - Tout bilan d'artériopathie des membres inférieurs doit comporter la recherche d'autres localisations (coronaires, troncs supra-aortiques) et une prise en charge des différents facteurs de risque vasculaire. b. Bilan infectieux - Un bilan biologique a minima est toujours nécessaire, notamment hémogramme et C- réactive protéine. - L'identification des germes en cause est conditionnée par la qualité des prélèvements bactériologiques, en essayant d'éviter toute contamination par les germes de surface: l'idéal est d'obtenir un prélèvement en profondeur par curetage, biopsie ou aspiration à la seringue, d'assurer son acheminement rapide au laboratoire, ou d'utiliser des milieux de transport et d'obtenir du laboratoire une analyse sans délai. - Les radiographies des pieds face et profil ne sont pas toujours d'interprétation facile entre ostéite et ostéo-arthropathie. - Dans certains cas difficiles, le diagnostic d'ostéite peut être aidé par la pratique d'une IRM ou d'une scintigraphie aux leucocytes marqués, mais l'accès à ces techniques peut être difficile. - Le traitement de l'infection repose avant tout sur le parage, la mise à plat de la plaie, son drainage à réaliser en urgence. Une biopsie osseuse doit être pratiquée durant le temps opératoire pour analyse bactériologique et histologique.

C. PRISE EN CHARGE - Elle doit être générale, métabolique et locale. 1. Prise en charge générale - La prévention du tétanos doit être systématique. La prévention des thromboses veineuses profondes fait appel à l'héparinothérapie (HBPM). Un bon état nutritionnel est indispensable pour la cicatrisation: l'existence d'une dénutrition, dont témoigne une albuminémie < 30 g/l, doit faire prendre des mesures diététiques hyperprotidiques. 2. Prise en charge métabolique - Toute lésion du pied impose une équilibration stricte du diabète Le traitement hypoglycémiant habituel (même par ADO) peut être maintenu si l'équilibre est parfait en présence de plaies superficielles, non infectées. Dans les autres cas, on doit avoir largement recours à l'insulinothérapie, même en cas de diabète de Type 2. L'indication de cette insulinothérapie et de son mode (multiinjection, pompe) requiert l'avis diabétologique. 3. Prise en charge du pied a. Pied non chirurgical - Plaie non infectée et non ischémique, grade I de la classification de Wagner. - Les soins locaux doivent être réalises par un personnel infirmier entraîné. Ils sont largement dominés par le débridement de la plaie au bistouri (décornage, pelage). - Le pansement doit se limiter à des antiseptiques et ne doit pas être aggressif pour les tissus ni masquer leur aspect (pas de colorant, pas d'antibiotiques locaux, pas de sparadrap collé sur la peau...). Aucun topique n'a fait la preuve de son efficacité. Des protocoles sont en cours pour évaluer l'intérêt des facteurs de croissance ou des greffes de cellules dans la cicatrisation des lésions du pied diabétique. - La mise en décharge est indispensable à obtenir en cas de plaie plantaire. Elle est assurée par le port de chaussures à appui partiel, soit talonnier (Barouk), soit antérieur (Sanital). - Le traitement des mycoses fait appel aux antifungiques locaux (Amycor, Pévaryl, Loceryl, Mycoster...) ou parfois généraux (Lasimil, Griséfuline ). b. Pied chirurgical infecté - La mise à plat rapide et large de tous les tissus touchés doit être effectuée dès qu'il y a une infection clinique patente (pied inflammatoire, collection). - Une antibiothérapie doit être débutée, associant au moins 2 molécules répondant aux critères suivants: spectre suffisamment large pour couvrir les germes aérobie et anaérobie, diffusion tissulaire et osseuse élevée, possibilité dans certains cas d'utiliser la voie orale pour-respecter le suivi ambulatoire. Cette antibiothérapie doit être adaptée dans un deuxième temps selon l'évolution clinique et les données des antibiogrammes. Sa durée est déterminée par l'extension du sepsis et notamment l'atteinte osseuse qui peut faire poursuivre ce traitement durant plusieurs mois. c. Pied chirurgical ischémique Les possibilités d'une revascularisation doivent être discutées avant tout geste d'exérèse. L'atteinte du trépied jambier est fréquente, mais les artères sont souvent perméables au niveau de la- cheville et du pied permettant la réalisation de pontages distaux. Les résultats de ces procédures de revascularisation sont actuellement comparables entre diabétiques et non diabétiques (4). Lorsqu'un geste apparaît possible en fonction des données de l'exploration vasculaire, l'indication doit être portée précocément, qu'il s'agisse d'angioplastie transluminale (surtout pour les lésions proximales et courtes) ou de pontages notamment distaux utilisant de

préférence la veine saphène. La sympathectomie lombaire est inefficace du fait de la sympatholyse neuropathique spontanée et n'a donc aucun intérêt. Quand aucun geste de revascularisation n'est possible, différents traitements médicaux ont été proposés mais sans efficacité démontrée pour les anticoagulants, les vasoactifs même injectables, les prostacyclines (AMM pour la maladie de Buerger), I'hémodilution. L'hyperbarie a quelques indications mais elle est peu disponible. Ces traitements ne doivent en aucun cas retarder l'heure de l'amputation si cette dernière s'avère inéluctable. Il faut en effet opérer les patients quand ils sont encore en bon état général. Sur le plan de la prise en charge générale de la maladie athéroscléreuse, le traitement antiagrégant plaquettaire est ici utile (A. Acétyl Salicylique, Ticlopidine). Une amputation peut s'imposer devant des lésions évoluées, et putrides, une douleur difficile à maîtriser, une aggravation rapide des lésions ou de l'état général. Le niveau d'amputation est difficile à déterminer et se décide sur la conjonction de plusieurs éléments: clinique, TcPO2, artériographie, expérience du chirurgien. Elle doit être aussi conservatrice que possible, mais en évitant le risque de réinterventions successives. Il faut différencier les exérèses localisées et amputations partielles du pied qui permettent la conservation de l'appui talonnier et qui doivent être fonctionnelles, des amputations hautes (jambe ou cuisse). La conservation du genou est liée aux possibilités de cicatrisation et d'appareillage. Cet appareillage doit être réalisé le plus tôt possible en centre spécialisé. d. Prise en charge podologique Une consultation auprès d'un médecin podologue doit être programmée dès la cicatrisation obtenue permettant un bilan des 2 pieds pour adapter le chaussage (orthèses - chaussures). Le suivi régulier de s patients en podologie est indispensable pour vérifier la bonne adaptation des orthèses plantaires et chaussures orthopédiques prescrites et les faire modifier ou renouveler si nécessaires. La prévention des récidives s'appuie sur l'éducation et le suivi médical très régulier de ces patients à très haut risque. CONSEQUENCES ECONOMIQUES Les lésions du pied des diabétiques nécessitent souvent des hospitalisations prolongées en milieu spécialisé, sources de dépenses importantes pour la collectivité. Les coûts sont considérablement accrus en cas d'amputation. Nous manquons cependant de données précises sur ce sujet en France. Seules quelques publications étrangères (suédoises, américaines) et quelques expériences ponctuelles en France (étude GECICA) permettent d'approcher ces problèmes économiques. Il faudrait envisager des études prospectives sur le nombre d'amputations des membres inférieurs réalisées chaque année chez les diabétiques, sur les coûts qui leur sont imputables et sur l'évaluation des stratégies de soin pour connaître la situation actuelle et reconnaître les stratégies ayant les meilleurs bénéfices. La prévention primaire doit participer à la réduction du surcoût global. Une prise en charge ambulatoire doit permettre de réduire le surcoût des hospitalisations. La précocité de cette prise en charge augmente les chances de cicatrisation et doit réduire le surcoût lié aux amputations. VERS UNE PRISE EN CHARGE MULTIDISCIPLINAIRE CONCERTEE Il existe peu de centre spécialisés en France pour la prise en charge des lésions du pied chez le diabétique. Beaucoup de patients reçoivent des soins sans voir de diabétologue, sans stratégie concertée, en restant longtemps hospitalisés faute d'une structure ambulatoire accessible.

L'évolution doit se faire vers une réorganisation des structures ou des intervenants actuels, permettant une prise en charge multidisciplinaire plus efficace. Les différents acteurs de soins concernés sont: - le diabétologue et son équipe, - le chirurgien (orthopédiste, plasticien, vasculaire), - l'équipe vasculaire associant un angeiologue, un radiologue et un chirurgien, - le médecin podologue, - le laboratoire de bactériologie. Ils doivent coordonner et harmoniser leurs interventions dans le cadre d'une structure commune ou au moins d'une stratégie concertée (création de réseaux). La gestion d'une structure ambulatoire, avec intervention du diabétologue et d'infirmières spécialisées permet de raccourcir les hospitalisations et de suivre le patient jusqu'à cicatrisation complète, en contrôlant la qualité des soins locaux et en les adaptant selon l'évolution. Elle implique la participation active du médecin traitant qui doit surveiller au domicile du patient le suivi de l'hygiène, de la décharge, du respect des consignes et de l'efficacité des actes paramédicaux. Le suivi en milieu vasculaire est assuré parallèlement en cas d'artériopathie. QUI INTERVIENT? A QUEL STADE? Des lésions superficielles non ischémiques et non infectées peuvent être prises en charge par le médecin traitant, mais impliquent dès ce stade la nécessité d'un avis diabétologique rapide car ces lésions témoignent d'une pathologie sous-jacente du pied qui peut être menaçante. Aux stades suivants de lésions profondes ou ischémiques ou infectées, il est préférable d'adresser le patient à une structure spécialisée multidisciplinaire sans perdre de temps car l'évolution peut être très rapidement péjorative. PROPOSITIONS La réduction du nombre de plaies et d'amputation chez le diabétique passe par la sensibilisation et la formation des médecins généralistes et spécialistes, des infirmier(e)s, des pédicures, à ce problème du pied chez le diabétique et à l'urgence de sa prise en charge. Elle nécessite une harmonisation des actes, sachant que beaucoup de problèmes actuels relèvent avant tout de défauts d'organisation entre les différents intervenants. Elle implique la revalorisation de la nomenclature pour les actes infirmiers (pansements à domicile), pour l'acte d'éducation et le remboursement des soins de pédicure qui facilitera la prise en charge ambulatoire plus fréquente des diabétiques ayant des troubles trophiques constitués des pieds. Cette remise en question de la prise en charge actuelle du pied diabétique et ses lacunes incitent à proposer des études épidémiologiques sur le sujet et une évaluation rigoureuse des procédures de soins. REFERENCES 1 Halimi S, Benhamou PY, Charras H. Le coût du pied diabétique. Diabete Metab, 1993, 19, 518-522.

2 Most RS, Sinnock P. The epidemiology of lower extremity amputations in diabetic individuals. Diabetes Care, 1988, 6, 87-91. 3 Apelqvist J, Ragnarson-Tennwall G., Persson U, Larsson J. Diabetic foot ulcer in a multidisciplinary setting. An economic analysis of primary healing and healing with amputation. Intern Med 1994, 235, 463-471. 4 Logerfo FW & Gibbons GW. Ischemia in the diabetic foot: modern concepts and management. Clin Diab 1989, 72-74. 5 Wagner FW. The diabetic foot. Orthopedics, I987, 10, 163-172.